Créé en 2011, l’Institut hospitalo-universitaire en maladie infectieuses de Marseille, plus connu sous son abréviation IHU-MI, a ouvert ses portes en 2018. Ce concept d’IHU, relativement récent dans le spectre de la recherche médicale française, résulte de la mise en œuvre des programmes d’investissement d’avenir lancés en 2009 par Nicolas Sarkozy pour favoriser la relance économique après la crise des subprimes. Ces instituts ont alors pour vocation de constituer des pôles d’excellence pour la recherche médicale en attirant et en formant des spécialistes dans leur domaine de compétence. Le but est d’obtenir des retombées économiques via « le développement de produits de santé innovants » et « d’accroître l’attractivité de la France pour les industries de santé ».
Sur les 19 projets qui sont alors présentés, seuls 6 ont été retenus par un jury international constitué en 2010, un septième projet y étant ajouté en 2018. Les trois premiers d’entre eux sont ceux présentés par les hôpitaux de Paris et de Strasbourg, et justement celui de Marseille, défendu par le professeur Didier Raoult, au nom de l’Université Aix Marseille et de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille).
L’IHU est organisé sous forme de fondation, pour permettre de bénéficier des fonds provenant à la fois du public et du privé, histoire de manger à tous les râteliers. Celui de Marseille regroupe également parmi ses membres fondateurs l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service français des Armées, BioMérieux et l’Établissement français du sang. Mais l’essentiel de ses financements initiaux, qui s’élèvent au total à 160 millions d’euros et qui lui ont permis de se construire un immense bâtiment bien en vue, juste à côté de l’hôpital de la Timone, provient d’une subvention colossale de 72,4 millions, la plus grosse jamais accordée par l’Agence nationale de la recherche et de la technologie, dont 48,8 millions pour la seule édification du bâtiment.
Pourtant, dès 2015, une mission de l’Inspection générale de l’action sociale s’inquiète des dérives autoritaires du professeur Raoult, ce médecin tonitruant aux faux airs de Gandalph qui aurait mis en place un système de décision ultra-centralisé dans lequel il décide de tout et en toute opacité. En 2017, un nouveau rapport du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dénonce à son tour « un management autocratique » et « un mode de gouvernance vertical [qui] a facilité l’expression de comportements hautement condamnables : harcèlement moral mais également sexuel, mépris des personnes, ignorance des réglementations, hostilité à l’égard des regards extérieurs, défaut de concertation avec les tutelles ».
L’accusation n’est pas bénigne et conduit en 2018 le CNRS et l’INSERM, les deux autorités de tutelles, à se désengager du projet pour cause de « désaccord stratégique » et « d’évaluation scientifique défavorable ». Le coup est rude mais le bon professeur Raoult s’en moque comme d’une guigne, affichant le plus profond mépris pour ces instances nationales de la recherche scientifique, et n’hésitant pas à déclarer haut et fort : « l’INSERM, aujourd’hui je m’en fous » : on ne saurait être plus clair !
D’autant que Didier Raoult connaît début 2020 son heure de gloire lorsque l’IHU lance un dispositif de dépistage du Covid-19 alors que toute la France panique face au développement de la pandémie, et que tous les responsables politiques locaux viennent se faire soigner à l’IHU où ils se font administrer la fameuse hydroxychloroquine du bon docteur Raoult. Un traitement qui n’a jamais fait ses preuves et qui peut être à l’origine de graves effets secondaires pour certains patients. Mais cette position assure au président de l’IHU de Marseille une position médiatique sans précédent. Il se répand dans tous les médias où son franc-parler fait merveille, lui qui fustige à longueur de journée les décisions technocratiques visant à confiner la population pour limiter la propagation du virus. Les Marseillais passés par l’IHU le vénèrent comme un dieu, arborent des tee-shirts à son effigie de druide celte réincarné, et applaudissent à chacune de ses sorties cinglantes contre les élites parisiennes.
Pourtant, dès 2020, des voix s’élèvent pour s’inquiéter d’essais cliniques humains effectués sans autorisation tandis que les procédures pour diffamation s’enchaînent et que des enquêtes sont diligentés pour fraude à la Sécurité sociale en lien avec des hospitalisations de jour facturées pour permettre d’administrer le fameux traitement anti Covid. De son côté, l’Agence française anti-corruption dénonce un conflit d’intérêt de la part du président de l’IRD, Jean-Paul Moatti, qui avait signé avec sa propre épouse, Yolande Obadia, alors directrice de l’IHU, une convention accordant une subvention aussi généreuse que peu justifiée.
En août 2021, l’AP-HM et l’Université Aix Marseille annoncent enfin le renouvellement de la présidence et la mise à la retraite de Didier Raoult de plus en plus controversé. Il est remplacé en septembre par un de ses proches, Pierre-Edouard Fournier, tandis qu’en septembre 2022, la directrice de l’IHU cède sa place à Emmanuelle Prada-Bordenave.
Mais il n’est pas si aisé de tourner la page de l’ère Raoult. Le journal La Provence s’est ainsi fait l’écho, vendredi 12 avril d’un épisode assez surréaliste survenu la veille, à l’occasion de la réunion du conseil d’administration de l’IHU, au cours duquel devait notamment être validée la composition du nouveau conseil scientifique de l’établissement. Il était prévu de nommer à sa tête l’immunologiste réputé, Eric Vivier, un scientifique mondialement reconnu, fondateur du cluster Marseille Immunopôle et par ailleurs président du Paris Saclay Cancer Cluster. Une nomination qui faisait l’unanimité parmi la communauté scientifique, désireuse de redonner plus de crédibilité à l’IHU de Marseille, empêtré dans les affaires judiciaires.
Mais c’était sans compter sans le président de la Région PACA, l’imprévisible Renaud Muselier, qui, une fois n’est pas coutume, s’est invité en personne à ce conseil d’administration où il n’avait pas mis les pieds depuis plus de 2 ans. Ce dernier n’a jamais caché sa grande admiration pour le professeur Raoult, un ancien copain de fac dont il est resté très proche. En septembre 2021, alors qu’il sortait d’une affection de Covid, justement soignée à l’hydroxychloroquine dans les locaux de l’IHU, Renaud Muselier évoquait au micro de France bleu sa confiance aveugle en Didier Raoult, précisant : « Oui, j’ai toujours tout suivi chez Raoult. J’ai confiance en lui donc je fais confiance à mon médecin ». Et d’insister : « Moi, je l’ai toujours soutenu. Et il a eu des résultats : quand on a eu notre cluster avec un tiers de la région contaminée, on a fermé, on a envoyé tout le monde chez Raoult se faire tester, on a soigné ceux qui le voulaient et on a envoyé personne en réanimation. J’ai confiance en Raoult ».
Une confiance qui ne faiblit pas et qui a donc conduit le président de la Région PACA à s’opposer frontalement, lors de ce conseil d’administration mémorable du 11 avril 2024, à la nomination au sein du conseil scientifique de l’IHU, du professeur Vivier, ainsi qu’à celle de deux autres éminents scientifiques, Diane Descamps et Aude Bernheim. Selon les autres participants à cette réunion, Renaud Muselier a mis son veto sans discussion possible, arguant que ces nominations relèvent d’un pur parisianisme et menaçant de couper le robinet des subventions s’il n’était pas suivi.
Un argument qui a manifestement porté, d’autant que la Région finance grassement l’IHU, y compris via les fonds européens qui sont instruits par ses propres services. En comptant les subventions régionales qui transitent par l’AP-HP, cela représenterait plusieurs dizaines de millions par an. De quoi donner à Renaud Muselier une force de conviction très dissuasive, au point que personne n’a osé le contredire et lui rappeler que le « parisien », Eric Vivier, vit à Marseille depuis 31 ans, où il a fondé le centre d’immunologie de Luminy et où il exerce en tant que professeur d’immunologie à l’université Aix Marseille et médecin hospitalier à la Timone.
Il semble donc que l’IHU de Marseille ne soit pas encore prêt à tourner la page Raoult et que ce dernier puisse encore compter sur le soutien aveugle de son ami Muselier, quitte à ruiner la crédibilité scientifique de cet institut. La Provence se fait ainsi l’échos d’un chercheur, désespéré de voir que « l’IHU fait beaucoup d’efforts pour redresser la barre. C’est catastrophique de voir tout cela ruiné par des comportements qui relèvent du fait du prince », estimant, désabusé : « il s’agit surtout d’une lutte de pouvoir. A Marseille, certains veulent rester dans leur entre-soi ». Un travers décidément très développé localement…
L. V.