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IHU : le caprice de Renaud Muselier

15 avril 2024

Créé en 2011, l’Institut hospitalo-universitaire en maladie infectieuses de Marseille, plus connu sous son abréviation IHU-MI, a ouvert ses portes en 2018. Ce concept d’IHU, relativement récent dans le spectre de la recherche médicale française, résulte de la mise en œuvre des programmes d’investissement d’avenir lancés en 2009 par Nicolas Sarkozy pour favoriser la relance économique après la crise des subprimes. Ces instituts ont alors pour vocation de constituer des pôles d’excellence pour la recherche médicale en attirant et en formant des spécialistes dans leur domaine de compétence. Le but est d’obtenir des retombées économiques via « le développement de produits de santé innovants » et « d’accroître l’attractivité de la France pour les industries de santé ».

Les locaux majestueux de l’IHU de Marseille à la Timone (photo © Gérard Julien / AP / Le Monde)

Sur les 19 projets qui sont alors présentés, seuls 6 ont été retenus par un jury international constitué en 2010, un septième projet y étant ajouté en 2018. Les trois premiers d’entre eux sont ceux présentés par les hôpitaux de Paris et de Strasbourg, et justement celui de Marseille, défendu par le professeur Didier Raoult, au nom de l’Université Aix Marseille et de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille).

L’IHU est organisé sous forme de fondation, pour permettre de bénéficier des fonds provenant à la fois du public et du privé, histoire de manger à tous les râteliers. Celui de Marseille regroupe également parmi ses membres fondateurs l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service français des Armées, BioMérieux et l’Établissement français du sang. Mais l’essentiel de ses financements initiaux, qui s’élèvent au total à 160 millions d’euros et qui lui ont permis de se construire un immense bâtiment bien en vue, juste à côté de l’hôpital de la Timone, provient d’une subvention colossale de 72,4 millions, la plus grosse jamais accordée par l’Agence nationale de la recherche et de la technologie, dont 48,8 millions pour la seule édification du bâtiment.

Inauguration des locaux de l’IHU en mars 2018, en présence de l’incontournable Renaud Muselier, de Jean-Claude Gaudin et de Martine Vassal, tous inconditionnels de Didier Raoult (photo © Benoît Gilles / Marsactu)

Pourtant, dès 2015, une mission de l’Inspection générale de l’action sociale s’inquiète des dérives autoritaires du professeur Raoult, ce médecin tonitruant aux faux airs de Gandalph qui aurait mis en place un système de décision ultra-centralisé dans lequel il décide de tout et en toute opacité. En 2017, un nouveau rapport du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dénonce à son tour « un management autocratique » et « un mode de gouvernance vertical [qui] a facilité l’expression de comportements hautement condamnables : harcèlement moral mais également sexuel, mépris des personnes, ignorance des réglementations, hostilité à l’égard des regards extérieurs, défaut de concertation avec les tutelles ».

L’accusation n’est pas bénigne et conduit en 2018 le CNRS et l’INSERM, les deux autorités de tutelles, à se désengager du projet pour cause de « désaccord stratégique » et « d’évaluation scientifique défavorable ». Le coup est rude mais le bon professeur Raoult s’en moque comme d’une guigne, affichant le plus profond mépris pour ces instances nationales de la recherche scientifique, et n’hésitant pas à déclarer haut et fort : « l’INSERM, aujourd’hui je m’en fous » : on ne saurait être plus clair !

Didier Raoult et Renaud Muselier, deux anciens copains de fac inséparables, ici en septembre 2020 (source © compte Facebook Renaud Muselier)

D’autant que Didier Raoult connaît début 2020 son heure de gloire lorsque l’IHU lance un dispositif de dépistage du Covid-19 alors que toute la France panique face au développement de la pandémie, et que tous les responsables politiques locaux viennent se faire soigner à l’IHU où ils se font administrer la fameuse hydroxychloroquine du bon docteur Raoult. Un traitement qui n’a jamais fait ses preuves et qui peut être à l’origine de graves effets secondaires pour certains patients. Mais cette position assure au président de l’IHU de Marseille une position médiatique sans précédent. Il se répand dans tous les médias où son franc-parler fait merveille, lui qui fustige à longueur de journée les décisions technocratiques visant à confiner la population pour limiter la propagation du virus. Les Marseillais passés par l’IHU le vénèrent comme un dieu, arborent des tee-shirts à son effigie de druide celte réincarné, et applaudissent à chacune de ses sorties cinglantes contre les élites parisiennes.

Le professeur Didier Raoult, mis en cause pour ses méthodes quelques peu cavalières (photo © Christophe Simon / AFP / France 3)

Pourtant, dès 2020, des voix s’élèvent pour s’inquiéter d’essais cliniques humains effectués sans autorisation tandis que les procédures pour diffamation s’enchaînent et que des enquêtes sont diligentés pour fraude à la Sécurité sociale en lien avec des hospitalisations de jour facturées pour permettre d’administrer le fameux traitement anti Covid. De son côté, l’Agence française anti-corruption dénonce un conflit d’intérêt de la part du président de l’IRD, Jean-Paul Moatti, qui avait signé avec sa propre épouse, Yolande Obadia, alors directrice de l’IHU, une convention accordant une subvention aussi généreuse que peu justifiée.

En août 2021, l’AP-HM et l’Université Aix Marseille annoncent enfin le renouvellement de la présidence et la mise à la retraite de Didier Raoult de plus en plus controversé. Il est remplacé en septembre par un de ses proches, Pierre-Edouard Fournier, tandis qu’en septembre 2022, la directrice de l’IHU cède sa place à Emmanuelle Prada-Bordenave.

Mais il n’est pas si aisé de tourner la page de l’ère Raoult. Le journal La Provence s’est ainsi fait l’écho, vendredi 12 avril d’un épisode assez surréaliste survenu la veille, à l’occasion de la réunion du conseil d’administration de l’IHU, au cours duquel devait notamment être validée la composition du nouveau conseil scientifique de l’établissement. Il était prévu de nommer à sa tête l’immunologiste réputé, Eric Vivier, un scientifique mondialement reconnu, fondateur du cluster Marseille Immunopôle et par ailleurs président du Paris Saclay Cancer Cluster. Une nomination qui faisait l’unanimité parmi la communauté scientifique, désireuse de redonner plus de crédibilité à l’IHU de Marseille, empêtré dans les affaires judiciaires.

Le professeur Eric Vivier aux côtés du Président de Région Renaud Muselier, ici à l’occasion d’une visite ministérielle en 2022 (photo © Franck Pennant / La Provence)

Mais c’était sans compter sans le président de la Région PACA, l’imprévisible Renaud Muselier, qui, une fois n’est pas coutume, s’est invité en personne à ce conseil d’administration où il n’avait pas mis les pieds depuis plus de 2 ans. Ce dernier n’a jamais caché sa grande admiration pour le professeur Raoult, un ancien copain de fac dont il est resté très proche. En septembre 2021, alors qu’il sortait d’une affection de Covid, justement soignée à l’hydroxychloroquine dans les locaux de l’IHU, Renaud Muselier évoquait au micro de France bleu sa confiance aveugle en Didier Raoult, précisant : « Oui, j’ai toujours tout suivi chez Raoult. J’ai confiance en lui donc je fais confiance à mon médecin ». Et d’insister : « Moi, je l’ai toujours soutenu. Et il a eu des résultats : quand on a eu notre cluster avec un tiers de la région contaminée, on a fermé, on a envoyé tout le monde chez Raoult se faire tester, on a soigné ceux qui le voulaient et on a envoyé personne en réanimation. J’ai confiance en Raoult ».

Une confiance qui ne faiblit pas et qui a donc conduit le président de la Région PACA à s’opposer frontalement, lors de ce conseil d’administration mémorable du 11 avril 2024, à la nomination au sein du conseil scientifique de l’IHU, du professeur Vivier, ainsi qu’à celle de deux autres éminents scientifiques, Diane Descamps et Aude Bernheim. Selon les autres participants à cette réunion, Renaud Muselier a mis son veto sans discussion possible, arguant que ces nominations relèvent d’un pur parisianisme et menaçant de couper le robinet des subventions s’il n’était pas suivi.

Un dessin signé Deligne, publié dans Var Matin en août 2021 : 4 ans plus tard, le professeur Raoult tire toujours les ficelles !

Un argument qui a manifestement porté, d’autant que la Région finance grassement l’IHU, y compris via les fonds européens qui sont instruits par ses propres services. En comptant les subventions régionales qui transitent par l’AP-HP, cela représenterait plusieurs dizaines de millions par an. De quoi donner à Renaud Muselier une force de conviction très dissuasive, au point que personne n’a osé le contredire et lui rappeler que le « parisien », Eric Vivier, vit à Marseille depuis 31 ans, où il a fondé le centre d’immunologie de Luminy et où il exerce en tant que professeur d’immunologie à l’université Aix Marseille et médecin hospitalier à la Timone.

Il semble donc que l’IHU de Marseille ne soit pas encore prêt à tourner la page Raoult et que ce dernier puisse encore compter sur le soutien aveugle de son ami Muselier, quitte à ruiner la crédibilité scientifique de cet institut. La Provence se fait ainsi l’échos d’un chercheur, désespéré de voir que « l’IHU fait beaucoup d’efforts pour redresser la barre. C’est catastrophique de voir tout cela ruiné par des comportements qui relèvent du fait du prince », estimant, désabusé : « il s’agit surtout d’une lutte de pouvoir. A Marseille, certains veulent rester dans leur entre-soi ». Un travers décidément très développé localement

L. V.

Les pôles de compétitivité à la croisée des chemins (2ème partie)

13 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 3 mars 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Rédigée par Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, et président de 2010 à 2018 du fond régional d’investissement Paca Investissement, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, cette chronique est le deuxième chapitre d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des structures créées localement pour accompagner et favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité…

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

Les pôles de compétitivité, second étage de la fusée de l’innovation, après les technopôles (lire notre précédente chronique), s’est finalement révélé très efficace. Ils ont d’abord été initiés par les acteurs eux-mêmes (universités, centre de recherches, entreprises) qui aspiraient à des échanges beaucoup plus forts, même s’ils étaient localisés dans des lieux éloignés. Le développement des communications n’est évidemment pas étranger à cette évolution. La « fertilisation croisée » s’affranchissait ainsi de contraintes géographiques pour impliquer un maximum de compétences et d’acteurs. Néanmoins, tout restait dans une proximité acceptable permettant les échanges physiques réguliers (réunions, colloques, ateliers, visites d’entreprises, …) et une innovation très concrètement partagée.

En 2016, Christian Estrosi, président de la Région avec les présidents des pôles de compétitivité de la région (photo © Pierre Ciot / GoMet)

Il y a donc une filiation directe entre les technopôles et les pôles de compétitivité : l’espace s’élargit et la nature de l’échange se précise. Ce type de pôle ne peut-être que thématique et l’interlocuteur n’est reconnu que s’il apporte quelque chose. Nous ne sommes plus dans l’économie d’échelle, voire la mutualisation de moyens mi-lourds qui était le point fort des technopôles. Les pôles de compétitivité dessinent une véritable communauté d’intérêts dans un domaine. Cette communauté va développer de stratégies, des alliances qui bénéficieront à chacun. Contrairement aux technopôles, dont l’essence-même est liée à des politiques publiques d’aménagement territorial, les pôles de compétitivité sont d’abord issus d’associations loi 1901. La dynamique est inversée : la verticalité passe du haut vers le bas au bas vers le haut. C’est un ressort essentiel.

Neuf pôles en Provence Alpes Côte d’Azur

En 2004, deux rapports importants prônent cette évolution. En février, la DATAR (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) publie « La France, puissance industrielle. Une nouvelle politique industrielle par les territoires » qui avance explicitement le terme « pôles de compétitivité ». En avril, Christian Blanc, à la demande du Premier ministre, rend son rapport « Pour un écosystème de la connaissance » qui suggère lui aussi la constitution de clusters à la française. Le gouvernement décide alors de lancer en 2005 un appel à projets afin de labelliser les premiers pôles français. Le chiffre de 10 à 15 avait été annoncé. La surprise est qu’une centaine de dossiers furent déposés ! 67 pôles furent finalement labellisés, dont sept (puis rapidement neuf) en région Provence Alpes Côte d’Azur.

Ce succès mettait en évidence l’existence de multiples réseaux d’innovation peu visibles mais bien réels et surtout, l’effet d’entrainement que générait l’annonce d’une forte implication de l’État dans le processus. Des rapprochements qui n’avaient pu se faire depuis des années étaient alors souhaités par les acteurs industriels et académiques. L’un des exemples intéressants est le secteur de la micro-électronique, des communications et des logiciels dans la région. Depuis plus d’une dizaine d’années la synergie se faisait attendre entre la partie ouest à Rousset, plutôt orientée sur les composants et la partie est à Sophia-Antipolis, développée dans les applicatifs. Mais le rapprochement ne correspondait nullement aux logiques sectorielles et territoriales existantes. Pourtant, le pôle de compétitivité Solutions Communicantes Sécurisées (SCS), étiqueté mondial, fut proposé et vit le jour. La stratégie, résumée à l’époque par la formule « du silicium aux usages », fut en elle-même une innovation.

Le siège de ST Microelectronic à Rousset (photo © GoMet)

2020 : un bilan indéniable mais des signes d’essoufflement

Depuis leur création, les pôles de compétitivité français ont initié plus de 5000 projets de recherche et développement, financés cinq milliards d’euros de participations privées, deux milliards par l’État et la BPI, et 1,5 milliards par les régions. Ils ont créé une dynamique, une mobilisation en faveur de la recherche appliquée et une mobilisation de tous les acteurs locaux, dont les collectivités territoriales.

Ce bilan positif n’exonère pas d’un certain nombre d’interrogations qui touchent essentiellement à l’impact réel en matière d’emplois, au déficit persistant de formations ou à la multiplicité des financements qui génère beaucoup de lourdeur. De plus, comme l’a souligné à plusieurs reprises le Conseil économique social et environnemental (CESE), les inégalités territoriales ont été renforcées par l’implantation des pôles dans les régions leaders, et les PME non familières avec les pôles continuent de rencontrer des difficultés à participer aux projets collaboratifs, ce qui explique que le nombre d’acteurs impliquées stagne.

Certains pôles, comme Optitec en Paca, ont joué l’élargissement vers d’autres régions et même la fusion (en l’occurrence avec SCS). Mais la tendance est là : les pôles de compétitivité, confrontés à un contexte européen et mondial incertain, peinent à trouver un nouveau souffle. En quelque sorte, ils deviennent moins créatifs et reproduisent les schémas de développement qui leur ont jusqu’à présent réussi. A leur décharge, ils ne sont pas les seuls…

J. Bx.

Renaissance du RPR : et de deux !

19 février 2024

Décidément, les hommes politiques français de droite ont la tête dans le rétroviseur et cherchent continuellement dans le passé des références plus ou moins glorieuses pour attirer le chaland. On a vu ainsi le parti présidentiel pourtant « en marche » depuis sa création en avril 2016 par Emmanuel Macron, décider brusquement de changer de nom en avril 2022 pour devenir le parti « Renaissance », une référence directe à une période historique un peu datée puisqu’elle a été initiée en Italie au XVe siècle et est classiquement considérée comme la fin du Moyen-Âge. Son nouveau président d’honneur, toujours le même Emmanuel Macron en expliquait d’ailleurs ainsi l’ambition à l’occasion du congrès fondateur de ce nouveau parti, le 17 septembre 2022 : « Nous allons reconquérir ces terres qui ont abandonné la politique après qu’elle les a abandonnées ».

Des membres éminents du parti Renaissance lors de sa soirée de lancement, le 17 septembre 2022 (photo © Julien de Rosa / AFP / Challenges)

Une ambition qui évoque donc implicitement la Reconquista, cette reconquête militaire qui s’est étalée sur plusieurs siècles en Espagne et qui a abouti en 1492 à la chute du royaume de Grenade, dernier bastion aux mains des occupants issus du monde arabo-musulman qui, au VIIIe siècle, administraient la quasi-totalité de la péninsule ibérique. « Reconquête ! », tel est d’ailleurs le nom choisi par Éric Zemmour pour son nouveau parti créé fin 2021 et qui fait clairement référence à ce mouvement de la reconquête du territoire espagnol par les royaumes chrétiens du nord, principalement au cours du XIIIe siècle, bien avant donc l’épisode des rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.

Jacques Chirac transforme en 1976 l’UDR en Rassemblement pour la République, pour en faire une machine de guerre électorale à son profit (source © AFP / La Dépêche)

Et voilà qu’une partie de la droite politique française se met à avoir la nostalgie du RPR, le Rassemblement pour la République, ce mouvement que Jacques Chirac avait créé en 1976 après avoir brusquement démissionné de son poste de Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et après avoir pris la tête, deux ans plus tôt, de l’UDR, cet ancien parti gaulliste. Devenue une formidable machine de guerre électorale, le RPR avait servi les intérêts de Jacques Chirac et de bien des barons locaux du chiraquisme jusqu’à sa transformation, en 2002, en UMP, l’Union pour la majorité présidentielle, pour les besoins de la campagne présidentielle du même Jacques Chirac, après le choc qu’avait constitué la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles.

Mais le RPR a remporté tellement de succès politiques que nombreux à droite sont nostalgiques de cette étiquette. A commencer par Marine Le Pen qui, en 2017 avait chargé un de ses amis de racheter la marque, avec dans l’idée de l’utiliser pour tourner la page du Front national hérité de son père, avant de préférer finalement opter pour le Rassemblement national. L’acronyme n’est pas perdu pour autant et il a été repris en 2022 par Franck Allisio qui se targue donc depuis cette date d’être le nouveau président du RPR, issu lui-même des rangs LR, Les Républicains, le nouveau nom que Nicolas Sarkozy avait voulu donner à l’UMP en 2015, lors de sa tentative de come-back, pour faire oublier son échec à la présidentielle de 2012 et surtout le naufrage de l’affaire Bygmalion et de son trucage délibéré de ses comptes de campagne qui lui valent d’ailleurs une nouvelle condamnation en appel à 6 mois de prison ferme.

Éric Le Dissès et Franck Allisio annoncent en juin 2023 la création de leur nouvelle association dénommée RPR (photo © A. L. / La Provence)

Élu député en juin 2022 dans la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône sous l’étiquette du RN, Franck Allisio a donc annoncé en grandes pompes, le 23 juin 2023, aux côtés du maire LR de Marignane, Éric le Dissès, la transformation du RPR en une nouvelle association d’élus de droite (très à droite !) dont la charte graphique et le logo en forme de croix de Lorraine rappellent furieusement les référence de l’ex RPR gaulliste de Chirac et Pasqua…

Une tentative de récupération qui n’a pas beaucoup plus à droite, dans les rangs de ceux qui se réclament du chiraquisme… Renaud Muselier, toujours aussi excessif, a immédiatement hurlé à l’imposture, accusant les deux compères de crime de lèse-majesté, eux qui ont osé reprendre comme symbole la croix de Lorraine du Général de Gaulle qui, à l’entendre serai un don de son propre grand-père à la France. Il est vrai que le vice-amiral Émile Muselier, déjà à la retraite, avait rejoint le Général de Gaulle à Londres dès le 30 juin 1940 et avait alors été chargé de créer les Forces françaises navales libres qu’il dirigea jusqu’en 1942 avant de démissionner du Comité national de libération national puis de rejoindre le général Giraud à Alger en 1943 où il est relevé de ses fonctions quelques mois plus tard.

Renaud Muselier, ici dans l’émission Les quatre vérités sur France 2 Télématin le 30 juin 2023 (source © France TV)

Le président de la région PACA ne perd naturellement jamais une occasion de rappeler ce brillant passé de son grand-père, laissant entendre que cela fait nécessairement de lui-même le premier des gaullistes et le dernier rempart de la nation contre les errements du Rassemblement national. Une posture qui ne l’a pourtant pas empêché de claquer violemment la porte des LR pour rejoindre le parti d’Emmanuel Macron qui n’a pourtant rien de gaullien mais qui a l’avantage d’être au pouvoir.

Toujours est-il que ce même Renaud Muselier vient de publier un manifeste signé par 77 élus locaux de son entourage qui acte la création du RPR sud, comme l’a relayé le Figaro le 14 février 2024. Ce tout nouveau RPR vient donc faire concurrence à celui relancé en juin 2023 par Franck Allisio et qui vient tout juste d’ouvrir une antenne dans le Vaucluse, coordonnée par Marc Jaume, un conseiller municipal LR de Carpentras et qui avait invité pour l’occasion la député RN d’Avignon, Catherine Jaouen. C’est donc en réaction que Muselier et ses amis, parmi lesquels Martine Vassal, Christian Estrosi ou encore le député Lionel Royer-Perreaut, viennent de (re)créer leur propre RPR, le Rassemblement pour la Région et de déposer à leur tour la marque RPR.

Renaud Muselier à l’occasion d’une réunion de son micro parti Cap sur l’Avenir, le 18 janvier 2023 (photo © Julie Rampal-Guiducci / GoMet)

Ce n’est pas un parti puisque Renaud Muselier a déjà le sien, intitulé Cap sur l’Avenir, et d’ailleurs personne ne sait très bien à quoi sert ce RPR bis sinon à contrer l’initiative du RN qui s’est ainsi approprié un sigle depuis longtemps tombé en désuétude mais qui d’un seul coup reprend un attrait inattendu auprès de ces nostalgiques de Jacques Chirac. C’est d’ailleurs ainsi que le présente le manifeste qui affirme, de manière quelque peu grandiloquente : « Nous sommes entièrement déterminés à défendre le sens historique, remarquable, de ce sigle ancré dans l’histoire de notre pays (…), qui ne faisait aucune concession à l’extrême droite ». Un bien noble combat pour des valeurs tellement profondes que l’initiative risque de laisser pantois le citoyen lambda qui se souvient peut-être qu’en 1986 le RPR n’avait pas ces pudeurs de violette pour s’allier ouvertement avec le Front national d’alors et s’octroyer ainsi la présidence de plusieurs conseils régionaux dont celui de PACA.

Un épisode que Renaud Muselier a sans doute oublié, n’étant pas encore élu à cette époque, lui qui vise simplement avec ce RPR bis dont il se vante d’avoir acquis la propriété intellectuelle, les prochaines élections régionales, prévues en 2028 seulement, mais pour lesquelles il a déjà choisi le nom de sa future liste qui s’appellera donc RPR Sud. A défaut de programme, voilà qui devrait séduire son électorat…

L. V.

La droite marseillaise se donne en spectacle

29 décembre 2023

La dernière séance du conseil municipal de Marseille, le 15 décembre 2023, a donné lieu à une scène totalement surréaliste et, à vrai dire, parfaitement ridicule. Il suffit, pour s’en convaincre de visionner les débats puisque, à Marseille comme dans la plupart des communes françaises désormais (sauf à Carnoux, néanmoins), non seulement les séances du conseil sont publiques, mais elles sont de surcroît enregistrées, traduites en simultané pour les rendre compréhensible aux malentendants, et diffusées en libre accès à qui veut les consulter. Une mesure de base pour qui considère que la démocratie locale suppose un minimum de transparence, chaque habitant étant ainsi en capacité de suivre en direct ou en différé, les décisions prises en son nom par ses élus de proximité et qui concernent sa vie quotidienne et l’avenir de l’espace public dans lequel il évolue, vit, travaille, fait ses courses, se soigne et se divertit.

La première délibération qui ouvrait l’ordre du jour de ce conseil municipal portait sur l’adoption du rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. La conseillère qui la présente, en l’occurrence Nathalie Tessier, ne peut s’empêcher de revenir en introduction sur les propos tenus la veille par Renaud Muselier. Le président de droite de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, qu’il persiste à appeler Sud au mépris des institutions républicaines, ne cache plus guère ses ambitions de briguer prochainement le fauteuil de maire de Marseille. Le poste lui était déjà passé sous le nez après qu’il avait échoué en 2008 à se faire élire à la présidence de la Communauté urbaine d’alors, malgré une large majorité de droite, à la suite d’une basse manœuvre de la part de Jean-Claude Gaudin et de quelques maires voisins qui lui avaient préféré le socialiste Eugène Caselli… Un véritable camouflet pour cet affairiste ambitieux.

Renaud Muselier, sur le plateau de BFM TV le 14 décembre 2023, accusant Benoît Payan de féminicide politique (capture vidéo)

Invité la veille au soir sur le plateau de BFM TV, Renaud Muselier s’est donc laissé aller à une charge en règle contre le bilan à mi-parcours du maire de Marseille, Benoît Payan. Un bilan jugé inexistant par le président de la Région, qui fait évidemment tout ce qui est en son pouvoir pour saper le travail de la municipalité marseillaise, réservant l’essentiel des financements de la Région à ses amis de Nice ou de Toulon, tandis que sa complice, Martine Vassal, déverse les financements du Département et de la Métropole partout, sauf à Marseille !

En tout cas, Renaud Muselier n’a pas fait dans la nuance en affirmant tout à trac : « Benoît Payan a un savoir-faire politique incontestable. Il a fait quelque part un féminicide politique en éliminant tranquillement Mme Rubirola dans une stratégie personnelle ». Un féminicide, rien de moins !  Et le Président de la Région d’insister lourdement en précisant, pour ceux qui n’auraient pas bien saisi que Michèle Rubirola est « une femme verte, médecin, qui a été élue par les Marseillais et qui a été éliminée par un mâle blanc ». Il fallait oser ce choc des couleurs, mais certains osent tout…

Nathalie Tessier lors du conseil municipal de Marseille le 15 décembre 2023 (capture vidéo © event.novialys)

De quoi provoquer l’étranglement de la conseillère déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, Nathalie Tessier, qui s’offusque donc, le lendemain, en séance de conseil municipal, de ce rapprochement outrancier et rappelle à Renaud Muselier que la notion de féminicide fait référence à une réalité bien plus tragique qui solde le destin de beaucoup trop de femmes qui vivent l’enfer au quotidien et dont la vie parfois s’arrête sous les coups d’un proche qui ne se contrôle plus.

Mais ce rappel à la réalité et à davantage de dignité dans ses paroles politiques glisse sur la droite marseillaise comme l’eau sur les plumes d’un canard. Catherine Pila, une proche de Martine Vassal, réclame aussitôt le micro pour une intervention théâtralisée dans laquelle elle remonte à Olympe de Gouges pour célébrer le combat des femmes françaises en vue de plus d’égalité civique entre les sexes. Son cours d’histoire, soigneusement rédigé et donc mûrement réfléchi s’attarde même sur la « femme des années 80 » chantée par Michel Sardou, une référence en matière de sociologie politique historique comme chacun sait…

Catherine Pila lors du conseil municipal de Marseille le 15 décembre 2023 (capture vidéo © event.novialys)

Et elle en arrive, là où personne ne l’attendait, à savoir qu’il y a 3 ans, jour pour jour, Michèle Rubirola, élue maire de Marseille l’été précédent, choisissait de laisser son fauteuil à son premier adjoint, Benoît Payan. Une décision largement expliquée par la maire démissionnaire, que la presse avait surnommée « la maire éphémère » et qui n’avait jamais eu beaucoup d’appétence pour ce poste éminemment exposé et qui nécessite un engagement et une énergie de tous les jours.

Michèle Rubirola avait accepté de conduire la liste d’union du Printemps marseillais dans une bataille très incertainela droite partait largement favorite. Pour avoir une chance de l’emporter, les différentes composantes de la gauche et des mouvements citoyens issus de la société civile devaient se rassembler et se choisir une tête de liste, rôle que Michèle Rubirola avait accepté de tenir, dans le cadre d’une campagne collective. Issue des rangs écologistes, elle n’avait pas hésité pour cela à tourner le dos à la stratégie de son propre parti qui préférait s’engager, derrière Sébastien Barles, dans une aventure individuelle vouée à l’échec.

Cette approche collective et rassemblée s’était révélée payante, même si la droite marseillaise a tout tenté pour empêcher l’élection de Michèle Rubirola comme maire de Marseille. Il est donc plus que cocasse d’entendre, trois ans plus tard, les mêmes élus de droite, se lamenter que cette dernière n’ait pas souhaité rester à cette fonction et ait préféré la laisser à Benoît Payan, plus expérimenté et plus apte qu’elle à l’assumer au quotidien. Sauf que Catherine Pila voudrait faire croire qu’il s’agit d’un véritable putsch, une odieuse machination ourdie par Benoît Payan pour éliminer sa rivale, une faible femme qui plus est ! Pour un peu, elle laisserait presque entendre que Michèle Rubirola, victime d’un « assassinat politique » a eu bien de la chance de ne pas se retrouver lestée au fond du Vieux-Port. Et pour enfoncer le clou, elle sort de derrière son siège une plaque sur laquelle est inscrit le nom de Michèle Rubirola, maire de Marseille du 28 juin au 15 décembre 2020, et vient la remettre solennellement à l’intéressée qui siège à la tribune aux côtés de Benoît Payan, tandis que les élus de droite chantonnent « Joyeux anniversaire »…

Catherine Pila, avec sa pancarte parodique, dans l’hémicycle du Conseil municipal de Marseille, le 15 décembre 2023 (photo © Valérie Vrel / La Provence)

Un épisode burlesque qui détourne totalement le sens même de la passation de pouvoir qui avait eu lieu fin 2020 à la tête de la municipalité marseillaise, et qui laisse Benoît Payan consterné par cette tragico-comédie qui frise le ridicule. Michèle Rubirola elle-même ressent le besoin d’y répondre pour rappeler une fois de plus que c’est volontairement qu’elle a choisi de laisser la place de maire son premier adjoint, plus apte selon elle à l’exercer pleinement, et qu’elle n’est pas morte politiquement malgré le diagnostic de l’ex directeur de clinique Renaud Muselier, mais qu’elle privilégie une approche collective dans son combat politique. Le maire, quant à lui, enfonce le clou en citant Marc Twain à l’attention du président de la Région PACA, pour lui rappeler qu’il vaut mieux garder la boucher fermée et passer pour un imbécile que de l’ouvrir et de lever tous les doutes

@rubirola2026, un nouveau site parodique qui matraque le message de la droite marseillaise, selon laquelle Benoît Payan serait un usurpateur

Une chose est sûre en tout cas, la droite marseillaise a déjà lancé la prochaine campagne municipale même si les prochaines élections ne sont prévues qu’en 2026. On voit d’ailleurs déjà surgir des comptes parodiques à l’instar de @rubirola2026 sur X (ex Twitter) qui reprend tous les codes couleurs de la campagne d’affichage électoral du Printemps marseillais en 2020 et qui laisse entendre que Michèle Rubirola serait prête à se battre pour retrouver en 2026 le fauteuil de maire qu’elle a très volontiers cédé en 2020 à son colistier Benoît Payan. Une véritable obsession pour la droite marseillaise qui peine manifestement à comprendre qu’on puisse s’investir en politique pour mettre en œuvre collectivement des actions d’intérêt général et pas seulement pour accéder individuellement à des fonctions purement honorifiques : un choc de culture ?

L. V.

Fos : l’industrie en voie de décarbonation ?

2 novembre 2023

La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer n’est pas jusqu’à présent connue pour être un modèle en matière de respect de l’environnement. Idéalement située entre l’étang de Berre, à l’Est, et le delta du Rhône à l’Ouest, la commune a été amputée en 1866 d’une partie de son vaste territoire pour donner naissance à Port-de-Bouc et à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Mais elle contrôle encore l’essentiel du golfe de Fos où se sont développés, à partir des années 1970, les bassins ouest du Grand Port maritime de Marseille qui couvrent désormais plus de 10 000 hectares, accessibles aux plus grands navires méthaniers comme porte-containers.

Terminaux pétroliers du Grand Port maritime de Marseille à Fos et Lavéra (source © GPMM / Mer et marine)

L’étang de Berre lui-même, est devenu un écosystème en perdition du fait des rejets massifs d’eau douce, tandis que ses berges sont le réceptacle de tout ce que l’industrie pétrochimique a pu créer depuis les années 1960. Toute la zone n’est qu’un entrelacs d’usines, dont 15 classées Seveso, de torchères, de hauts fourneaux, de pylônes électriques, de pipelines et de cuves, d’où émergent l’aciérie gigantesque d’Arcelor Mittal, les raffineries d’Esso et de LyondellBasel ou encore les cuves de chlore de Kem One, sans compter l’incinérateur que la communauté urbaine de Marseille y a implanté en 2010, à plus de 50 km de Marseille, dans un lieu où la qualité de l’air et des sols est déjà tellement dégradée qu’on est plus à une nuisance près…

Activité pétrochimique et sidérurgique sur le Grand Port maritime de Marseille autour de Fos, Martigues et Port-de-Bouc (photo © P. Magnein / 20 minutes)

Mais cette image de grand pôle de l’industrie sidérurgique et pétrochimique, alliée à celle d’un complexe portuaire de premier ordre, par où transitent hydrocarbures et containers, est peut-être en train d’évoluer sous l’effet de plusieurs projets qui s’inscrivent dans une logique plus vertueuse de tentative de décarbonation.

Usine sidérurgique d’Arcelor Mittal à Fos-sur-Mer (source © La Tribune)

L’un de ces projets, qui fait l’objet depuis le 30 octobre 2023, d’une vaste concertation sous l’égide de la Commission nationale du débat public, vise l’implantation, dans la zone de Caban-Tonkin, en plein cœur du complexe industrialo-portuaire de Fos, d’une immense usine de production d’hydrogène vert sur 41 ha. Le projet correspond à un investissement ambitieux de 900 millions d’euros porté par RTE et surtout H2V, une filiale de la société d’investissement française Samfi-Invest. Cette holding familiale, basée en Normandie, est issue du groupe Malherbe, un des leaders français du transport de marchandises. Cette société s’est diversifiée dans l’immobilier et, depuis 2004, dans les énergies renouvelables, avec désormais un parc éolien de 134 MW, implanté en France et en Belgique, mais aussi dans le photovoltaïque, et désormais dans la production d’hydrogène vert, via sa filiale H2V.

Maquette de l’implantation des futures installations d’H2V à Fos-sur-Mer (source © Les Nouvelles publications)

En 2016, cette dernière s’est lancée dans un ambitieux projet de fabrication d’hydrogène à grande échelle par électrolyse de l’eau, en partenariat avec RTE, le gestionnaire du réseau français de distribution de l’électricité. L’usine, implantée en Normandie, à 30 km du Havre, a obtenu son autorisation d’exploitation en 2021 et est en cours de construction. Un autre site est à l’étude près de Toulouse, ainsi donc que celui de Fos-sur-Mer dont une première tranche constituée de 2 unités de production de 100 MW chacune pourrait être opérationnelle à partir de 2028, sachant que l’objectif est d’installer ensuite 4 autres unités, soit une capacité totale visée de 600 MW.

Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) est entré au capital de H2V pour participer à ce projet qui devrait permettre de produire chaque année 84 000 tonnes d’hydrogène à faible empreinte carbonée, destiné à alimenter en énergie les industries pétrochimiques et sidérurgiques les plus émettrices de gaz à effet de serre de la zone industrialo-portuaire de Fos. La première tranche du projet prévoit également d’implanter une usine de production de méthanol de synthèse, à raison de 130 000 tonnes par an, pour servir de carburant vert au trafic maritime du port. Le prix de revient de l’hydrogène vert ainsi produit est évalué entre 4,5 et 6 € le kg, soit 2 à 3 fois plus cher que l’hydrogène produit classiquement par vaporeformage du méthane, plus économique mais fort émetteur de CO2… Contrairement à d’autres projets comparables, il ne s’agira d’ailleurs pas vraiment d’hydrogène vert puisque l’électricité utilisée, qui nécessité la construction par RTE d’un nouveau poste d’alimentation électrique, viendra directement du réseau.

Dessin d’architecte de la future implantation de l’usine Carbon à Fos-sur-Mer (photo © Q5Q / Marsactu)

Mais un autre projet ambitieux est également en cours de concertation à Fos. Il s’agit du projet Carbon, une immense usine employant 3000 personnes et s’étalant sur 62 hectares destinée à construire des cellules et des panneaux photovoltaïques, pour un investissement colossal de 1,5 milliards d’euros. La capacité de production de cette usine serait de 5 GWc et son alimentation exigera un raccordement électrique de 240 MW en continu tandis que l’activité créera un flux annuel de marchandise évalué à 490 000 tonnes, soit 20 000 containers, ce qui explique que l’entreprise CMA-CGM, se soit associée au projet !

Maquette de la future usine GravitHy sur un site du Grand Port maritime de Marseille à Fos (source © GravitHy / Usine nouvelle)

Et ce n’est pas tout car bien d’autres projets sont dans les cartons ou en voie de concrétisation qui devraient contribuer à tenter de faire évoluer cette zone industrielle à impact environnemental catastrophique sur une voie plus vertueuse. Citons notamment GravitHy, qui veut tout simplement révolutionner la production d’acier en procédant à une réduction directe du fer par l’hydrogène. Le projet, porté par un consortium industriel composé de EIT InnoEnergy, Engie New Ventures, Plug, Forvia, Primetals Technologies et le groupe Idec, envisage un investissement colossal de 2,2 milliards d’euros pour implanter une usine sur 70 ha, faisant travailler 3000 personnes dont 500 emplois directs sur site et capable de produire, à partir de 2027 si tout va bien, 2 millions de tonnes de minerai de fer pré-réduit à très bas taux de carbone, grâce à la production locale, toujours par électrolyse de l’eau, de 120 000 tonnes d’hydrogène vert par an.

Emmanuel Macron, en visite à Marseille, en juin 2023, évoquait déjà la possibilité d’implanter un réacteur nucléaire sur le site du Grand Port maritime de Marseille (photo © R. B. / Marsactu)

Des projets particulièrement ambitieux et innovants qui vont peut-être changer à terme la physionomie de cette immense zone industrielle et portuaire en faisant un pas vers cette transition écologique tant espérée. Des projets néanmoins qui ont quand même en commun de nécessiter une énergie électrique colossale, dans une région qui jusque-là ne brille pas par ses capacités de production excédentaires, un petit détail que nos responsables politiques locaux semblent tous oublier, eux qui se gargarisent à l’unisson de ce saut technologique à venir, en masquant pudiquement le fait que de tels projets ne sont probablement viables que moyennant l’implantation d’un réacteur nucléaire sur le site même de Fos, comme l’a récemment suggéré le Président de la République qui reconnaissait que la consommation électrique du GPMM nécessite la production de 4 EPR…

L. V.

La valse des maires à La Ciotat

26 juillet 2023

La ville de La Ciotat a donc un nouveau maire, Alexandre Doriol, élu le 24 juin 2023 par le Conseil municipal, sans grande incertitude d’ailleurs car aucun autre candidat ne se présentait contre lui, l’opposition se contentant de s’abstenir. Il faut dire qu’Alexandre Doriol était déjà premier adjoint d’Arlette Salvo, la maire sortante qui avait pris fin officiellement à ses fonctions le 12 juin. Une décision qu’elle avait annoncée dès le 31 mars, dans une vidéo que beaucoup avaient pris alors pour un poisson d’avril tant cette annonce semblait surréaliste, mois de 3 ans après qu’Arlette Salvo avait remplacé à ce poste son prédécesseur, Patrick Boré, lequel était resté maire pendant près de 20 ans, depuis 2001 !

Le nouveau maire de La Ciotat, Alexandre Doriol (photo © Gilles Bader / La Provence)

Réélu maire pour son quatrième mandat consécutif en 2020, en pleine pandémie de Covid, Patrick Boré avait alors démissionné quelques semaines plus tard, en août 2020, ayant préféré le poste de sénateur que lui laissait Sophie Joissains, qui, elle, préférait garder la mairie d’Aix-en-Provence. Lors de ces élections municipales de 2020, plus de 60 % des Ciotadens s’étaient abstenus au premier tour où ils avaient pourtant à départager pas moins de 8 listes concurrentes, si bien que le maire sortant n’avait alors remporté qu’un peu plus de 4000 suffrages, ce qui fait bien peu pour une ville de plus de 36 000 habitants ! Au second tour, 4 listes avaient pu se maintenir et le taux d’abstention est resté quasiment aussi élevé, si bien que la liste de Patrick Boré avait rassemblé sur son nom à peine plus de 5000 électeurs, récupérant néanmoins 29 des 39 sièges avec 46 % des suffrages exprimés. Les 10 sièges d’opposition se partageaient alors entre la liste de sa challenger de droite, Mireille Benedetti, celle de la gauche menée par Karim Ghendouf et celle du RN Hervé Itrac.

Patrick Boré en 2016 à La Ciotat (photo © Boris Horvat / AFP / Le Monde)

Le choix de Patrick Boré, de préférer en 2020 finir sa carrière politique au Sénat, après 20 années passées dans le fauteuil de maire de La Ciotat, était assez compréhensible. Il a d’ailleurs été réélu à cette fonction la même année, lors des élections sénatoriales du 27 septembre 2020, alors qu’il se présentait comme tête de liste des LR dans les Bouches-du-Rhône, et c’est à ce poste qu’il est décédé, quelques mois plus tard, le 5 juillet 2021.

En revanche, la démission de celle qui lui a succédé est plus inattendue, certains se souvenant encore de son engagement solennel, repris par la presse en 2020 : « j’ira jusqu’au bout »… Les raisons mises en avant par Arlette Salvo dans sa vidéo diffusée le 31 mars 2023 sont aussi vagues qu’étonnantes. Elle y évoque d’un air las et désabusé, des « difficultés pour gérer la ville » avant d’invoquer « le Covid, la guerre… ». Curieusement, on entend alors en fond sonore des rires étouffés, comme si la ficelle était vraiment trop grosse pour convaincre même son équipe…

Arlette Salvo, annonçant dans une vidéo adressée à la Provence le 31 mars 2023 sa décision de démissionner de son poste de maire de La Ciotat au profit de son 1er adjoint (source © YouTube)

On peut comprendre de fait que gérer au quotidien une ville comme La Ciotat n’est pas une sinécure quand on a 77 ans, mais de là à expliquer que c’est à cause de la guerre en Ukraine, on a vu argument plus sincère ! D’autant qu’Arlette Salvo choisit de rester comme première adjointe aux côtés de celui qu’elle a donc désigné pour la remplacer désormais et qui vient d’être élu officiellement à ce poste par le conseil municipal.

Arlette Salvo remettant l’écharpe de maire de La Ciotat à son ex premier adjoint, Alexandre Doriol (source © page Facebook Ville de La Ciotat / Sisko FM)

Les Ciotadens d’ailleurs ne sont pas dupes et nombreux s’étonnent de ces petits arrangements entre amis qui les conduisent à une succession de trois maires différents en moins de 3 ans sans juger utile de revenir aux urnes malgré le taux d’abstention record enregistré en 2020. En réalité, il semble que c’est bien Alexandre Doriol qui avait été pressenti en 2020 pour prendre les rênes de la Ville suite au départ de Patrick Boré pour le Sénat. Mais à l’époque il était directeur de cabinet de Ferdinand Bernhard, président de la communauté de communes Sud Sainte-Baume et par ailleurs maire de Sanary-sur-mer.

Alexandre Doriol, recevant la Marianne d’or de la solidarité en septembre 2018 pour son action au sein d’une association d’insertion, en présence de Ferdinand Bernhard (arrière-plan) et de Patrick Ghigonetto, actuel maire de Ceyreste (source © Var Matin)

Or Ferdinand Bernhard se débattait alors en pleine tourmente judiciaire. Mis en examen en juin 2015 pour favoritisme, détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêt suite à un rapport peu amène de la Chambre régionale des Comptes, il avait été condamné en septembre 2020 à 3 ans de prison dont 1 an ferme et 5 ans d’inéligibilité, une peine confirmée en appel, en octobre 2021, entraînant aussi la confiscation d’un complexe immobilier de 4 villas qu’il avait fait construire en toute illégalité, confiscation qui est toujours pendante suite à une nouvelle décision de la Cour de cassation survenue en avril 2023.

Bref, en septembre 2020, Alexandre Doriol était très occupé à défendre son mentor pour l’aider à répondre de ses turpitudes devant la Justice. Mais la page est tournée maintenant que celui-ci a été condamné et déchu de ses mandats, ce qui permet à Alexandre Doriol, déjà conseiller communautaire et conseiller régional, de s’assoir enfin dans le fauteuil de maire de La Ciotat, avec la bénédiction de Renaud Muselier et de Martine Vassal, après avoir gentiment poussé Arlette Salvo à la démission. Un tournant de carrière bien négocié pour cet ambitieux de 46 ans dont les premières paroles ont été pour remercier le Président de la Région d’être intervenu en sa faveur pour orienter sa carrière professionnelle, tandis que l’ancien député Bernard Deflesselles ne tarissait pas d’éloges, estimant qu’ « il a toutes les qualités pour réussir ». Qui pourrait bien en douter en effet ?

L. V.

Alpes maritimes : des projets solaires qui interrogent

26 Mai 2023

Le département des Alpes maritimes est un gros consommateur d’électricité : avec plus de 1 million d’habitants, il consomme à lui-seul plus de 7 millions de MWh par an et Nice fait partie des 3 villes françaises (avec Aix-en-Provence) où la consommation d’électricité par habitant est la plus élevée ! Et pourtant, ce département importe la quasi-totalité (plus de 90 %) de son électricité, qui plus est en restant très dépendant d’une unique ligne à haute tension. Il est donc vital que ce département développe sa propre production d’électricité, et le photovoltaïque pourrait bien y contribuer dans ce secteur géographique plutôt favorisé par l’ensoleillement naturel.

C’est sans doute la raison pour laquelle les projets d’installations photovoltaïques sont brusquement en train de se multiplier, dans le nord-ouest du département, près de la limite administrative avec le Var et les Alpes de Haute-Provence. Enedis et RTE ont d’ailleurs inauguré, le 13 juillet 2022, un poste source dans la commune de Valderoure, à l’intersection de ces 3 départements, en plein cœur du Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, qui devrait permettre de raccorder au réseau une cinquantaine de projets de production photovoltaïque pour une puissance de 80 MW. Un projet conséquent, initié depuis 2015, et qui aura nécessité un investissement total de 10,7 millions d’euros.

Le poste source installé à Valderoure par RTE et Enedis, permettant de raccorder plus de 50 projets de production photovoltaïques (photo © Franck Fernandes / Var Matin)

Mais c’est le prix à payer pour permettre de raccorder au réseau ces installations solaires qui se multiplient dans le secteur. Le département des Alpes maritimes a ainsi inauguré dans la foulée, le 14 octobre 2022, une centrale solaire à Saint-Auban, composée de plus de 27 000 panneaux photovoltaïques, pour une puissance de 11 MWc. Réalisé par Akuo, et piloté par la société d’économie mixte Green Energy 06, le projet s’étend sur une dizaine d’hectares, en pleine zone naturelle. Et les projets similaires se multiplient tout autour avec 16 hectares de panneaux solaires à Séranon, 20 ha à Valderoure même, autant à Peyroules, etc.

Inauguration officielle de la centrale photovoltaïque de Saint-Auban en octobre 2022 (source © Département 06)

Une véritable invasion de centrales photovoltaïques au sol qui sont en train de fleurir dans le moindre petit village du PNR des Alpes d’Azur, au milieu de vastes étendues boisées et montagneuses, restées quasiment désertiques jusqu’à présent. On y trouve même une installation photovoltaïque de taille XXL dont l’installation est en train de s’achever dans la petite commune d’Andon, à quelques kilomètres de la réserve naturelle des Monts d’Azur, un haut-lieu de préservation de la faune sauvage, où l’on peut observer des hardes de cerfs et de bisons d’Europe se promener librement dans la forêt.

Installation photovoltaïque d’Andon avec ses 61 ha de panneaux à la place de la forêt (photo © Franck Fernandes / Var Matin)

Lancé il y a une quinzaine d’années par la société Photosol, le projet a été lauréat de plusieurs appels à projet de la Commission de régulation de l’énergie, ce qui lui permet d’obtenir une garantie de complément de rémunération pour la revente à EDF de l’électricité produite pendant 20 ans. Cela lui a permis de lancer en parallèle un appel au financement privé auprès des particuliers de la région, en s’appuyant sur la société spécialiste du crowdfunding KissKissBankBank, de quoi étoffer le tour de table pour un projet dont le montant est estimé à plus de 45 millions d’euros.

Il faut dire que Photosol a vu grand puisque la puissance installée est de 51 MWc et que les panneaux solaires couvrent pas moins de 61 hectares auxquels il faut ajouter une trentaine d’hectares en périphérie qui devront également être soigneusement élagués et débroussaillés pour protéger les précieux panneaux solaires en cas d’incendie.

Une implantation dans un site peu favorable car très boisé, et avec un fort impact sur la biodiversité (photo © CPC)

Le projet a pourtant soulevé quelques émois parmi les défenseurs locaux de l’environnement qui s’étonnent que l’on rase ainsi la forêt dans ce versant très boisé et riche en biodiversité, qui plus est dans un parc naturel régional, et alors même que le Conseil national pour la protection de la nature avait émis un avis défavorable. Mais le Préfet des Alpes maritimes s’est assis sur cet avis et a signé en 2019 un arrêté de dérogation, prévoyant quelques mesures compensatoires pour justifier la disparition des écosystèmes naturels déboisés et terrassés pour l’implantation de cette centrale : la transition énergétique mérite bien quelques menus sacrifices environnementaux…

Il n’en reste pas moins qu’on s’interroge sur l’opportunité de concentrer ainsi autant de centrales photovoltaïques au sol dans une des rares zones naturelles boisée encore préservée de la région, ce qui oblige à raser toute la végétation, alors qu’il existe des versants bien exposés mais non végétalisés, voire des zones agricoles et mêmes des friches industrielles polluées qui pourraient tout aussi bien faire l’affaire. Sans compter les innombrables toitures de hangars et de bâtiments de toute sorte qui pullulent sur le littoral et qui présentent l’avantage majeur d’être beaucoup plus près des lieux de consommation de l’électricité.

Panneaux photovoltaïques en toiture et sur les ombrières des parkings sur un immeuble de Sophia Antipolis (photo © Sébastien Botella / Nice Matin)

En réalité, si Photosol a choisi d’installer sa centrale solaire sur ce versant boisé reculé de l’arrière-pays, c’est que les propriétaires privés de ces terrains, où toute exploitation agricole et forestière a disparu depuis des lustres, sont bien contents d’en tirer un petit bénéfice via une redevance modique. Mais ce n’est pas le cas sur le littoral où le prix du foncier atteint des sommes astronomiques et où chaque m2 peut être valorisé, sans compter les contraintes réglementaires souvent plus contraignantes.

Il faut donc faire preuve d’inventivité pour développer des projets de centrales solaires dans ce type de contexte urbain, en mobilisant notamment les parkings de supermarché recouverts d’ombrières, ou les toitures des gymnases, mais il est plus difficile d’y trouver de grandes surfaces exploitables qui permettent les économies d’échelle que Photosol a trouvé à Andon. En matière d’énergies renouvelables, il semble que l’on en soit encore à tâtonner…     

L. V.

Va-t-on un jour interdire les piscines ?

3 avril 2023

Alors que toute la France ne parle plus, depuis des mois, que des fameuses bassines, ces réserves de substitution que les agriculteurs, surtout dans l’ouest de la France, voudraient implanter partout pour pouvoir continuer tranquillement à irriguer en été, même lorsque les nappes sont au plus bas et les rivières à sec, voilà que l’on commence à s’interroger sur l’impact des piscines privées sur la gestion de la ressource en eau.

Emmanuel Macron lui-même, pourtant peu connu pour son souci de préservation de l’environnement, a tenu à insister, lors de son allocution sur les bords du lac de Serre-Ponçon, ce jeudi 30 mars 2023, sur la nécessité de diminuer le gaspillage de l’eau et de n’utiliser qu’avec parcimonie cette ressource de plus en plus rare.

Emmanuel Macron en déplacement sur les bords du lac de Serre-Ponçon le 30 mars 2023, à Savines-le-Lac (photo © Sébastien Nogier / AFP / Le Monde)

Il est vrai que ce dernier hiver a été particulièrement sec avec 32 jours sans aucune pluie en France, et des niveaux de nappe qui sont presque partout très en dessous de leur niveau habituel à cette période de l’année. Une dizaine de départements français sont d’ores et déjà en situation de vigilance voire de vigilance renforcée. La commune de Carnoux-en-Provence, comme 18 autres dans le bassin de l’Huveaune, est même passée en situation de crise depuis le 21 mars 2023, ce qui est exceptionnel à cette saison, et le remplissage des piscines y est donc désormais interdit.

Dans le Var voisin, 9 communes du Pays de Fayence, ont récemment défrayé la chronique lorsque leurs maires ont annoncé qu’il serait désormais totalement interdit d’y construire une piscine, et ceci pour une durée d’au moins 5 ans à compter de février 2023. Ces communes s’interrogent fortement sur la pérennité de leurs ressources en eau et préfèrent donc limiter les besoins en n’accordant plus de permis de construire pour de nouvelles piscines, estimant que ce n’est pas un usage prioritaire.

Qui ne rêve d’une belle piscine privative dans son jardin ? (source © Dffazur Piscines / Côté Maison)

Il faut dire que jamais les Français n’ont aménagé autant de piscines privatives ! Dans les années 2000, la France ne comptait que 700 000 piscines. Mais selon les derniers chiffres de la Fédération française des professionnels de la piscine et du spa, on dénombre désormais plus de 3,2 millions de piscines installées, se partageant sensiblement à parts égales entre piscines enterrées et piscines hors-sol. Rares sont les secteurs économiques qui peuvent se vanter d’une expansion aussi rapide… A défaut de se réindustrialiser, la France s’adonne aux joies de la natation : chacun ses priorités ! D’ailleurs, la France peut s’enorgueillir d’être le pays au monde qui compte le plus de piscines privées, derrière les États-Unis quand même…

Lotissement de maisons individuelles avec piscines dans les Bouches-du-Rhône (source © le JDD)

Et la région PACA concentre une grande partie de ces piscines installées sur les terrains de particuliers. Le département du Var, à lui seul, détient plus de 100 000 piscines privatives, soit quasiment une pour trois maisons individuelles et dans certains lotissements, chaque maison possède sa piscine. Et encore, toutes ne sont pas déclarées comme viennent de le confirmer les services fiscaux qui mènent depuis 2021 une expérimentation dans plusieurs départements et qui va être généralisée à tout le territoire national : en exploitant via l’intelligence artificielle des photos aériennes récentes, ils ont ainsi pu repérer plus de 20 000 piscines clandestines, dont 12 000 uniquement dans le Var et les Bouches-du-Rhône ! De quoi faire rentrer près de 10 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires pour les collectivités locales…

Remplir sa piscine peut devenir un luxe discutable en période de pénurie d’eau  (photo © Franck Boileau / La Montagne)

Une piscine consommerait en moyenne 15 m3 d’eau par an, destiné pour l’essentiel à refaire régulièrement les niveaux pour compenser ce qui est perdu par évaporation et chaque fois que les enfants facétieux s’amusent à faire la bombe dans le bassin. Sachant qu’un ménage français consomme en moyenne de l’ordre de 120 m3 d’eau par an, le ratio n’est donc pas totalement négligeable. En période de restriction d’eau, maintenir à niveau toutes ces piscines pour veiller à entretenir une bonne qualité de l’eau, finit donc par nécessiter des volumes conséquents, surtout si en parallèle on souhaite maintenir bien vert le gazon qui borde la piscine !

Une piscine privée correspond-elle bien à un besoin prioritaire quand la ressource en eau se fait rare ? Un dessin signé Phil, publié en juillet 2021 (source © les Dernières nouvelles d’Alsace)

C’est d’ailleurs ce qui explique certaines disparités locales importantes dans la consommation d’eau des ménages : un habitant des Alpes-Maritimes consomme ainsi en moyenne 238 litres par jour, alors que cette consommation n’est que de 148 litres en moyenne sur l’ensemble du territoire national, et ce n’est sans doute pas l’eau qu’il verse dans son pastis qui peut expliquer à elle-seule un tel écart…

L. V.

Réserve des Monts d’Azur : la source aux bisons

21 mars 2023

Patrice Longour fait partie de ces amoureux de la nature qui consacrent leur vie à tenter de défendre la biodiversité, de plus en plus menacée par l’explosion de l’activité humaine et qui est victime d’une extinction massive comme la Terre en a rarement connues. Une menace qui pèse sur les cigales de notre environnement quotidien comme sur les éléphants du Mozambique lointain ! C’est justement auprès de cette faune africaine que Patrice Longour, alors jeune diplômé de l’école vétérinaire de Lyon a choisi de s’investir, au sein de l’association Préserve, dans delta de l’Okavango au Botswana.

Éléphants dans le delta de l’Okavango au Botswana (source © Terre d’aventure)

Cet immense delta intérieur alimenté par les eaux qui ruissellent des hauteurs de l’Angola va ensuite se perdre dans les sables du désert du Kalahari, mais il constitue un habitat naturel relativement préservé, très favorable au développement d’une faune et d’une flore diversifiée. On y dénombre plus de 400 espèces d’oiseaux et l’on peut y observer éléphants, rhinocéros, buffles, impalas, guépards, crocodiles, hyènes, hippopotames et on en passe…

Au début des années 2000, Ian Khama, chef de la tribu des Bamangwatos et futur président de la République du Botswana qu’il dirigea pendant 10 ans à partir d’avril 2008, fait observer au jeune vétérinaire français que les Européens ne sont pas forcément les mieux placés pour donner des leçons de préservation de la faune, et qu’ils feraient mieux de s’investir dans leur propre pays pour sauver ce qui peut encore l’être.

Patrice et Alena Longour sur le site de la réserve des Monts d’Azur au début de l’aventure il y a 20 ans (source © Wikipedia)

Un message reçu 5 sur 5 par Patrice Longour qui finit par abandonner son cabinet vétérinaire et rachète avec son épouse Aléna le vaste domaine de 700 ha du Haut-Thorenc, sur la commune d’Andon dans les Alpes-Maritimes, perdu sur les hauteurs de Grasse à plus de 1000 m d’altitude, constitué de forêts et de friches au pied d’une grande barre rocheuse. Un ancien manoir jadis transformé en école mais abandonné depuis 30 ans trône au milieu du plateau. Une villa bioclimatique et des écolodges sont construits à proximité pour y accueillir des touristes.

Patrice Longour, le créateur de la réserve biologique des Monts d’Azur, devant les bisons réintroduits par ses soins (photo © Ian Hanning / REA / Le Point)

Une source, qui débite toute l’année, traverse le domaine lorsque Patrice Longour le rachète en 2003. Cette source des Termes, qui se perd sur la plateau calcaire est alors captée depuis 1965 par Suez pour le compte du Syndicat des Trois Vallées, basé dans le village voisin de Caille, qui alimente en eau potable 6 communes des environs. Sauf que le syndicat en question n’a jamais racheté les terres autour de la source comme il s’y était engagé dans le cadre de la déclaration d’utilité publique et s’était contenté d’une convention avec la Caisse d’assurance maladie, alors propriétaire de la source elle-même. Lorsque cette dernière a vendu son terrain à Patrice Longour pour y créer ce qui est devenue la réserve biologique des Monts d’Azur, celui-ci a donc engagé un véritable bras de fer avec Suez afin de récupérer, au profit de la biodiversité locale et des zones humides du plateau, cette source qui est principalement captée pour alimenter les canons à neige de la station de ski de Gréolières-les-Neiges, située un peu plus haut.

La source des Termes, convoitée par Suez pour les canons à neige de Gréolières-les-Neiges (photo © Frédéric Lewino / Le Point)

Le bras de fer juridique n’est probablement pas terminé malgré deux arrêts de la Cour de cassation, mais cela n’a pas empêché la réserve biologique d’aménager deux plans d’eau, ce qui a permis à Patrice Longour de réintroduire sur le site de Thorenc, entre 2005 et 2006, deux espèces disparues d’Europe occidentale : le bison d’Europe et le cheval de Przewalski.

Les bisons d’Europe prenant leur bain dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Océane Sailorin / Côte d’Azur)

Les bisons d’Europe, que Charlemagne s’amusait encore à chasser dans les forêts d’Aix-la-Chapelle, ont disparu depuis la Première guerre mondiale et seule quelques individus survivaient encore en captivité jusqu’aux premières tentatives de réintroduction dans les années 1950. Quant au cheval de Przewalski que nos ancêtres du Néolithique avaient coutume de représenter sur des parois des grottes ornées, il n’a été redécouvert qu’en 1879, en Dzoungarie, dans les Monts Altaï qui bordent le désert de Gobi, mais plusieurs sites ont récemment permis sa réintroduction, à l’instar de celui de la réserve des Monts d’Azur qui renferme aussi des élans d’Europe, des cerfs élaphes ou encore des daims et totalise plus de 800 espèces naturelles dans son site entièrement clôturé.

Harde de cerfs élaphes dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Rv Dols / Œil PACA)

La réserve biologique des Monts d’Azur fête cette année ses 20 ans d’existence et s’enorgueillit de recevoir près de 40 000 visiteurs par ans, dont beaucoup de scolaires mais aussi de simples curieux venus voir de près ces animaux en semi-liberté, dans le cadre de visites guidées, à pied mais aussi en calèche voire en traineau pendant la saison hivernale. Certains y voient une activité un peu trop commerciale tournée avant tout vers l’accueil touristique dans un cadre naturel attractif. Mais on ne peut dénier à Patrice Longour d’avoir eu le courage de prendre au mot les conseils du chef bantou Ian Khama et d’avoir fait de gros efforts pour créer sur ce plateau de Thorenc un véritable havre de biodiversité, quitte à détourner, au profit de la nature, le débit tant convoité de la petite source des Termes…

L. V.

Icair : un nouvel indice de suivi de la pollution

6 mars 2023

Mesurer la pollution de l’air ambiant en région PACA et mettre cette information à disposition d’un large public, telle est la mission que s’est fixée AtmoSud, une structure associative agrée par le ministère de la transition écologique. Regroupant dans sa gouvernance à la fois des collectivités territoriales, des services de l’État et des représentants des industriels mais aussi des associations de protection de l’environnement et des consommateurs, elle est considérée comme un outil de mesure aussi objectif que possible de la pollution atmosphérique à laquelle nous sommes exposés quotidiennement.

Comme tous les membres de la fédération AtmoFrance, elle a pour fonction principale de gérer, sur son territoire, en l’occurrence toute la région PACA, un observatoire de référence permettant de mesurer, analyser et diffuser des données quotidiennes sur la qualité de l’air. Son champ d’action est donc relativement large puisqu’il englobe aussi bien les polluants atmosphériques que les émissions de gaz à effets de serre mais aussi les nuisances (sonores notamment, mais aussi olfactives), les résidus de pesticides ou encore les pollens.

Station de mesure d’AtmoSud pour le suivi de la qualité de l’air (source © AtmoSud)

Regroupant une soixantaine d’agents, AtmoSud a été créé en 2012 par fusion des associations préexistantes AIRFOBEP (fondée en 1972 pour surveiller la qualité de l’air dans l’ouest des Bouches-du-Rhône, surtout autour de l’étang de Berre) et AtmoPACA créée plus tardivement, en 2006, pour couvrir le reste de la région.

Depuis 1996, la législation française impose la publication d’un indice Atmo disponible dans chaque commune et qui représente une moyenne quotidienne d’exposition à la pollution atmosphérique dominante, le plus souvent le taux d’ozone. Mais la réalité est nécessairement plus complexe car cette pollution atmosphérique, liée pour l’essentiel à la circulation automobile, varie d’heure en heure, si bien que les moyennes journalières n’ont pas beaucoup de sens.

Les gaz d’échappement des véhicules, source principale de pollution de l’air en ville (photo © Shutterstock / Kit embrayage)

Elle est par ailleurs la résultante de nombreux facteurs, le niveau d’ozone n’étant que l’un d’entre eux, même s’il est souvent prédominant en site urbain. On sait en effet que les particules fines (surtout inférieures à 2,5 µm) en suspension dans l’air sont aussi particulièrement nocives, de même que les composés organiques volatiles (issus des gaz d’échappement et de l’utilisation de solvants), le dioxyde d’azote (qui résulte surtout de la circulation automobile), le dioxyde de soufre (provenant principalement des systèmes de combustion et chauffage, de même que le monoxyde de carbone) ou encore les métaux lourds (issus de l’activité industrielle et de la combustion).

Il était donc grand temps d’affiner un peu ce suivi de la pollution atmosphérique et c’est ce que vient de faire AtmoSud en rendant public un nouvel indice présenté le 1er mars 2023 dans les locaux de l’observatoire régional. Dénommé Icair, cet indice permet de visualiser heure par heure 4 paramètres principaux qui donnent une bonne idée de la pollution atmosphérique mesurée mais aussi prévisionnelles pour les heures à venir. Ces 4 composantes ainsi détaillées sont l’ozone, l’oxyde d’azote et 2 classes de particules fines (inférieures à 10 µm et à 2,5 µm).

Carte de la qualité de l’air en région PACA le 2 mars 2023 à 20h et zoom sur le secteur de Carnoux (source © AtmoSud)

Le site grand public d’AtmoSud permet donc désormais de suivre en temps réel la pollution de l’air ambiant sur l’ensemble de notre région avec une résolution très précise, selon une maille formée de carrés de 25 m de côté. Bien entendu, cette représentation cartographique repose principalement sur une modélisation car les données de base sont recueillies dans un réseau qui ne comporte au total que 60 stations de mesure réparties sur toute la région PACA. Ainsi, les 2 stations les plus proches de Carnoux se situent respectivement à La Penne-sur-Huveaune (près de la gare SNCF) et à Aubagne (au niveau du cimetière des Passons).

Le mail dans la traversée de Carnoux-en-Provence (source © Google Maps)

Malgré la circulation automobile particulièrement intense qui traverse notre commune, évaluée à près de 20 000 véhicules par jour sur le mail, la ville de Carnoux ne dispose donc d’aucune station de mesure de la qualité de l’air que respirent les habitants dont les fenêtres donnent pourtant directement sur cet axe routier très chargé aux heures de pointe. C’est donc par simple modélisation qu’est évaluée la charge en particules fines et en dioxyde d’azote qui atteint à certains moments des pics inquiétants le long de cet axe de circulation.

Indices mesurés et prévisions pour Carnoux le 3 mars 2023 et variations horaires de l’indice global Icair (source © AtmoSud)

Les taux de pollution varient en effet fortement dans la journée, en fonction du trafic routier mais aussi des conditions météorologiques. Il vaut donc mieux connaître ces fluctuations pour éviter de se promener le long du mail aux pires heures de la journée, le soir notamment, lorsque les taux de pollution sont au maximum.

Encore faudrait-il pour cela disposer de mesures locales plus fines de la pollution en installant un capteur à Carnoux même, afin de mieux informer la population qui y est exposée, d’autant que les norias de camions supplémentaires qui s’annoncent du fait du projet de remblaiement de la carrière Borie vont encore aggraver la situation pour les 3 ans à venir ! Un système d’affichage en temps réel alimenté par les données issues de ces capteurs constituerait un bon outil d’information, ce qui ne paraît pas très difficile à mettre en place en utilisant le panneau lumineux déjà existant.

Il ne manque finalement qu’un minimum de volonté politique car ce n’est évidemment pas un problème financier, des micro-capteurs étant désormais disponibles sur le marché pour quelques centaines d’euros seulement et une station de mesure complète coûte de l’ordre de 15 000 €, c’est-à-dire grosso modo ce que dépense chaque année notre commune pour la maintenance de ses 37 caméras de vidéosurveillance : la santé de nos concitoyens ne mériterait-elle pas un petit effort ?

L. V.

IADYS : le robot de la méduse

5 février 2023

Dans la « start-up nation » qu’est devenue la France, du moins aux yeux de notre Président de la République, les startups ont le vent en poupe, forcément. Selon une synthèse de Tool Advisor, on en dénombrait paraît-il au moins 1 million en 2021, employant a minima 1,5 millions de salariés, ce qui n’est effectivement pas négligeable, même si les chiffres ne sont pas nécessairement très fiables, ne serait-ce que du fait des contours un peu approximatifs de ce qu’est une « startup ».

On désigne généralement par ce terme une entreprise récemment créée, porteur d’un projet ou d’une idée innovante et qui présente une croissance rapide de son chiffre d’affaires. Au risque de se casser rapidement le figure, comme c’est le cas de plus de 60 % d’entre elles selon les chiffres les plus optimistes qui circulent, mais aussi parfois d’atteindre le graal dont rêve chaque entrepreneur qui se lance, à savoir devenir une « licorne », autrement dit une entreprise innovante dont le capital est valorisé à plus de 1 milliard d’euros.

En tout cas et même si bien peu atteignent ce stade envié, les startups françaises se portent plutôt bien avec un chiffre d’affaires cumulé estimé à 8,3 milliards d’euros en 2021, en augmentation de plus de 20 % par rapport à l’année précédente. Une sur deux est basée en Ile-de France, mais on en trouve aussi dans notre environnement proche…

Le Jellyfishbot présenté en avril 2019 au salon des inventions à Genève par son concepteur, Nicolas Carlési (source © IADYS)

Citons ainsi par exemple la société IADYS initialement implantée dans la zone industrielle de Napollon, à Aubagne, et depuis 2019 dans celle de la Plaine du Caire à l’entrée de Roquefort-La Bédoule, une jeune société fondée en 2016 qui conçoit, développe et commercialise des innovations technologiques, à la croisée de la robotique et de l’intelligence artificielle, comme l’indiquent les initiales de son acronyme (Interactive Autonomous Dynamic Systems).

Son créateur, Nicolas Carlési, passionné de plongée sous-marine, a été formé à l’Université de Montpellier où il a préparé un doctorat en robotique et intelligence artificielle axé sur la coopération entre véhicules sous-marins hétérogènes, avant de travailler pour l’entreprise Scalian, spécialisée dans les drones pour l’inspection de lignes électriques à haute tension.

Le Jellyfishbot en pleine action (source © IADYS / Airzen)

Après 2 années de recherche-développement, la petite startup bédoulienne a mis au point un robot flottant de 18 kg, robuste et compact, en forme de petit catamaran, destiné à collecter de façon téléopérée les déchets flottants dans les zones portuaires. De ce point de vue, le Vieux-Port de Marseille est le terrain de jeu idéal pour s’entraîner à ramasser les déchets flottants qui y foisonnent. En l’occurrence, voisinage oblige, c’est plutôt la Ville de Cassis qui s’est porté acquéreur du premier prototype pour nettoyer son propre port qui ne vaut guère mieux, surtout après un petit coup de mistral…

Le 6 décembre 2022, le petit robot nettoyeur de la société IADYS, a ainsi eu les honneurs d’une présentation officielle au Village des solutions, à l’occasion de la cinquième édition de Méditerranée du futur, le grand raout politico-commercial  organisé au parc Chanot à Marseille par Renaud Muselier et présenté comme « le rendez-vous mondial de l’adaptation au réchauffement climatique », rien de moins.

Nicolas Carlési et son Jellyfishbot au Parc Chanot à Marseille à l’occasion de Méditerranée du futur (photo © Jean-Pierre Enaut / Les Nouvelles Publications)

Joliment dénommé « Jellyfishbot », ce qui fait référence, comme chacun s’en doute, en anglais sinon en provençal, à une méduse robotisée sur laquelle viendrait s’agglomérer les déchets tandis qu’elle flotte gracieusement à la surface des flots, la petite merveille robotisée de IADYS a fait bien du chemin depuis ses premiers balbutiements. Au gré des demandes des nouveaux clients, la petite méduse robotisée s’est vue adjoindre de nouveaux filets qui lui permettent de collecter outre les petits déchets classiques, les hydrocarbures flottants et les microparticules.

Depuis cette année, le Jellyfishbot intègre même un détecteur d’obstacle fixes ce qui lui donne une totale autonomie pour organiser son propre circuit de travail dans un périmètre donné, un peu comme un aspirateur automatisé. Les dernières générations de l’appareil sont même équipées de capteurs bathymétriques et d’une interface graphique, ce qui permet au robot de tracer une cartographie précise de la profondeur du plan d’eau à l’issue de son travail de collecte. Et l’on peut même désormais lui adjoindre un kit de prélèvement d’eau, afin de procéder en même temps à l’analyse de la qualité des eaux.

Jellyfishbot en version autonome en pleine action de nettoyage dans le port de Cassis (source © IADYS)

Du coup, la petite startup de Roquefort – la Bédoule cartonne. Elle comprend déjà 18 collaborateurs, ce qui traduit une croissance rapide pour une jeune pousse qui n’a que 6 années d’existence. A ce jour, ce sont pas moins de 70 exemplaires du Jellyfishbot qui ont été commercialisés et la société collectionne les prix de l’innovation dont l’un remporté à l’occasion du salon international des inventions à Genève en avril 2019.

Plusieurs ports français dont celui du Havre ou celui d’Ajaccio se sont déjà équipés d’un tel robot pour nettoyer  leurs installations et de nombreux exemplaires ont été vendus aux États-Unis comme en Australie ou à Dubaï, pour des ports de plaisance, des chantiers navals et même des bases de loisirs et des parcs d’attraction où le petit robot connait un grand succès de curiosité. Certaines entreprises de dépollution se sont même équipées du dispositif pour procéder à l’enlèvement de nappes d’hydrocarbures dans des bassins de sites industriels.

Mise à l’eau d’un Jellyfishbot dans le port de Saint-Tropez (source © IADYS)

Avec le réchauffement climatique, beaucoup craignent une recrudescence des invasions de méduses sur le littoral méditerranéen. Une chose est sûre, avec les quantités de plastiques et autres déchets qui finissent en mer, y compris dans le Parc national des Calanques, et transforment peu à peu la Méditerranée en vaste égout à ciel ouvert, la petite méduse robotisée de IADYS ne devrait pas chômer dans les années qui viennent, au risque de se transformer en licorne…

L. V.

Logement social primé à Carnoux

30 janvier 2023

Le logement social n’a pas toujours bonne presse, surtout auprès des élus locaux qui craignent de voir s’y installer des populations indésirables. Malgré la loi SRU qui impose depuis maintenant plus de 20 ans à certaines communes un taux de logements sociaux minimum avec des objectifs de rattrapages triennaux pour atteindre au moins 25 % d’habitations en logements social d’ici 2025, le compte n’y est pas. Et la métropole Aix-Marseille-Provence fait plutôt partie des mauvais élèves de la classe, au sein d’une région PACA elle-même à la traîne.

Lors du dernier bilan établi en 2019, sur les 2091 communes françaises soumises à cette obligation (grosso modo, les communes de plus de 3500 habitants, situées en aire urbaine, dont Carnoux-en-Provence fait partie), plus de la moitié d’entre elles n’avaient pas rempli leurs objectifs de rattrapage. La métropole marseillaise est particulièrement concernée bien que sa ville centre présente un taux de logements sociaux plutôt élevé, mais très inégalement réparti selon les arrondissements.

Le Hameau des Gorguettes, résidence sociale à Cassis (photo © ERILIA)

Pourtant plus de 80 % des Français sont éligibles au logement social ou intermédiaire, mais ces logements sont très insuffisants pour répondre à la demande qui s’accumule. Pour le seul département des Bouches-du-Rhône, on estime le nombre de demandes de logements sociaux en attente de traitement à plus de 90 000 ! Mais le parc social de 140 000 logements est loin d’être en capacité de répondre à une telle demande. Le taux de rotation est très faible et pour chaque logement qui se libère la file d’attente est longue…

Un dessin de Jean-Jacques Beltramo pour le podcast journal

Il faudrait donc construire davantage de logements sociaux, surtout dans les communes qui en manquent, afin de rééquilibrer l’offre et introduire davantage de mixité sociale. Mais la métropole marseillaise a bien du mal à répondre à ses objectifs. Pour l’année 2022, l’objectif fixé par l’État, qui cofinance largement cet effort via les aides à la pierre, était d’y construire 4950 logements sociaux, pour un total d’un peu plus de 12 000 sur l’ensemble de la région PACA. Mais on sera loin du compte avec moins de 2000 agréments accordés, moins encore qu’en 2021 !

Dans un tel contexte, on peut donc saluer l’effort entrepris par la commune de Carnoux qui, malgré son territoire relativement contraint et bien que très éloignée des objectifs de la loi SRU avec un taux de logements sociaux qui ne dépasse pas 16 %, ce qui l’a conduit à verser en 2021 60 000 € de pénalités à l’État, a entrepris ces dernières années la construction de plusieurs logements supplémentaires : 27 construits par la SOGIMA rue Gabriel Fauré puis 20 livrés par 13 Habitat en 2016 dans une nouvelle résidence face à la nouvelle Poste et enfin 60 supplémentaires achevés en 2021 par UNICIL à l’emplacement de l’ancien collège privé Saint-Augustin, reconstruit sur les hauteurs de Carnoux dans le cadre d’une opération immobilière un peu douteuse.

Résidence sociale 13 Habitat conçue par les architectes Fernandez et Serre, livrée en 2016 au centre de Carnoux (photo © Aldo Amoretti / AMC)

Avec ces nouvelles constructions, le parc de logement social de Carnoux atteindrait ainsi 485 logements, ce qui reste très insuffisant au vu des besoins, surtout pour les nouveaux ménages en quête d’un logement accessible, puisqu’on dénombre de l’ordre de 300 demandes en attente, alors que très peu de ces logements se libèrent.

On pourrait certes critiquer la composition de ces logements qui pour la plupart, surtout ceux construits récemment, sont hors de portée des ménages les plus modestes. On distingue en effet 4 grandes catégories de logements sociaux, selon leur dispositif de financement et le type de public concerné. Ceux qui s’adressent aux plus précaires sont de type PLAI tandis que les logements à loyer modéré classiques (les HLM, dans lesquels vivent un tiers des Français) relèvent de la catégorie PLUS (financés par des Prêts locatifs à usage social). Viennent ensuite les PLS qui permettent aux familles dont les revenus dépassent les plafonds d’accéder quand même à du logement aidé sans passer par le parc privé, de même que les PLI, mis en œuvre via un Prêt locatif intermédiaire.

Le jeu des élus locaux est donc en général, comme à Carnoux, de maximiser les catégories supérieures pour remplir leurs obligations réglementaires et bénéficier des aides à la pierre de l’État en attribuant des logements à leurs électeurs sans avoir à gérer dans leur commune des habitants à revenu modeste dont les besoins en accompagnement social sont plus exigeants. D’où la très faible proportion de logements de type PLAI dans les nouveaux logements de Carnoux.

Remise des prix du palmarès régional de l’habitat PACA à la Préfecture de Région le 10 novembre 2022 (photo © Robert Poulain / DREAL PACA)

Mais malgré cette réserve, force est de constater que l’effort entrepris par la municipalité de Carnoux pour construire ainsi de nouveaux logements sociaux dans une commune qui en manque cruellement, est à saluer. Et d’ailleurs la Ville est à l’honneur puisqu’elle fait partie des 10 lauréats que le Préfet de Région a souhaité mettre en avant en 2022 dans le cadre du palmarès régional de l’habitat PACA, dévoilé à Marseille le 10 novembre dernier.

La nouvelle résidence sociale UNICIL Le Saint-Augustin à Carnoux (photo © Antoine Pecatte / Agence Jérôme Siame architectes)

La nouvelle résidence sociale Saint-Augustin, conçue par l’architecte Jérôme Siame a ainsi été récompensée pour sa qualité architecturale et d’insertion paysagère dans un terrain à forte déclivité, derrière la gendarmerie et dans un environnement très pavillonnaire. Il n’était pas simple d’arriver à construire un tel ensemble dans un espace aussi contraint, comme cela avait été le cas auparavant rue Gabriel Fauré où l’implantation de la nouvelle résidence avait déclenché les foudres des riverains et force est de constater que la qualité architecturale de cette résidence ne peut que rassurer les Carnussiens quant à l’intérêt de développer ainsi un habitat social qui réponde au besoin de tous.

Les coursives du Saint-Augustin à Carnoux (photo © Antoine Pecatte / Agence Jérôme Siame architectes)

Pour autant, il reste bien du chemin à parcourir pour atteindre un jour la proportion réglementaire imposée de 25 % de logement social à Carnoux ! Et il ne s’agit pas d’une lubie de parlementaires en panne d’inspiration mais bien de répondre à un besoin vital pour les Carnussiens et notamment les jeunes qui entrent dans la vie active de se loger décemment alors que les prix de l’immobilier privé flambent et que de plus en plus de logements dans notre commune sont vacants ou sont réservés aux locations saisonnières si lucratives.

Certes, les opportunités foncières sont rares dans une commune aussi exiguë que Carnoux mais les opérations récentes effectuées montrent qu’il est possible de construire de petites résidences sociales bien intégrées dans un tissu pavillonnaire et il importe donc de repérer d’autres opportunités pour poursuivre cet effort le long du mail qui est l’axe le plus facile à desservir en transports en commun. L’espace situé derrière la mairie et la Crémaillère doit être prochainement réaménagé et il est tout à fait envisageable d’y implanter de nouveaux logements sociaux en plein cœur de ville : il serait vraiment dommage de rater une telle opportunité !

L. V.

Renaud Muselier se croit toujours au quai d’Orsay…

25 novembre 2022

L’information est restée relativement discrète et c’est dommage car les habitants de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ignorent pour la plupart quel rôle de premier plan leur Président joue au niveau international, maintenant qu’il a rejoint le clan des fervents supporters d’Emmanuel Macron, en particulier en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique mondial. Il est sur tous les fronts et il était bien évidemment présent au sein de la délégation officielle de la France pour la COP 27 qui vient de se tenir du 6 au 18 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, en Égypte, ce qui est bien la moindre des choses pour celui qui se vante d’avoir toujours « une COP d’avance ».

Renaud Muselier, président de la Région PACA et ministre supplétif des affaires étrangères (photo © Renaud Mahoudeau / AFP / Valeurs actuelles)

Il s’y est d’ailleurs distingué en annonçant par communiqué de presse le 7 novembre la création d’un fonds d’investissement de 1 milliard d’euros pour financer des infrastructures autour de la Méditerranée. En réalité, la création de ce fonds, dénommé PLIFF, pour PAMEx Locally Investment Facility, une appellation dont on devine l’inspiration typiquement provençale, avait été annoncée dès le mois de juillet dernier. Au passage, cet acronyme bizarre de PAMEx signifie pour les initiés « Plan d’action pour une Méditerranée exemplaire ».

Il s’agit a priori, si l’on en croit le communiqué de presse, d’un « consortium, coordonné par le R20, une ONG qui a pour objectif d’accompagner les autorités locales et régionales du monde entier dans le développement et le financement de projets d’infrastructures durables, et qui a mis au point une facilité financière particulièrement innovante sous forme de guichet unique permettant d’offrir aux collectivités territoriales ainsi qu’à leurs entreprises des facilités de financement ». Autrement dit, ce n’est pour l’instant qu’un concept un peu théorique, destiné à lever des capitaux sous forme de fonds propres et d’emprunts, et à mobiliser de l’assistance technique mais le déploiement n’est pas prévu avant 2030 : on a donc largement de quoi voir venir et l’urgence climatique devra patienter un peu…

Renaud Muselier dévoilant ses plans pour la Méditerranée en marge de la COP 27 à Charm el-Cheikh, aux côtés de Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (source © Var Matin)

En revanche, la communication n’attend pas et Renaud Muselier a déjà lancé à la planète entière des invitations pour un grand raout organisé à Marseille les 5 et 6 décembre 2022, sous le nom pompeux de « Méditerranée du futur – acte V ». Car chaque année désormais, la Région PACA organise un grand rassemblement pour marquer son territoire. Mais le colloque de cette année n’est rien de moins que le « Rendez-vous mondial de l’adaptation au changement climatique ». Pour les déçus de la COP 27 qui estiment que l’on n’est pas allé assez loin dans les engagements mondiaux, voilà une belle séance de rattrapage en perspective, axée cette année sur « la Méditerranée des ressources, de la souveraineté alimentaire et de la sécurité énergétique » !

En réalité, il y sera surtout question du projet pilote d’électrification des ports qui est un peu la pierre angulaire du dispositif que Renaud Muselier cherche à mettre en valeur à chaque occasion, maintenant que le port de Marseille commence à s’engager sur la mise en place de bornes électrique sur les quais du port pour éviter que les bateaux de croisière ne laissent tourner à plein régime leurs moteurs à fuel lourd pour actionner la climatisation pendant les escales. Une thématique qui revient comme un leitmotiv dans chacune des interventions de notre Président de Région et qui était encore mise en avant lors de son dernier voyage officiel à Djibouti, à la fin du mois d’octobre, juste avant son déplacement en Égypte.

Un article du Canard enchaîné du 3 novembre 2010, contant les exploits financiers de Renaud Muselier à l’île Maurice (source © le blog de Lucien-Alexandre Castronovo)

Car Renaud Muselier adore voyager, sans doute une réminiscence de son passage éclair au Quai d’Orsay comme Secrétaire d’État aux Affaires étrangères entre juin 2002 et mai 2005, dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y a une petite éternité. En 2010, alors qu’il se disait « dégouté de la politique », l’ancien premier adjoint de Jean-Claude Gaudin avouait avoir même demandé la nationalité mauricienne pour développer sur cette île paradisiaque (surtout du point de vue fiscal) de l’Océan Indien ses petites affaires qui lui avaient alors valu les honneurs du Canard enchaîné pour la qualité de ses opérations d’investissement défiscalisé. Mais depuis 2014, et sa tête de liste surprise aux élections européennes, Renaud Muselier s’est réconcilié avec la politique et il n’a pas peur désormais d’éclipser la ministre des Affaires étrangères en titre, une certaine Catherine Colonna.

Renaud Muselier en visite au refuge Decan, association de protection de la faune et de la flore à Djibouti (source © Ambassade de France à Djibouti)

Son déplacement récent à Djibouti, à la tête d’une délégation d’entrepreneurs et d’universitaires locaux, n’est ainsi pas passé inaperçu. Valeurs actuelles notamment s’en est fait l’écho, s’étonnant que notre Président de Région voyage toujours avec un passeport diplomatique et que sa délégation de 28 personnes y ait élu domicile à l’hôtel le plus cher de la place à 400 € la nuit. Un argument que Renaud Muselier balaie d’un revers de main en affirmant sans ciller « il n’y a qu’un hôtel à Djibouti », ce qui ne manque pas d’étonner les journalistes qui en ont dénombré pas moins de 17 aux standards internationaux…

Mais quand on est président d’une Région qui se targue de bénéficier d’un PIB équivalent à celui de la Nouvelle-Zélande, on ne mégote pas quand on est en déplacement officiel, même si certains élus du Rassemblement national se permettent d’insinuer que les frais du déplacement sont très supérieurs au montant de l’aide que la Région PACA apporte en réalité à Djibouti : la diplomatie internationale est très au-dessus de ce type de considérations bassement matérielles…

Renaud Muselier avec Ismaïl Omar Guelleh, Président de la République de Djibouti (photo © Agence djiboutienne d’information / Ambassade de France à Djibouti)

D’autant que le voyage n’avait pas seulement pour but d’aller dire bonjour aux forces armées françaises stationnées sur la base aérienne de Djibouti et de saluer le Président de la République local, Ismaïl Omar Guelleh pour lui parler de l’Observatoire régional de recherche pour l’environnement et le climat, une structure nouvellement créée à Djibouti avec l’aide de l’Agence internationale de l’énergie atomique pour développer des modèles régionaux de suivi des impacts du changement climatique sur les ressources en eau. Protéger l’environnement, c’est aussi l’occasion de faire des affaires quand on est un politicien avisé comme Renaud Muselier. Un domaine qui justifiait naturellement que la Société du Canal de Provence soit aussi du voyage, de même d’ailleurs que la société Qista, implantée dans les Bouches-du-Rhône et le Var, qui développe des bornes anti-moustiques connectées à un peu plus de 1000 € l’unité et qui cherche justement à en vendre à Djibouti, ça tombe bien…

L. V.

Cercles de Provence : on recycle !

12 octobre 2022

La Salle du Clos Blancheton accueillait le public, ce samedi 8 octobre 2022, pour une conférence intitulée « les Cercles, une sociabilité en Provence », animée par Pierre Chabert, enseignant chercheur et docteur en ethnologie.

En introduction, le Président du Cercle progressiste carnussien, Michel Motré, rappelle : « Notre association est jeune si on la compare aux autres cercles des communes voisines. Ainsi Le Cercle Républicain de Gémenos a fêté ses 150 ans et celui de Roquefort la Bédoule ses 140 ans ! Tous ces cercles constituent des espaces de sociabilité riches d’initiatives citoyennes, de culture et de solidarité. Aujourd’hui, nous vous proposons une conférence qui traite des Cercles et de leur évolution au travers des années.

Pierre Chabert, spécialiste de l’histoire des Cercles de Provence (photo © CPC)

Pour cela, nous avons fait appel à Pierre Chabert qui a retracé l’histoire des cercles en Provence dans un ouvrage publié au Presses Universitaires de Provence paru en 2006. Très récemment, avec l’appui de Pauline Mayer, chargée de mission inventaire du patrimoine immatériel, il a effectué une recherche sur l’évolution de ces chambrettes devenues cercles au travers d’une étude qui privilégie une pratique vivante (humaine). L’enquête se fonde sur des entretiens qui concernent le sud de la région : les Bouches du Rhône, le Var et les Alpes Maritimes. Le diaporama qui recense les différents cercles du territoire Provence verte et Verdon a été réalisé par Pauline Mayer qui nous l’a aimablement transmis pour la conférence. »

Cercle de Brue Auriac dans le Var (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

L’étude des cercles comporte plusieurs facettes : géographique, historique, ethnologique et politique. Pierre Chabert s’attache à développer ces différents aspects en insistant surtout sur les trois premiers points, l’aspect politique diffusant dans les trois.

Les cercles dans l’espace géographique

L’exposé s’interroge sur les raisons pour lesquelles les Cercles se sont développés, en particulier dans notre région entre l’Est du Rhône et l’Ouest du fleuve Var, comment ils ont évolué dans le temps et pourquoi ils se sont implantés dans certains territoires plutôt que sur d’autres. En dehors de ce territoire provençal, les cercles ont quasiment disparu sauf dans les Landes où ce sont essentiellement des assemblées de chasseurs, et en Alsace où l’orientation est plus religieuse.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, au début du XXe siècle (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

C’est en Europe, à partir de l’Italie qui comportait de nombreuses confréries de pénitents, conférant un caractère religieux à ces associations, que les émigrés introduisirent ces structures en France, dans le Sud-Est en particulier. La spécificité religieuse de ces cercles évolua selon des critères liés à l’activité professionnelle, aux intérêts culturels ou aux engagements sociaux comme politiques des populations concernées. Ces Cercles revêtent aussi localement un caractère corporatiste, regroupant des chasseurs, des pêcheurs, ou des employés et ouvriers de l’industrie et du commerce, cela sans oublier les cercles philharmoniques avec leur fanfare traditionnelle.

Les cercles dans l’histoire

Historiquement, les cercles se sont développés dans le cadre de la loi de 1901 sur les Associations, conquête de la politique sociale instituée par la IIIème République qui encadre le mouvement associatif. C’est ainsi que ces cercles se structurent de différentes manières, regroupant notamment des sympathisants de partis politiques de droite ou de gauche, dont les membres étaient soit plutôt des bourgeois, soit plutôt des ouvriers.

Chaque cercle possédait sa marque spécifique, conservant un fond religieux (pratique de la charité) ou optant pour une démarche plus progressiste (création de caisses de solidarité, de coopératives). La vocation restait cependant la même :  créer dans la ville, dans le village ou le quartier, un espace de sociabilité.

Cercle républicain des travailleurs de Roquefort la Bédoule (photo © CPC)

En continuant de remonter dans le temps, notre conférencier, situe avec l’avènement de la IIIème République les clivages constatés, parfois, entre les cercles d’une même localité, tels ceux de notre commune voisine de Roquefort-la-Bédoule avec le cercle dit « blanc » regroupant les notables et grands propriétaires terriens d’une part et d’autre part le Cercle Républicain des Travailleurs dit « rouge », celui des ouvriers et employés des fours à chaux.

Des liens souvent étroits entre coopératives agricoles et cercles : affiche à la Coopérative de Brignoles (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Cette ouverture constituait un progrès à cette époque si on se réfère à la situation précédente car au Second Empire, Napoléon III voyait dans ces assemblées un caractère dangereux pour le pouvoir, au point qu’il en interdit la création. Précédemment existaient en effet des structures de sociabilité informelles appelées « chambrettes ». Elles réunissaient une vingtaine de personnes dans un petit local (chambre, grange…) et avaient un caractère plus ou moins secret. C’est dans ce type d’assemblée que le mouvement de « la libre pensée » s’exprimait notamment au cours du Premier Empire, puis durant la restauration et la monarchie de juillet.

Dans la région, c’est en 1791 que l’on voit apparaître les premiers cercles à Saint Zacharie et au Beausset. Suivront notamment après 1870 la création de cercles républicains dont le nom est marqué par l’histoire : Cercles du 4 septembre 1870, en commémoration de la proclamation de la IIIème République. Auparavant, donc avant la Révolution, les « chambrettes » avaient plutôt une vocation religieuse et étaient tenues par des congrégations soucieuses de développer la pratique de la charité.

Sans remonter à l’époque romaine où existaient déjà des assemblées citoyennes, notons que c’est à la date de 1212 que l’on enregistre la création de la première « commune » par la confrérie du « Saint Esprit », avec pour objectif d’administrer la ville de Marseille. L’importance de cette filiation continue jusqu’à aujourd’hui, en effet de célèbres édiles de la ville de Marseille furent issue du « Cercle catholique de Mazargues » ou de celui de « la Renaissance de Sainte-Marguerite ».

Les cercles, quelques approches ethnologiques

Pour revenir à la période de prospérité des cercles que fut celle de la IIIème République et jusqu’au début de la seconde partie du XXème siècle, ces cercles ont eu pour vocation de regrouper essentiellement des hommes, cela dans l’esprit de l’époque, peu ouverte à l’émancipation des femmes. Ils regroupaient principalement des salariés autour des emplois fournis par les industries locales des tuileries, des chantiers navals à La Ciotat ou des mines de lignite autour de Gardanne. Initialement, pour y être admis il fallait être parrainé et les demandes d’adhésion faisaient l’objet d’un examen où la valeur de la moralité du candidat était prise en compte. Cela donnait droit à une carte de membre, qui pouvait se transmettre au sein d’une même famille.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, actuellement (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Ces cercles étaient le reflet de la société en modèle réduit, parfois politisés, mais recherchant essentiellement à développer la convivialité entre ses membres, proposer des activités culturelles (bibliothèque, fanfare musicale), gérer une coopérative ou une épicerie solidaire.

Les cercles pouvaient être propriétaires (par souscription) ou locataires des locaux qu’ils aménageaient souvent comme un second « chez soi » en les décorant avec des tableaux, des photos et autres objets dont une Marianne dans les cercles républicains. Les cercles étaient souvent « l’antichambre » de la mairie pour les prétendants à la fonction de premier magistrat de la commune. La réussite de l’organisation de fêtes et autres banquets républicains étaient le gage d’un succès d’estime auprès des populations. Cela suscitait aussi la rivalité entre cercles de tendances politiques différentes ou entre communes voisines avec des identités marquées.

Conclusion débat sur l’avenir des cercles

Au terme de son exposé et au cours des échanges qui suivirent avec le public Pierre Chabert a montré que le mode de vie actuel, l’organisation de la société, les comportements individuels ont entraîné un déclin de l’activité des cercles, voire leur disparition à l’exception de la partie Est de la Provence. La distance entre le domicile et le lieu de travail s’est considérablement allongée et les liens de voisinage s’affaiblissent. De plus, la concurrence des réseaux sociaux ne fait qu’accentuer l’individualisme au profit d’autres modes de communications et d’accès à la culture.

Une assistance passionnée pour cette conférence de Pierre Chabert (photo © CPC)

A ce bilan s’ajoute que parfois ces lieux ne sont pas reconnus pour leur apport à la culture populaire voire qu’ils sont soupçonnés d’être trop « politisés », alors même que le terme politique renvoie justement à la vie de la cité. Aujourd’hui subsistent des cercles qui doivent leur survie à l’engagement de leurs membres et de leurs dirigeants, souvent retraités, dont la composition se féminise, ouvrant de nouvelles voies de renouveau pour perpétuer et développer ces lieux d’échanges participatifs.

C’est le cas du Cercle Progressiste Carnussien qui en plus de ses réunions mensuelles, édite un journal distribué à toute la population et publie des articles sur un blog, propose un club de lecture (« Katulu ? ») et participe à des actions caritatives. Sans se comparer aux cercles centenaires de communes voisines, nous souhaitons qu’il perdure au profit de cette sociabilité locale provençale héritière de la « romanité » antique.

C’est autour d’un verre d’apéritif, offert par le Cercle, que la conférence prit fin tout en continuant les échanges entre le public et notre brillant conférencier auquel nous adressons nos plus vifs remerciements.

C.M.

Conférence du Cercle de Carnoux sur les Cercles de Provence

8 octobre 2022

La prochaine conférence organisée à Carnoux-en-Provence par le Cercle progressiste carnussien (CPC), sera présentée ce samedi 8 octobre à 18h30 par Pierre Chabert, enseignant chercheur, docteur en ethnologie. Elle nous contera l’histoire des Cercles, particulièrement développés en Provence, surtout au début du siècle précédent où ils ont joué un grand rôle dans la sociabilité des milieux ruraux.

Comme à l’accoutumée, cette conférence du CPC, qui se tiendra dans la salle communale du Clos Blancheton, en haut de la rue Tony Garnier, derrière la mairie de Carnoux, sera accessible gratuitement à tous. Alors venez nombreux découvrir l’histoire toujours actuelle des Cercles provençaux.

Eau contre pétrole : le projet fou de Saint-Chamas…

4 octobre 2022

C’est Marianne qui vient de rendre public ce projet élaboré en toute discrétion et qui aurait déjà fait l’objet d’au moins deux réunions au sommet, à l’initiative de son promoteur, Xavier Houzel, négociant international d’hydrocarbures et longtemps aux manettes de la seule entreprise française indépendante de trading pétrolier, Carbonaphta. En mars 2022, il organisait en catimini une réunion à l’Élysée avec les principaux conseillers économiques d’Emmanuel Macron et en juin, au lendemain des élections présidentielles, il obtenait en quelques jours seulement un rendez-vous avec Thomas Tardiveau, à peine nommé conseiller technique électricité au cabinet de la toute nouvelle ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Xavier Houzel, spécialiste du négoce international d’hydrocarbures (source © Trilogues)

Quel était donc l’objet de ces conciliabules manifestement de première importance ? Un projet un peu fou qui consiste à troquer contre du gaz ou du pétrole dont la France a bien besoin, de l’eau qu’elle aurait en excès. Et pas n’importe quelle eau : celle de la Durance qui approvisionne déjà via le Canal de Marseille et le Canal de Provence, une bonne partie de la région PACA et toute l’agglomération marseillaise. Mais rappelons que le barrage de Serre-Ponçon, qui barre depuis 1959 le lit de la Durance un peu en aval de sa confluence avec l’Ubaye, constitue aussi le point de départ d’un canal de 250 km qui achemine de l’eau non seulement pour l’irrigation et l’eau potable, mais aussi pour la production hydroélectrique. On dénombre ainsi pas moins de 15 centrales hydroélectriques le long de ce canal, totalisant une puissance cumulée de 2000 MW, dont 360 pour celle de Serre-Ponçon, la plus importante, et 153 pour celle qui est située à l’extrémité aval du canal qui se rejette dans l’étang de Berre, sur la commune de Saint-Chamas.

Canal EDF entre Manosque et La Roque d’Anthéron(photo © Nicolas Janberg / Structurae)

Un aménagement industriel parfaitement huilé et d’une remarquable efficacité, mais dont les impacts sur les milieux naturels sont loin d’être négligeables, comme le relève depuis des années le GIPREB qui tente, tant bien que mal, de préserver la qualité des eaux de l’étang de Berre… La France a d’ailleurs été condamnée en 2004 à cause des rejets excessifs d’eau douce et de limons en provenance de la Durance qui se déversent directement dans l’étang de Berre, une lagune dont le milieu naturel a été totalement modifié et dont la biodiversité initiale a été entièrement bouleversée. Sous la menace d’une astreinte financière significative, EDF a finalement été contraint de réduire les quantités d’eau et de limons ainsi prélevés sur la Durance et rejetés dans l’étang de Berre. La capacité de prélèvement qui est de 4 milliards de m3 par an a ainsi été réduite à 1,2 milliards, sachant que le rythme actuel est plutôt de l’ordre de 950 millions de m3, et peut même tomber à moins de 600 les années de forte sécheresse comme en 2019 ou 2022.

En matière d’exploitation de la ressource en eau, il ne suffit pas en effet d’investir massivement, mais il faut aussi respecter les potentialités du milieu naturel. Or le changement climatique se traduit par une raréfaction de la ressource en eau issue des glaciers alpins, tandis que les milieux lagunaires comme l’étang de Berre supportent de moins en moins ces apports d’eau douce qui détruisent son écosystème naturel. Mais ce n’est ce genre de considération qui anime notre expert en négoce international d’hydrocarbures Xavier Houzel. Ce dernier a seulement retenu que le canal EDF rejette en pure perte des millions de m3 d’eau douce de qualité prélevée dans la Durance et que la France pourrait avoir intérêt à exporter cette eau vers des pays qui ont en bien besoin ! Rappelons au passage que les besoins en eau d’une ville comme Marseille ne représentent qu’à peine 5 % de ce volume colossal d’eau potable ainsi rejeté par le canal EDF…

Centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, à l’extrémité aval du canal EDF qui se jette dans l’étang de Berre (photo © EDF / Gomet)

Il prévoit ainsi de faire partir quotidiennement 19 tankers de 200 000 m3 depuis le port de Fos et 48 de 80 000 m3 depuis celui de Lavéra à Martigues, tous chargés à ras bord d’eau de la Durance, soit près de 3 milliards de m3 d’eau douce prélevée dans le bassin versant de la Durance et exportée à l’autre bout de monde, permettant ainsi à EDF de turbiner toute l’année au maximum de ses capacités. Bien entendu, l’eau est considérée comme un bien commun, indispensable à la vie, et il n’est pas très moral d’en faire ainsi une source de business international. Mais en grand philanthrope qu’il est, Xavier Houzel prévoir simplement d’en faire du troc et de l’échanger avec les pays qui en ont besoin, contre du coton par exemple, ou de préférence du gaz ou du pétrole, ce qui pourrait intéresser des partenaires comme l’Iran ou Israël.

Bien entendu, le projet ne tient aucun compte de l’impact que pourrait avoir un tel prélèvement sur le fonctionnement naturel de nos cours d’eau. Prélever ainsi des milliards de m3 d’eau n’est jamais sans incidence, même dans un pays au climat tempéré qui ne manque pas de ressources en eau. L’eau de fonte des glaciers qui donne l’impression de s’écouler en pure perte vers la mer contribue à la biodiversité et à l’équilibre écologique des cours d’eau et des milieux aquatiques mais aussi à la recharge des nappes souterraines dont on retire désormais une part importante de nos ressources en eau potable car elles sont un peu mieux préservées de la pollution que l’eau de surface…

Tracé du canal EDF entre le barrage de Serre-Ponçon et l’étang de Berre (source © L’étang nouveau)

Certes, ce projet met en avant l’impact positif qu’aurait cet export sur la qualité de l’étang de Berre actuellement gravement perturbé par les apports massifs d’eau douce et de limons de la Durance. Mais il passe totalement sous silence une alternative portée depuis des décennies par d’autres acteurs et qui vise justement à mieux valoriser ces rejets tout en limitant leur impact écologique. Il faudrait pour cela prolonger le canal EDF pour qu’il se rejette non pas dans l’étang mais dans le Rhône après avoir irrigué au passage la plaine de la Crau. Trois députés locaux ont d’ailleurs déposé en 2020 un rapport parlementaire qui détaille différentes propositions en vue de réhabiliter l’étang de Berre, parmi lesquelles figure ce projet de dérivation.

Christophe Béchu (au centre) en visite sur l’étang de Berre le 29 septembre 2022, à côté de Bérangère Couillard et de Martine Vassal (photo © Stéphane Guéroult / La Provence)

Le nouveau ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est d’ailleurs déplacé sur site le 29 septembre 2022, en compagnie de sa secrétaire d’État en charge de l’écologie, Bérangère Couillard, pour examiner ces différentes options. Une dérivation des eaux du canal vers le Rhône permettrait également de maximiser la production hydroélectrique et l’exploitation des ressources en eau tout en réduisant fortement l’impact de cet usage sur les milieux naturels. Mais le coût du projet est estimé à plus de 2 milliards d’euros. On ne parierait donc pas qu’il puisse tenir la corde face à la solution aussi simpliste que brutale proposée par Xavier Houzel : que pèse le respect de notre environnement quand le commerce international nous tend ainsi les bras ?

L. V.

Le Ravi, c’est fini…

18 septembre 2022

« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » Tout le monde a en tête cet aphorisme qui figure en tête de la dernière page de chaque numéro du Canard enchaîné, même si personne ne sait trop bien à qui attribuer cette citation, sans doute trop belle pour être vraie… En revanche, on sait bien qui est l’auteur de cette autre maxime moins connue mais sans doute plus réaliste : « la liberté de la presse est entière : il suffit d’avoir les milliards nécessaires ». C’est le sociologue Alfred Sauvy qui faisait ce constat lucide en préface d’un ouvrage de Jean Boniface publié au début des années 1960 sous le titre Arts de masse et grand public. Une vision assez prémonitoire de la bataille à laquelle on vient d’assister entre les milliardaires Xavier Niel et Rodolphe Saadé pour prendre le contrôle du quotidien régional La Provence

La presse française très prisée des milliardaires, un dessin signé Miss Lilou (source © Blagues et dessins)

Rien qu’en France, 8 milliardaires contrôlent de fait une vingtaine de journaux, trustant à eux seuls 95 % des ventes d’hebdomadaires nationaux généralistes et plus de 80 % de la presse quotidienne nationale. Ainsi, Bernard Arnault, première fortune de France, détient des titres comme Le Parisien, Les Echos, Investir ou encore la chaine Radio Classique. Son alter ego Vincent Bolloré s’est forgé de son côté un véritable empire médiatique avec les chaînes CNews, Direct 8 et des titres aussi courus que Paris Match, Géo, Voici, Ça m’intéresse ou Capital. Patrick Drahi, qui a fait fortune dans le domaine des télécommunications, est désormais à la tête de Libération, l’Express ou encore BFM et RMC. Son collègue Xavier Niel, patron de Free, est actionnaire majoritaire du Monde, de Télérama, du Nouvel Observateur ou encore de Rue 89. On pourrait citer aussi le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, désormais patron de Marianne, Elle ou encore Télé 7 jours, mais aussi François Pinault, 24e fortune mondiale qui détient Le Point tandis que le Figaro est entre les mains de la famille Dassault.

Un dessin signé Loup sur les limites subtiles du dessin de presse… (source © The Conversation)

Curieusement, aucun de ces grands patrons tous milliardaires et grands philanthropes, défenseurs invétérés de la sacro-sainte liberté d’informer, n’est venu au secours du petit mensuel provençal satirique le Ravi qui vient de rendre l’âme et de jeter l’éponge après 18 ans de combat homérique pour tenter de faire entendre sa voix quelque peu gouailleuse d’une « presse pas pareille ». Lancé en 2003 par l’association marseillaise La Tchatche, ce journal était publié en kiosque tous les premiers vendredis du mois. Mais le n°208 daté de juillet-août 2022 sera donc le dernier de la liste, suivi néanmoins par un « numéro très spécial » publié post mortem sur le site du Ravi, encore accessible.

Couverture du numéro (très) spécial du Ravi, publié post mortem sur son site (source © le Ravi)

Il est vrai que ce dernier exemplaire du Ravi vendu en kiosque cet été contenait, outre une attaque frontale contre les fachos du RN, un portrait au vitriol de Rodolphe Saadé, le patron de la CMA CGM et, donc, désormais de La Provence, en train de se lâcher contre un autre grand prédateur, Michel-Edouard Leclerc, qui avait osé attaquer le transporteur maritime en l’accusant de profiter de la situation pour gonfler ses marges et encaisser des bénéfices mirobolant… Un dialogue savoureux et quelque peu viril, imaginaire bien entendu, mais qui donne bien le ton des journalistes du Ravi, jamais avares en bons mots et fins observateurs des petits travers du microcosme politico-économique régional.

Exemple de « contrôle technique de la démocratie » à Aix-en-Provence le 24 septembre 2021 : une caricature de Sophie Joissains signée Trax (source © le Ravi)

C’est d’ailleurs ce qui faisait le sel de ce média pas comme les autres qui sortait, mois après mois, ses enquêtes d’investigation sur les sujets qui fâchent, mais aussi ses portraits acides de personnalités « en surmoi médiatique » qui ont tellement pris la grosse tête qu’elles s’exposent à un rappel peu amène de certaines de leurs déclarations publiques à l’emporte-pièce. Sa rubrique mensuelle intitulée « contrôle technique de la démocratie » était un vrai bijou d’observation des mœurs locales de la démocratie au quotidien, observée en direct par un journaliste assistant incognito à un conseil municipal et relatant avec talent et humour le jeu de rôle des élus locaux jamais avares de postures et sans cesse rattrapés par leur vanité personnelle et leur ego surdimensionné.

Un dessin signé Yakana, à l’occasion de la disparition du Ravi (source © le Ravi)

Et pourtant, le journal se portait plutôt bien avec ses ventes en hausse, son site internet performant et très fréquenté, ses actions éducatives bien suivies et son taux d’autofinancement remarquable de 80 %. Mais ce n’était pas suffisant pour faire vivre durablement la petite équipe de journalistes particulièrement investie qui se dévouait corps et âmes pour ce projet atypique. Faute de subvention publique et malgré les nombreux soutiens populaires régulièrement sollicités, le journal, comme d’ailleurs toute la presse écrite, avait bien du mal à trouver son équilibre financier. Or en 2021, le Conseil départemental de Martine Vassal comme le Conseil régional de Renaud Muselier, ont brusquement fermé le robinet des subventions à ce journal satirique un peu trop critique à leur égard. La Ville de Marseille a bien tenté de lui venir en aide en votant in extremis une subvention à son bénéfice en juin dernier mais le journal a donc déposé le bilan avant même d’avoir pu en voir la couleur…

La Ravilution de juin 2022, vue par Na ! : en 3 mois, les donateurs se sont mobilisés pour recueillir 63.000 euros de dons et tenter de sauver le journal, en vain (source © le Ravi)

Malgré le tragique de la situation, l’équipe du Ravi a gardé son sens de l’humour et sa page d’adieu et de remerciement à tous ceux qui l’ont accompagné dans cette aventure vaut la lecture ! Petit extrait : « C’est donc la fin d’une histoire débutée en 2003 ! Pour les six salariés de la Tchatche, aucun problème : comme pour tous les chômeurs, il leur suffira de traverser la rue afin de trouver un travail. Pour l’offre médiatique régionale, déjà étriquée, c’est ballot : elle s’appauvrit encore un peu plus avec la disparition d’un des très rares journaux mêlant enquête et satire en France… ».

A l’occasion de la disparition du Ravi, les (fausses) condoléances des personnalités locales, ici le sénateur RN Stéphane Ravier… (source © le Ravi)

Quant aux personnalités locales, l’équipe du Ravi anticipe avec autant de perspicacité que d’ironie les larmes de crocodile qu’ils ne manqueront pas de verser sur la disparition de ce média indépendant qui leur a si souvent fait grincer les dents et lever les bras au ciel, un peu comme le fameux ravi de la crèche, auquel le journal en question tire son nom, l’air toujours un peu ahuri et naïf mais sans jamais baisser les bras, jusqu’à ce jour du moins… Un grand remerciement en tout cas à cette équipe de journalistes passionnés qui a œuvré avec autant de conviction, et souvent un brin de provocation, pour faire vivre cette démocratie locale si précieuse.

L. V.

Plus d’investissements pour l’eau !

2 septembre 2022

La tribune suivante, publiée le 21 août 2022 par le média numérique GoMet qui traite de l’actualité sur l’espace métropolitain marseillais, a été rédigée par Jacques Boulesteix, conseiller municipal démissionnaire de Carnoux, ancien président du Conseil de développement de Marseille Provence Métropole et ex président de Paca Investissement ou encore président fondateur du pôle Optitec. Un avis tranché qui a le mérite d’ouvrir le débat après la période de sécheresse intense qu’a connu la France cet été.

Jacques Boulesteix, conseiller municipal démissionnaire de Carnoux (source © Carnoux-citoyenne)

L’absence de précipitations et le niveau historiquement bas des cours d’eau nous interrogent sur notre capacité à prévoir et réaliser des équipements majeurs pour faire face à une situation météorologique nouvelle qui devrait logiquement s’aggraver dans les années à venir. La chaleur et la sécheresse sont des maux qui peuvent pourtant être gérés pour peu que l’on consente des travaux conséquents.

Durant des siècles, les chutes de pluie et de neige étaient supposées, en France, offrir suffisamment de ressources pour satisfaire les besoins d’eau à usage domestique, agricole, industriel et énergétique. L’aménagement ancien des cours d’eau n’était guidé que par la nécessité de contenir les inondations et par le besoin de navigabilité des voies fluviales.

Le barrage de Serre-Ponçon mi-juillet 2022, à 13 m sous sa cote d’exploitation normale (photo © Vincent Ollivier / Le Dauphiné Libéré)

Les retenues artificielles, en général concédées à EDF, visaient d’abord la production d’électricité. Les plus récentes sont cinquantenaires. L’irrigation, pourtant essentielle dans le midi, n’en était qu’un bénéfice induit. La donne a changé.

La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur abrite historiquement les deux plus volumineuses retenues artificielles de France, Serre-Ponçon (1960) et Sainte-Croix (1974), et les centrales hydroélectriques sont nombreuses.

Pour autant, l’électricité hydraulique ne représentait plus, en 2021, que 22 % des besoins électriques. Elle était même en baisse de 15 % sur un an en raison du manque de précipitations, mais également de la diminution rapide des glaciers, véritables réservoirs naturels contribuant à l’approvisionnement en eau durant tout l’été.

Le lac de Serre-Ponçon le 19 juillet 2022, à un niveau exceptionnellement bas… (photo © Catherine Jagu / Twitter / Futura Science)

A la mi-août, le niveau de la retenue de Serre-Ponçon est 16 mètres en dessous du niveau nominal, celle de Sainte-Croix, à plus de 6 mètres. Nous ne manquons globalement pas d’eau, mais nous n’avons pas encore assez investi pour la réguler…

Sommes-nous donc condamnés, dans les années à venir, à un rationnement de l’eau et à une diminution de fait de notre confort et des activités agricoles ou industrielles ? Certainement si nous n’investissons pas aujourd’hui d’une manière importante dans la régulation de cette ressource si vitale. Nous l’avons bien fait en son temps avec le canal de Marseille (1850), puis le canal de Provence (1960), et c’est heureusement un grand atout aujourd’hui.

Mais, alors que la population de la région a augmenté de 30 % en 50 ans, que les activités agricoles et industrielles se sont développées, nous n’avons plus investi dans de nouveaux barrages ou retenues d’eau. Nous manquons aujourd’hui de réserves en été. Contrairement à l’idée reçue, nous ne manquons globalement pas d’eau de pluie (ou de neige). 66 cm de hauteur par an en Provence Alpes Côte d’Azur, contre 90 cm en Irlande : ce n’est pas si mal. Simplement, seulement 17 % de cette eau tombe en été, au moment où l’évaporation est la plus forte. Mais même en tenant compte de cette évaporation, le rapport entre la quantité de pluie annuelle et la consommation totale en région Paca est supérieur à 10 (15 fois en France).

Le Glacier Blanc, le plus grand des Alpes-du-Sud, en cours de régression accélérée ces dernières années (source © Parc National des Écrins / France 3 Région)

Côté équipements, il est donc indispensable de créer des retenues petites ou grandes, publiques ou privées, afin de stocker, en prévision des étés, une plus grande partie des précipitations annuelles. Trop peu d’investissements ont été réalisés ces dernières décennies. En première urgence, il faudrait au moins compenser la perte de volume de nos glaciers qui fondent encore plus rapidement dans les Alpes du Sud. 90 % de nos glaciers auront disparu en 2100… L’idée de pomper dans les nappes phréatiques serait la plus mauvaise solution : l’apport naturel d’eau de pluie ne correspond qu’à 6 % de leur volume. De même, la limitation des usages, même si elle est appréciable lors des crises, peut difficilement combler le déficit pluviométrique estival : la consommation domestique des ménages français, qui avait évolué durant le 20e siècle deux fois plus vite que la croissance démographique, a plutôt tendance à diminuer depuis les années 2000 et ne représente que 25 % du bilan, deux fois moins que pour l’agriculture.

Irrigation gravitaire dans la Crau au sud-ouest d’Arles, à partir du canal de Craponne (source © DRAAF PACA)

Alors, bien sûr, on peut toujours encourager les économies. Mais rien ne remplacera le recyclage de l’eau. Une eau usée reste une eau utilisable après traitement. Recycler et réutiliser les eaux usées, plutôt que les rejeter à la mer, est aujourd’hui indispensable. Même si des progrès sanitaires considérables sont aujourd’hui faits, une eau usée recyclée trouverait toute sa place dans l’irrigation et l’industrie, pour peu que la réglementation évolue.

Autre chance : la rivière souterraine de Cassis, qui déverse 220 millions de m3 d’eau douce par an dans les Calanques, correspond à une consommation d’eau potable domestique de 4 millions d’habitants… A ce jour, aucun projet n’a encore été sérieusement envisagé pour exploiter cette exsurgence de Port-Miou. Augmenter les capacités de réserves, retraiter les eaux usées, capter les exsurgences, les possibilités sont nombreuses en Provence pour répondre au déficit croissant des précipitations estivales. Cela nécessite des investissements importants. Cela exige surtout une vision, une volonté et des priorités, si nous voulons que notre région reste agréable à vivre et éviter qu’elle ne périclite.

JBx

Mais où sont passées les cigales de Provence ?

16 août 2022

Ah, vous aussi, vous l’avez remarqué ? En ce début de mois d’août pourtant remarquablement ensoleillé, on n’entend guère les cigales à Carnoux-en-Provence et dans les environs. De temps en temps, l’oreille attentive perçoit la stridulation caractéristique d’une cigale mâle (car chez les cigales, contrairement à d’autres espèces, sans vouloir viser personne en particulier, seuls les mâles se font entendre, les femelles étant d’une discrétion absolue…). Mais globalement, nos chaudes après-midi de ce mois d’août sont d’un calme inhabituel : une véritable incitation permanente à la sieste. Mais où sont donc passées les milliers de cigales qui bruissent habituellement dans une cacophonie pittoresque que tous les nordistes nous envient ?

La cigale grise de Provence sur un tronc de pin (source © Quel est cet animal ?)

Encore une fois, le coupable est tout trouvé : le changement climatique ! Comme d’habitude aurait-on presque envie d’ajouter… C’est devenue une vraie litanie, un peu comme le médecin de Molière qui, à chaque symptôme qu’on lui décrit, s’écrit « Le poumon ! ». Mais c’est malheureusement une réalité : le changement climatique est bien la raison principale qui explique que les cigales soient si étrangement silencieuses en cet été provençal.

En cherchant bien, ou pourrait certainement lui trouver un complice, l’autre fléau de nos temps modernes qui est en train de s’allier à son comparse pour donner à notre XXe siècle un petit air d’apocalypse à donner le frisson. Avec le changement climatique, la perte de biodiversité est en effet en train de se rappeler à notre bon souvenir de fourmi besogneuse qui a force de défricher, travailler la terre à coups de pesticides, de construire un peu partout et de creuser ses galeries à travers le monde entier pour y extraire du minerai, du gaz et du pétrole, non seulement a fini par dérégler irréversiblement le climat de la planète, mais est en passe de faire disparaître massivement la plupart des espèces animales et végétales qui la peuplent et dont les habitats naturels se réduisent comme peau de chagrin.

Le traitement des vignobles à coup de pesticides contribue à la perte de biodiversité (photo © Fred Speich / La Provence)

De fait, la disparition progressive des garrigues pour laisser place au béton de nos lotissements et aux plantations de vignes laisse de moins en moins de place aux insectes locaux comme au reste de la faune sauvage en voie de disparition accélérée. Mais dans le cas des cigales, cette menace est encore accrue par l’effet des traitements phytochimiques mis en place pour protéger certaines cultures, en particulier le vignoble attaqué par une cicadelle qui cause la flavescence dorée. Cette maladie, qui connaît depuis les années 1980, une forte recrudescence à caractère pandémique, a conduit les autorités sanitaires à rendre les traitements préventifs obligatoires, sous peine de sanctions ! Des traitements à base de produits chimiques de type pyréthrines et pyréthrinoïdes notamment, mais dont les effets secondaires sur une partie de la faune locale sont terribles, en particulier pour les cigales qui sont justement des cousines éloignées de la cicadelle dorée, des homoptères de la famille des cicadidae, de ces insectes suceurs qui se nourrissent exclusivement de la sève des végétaux avec leur drôle de museau en forme de paille.

Comme chacun sait, sauf peut-être un certain La Fontaine, les cigales passent l’essentiel de leur existence sous terre, à l’état de larve, à se nourrir de la sève des racines de végétaux. Une espèce de cigale américaine, au doux nom de Magicicada septendecim, patiente ainsi jusqu’à 17 ans à manger les pissenlits par la racine avant de voir enfin le jour, de muer rapidement sous les premiers rayons de soleil du mois de mai puis de se reproduire pendant l’été, tout en stridulant joyeusement, produisant un son qui peut atteindre 100 décibels, de quoi rivaliser avec une bonne discothèque. Mais après avoir « chanté tout l’été », la cigale meurt rapidement.

Éclosion en masse de cigales « zombies » aux USA, après 17 ans passés sous terre (source © OVNI-vidéos)

Et il en est de même pour ses cousines provençales, dont on dénombre une bonne quinzaine d’espèces, sur les quelques 4500 dénombrées de par le monde, la cigale étant connue sur Terre depuis pas moins de 365 millions d’années, bien avant l’homme qui n’y est apparu qu’il y a 3 ou 4 millions d’années et qui lui cause désormais tant de souci. Mais pour la cigale grise, la plus commune dans nos contrées, le cycle de vie souterraine est plus court, de l’ordre de 2 à 5 ans, si bien que chaque année des myriades de nouvelles larves de cigales viennent poindre à la surface de la terre au début de l’été, contrairement à ce qu’on observe sur la côte Est des USA notamment où les cigales ne se voient que par cycles, tous les 13 à 17 ans, un peu comme les nuées de criquets.

Exuvie de larve de cigale (photo © Jean-Pierre Lavigne / ONEM)

Mais une fois devenu adulte, le mâle n’a de cesse de se faire entendre pour attirer la femelle à féconder durant leurs quelques semaines de vie adulte qui leur sont accordées. Le terme de stridulation, souvent employé à tort par analogie avec le bruit que fait le criquet en frottant ses élytres, n’est d’ailleurs pas approprié pour la cigale qui rentre plutôt dans la catégorie des joueurs de cymbales. Le ventre du mâle est creux et fait office de caisse de résonance pour les deux grosses écailles qui se déforment, actionnées par l’action des muscles de l’animal, claquant d’un coup sec à chaque fois qu’elles passent de la forme convexe à la forme concave.

Une mécanique de précision mais qui demande, pour une bonne orchestration, de fonctionner à la température idéale pour disposer d’une élasticité adaptée, pas moins de 17 °C, mais pas plus de 36°C non plus. C’est la raison pour laquelle on n’entend pas les cigales les jours de pluie où à la fraîche. Mais c’est aussi pour cette raison qu’elles sont étrangement muettes cette années, durant les périodes de canicules où l’on a vu se succéder des températures extrêmes supérieures à 35°C pendant plusieurs jours de suite.

Une cigale mâle avec son ventre creux servant de caisse de résonance (source © Luberon)

Mais il y a une autre raison à cet étrange mutisme des cigales carnussiennes en ce mois d’août, alors que déboulent les hordes de touristes avide d’entendre leur musique si pittoresque. Du fait du réchauffement climatique, l’éclosion des œufs de cigales se fait désormais 10 à 15 jours plus tôt et c’est tout le cycle qui est en avance. Les larves sortent plus tôt de terre et la période de reproduction, qui incite le mâle à se montrer aussi bruyant pour faire son intéressant, débute donc plus tôt dans la saison. Au lieu de battre son plein pour le 15 août et même jusqu’en septembre, cette année, la fête est déjà finie pour bon nombre de cigales…

A ce compte, c’est toute la Provence qui risque de se retrouver orpheline de ces cigales qui font sa notoriété. On trouve déjà cet insecte de plus en plus au nord jusque dans la Drôme et du côté de Toulouse où il est en train de trouver des conditions climatiques plus adaptées à son mode de vie. Avec la poursuite du changement climatique et l’augmentation de la fréquence des périodes de sécheresse et de canicule qui nous attend, les cigales pourraient très rapidement disparaître complètement de notre écosystème provençal. Une disparition qui ne passera pas inaperçu, même pour le pékin moyen peu à l’écoute du monde des insectes qui nous entoure, car les cigales savent se faire entendre. Mais une disparition qui s’accompagnera de celle de milliers d’autres espèces animales plus discrètes, à l’image de notre biodiversité du quotidien en phase de mutation dramatique…

L. V.

ITER : y a t-il un risque de dérapage ?

9 mars 2022

Le projet ITER, de réacteur thermonucléaire expérimental international, initié depuis 2006 sur le site de Cadarache, dans le nord des Bouches-du-Rhône, à une quarantaine de kilomètres d’Aix-en-Provence, est souvent présenté comme l’un des plus ambitieux projets de recherche internationaux, comparable à celui de la Station spatiale internationale. Rassemblant pas moins de 35 nations, dont l’Europe, les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud ou encore le Japon, le projet consiste ni plus ni moins qu’à mettre en œuvre un vieux rêve prométhéen qui consiste à reconstituer expérimentalement les conditions de la fusion thermonucléaire contrôlée dans une sorte de soleil miniature.

Vue aérienne du site d’ITER à Saint-Paul-les-Durance en 2020 (photo © drone Riche / France 3 Région)

Une miniature toute relative d’ailleurs car tout est gigantesque sur ce site de 42 ha équipé d’un bâtiment-réacteur pesant 440 000 tonnes, soit 40 fois le poids de la Tour Eiffel ! Le mélange deutérium-tritium doit y être porté à une température dépassant les 150 millions de °C, soit 10 fois la température qui règne dans notre soleil ! Ce plasma profondément instable devra être maintenu en fusion sous une pression énorme dans une chambre torique, le tokamak, équipée d’aimants supraconducteurs permettant de générer un champ magnétique colossal. Le plasma qui s’y formera est une sorte de soupe dans laquelle les atomes voient leurs noyaux s’individualiser, permettant leur fusion pour créer de l’hélium, ce qui libère une énergie considérable, les neutrons venant irradier l’enceinte du réacteur qui emmagasine l’énergie thermique ainsi créée. Le principe est le même que celui de la bombe H que les États-Unis ont fait exploser pour la première fois en 1952, sauf qu’ici la fusion thermonucléaire est supposée être contrôlée et maîtrisée.

Schéma de principe du tokamak d’ITER : vue en coupe montrant la chambre à vide, le cryostat et les bobines de champ magnétique (source © ITER / The Conversation)

Mais, comme tout projet expérimental, rien ne se passe exactement comme prévu… ITER devait initialement être mis en service en 2020 pour un coût global qui avait été estimé à 4,5 milliards d’euros. Lors du lancement effectif du projet, en 2006, le coût prévisionnel avait déjà été réévalué à 10 milliards d’euros, et on l’estime désormais à 44 milliards d’euros dont 20 milliards apportés par l’Union européenne. Les Américains, plus réalistes, le chiffrent même à 54 milliards d’euros en y intégrant son coût de fonctionnement et de démantèlement, une fois l’expérience achevée.

Car tout ceci n’est qu’un dispositif expérimental, destiné, au mieux, à démontrer, vers 2035 si tout va bien, une fois achevé l’assemblage du tokamak et après s’être assuré de sa parfaite étanchéité, la capacité à produire effectivement de l’énergie par fusion thermonucléaire contrôlée. Il restera ensuite à passer à la phase du démonstrateur, dont la construction est d’ores et déjà prévue au Japon et dont on espère la première production vers 2050, avant d’envisager ensuite, peut-être, le passage au stade industriel avec la réalisation des premiers prototypes.

Assemblage d’éléments de la future chambre à vide en août 2021 (source © ITER Organization / CERN courrier)

Bref, la fourniture d’électricité à base de fusion thermonucléaire n’est pas pour demain, et certains se demandent même si elle existera un jour. Pour que le dispositif présente un intérêt, il faut en effet que l’énergie produite, à savoir une puissance de 500 MW escomptée pour ITER, soit très supérieure à celle nécessaire pour alimenter le dispositif. Or cette puissance pour les tirs de plasma est évaluée à 50 MW, ce qui représente en effet un ratio particulièrement favorable. Sauf que la puissance totale consommée par l’installation, du fait de son fonctionnement global et des pertes énergétiques, est en réalité plutôt comprise entre 300 et 500 MW qui devront dont être injectés depuis le réseau, ce qui fait douter certains scientifiques de l’intérêt même du procédé…

Ces chiffres, relevés notamment par Reporterre, sont issus directement des données communiquées lors du débat public organisé en 2006, qui précisait que la machine consommera 120 MW en régime de veille puis montera à 620 MW pour chauffer le plasma et redescendra à 450 MW pendant la phase principale de l’opération (prévue pour durer quelques minutes seulement) : des puissances effectivement très proches de la production escomptée et auxquelles il faudra ajouter tout le reste de l’installation environnante. A titre indicatif, une puissance de 600 MW correspond sensiblement aux besoins en électricité d’une agglomération comme Aix-en-Provence.

Outre cette question de fond, certains s’interrogent sur l’impact environnemental d’une telle filière pourtant classiquement présentée comme exempte de tout déchet nucléaire. A titre d’exemple, les 10 000 tonnes des aimants supraconducteurs prévus pour ITER (sans parler donc d’une éventuelle exploitation industrielle à venir) nécessitent à eux-seuls 450 tonnes de niobium, un métal rare extrait pour l’essentiel de quelques mines en Amazonie brésilienne, soit 20 % de la production mondiale actuelle ! La production mondiale d’alliage niobium-étain a d’ailleurs dû être multipliée par 6 pour les seuls besoins d’ITER…

Extraction de niobium à Araxà dans le Minas Gerais au Brésil (source © Revista Decifra-me / Global voice)

Autre point d’inquiétude : le recours massif au béryllium, un métal réfractaire excellent conducteur thermique et ultra résistant, choisi pour recouvrir toute la paroi interne du Tokamak, au contact direct avec le plasma thermonucléaire. Un choix qui interroge quand on sait que ce matériau naturel est l’un des plus toxiques, comparable à l’arsenic et au mercure, fortement cancérigène et s’accumulant à long terme dans l’organisme humain. Alors que la consommation mondiale est de l’ordre de 300 t/an, on a prévu d’en utiliser pas moins de 12 tonnes sur le site d’ITER ! Et cette couverture de béryllium exposée au bombardement de neutrons va s’user rapidement, ce qui suppose d’évacuer, après chaque expérience, la poussière de béryllium fortement radioactive et par ailleurs explosive. Des aspirateurs géants sont imaginés pour cela, conduisant ces poussière dans un four avant de les agglomérer à du ciment pour les fixer dans des fûts.

Un choix technique qui a conduit la toxicologue américaine Kathryn Creek, experte du béryllium, à démissionner d’ITER en février 2020, après avoir tenté en vain de faire évoluer vers davantage de sécurité la conception des cellules où seront traités à la fois les poussières de béryllium irradié et le tritium radioactif. Et elle n’est pas la seule à se heurter ainsi à une sorte d’aveuglement qui semble caractériser le management de ce projet scientifique. Entendu le 28 février 2022 par la Commission de contrôle budgétaire du Parlement européen, l’ex-directeur de la communication d’ITER, Michel Claessens, s’est ainsi montré très critique, estimant, selon Reporterre, que « l’organisation ITER a instauré un mode de management par la peur », évoquant notamment le suicide, en 2021, d’un ingénieur italien de 38 ans au sein de l’agence Fusion 4 Energy qui coordonne le projet, ainsi qu’une tentative de suicide et deux décès par crise cardiaque sur le site même.

Un dessin signé Red (source © L’Âge de faire)

Ces accusations sont plutôt inquiétantes car elle mettent en avant un climat qui empêche toute tentative d’alerte de la part des experts de haut niveau qui interviennent sur ce site expérimental. Les interrogations portent en particulier sur l’étanchéité réelle du bouclier de protection situé autour du tokamak, dont l’efficacité serait moindre que prévu. Un point d’autant plus crucial que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a constaté, lors d’une inspection en juillet 2021, des falsifications portant sur les certifications des soudures effectuées sur la chambre à vide du réacteur. Fin janvier 2022, le journaliste américain Steven Krivit, révélait d’ailleurs que les travaux d’assemblage étaient interrompus à la demande de l’ASN qui jugeait que « la maîtrise de la limitation de l’exposition aux rayonnements ionisants, enjeu majeur pour une installation de fusion nucléaire », n’était pas démontrée.

Où l’on voit que les projets scientifiques, même les plus prometteurs et les plus collaboratifs, ne sont pas exempts de doute quant à la manière dont ils sont mis en œuvre…

L. V.