Archive for novembre 2020

L’Afrique va-t-elle perdre sa corne ?

30 novembre 2020

La corne de l’Afrique, c’est cet immense territoire qui s’étend au sud de la mer Rouge et du golfe d’Aden jusqu’à la côte ouest de la mer d’Arabie, englobant notamment l’Éthiopie et la Somalie, sous la forme d’une corne de rhinocéros ou d’une oreille de cheval qui viendrait surmonter une tête d’animal vue de profil. Ce sont les Britanniques qui auraient les premiers utilisé cette expression qui s’est généralisée tant l’image est frappante, même si le paléontologue français Yves Coppens préfère comparer cette excroissance de l’Afrique à une hanche : chacun ses références…

Vallée du rift en Ethiopie (photo © Philippe Goachet / Trésors du monde)

Cette région de l’Est africain évoque irrésistiblement pour le géologue la notion de rift qui en anglais signifie fissure ou crevasse. C’est le géologue écossais John Walter Gregory qui en 1893, visitant les régions situées plus au sud, du côté du Kenya, a popularisé cette appellation de Rift Valley en publiant en 1896 son récit d’exploration. Mais le géologue autrichien Eduard Suess avait déjà avant lui, dès 1891, reconnu dans la suite de dépressions bordées de hauts plateaux qui constituent la suite des grands lacs de l’Est africain, un système de fossés d’effondrement, dénommés graben en allemand, et dont on retrouve des formes comparables dans la plaine de la Limagne ou dans le fossé rhénan en Alsace.

Ce n’est donc pas d’hier que l’on sait que cette vaste zone qui s’étend en définitive de la mer Rouge jusqu’au Mozambique est en fait le siège d’une intense activité géologique qui se traduit par une ouverture progressive qui sépare peu à peu la corne de l’Afrique du reste du continent, selon un jeu de failles successives, qui se dédoublent dans sa partie centrale, mais qui courent depuis Djibouti jusqu’au canal de Mozambique, sur 3 000 km de longueur.

Carte du rift est-africain et des principales failles découpant le secteur (source © Le Rift est-africain)

Ce qu’on observe à cet endroit, ce sont les plaques continentales qui sont tout simplement en train de s’écarter les unes des autres selon une vaste déchirure tellurique en forme de Y. Les deux branches supérieures sont déjà largement ouvertes, séparant la plaque africaine de la plaque arabique via la mer Rouge et le golfe d’Aden, selon deux vastes dépressions déjà envahies par la mer dans la continuité de l’océan indien. Mais la branche inférieure qui part de ce point triple que constitue Djibouti et qui s’étend à travers les terres, pourrait aussi être un futur océan en formation dont on observe au jour le jour l’ouverture et qui est en train de préparer la scission entre la plaque africaine à l’ouest et la plaque somalienne à l’est…

Pour être honnête, le phénomène n’est pas nouveau puisqu’il a débuté il y a quelques 30 millions d’années, selon un mouvement d’ouverture latérale qui se produit à une vitesse moyenne de l’ordre de 1 à 2 cm par an, plus rapide d’ailleurs au nord qu’un sud. C’est cet écartement progressif qui a formé peu à peu ces immenses dépressions allongées que sont les grands lacs Malawi, Tanganyika, Kivu, Albert ou Turkana.

Vue satellite du lac Tanganyika (photo © Planet Observer / Getty Images / Peapix)

Le moteur de cette intense activité géophysique est bien connu puisqu’il s’agit des mouvements de convection qui se produisent dans le manteau terrestre sous l’effet de la chaleur émise dans le noyau par la désintégration des éléments radioactifs. Cette chaleur fait fondre ponctuellement le manteau qui s’évacue sous forme de lave au droit des volcans et des dorsales océaniques.

Ailleurs, le flux de chaleur se contente d’entretenir ces mouvements de convection qui poussent les plaques à se mouvoir les unes par rapport aux autres, ces plaques correspondant à la partie superficielle de la Terre, la plus froide et donc la plus cassante. La poussée du manteau chaud soulève la croûte terrestre, provoquant des bombements qui correspondent ici aux dômes d’Éthiopie, du Nyragongo où du Kenya, lesquels se fracturent et deviennent le siège d’activité volcanique avec des intrusions sous forme de dykes qui contribuent à fracturer et amincir la croûte continentale.

Lac de lave du volcan Erta Ale, très actif en Éthiopie (source © Aventure volcans)

Les phénomènes en jeu sont complexes et font encore l’objet de controverses scientifiques, certains estimant que le rift africain n’arrivera pas jusqu’à son terme en se transformant en zone de dorsale océanique du même type que celle qui traverse l’océan atlantique et coupe en deux l’Islande. Pour autant, l’activité tellurique reste très intense dans ce rift est-africain.

Lac Assal à Djibouti (source © Tripadvisor)

C’est le cas en particulier autour de la dépression Afar qui correspond à un point chaud par où se sont épanchées d’énormes quantités de laves, formant les hauts plateaux basaltiques éthiopiens, avant que ne s’ouvrent, il y a environ 20 millions d’années, la mer Rouge puis le golfe d’Aden qui se rejoignent progressivement, précisément à cet endroit. Tout laisse donc penser qu’un jour, dans quelques millions d’années peut-être, la dépression Afar sera à son tour envahie par les eaux de l’océan, d’autant qu’elle comprend des points particulièrement bas, au niveau du lac Assal qui se trouve à 153 m sous le niveau de la mer.

Faille de Dabbahu apparue en 2005 dans le triangle d’Afar dans le sillage d’une éruption volcanique (photo © Rupert Smith / Revue Horizons)

Des failles apparaissent régulièrement dans cette partie éthiopienne du rift, comme cela a notamment été le cas en 2005, généralement à la suite d’éruptions volcaniques, les remontées de magma dans cette zone où la croûte terrestre est amincie et fortement disloquée, contribuant à ces mouvements qui s’accompagnent d’une activité sismique plus ou moins intense. Une activité d’autant mieux étudiée que l’on cherche désormais à tirer profit de ces sources chaudes, deux centrales géothermiques étant déjà en fonctionnement en Éthiopie.

Cette hantise de voir un jour la corne de l’Afrique se détacher totalement du reste du continent africain fait même voir des ouvertures de failles un peu partout comme cette crevasse spectaculaire qui s’est ouverte le 18 mars 2018 au sud-ouest du Kenya, coupant en deux la route commerciale qui relie les villes de Maai Mahiu et de Narok, à l’ouest de Nairobi.

Vue aérienne de la crevasse spectaculaire qui a coupé la route de Narok en mars 2018 (source © The weather channel)

Atteignant une quinzaine de mètres de profondeur et jusqu’à 20 m de largeur, cette fracture colossale qui se prolonge sur plusieurs kilomètres de long, a suscité de nombreuses inquiétudes, même si tout laisse à penser qu’il ne s’agit que d’une ravine comme il en apparaît régulièrement dans ce type de matériaux sous l’effet de fortes pluies. Ce n’est pas demain que l’autoroute vers Nairobi sera rendue impraticable par le déferlement impétueux des flots de la mer Rouge, s’écoulant depuis Djibouti, mais un jour peut-être…

L. V.

Aide au développement : le compte n’y est pas

28 novembre 2020

Le 24 octobre 1970, il y a tout juste 50 ans, dans un bel élan de générosité, l’ensemble des pays industrialisés s’engageaient à consacrer, au plus tard à partir de 1975, 0,7 % de leur revenu national brut à l’aide internationale au développement en faveur des pays les plus pauvres de la Planète. Un engagement consigné dans une résolution des Nations-Unies et qui ne pouvait que susciter un formidable espoir : on allait enfin pouvoir dégager les fonds nécessaires pour aider les pays les moins avancés à scolariser leur population et mettre à disposition du plus grand nombre l’accès à l’eau potable, à l’assainissement, à des dispositifs de santé plus efficaces. De quoi voir enfin reculer la pauvreté dans le monde et peut-être réduire ces inégalités criantes qui ne peuvent qu’être sources de tensions et d’émigration.

La pauvreté dans le monde, une réalité toujours vivace, ici sur les trottoirs de Manille… (photo © Noël Cellis / AFP / Le Devoir)

A l’époque, les débats étaient homériques sur la manière de fixer ce montant, même si cet objectif de solidarité faisait globalement l’objet d’un consensus. Dès 1958, le Conseil œcuménique des églises avait ainsi considéré qu’une répartition plus juste des richesses mondiales exigeait que les pays les plus développés accordent au moins 1 % de leur revenu aux pays les moins avancés. En 1969, le rapport de la commission Pearson, avait calculé pour sa part qu’il fallait investir de l’ordre de 8 milliards de dollars pour faciliter la convergence des économies, ce qui représentait de l’ordre de 0,62 % du PIB des pays membres de l’OCDE, d’où ce chiffre de 0,7 % du PNB des pays riches qui a été retenu comme objectif, en partant de l’hypothèse que l’aide publique au développement représente environ les trois quart des flux de capitaux dirigés des pays les plus riches vers les plus pauvres.

Un dessin signé Damien Glez (source © Ici Abidjan)

Cinquante ans plus tard et bien que cette cible ait été inlassablement rappelée, y compris dans les Objectifs du Millénaire par l’ONU en 2000, force est malheureusement de constater qu’on est loin du compte… Seuls cinq pays dans le monde ont respecté durablement leur engagement. Selon les chiffres de l’OCDE, en 2019, le Luxembourg était ainsi en tête des pays les plus généreux avec un peu plus de 1 % de son revenu annuel brut consacré effectivement à l’aide internationale au développement après avoir atteint la barre des 0,7 % en 2000. Il est suivi de très près par deux pays scandinaves, la Norvège et la Suède, ainsi que par le Danemark, ces trois nations étant les seules à respecter leur engagement dans la durée, depuis la deuxième moitié des années 1970. Un dernier pays européens frôle la barre fatidique des 0,7 %. Il s’agit contre toute attente, du Royaume-Uni qui s’est hissé à cette place en 2013 après une intense campagne de mobilisation citoyenne qui a fini par être entendue.

La France tout juste dans la moyenne des donateurs en 2018 en proportion de son revenu national brut (source © Ministère de l’économie)

A côté, la France est vraiment à la traîne avec une aide publique au développement qui ne dépasse pas 0,44 % de son revenu national brut, même si elle est le cinquième contributeur mondial, avec un montant d’un peu plus de 10 milliards d’euros, derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon. La comparaison avec nos voisins britanniques n’est de ce point de vue guère flatteuse pour la France car les deux pays présentent un niveau de richesse très comparable. Emmanuel Macron s’était d’ailleurs engagé en août 2017 à porter cette part à 0,55 % d’ici 2022, mais c’était avant la crise sanitaire…

Force est en tout cas de constater que la France est toujours restée très en deçà des objectifs qu’elle s’était elle-même fixée à l’unisson des autres pays riches. En 2010, sa part du revenu annuel brut consacrée à l’aide publique au développement avait ainsi atteint un sommet en frôlant la barre des 0,5 %, mais pour retomber à 0,37 % dès 2014 ! Et en tout état de cause, les montants consacrés à cette aide n’ont que très rarement dépassé les 10 milliards d’euros par an depuis une quinzaine d’année. C’est deux fois moins que nos voisins britanniques ou allemands et trois à quatre fois mois que les États-Unis.

Evolution de l’aide publique au développement de la France depuis 2008 (source © Ministère de l’économie)

Et encore, la France a souvent été accusée d’intégrer dans ses calculs et pour gonfler artificiellement les chiffres, les montants qu’elle investit dans ses propres territoires d’outre-mer… Même les bourses accordées aux étudiants étrangers qui viennent étudier en France y sont comptabilisées ! Une pratique qui n’est d’ailleurs pas isolée puisque l’Allemagne, qui intègre dans ses calculs l’aide qu’elle verse sur son sol aux réfugiés étrangers, est ainsi devenue la principale bénéficiaire de sa propre aide au développement !

Le montant global de l’aide publique mondiale au développement tel qu’il est calculé par l’OCDE, ne concerne finalement qu’une petite trentaine de pays et n’intègre donc pas les montants importants qui sont accordés, sous forme de prêts ou de dons par des partenaires comme la Chine, pourtant fortement investie dans les économies de nombreux pays africains notamment. De fait, on considère désormais que l’aide publique au développement ne représente plus qu’un tiers des flux de capitaux qui bénéficient aux pays les plus pauvres, alors que c’était les trois-quarts dans les années 1960.

En 2018, l’aide publique au développement pour l’ensemble des pays donateurs de l’OCDE s’élevait ainsi à 153 milliards de dollars, soit moins que la fortune personnelle de l’homme considéré comme le plus riche du Monde, Jeff Bezos… Un chiffre qui paraît important, très supérieur aux 8 à 10 milliards qui étaient attendus dans les années 1960, mais les apparence sont trompeuses car les 8,6 milliards de dollars calculés en 1963 représentaient de l’ordre de 200 milliards de dollars en 2003. Il est donc paradoxal de constater que l’aide publique au développement augmente d’année en année (en 2011 l’OCDE considérait ainsi que son volume avait été multiplié par 3 entre 1960 et 2010), tout en traduisant une baisse globale de la part du revenu consacré par les pays riches à cette aide. Les pays développés, bien que de plus en plus riches sont globalement de moins en moins partageurs, même si leur obole augmente…

Evolution des montants de l’aide publique mondiale au développement entre 1960 et 2010 (source © OCDE 2011 / Thèse Miriam Cué Rio, 2013)

C’est ce qui explique que l’Oxfam a récemment calculé dans un rapport publié en octobre 2020 que la dette cumulée depuis 1970 par l’ensemble des pays riches qui n’ont pas tenu leur promesse de verser 0,7 % de leur revenu annuel brut en aide publique au développement représentait le montant colossal de 5 000 milliards d’euros, dont 200 milliards rien que pour la France !

L’éducation, une arme pour le développement : dans une école de Dakar en 2018 (photo ©
Seyllou / AFP / Le Monde)

Un manque à gagner qui freine considérablement le développement de ces pays et incite les populations à venir tenter leur chance en émigrant ailleurs. Pourtant, comme le souligne Oxfam, il suffirait de 520 milliards d’euros supplémentaires pour permettre de scolariser la totalité des enfants du monde dans le primaire et dans le secondaire pendant 15 ans : de quoi permettre aux pays les moins avancés de connaître un véritable décollage économique et d’assurer à leurs population un avenir bien plus enviable…

L. V.

Calculs d’État : M. Thiers et ses trois moitiés

25 novembre 2020

Les frasques sexuelles extraconjugales de nos dirigeants politiques ont toujours beaucoup amusé le commun des mortels. A se demander même si ce n’est pas leur principale fonction. On se souvient de celles de François Mitterrand qui a entretenu pendant 32 ans une liaison régulière avec sa maîtresse Anne Pingeot, y compris pendant les 14 années passées à l’Élysée, au cours desquelles Anne Pingeot et leur fille Mazarine ont bénéficié d’un logement attribué par l’État, quai Branly, dans lequel les deux amants se retrouvaient presque quotidiennement. Des policiers étaient même affectés à la sécurité de la seconde famille cachée du Président, chargés chaque matin de suivre discrètement Anne Pingeot en vélo lorsqu’elle se rendait au musée du Quai d’Orsay où elle exerçait son travail de conservateur.

Anne Pingeot et François Mitterrand en 1986 (photo © AFP / L’Internaute)

Sans même parler des déboires exposés à la face du monde entier d’un Bill Clinton ou d’un Dominique Strauss-Kahn, on ne peut s’empêcher de penser aux amours tumultueuses d’un Nicolas Sarkozy, arrivé au pouvoir suprême encore marié à Cécilia Ciganer-Albéniz, avec qui il avait longtemps entretenu une liaison adultère et dont il divorça peu après, sous le regard des médias qui lui prêtent alors de nombreuses autres conquêtes avant qu’il ne finisse par épouser Carla Bruni.

Et voila que la presse à scandale évoque de nouveau les incartades de son successeur à Élysée, François Hollande, déjà séparé de la mère de ses enfants, Ségolène Royal lorsqu’il est élu Président de la République en 2012. Alors en couple avec Valérie Trierweiler, dont il clame qu’elle est la femme de sa vie, il ne faudra guère attendre pour que les médias révèlent au grand jour, en janvier 2014, l’idylle nouée avec l’actrice Julie Gayet. Les photos du Président quittant son domicile au petit jour sur un scooter ont fait le tour du monde et suscité plus d’une moquerie. Ce qui n’empêche par les médias de bruire désormais de nouvelles rumeurs laissant entendre que l’ex Président serait tombé sous le charme d’une nouvelle femme, la danseuse Juliette Gernez : on ne prête décidément qu’aux riches !

Le Président François Hollande en une de Closer pour ses incartades amoureuses (source © France TV Info)

Mais ces frasques polissonnes de nos récents Présidents de la République n’ont rien de nouveau. Chacun a appris en cours d’histoire celles du bon Félix Faure, élu à cette fonction en janvier 1895 et qui y est décédé en pleine action le 16 février 1899, dans les bras de sa maîtresse Marguerite Steinheil. Resté dans les annales davantage pour sa mort controversée que pour son mandat présidentiel marqué pourtant par la fameuse affaire Dreyfus, Félix Faure n’arrive pour autant pas à la cheville de l’un de ses prédécesseurs, l’avocat marseillais Adolphe Thiers qui devint, en août 1871, le premier Président de la Troisième République.

Adolphe Thiers (source © Contrepoints)

L’homme n’est pas spécialement réputé pour sa bienveillance ni sa probité, mais plutôt pour son ambition débordante et ses idées conservatrices. Ministre de l’Intérieur de Louis-Philippe, il réprime dans le sang la seconde Révolte des canuts lyonnais en 1834. Dans les années 1840, il s’oppose de toutes ses forces, comme député, à la légalisation des syndicats ouvriers et à l’extension du droit du travail. Élu chef du gouvernement en février 1871, à l’issue d’une campagne sous contrôle des troupes d’occupation prussiennes, Adolphe Thiers provoque lui-même le soulèvement populaire de la Commune en ordonnant à ses troupes de venir reprendre les canons de Belleville, puis organise depuis Versailles la répression sanglante qui se soldera par plusieurs dizaines de milliers de morts, d’exécutions extrajudiciaires et de déportations.

Les massacres de la Commune (dessin © Jacques Tardi – Le Cri du Peuple / Rebellyon)

Georges Clémenceau le décrit d’ailleurs comme « le type même du bourgeois cruel et borné, qui s’enfonce sans broncher dans le sang ». Un portrait peu flatteur mais qui n’est rien en regard de l’image qu’il a laissé de sa vie familiale dont les particularités ont fait le bonheur des chansonniers, des années durant. En 1827 en effet, alors que le jeune Adolphe Thiers n’a que 30 ans, il se lie d’amitié avec la famille d’Alexis Dosne, agent de change et Régent de la Banque de France, propriétaire d’un château dans les Yvelines, dans lequel celui qui n’est alors que journaliste, prend ses quartiers.

En réalité, Thiers est surtout amoureux de la femme de son hôte, Eurydice, qui est devenue sa maîtresse attitrée et qui se fait d’ailleurs appeler plutôt Sophie, on se demande bien pourquoi… Une passion qui durera jusqu’à la mort de cette dernière en 1869. Mais le jeune Adolphe Thiers a les idées larges et pour rester près de son amante n’hésite pas à se marier à la fille de cette dernière. Eulalie n’a que 15 ans lorsqu’elle épouse en 1833 l’amant de sa mère. Et le trio amoureux finit en quatuor car l’insatiable Thiers s’entiche également de la petite sœur, Félicie, une passion qui durera jusqu’à la mort de Thiers en 1877.

Elise Thiers, la jeune épouse du Président, en 1850, peinture de F. Winterhalter (source © Fondation Dosne-Thiers / Neuf Histoire)

En 1871, lorsque Adolphe Thiers s’installe à Versailles comme chef du gouvernement, avant d’être élu Président de la République quelques mois plus tard, sa maîtresse en titre Eurydice vient de décéder, mais celle qui est devenue son épouse légitime ainsi que sa sœur Félicie habitent toutes les deux sous le même toit. Une situation pour le moins insolite d’un homme politique en vue, cohabitant ainsi avec trois femmes, épouse ou maîtresses, mère et filles, au point que l’on évoque alors ouvertement « M. Thiers et ses trois moitiés »… Finalement, nos hommes politiques actuels ne font que suivre les traces de leurs prédécesseurs !

L. V.

Pendant la crise, les guerres continuent…

23 novembre 2020

La France comme le reste du Monde est polarisée depuis des mois sur cette crise sanitaire qui paralyse son activité, délite peu à peu son économie et sape le moral de ses habitants, menacés de déprime, même si le second pic de l’épidémie semble désormais passé ou sur le point de l’être sur notre territoire national. Une situation qui mobilise toute notre attention et celle de nos médias, à peine distraite par la récente élection présidentielle américaine, les déboires du Liban ou les frictions avec notre turbulent voisin turc.

Et pourtant, pendant ce temps-là, on continue allégrement à s’entre-tuer de par le monde, sans même que cela ne vienne troubler les informations télévisées de notre JT quotidien. Certes, nul ne peut ignorer les développements du conflit armé qui a repris fin septembre 2020 dans la région du Haut-Karabakh, à l’initiative de l’Azerbaïdjan, ouvertement soutenu par la Turquie, et qui a permis à ce pays de reprendre la majeure partie du territoire conquis par l’Arménie voisine en 1991 jusqu’à ce que le Russe Vladimir Poutine ne vienne finalement siffler la fin de la partie en imposant, le 9 novembre 2020, un cessez-le-feu. Aussitôt qualifié de « capitulation » par l’Azerbaïdjan triomphant, cet arrêt des combats permet de fait d’acter la supériorité militaire incontestable de l’Azerbaïdjan et de son allié turc tout en figeant la situation avant qu’elle ne tourne à la catastrophe pour l’Arménie.

Combat d’artillerie dans le Haut-Karabagh (photo © Aris Messinis / AFP / Républicain Lorrain)

Mais ce conflit encore tout chaud du Haut-Karabagh, qui aurait fait pas loin de 5 000 morts et qu’on espère désormais clos, cache une multitude d’autres conflits armés dans le monde, dont certains perdurent depuis des décennies et qui ont plus ou moins disparu des radars de notre actualité quotidienne. A titre indicatif, Wikipédia recense à ce jour pas moins de 37 guerres en cours actuellement sur la planète et qui font chacune plus de 1 000 morts par an !

Le chiffre peut surprendre et, de fait, ce décompte est par nature sujet à caution, la notion même de conflit armé étant parfois bien difficile à caractériser car la frontière peut être discutable entre ce qui relève d’une crise politique interne voire d’un climat de révolte sociale, et ce qu’on peut considérer comme une guerre civile armée, un conflit inter-éthnique, un différent territorial ou une action terroriste concertée de déstabilisation. Tous les critères pour qualifier chacun de ces conflits comme une véritable guerre peuvent donc être discutés. Il n’en demeure pas moins que, parmi ces 37 conflits ainsi identifiés, 14 sont considérés comme faisant plus de 10 000 morts par an, soit plus du double donc de celui du Haut-Karabagh.

Militaires éthiopiens en déplacement vers les zones de combat au Tigré (photo © Reuters / JDD)

Et encore ne compte-on pas dans cette liste de 14 conflits majeurs celui dont la presse commence à se préoccuper et qui oppose le gouvernement fédéral éthiopien au Front de libération du peuple du Tigré. Un conflit qui trouve sa source dans la politique menée par l’actuel Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, arrivé au pouvoir en avril 2018 et qui a été honoré du Prix Nobel de la Paix en octobre 2019 pour avoir mis fin au conflit armé qui opposait son pays à l’Érythrée voisine. Les Tigréens, qui ne représentent que 6 % de la population mais bénéficiaient jusque-là d’une importante représentation politique, se sentant marginalisés par la politique actuelle du Premier ministre ont lancé l’offensive le 4 novembre contre l’armée régulière et l’on parle déjà de plusieurs centaines de morts, de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés et de plus de 2 millions d’enfants nécessitant une assistance humanitaire…

Démonstration de force de talibans dans un village afghan en mars 2020 (photo ©
AFP / Libération)

Certes, tous ces conflits recensés évoluent dans le temps avec des périodes de relative accalmie et des pics d’activité plus meurtriers. C’est le cas de la guerre d’Afghanistan qui dure quand même, rappelons-le, au moins depuis 2015 (et bien davantage s’il l’on souhaite remonter à l’invasion russe de 1979 !). Depuis cette date, qui correspond au retrait de la Force internationale d’assistance de sécurité, le conflit qui oppose les talibans et autres groupes islamistes insurgés aux forces de la République islamique d’Afghanistan, auraient déjà fait plus de 80 000 morts dont un très grand nombre de civils, tués par l’un ou l’autre camp…

Membres d’une milice antigouvernementale au Darfour en 2004 (photo ©
Minkoh Desirey / AFP / Getty image / Ici Radio Canada)

La guerre du Darfour qui sévit dans l’ouest du Soudan depuis février 2003 fait aussi partie de ces conflits qui s’enkystent puisqu’elle fait suite à un premier épisode qui avait débuté en 1987. La baisse d’intensité est effective depuis quelques années, le nouveau gouvernement soudanais mis en place en 2019 après le renversement de l’autocrate Omar el-Béchir, ayant entamé en octobre 2019 des pourparlers de paix avec des groupes rebelles. Mais en juillet 2020, plusieurs attaques violentes ont encore fait des dizaines de morts, le dernier en date ayant vu 500 hommes armés prendre d’assaut un village du Darfour occidental où 60 personnes ont trouvé la mort et 54 autres ont été blessées.

Bombardement dans la Ghouta orientale en 2018 en Syrie (photo © Reuters / TDG)

Comment ne pas citer également la guerre civile qui fait rage en Syrie depuis 2011, largement attisée par le jeux des puissances étrangères, dont la coalition menée par les États Unis qui y est intervenue à partir de 2014 à la suite de l’organisation salafiste Daech. Depuis 2011, on estime à plus de 500 000 le nombre de victimes occasionnées par ce conflit largement internationalisé qui a entraîné le déplacement de près de la moitié de la population du pays, un quart des Syriens ayant même choisi de fuir la Syrie.

Des habitants creusent des tombes pour enterrer des enfants tués dans le bombardement de leur bus scolaire à Dahyan, au Yémen en août 2018 (photo © AFP / France 24)

Difficile également de ne pas évoquer la guerre civile qui fait rage depuis 2014 au Yémen et aurait déjà fait plus de 100 000 morts. Opposant initialement des rebelles chiites houthis aux forces armées du gouvernement mis en place en 2012 suite au départ du Président Saleh, le conflit s’est là aussi rapidement internationalisé avec l’entrée en lice, depuis mars 2015, d’une coalition armée sunnite menée par l’Arabie saoudite avec l’appui de l’Égypte, du Soudan et du Maroc, tandis que l’Iran mais aussi la Corée du Nord soutiennent activement le camp houthis.

On pourrait égrener ainsi pendant des heures cette liste interminable de conflits ouverts depuis parfois des décennies et qui menacent la vie quotidienne de millions de personnes à travers le monde. Certains sont relativement récents comme la crise des Rohingyas, dans l’État d’Arakan en Birmanie, surtout actif depuis octobre 2016, ou comme le dernière guerre civile qui fait rage en Libye depuis 2014.

Garde frontière birman surveillant des réfugiés Rohingyas à la frontière avec le Bangladesh (photo © Nyen Chan Naing / EPA / La Roche sur Yon)

D’autres s’enlisent depuis plusieurs générations, à l’image de l’insurrection Moro aux Philippines qui oppose depuis 1969 les forces gouvernementales à des groupes armés indépendantistes islamistes, même si la situation semble plus calme depuis 2017. Certains semblent au contraire s’intensifier d’année en année, telle l’insurrection du groupe djihadiste Boko Haram, née en 2009 dans le nord du Nigéria et qui depuis 2015 a largement étendu ses coups de force au Cameroun, puis au Tchad et au Niger. En mars 2020, plus de 200 soldats tchadiens ont ainsi trouvé la mort à l’issue de deux attaques suivies d’une vaste contre-offensive de l’armée qui revendique un millier de mort dans les rangs djihadistes.

Il n’y a décidément pas que le virus SARS-CoV-2 qui tue actuellement dans le monde entier…

L. V.

Mais où sont les motocrottes d’antan ?

21 novembre 2020

On se plaint souvent que le journalisme d’investigation serait en voie de disparition, effacé au profit de médias racoleurs, versant dans le sensationnel et le superficiel. Le journaliste à l’ancienne, qui prend le temps de fouiller dans les archives, d’interroger les témoins, de croiser ses sources et de remonter pas à pas le fil de ses enquêtes, creusant sans relâche sous la surface des choses pour débusquer, sinon la Vérité, du moins des convictions : tout cela serait-il en train de s’effacer dans un monde qui ne vibre plus qu’à l’immédiateté, où le seul enjeu qui vaille est de sortir l’information plus vite que les autres et de l’exprimer en le moins de mots possible pour que chacun puisse en prendre connaissance avant tout le monde ?

Le journaliste David Castello Lopes au micro d’Europe 1 (source © Europe 1)

Heureusement, il existe encore de véritables journalistes d’investigation, capables comme David Castello-Lopes, de creuser à fond un sujet en remontant dans le temps pour bien en saisir toute la genèse et l’évolution. Responsable du développement des nouveaux formats audiovisuels pour Le Monde (tout un programme), il est aussi réalisateur de la série « Depuis quand » sur Canal +, une chronique savoureuse sur l’origine des objets, des tics de langage et des mots. Et il anime également une chronique intitulée « Les origines », dans l’émission « Historiquement votre », diffusée sur Europe1, dans laquelle il s’interroge avec délectation sur les raisons qui ont conduit à créer tel ou tel produit ou objet de notre quotidien.

Son goût immodéré de savoir et sa soif inextinguible de connaissance qui le poussent ainsi à s’interroger sur l’origine des choses l’a ainsi conduit à mener l’enquête afin de répondre à la question existentielle suivante : « Pourquoi les motocrottes parisiennes ont-elles disparu ? ». Une question qui n’est pas si futile qu’il n’y paraît. Chacun se souvient en effet de ces motos rutilantes peintes en vert et blanc, imaginées et mises en œuvre par le maire de Paris d’alors, un certain Jacques Chirac, sous forme d’une force de frappe moderne, rapide et efficace, destinée à se déployer sur les trottoirs de la capitale pour y faire disparaître en un tour de main les déjections canines en train de devenir le fléau des villes modernes.

Une motocrotte en action à Paris (source © Paris zigzag)

Ces motos, des Yamaha XT 250, avaient subi une profonde transformation pour les métamorphoser en engins futuristes d’une technicité redoutable avec leur bras articulé muni d’un aspirateur avec brosse ultra-rapide, leur réservoir embarqué destiné à servir de réceptacle pour étrons canins et leur seau d’eau propre pour rincer la chaussée après usage. De vrais petits bijoux de technologie, enfourchés par des pilotes émérites tout de vert vêtus, écologistes avant l’heure et qui pourchassaient la crotte de chien à longueur de trottoir.

Il faut dire que Jacques Chirac jouait là sa crédibilité de grand élu de la Nation, lui qui après avoir démissionné en 1976 de son poste de premier ministre et qui, bien que député de la Corrèze, s’était lancé à la conquête du fauteuil de maire de la capitale, un poste qui n’avait pas été pourvu depuis plus d’un siècle et qu’il remporta (de justesse) en mars 1977 après avoir axé l’essentiel de sa campagne sur le thème de la propreté en ville et de la résorption des quelques 20 tonnes de déjections canines qui finissent, bon an mal an, dans les rues de la capitale.

Jacques Chirac, élu maire de Paris en mars 1977 (photo © Henri Bureau / Sygma / Corbis / Getty / Le Parisien)

Les motocrottes, mises au point avec l’aide de l’incontournable Jean-Claude Decaux, l’ami intime de tout maire qui se respecte, constituent donc l’arme la plus aboutie qui soit pour mener cette guerre de reconquête contre les déjections canines qui empoisonnent la vie du promeneur parisien. Les habitants de la capitale ne s’y trompent pas, d’ailleurs, eux qui rebaptisent spontanément ces aspirateur à caca montés sur deux roues des « chiraclettes »…

Dans les années 1980, ces engins redoutables et bien visibles sont partout dans les rues de Paris, pour traquer le moindre étron intrus. Une tâche pas si facile qu’il n’y paraît et qui demande du doigté de la part du chauffeur, lequel doit positionner son aspirateur parfaitement à l’aplomb de la crotte rebelle pour bien la gober sans l’étaler. Tout un art qui fait que les candidats ne se bousculent pas pour conduire des engins aussi voyants pour mener à bien une tâche répétitive et exigeant beaucoup de concentration tout en s’attirant les quolibets de certains malappris.

La chiraclette en action, pas si facile d’usage qu’il n’y paraît… (photo © Mairie de Paris / Le Monde)

Quand le socialiste Bertrand Delanoë est élu maire de Paris en mars 2001, environ 120 motocrottes sillonnent encore les rues de la capitale. Mais la nouvelle équipe municipale se rend vite compte que cette belle opération de communication est en réalité un gouffre financier. Le dispositif coûte en effet à lui seul pas moins de 4,5 millions d’euros par an. L’écologiste Yves Contassot, devenu adjoint au maire en charge de l’environnement et de la propreté urbaine, calcule que cela revient à 12 € le kilo de caca ramassé !

Après les motocrottes, une nouvelle invention plus légère, mobile et écologique, qui reste néanmoins à tester (source © Retrouvailles 24)

Le 11 avril 2002 à minuit, l’heure du crime, un des deux hangars dans lesquels sont entreposées les précieuses motocrottes s’embrase mystérieusement et 64 engins sont réduits en cendre. Le coup est rude pour la brigade de nettoyage motorisée patiemment formée entretenue par les anciennes équipes chiraquiennes. C’est alors le coup de grâce et en 2004, la dernière motocrotte encore en action ramasse son dernier étron avant de filer dans les oubliettes de l’Histoire.

Distributeur de sacs pour déjections canine à Paris en 2001 (source © La Dépêche)

A leur place, une toute autre stratégie a été mise en place par la nouvelle municipalité : une amende de 150 € pour tout propriétaire de chien qui ne ramasserait pas les déjections de son animal familier, malencontreusement oubliées sur la voie publique. C’est beaucoup moins spectaculaire et l’effet en termes de communication électorale est sans commune mesure, mais c’est redoutablement efficace et nettement moins coûteux pour la collectivité !

Encore une fausse bonne idée dont on aurait peut-être pu faire l’économie d’un test en vraie grandeur aux frais du contribuable…

L. V.

De l’instruction civique à l’enseignement moral et civique

19 novembre 2020

L’assassinat de Samuel Paty, professeur d’Histoire-Géographie, perpétré après un cours d’’éducation morale et civique (EMC) portant sur la liberté d’expression dans un Etat laïc, a ébranlé la communauté éducative et l’ensemble des français attachés aux valeurs de la République.

Comment peut-on en venir à tuer un professeur qui n’a fait qu’assurer sa mission ?

La formation scolaire en France comporte quelques disciplines et enseignements qui sont le fruit de son histoire. Ainsi, l’enseignement de la philosophie, s’il ne constitue pas une exception au regard d’autres pays, diffère par sa conception basée sur la réflexion personnelle alors qu’ailleurs ce sont les cours d’histoire des idées et de religion qui tendent à remplacer la philosophie, celle aux questions existentielles que nous connaissons. C’est là un des héritages des Lumières. L’éducation morale et civique constitue aussi une spécificité française. Il nous semble alors nécessaire de réfléchir aux raisons qui ont conduit le législateur français à instaurer un enseignement moral et civique.

Cours au collège (photo © Damien Meyer / AFP / France TV info)

Les plus anciens se remémorent qu’à l’école primaire, chaque matinée de classe débutait par une séquence de morale initiée par une phrase écrite au tableau noir du type : « Tous les membres d’une famille ont des devoirs les uns envers les autres. Ils doivent s’assister mutuellement. » Cette séquence de quinze minutes permettait dans l’échange de faire émerger des expériences personnelles qui donnaient sens à un principe ou une maxime qui était ensuite recopié sur le cahier du jour. Cela participait de la constitution de repères civiques et moraux transposables dans la vie de chacun pour faire société.

Qu’indiquent les programmes actuels ?

L’objectif de l’enseignement moral et civique est d’associer dans un même mouvement la formation du futur citoyen et la formation de sa raison critique. Ainsi l’élève acquiert-il une conscience morale lui permettant de comprendre, de respecter et de partager des valeurs humanistes de solidarité, de respect et de responsabilité.

Avant d’aborder l’étude de l’Instruction civique devenue enseignement moral et civique, on peut d’abord remarquer la présence successive des substantifs Instruction, Education et enfin Enseignement pour nommer cette formation. Nous constaterons que le vocable a évolué dans le temps, tout comme celui du ministère en charge de la formation des élèves.

Pourquoi instaurer un tel enseignement  en France ?

Pour répondre à cette question, voyons d’abord les bases sur lesquelles s’est construite l’Instruction publique devenue Éducation nationale ….

Comme le note Pierre-Eugène Muller dans un article paru en 1999 et intitulé Les mots en politique et plus précisément au chapitre De l’Instruction publique à l’Education nationale, il faut remonter au XVIIIème siècle pour trouver l’expression « éducation nationale ». Elle appartient au titre d’un ouvrage de Caradeuc de La Choletais (1701-1785), procureur général au parlement de Rennes qui publie en 1763 un Essai d’éducation nationale et explique ainsi son projet : «  Je prétends revendiquer pour la nation une éducation qui ne dépende que de l’Etat, parce qu’elle lui appartient essentiellement ; parce que toute nation a un droit inaliénable et imprescriptible d’instruire ses membres ; parce qu’enfin les enfants de l’Etat doivent être élevés par des membres de l’Etat ». Pour l’auteur, il s’agit de réagir contre la mainmise du clergé sur l’enseignement. Les lois Ferry des années 1880 entérineront ce choix avec le vocable Instruction publique.

En 1932, le gouvernement d’Édouard Herriot décide de rebaptiser l’instruction publique « éducation nationale ». Cette dénomination sera remise en cause pendant les premiers mois du gouvernement de Vichy, où l’instruction publique fait sa réapparition, mais l’appellation « éducation nationale » sera rétablie dès le 23 février 1941. Elle avait d’ailleurs été conservée à Londres, puis à Alger, par les gouvernements du général De Gaulle. Depuis, elle perdure.

puis à partir de quelques repères historiques et pédagogiques comment cet enseignement s’est progressivement installé et comment il a évolué.

Dans le rapport du séminaire national des doyens des groupes (disciplinaires) de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale d’avril 2015 consacré à Valeurs de la République et Laïcité, les grandes étapes de la formation civique des élèves sont rappelées.

« La Révolution française affiche sa volonté, dès la Constituante, d’instaurer un enseignement à caractère civique, c’est-à-dire de développer une éducation morale et sociale se substituant à l’éducation religieuse, dans un contexte de lutte entre l’Église et l’État républicain » (projet Talleyrand, 1791). Mais ce projet n’aboutit pas et il faut attendre presque un siècle pour que soit instaurée une instruction civique.

IIIème République : Affirmer le caractère laïc de l’Instruction publique

Les années 1880 sont marquées par des changements fondamentaux dans le système éducatif français, changements essentiellement portés, du moins au début, par Jules Ferry et son principal conseiller Ferdinand Buisson. Les lois Ferry  qui rendent l’école laïque, obligatoire et gratuite sont l’aboutissement d’un mouvement de laïcisation de l’école. Ainsi, Paul Bert affirme en 1880 sa volonté de remplacer l’enseignement religieux par l’éducation civique en disant: « c’est notre église laïque à nous, où l’on enseigne des vérités scientifiques et démontrables où l’on enseigne les vertus civiques et la religion de la Patrie ». La laïcité, proclamée dès 1881 avec la suppression de l’éducation religieuse dans l’enseignement public, est renforcée par la loi Goblet (1886), qui interdit aux religieux d’enseigner dans le public. La laïcité ne fut toutefois pas appliquée à l’Alsace et la Moselle, annexées en 1871 à l’empire allemand.

L’école d’autrefois…(source © Manuels anciens)

Cette instauration de la morale laïque dans des ouvrages scolaires souvent écrits par des libre penseurs indigne les catholiques français et va déclencher en 1882 la première guerre des manuels à la suite à la mise à l’Index de quatre livres scolaires.

Les maîtres, que l’on nomme  « Hussards noirs de la République » sont les figures emblématiques de cette époque. Ces instituteurs, souvent d’origine modeste, inculquent aux écoliers les valeurs de la République par l’enseignement de l’histoire, de la morale et de l’instruction civique.

La loi du 28 mars 1882 met en place « l’instruction morale et civique », qui remplace « l’instruction morale et religieuse » prévue par la loi Guizot de 1833. Il s’agit donc à la fois de laïciser les programmes et d’asseoir la citoyenneté républicaine.

Manuel d’instruction civique datant de 1881 (photo © M. Motré)

Les Instructions de 1887 précisent le but et le caractère de l’enseignement de la morale. « L’enseignement moral est destiné à compléter et à relier, à relever et à ennoblir tous les enseignements de l’école. Tandis que les autres études développent chacune un ordre spécial d’aptitudes et de connaissances utiles, celle-ci tend à développer dans l’homme, l’homme lui-même, c’est-à-dire un cœur, une intelligence, une conscience ». A l’école primaire surtout, ce n’est pas une science, c’est un art, l’art d’incliner la volonté libre vers le bien. »

Plus loin, il est précisé que l’enseignement moral laïc se distingue donc de l’enseignement religieux sans le contredire. Cet enseignement doit insister sur les devoirs qui rapprochent les hommes et non sur les dogmes qui les divisent. Le caractère concret de l’enseignement moral est recommandé. Suite à la Loi de 1905 de séparation des églises et de l’État ces principes se trouveront renforcés..

Les instructions données aux enseignants du premier degré en 1923 reprennent en les développant ces principes qui fonderont l’instruction civique et morale jusqu’en 1940.

IVème République : Affermir la cohésion de la Nation

L’inspecteur général d’histoire-géographie Louis François porte en 1945 l’introduction de l’instruction civique dans le second degré : cette extension est fille de la Résistance.

Vème République : de Connaitre le fonctionnement de l’État et de ses services à Renforcer la compréhension et la pratique des valeurs de la République, Liberté, Egalité, Fraternité et Laïcité dans l’Education Nationale

Comme le décrit le rapport des inspecteurs généraux, « la réforme Haby, qui met en place en 1975 le collège unique, remplace l’instruction civique, fort délaissée dans les années 1960 (car limitée à des contenus descriptifs et essentiellement administratifs) par un « enseignement d’initiation à la vie économique et sociale » qui se développe autour de grands thèmes, mais n’est plus un enseignement séparé muni d’un programme. »

Les programmes scolaires en collège de 1965 (source © Ministère de l’éducation nationale)

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, l’interrogation sur le modèle républicain aboutit en 1985 (avec le ministre Jean-Pierre Chevènement) « à l’introduction d’une Education civique confiée aux professeurs d’histoire-géographie, avec un programme auquel s’ajoute la possibilité, restée lettre morte dans les faits, de traiter de manière interdisciplinaire des thèmes transversaux (consommation, environnement…) ».

Au cours des années 1990, le ministère de l’Education nationale tente de développer une démocratie lycéenne avec la création en 1995 d’un Conseil national de la vie lycéenne (CVL) et une grande consultation des lycéens lancée en 1998, amplifiée par les manifestations lycéennes de la même année, met en avant une volonté des jeunes de pouvoir débattre de grands sujets de société. Les programmes de 1998-2000 mettent donc en place l’éducation civique, juridique et sociale. Elle doit développer la citoyenneté au lycée en trois temps : la mise en place des règles, la connaissance des institutions et enfin la mise en rapport des évolutions de la citoyenneté et des transformations du monde contemporain. L’outil pédagogique privilégié est le débat et la culture juridique est privilégiée. Les heures prévues « sont assurées par des professeurs volontaires de différentes disciplines ». Parallèlement, une épreuve d’éducation civique est créée en 1997 au brevet des collèges.

Les programmes de 2010-2011 sur l’ECJS (Education Civique, Juridique et Sociale) au lycée général opèrent un recentrage sur la République. En 2010, un enseignement de lettres-histoire-géographie-éducation civique a été introduit au lycée professionnel et est évalué au CAP, au BEP et au baccalauréat professionnel.

Mobilisation historique le 11 janvier 2015 place de la République à Paris, après l’attentat contre Charlie Hebdo (photo © Charles Platiau / Reuters / RFI)

Suite aux attentats de Paris et à l’assassinat de journalistes, de policiers et d’usagers d’un magasin casher, la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République et la laïcité décidée par le Président de la République, et détaillée le 22 janvier 2015 à travers onze mesures par la ministre de l’éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, se caractérise par un ensemble de développements pédagogiques intégrés et un lien affirmé avec la recherche. Pour les premiers, il s’agit d’un triptyque articulant un enseignement moral et civique à tous les niveaux, pour toutes les voies et dans tous les degrés, un enseignement laïc des faits religieux, et une éducation à la laïcité (à laquelle s’ajoute une éducation aux média et à l’information).

La suite des étapes de la constitution d’un enseignement moral et civique met en évidence le souci de construire une solide culture civique tout en réagissant aux soubresauts voire aux défis que rencontre la société. Si la dimension laïque en constitue l’épine dorsale, on constate que les valeurs républicaines que l’on pensait acquises requièrent d’être constamment réaffirmées.

Où en est-on à ce jour et que prescrivent les programmes pour l’enseignement obligatoire ?

Le texte paru au Bulletin Officiel de l’Éducation nationale N°31 de juillet 2020 fixe les finalités (voir ci-dessous) et les contenus de l’Enseignement moral et civique:

Enseignement moral et civique Les finalités de l’enseignement moral et civique du cycle 2 au cycle 4 (de la grande section de maternelle à la 3ème)

L’enseignement moral et civique poursuit trois finalités qui sont intimement liées entre elles.

1) Respecter autrui Respecter autrui, c’est respecter sa liberté, le considérer comme égal à soi en dignité, développer avec lui des relations de fraternité. C’est aussi respecter ses convictions philosophiques et religieuses, ce que permet la laïcité.

2) Acquérir et partager les valeurs de la République Le code de l’éducation affirme « qu’outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République » (article L 111-1). Cette mission est réaffirmée dans le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture : « L’École a une responsabilité particulière dans la formation de l’élève en tant que personne et futur citoyen. Dans une démarche de coéducation, elle ne se substitue pas aux familles, mais elle a pour tâche de transmettre aux jeunes les valeurs fondamentales et les principes inscrits dans la Constitution de notre pays … Les quatre valeurs et principes majeurs de la République française sont la liberté, l’égalité, la fraternité, et la laïcité. S’en déduisent la solidarité, l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que le refus de toutes les formes de discriminations. L’enseignement moral et civique porte sur ces principes et valeurs, qui sont nécessaires à la vie commune dans une société démocratique et constituent un bien commun s’actualisant au fil des débats dont se nourrit la République.

3) Construire une culture civique La conception républicaine de la citoyenneté insiste à la fois sur l’autonomie du citoyen et sur son appartenance à la communauté politique formée autour des valeurs et principes de la République. Elle signale l’importance de la loi et du droit, tout en étant ouverte à l’éthique de la discussion qui caractérise l’espace démocratique. Elle trouve son expression dans le Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, selon lequel l’École « permet à l’élève d’acquérir la capacité à juger par lui-même, en même temps que le sentiment d’appartenance à la société… La culture civique portée par l’enseignement moral et civique articule quatre domaines : la sensibilité, la règle et le droit, le jugement, l’engagement. –

Modalités pratiques et méthodes de l’enseignement moral et civique L’enseignement moral et civique articule des valeurs, des savoirs (littéraires, scientifiques, historiques, juridiques, etc.) et des pratiques. Il requiert l’acquisition de connaissances et de compétences dans les quatre domaines de la culture civique et donne lieu à des traces écrites et à une évaluation. L’enseignement moral et civique s’effectue, chaque fois que possible, à partir de l’analyse de situations concrètes. La discussion réglée et le débat argumenté ont une place de premier choix pour permettre aux élèves de comprendre, d’éprouver et de mettre en perspective les valeurs qui régissent notre société démocratique. Ils comportent une prise d’informations selon les modalités choisies par le professeur, un échange d’arguments dans un cadre défini et un retour sur les acquis permettant une trace écrite ou une formalisation. L’enseignement moral et civique se prête particulièrement aux travaux qui placent les élèves en situation de coopération et de mutualisation favorisant les échanges d’arguments et la confrontation des idées. L’enseignant exerce sa responsabilité pédagogique dans les choix de mise en œuvre en les adaptant à ses objectifs et à ses élèves. L’enseignement moral et civique dispose réglementairement d’un horaire dédié permettant une mise en œuvre pédagogique au service de ses finalités.

Ce texte mérite d’être connu de tous, enseignants comme parents.

Que ce soit une instruction civique, une éducation ou un enseignement moral et civique, la formation aux valeurs de la République est cruciale.

Comme le montrait déjà en 2004 le rapport OBIN ( Inspecteur Général de l’Education nationale, groupe Etablissements et Vie scolaire), en pointant du doigt les symptômes que représentaient les attaques croissantes contre le respect de la laïcité dans nos établissements, et, comme l’ont confirmé de nombreux rapports depuis, dont celui produit par le Haut conseil à l’intégration en 2011, il y a dans notre pays un malaise du « vivre ensemble », une difficulté à « faire Nation », un problème d’intégration de nombre de jeunes Français dans notre société. Et les raisons de cette non-affiliation ne sont pas à aller chercher uniquement dans les relations qu’entretiennent les religions avec la République.

Source © Café pédagogique

Ce rapport longtemps ignoré par les gouvernements successifs constitue une base de réflexion toujours actuelle et il insiste sur la nécessité de renforcer la formation des élèves aux questions de la Laïcité mais aussi et d’abord, de former tous les enseignants, et pas seulement pour le second degré ceux d’Histoire-Géographie qui sont en charge de l’EMC, ainsi que les personnels de direction, afin qu’ils soient tous intellectuellement et pédagogiquement équipés pour répondre aux atteintes à la laïcité et aux contestations portant sur des contenus d’enseignement. Les enseignants d’Education Physique et Sportive (EPS) et ceux de Biologie quand ils abordent la question de l’évolution témoignent de réactions d’élèves et de familles qui s’opposent à la mixité dans les piscines pour les premiers ou qui opposent des approchés créationnistes pour les seconds. Les Conseillers principaux d’éducation veillent aussi au respect de la loi sur le port de signes ostentatoires.

L’école républicaine est discutée par des familles, voire remise en question. Ainsi que le démontrent les incidents enregistrés dans les classes et surtout le tragique assassinat de Samuel Paty, l’École de la République n’est plus un sanctuaire, malgré l’investissement des personnels de l’Éducation nationale soutenus par des élus républicains.

Attention au risque de déformation professionnelle… (source © Pinterest)

Pour mesurer combien l’Ecole constitue un enjeu de formation pour beaucoup et un « ennemi » pour quelques-uns, on pourra se référer à l’article paru sur le site de France info le 17 novembre 2020  Assassinat de Samuel Paty : du cours sur la liberté d’expression à l’attentat, les 11 jours d’un engrenage mortel.

Le livre au titre prémonitoire Qui veut tuer la laïcité ?, récemment paru aux éditions Eyrolles, montre à partir de l’étude de nombreux exemples dont plusieurs concernent l’École, combien la tâche des éducateurs est ardue et que l’ambition citoyenne instaurée par Jules Ferry demeure un enjeu permanent !

M. M.

De quoi Neom est-il le nom ?

17 novembre 2020

Tapis volants, djinn malicieux et lampe magique d’Aladin : le Moyen-Orient a toujours fait rêver les Occidentaux, bercé par les Contes des mille et une nuits. C’est peut-être cette veine que cherche à exploiter le dirigeant tout puissant d’Arabie Saoudite, le prince héritier Mohamed ben Salmane, lorsqu’il fait connaître au monde entier le 24 octobre 2017, via une vidéo promotionnelle projetée à Ryad dans le cadre du « Davos du désert », devant un aréopage de personnalités parmi lesquelles Tony Blair, Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy, ce projet un peu fou qui consiste à créer une nouvelle mégapole dans le désert, sur une superficie équivalente à celle de la Bretagne, à l’extrémité nord-ouest de son pays, près de la Mer Rouge et de la frontière avec l’Égypte et la Jordanie.

Présentation du projet Neom à Ryad le 24 octobre 2017 (photo © Fayed Nureldine
/ AFP / France 24)

Le nom du projet lui-même annonce la couleur, amalgame du préfixe grec « neo » (nouveau) et de l’arabe « mostaqbal » (futur). C’est bien une ville on ne peut plus futuriste que veut concevoir le prince saoudien, à rebours de l’image médiévale de son pays, arc-bouté sur des pratiques sociales et religieuses d’un autre temps. Cette future mégapole sera alimentée exclusivement en énergie renouvelable avec panneaux solaires et éoliennes à tous les étages. On s’y déplacera uniquement en véhicules électriques et taxis volants. L’alimentation proviendra de fermes industrielles verticales totalement hors-sol. Une fausse lune et une plage illuminée la nuit viendront parfaire ce décor de rêve pour milliardaires avant-gardistes qui, pour se distraire, pourront se rendre dans un Jurassic park géant voir évoluer une myriade de robots dinosaures.

Neom, la ville qui devrait abriter plus de robots que d’humains selon son concepteur, le principe Mohamed ben Salman…

Dans cette ville du futur, tout sera connecté et robotisé. Le suivi médical de la population comme l’éducation se feront uniquement via l’intelligence artificielle et des robots spécialisés, tandis que les tâches ménagères seront confiées à des valets robotisés et les livraisons à des drones supersoniques. Même la météorologie y sera maîtrisée grâce à des dispositifs permettant d’ensemencer les nuages à volonté.

La reconnaissance faciale sera généralisée et un système automatisé de flicage permettra de surveiller en permanence les faits et gestes de chacun, pour la plus grande tranquillité de tous, avec l’intervention de robots gladiateurs pour assurer l’ordre en cas de besoin. Selon le bon prince héritier avant-gardiste, qui inscrit ce projet dans sa fameuse « Vision 2030 » pour préparer son pays à l’après-pétrole, « la ville doit supplanter la Silicon Valley en terme de technologie, Hollywood en terme de divertissement et la Riviera méditerranéenne en terme de tourisme », rien que ça…

Un projet futuriste qui laisse rêveur… (source © Pirate-972)

Le coût de ce projet est à la hauteur de sa démesure : 500 milliards de dollars… C’est beaucoup, même pour un pays richissime comme l’Arabie saoudite qui, grâce à la rente pétrolière, s’est constitué un fonds souverain doté de 2 000 milliards de dollars pour préparer l’avenir. D’autant que les cours du pétrole se sont effondrés et que l’Arabie saoudite est engagée, depuis 2015, à l’initiative justement de ce même Mohamed ben Salmane, par ailleurs ministre de la Défense, dans une guerre meurtrière au Yémen, qui a déjà fait plus de 100 000 morts et finit par coûter cher. Le déficit public du pays atteint d’ailleurs un niveau record de 50 milliards de dollars, financé principalement par des émissions de dette.

Et par ailleurs, le prince héritier, bien que courtisé par de nombreux dirigeants mondiaux, Donald Trump en tête, commence à inquiéter certains du fait de sa conception aussi personnelle qu’autoritaire du pouvoir. L’assassinat qu’il aurait lui-même commandité, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dont le corps a été proprement découpé en morceaux dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018, a quelque peu terni la bonne réputation de ce jeune dirigeant aux idées larges, amateur de jeux vidéos mais aussi de décapitations dont le nombre s’est accru de manière très significative depuis son accession au pouvoir. On lui attribue l’enlèvement du premier ministre libanais Saad Hariri en novembre 2017, mais aussi l’arrestation musclée suivi d’un véritable racket d’un grand nombre de princes de la famille royale et de hautes personnalités. Même son père, le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, qui l’a pourtant porté au pouvoir en juin 2017, s’en méfie dit-on et craint une révolution de palais à son encontre…

Le prince Mohamed ben Salmane (photo © Fayed Nureldine / AFP / Le Point)

Bref, le prince, tout visionnaire et puissant qu’il soit, a besoin, pour mettre en œuvre ce projet pharaonesque, de l’aide financière d’investisseurs étrangers. D’où ces images pour le moins surprenantes pour qui connaît un peu la réalité de l’Arabie saoudite actuelle, de femmes dévoilées et hyperactives trinquant en souriant dans la vidéo promotionnelles, analysée notamment par Le Monde : à Neom, l’alcool sera autorisé et les femmes libérées, du moins le temps de boucler le tour de table financier… La ville elle-même sera d’ailleurs organisée et gérée comme n’importe quel projet financier, chacun devant acheter des parts en bourse pour venir s’y installer et un conseil d’administration faisant office de gouvernement local.

La vie à Neom : un bonheur de contes de fées : extrait de la vidéo promotionnelle (source © Connaissance des énergies)

Le calendrier du projet prévoyait que l’essentiel de la ville du futur serait opérationnel d’ici 2025 et pour cela, Mohamed ben Salmane en a confié les rênes à l’Allemand Klaus Kleinfield, ancien directeur général de Siemens et d’Alcoa (groupe américain, troisième producteur mondial d’aluminium), une valeur sûre de l’establishment mondialisé. On retrouve dans le conseil scientifique de Neom, des stars mondiales comme l’architecte Norman Forster, le designer d’Apple, Jonathan Ive, le fondateur d’Uber, Travis Kalanick, un ancien vice-président de la Commission européenne ou encore un ex secrétaire d’État américain à l’énergie. Que du beau monde donc et qui dispose d’un carnet d’adresse bien fourni et d’un incontestable pouvoir de persuasion auprès de la sphère financière internationale.

Un aéroport a déjà été aménagé et quelques palaces sont effectivement en cours de construction, mais le contexte économique et politique actuel risque bien de retarder quelque peu la naissance de cette ville du futur. Les critiques mondiales auxquelles doit faire face le prince Mohamed ben Salmane du fait de sa gestion assez brutale de la guerre au Yémen et de sa vision quelque peu expéditive du droit de l’opposition l’ont malgré tout fragilisé, d’autant que son pays fait désormais face à une baisse sans précédent des revenus pétroliers, suite à l’arrêt brutale des activités économiques, lié au Covid-19, mais aussi du fait de prises de positions assez hasardeuses de l’Arabie saoudite elle-même.

Pas facile dans ces conditions de continuer à attirer pour un projet aussi farfelu les investisseurs étrangers, même avec de belles histoires de tapis volants et de dinosaures high-tech. D’autant qu’un petit grain de sable vient encore de s’insinuer dans la belle machine bien huilée de propagande saoudienne. Il se trouve en effet que la région où doit être édifiée cette ville du futur, bien que désertique, abrite néanmoins de nombreux village de pêcheurs sur les côtes de la Mer Rouge et pas moins de 20 000 Bédouins de la tribu des Howeitat, installée sur ces terres depuis des temps immémoriaux.

Abdel Rahim Al-Huwaïti, abattu pour avoir exprimé sur Twitter son opposition au projet Neom (source © Twitter)

Le régime saoudien n’allait évidemment pas s’embarrasser d’un tel obstacle et a lancé, début 2020, l’expulsion de ces gêneurs. Sauf qu’une vidéo apparue le 12 avril 2020 sur Twitter, montre un de ces habitants, originaire du village d’Al-Khurayba en bordure du golfe d’Aqaba, et dénommé Abdel Rahim Al-Huwaïti, qui explique posément, le front soucieux et les yeux mi-clos, dans quelles conditions se fait le déplacement forcé de ces populations invitées à quitter les lieux pour faire place nette au futur enchanteur. « Je suis contre le déplacement forcé des gens. Je veux juste rester dans ma maison » affirme l’homme d’une voix fatiguée, tout en ajoutant : « Je ne serais pas surpris qu’ils viennent me tuer, dans ma maison, qu’ils y jettent des armes et qu’ils me qualifient de terroriste ». C’est d’ailleurs exactement ce qu’il s’est produit, l’homme en question ayant été abattu dès le lendemain par les forces de sécurité venues l’arrêter.

C’est en effet la force des régimes autoritaires qui ne laissent pas de place au doute ni à l’hésitation. Le message est clair et devrait sans doute accélérer le déménagement forcé des quelques récalcitrants qui ne seraient pas encore convaincus par cette vision futuriste et quasi prophétique que le bon prince Mohamed ben Salmane nourrit pour son pays, engagé à grands pas dans une marche accélérée vers un Progrès radieux qui ne peut que faire rêver…

L. V.

Bic : du jetable au durable ?

15 novembre 2020

La société Bic fait partie de ces entreprises symboles de la société de consommation qui a réussi à imposer comme naturel le recours à des objets en plastique jetables. Une hérésie en termes d’impact environnemental et contre laquelle on commence tout juste à réagir mais qui constitue pourtant notre quotidien depuis désormais une bonne soixantaine d’années. Fils d’un industriel italien naturalisé en France en 1930, Marcel Bich rachète en 1945 un atelier à Clichy où il fonde avec un collègue une petite société de sous-traitance pour la fabrication de porte-plumes. L’entreprise vivote jusqu’en 1950, date à laquelle elle lance, sous le nom de marque Bic, un stylo bille jetable dans un tube en plastique transparent, vendu à un prix dérisoire et qui connaît d’emblée un succès foudroyant.

Publicité pour le stylo Bic dans les années 1950 (source © Espace écriture)

Le seul hic à l’époque est que Bich a tout simplement piqué le brevet au Hongrois László Biró qui l’avait inventé en 1938 et qui lui intente donc illico un procès pour plagiat. Le problème se règle au moyen d’une transaction financière à l’amiable et en 1958 Bic rachète l’entreprise Biró, ce qui lui permet de devenir le leader mondial des stylos à bille. Un produit phare dont il s’est vendu depuis environ 100 milliards d’exemplaires sur la planète entière. Chaque année, Bic continue ainsi de vendre 6,6 milliards de stylos en plastique jetable à travers le monde, ce qui représente quand même, selon Alternatives économiques, l’équivalent en poids de trois fois la Tour Eiffel de déchets en plastique impossible à recycler !

Le stylo Bic Cristal, toujours d’actualité (source © Bureau Vallée)

Certes, au fil des années, le fabricant a un peu allégé la quantité de plastique utilisée dans ses fameux Bic Cristal, mais exclusivement pour des raisons économiques afin de ménager ses marges malgré la hausse du prix du pétrole dont on fait le plastique. Lequel est toujours fabriqué sans la moindre dose de plastique recyclé, quoi qu’en dise la publicité de la marque… En 2018, seul 6 % du plastique utilisé en papeterie est issu du recyclage et pas question non plus de vendre des recharges pour garder au moins le tube de plastique : elles coûtent plus cher que le stylo lui-même : 10 € les recharges du stylo 4 couleurs qui est vendu à 3 € : pas très incitatif en effet !

Le recyclage des stylos usagés, une opération de communication peu efficace…
(source © Bicworld)

Quant à recycler les stylos en fin de vie, Bic a également beaucoup communiqué sur ce concept et utilisant les bics usagés collectés, non pas pour créer de nouveaux stylos – trop cher !- mais pour en faire des meubles de jardin. En réalité, les points de collecte sont excessivement rares et seuls 0,03 % des stylos vendus seraient ainsi valorisés, une misère !

D’ailleurs la production elle-même a été largement délocalisée : sur les 14 000 salariés que compte le groupe, 8 900 travaillent désormais en Tunisie, au Nigéria et en Inde, ce qui laisse penser que l’entreprise reine du jetable ne se préoccupe guère de l’impact écologique du transport de ses produits autour du globe.

Usine Bic à Manaus au Brésil, l’un des 25 centres de production de la marque dans le Monde (source © Bicworld)

Une culture du jetable qui ne s’est pas limitée au seul stylo à bille puisque en 1973, la société s’est lancée aussi dans la commercialisation du briquet jetable, là encore sans l’avoir inventé puisque le concept a été créé dès 1934 par Jean Inglessi, l’inventeur de la bouteille à gaz à usage domestique… Dès 1975, Bic s’impose comme le premier producteur mondial de briquets jetables tout en développant en parallèle les rasoirs, toujours jetables. En définitive, seules les planches à voile que le groupe Bic a fabriqué à partir du début des années 1980 ne sont pas jetables, sans être recyclables pour autant.

Des briquets de toutes les couleurs, mais jetables (source © Majorsmoker)

Alors que la famille Bich est toujours actionnaire à près de 45 % du groupe Bic, celui-ci s’est largement mondialisé rachetant à tour de bras des sociétés un peu partout dans le monde. En 1997, ce sont les marques Tipp-Ex, leader européen des correcteurs et Sheaffer, le roi du stylo américain haut de gamme qui tombent ainsi dans l’escarcelle de Bic, suivies en 2006 par le spécialiste brésilien des étiquettes adhésives, Pimaco, puis en 2008 par le leader indien des produits de papeterie Cello et par l’Américain Norwood. En 2013, Bic construit en Chine une usine de fabrication de briquets puis en 2017 un centre de production de stylos en Inde, dans l’État du Gujarat, avant de racheter en 2019 la société Lucky Stationary, leader des produits d’écriture au Nigéria.

Une expansion mondiale et une diversification qui se poursuivent malgré la crise sanitaire et le confinement qui ont plombé les comptes du leader des stylos, briquets et rasoirs jetables. Bic vient en effet d’annoncer, lundi 9 novembre 2020, son rachat en cours, pour la bagatelle de 34 millions d’euros, de l’Américain Rocketbook, l’inventeur du cahier éco-responsable au nom imprononçable Econotebk. Une trouvaille bien dans l’air du temps et qui tourne ostensiblement le dos à l’ère du jetable. Ce bloc note high-tech est en effet fabriqué en recyclant des déchets plastiques issus du BTP et qui fournissent un papier spécial, résistant et imperméable, sur lequel on peut écrire avec un stylo effaçable, ce qui permet de le réutiliser (presque) à l’infini.

Le carnet écologique Econotebk (source © Pinterest)

Ce cahier innovant est d’autant plus branché qu’une application spécifique permet de transférer facilement son contenu sur support numérique. Idéal donc pour prendre des notes sur le terrain et ensuite conserver de manière numérique le texte et les dessins, tout en réutilisant le cahier de notes pour une prochaine sortie. Jamais sans doute la frontière entre l’écriture papier et le digital n’a été aussi poreuse. De quoi effectivement aiguiser l’appétit du géant du jetable, à la peine depuis le début de l’année avec une baisse mondiale de ses ventes estimée à plus de 15 % et qui tente de négocier tant bien que mal le virage de la transition écologique en passant du tout jetable au potentiellement durable : attention au risque de sortie de route…

L. V.

Culture biologique : l’exemple donné par un atelier d’insertion à Carnoux

13 novembre 2020

Quiconque s’est récemment promené le long de l’avenue de Suffren à Carnoux a pu observer un changement d’aspect du terrain de l’ESAT Arc en Ciel qui jouxte les dernières villas du quartier des Lavandes ! On y voit souvent des employés parés de leurs gilets oranges s’affairer à des travaux de plantation ou, comme quand je me suis rendu sur place, au broyage de branches et de feuillages.

Constitution des buttes de permaculture : étape 1 (source © ESAT)

Ce qui n’était qu’un espace de pierres et d’herbes, avec quelques pins, est devenu un jardin potager agrémenté d’arbres fruitiers et formé de buttes en arc qui ouvrent sur une pièce d’eau ceinte d’une clôture en bois réalisée par l’ESAT de la Valbarelle..

La localisation du jardin sur le site de l’ESAT (source © Google Earth)

Ce projet de création d’un espace de polyculture biologique sur le site du pôle Arc en Ciel (ESAT et Ateliers de Provence) est le fruit d’une équipe dirigée par Madame Anne Texier et il est piloté par Monsieur Guillaume Drouillard, chargé d’insertion et responsable clients pour les espaces verts.

Pourquoi créer un espace de polyculture biologique sur ce site ?

Le projet se fixe plusieurs objectifs dont le premier vise à fédérer les travailleurs handicapés du Pôle ESAT et des personnes en difficulté des Ateliers de Provence sur une nouvelle activité à forte valeur ajoutée pédagogique et écologique. Il valorise le site dans une démarche environnementale au travers de plusieurs activités : culture biologique (production de fruits rouges, légumes et plantes aromatiques), démarche « permaculturelle » (culture permanente, sur butte notamment) en investissant des déchets organiques. A cela s’ajoutent la plantation de haies ainsi que la construction de murets en pierre sèche, tout cela étant réalisé par une petite vingtaine d’ouvriers qui par ailleurs s’investissent dans l’entretien d’espaces verts auprès d’organismes ou de sociétés (S.T. Micro à Rousset, le CNRS, L’Institut Paoli Calmette, l’Institut Henri Gasteau à Marseille, ainsi qu’auprès d’une quinzaine de particuliers.

Vue aérienne du jardin après une année (source © Google Maps)

Un projet ouvert sur la ville, ses écoles et ses habitants

Comme l’indique M. Drouillard dans le descriptif du projet, « le projet est tout à la fois pédagogique, social, environnemental et économique. Il se veut aussi être un véritable défi, tant sur le plan humain, technique que scientifique. A long terme, ce projet en harmonie totale avec la nature pourrait bénéficier de manière directe ou indirecte aux usagers et salariés de tout le pôle Arc En Ciel (AEC), aux élèves et parents des écoles, dont le groupe scolaire voisin, à la Mairie de Carnoux et à ses habitants. »

Constitution des buttes de permaculture : étape 2 (source © ESAT)

Le projet envisage aussi des actions d’éducation à l’environnement pour les classes et les particuliers.

« La situation géographique d’AEC, initialement peu favorable au développement local et économique, devient une situation à valoriser L’emplacement du jardin en bord de route constitue un atout pour une vente en circuit court. Comme l’ESAT de la Bessonnière, le meilleur client pourrait être aussi la cuisine d’AEC et/ou celle de l’école ; la loi depuis Janvier 2016 obligeant les écoles à proposer un « repas bio » par semaine va dans ce sens.

A travers cette production, les travailleurs vieillissants pourraient se voir proposer une activité passionnante et adaptée à tous les niveaux ».

Pourquoi choisir la culture sur butte ?

« La culture sur butte se veut plus efficace, moins coûteuse, plus productive et adaptée aux travailleurs handicapés. La réalisation et la mise en culture des buttes nécessitent beaucoup de connaissances, de travail, de main d’œuvre, sur des temps forts notamment, idéal pour une dynamique de groupe ». Cela constitue pour ceux qui y œuvrent, un lieu de développement de compétences professionnelles ».

Constitution des buttes de permaculture : étape 3 (source © ESAT)

Quels autres avantages procure ce type de culture ?

« Les buttes permettent de s’affranchir des problématiques du sol, de celles du recyclage des déchets végétaux coûteux et de diminuer celles de l’eau grâce à un épais paillage organique alimenté par les déchets verts eux-mêmes.

De plus, en augmentant la hauteur du support de production avec de la matière organique (de 50 à 90 cm), les contraintes des gestes et postures inhérentes aux postes de travail se voient diminuées. Les tomates et les fraises pourront être cultivées sans avoir à trop se pencher pour la cueillette et l’entretien. Les plants pourront aussi être suspendus facilitant la cueillette debout ». A l’instar de la création du jardin partagé fondé par l’association Un jardin se crée à Carnoux sur le site de l’ancien arboretum, cette pratique constitue un exemple susceptible d’être transféré dans les jardins des Carnussiens, pour le plaisir des parents comme des enfants.

« Tout comme la recherche du recyclage d’énergie et des matériaux du milieu, la recherche de l’augmentation de la biodiversité est nécessaire pour parvenir à un écosystème fonctionnel » Notons que la pièce d’eau contribue à la biodiversité, tant pour les oiseaux que pour les insectes (libellules) et accueille des poissons qui se nourrissent des moustiques. Les pierres sur sites sont aussi utilisées pour délimiter certaines buttes et en augmenter la hauteur. ».

Constitution des buttes de permaculture : étape 4 (source © ESAT)

« Les déchets verts, augmentés des restes de cuisine, de cartons … sont recyclés sous forme de compost et de paillage nécessaires à la confection des buttes. De nombreux essais avec des types de buttes différents sont à l’œuvre (compost mature, frais, avec ou sans bois, etc.). Le BRF (Bois Raméal Fractionné) peut être utilisé en paillage sur les buttes, ou encore pour essayer de créer un sol vivant et productif. »

Quel bilan et quelles perspectives après deux années ?

Le chantier s’inscrit dans un temps long compte tenu du caractère expérimental de la démarche ainsi que du choix du type de culture, mais aussi compte tenu de la nécessaire montée en compétences des équipes.

La phase d’installation des différents espaces de culture et des équipements connexes (serre, bac de « lombricompostage », bacs de repiquage et de bouturage, aire de compostage) est quasi achevée. La création d’un environnement propice est en bonne voie avec la croissance de haies coupe-vent, la plantation d’arbres fruitiers (amandiers, pêchers, prunus…) et la pièce d’eau.

La terre après 2 ans de mise en culture (photo © M. Motré)

Au plan de la maîtrise d’œuvre, pour la première année, le jardin a bénéficié de l’expérience d’une maraîchère – la production étant destinée au public interne (ESAT et ateliers de Provence) et à quelques habitants du quartier ; la deuxième année a enregistré le recrutement sur contrat aidé d’une personne en formation « emploi de maraîcher ». Les productions ont été essentiellement à visée locale.

Les perspectives sont plurielles :

  • Achever l’aménagement paysager du site.
  • Renforcer le partage de connaissances et de compétences avec les associations locales, la coopération avec le quartier pour l’arrosage régulier et la cueillette, mais aussi le partage de plants et d’outils, et les partenariats avec l’ESAT et les écoles.
  • Accroître l’ouverture sur le quartier et la ville.
  • Bénéficier de l’aide du CETA d’Aubagne pour réaliser les objectifs de production.

Un ambitieux projet, propice à l’insertion professionnelle et à l’intégration de personnes en difficulté et handicapées, qui mérite d’être soutenu.

Il est enfin possible de suivre les activités des Ateliers de Provence en se connectant sur la page Facebook ARI les Ateliers de Provence

MM

Attestons, attestons…

11 novembre 2020

Comme lors du premier pic de l’épidémie de Covid-19 au printemps, les nouvelles règles de confinement obligent de nouveau chaque Français à sortir muni d’une « attestation de déplacement dérogatoire » pour reprendre les termes officiels du Ministère de l’Intérieur. Le mot lui-même n’est pourtant pas des plus appropriés puisqu’il fait référence, de par son étymologie latine, à la notion de « témoignage ». On peut effectivement attester avoir vu son voisin sortir son chien, mais de là à attester qu’on s’autorise soi-même à sortir, la notion est quelque peu étrange…

Attention aux excès de zèle : un dessin signé Seb
(source © le Journal de Saône-et-Loire)

Sous l’effet du désœuvrement lié au confinement ou peut-être en raison de l’esprit gaulois toujours prompt à râler et à se moquer, les éditoriaux et les caricatures fleurissent un peu partout pour gloser sur ces fameuses attestations. Dans La Vie, le chroniqueur Pascal Paillardet s’épanche ainsi : « le mot attestation désigne ce laissez-passer indispensable à un confinement réussi. À condition de ne pas s’emmêler les crayons à l’instant de cocher les cases avec fébrilité, dans la hâte de quitter son cantonnement. Certains ont été contrôlés en train de déposer le chien à l’école ou d’apprendre à l’enfant à se soulager dans le caniveau ».

Une attestation aux possibilités restreintes… Un dessin signé Cyb sur une idée originale de Polistution (source © Flickr / After1fo)

Sur son blog Médiapart, Guy Perbet livre quant à lui une version digne des Visiteurs de la fameuse attestation de déplacement façon enluminure avec moult chevalier en armure et même un pangolin égaré : « Venant de recevoir la dernière mouture de l’Octroi de Franc Passage que notre bon Roy vient de promulguer – car tel est son bon plaisir – et dont nous devrons nous munir afin de pouvoir nous déplacer en toute quiétude dans les rues et les chemins tristes et froids de nos villes et de nos campagnes, je le transmets à vous tous, mes chers co-sujets mortifiés, avec toute ma compassion ».

Une attestation revisitée par un médiéviste inspiré (source © Agence Mézenc Information / Le blog de Guy Perbet / Mediapart)

Au delà de ces quelques moqueries et du regard souvent ironique porté sur ces attestations auto-proclamées avec leur liste à la Prévert des raisons pour lesquelles on s’autorise à se déplacer, force est de constater que l’on a fait un grand pas en avant par rapport à la précédente phase de confinement.

Les attestations sur smartphone : un dessin signé Chaunu (source © Pinterest)

Nul besoin désormais d’imprimer une feuille au format A4 à chaque fois qu’on a besoin de sortir acheter sa baguette de pain ou simplement se dégourdir les jambes. Place désormais à l’attestation numérique qu’on finalise en deux clics sur son smartphone et qu’on n’a même plus besoin de préparer à l’avance puisqu’il suffit de corriger l’heure avant de la présenter en cas de contrôle.

Ne pas oublier d’utiliser la dernière version : un dessin signé Xavier Delucq (source © Huffington Post)

Quoi qu’en disent les mauvaises langues, on est bien loin de l’Ausweis de la Komandantur ou de l’Octroi de franc passage « en diligence des précautionneuses nécessités profilatiques avers pestilentiel fléau nosmmé couronnée vérole ». On n’est peut-être revenu au temps de la grande peste qui fait trembler les gens et oblige tout un chacun à se terrer chez soi en ayant peur d’être contaminé par son prochain, mais on le fait du moins avec les outils modernes des nouvelles technologies de la communication : on se rassure comme on peut…

L. V.

HLM : mais que fait la métropole ?

9 novembre 2020

Dans les Bouches-du-Rhône, comme d’ailleurs sur la majeure partie du territoire national, plus de la moitié des ménages sont éligibles au logement social du fait de leurs revenus. Mais dans la plupart des centres urbains du département l’accès au logement reste bien difficile pour nombre de familles : la file d’attente est longue pour accéder à un logement HLM alors que les loyers dans le parc privé sont élevés et les offres rares, nombre de propriétaires préférant réserver leurs logements pour des locations saisonnières nettement plus lucratives dans un secteur aussi attractif pour le tourisme.

Argo, une résidence de 74 logements sociaux conçue par l’architecte Rudy Ricciotti pour le bailleur social Logirem à Marseille (photo © Lisa Ricciotti / Agence Rudy Ricciotti / Le Moniteur)

Sur l’ensemble du département, La Provence estimait en 2015 le nombre de demandes de logements sociaux à 90 000 par an. En 2016, l’AGAM avait retenu le chiffre de 72 000 demandes actives de logement social sur le seul périmètre de la métropole Aix-Marseille-Provence où l’on comptait alors un total de 142 000 logements sociaux. Le taux de vacance du parc HLM ne dépassait pas 1,6 % en 2016 et le turn over est très faible puisqu’en 2015 seulement 8 % des logements sociaux de la Métropole ont pu accueillir un nouveau locataire, ce qui explique largement que les files d’attente s’allongent autant. Le bailleur social 13 Habitat indique recevoir à lui seul pas moins de 30 000 demandes d’attributions de logements sociaux par an. Sur la seule commune de Carnoux, où le nombre total de logements sociaux ne dépasse pas 425, le maire précisait en 2017 que 300 demandes de logements sociaux non satisfaites étaient en attente.

Résidence de logements sociaux gérés par 13 Habitat sur l’île du Frioul (source © 13 Habitat)

Dans ces conditions, on pourrait imaginer que la question du logement qui fait partie des compétences transférées en 2016 à la Métropole est une priorité et que la collectivité travaille d’arrache-pied en vue de satisfaire cette demande vitale de logement, qui est un pilier indispensable pour permettre à tout un chacun de mener une vie décente et intégrée. Et pourtant, le Plan local de l’habitat (PLH) que la Métropole aurait dû adopter pour prendre la suite de celui de l’ancienne communauté urbaine MPM, élaboré en 2010 et qui a pris fin en 2018, n’a toujours pas été finalisé par la Métropole, comme si le sujet ne méritait pas vraiment que les élus locaux fassent l’effort de se concerter pour tenter d’améliorer la situation.

Résidence sociale intergénérationelle Les Gavotines, construite à Aubagne par 13 Habitat
(source © TPBM)

L’équation est pourtant simple : la demande de logements sociaux est énorme et l’offre nouvelle quasi inexistante. Une grande partie du parc HLM est dégradé ou vieillissant, ce qui oblige les bailleurs à déployer de gros investissements pour tenter de les réhabiliter afin qu’ils restent vivables pour leurs occupants. Du coup, malgré les injonctions réglementaires de la loi SRU qui oblige les communes à un certain quota de logements sociaux, les mises en construction de nouveaux logements restent rares et totalement insuffisantes pour satisfaire les besoins.

Chantier de construction de logements sociaux HMP sur Marseille dans le secteur de Saint-Joseph (source © Marseille rénovation urbaine)

En 2018, l’objectif affiché était de construire 13 500 nouveaux logements sociaux sur l’ensemble de la région PACA, un objectif qui n’a pas été atteint puisque les autorisations de construire n’ont finalement pas dépassé 10 773 logements selon la DREAL qui distribue aux collectivités les aides à la pierre. Et depuis, la situation ne fait que se dégrader avec seulement 9 965 nouveaux logements sociaux mis en chantier en 2019. En parallèle, la part des logements réservés aux ménages à bas revenus a elle-même diminué avec seulement 31 % de PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration), ce qui pénalise lourdement les familles les plus modestes.

On est donc très loin du compte et cependant on a fait encore bien pire en 2020, année pour laquelle l’État avait pourtant révisé à la baisse ses objectifs en ciblant la construction de 12 849 nouveaux logements sociaux sur l’ensemble de la région PACA dont 5 000 sur la seule métropole Aix-Marseille-Provence où les besoins sont le plus criant. Au 15 octobre 2020, la DREAL n’a en effet enregistré que 842 logements en construction pour lesquels des demandes de financement ont été introduites, soit à peine 6,5 % de l’objectif visé : une misère ! Et la situation est encore plus dramatique sur le territoire de la Métropole où le nombre de nouveaux logements en chantier est à cette date de 153… Déjà qu’avec 5 000 nouveaux logements on était loin de satisfaire les 72 000 demandes en attente, mais avec 153, l’équation devient insoluble !

Projet de 60 logements sociaux en cours de construction à Carnoux, à l’emplacement de l’ancien établissement scolaire Saint-Augustin (source © Jérôme Siame architectes)

Pour se consoler, nos élus métropolitains pourront toujours se comparer à leurs collègues niçois qui, eux, ne prévoient à cette date qu’un seul logement social neuf sur un objectif affiché de 1721… Les subventions versées par l’État ne sont pourtant pas négligeables puisque l’enveloppe annuelle allouée à la Métropole AMP s’élèvent à 16,3 millions d’euros mais les dossiers montés ne prévoient de dépenser que 336 000 €, soit 2 % seulement de l’enveloppe disponible. Une situation qui oblige l’État à redéployer ses aides financières au profit d’autres collectivités plus réactives en rabotant de près de 60 % l’enveloppe qui avait été initialement réservée au territoire métropolitain : dommage…

Bien entendu, certains invoquent le contexte de crise sanitaire et d’élections municipales pour expliquer ce bilan véritablement calamiteux. Mais il semble bien difficile de ne pas y voir d’abord une absence totale de volonté politique, en particulier du côté des élus métropolitains, manifestement peu désireux de prendre enfin à bras le corps le problème du logement des catégories les plus modestes de la population. Un sujet épineux et qui ne semble pas prêt de trouver une solution…

L. V.

Présidentielles américaines : alors ?…

7 novembre 2020

Décidément, ces élections présidentielles américaines entretiennent un suspens incroyable… Tous les sondages annonçaient que l’éviction du trublion Donald Trump était pliée d’avance et que les Américains allaient enfin exprimer un choix plus raisonnable en faveur d’un dirigeant suprême plus en phase avec les valeurs de démocratie, de solidarité et de responsabilité que le Monde attend d’une démocratie aussi puissante et influente que celle des États-Unis.

« Ça y est : il est parti ? » (source © Pinterest)

Mais c’était sans compter l’esprit individualiste, ultra-nationaliste et, disons-le, égoïste, qui fait des ravages dans le Peuple américain tout comme dans la plupart des autres pays y compris la France. Quand les frustrations économiques et sociales s’accumulent alors que les médias, la publicité et les réseaux sociaux nous font miroiter à longueur de journée un idéal d’hédonisme, d’opulence, de liberté et d’oisiveté, il est bien difficile de résister aux sirènes de ces discours populistes qui promettent la lune pour tout de suite en se moquant bien des conséquences à long terme de leurs décisions : pourquoi se gêner à exploiter le gaz de schiste au prix d’une catastrophe écologique sans doute irréversible si cela peut nous permettre de continuer à rouler sans entrave au volant d’une belle voiture ? Et tant pis pour ceux qui n’ont pas la chance d’être né dans un pays aussi riche et gaspilleur, il suffit de s’en protéger en construisant des murs…

Un match serré entre Joe Biden et Donald Trump (source © BBC)

Force est en tout cas de constater que rarement sans doute l’Amérique n’a été autant divisée en deux camps aussi inconciliable. Malgré la crise sanitaire, le taux de participation à ces élections présidentielles a atteint partout des valeurs très élevées. Et partout, les deux candidats se retrouvent au coude à coude. Le système électoral américain si particulier qui pousse la logique majoritaire à son extrême en faisant dans le tout ou rien, donne l’illusion d’une Amérique coupée en deux avec des États ruraux ou en déclin économique acquis au candidat Républicain et d’autres, plus urbains et plus opulents, délibérément Démocrates.

Carte provisoire des résultats de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre 2020, mise à jour le 6 novembre 2020 à 23 h (source infographie © Le Figaro)

Mais cette carte en rouge et bleu masque une réalité bien différente avec des écarts en réalité très faibles entre les deux candidats dans la quasi totalité des États. Les catégories sociales plus aisées et mieux éduquées ont massivement voté pour Joe Biden et on les retrouve dans toutes les villes du pays, mais partout aussi les Américains adeptes du repli sur soi, nostalgiques d’une Amérique triomphante et opulente, ont voté avec enthousiasme pour un Donald Trump capable de tenir tête aux élites mondialisée et à la Chine arrogante, avec sa promesse de « make America great again ».

Un dessin signé Kak, en novembre 2018, mais toujours d’actualité (source © L’Opinion)

Au gré de ces élections, les États-Unis sont devenus bipolaires et c’est peut-être cette scission inédite qui a abouti à ce scénario catastrophe d’une grande démocratie, habituée à donner des leçons de morale à la planète entière, désormais ridiculisée par un Président sortant qui, après s’être autoproclamé un peu prématurément, vainqueur de ces élections, accuse sa propre administration de fraudes massives et demande tout simplement d’arrêter de compter les bulletins de votes qui ne sont toujours pas dépouillés, quatre jours après le scrutin du 3 novembre 2020…

Le Monde entier se délecte de ce feuilleton pathétique et retient son souffle pendant que les États traditionnellement Républicains que sont le Nevada ou l’Arizona se sont lancés dans une course de lenteur pour faire durer le dépouillement des derniers bulletins pour ne pas risque de faire basculer la situation en faveur du candidat Démocrate. Bref, samedi 7 novembre, on ne sait toujours pas qui sortira vainqueur de ces élections à suspens, sans compter le risque que le résultat, quel qu’il soit, se retrouve contesté devant les tribunaux et qu’il fasse l’objet, in fine, d’un arbitrage des juges de la Cour suprême…

En tout cas, ces élections qui se prolongent au-delà du raisonnable pour faire émerger un vainqueur, dans une ambiance de frustration et de soupçons de fraude, ne va sans doute pas favoriser la cohésion de la Nation américaine et risque de laisser des traces, même si, dans l’immédiat, c’est surtout la faillite d’un processus électoral inadapté qui est mise en évidence.

Un duel électoral serré, qui pourrait donner l’idée de recourir à d’autres méthodes plus efficaces ? Un dessin signé Chapatte (source © Le Temps)

Une faillite qui n’est pas sans rappeler celle qu’a connu il y a quelques mois seulement la ville de Marseille à l’occasion du second tour des élections municipales. Comme aux États-Unis et pour les mêmes raisons, la ville a bien failli se retrouver avec à sa tête un maire ayant recueilli au global, moins de voix que son adversaire. Comme aux États-Unis, le choix du responsable de l’exécutif s’est fait attendre pendant plusieurs jours après les élections et à l’issue d’une séance mémorable et interminable au cours de laquelle chacun s’est laissé allé aux spéculations les plus folles. Comme aux États-Unis, chaque camp s’est renvoyé à la figure des accusations de fraudes et le résultat de ce scrutin reste toujours suspendu à des décisions de justice qui tardent à venir, plusieurs mois après la fin des opérations électorales…

Winston Churchill aimait à dire que « La démocratie est la pire forme de gouvernement à l’exception de toutes celles qui ont été essayées au fil du temps », un aphorisme qu’il est toujours imprudent de sortit du contexte dans lequel il a été exprimé mais qui a au moins le mérite de rappeler que son usage n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît et que l’affaire peut vite déraper si l’on n’y prend pas garde…

L. V.

Qataris et Vache qui rit : la rupture ?

4 novembre 2020

Les propos tenus par Emmanuel Macron, mercredi 21 octobre 2020 dans la cour de la Sorbonne, lors de l’hommage national rendu au professeur Samuel Patty assassiné pour avoir expliqué à ses élèves ce qu’était la liberté d’expression, ont été visiblement mal entendus par certains. « Nous défendrons la liberté que vous enseigniez si bien et nous porterons haut la laïcité. Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent » a-t-il affirmé avec force, ce que certains pays arabes ont aussitôt pris pour une attaque en règle contre l’Islam et un appel au blasphème organisé.

Hommage à Samuel Patty dans la cour de la Sorbonne le 21 octobre 2020 (photo © Albert Facelly / Libération)

A Tripoli, en Libye, de petits groupes de manifestants ont ostensiblement brûlé des drapeaux français, comme cela avait déjà été le cas début septembre au Pakistan, ainsi que des photos du Chef de l’État français. Le Président turc Recep Tayyip Erdogan a exprimé ouvertement ses doutes quant à la santé mentale d’Emmanuel Macron qu’il soupçonne d’avoir « un problème avec les musulmans et l’Islam » tandis que l’Organisation de coopération islamique, qui regroupe nombre de pays musulmans a déploré « les propos de certains responsables français (…) susceptibles de nuire aux relations franco-musulmanes ».

Le drapeau français et des portraits d’Emmanuel Macron brûlés par des manifestants à Tripoli le 24 octobre 2020 (source © Twitter / Infos françaises)

Il n’en fallait pas davantage pour que les réseaux sociaux aussitôt s’enflamment, appelant un peu partout au boycott des produits français. La plupart des agences de voyage au Koweit ont décidé de suspendre les réservations de vols vers la France. En Jordanie, c’est le Front d’action islamique, un parti d’opposition, qui appelle à boycotter tout ce qui vient de France. Mais c’est peut-être au Qatar que les réactions ont été les plus vives, de très nombreux produits d’origine française, dont la fameuse Vache qui rit, pourtant traditionnellement très appréciée au Proche-Orient, ayant été immédiatement retirés des rayons.

Plus de Vache qui rit dans ce magasin du Qatar samedi 24 octobre 2020 (photo © AFP / Nice Matin)

Le coup est rude pour les petits fromages triangulaires, même si l’enjeu pour la France semble être plus diplomatique qu’économique, contrairement au Danemark qui, en 2005, avait fait face, lui-aussi, à un boycott des pays arabes suite aux premières publications des caricatures de Mahomet, épisode qui avait failli ruiner l’industrie laitière du pays. Seulement 3 % des exportations françaises se feraient actuellement vers le Proche et le Moyen-Orient, ce qui permet de relativiser l’impact économique de ce coup de chaud qui pourrait néanmoins être rude pour l’industrie du luxe et des parfums.

Les spécialistes de la région considèrent d’ailleurs que le Qatar n’a rien à gagner à un boycott prolongé de la France, lui qui s’est forgé une réputation internationale notamment via le rachat en Europe de nombreux actifs, dont le principal club de foot de la capitale française, le Paris Saint-Germain.

Le PSG aux mains des Qataris… un dessin signé Dubouillon (source ©
Résistance Inventerre)

L’Islam sunnite, d’obédience wahabbite comme en Arabie saoudite y est certes religion d’État, et le pays compte plus de 1000 mosquées pour à peine plus de 2,5 millions d’habitants, principalement concentrés dans la capitale, Doha. Le Qatar est régulièrement accusé de soutenir financièrement le terrorisme islamiste, même si ces accusations sont soigneusement entretenues par son rival iranien. Il n’en demeure pas moins que le Qatar est très proche des Frères musulmans et qu’il soutient de fait de nombreux groupes rebelles sunnites. Le pays joue d’ailleurs un rôle important via sa chaîne d’informations télévisées en continu Al Jazeera, entièrement financée par l’État et qui s’est imposée dans le monde entier comme le principal canal d’influence médiatique auprès des arabophones, ce qui donne au Qatar une influence sans commune mesure avec sa taille qui ne dépasse guère celle de Chypre ou de la Jamaïque…

Grande Mosquée de Doha au Qatar (source © I love Qatar)

Les relations entre la France et le Qatar étaient jusque là plutôt bonnes. En 1974, l’émir Khalifa ben Hamad Al Thani, monarque régnant, s’illustra par un déplacement officiel en France au cours duquel il en profité pour s’acheter une belle villa sur la Côte d’Azur. Une tradition qui s’est perpétuée depuis, sous le règne de son fils, l’actuel émir Hamad bin Khalifa Al Thani, lequel a purement et simplement destitué son père en 1995.

En 2007, c’est lui qui fut le premier chef d’État étranger invité en France par Nicolas Sarkozy fraîchement élu, une belle consécration pour ce pays largement désertique et qui a bâti sa richesse sur l’exploitation de ses ressources pétrolières et surtout gazières, au point de s’enorgueillir d’être désormais le plus gros contributeur de gaz à effet de serre du monde, ramené au nombre d’habitants : 10 fois plus que la moyenne mondiale !

Le président Nicolas Sarkozy reçoit l’émir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al-Thani, le 1er septembre 2011 à l’Elysée (photo © Miguel Medina / AFP / Le Monde)

Cette amitié franco-qatari a été soigneusement cultivée grâce à un régime fiscal particulièrement avantageux instauré justement par Sarkozy en 2008. Une disposition privilégiée qui permet aux Qataris de ne payer aucun impôt sur leurs revenus immobiliers français ni sur leurs dividendes et d’être exonérés de l’impôt sur la fortune et des droits de mutation pour tous leurs avoirs détenus en France : un manque à gagner fiscal estimé à 150 millions d’euros par an… A ce compte, les Qataris auraient donc tort de se gêner et la France est de fait devenue en quelques années la quatrième cible mondiale pour les investissements qataris qui se sont élevés en 2016 à 25 milliards d’euros sur le territoire national. Immobilier de prestige, hôtels de luxe, châteaux et belles villas, clubs de foot et de handball, participations dans des entreprises du luxe, des services ou de l’armement, tout y passe. Même le fameux prix hippique de l’Arc de triomphe est passé sous contrôle qatari…

La crise immobilière en France : heureusement, les Qataris sont là… un dessin signé Georges (source © Le Nouvel Obs)

Gageons donc que la fièvre retombera rapidement et que le sens des affaires reprendra vite le dessus pour faire oublier aux gros investisseurs qataris en quête de dividendes juteux, le chemin de l’hexagone et le goût de la Vache qui rit…

L. V.

Covid-19 : comment va Carnoux ?

2 novembre 2020

Alors qu’une nouvelle phase de confinement vient de se mettre en place, l’évolution de l’épidémie de Covid-19, soigneusement documentée par les chiffres égrenés quotidiennement dans les médias, occupe toutes les conversations. Lorsqu’on observe l’évolution du nombre de cas recensés à l’échelle nationale, il est incontestable que les chiffres ne font qu’augmenter, ce qui donne l’impression d’un phénomène en croissance exponentielle qui ne fait qu’empirer de jour en jour. Au 31 octobre 2020, les chiffres officiels annoncés par le Ministère de la santé faisaient ainsi état de 1,367 millions de cas positifs avérés (sur 67 millions d’habitants, rappelons-le au passage) et la courbe montre une augmentation inexorable avec une forte accélération depuis la mi-septembre.

Evolution quotidienne du nombre de cas de Covid-19 recensés en France depuis le début de l’épidémie et jusqu’à fin octobre 2020 (source © Ministère de la Santé)

Au vu de cette courbe, la notion même de vagues successives paraît bien peu opérante puisque rien ne témoigne du premier pic de mars-avril qui a pourtant justifié un confinement bien plus sévère qu’actuellement. En fait, cette courbe masque une réalité nettement plus rassurante et qui montre à quel point nous avons progressé dans notre gestion collective de cette épidémie. Si le nombre de cas positifs continue ainsi à augmenter quotidiennement, c’est d’abord parce que les tests de dépistage se font désormais en grand nombre et que ces chiffres reflètent de manière beaucoup fidèle qu’en mars-avril la réalité de la prévalence. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le fameux taux de reproduction du virus qui donne une meilleure image de la vitesse à laquelle l’épidémie se propage : il était de l’ordre de 2,5 à 3 lors du premier pic (ce qui signifie qu’une personne atteinte en contaminait en moyenne 2,5 à 3 nouvelles) alors qu’il est inférieur à 1,4 fin octobre, ce qui traduit un très net ralentissement de la propagation.

L’évolution du nombre de personnes placées en réanimation et celui des personnes effectivement décédées du Covid-19 sont eux aussi très révélateurs. Le nombre total de décès s’établit à 36 788 au 31 octobre mais à ce jour, l’essentiel de ces décès s’est produit durant la première vague, même si le nombre de décès quotidien est en train d’augmenter de nouveau depuis la mi-septembre. La courbe montrant l’évolution du nombre d’admissions en réanimation pour cause de Covid-19 est d’ailleurs très similaire, ce qui confirme bien que l’on est encore très loin d’avoir retrouvé une situation aussi dramatique que lors du premier pic de l’épidémie, même si le nombre de cas positifs connus ne fait qu’augmenter de jour en jour.

Evolution du nombre de décès du Covid-19 enregistrés chaque semaine dans les hôpitaux français (source Wikipedia)

Contrairement à la période printanière, au cours de laquelle l’épidémie était plus spécifiquement circonscrite à certaines régions, l’ensemble du territoire national est désormais largement concerné. Qu’en est-il néanmoins de notre commune de Carnoux ? C’est la question qu’ont souhaité posée au maire les deux élus d’opposition de la liste Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire, à l’occasion du dernier Conseil municipal en date, le 15 octobre dernier : « Sur le plan sanitaire, dispose-t-on d’un bilan, même approximatif, du nombre de personnes contaminées, testées positives, décédées ? » Telle était la question posée, par écrit et avant la réunion comme l’exige le règlement intérieur du Conseil, afin de laisser le temps au maire de préparer ses éléments de réponse.

Une réponse qui ne figure malheureusement pas dans le compte-rendu officiel que l’on peut lire sur le site de la commune et dans lequel le sujet n’est même pas évoqué. Comme la réunion a eu lieu à huis clos on ne peut donc s’en remettre qu’aux notes prises en séance par les deux conseillers d’opposition et qui font état d’une réponse plutôt rassurante bien que pour le moins imprécise : « La situation générale est assez anxiogène. Il n’est pas utile d’en rajouter. Sur le plan sanitaire, nous n’avons pas la compétence de l’ARS (Agence Régionale de Santé). Les médecins, pour leur part, sont tenus au secret professionnel. Nous ne savons pas quel est le nombre de personnes testées, infectées ou décédées. Nous ne connaissons que les chiffres des Bouches-du-Rhône. Mais, d’après les contacts quotidiens que j’ai avec les administrés,  je peux vous dire que notre commune est relativement épargnée. Il y a relativement peu de malades. Pour la maison de retraite Claude Debussy, il y a eu 6 infectés, tous asymtomatiques. Le dernier test a montré que plus aucun pensionnaire n’est positif ».

Dessin inspiré de Gorce (source © Carnoux Citoyenne)

Tout va donc pour le mieux à Carnoux dont les limites administratives ont sans doute joué un rôle de barrière efficace. Les données accessibles via l’ARS et sur le site de Santé publique France sont néanmoins un peu moins rassurantes, comme le développe Jacques Boulesteix, puisque les derniers chiffres exploités montrent que sur la commune on est passé en moins d’une semaine, entre le 15 et le 20 octobre 2020, de un nouveau cas positif par semaine à trois cas (en moyenne glissante), ce qui place désormais Carnoux dans la tranche la plus exposée des communes françaises.

Nombre de nouveaux cas de Covid-19 par semaine à Carnoux (source © Carnoux Citoyenne)

Ces chiffres sont consultables par tout un chacun sur le site GEODES développé par Santé publique France et qui donne la valeur de plusieurs indicateurs, pour la plupart à l’échelle départementale, mais pour certains d’entre eux à l’échelle des IRIS, qui correspondent à des îlots INSEE, au nombre de près de 50 000 en France : pour la plupart des communes, un îlot IRIS correspond à la totalité de la commune mais pour les plus grandes villes, il se limite à un ou plusieurs quartiers, ce qui permet de diffuser des statistiques à une échelle assez fine. Ainsi, Carnoux est divisé en trois îlot, ce qui permet de disposer de données assez précises, notamment pour ce taux d’incidence du Covid-19 qui est exprimé en nombre de nouveaux cas enregistré en une semaine et rapporté à 100 000 habitants.

Taux d’incidence hebdomadaire de Covid-19 par îlot IRIS autour de Carnoux pour la semaine du 22 au 28 octobre 2020 (source © GEODES / Santé publique France)

Pour Carnoux, ce taux qui était en moyenne entre 50 et 150 le 15 octobre (ce qui correspond, grosso modo à 7 nouveaux cas positifs par semaine pour toute la commune), est passé à plus de 250 le 20 octobre, ce qui correspond à plus de 20 nouveaux cas positifs chaque semaine. Les derniers chiffres actuellement disponibles, en date du 28 octobre montre que Carnoux reste dans la tranche de 250 à 500 nouveaux cas hebdomadaires pour 100 000 habitants (soit une trentaine de cas supplémentaires chaque semaine sur l’ensemble de la commune). Un chiffre plutôt inférieur à ce qu’on peut observer sur certains quartiers de Marseille fortement touchés et qui reste comparable à la moyenne nationale qui est de 435 à cette même date (alors qu’elle se situait à peine au dessus de 100 fin septembre).

Ce chiffre confirme cependant, s’il en était besoin, que la population de Carnoux, tout comme celle du reste de la France, reste fortement exposée au virus et qu’il importe plus que jamais de bien respecter les gestes barrière.

L. V.