La première pierre du chantier du stade vélodrome a donc été posée il y a
quelques jours en grande pompe. Le stade sera couvert. Plaudite, cives !(applaudissez, citoyens, comme le demandaient les acteurs dans la Rome antique).
Car le stade à Marseille ressemble bien au Colisée sous Domitien. Rome, en ce premier siècle, faisait face à des difficultés croissantes mais l’empereur fit construire l’hypogée et augmenta considérablement de nombre de places. Il ajouta également l’attique qui surmonte les arcades et qui soutenait les 240 poutres servant à l’installation d’un uelum, ces toiles qui permettaient aux spectateurs d’être protégés du soleil méditerranéen. Les bâtiments des alentours furent restaurés. Même si règne fut l’un des plus contestés de l’histoire impériale, l’oeuvre « coliséenne » de Domitien reste, deux millénaires plus tard, reconnue, et la couverture de cette arène suscite toujours l’admiration.
Nous ne savons pas si, à Marseille, la modernisation et le vélum moderne du stade laisseront, dans 2000 ans un souvenir aussi fort. Mais, il y a au moins un point de ressemblance dans le fait qu’aujourd’hui, à Marseille, dont tout le monde reconnaît les difficultés sociales et politiques, le stade est le plus gros chantier de la ville et tous les responsables politiques (ou presque) ont voulu apparaître sur la photo de la pose de la première pierre.
Le sacrifice des finances publiques est considérable. 273 millions d’euros pour 10000 places de plus. Ça fait quand même cher la place, même couverte… et un endettement sur 35 ans. Les maigres capacités d’investissement de la ville sont donc mobilisées en grande partie pour le stade. Et dans le même temps, la rocade L2 n’est toujours pas terminée, les piscines municipales sont fermées par manque de travaux, les enfants ne peuvent être scolarisés en maternelles par manque de classes, les bébés ne trouvent pas de place en crèche, les bibliothèques et médiathèques sont peu développées, les hôpitaux doivent être modernisés, sans parler de la carence d’infrastructures de transports publics…
Si le projet a fait l’objet d’une intense communication, sa priorité n’a été débattue, ni dans la population, ni vraiment au conseil municipal qui ressemble plus à la comedia del arte ou un consiglio comunale di registrazione qu’à une assemblée responsable capable de discuter d’une véritable stratégie municipale d’investissements stratégiques pour Marseille sur le long terme. Mais en allait-il différemment sous Domitien, dont Juvénal nous rapporte, que pour marquer son mépris envers le Sénat, l’empereur le faisait délibérer pour décider dans quel vase on devait faire cuire un turbot ?
A Marseille, le sport professionnel aurait toute sa place, mais rien que sa place. Le stade ne saurait masquer la carence de projets structurants de cette ville. Le renouvellement du stade n’est pas une bêtise. Ce qui l’est, c’est le montant, l’absence de véritable étude de prospective, l’absence de débat sur les priorités dans une ville aux ressources limitées.