C’est le fantasme de Christian Estrosi, l’ancien Président de la Région PACA, redevenu maire de Nice : installer partout des caméras à reconnaissance faciale, sur le modèle de la Chine où il existe déjà 170 millions de caméras dotées de systèmes de reconnaissance faciale et qui affiche comme objectif d’en installer 600 millions d’ici fin 2020. Le dispositif est maintenant bien rodé : des logiciels d’analyse d’image permettent désormais avec un bon niveau de fiabilité de reconnaitre un visage capté par une caméra numérique en le comparant avec une banque de données préenregistrées.
A Nice, qui compte déjà 1800 caméras de télésurveillance installées sur la voie publique, Christian Estrosi avait déjà voulu tester le dispositif de reconnaissance faciale pour l’Euro 2016 mais les autorités nationales l’en avaient dissuadé. Il a donc lancé sa propre expérimentation à l’occasion du carnaval de cette année, en février 2019, en s’appuyant sur 50 volontaires dont bon nombre d’agents municipaux qui ont accepté de se faire photographier sous toutes les coutures pour alimenter la banque d’images avant d’aller se perdre dans la foule pendant le carnaval, histoire de vérifier si le dispositif, fourni par la société israélienne Anyvision, est suffisamment habile pour les repérer et les identifier correctement.
Bien entendu, le bilan que tire la police municipale de Nice, est dithyrambique. Son rapport de 38 pages rendu public ne dit quasiment rien du processus expérimental tel qu’il a été déployé mais affirme avec fierté que tous les objectifs ont été parfaitement atteints, permettant sans la moindre difficulté de reconnaître un individu qui se présente à un accès ou même perdu dans la foule et ceci quelles que soient les circonstances : en mouvement, de jour comme de nuit, même avec un très faible éclairage et même si la photo de référence date de 40 ans. Et le rapport insiste lourdement, questionnaire à l’appui, sur la totale acceptabilité du dispositif plébiscité sans aucune restriction par tous ceux qui ont été interrogés à ce sujet.
A se demander pourquoi la CNIL (Commission nationale informatique et liberté) s’interroge encore sur les bienfaits d’une telle approche au point d’envoyer, le 16 juillet 2019, un courrier au maire de Nice pour lui demander des précisions sur le fonctionnement du dispositif testé et sur les résultats obtenus, courrier auquel Christian Estrosi n’a même pas daigné répondre selon La Gazette des Communes.
D’autant que Christian Estrosi ambitionne de poursuivre ses expériences en installant des portiques biométriques équipés de caméras à reconnaissance faciale à l’entrée des établissements scolaires. Ce sont pour l’instant deux lycées qui sont visés, Les Eucalyptus à Nice et le lycée professionnel Ampère à Marseille. Prudente, la Région Sud qui pilote cette expérience a quand même sollicité l’avis de la CNIL avant de mettre en œuvre le dispositif. Et elle n’a pas été déçue du résultat puisque cette dernière lui a adressé un avis cinglant, en date du 25 octobre 2019, dont a rendu compte Médiapart, énonçant sans détour : « Ce dispositif ne saurait être légalement mis en œuvre »…
On ne saurait être plus clair en effet. Pourtant, la CNIL a cru bon de préciser sa pensée en publiant le 29 octobre un communiqué expliquant que la démarche envisagée était totalement contraire aux principes du RGPD (règlement général sur la protection des données) et parfaitement disproportionnée au vu des objectifs recherchés, rappelant au passage que les systèmes de reconnaissance faciale sont extrêmement intrusifs et qu’un simple contrôle par badge suffit largement. Le traitement de données biométriques, surtout appliqué à des mineurs, est jugé trop sensible et attentatoire aux libertés individuelles pour que la CNIL accepte de le laisser se généraliser sans réflexion approfondie, rejoignant en cela plusieurs villes de Californie qui ont interdit un tel dispositif.
Il faut dire que la CNIL risque d’avoir fort à faire en la matière puisque l’on apprend que le gouvernement lui-même souhaite multiplier les expérimentations en la matière comme le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, l’a indiqué devant les sénateurs le 2 septembre dernier, tandis que la présidente de la Région Ile de France, Valérie Pécresse a de son côté précisé qu’elle souhaitait utiliser ce dispositif dans les transports en commun pour pourchasser d’éventuels terroristes. Et en même temps se poursuit le déploiement du dispositif ALICEM qui utilisera la reconnaissance faciale pour permettre de se connecter en ligne sur l’ensemble des services publics d’ici 2022. La CNIL a, là aussi, émis un avis réservé sur cette démarche tandis que plusieurs associations, dont la Quadrature du Net, ont déposé un recours contre cette application jugée contraire aux libertés individuelles.
Mais rien ne semble pouvoir arrêter cette course en avant vers un monde toujours plus connecté où chaque individu, même dans l’anonymat d’une foule urbaine compacte, sera immédiatement repéré et identifié. La réaction de Christian Estrosi suite à l’avis négatif de la CNIL concernant la mise en place de portiques biométriques à l’entrée des lycées est sans ambiguïté : « Encore une fois la CNIL démontre son rejet de toute forme d’évolution et d’expérimentation sur une technologie, la reconnaissance faciale, qui présente un réel intérêt pour renforcer la sécurité de nos concitoyens. Avec Renaud Muselier, nous ne nous arrêterons pas à cette décision et continuerons de travailler sur cet outil efficace et moderne qui doit permettre de mieux sécuriser nos établissements, tout comme l’espace public. Cette décision basée sur des principes dépassés intervient alors même que les deux conseils d’administration des lycées avaient donné leur accord. Triste et incompréhensible de la part de la CNIL qui semble bloquée au 20ème siècle », a-t-il ainsi tonné dans un Tweet rageur.
Au moins la CNIL sait à quoi s’en tenir quant à la suite qui sera donné à son avis jugé aussi frileux que passéiste. Décidément les habitants de la Région PACA n’ont qu’à se féliciter d’avoir à leur tête des responsables politiques visionnaires, à la pointe de la modernité et qui sauront faire entrer chaque citoyen dans un futur bienheureux et sécurisé, de force s’il le faut…
L. V.