Archive for avril 2022

Crosscall : le téléphone aixois bientôt made in France ?

30 avril 2022

La crise du Covid aura au moins eu le mérite de mettre l’accent sur la vulnérabilité extrême des sociétés occidentales devenues totalement dépendantes, même pour des produits de première nécessité, des pays asiatiques où se fait l’essentiel de la production mondiale. Une mondialisation qui a permis à des pays comme la France de fermer la quasi totalité de ses usines : adieu la pollution et vive la société de consommation et de loisirs, grâce à des produits à bas coût, confectionnés en Asie par une main d’œuvre bon marché et transportés depuis l’autre bout du monde pour presque rien !

Usine de production de téléphones Samsung au nord Vietnam (photo © Dux Tàm / VNA / Le Courrier du Vietnam)

Seulement voilà que le coût de la main d’œuvre chinoise augmente : entre 2005 et 2016, il a été multiplié par trois, se rapprochant désormais de celui d’un ouvrier portugais, même s’il reste très inférieur à celui de son homologue français ou allemand. Avec la pandémie mondiale, la Chine aussi a dû faire face à des pénuries de main d’œuvre et la qualité de sa production s’en est ressentie tandis que les coûts de l’énergie explosaient, celui de l’électricité ayant récemment augmenté de 20 %. Quant au coût du transport maritime par containers, il a connu une envolée spectaculaire, multiplié par cinq au cours de la seule année 2021, pour le plus grand profit d’une société comme la CMA-CGM qui engrange des profits mirifiques !

Autant d’arguments pour inciter les entreprises françaises à relocaliser une partie de leur production industrielle en France, ce qui pourrait au passage booster le marché de l’emploi et rééquilibrer quelque peu notre balance commerciale totalement déréglée… C’est du moins le pari qu’est en train de faire une start-up implantée à Aix-en-Provence sous le nom délicieusement provençal de Crosscall, et dont l’activité consiste à vendre des smartphones résistants, destinés notamment aux amateurs de sports extrêmes en extérieur.

C’est en tout cas ce marché du sport outdoor qu’a visé initialement le créateur de cette société, le Marseillais Cyril Vidal, un commercial travaillant alors dans le BTP et la construction modulaire. Grand amateur de jet ski et autres sports nautiques, ses nombreuses déconvenues suite aux défaillances de son téléphone portable, devenu inutilisable à la moindre tempête un peu arrosée, l’ont conduit en 2009 à créer la marque Crosscall, pour mettre sur le marché des mobiles tout terrain et étanches.

Shark, le téléphone étanche et flottant développé par Crosscall pour les usagers de la mer (source © Crosscall)

Deux ans plus tard, en 2011, Crosscall, alors implantée à Châteauneuf-les-Martigues, se met à commercialiser son premier portable, assemblé en Chine, le Shark, étanche et capable de flotter lorsqu’il tombe à l’eau. Vendu chez Décathlon, il permet à la jeune pousse de réaliser son premier chiffre d’affaire, plutôt modeste de 1500 €… En 2014, Crosscall, qui entre temps à réussi aussi à s’implanter dans les magasins Point P et Au Vieux Campeur, commercialise son premier smartphone présentant les mêmes caractéristiques de robustesse et d’étanchéité. En 2016, Crosscall affiche déjà un chiffre d’affaire de 30 millions d’euros, se choisit un nouveau partenaire industriel, le groupe chinois Hisense, s’implante dans les boutiques commerciales d’Orange, SFR, Bouygues et Free, et réussit à recruter David Eberlé, ancien président de Samsung Electronics France pour développer son marché en France et à l’international.

Cyril Vidal, PDG de Crosscall et son associé David Eberlé, fin 2016 dans les locaux de la société à Aix-en-Provence (photo © Geneviève Van Lede / La Provence)

La même année, la start-up en pleine croissance obtient une levée de fonds de 4,5 millions auprès d’ACG Management et une aide de 2 millions via BPI France, puis procède en 2018 à une nouvelle levée de fonds de 12 millions d’euros auprès d’A Plus Finance et Al Mundi. Les 4 salariés du départ sont désormais pas loin de 200 et plus de 3,5 millions de téléphones de la marque ont déjà été vendus dans 19 pays, tandis que Crosscall, après plusieurs déménagements successifs a désormais son siège à Aix-en-Provence.

Le siège de la société Crosscall à Aix-en-Provence (source © Gomet)

Mais la crise du Covid et la pénurie de semi-conducteurs en particulier, ont fait prendre conscience aux dirigeants de Crosscall, dont le capital reste à 100 % français et qui a remporté coup sur coups plusieurs gros marchés pour approvisionner en mobiles le personnel de la SNCF, de la police et même de la gendarmerie, de la fragilité liée à cette production chinoise dont les coûts ont augmenté de près de 11 % en un an, tout en enregistrant des ruptures d’approvisionnement et une baisse de qualité.

L’entreprise aixoise a donc commencé à implanter dans ses locaux, grâce à un financement accordé dans le cadre du plan France Relance, un laboratoire de recherche et développement, destiné notamment concevoir ses nouveaux produits et à tester la qualité de ses modèles, ce qui lui permet désormais de monter en gamme et de proposer une garantie de 5 ans sur certains de ses modèles, ce qui est assez innovant sur ce type de produits. Soumis à rude épreuve, allant de l’immersion dans l’eau salée jusqu’à la chute de 2 m sur du marbre en passant par un séjour au réfrigérateur entre -25 et +71 °C, les smartphones de la marque n’ont pas usurpé leur réputation de robustesse qui fait leur succès commercial !

Le Trekker X3, smartphone commercialisé par Crosscall qui ne craint pas les climats extrêmes (source © Grounds)

L’étape suivante va désormais consister à développer, juste en face du siège de la société, un atelier où seront bientôt fabriqués les accessoires de la marque, du kit de fixation sur VTT jusqu’à la batterie externe sans oublier les fameuses coques flottantes. Il s’agira ensuite de développer, en collaboration avec le réparateur français Cordon, une chaîne de reconditionnement des smartphones de la marque, tout en leur garantissant les mêmes qualités de performance, de robustesse et d’étanchéité, un véritable challenge mais qui répond à une véritable demande de durabilité de ce type d’appareils.

Le reconditionnement des téléphones Crosscall, un objectif qui se concrétise… (source © Crosscall)

Et la dernière étape envisagée par Crosscall, à l’horizon 2025, est la plus difficile puisqu’elle vise, ni plus ni moins qu’à lancer à Aix-en-Provence, sur un site qui reste encore à identifier, l’assemblage de ses smartphones à partir de composants européens, issus notamment du fabricant franco-italien de semi-conducteurs, STMicroelectronics. Un beau challenge mais qui est loin d’être gagné, ne serait-ce que pour trouver la main d’œuvre qualifiée d’ingénieurs capables de réaliser ce type de produits dont les Chinois sont désormais les grands spécialistes, maintenant que les anciens champions européens du secteur, tels Ericsson et Nokia, ont jeté l’éponge : l’avenir dire si le pari de Crosscall arrive à se réaliser…

L. V.

Ces Français qui ont découvert l’Australie

27 avril 2022

Terra australis incognita : la terre australe inconnue, fait partie de ces idées plus ou moins mythiques, issues de l’Antiquité, introduite notamment par Aristote puis développée par Ptolémée, ce scientifique grec du 1er siècle après J.-C. dont la Géographie est une remarquable compilation des connaissances mondiales de l’époque et qui était persuadé de l’existence d’un vaste continent entre le pôle sud et l’Océan indien. Dès la Renaissance, ce continent apparaît sur plusieurs cartes et en 1504, le Français Binot Paulmier de Gonneville, parti justement à la recherche de ces terres australes fut peut-être l’un des premiers Européens à accoster sur les côtes brésiliennes.

Toujours est-il qu’à partir de 1515, on voit apparaître sur la mappemonde du cartographe allemand Johan Schröner un véritable continent positionné au sud du détroit de Magellan et dont les contours rappellent vaguement ceux de l’Australie. De cette époque date une étrange confusion entre ces terres australes de l’Antarctique et le continent australien lui-même dont la connaissance originelle se serait transmise à partir des expéditions chinoises du XVe siècle, dont auraient eu vent certains commerçants arabes et européens.

Bateaux de James Cook, explorant les îles Kerguelen en 1776 (source © Bibliothèque nationale de France / Assemblée nationale)

Rien de tel en tout cas pour attiser la curiosité des marins les plus intrépides dont celle du navigateur français Yves Joseph Kerguelen de Trémarec qui, en mars 1771, se voit confier par le ministre de la marine de Louis XV, la mission d’aller découvrir ce « très grand continent dans le sud des îles Saint-Paul et Amsterdam, et qui doit occuper une partie du globe depuis les 45 degré de latitude sud jusqu’aux environs du pôle ». Deux vaisseaux sont affrétés pour cela. A bord de La Fortune, Kerguelen découvrira effectivement en février 1772 un archipel qu’il retournera explorer en 1776 et à qui il donne le nom d’Australasie.

Vue satellite de l’archipel des Kerguelen (source © Mapcarta)

Une irruption bien peu durable d’ailleurs puisqu’il fallu attendre 1893 pour que la France en prenne officiellement possession et même 1949 pour que l’Assemblée nationale décide enfin de faire acte de souveraineté sur ces îles Kerguelen, alors que d’autres îles du secteur, pourtant découvertes par les Français s’étaient vues accaparer par d’autres nations. C’est d’ailleurs un certain François Mitterrand, alors jeune ministre de l’Outre-mer, qui, en 1955, créa l’administration des Terres australes et antarctiques françaises qui englobent toujours, outre les îles Kerguelen, les îles Crozet, les îles Amsterdam et Saint-Paul, la terre Adélie et, depuis 2007, les îles Éparses.

Mais lors de l’expédition de 1772, un second vaisseau, Le Gros Ventre, commandé par un autre Breton, Louis Aleno de Saint-Alloüarn avait accompagné La Fortune jusqu’aux abords des îles Kerguelen, permettant à l’enseigne Charles-Marc du Boisguéhenneuc, de débarquer le 13 avril 1772 sur l’île de la Possession. Gêné par le brouillard et la tempête de neige qui s’abattait alors sur ces terres hostiles, Le Gros Ventre avait alors perdu de vue La Fortune dont le capitaine Kerguelen avait levé l’ancre sans tarder, pressé qu’il était de rentrer à Paris annoncer au roi la bonne nouvelle de sa découverte.

Plage de la Possession, sur les îles Kerguelen, où accosta la chaloupe du Gros Ventre en 1772 (source © Iles Kerguelen / TAAF)

Après avoir vainement cherché son alter ego, Le Gros Ventre décide alors de poursuivre sa route comme prévu initialement et cingle vers l’Est où il arrive le 17 mars 1772 en vue des côtes occidentales de l’Australie, alors désignée sous le nom de Nouvelle-Hollande depuis que le navigateur Abel Tasman en avait cartographie la côte septentrionale en 1644. Peu auparavant, en 1768, le navigateur français Louis-Antoine de Bougainville, dans son tour du monde à bord de La Boudeuse, avait repéré la grande barrière de corail mais ses explorations s’étaient limité aux îles Tuamotu, à Tahiti, à l’archipel des Samoa, à celui de Vanuatu et aux îles Salomon. Saint-Alloüarn est dont bien le premier Français à accoster le 30 mars 1772 sur cette côte de l’ouest australien, alors largement inconnue.

Comme le veut la coutume, il envoie une chaloupe à terre, avec à son bord un certain Jean Mengaud de la Hage qui prend possession de la terre au nom du roi de France en enfouissant un message dans une bouteille avec deux louis d’or. Le bateau reprend sa route et cingle vers l’île indonésienne de Timor, alors portugaise, puis vers le port de Djakarta, aux mains des Hollandais et connu sous le nom de Batavia. Le capitaine comme son équipage sont épuisés et soufrent cruellement du scorbut. Ils finissent néanmoins par rallier Port-Louis, sur l’île Maurice, où Saint-Alloüarn rend l’âme le 27 octobre 1772, à 35 ans, après avoir écrit une longue lettre à Yves Kerguelen pour rendre compte de sa mission.

Côte sableuse de Turtle Bay sur l’île de Dirk Hartog, où le Gros Ventre accosta en 1772 (photo © Adams Family Travels / Camps Australia Wide)

Mais cela ne l’empêchera pas de tomber dans les oubliettes de l’Histoire tandis que 16 ans plus tard, le 18 janvier 1788, le Britannique Arthur Phillip, à la tête de 11 navires transportant près de 800 repris de justice, débarque à Botanic Bay, dans le golfe de Sidney pour y fonder une colonie pénitentiaire, là même où l’explorateur anglais James Cook avait débarqué en avril 1770 après avoir été le premier à longer la côte Est de l’Australie.

Le 16 janvier 1998, une expédition archéologique franco-australienne menée par Philippe Godard et Max Cramer, découvre un bouchon de bouteille en plomb et une pièce d’un écu datant de 1767, dans le sable de l’île Dirk Hartog, à Turtle Bay, à l’endroit même où Jean Mengaud les avait déposés le 30 mars 1772 pour prendre officiellement possession au nom du roi de France, de cette côte ouest de l’Australie qui aurait donc pu devenir colonie française !

Bouteille enfouie en 1772 sur l’île de Dirk Hartog et retrouvée en 1998 (source © Western Australian Museum)

Curieusement, les Français n’étaient d’ailleurs alors pas les premiers à débarquer sur cette île la plus occidentale de l’Australie, qui borde l’actuelle baie de Shark. C’est un navigateur hollandais, celui-là même qui a laissé à cette île dunaire son nom de Dirk Hartog, qui y a débarqué le premier, le 25 octobre 1616, alors qu’il se rendait du Cap au port de Batavia. Il y avait même laissé, en souvenir de son passage, une assiette en étain, suspendue à un arbre.

Assiette laissée sur l’île de Dirk Hartog en 1616 (photo © Rijksmuseum)

Et en 1697, un autre capitaine hollandais, Willem de Vlamingh, fit à son tour escale sur cette île, découvrit la fameuse assiette, la remplaça par l’une des siennes, et rapporta l’autre à Amsterdam où l’on peut encore l’observer au Rijksmuseum… Quant à celle de Vlamingh, c’est une expédition française, dirigée par Emmanuel Hamelin, qui l’a retrouvée en 1801, enfouie dans le sable après que son support en bois ait pourri au fil du temps. Remise en place, elle est finalement récupérée en 1818 par un autre Français, le cartographe Louis de Freycinet, à l’origine de la première carte complète des contours du continent australien. Perdue pendant des années, l’assiette de Vlamingh est finalement retrouvée à Paris en 1940, et restituée en 1947 à l’Australie où elle trône désormais au musée maritime de Fremantle.

Toujours est-il que la découverte de 1998 des vestiges de l’expédition de 1772 a fait beaucoup de bruit, au point de déclencher de nouvelles investigations qui ont abouti, le 1er avril de la même année, à la découverte d’une seconde bouteille, intacte celle-là et toujours cachetée avec son bouchon de plomb et un autre écu à l’intérieur. Aucun document n’attestant d’une volonté officielle d’annexion de l’Australie par la France n’a cependant été retrouvé à ce jour, et il en est sans doute aussi bien ainsi : on n’a pas besoin d’une nouvelle crise diplomatique en ce moment…

L. V.

Présidentielle 2022 : un résultat sans réelle surprise

25 avril 2022

Emmanuel Macron vient donc d’être réélu pour 5 ans avec un peu plus de 58,5 % des suffrages exprimés, très largement devant Marine Le Pen, même si cette dernière réalise un score particulièrement élevé, très supérieur à celui qu’elle avait obtenu en 2017 ou que son père avait enregistré en 2002 face à Jacques Chirac. Elle finit d’ailleurs en tête à l’issue de ces présidentielles dans plus de la moitié des communes françaises, dont Carnoux-en-Provence, bien évidemment. Et le taux d’abstention, bien que parmi les plus forts observés au second tour d’une élection présidentielle, avec 28 %, n’est pas si différent de celui noté en 2017…

Emmanuel Macron fêtant sa victoire avec ses partisans sur le Champ de Mars le 24 avril 2022 au soir (photo © Thomas Coex / L’Express)

Un résultat du président sortant que l’on n’aurait pas forcément attendu après les précédents de Nicolas Sarkozy en 2012 et de François Hollande en 2017, tous les deux balayés par le vent de l’Histoire, au point que le second n’a même pas osé se représenter devant le suffrage universel tandis que le premier a subi en 2017 une nouvelle et humiliante défaite dès la primaire, avant d’être sévèrement rattrapé par la Justice pour une partie de ses multiples arrangements avec la Loi…

Pour être honnête, c’est un véritable exploit que d’arriver à se faire réélire dans un tel contexte de grand dégagement et de zapping quotidien ! Une ambiance qui incite une part importante de nos concitoyens à détester aujourd’hui ce qu’ils ont adoré hier, et à se comporter avec nos représentants élus comme avec n’importe quel fournisseur de prestation. Chacun exige un service irréprochable, au plus prêt de ses propres intérêts, et refuse de pardonner la moindre erreur de jugement ou de comportement, au prétexte que l’électeur-client est roi et que nos responsables seraient tous des incapables !

Un second tour qui a placé bien des électeurs dans l’embarras… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

Gouverner un pays où chacun se croit expert et est persuadé d’avoir toujours raison n’est pas une sinécure. D’autant que si tous se rejoignent assez naturellement pour critiquer le pouvoir en général et nos élus en particulier, chacun a son idée de la manière dont il faudrait gouverner autrement, et rares sont ceux qui n’en changent pas au fil du temps et au gré des événements… Certes, Emmanuel Macron avait suscité en 2017 un incontestable engouement majoritaire, mais les tempêtes qu’il a dû affrontées n’étaient pas forcément de nature à laisser penser que les Français décideraient malgré tout de le reconduire dans ses fonctions.

La situation de guerre en Ukraine crée certes un climat plutôt consensuel qui incite la Nation à se regrouper autour de ses dirigeants, mais on pourrait difficilement en dire autant pour la pandémie de CoVid-19 qui a marqué ce quinquennat et qui a été à l’origine de critiques et de débats passionnés au cours desquels nos responsables politiques aux commandes ont plus d’une fois été traînés plus bas que terre par des Français déchaînés et les nerfs à fleur de peau. On pourrait en dire autant de la révolte des Gilets jaunes qui a bien failli dégénérer en guérilla urbaine et qui a mis en avant la difficulté à tenter de concilier qualité de vie, pouvoir d’achat et préservation de notre environnement : un débat qui ne fait que commencer !

Émeutes sur les Champs-Élysées en pleine crise des Gilets jaunes en novembre 2018 (source © France TV Info)

Et pourtant, malgré ces écueils de taille, le président sortant a été, tout au long de cette campagne, en tête des sondages. Certains ont critiqué notre mode même de scrutin uninominal majoritaire qui biaiserait les résultats. A cet égard, Flint et l’association Mieux Voter font état d’un sondage très instructif établi à plusieurs reprises avant le premier tour par l’institut Opinionway et qui compare les résultats selon trois manières différentes de voter. La première, telle que prévue dans notre Constitution donnait, dans sa dernière version peu avant le premier tour, donnait Emmanuel Macron en tête avec 27 % des intentions de vote (il en a finalement obtenu 27,84%) devant Marine Le Pen à 21 % (alors qu’elle a fini à 23,15%) et Jean-Luc Mélenchon à 15 % (contre 21,95 % lors du scrutin). Des estimations que l’on peut critiquer mais qui donnaient néanmoins une bonne image du tiercé gagnant de ce premier tour.

La seconde méthode d’analyse effectuée en parallèle consiste à demander aux sondés de juger, pour chacun des 12 candidats en lice comment ils les jugent aptes à gouverner la France pour les 5 ans à venir, selon un jugement gradué avec 7 niveaux allant de « à rejeter » jusqu’à « excellent ». Une méthode plus subtile qui permet de mettre en évidence les véritables votes d’adhésion inconditionnelle comme les sentiments de rejet viscéral, mais dont l’analyse permet de mettre en exergue les candidats qui suscitent globalement le plus d’adhésion (même tiède) et le moins de rejet.

Résultat du sondage Opinonway selon une approche majoritaire avant le premier tour des présidentielles 2022 (source © Flint)

Et la (bonne) surprise est que cette approche, pourtant radicalement différente, aboutit au même résultat avec Emmanuel Macron toujours en tête devant une Marine Le Pen qui a un taux de rejet très supérieur. La principale différence est que, selon cette méthode, Jean-Luc Mélenchon, cède une place avec un taux élevé (50 %) de rejet total ou de de jugement « insuffisant », au profit de Valérie Pécresse jugée plus consensuelle. La principale victime d’un tel classement est Eric Zemmour qui se place bon dernier du fait d’un taux de rejet particulièrement élevé…

Une troisième approche a aussi été testée, à savoir le vote par approbation, qui permet au sondé de lister les différents candidats qu’il serait prêt à soutenir s’il pouvait voter pour plusieurs d’entre eux. Une méthode originale mais qui aboutit exactement au même résultat, avec toujours Emmanuel Macron en tête devant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, avec naturellement des scores légèrement supérieurs, mais de peu…

Cette démarche a en tout cas le mérite de montrer qu’aucun des 12 candidats qui s’étaient présenté aux suffrages des Français ne remporte leur adhésion majoritaire. Même Emmanuel Macron, pourtant le mieux placé et que les Français viennent donc de reconduire pour 5 ans à la tête du pays est rejeté par près de 30 % des électeurs et n’est réellement soutenu que par une proportion quasi identique du corps électoral.

Répartition des votes par tranche d’âge au premier tour des présidentielles 2022, à partir de sondages sortis des urnes (source © Statista)

Une ligne de fracture qui s’accentue encore quand on regarde la répartition des votes en fonction de l’âge des électeurs. Sur la base des déclarations des électeurs, il apparaît ainsi clairement que les plus jeunes (18-24 ans) ont plébiscité Jean-Luc Mélenchon avec près de 35 % des votes en sa faveur (et près de 7 % pour Yannick Jadot), confirmant sans conteste leurs préoccupations pour l’environnement et la justice sociale, avec néanmoins un taux d’abstention plutôt élevé. La tranche d’âge des jeunes actifs de 25 à 34 ans, celle où les taux d’abstention explosent, a en revanche placé Marine Le Pen en tête avec 30 % des suffrages contre 27 % à Jean-Luc Mélenchon. C’est seulement parmi les plus de 50 ans qu’Emmanuel Macron devient majoritaire tandis que l’adhésion à Jean-Luc Mélenchon passe en dessous des 20 % chez les plus de 35 ans.

Quant à la dernière tranche d’âge, à savoir les plus de 65 ans, souvent les plus assidus dans les bureaux de vote, ils ont voté en masse pour le président sortant, à plus de 37 % et sont les plus réticents à soutenir les candidats jugés plus radicaux comme Marine Le Pen (18 %) et Jean-Luc Mélenchon (11 %). La sagesse du grand âge ou le reflet d’une indifférence croissante pour l’avenir de la planète et du sort des plus défavorisés ?…

L. V.

Afrique du Sud : Durban sous les flots

23 avril 2022

Le GIEC vient tout juste de publier, le 4 avril 2022, le troisième volet de son sixième rapport d’évaluation sur le changement climatique global, s’efforçant une nouvelle fois de mettre en avant les solutions qu’il faudrait mettre enfin en œuvre pour tenter, pendant qu’il en est encore temps, de se conformer aux engagements de la COP 21, à savoir limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C en moyenne, sachant que ce réchauffement ne fait que s’accélérer et a d’ores et déjà dépassé la barre fatidique de 1 °C… Vu l’inertie du dispositif et la torpeur sinon le scepticisme de la plupart des dirigeants économiques et politiques, l’affaire devient de plus en plus délicate et on approche à grand pas du point où, quoi qu’on fasse, il sera de toute façon impossible de limiter ce réchauffement climatique au niveau visé lors de l’Accord de Paris.

Dégâts liés à la crue de la rivière Ahr à Schuld, en Allemagne (photo © Michael Probst / AP / Le Monde)

Et forcément, dans un tel contexte de réchauffement planétaire global, les événements climatiques extrêmes s’enchaînent. On se souvient des inondations exceptionnelles qui avaient fait plus de 200 morts et des dégâts matériels considérables, évalués à 30 milliards d’euros, en Allemagne et en Belgique, en juillet 2021. En janvier-février 2022, c’était l’île de Madagascar qui était ravagée par pas moins de cinq cyclones successifs, occasionnant de nombreuses victimes et d’énormes dommages.

Route nationale 2 coupée par les inondations en janvier 2022 entre Moramanga et Antananarivo fin janvier 2022 (source © Témoignages)

Dernièrement, c’est la région du Kwazulu-Natal, au nord-est de l’Afrique du Sud, qui vient de subir une catastrophe comparable, tout aussi exceptionnelle au vu des statistiques météorologiques, mais que l’effet du réchauffement climatique ne fait que rendre plus probable de jour en jour. A partir du 8 avril 2022, des pluies diluviennes se sont abattues dans la région de Durban : plus de 450 mm d’eau en 48 heures, soit quasiment la moitié de ce qui tombe localement sur une année entière en moyenne ! Un phénomène que les météorologues dénomment joliment « goutte froide », que l’on rencontre parfois aussi en Europe, et qui se traduit par le blocage d’une masse d’aire polaire venue s’égarer sous cette latitude subtropicale.

Temple Vishnou au bord du fleuve Mhlathuzana, à Chatsworth, près de Durban, endommagé par la crue le 12 avril 2022 (source © Associated Press / TV5 Monde)

A Durban même, une ville portuaire de 3,5 millions d’habitants, la deuxième du pays derrière Johannesburg, les dégâts ont été considérables. Sur l’ensemble de la région, un premier bilan provisoire, établi le 19 avril, faisait état d’au moins 448 morts, alors que les hélicoptères survolaient encore la ville à la recherche de nombreuses personnes toujours portées disparues. Plus de 4000 maisons ont été détruites par ces violentes intempéries et au moins 13 500 ont été endommagées. De nombreux hôpitaux et plus de 550 écoles ont également subi des dégâts parfois sévères et des zones entières restent encore inaccessibles à cause des routes et des ponts qui ont été emportés. Le port de Durban lui-même a été totalement dévasté avec des milliers de containers qui se sont éparpillés un peu partout…


Empilement de containers emportés par les inondations dans le port de Durban le 12 avril 2022 (photo © Rogan Ward / Reuters / Le Monde)

Dès le lundi 18 avril, l’armée a été mobilisée et plus de 10 000 soldats ont été déployés dans les zones sinistrées pour aider au sauvetage des victimes mais surtout au rétablissement des infrastructures, la priorité étant, paradoxe fréquent après une inondation dévastatrice, de fournir les populations en eau car tout le réseau de canalisations a été sévèrement endommagé. Le réseau ferré a lui aussi été fortement touché et les déplacements ont dû être interrompus à cause de multiples glissements de terrain qui ont coupé les voies. Un peu partout, les fortes précipitations ont fait tomber les murs de soutènement, affouillé les ouvrages et fait glisser des pans entiers de collines.

Pont emporté par les inondations dans la région de Durban en avril 2022 (photo © AP / SIPA / Les Echos)

En de nombreux endroits, les habitations précaires, parfois construites de bric et de broc avec des matériaux de récupération, sans véritable plan d’urbanisme ni de réseau bien organisé pour la collecte des eaux pluviales, ont été emportées par des coulées de boues dévastatrices.

Après les inondations, chacun se mobilise pour fouiller les décombres et remonter l’habitat précaire qui a été endommagé. Ici les ruines d’une église qui s’est effondrée sur une maison à Clermont, près de Durban (photo © Rogan Ward / Reuters / Ici Radio Canada)

La ville de Durban avait déjà été le théâtre de violences urbaines sanglantes en juillet 2021, et avait connu 5 nuits de manifestations et de pillages consécutives à l’emprisonnement de l’ex président, Jacob Zuma, figure historique de la lutte anti-apartheid, d’origine zoulou. Élu Président de la République en 2009 et réélu en 2014, il avait dû démissionner en 2018 et s’est donc retrouvé en prison en 2021 après avoir refusé de comparaître devant les juges qui l’accusaient de corruption politique aggravée. Une situation explosive qui avait donc déclenché une vague d’émeutes à travers le pays, provoquant pas moins de 337 morts dont 258 dans la seule province du Kwazulu-Natal.

Centre-ville de Durban ravagé par des émeutes ayant conduit au pillage de près de 40 000 commerces en juillet 2021 (photo © AFP / BBC)

La ville de Durban avait alors connu une vague sans précédent de destructions et de pillages avec de nombreux incendies criminels provoquant la destructions de magasins et d’entrepôts autour du port. Et voila donc qu’après la folie meurtrière des hommes, ce sont les forces de la nature qui se déchaînent contre la ville et la noie sous des trombes d’eau. Il est décidément des lieux où il vaut mieux de pas se trouver dans ces moments-là…

L. V.

Sri Lanka : au bord du gouffre ?

21 avril 2022

Longtemps connu sous le nom de Ceylan, le Sri Lanka est un petit pays de 65 000 km², situé dans l’Océan indien, à une trentaine de kilomètres seulement du sous-continent indien. Ses 22 millions d’habitants se partagent, comme en Belgique, en deux communautés linguistiques irréconciliables. Une guerre civile qui a fait au moins 70 000 morts et 20 000 disparus a opposé pendant des années la majorité cinghalaise et la minorité tamoule qui se considère comme discriminée depuis l’indépendance du pays, acquise en 1948 après des siècles de domination portugaise, puis hollandaise et enfin britannique.

Une véritable guerre civile a ravagé le pays à partir de 1983, opposant l’armée et le gouvernement à un mouvement rebelle identitaire très organisé, les Tigres de libération de l’Îlam tamoul. Malgré une courte trêve en 2002-2005, période au cours de laquelle le Sri Lanka a notamment été frappé de plein fouet par le tsunami meurtrier du 31 décembre 2004 qui a fait au moins 31 000 morts et d’énormes dégâts matériel, le conflit a repris et a atteint son paroxysme à partir de 2009, sous l’impulsion du président Mahinda Rajapaksa, élu sur un programme ultra sécuritaire axé principalement sur la guerre à outrance contre le « terrorisme » tamoul.

Scène de guerre en 2009 à Mulaitivu, ancien bastion des Tigres tamouls (source © Courrier International)

Issu d’une famille de l’oligarchie et lui-même fils de ministre, Mahinda Rajapaksa était déjà premier ministre en 2004 et a été président pendant deux mandats successifs de 2005 à 2015. Certains l’accusent d’ailleurs directement d’avoir tenté de fomenter un coup d’État, avec l’aide de son frère, Gotabaya Rajapaksa, alors ministre de la défense, lorsqu’il a vu qu’il ne pourrait pas conserver son mandat présidentiel à l’issue des élections de 2015…

En 2018, le pays connaît une crise politique sans précédent après que le nouveau président a cru bon de nommer de nouveau Mahinda Rajapaksa comme premier ministre tandis que celui déjà en poste refuse de démissionner. La situation est particulièrement tendue pendant plusieurs mois consécutifs, jusqu’à ce que la Cour suprême finisse par démettre Rajapaksa de ses fonctions avant qu’il ne finisse par démissionner. Mais le 21 novembre 2019, c’est son propre frère, ce même Gotabaya Rajapaksa, pourtant accusé de tentative de coup d’État 4 ans plus tôt qui est élu à la tête du pays et qui s’empresse de nommer comme premier ministre, son frère, l’inamovible Mahinda Rajapaksa !

Mahinda Rajapaksa (à gauche) et son frère Gotabaya (à droite) en novembre 2019 (photo © Ishara S. Kodikara / AFP / La Croix)

Au Sri Lanka, chez les Rakapaksa, on a le goût du pouvoir mais aussi le sens de la famille. Le gouvernement actuel compte ainsi deux autres frères Rajapaksa comme ministres : Basil, ministre des Finances et Chamal, ministre de l’Agriculture. Sans compter un neveu, Namal, ministre des Sports.

Du coup, pour les opposants qui manifestent régulièrement leur mécontentement dans la rue, la cible est toute trouvée puisque c’est toute la famille Rajapaksa qui personnifie ce pouvoir ultra nationaliste et même une politique économique qui est en train de ruiner le pays. Paradoxalement, Gotabaya Rajapaksa s’est en effet fait élire sur la base d’une promesse de forte baisse des impôts qu’il a bien fallu tenir et qui grève le budget de l’État, alors même que le gouvernement s’est lancé dans une démarche de dépenses somptuaires totalement disproportionnées avec les ressources nationales. L’aéroport international inauguré en 2013 à Mattala, deuxième ville du pays, et qui porte opportunément le nom de la famille Rajapaksa, est ainsi une immense coquille vide totalement déserte la plupart du temps, desservi par 2 compagnies aériennes seulement !

La tour Lotus à Colombo (source © Xinhua)

De même, la tour Lotus à Colombo, haute de 350 m, la 19ème tour la plus haute du monde a été achevée en 2019 pour la modique somme de 104 millions de dollars mais son utilité reste encore à prouver car seuls les premiers étages sont utilisés comme musée et centre de conférence, le reste ne servant que de support à des antennes de télécommunication… On se pose les même questions pour bien d’autres chantiers pharaoniques lancés par un pouvoir quelque peu déconnecté des réalités. Il en est ainsi du site de Port City, une presqu’île artificielle de 269 ha dont l’édification a débuté en 2014 en bordure de la capitale Colombo, et qui s’insère dans le projet des nouvelles routes de la soie chinoises. Les promoteurs immobiliers rêvent d’en faire un quartier d’affaire d’envergure mondiale et le géant chinois China Communications Construction Company y a investi 1,4 milliard de dollars. Classée zone économique spéciale pour y attirer les investisseurs étrangers, le chantier est à l’arrêt et son avenir paraît pour le moins sombre.

Vue aérienne du chantier de Port City à Colombo (photo © Tang Lu / Chine nouvelle / SIPA / Les Echos)

Le Sri Lanka, au travers de tels projets gigantesques, largement financés par des capitaux chinois, se retrouve de fait extrêmement dépendant de son voisin ombrageux. L’exemple du port d’Hambantota, aménagé par la Chine est là pour le monter : faute d’avoir pu rembourser l’énorme prêt consenti pour cela par le gouvernement chinois, le Sri Lanka a dû se résoudre à lui louer la totalité de l’infrastructure portuaire pour une durée de 99 ans, avec même une option pour une prolongation à 198 ans… Une démarche dans laquelle la Chine est passée maître, s’accaparant ainsi un peu partout dans le monde les infrastructures de transport de fret dont elle a besoin pour devenir la reine du commerce international.

Le problème est que, du fait de cette politique quelque peu erratique du clan Rajapaksa, c’est toute l’économie du pays qui est en train de sombrer. L’inflation y a atteint 20 % en mars 2022. Les coupures d’électricité sont quotidiennes et durent parfois jusqu’à 13 heures d’affilée ! La population fait face quotidiennement à des pénuries d’essence, de produits alimentaires, de médicaments. Faute d’équipement en état de marche, les hôpitaux déprogramment les opérations tandis que les écoles suspendent les examen fautes de fournitures pour imprimer les sujets… Comme l’explique dans le Courrier International ce boulanger de Colombo : « L’activité a chuté de plus de moitié. Quand je trouve du carburant pour ma camionnette, il n’y a plus de gaz pour la boulangerie. Quand on trouve du gaz, il n’y a plus d’électricité. Si l’électricité marche, il manque des ingrédients ou de l’eau. Et, quand on se débrouille pour trouver tout ce qu’il faut et avoir du pain et des pâtisseries à vendre, les gens disent qu’ils n’ont plus de quoi payer. C’est ça, la situation, aujourd’hui ».

Violentes manifestations à Colombo, jeudi 31 mars 2022, près du domicile du président Gotabaya Rajapaksa, malgré l’instauration d’un couvre feu (source © AP / la Libre Belgique)

La situation est si tendue que le 3 avril 2022, l’ensemble des 26 ministres du gouvernement Rajapaksa ont dû démissionner en bloc alors que le pays faisait face à de violentes émeutes. Et le 12 avril 2022, le Sri Lanka s’est carrément mis en défaut de paiement en suspendant unilatéralement le remboursement de sa dette extérieure qui s’élève quand même à 51 milliards de dollars, en attendant une éventuelle aide du Fonds monétaire international. Il faut dire que cette année, le pays devait payer 7 milliards de dollars pour le seul service de sa dette alors que les réserves nationales de change ne dépassaient pas 1,9 milliards !

Une véritable impasse donc pour ce pays asiatique qui tente désespérément de négocier un allégement de la dette auprès de ses grands voisins indiens et chinois, lesquels répondent en augmentant leurs lignes de crédit pour lui fourguer leurs produits manufacturés… Il ne fait pas bon être dans le camp des perdants du grand marché mondialisé !

L. V.

Augmentation des retraites : un cadeau empoisonné ?

19 avril 2022

Au 1er janvier 2022, le montant des pensions de retraite a été revalorisé de 1,1 %. A l’approche des élections présidentielles, c’est le moment ou jamais de faire ce genre de petit cadeau qui peut mettre l’électeur de bonne humeur… D’autant que le geste n’est pas isolé puisque s’y ajoute le fameux bonus de 100 €, dénommé « indemnité inflation » que les retraités ont perçu le 1er février 2022 pour les aider à faire face à la hausse du prix de l’énergie et des carburants, au même titre que 38 millions de Français de plus de 16 ans qui ont gagné moins de 2000 € net par mois en octobre 2021, période de référence.

Emmanuel Macron en quête de voix chez les retraités ? Ici en visite dans un EHPAD en janvier 2019 (photo © Clément Mahoudeau / REA/ Les Echos)

Certes, on pourrait considérer que la mesure n’est pas excessivement généreuse au vu du montant de l’inflation qui est en train de repartir à la hausse. Sur l’ensemble de l’année 2021, la hausse des prix en France est évaluée à 1,6 %, mais sur les 12 derniers mois, depuis mars 2021 donc, elle atteint désormais 4,5 % ! La raison principale en est bien sûr l’envolée des prix du gaz et du pétrole, en lien direct avec l’invasion de l’Ukraine mais pour lequel bien d’autres facteurs contribuent. Cette hausse des carburants et de l’énergie atteignait déjà 10,5 % sur l’année 2021, avant donc que Poutine ne déclenche son « opération militaire spéciale », et n’en finit pas de s’envoler depuis. Par comparaison, les prix des denrées alimentaires n’avaient augmenté que de 0,6 % en 2021 et ceux des produits manufacturés étaient restés quasiment stables avec une hausse limitée à 0,3 %.

Évolution du taux d’inflation en France depuis 2012 en moyenne annuel sur 12 mois glissant (source © France inflation)

Dans ce contexte, l’augmentation de 1,1 % des pensions de retraite du régime général n’était donc pas un luxe même si elle fleure bon le petit coup de pouce d’un gouvernement désireux de se monter sous un jour favorable à quelques mois d’une échéance électorale majeure.

Sauf que certains retraités modestes ont eu la désagréable surprise de constater, comme cet ancien postier de Seine Maritime cité par France TV info, que malgré cette revalorisation modeste mais toujours bienvenue, sa pension de retraite avait en réalité baissé de 43 € ! Un comble pour ce qui était supposée être, sinon une opération de séduction d’un électorat souvent acquis au gouvernement, du moins une aide en ces temps de forte hausse des prix…

Sans commentaire… (source © Anti K)

Mais cette mauvaise surprise qu’ont constaté plusieurs milliers de retraités modestes et qui n’a rien de machiavélique, s’explique tout simplement par un effet de seuil de la CSG, cette contribution sociale généralisée, qui est prélevée sur l’ensemble des revenus, y compris ceux des pensions de retraite, de même d’ailleurs que la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale). Le taux de la CRDS est relativement modeste puisqu’il est fixé à 0,5 %. Celui de la CSG est déjà plus conséquent et il est progressif avec trois tranches croissantes : un taux réduit de 3,8 %, un taux normal de 8,3 % et un taux intermédiaire de 6,6 %.

Les retraités les plus modestes, qui perçoivent un revenu fiscal annuel inférieur à 11 431 € pour une personne seule (ou 17 535 € pour un couple) sont totalement exonérés de la CRDS comme de la CSG. C’était le cas de notre postier à la retraite qui touchait, jusqu’à fin 2021, 1341 € par mois de retraite. Début 2022, le montant de sa pension a donc été revalorisée pour atteindre la somme royale de 1356 € par mois. Mais ce simple petit coup de pouce, pourtant bien modeste, a propulsé notre retraité juste au dessus du seuil de 11 431 € de revenu annuel fiscal, si bien qu’il voit désormais sa pension de retraite amputée de 3,8 % de CSG et 0,5 % de CRDS, ce qui l’a ramène de fait à 1298 € par mois : soit une perte de 43 € tous les mois du fait de cette petite augmentation qui partait pourtant d’un bon sentiment !

Un dessin signé Deligne, pour Libération (source © Urtikan)

Bien évidemment, cette mauvaise surprise ne concerne qu’une infime minorité des retraités, la plupart d’entre eux voyant bel et bien les effets positifs de cette revalorisation de leur pension sous forme d’une augmentation faible mais palpable de leur revenu mensuel. Il n’en reste pas moins que pour les malchanceux qui voient leur revenu baisser du fait de cette augmentation de leur pension, la pilule est un peu amère à avaler et il n’est pas sûr du tout que cela les mette dans les meilleures dispositions pour voter Emmanuel Macron lors du second tour des présidentielles !

Ils devraient pourtant se réjouir de pouvoir enfin, grâce à ce coup de pouce bienvenu, contribuer comme d’autres au grand effort national de redressement des comptes de notre système de Sécurité sociale. Participer à un tel élan de solidarité nationale n’a pas de prix et mérite bien un petit sacrifice, assurément…

L. V.

Beauté fatale, esthétique toxique…

17 avril 2022

« La beauté gagne quelquefois à être regardée de loin », disait, avec philosophie et, probablement, une certaine expérience, le poète romantique britannique Byron, mort à 36 ans en tentant de participer à la guerre d’indépendance des Grecs alors sous le joug de l’empire ottoman. C’est en tout cas le parti pris esthétique d’un reportage de la réalisatrice Anne-Lise Carlo, intitulé Toxic tour et diffusé sur Arte. De courtes interviews de témoins locaux, géographes ou biologistes, qui connaissent bien les lieux, et de nombreuses vues aériennes par drones qui montrent, de loin, de drôles de paysages à la beauté sublime.

Six magnifiques cartes postales sur papier glacé de lieux aux couleurs éclatantes, mais qu’il vaut mieux en effet regarder de loin. Car ces sites enchanteurs à la beauté fatale ne sont en réalité que des lieux ravagés par l’activité industrielle humaine qui y a stocké ses déchets les plus toxiques en pleine nature, sans réels égards pour la biodiversité qui s’y trouvait…

Vue aérienne du site de stockage de boues rouges à Mange Gari (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Et bien évidemment, l’un de ces sites emblématique de cette tournée toxique n’est autre que le bassin de stockage des boues rouges de Gardanne à Mange Gari, à deux pas de chez nous… Certes, les images vues du ciel sont envoûtantes, avec cette étendue rouge Colorado qui tranche admirablement avec le vert tendre des forets de pins d’Alep, le tout sous le soleil éclatant de Provence, avec la Montagne Sainte-Victoire en arrière-plan.

Le géographe Olivier Dubuquoy, contempteur des boues rouges de Gardanne (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Mais celui qui fait les honneurs de cette visite, le géographe Olivier Dubuquoy, n’a pas de mots assez durs pour critiquer la beauté toxique de ces immenses bassins de stockage qu’il dénonce depuis des années, lui que les écologistes avaient d’abord désigné comme tête de file pour les élections régionales de 2021 en PACA, avant de l’exclure du parti EELV pour sa volonté de rassemblement unitaire à gauche.

Ces boues rouges, qu’un porte-parole de Péchiney, ancien propriétaire de l’usine d’alumine de Gardanne, toute proche, décrit comme étant simplement de la « terre rouge », totalement inoffensive et purement locale, sont les déchets de la transformation de bauxite importée en alumine, après attaque chimique à la soude selon le procédé Bayer, produits à raison de 3 tonnes de boues rouges pour 2 tonnes d’alumine extraite.

Un lac couleur Colorado qui renferme de nombreuses substances toxiques (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Oliver Dubuquoy insiste, pour sa part, sur la caractère toxique de ces boues rouges, sous-produit industriel faiblement radioactif mais surtout riche en métaux lourds : fer, nickel, titane, chrome, vanadium, cadmium, arsenic, mercure et on en passe… Un cocktail guère appétissant et que tout le voisinage inhale contre son gré lorsque, les jours de mistral, le vent soulève des nuages de poussière qui viennent se déposer sur les maisons de Gardanne et des villages voisins, recouvrant tous les potagers alentours de fines particules dont l’accumulation est potentiellement cancérigène…

Un paysage de mort autour des bassins de stockage des boues rouges (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’autres sites similaires en Europe, issus aussi de l’activité industrielle, et en particulier celle du Rio Tinto, ce fleuve côtier espagnol qui traverse la ville de Huelva en aval d’une zone minière exploitée de manière particulièrement intensive depuis l’antiquité romaine pour ses ressources en cuivre, plomb, or, argent, zinc. Une activité minière multiséculaire qui a culminé en 1973 avec le rachat au gouvernement espagnol et pour une bouchée de pain de l’ensemble des activités minières de la région par la société nouvellement créée sous le nom de Rio Tinto par l’industriel britannique Hugh Matheson, avec l’aide de la Deutsche Bank. Passée en 1888 sous le contrôle de la famille Rothschild, cette société s’illustra notamment la même année par la répression féroce qui fit plus de 200 morts parmi les habitants de la région qui protestaient en vain contre la pratique de la calcination à l’air libre de la pyrite, laquelle provoquait des émanations permanentes de fumées toxiques très nocives.

Exploitation à ciel ouvert avec son eau rouge sang dans le secteur minier de Rio Tinto (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

C’est d’ailleurs cette même société Rio Tinto qui a racheté en 2007 le groupe canadien Alcan, devenant ainsi le premier producteur mondial d’aluminium, et récupérant au passage l’usine d’alumine de Gardanne créée initialement par Péchiney. Et depuis 2015, l’activité minière a repris sur le site de Rio Tinto où se poursuit le grignotage de pans entiers de montagne tandis que l’on remplit d’immenses bassins de décantation renfermant des eaux aux couleurs étranges retenues par des digues dont la rupture entrainerait une véritable catastrophe écologique comme on en a connu récemment en Hongrie et au Brésil dans un contexte comparable.

Bassins de décantation de la mine de Rio Tinto (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Le fleuve lui-même est désormais connu pour la couleur rouge sang de ses eaux. Une coloration tout sauf naturelle qui constitue même une attraction touristique pour ceux qui viennent rechercher dans ce paysage dévasté par des siècles d’exploitation minière à outrance, une sensation vaguement martienne… Cette couleur de mercurochrome est en réalité due à des bactéries qui vivent dans des milieux extrêmes, comme celui de ce fleuve totalement impropre à toute autre vie piscicole avec ces eaux acides dont le pH oscille entre 1,7 et 2, et ses concentration énormes en fer et autres métaux lourds toxiques…

Le biologiste Lucas Barero, devant le Rio Tinto aux eaux de sang… (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Une ambiance surréaliste que l’on retrouve sur les autres sites évoqués dans ce reportage étrange illustré aussi par une immense mine de lignite en Allemagne, un lac de Roumanie où un ancien village prospère a été englouti sous les eaux issues d’une des plus grande exploitation minière de cuivre d’Europe, une plage italienne où se rejettent les eaux de process de l’usine Solvay et même les loups qui se baladent dans le secteur contaminé par l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Autant de sites à la beauté étrange qu’il vaut mieux regarder de loin, selon les conseils du poète perspicace…

L. V.

Alerte sur les abeilles au Maroc !

14 avril 2022

Le Maroc ne fait pas partie des principaux producteurs mondiaux de miel. Avec une production annuelle estimée à un peu moins de 7500 tonnes de miel en 2021, on est bien loin des 450 000 tonnes de la Chine, premier producteur mondial devant la Turquie et l’Argentine ! Même la production française, qui dépasse les 17 000 tonnes par an, est très nettement supérieure. Pourtant le potentiel apicole de ce pays caractérisé par une très grande variété de paysages, des conditions climatiques favorables et une grande richesse floristique, est incontestable.

Apiculteurs marocains dans la forêt de Mesguina, près d’Agadir (source © Good planet)

La pratique de l’apiculture y est ancienne et bien implantée dans les traditions séculaires de nombreuses régions marocaines, tandis que la consommation de miel y est forte : il suffit de voir les pâtisseries traditionnelles en cette période de Ramadan pour s’en convaincre… Différents systèmes de ruches traditionnelles en roseaux, en vannerie, en liège voire en poterie se retrouvent selon les régions, même si les ruches modernes à cadres sont désormais prépondérantes.

Le miel, un ingrédient indispensable de la pâtisserie marocaine (source © apiculture.net)

On y trouve même, notamment dans la région d’Argana, au sud de Marrakech, des ruchers collectifs en pisé et en bois constitués de multiples étagères dans lesquelles sont entreposées les ruches cylindriques et qui sont recouvertes de terre et de branchage pour militer l’effet de l’insolation. Un des plus spectaculaires est celui d’Inzerki, un village chleuh de la province de Taroudant. Construit au XVIe siècle et toujours actif, il comporte environ 1000 alvéoles, disposées sur un versant orienté au sud, à près de 1000 m d’altitude, dans un secteur très riche en arganiers, chênes verts, genévriers, acacias, lavande et thym.

Fortement endommagé par des crues violentes en 1990 et 1996, ce rucher collectif emblématique est désormais gravement menacé par les effets de la sécheresse et les colonies d’abeilles ont perdu 30 % de leurs effectifs en quelques années. Une évolution qui reflète malheureusement l’état général de l’apiculture marocaine, qui a observé cette année un véritable effondrement de ses populations d’abeilles, alors qu’il était jusqu’à présent plutôt préservé de ce phénomène qui touche l’ensemble des régions mellifères.

Le rucher collectif d’Inzerki, menacé par la mortalité des abeilles (source © Argana 92 / Le Progrès)

Dans le nord du pays, le fief des abeilles noires, réputées plus agressives et davantage propices à l’essaimage, ce sont incontestablement les effets de l’agriculture intensive et du développement des pesticides, qui constituent une des causes de cette disparition des abeilles. Mais les effets du réchauffement climatique, avec son lot de canicules accentuées, sont aussi largement évoqués comme l’une des causes de cette catastrophe écologique et économique, en particulier dans la bande située au sud et à l’est du pays, là où est prépondérante la race endémique d’abeilles jaune d’or,  Apis mellifica sahariensis.

Mais bien d’autres facteurs contribuent sans doute à expliquer ces difficultés de l’apiculture marocaine. Pratiquée de manière traditionnelle ou selon des techniques modernes importées mais pas toujours bien maîtrisées, la pratique soufre trop souvent d’un manque de formation pour faire face à des contraintes de plus en plus fortes. La tendance à regrouper les ruches dans des espaces retreints accentue ces difficultés lorsqu’il faut faire face à des conditions climatiques plus sévères qui se traduisent par une forte compétition entre colonies. C’est aussi un facteur défavorable lorsque les ruches sont attaquées par des parasites comme le Varroa, désormais très présent au Maroc malgré les températures estivales élevées, et contre lequel les apiculteurs locaux utilisent des traitements chimiques à base d’Amitraz, une molécule cancérigène qui a tendance à provoquer des phénomènes de résistance…

Nettoyage de cadres dans une coopérative apicole à Tizi Ntakoucht, au sud Maroc (source © PPI Oscan)

Dans certains pays, ce sont les agriculteurs qui incitent les apiculteurs à venir installer leurs ruches à proximité de leurs plantations fruitières pour y favoriser la pollinisation. Mais au Maroc, il faut souvent dédommager les agriculteurs, pour pouvoir y implanter des ruches, en particulier près des vergers d’orangers pour un produire un miel particulièrement prisé. Or les arboriculteurs imposent de regrouper les ruches en périphérie des plantations pour que leurs ouvriers ne soient pas gênés par les abeilles, ce qui réduit considérablement les possibilités de production car le rayon d’action de ces insectes reste très limité, et cette pratique favorise la concentration des ruches avec les risques associés de concurrence et de transmission des parasites.

Le gouvernement marocain a réagi, dans le cadre du Plan Maroc Vert, pour tenter d’améliorer les conditions de production apicole, via des formations et des financements mais le chantier est vaste et, en attendant, on assiste à un véritable effondrement des colonies d’abeilles, constaté officiellement fin janvier 2022 par l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires, ce qui a déclenché un plan d’aide à hauteur de 130 millions de dirhams.

La mortalité des abeilles, un problème préoccupant au Maroc désormais (source © Maroc hebdo)

Pas sûr que cette aide soit suffisante pour faire face à une crise manifestement systémique et dont une des causes majeure semble bien être le réchauffement climatique, à l’origine de sécheresses plus intenses et plus fréquentes comme celle qu’a justement connu le Maroc en 2021, à l’issue de laquelle les abeilles n’ont pas été en mesure de reconstituer des réserves de pollen suffisantes pour passer l’hiver. Malheureusement, ce n’est pas une simple conférence ministérielle, même assortie d’une aide financière ponctuelle qui pourront résoudre un problème de cette ampleur…

L. V.

Présidentielle : on prend les mêmes et on recommence !

12 avril 2022

Tout ça pour ça ! Des mois et des mois de campagnes, des milliers de militants mobilisés, des pages et des pages de programme, des meetings aux quatre coins de la France, 12 candidats mobilisés… Et au bout du bout, on se retrouve à l’issue du premier tour de cette présidentielle 2022 avec les deux mêmes finalistes qu’en 2017 ! C’est à désespérer de l’imagination politique des Français…

Un premier tour finalement plein de surprises… (source infographie © L’Humanité)

Le second tour de la présidentielle, le 24 avril prochain, opposera donc le président sortant de la République, Emmanuel Macron, à la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui se présente comme « femme d’État » et ne se fait plus appeler que par son prénom sur ses professions de foi, histoire de montrer à tous sa grande proximité avec l’électeur lambda, comme si elle faisait partie de la famille après trois campagnes présidentielles consécutives…

Le chef de l’État est incontestablement arrivé en tête de ce premier tour et il améliore sensiblement son score de 2017, avec près de 28 % des suffrages exprimés, ce qui relève de l’exploit après cinq années au pouvoir et malgré les épreuves traversées, de la crise des Gilets jaunes à la guerre en Ukraine en passant par la pandémie de Covid-19 et la crise économique majeure qui s’en est suivie. François Hollande, qui avait dû jeté lamentablement l’éponge après un quinquennat dont il était sorti lessivé, doit en pâlir de jalousie…

Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le débat de l’entre-deux tours le 3 mai 2017 (photo ©
Eric Feferberf / AFP / France TV Info)

Pour autant, Marine Le Pen réussit elle aussi l’exploit d’augmenter son score du premier tour par rapport au scrutin de 2017 avec un peu plus de 23 % des suffrages exprimés, sachant qu’elle a dû pour cela faire face à la concurrence frontale d’un Eric Zemmour venu chasser directement sur ses terres et qui à un moment donné faisait largement jeu égal avec la patronne du Rassemblement national. Marine Le Pen est d’ailleurs arrivée en tête de ce premier tour dans pas moins de 20 000 communes française, là où Macron n’en a remporté que 11 000, ce qui est quand même révélateur d’un profond ancrage du Rassemblement national dans le paysage politique français, surtout en milieu rural…

Carte des communes française avec le candidat arrivé en tête du premier tour (source © Ministère de l’Intérieur / Le Télégramme)

Mais la grande particularité de ce scrutin de 2022 par rapport à celui de 2017, est que les suffrages des Français se sont concentrés sur trois candidats principaux seulement. Certes, comme en 2017 et désormais à chaque élection, un électeur sur quatre n’a pas jugé utile de se déplacer, ce qui est pour le moins regrettable, surtout parmi les plus jeunes générations où ce taux d’abstention atteint des sommets. Mais pour ceux qui ont glissé un bulletin dans l’urne, plus de 70 % d’entre eux se sont portés sur les trois candidats arrivés en tête, ce qui était loin d’être évident avec 12 candidats sur la ligne de départ et confirme, s’il en était besoin, la grande cohérence de l’électorat, nettement plus raisonnable que ne le sont les responsables politiques qui aspirent à le représenter…

Le troisième homme de cette campagne, Jean-Luc Mélenchon, qui frôle les 22 % de suffrages exprimés a brillamment réussi sa troisième et sans doute dernière campagne présidentielle, ratant de peu (450 000 voix quand même…) l’accession au second tour, handicapé par son obstination à avoir refusé toute participation à une éventuelle primaire et toute alliance, y compris avec le Pari communiste, pourtant son allié traditionnel, qui a siphonné à son profit les électeurs dont il aurait eu besoin pour se qualifier.

Jean-Luc Mélenchon en meeting à Reims pendant la campagne 2022 (photo © François Nascimbeni / AFP / Les Echos)

On me manquera pas d’observer que le candidat de la France insoumise fait un score remarquable dans les départements d’Outre-mer, remportant même la majorité absolue en Martinique (53,1%) et en Guadeloupe avec 56,2 %, du jamais vu ! Il vire également en tête à la Réunion avec un peu plus de 40 % des suffrages exprimés, mais aussi dans certaines communes de la banlieue parisienne avec plus de 60 % à Trappes notamment. Il finit d’ailleurs en tête dans 5 des 8 départements de la région Île-de-France, avec en particulier plus de 49 % en Seine-Saint-Denis ! Mais il est aussi en tête du premier tour dans plusieurs grandes villes dont Marseille, Lille, Strasbourg ou même Amiens, la ville natale d’Emmanuel Macron…

Du coup, pour les autres candidats qui, à l’exception d’Eric Zemmour, finissent tous sous la barre fatidique des 5 % qui donne droit au remboursement des frais de campagne, c’est la soupe à la grimace. Une véritable claque pour Valérie Pécresse qui conduit les Républicains à un niveau jamais atteint pour sa famille politique tandis que le parti socialiste, mal représenté par une Anne Hidalgo en perdition, produit l’exploit de finir en dessous des 2 %, derrière le représentant du parti communiste, Fabien Roussel : du jamais vu depuis bien longtemps ! Le Vert Yannick Jadot fait lui-aussi un score très décevant avec à peine plus de 4,6 % des suffrages, même s’il frôle la barre des 10 % dans certaines villes comme Rennes ou Nantes et fait de très bons scores à Lyon, Grenoble, Bordeaux ou La Rochelle.

Yannick Jadot en campagne à Lyon le 29 janvier 2022 (photo © Robert Derail / Getty / France Culture)

Ce n’est bien sûr pas le cas à Carnoux qui place, comme en 2017, Marine Le Pen largement en tête de ce premier tour, avec sensiblement le même pourcentage de près d’un tiers des suffrages exprimés. Si on y ajoute les voix qui se sont portées sur Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, on est quasiment à un électeur sur deux en faveur de l’extrême-droite ! Pourtant, Emmanuel Macron fait un bon score avec 24 % des suffrages exprimés quand il n’était qu’à 17 % en 2017. Quant à la gauche, elle fait finalement plutôt un bon résultat en atteignant un total de 20 %, dont 13,4 % pour Jean-Luc Mélenchon, sensiblement comme en 2017, et 4 % pour Yannick Jadot. Des résultats qui viennent quand même confirmer, pour ceux qui en douteraient encore, que la ville de Carnoux reste largement une terre de mission pour la gauche !

L. V.

Et si Macron avait été gilet jaune ?

9 avril 2022

Distordre la réalité pour inventer des parcours insolites à ceux qui se présentent, dimanche 10 avril 2022, au premier tour des élections présidentielles, voilà l’obsession d’un jeune artiste de rue, adepte du collage et du pochoir, qui se fait appeler Jaëraymie. « Distorsion », tel est le nom qu’il a donné à cette série d’œuvres dont il recouvre depuis le 18 février 2022 les murs de plusieurs villes, un peu partout en France.

Une démarche qu’il a initiée il y a 18 mois déjà et qui est donc l’aboutissement d’une longue réflexion avec des œuvres originales réalisées à la peinture à l’huile et à l’acrylique, dont il fait ensuite des collages sur les murs, en les assortissant d’un texte qui évoque, pour chacun des personnages ainsi mis en scène, un parcours très différent de celui qui les conduit aujourd’hui à se présenter au suffrage des Français.

Portrait d’Emmanuel Macron par Jaëraymie collé le 18 février à Amiens (source © Instagram / France TV Info)

Le premier de ces collage, qui a beaucoup fait jaser et qui a suscité moult réactions plus ou moins hostiles, au point que la toile originale, collée le 18 février 2022 sur un mur de l’ancienne vinaigrerie de la friche Benoît, dans le quartier Saint-Leu, à Amiens, a été recouverte à de multiples reprises et vandalisée. Mais l’original est visible sur Instagram où l’artiste s’explique sur ce portrait du Chef de l’État, Emmanuel Macron, affublé d’un gilet jaune et d’un impressionnant coquard à l’œil.

Car l’artiste a imaginé pour le jeune Macron, originaire justement d’Amiens, un parcours de vie quelque peu différent. « Et si Emmanuel Macron avait raté l’ENS et était revenu à Amiens chez ses parents ? » s’interroge en effet Jaëraymie. Une éventualité qui implique de fait un changement de vie radical. « Des années plus tard on le retrouve comme militant Gilet jaune qui manifeste sur les Champs Élysées », imagine ainsi l’artiste, d’où cet impact malencontreux de LBD 40 qui a laissé au jeune militant déterminé un magnifique œil au beurre noir et l’éloigne définitivement de son parcours d’homme politique en marche…

Portrait de François Hollande par Jaëraymie collé le 25 février à Tulle (source © Instagram)

Un autre ancien Président de la République s’est aussi fait tiré le portrait par Jaëraymie qui a affiché son œuvre le 25 février sur un mur de Tulle, rue d’Alverge, sur les rives de la Corrèze. Il s’agit bien sûr de François Hollande, quelque peu méconnaissable avec son marcel défraîchi et ses nombreuses dents manquantes. Un « sans-dents » né dans la pauvreté et qui bien évidemment n’aurait jamais eu la moindre chance de se présenter à l’élection présidentielle, dans la version dystopique imaginée par le street artiste.

Citons aussi Marine Le Pen dont tous les sondages prédisent la présence au second tour face à Emmanuel Macron justement, comme un mauvais remake de 2017. Son portrait qui trône depuis le 25 mars 2022 sur le mur d’un ancien poste de secours sur la plage entre Sangatte et Calais, ne manquerait certainement pas de surprendre ses militants les plus fidèles. L’artiste de rue lui a en effet imaginé un destin alternatif bien différent de celui qui la conduit à se présenter une nouvelle fois à l’élection présidentielle.

Portrait de Marine Le Pen par Jaëraymie collé le 25 mars à Sangatte (source © Instagram)

Imaginons en effet que cette avocate de profession se soit prise de passion pour la défense du droit des migrants, qu’elle se soit installée à Calais au plus près des associations qui les accompagnent, qu’elle se soit convertie à l’Islam et qu’elle porte le voile ? Voilà qui n’a rien d’impensable mais cela aurait quand même quelque peu changé la donne…

Une affiche électorale imaginée par Jaëraymie pour Eric Zemmour (source © Instagram)

Quant à Eric Zemmour, l’artiste l’affuble d’un magnifique boubou brodé et d’une barbe très islamique également, tout en lui imaginant un programme électoral bien différent pour son parti intitulé Notre France : droit de vote à toutes personnes sur le territoire national depuis plus de 18 mois, instauration de l’inéligibilité à vie pour les personnes condamnés pour incitation à la haine, reconnaissance des crimes commis lors de la colonisation, instauration de repas casher, halal et végétarien dans toutes les cantines sur demande, etc. Des propositions quasi calquées sur celles du candidats, à quelques détails près…

Pas sûr que les électeurs se laissent séduire par ces tranches de vie alternatives imaginées par le jeune artiste et n’aillent comme lui se laisser aller à croire en une Valérie Pécresse militante LBGT. Le premier tour des élections présidentielles aurait pourtant une toute autre allure avec de telles distorsions…

L. V.

Alteo renonce définitivement à l’aluminium

7 avril 2022

L’usine d’alumine de Gardanne, la première au monde à avoir mis en œuvre, lors de sa mise en service en 1894, le procédé industriel Bayer, qui permet d’obtenir de l’hydrate d’alumine à partir du minerai de bauxite moyennant un traitement de cheval à base de soude concentrée à haute température, vient donc de renoncer définitivement à exploiter ce procédé sur son site.

Vue aérienne de l’usine Alteo à Gardanne (photo © Alteo / La Tribune)

Et ceci malgré les hauts-cris du député local, François-Michel Lambert, qui, depuis décembre 2019, en appelle ni plus ni moins qu’à la nationalisation de l’usine pour sauver ce qu’il considère relever d’un patrimoine industriel vital. Une position qu’il vient de renouveler dans un courrier adressé ce mercredi 30 mars 2022 au Premier ministre Jean Castex, dans lequel il demande à l’État, sinon de déclarer la mobilisation générale, du moins de « prendre le contrôle du site de production d’alumine de Gardanne ». Une position que le député défend au regard de la situation internationale, mettant en avant le fait que la Russie est l’un des principaux pays exportateur d’aluminium vers l’Europe en général et la France en particulier, ce qui ne peut que rendre notre industrie nationale, aéronautique notamment, particulièrement vulnérable en cette période de fâcherie avec la Russie pour cause d’invasion de son voisin ukrainien.

Fin 2019, le sujet était déjà brûlant alors que l’usine d’Alteo, passée successivement de Péchiney à Alcan puis Rio Tinto et aux mains, depuis 2021, du fonds d’investissement américain HIG Capital Europe, se déclarait brusquement en faillite, histoire de dramatiser les enjeux liés à la poursuite des subventions pour mettre enfin aux normes ses rejets en mer d’effluents industriels quelque peu toxiques pour l’écosystème. Sur les 8 repreneurs qui s’étaient alors alignés, deux seulement avaient fini par faire une offre et c’est celle du groupe franco-guinéen de transport et de logistique United Mining Supply International (UMSI) qui l’avait emporté début 2021. Une entreprise aux capitaux guinéens et chinois, rattachée au consortium SBM-Winning, lequel exploite, aux côtés de l’État guinéen, du Chinois Shandong Weiqiao et de l’armateur singapourien Winning Shipping Ltd, le plus gros gisement de la République de Guinée, avec une production annuelle de 42 millions de tonnes de bauxite.

Poudre blanche d’alumine stockée sur le site de Gardanne (photo © Alteo / Actu-Environnement)

Contrairement à l’offre concurrente présentée par l’ancien directeur des opérations de l’usine Péchiney qui souhaitait maintenir sur site la production d’alumine, UMSI a choisi de stopper définitivement, fin mars 2022, la transformation locale de bauxite en alumine selon le fameux procédé historique de l’Autrichien Bayer. Une décision lourde de conséquence pour les 484 employés de l’usine puisque près d’une centaine d’entre eux se retrouvent ainsi privé de leur fonction.

Mais une décision incontestablement favorable à l’impact environnemental du site dans la mesure où c’est cette étape de transformation de la bauxite en alumine qui est la plus polluante, à l’origine de la formation de ces fameuses boues rouges dont on ne sait trop que faire, riches en soude résiduelle mais aussi en fer et en métaux lourds divers, et que l’on a longtemps entreposées dans différents vallons de la périphérie marseillaise avant de les rejeter purement en simplement en mer, au cœur des calanques.

D’énormes investissements publics, apportés notamment par l’Agence de l’Eau, ont donc été engagés sur ce site depuis des années pour arriver à séparer, au moyens de filtres-presse, les effluents liquides de ces boues rouges et à retraiter ces eaux de process avant de les rejeter en mer, en respectant enfin, moyennant quelques dérogations successives, les normes environnementales. Sauf que les résidus solides issus de ce traitement coûteux n’ont jamais réussi à être valorisés de manière industrielle. Commercialisés sous le joli nom de Bauxaline®, on espérait en faire un matériau miracle que les terrassiers allaient s’arracher pour s’en servir de couverture étanche des anciennes décharges d’ordures ménagères ou pour constituer les assises de remblais routiers.

Utilisation de Bauxaline® en terrassement routier (source © Alteo)

Seulement voilà, il est apparu que la radioactivité résiduelle de ces déchets industriels faisait sonner les portiques de contrôle et rendait l’usage du matériau malvenu sur les chantiers. Rejeté pour cette raison des anciennes décharges locales d’Entressen et du Mentaure (à la Ciotat, celle où s’était illustré un certain Alexandre Guérini, lourdement condamné depuis et dont la peine de prison ferme vient d’être confirmée en appel), le produit a également été interdit d’usage, sur la base d’arrêtés préfectoraux, en janvier 2019, sur le chantier de dépollution d’une ancienne usine sidérurgique de Bayonne. Un coup dur pour Alteo qui voit donc s’accumuler sur son site de Mange-Gari, des tonnes de sous-produits peu appétissants qui empoisonnent la vie du voisinage à chaque fois que le vent provoque des envols de poussière rouge…

Dans un tel contexte, la décision du nouveau propriétaire de stopper cette production dans un environnement aussi sensible relevait donc du bon sens et l’on ne peut que s’étonner de voir un ancien écologiste comme François-Michel Lambert s’y opposer avec autant de force. Il est vrai que cet ancien responsable logistique de Pernod-Ricard, né à La Havane, et spécialiste de l’économie circulaire, a suivi un parcours politique assez sinueux, changeant à de multiples reprises de parti.

Le député François-Michel Lambert (photo © GoMet)

Oscillant entre Génération Écologie, Europe Écologie les Verts (étiquette sous laquelle il a été élu député de la 10e circonscription des Bouches-du-Rhône en 2012), puis le Front démocrate, l’Union des Démocrates et des Écologistes, LREM (qui lui permet d’être réélu en 2017) et désormais Libertés et Territoires, M. Lambert fait preuve d’une grande souplesse idéologique et justifie sa position par son souhait, tout à fait louable, de préférer conserver en France, moyennant un contrôle environnemental fort et des aides publiques massives, une industrie lourde et polluante mais nécessaire au tissu industriel national, plutôt que de voir cette activité se délocaliser dans un pays moins regardant sur le plan des normes environnementales.

Il ajoute donc désormais à cette position de fond un autre argument d’ordre stratégique en considérant que cette nouvelle orientation d’Alteo revient à abandonner définitivement la possibilité de fabriquer de l’alumine en France, étape indispensable pour la production de l’aluminium (encore produit en France dans les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque). De fait, l’Australie est désormais le principal producteur d’alumine, devant la Chine et l’Amérique du Sud, cette alumine servant pour l’essentiel à produire de l’aluminium (par électrolyse) et, pour 10 % environ, destiné à ces alumines de spécialité qui ont fait la renommée du site de Gardanne.

Vue aérienne de l’usine de production d’aluminium à Saint-Jean-de-Maurienne, fondée en 1907 (source © Trimet)

En se recentrant sur l’affinage d’alumine importée en vue de réaliser uniquement les produits de spécialité à haute valeur ajoutée nécessaires à la production de céramiques, produits réfractaires et autres verres spéciaux utilisés dans les smartphones et écrans plats, et que la Commission européenne a inscrit sur la liste des composants stratégiques, Alteo se prive ainsi de toute possibilité de poursuivre sur le sol national la production d’alumine désormais entièrement importée. Un nouveau renoncement qui risque d’affaiblir encore la capacité industrielle nationale…

L. V.

Poisson d’avril : Martine Vassal porte plainte !

5 avril 2022

Décidément, la présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, Martine Vassal, n’a aucun sens de l’humour… Il faut dire que les temps sont durs pour celle à qui tout souriait il y a peu, qui se voyait déjà dans le fauteuil de Maire de Marseille et qui en est réduite à demander l’asile politique à Emmanuel Macron, après s’être retrouvée empêtrée dans le désastre d’une métropole en lambeaux.

Voilà qu’elle vient maintenant de se fâcher tout rouge parce qu’un petit plaisantin a eu l’idée saugrenue d’annoncer sur les réseaux sociaux la gratuité des transports en commun sur l’ensemble de la Métropole à compter du 1er septembre 2022. Postée le 1er avril 2022 sur Twitter par le mouvement citoyen pour l’environnement Action Non Violente – COP 21, l’annonce était bien évidemment un poisson d’avril. Mais il n’a pas du tout fait rire Martine Vassal, d’autant que l’annonce, qui reprenait à s’y méprendre la charte graphique de la Métropole, a fait le buzz et a été consultée plus de 15 000 fois dans la journée.

Faux-communiqué publié le 1er avril 2022 par l’ANV-COP 21 (source © Marsactu)

Il faut dire que la promesse était crédible dans un territoire qui a été l’un des premiers en France à mettre en œuvre la gratuité des transports en commun et ceci dès 2009 sur le périmètre de l’ancien Pays d’Aubagne et de l’Étoile. Une mesure toujours en vigueur et qui fait le bonheur des Aubagnais dont la fréquentation des transports en commun a triplé depuis, et qui s’apprêtent désormais à accueillir le vieux serpent de mer qu’est la future liaison Val’Tram dont la Métropole vante justement le projet sur tous les abribus de la ville…

Information (véritable) de la Métropole concernant le projet de Val’Tram (source © Twitter / AMP)

Seulement voilà, Martine Vassal qui inonde tout le territoire métropolitain de sa propagande incessante n’apprécie pas vraiment que d’autres s’expriment à sa place, surtout pour des promesses aussi populaires, elle qui ne rechigne pourtant pas à promettre la lune à ses concitoyens, du moins en période électorale. La Métropole s’est donc immédiatement fendue d’un communiqué de presse dénonçant vigoureusement ce poisson d’avril qu’elle qualifie de « fake news », Martine Vassal annonçant carrément sa volonté de porter plainte contre cette initiative qu’elle considère comme un véritable crime de lèse majesté.

Face à cette facétie plutôt bon enfant, on reste pantois devant les termes employés par la Présidente de la Métropole qui considère que « ces militants de la cause environnementale ont, à dessein, détourné le logo de l’institution, sa charte graphique, et usurpé l’identité de sa présidente, pour lui faire tenir des propos totalement fictifs et mensongers ». Il faut dire en effet que le message diffusé était assorti d’un commentaire faussement attribué à Martine Vassal qui se réjouissait de cette « mesure importante pour le pouvoir d’achat sur notre territoire ». Des propos mensongers donc, que bien évidemment jamais Martine Vassal n’aurait pu prononcer : dont acte.

Réaction imaginaire de Martine Vassal selon l’ANV-COP 21 (source © Actu)

On reste néanmoins interloqué par la véhémence du communiqué de presse de la Métropole, affirmant qu’« il s’agit, de fait, d’un document qui tombe sous le coup de la loi contre la manipulation de l’information de décembre 2018 » et qui « manifeste une volonté de déstabilisation politique flagrante dans un contexte de campagne électorale, à une semaine du premier tour de la présidentielle », rien de moins !

On ne savait pas Martine Vassal engagée à ce point dans la campagne présidentielle en cours, elle qui avait refusé son parrainage aux multiples prétendants, et on a du mal à imaginer en quoi ce poisson d’avril ironique serait de nature à rebattre les cartes politiques nationales. En revanche, on s’étonne que Martine Vassal n’ait pas fait le lien entre ce communiqué iconoclaste et une tentative de déstabilisation en provenance directe du Kremlin dans le contexte de bras de fer international dont la population ukrainienne fait les frais.

De fait, elle s’inquiète plutôt du modèle économique qui se profilerait derrière cette velléité de gratuité des transports publics. Selon elle en effet, « instaurer la gratuité des transports en commun sur l’ensemble des 92 communes du territoire métropolitain est tout simplement intenable d’un point de vue budgétaire pour l’institution. Cela représenterait un montant d’au moins 200 millions d’euros par an ». Un argument que l’association citoyenne ANV-COP 21 réfute, arguant de l’impact très positif de cette mesure sur le secteur d’Aubagne et estimant que cette réaction démesurée de la Métropole cache mal sa fébrilité sur ce sujet majeur de la mobilité métropolitaine pour laquelle « c’est une action d’ensemble qui est attendue sur tous les aspects de la mobilité en améliorant le maillage du territoire en lignes de transports en commun, en augmentant la fréquence et la fiabilité des lignes, et en développant de véritables infrastructures pour favoriser l’usage quotidien des modes actifs ».

Un débat de fond donc entre deux conceptions assez divergentes et qui mérite sans doute mieux que cette réaction outrée et cette menace de plainte de la part d’une Martine Vassal aux abois. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’une fois la colère retombée, cette dernière se rende compte qu’elle risque de se ridiculiser en poursuivant ainsi ce mouvement citoyen devant les tribunaux pour un simple poisson d’avril quelque peu impertinent. Même si l’association a incontestablement poussé le bouchon un peu loin, au risque de noyer le poisson et de pêcher par imprudence, un recours judiciaire de la Métropole risque de faire flop et de se finir en queue de poisson…

L. V.

Demain, du plastique aux algues ?

3 avril 2022

Après une chute des prix spectaculaire en avril 2020, en plein confinement liée à la pandémie de Covid 19 qui avait mis à l’arrêt toute l’économie mondiale, le prix du pétrole atteint de nouveau des sommets, alimenté par la folie spéculative des traders déboussolés, alors même que la Russie continue ses exportations. Mais cette hausse obéit malgré à une logique impitoyable, liée au fait que les réserves de pétrole et de gaz les plus facilement exploitables commencent à s’épuiser après presque 2 siècles d’extraction industrielle.

Depuis les années 2007-2008, la production de pétrole conventionnel est en déclin et la plupart des grands pays producteurs de pétrole ont passé leur pic de production. C’est le cas notamment de la Russie mais aussi de l’Arabie Saoudite dont le gisement de Ghawar, le plus grand de la planète a dépassé son pic, de même que celui de Burgan au Koweit ou celui de Cantarell au Mexique. Un peu partout dans le monde, en Afrique comme au Moyen-Orient ou en Mer du Nord, la production pétrolière amorce un lent déclin, bien que pour l’instant plus que largement compensé par l’essor des schistes et sables bitumineux aux États-Unis et Canada, malgré le coût et les ravages environnementaux d’une telle exploitation.

Exploitation des sables bitumineux dans l’Alberta, au Canada (photo © Greenpeace / REZAC / Futura-Sciences)

Dans ce contexte, l’industrie pétrochimique qui depuis un siècle nous fournit abondamment en plastiques de toute sorte dérivés de produits pétroliers, commence à s’intéresser à d’autres matières premières. Et l’on voit ainsi fleurir, un peu partout, les recherches plus ou moins opérationnelles pour fabriquer le plastique de demain à partir de matériaux différents, dont les algues, ce végétal miracle dont on ne finit pas de découvrir les vertus : tour à tout utilisé comme engrais, comme ressource alimentaire, comme cosmétique et désormais comme absorbeur de gaz à effet de serre, mais aussi demain peut-être pour produire des carburants, de l’asphalte, voire des objets du quotidien en plastique.

Usine pétrochimique de production de polyéthylène à Singapour (photo © Exxonmobil / PlastEurope)

En France, c’est d’ailleurs, parmi bien d’autres, une entreprise bretonne qui est en pointe dans ce domaine, sous l’impulsion d’un jeune entrepreneur, Rémy Lucas, ingénieur plasturgiste, dont les grands-parent justement ramassaient le goémon sur les plages du Finistère nord, pour en faire de l’amendement agricole alors très prisé localement, mais qui était aussi brûlé dans des fours pour la production de soude. En 2010, cet ingénieur crée la société Algopack qui a développé, en collaboration avec le Centre d’études et de valorisation des algues et la Station biologique de Roscoff, un process innovant pour fabriquer du plastique à partir de ces mêmes algues brunes.

Rémy Lucas, fondateur de la société Algopack, avec des mugs fabriqués en plastique à base d’algues (photo © Isabelle Lê / Ouest France)

Déshydratées et broyées, les algues se transforment en petits agrégats qui servent de matière première pour fabriquer un plastique utilisé aussi bien pour réaliser des films alimentaires que des clés USB, des montures de lunettes, des jouets de plage ou des pots de fleurs biodégradables. L’approvisionnement se fait aussi par recyclage des sous-produits de l’industrie cosmétique, elle-même très friande d’algues, et des recherches sont en cours pour tenter d’utiliser également les immenses accumulations d’algues brunes de la Mer des Sargasses qui connaissent un développement exponentiel sous l’effet du réchauffement climatique et viennent perturber l’activité touristique dans les Antilles.

Ramassage d’algues brunes échouées sur la plage de Sainte-Anne en Guadeloupe (photo © Emmanuel Lelaidier / MaxPPP / La Croix)

Mais bien d’autres acteurs industriels se lancent dans cette filière manifestement prometteuse, non seulement pour remplacer à l’avenir le recours au dérivés pétroliers de plus en plus difficiles à extraire, mais aussi pour réduire l’impact écologique catastrophique des rejets de plastique non dégradable qui polluent désormais la planète entière et que l’on retrouve de plus en plus fréquemment dans le ventre même des poissons et de la faune marine. On estime en effet que chaque seconde, pas moins de 500 kg de plastique finissent d’une manière ou d’une autre dans les océans qui sont ainsi le réceptacle de 10 % de la production mondiale de plastique : une horreur !

Autour de l’étang de Berre, c’est encore une autre motivation qui s’ajoute à cette volonté de développer un plastique moins dangereux pour l’environnement. Il s’agit en effet de trouver un débouché industriel aux accumulations d’algues vertes qui, à certaines périodes de l’année et comme sur les plages bretonnes, viennent s’échouer en énormes quantités sur les rives de l’étang et de son voisin, le Bolmon, sous l’effet de l’eutrophisation des eaux enrichies pas les nitrates et les phosphates des eaux d’assainissement qui s’y déversent. Malgré l’organisation de campagnes de ramassage mécanique avec des engins allant jusqu’à moissonner les algues sous l’eau, l’invasion est incontrôlable et ces algues échouées, en se putréfiant, dégagent des gaz toxiques pour les animaux et même l’homme.

Échouage d’ulves, les algues vertes, sur la presqu’île du Jaï en bordure de l’étang de Bolmon (source © GIPREB)

C’est la raison pour laquelle la société Eranova vient d’implanter un démonstrateur pré-industriel à Port-Saint-Louis-du-Rhône, inauguré le 18 février 2022 sur un vaste espace de 1,3 ha pour caler un processus industriel visant à valoriser ces algues vertes comme matière première pour la réalisation d’une résine plastique multiusage destinée à fabriquer aussi bien des sacs poubelles que des emballages alimentaires biodégradables ou des plateaux repas.

L’idée n’est pas neuve puisque cette implantation fait suite à une expérimentation de grande ampleur conduite à Palavas-les-Flots avec l’IFREMER par Philippe Lavoisier et Philippe Michon, les deux cofondateurs de la société Eranova. Le procédé ainsi développé et désormais breveté consiste à faire croître des algues en les affamant, de sorte à réduire leur teneur en protéine et augmenter leur production d’amidon, ce qui permet d’obtenir une matière première nettement plus riche en amidon que le blé ou le maïs classiquement utilisés pour la production de bioplastiques, après extraction du sucre et polymérisation. Ceci confère à ce plastique des caractéristiques mécanique très supérieures.

Vue aérienne de l’usine Eranova implantée à Port-Saint-Louis-du-Rhône (photo © Eranova / GoMet)

Un tel procédé repose donc sur la culture d’algues à grande échelle, dans de vastes bassins, l’apport des algues échouées sur les rives de l’étang de Berre comme sur les plages bretonnes, n’étant qu’une motivation supplémentaire. En tout cas, le procédé est suffisamment innovant et prometteur pour avoir permis de drainer de nombreux soutiens financiers publics et privés, de la Région PACA ou de l’ADEME comme de Total énergies : si même les pétroliers s’intéressent à un tel procédé qui les concurrence directement, c’est qu’il doit certainement être intéressant…

L. V.