Archive for Mai 2023

Transition écologique : 10 ans pour rattraper 30 ans d’inaction…

30 Mai 2023

Les scientifiques alertent maintenant depuis des décennies sur l’impact grandissant des gaz à effet de serre et sur les conséquences désormais irréversibles de ce phénomène sur le réchauffement climatique mondial, source de désordres multiples et dont on constate dès à présent les effets concrets : montée du niveau des océans et submersion des zones basses côtières souvent très urbanisées, aggravation des risques d’inondations et de feux de forêts, perte de la biodiversité, hausse des températures rendant certaines zones inhabitables, canicules et sécheresses agricoles, tensions pour l’eau et accentuation des migrations climatiques…

Changement climatique : on tarde à prendre les décisions drastiques qui s’imposent… un dessin signé Michel Cambon (source © Mr Mondialisation)

Autant de fléaux déjà à l’œuvre mais dont on pourrait encore atténuer les effets si la planète s’engageait dans une véritable transition écologique, tournant définitivement le dos aux énergies fossiles qui ont fait la prospérité de la majorité depuis 150 ans mais qui conduisent désormais l’humanité à sa perte. Tous les scientifiques sérieux le disent depuis maintenant des décennies, relayés par les excellents travaux de synthèse et de vulgarisation du GIEC, le Groupe international des experts pour le climat. L’opinion publique est de plus en plus sensible à leurs arguments, mais nos responsables politiques et économiques tardent à s’engager dans cette voie, obnubilés qu’ils sont par les impératifs de la rentabilité à court terme et du « business as usual ».

Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat passées à la trappe : l’effet des lobbies économiques ? Un dessin signé Ganaga (source © Médias Citoyens Diois)

C’est justement pour échapper à ce piège du pilotage à (courte) vue qu’a été créée en 2013 une instance comme France Stratégie, officiellement le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, un service du Premier ministre, chargé de « concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental, ainsi qu’à la préparation des réformes ».

Son premier commissaire général, le haut fonctionnaire Jean Pisani-Ferry, a laissé la place en janvier 2017 pour se consacrer à l’élaboration du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, alors en campagne. Mais cet économiste de renom est toujours dans le circuit et Elisabeth Borne lui a confié, en septembre 2022, une mission ambitieuse visant ni plus ni moins qu’à identifier les conditions et les moyens pour mettre enfin en œuvre cette transition écologique dont tout le monde parle.

Le travail entrepris est colossal, mobilisant des dizaines de spécialistes et aboutissant à la rédaction de 11 rapports thématiques qui embrassent de multiples aspects du problème, des modélisations macro-économiques jusqu’aux impacts sur l’inflation, la productivité ou le marché du travail, en passant par les approches en matière de sobriété et d’adaptation au changement climatique, sans oublier les enjeux du financement et de la fiscalité, le tout conclu par un rapport de synthèse, cosignée avec l’inspectrice générale des finances, Selma Mahfouz, et qui a été remis officiellement le 22 mai 2023 à Élisabeth Borne.

Remise officielle du rapport de Jean Pisani-Ferry à Elisabeth Borne (source © France stratégie)

Le principal mérite de ce travail est peut-être d’écrire noir sur blanc et de manière officielle ce que tout le monde savait déjà, à savoir qu’il est plus que temps d’engager enfin concrètement cette transition écologique pour laquelle nous n’avons que trop tergiversé, que cela exigera une volonté politique sans faille de la part de l’État, et que le coût pour la société sera colossal…

Sur la nécessité d’agir, ce rapport ne fait que rappeler des évidences déjà largement démontrées, et notamment que ne rien faire coûterait infiniment plus cher que d’anticiper et de prendre enfin à bras le corps cette problématique devant laquelle chacun recule depuis des décennies… D’autant que la France s’est d’ores et déjà engagée à réduire d’ici 2030 de 47,5 % ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2050, un projet d’autant plus ambitieux que quasiment rien n’a été fait depuis 30 ans et qu’il va falloir désormais mettre les bouchées doubles pour rattraper en 10 ans le retard accumulé !

Pour cela, les auteurs de ce rapport ont identifié 3 leviers d’action qui n’ont rien d’original et qui devront être actionnés simultanément pour espérer obtenir enfin le résultat visé : réorienter massivement le capital jusqu’à présent investi dans l’utilisation des énergies fossile, axer tous les développements technologiques vers les énergies vertes et engager un mouvement résolu de sobriété et d’économie d’énergie. Un programme qui ne pourra se mettre en place que via une impulsion forte de l’État, dans le cadre d’une planification écologique rigoureuse, et qui exigera des investissements publics majeurs, de l’ordre de 2 à 2,5 points de PIB.

Coût des investissements et des aides publiques nécessaires par secteur d’activité selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz (source © La finance pour tous)

Un gros effort que Jean Pisani-Ferry ne cherche pas à masquer et qui se traduira nécessairement, selon lui, au moins jusqu’en 2030 par des baisses de confort et de niveau de vie, avec un coût économique et social non négligeable. L’effort portant sur tous les Français mais pesant proportionnellement surtout sur les plus modestes, pour isoler leur logement et changer leur voiture, cela ne sera possible que moyennant des aides publiques massives, pour soutenir les ménages comme les entreprises. Un effort qui se traduira nécessairement par un endettement conséquent que le rapport chiffre à 10 points de PIB supplémentaire en 2030 et probablement 25 d’ici 2040, en tenant compte du ralentissement de la croissance qui en découlera.

Un effort significatif donc et que Jean Pisani-Ferry propose de répartir, pour le rendre plus acceptable socialement, en mettant fortement à contribution les classes les plus aisées via un prélèvement obligatoire exceptionnel ciblé à leur encontre. Une condition sine qua non selon lui pour rendre socialement acceptable une telle transition écologique sans se heurter aux mêmes protestations que lors des crises antérieures des « bonnets rouges » ou des « gilets jaunes » qui ont jusqu’à présent contribué à retarder la prise de telles mesures.

Elisabeth Borne, pilote énergique et persuasive de la planification écologique…, un dessin signé KAK, publié dans L’Opinion

Sauf que ce message courageux et réaliste n’a reçu aucun écho de la part du gouvernement. Élisabeth Borne s’est empressée de préciser qu’il n’y aura bien évidemment aucun prélèvement fiscal supplémentaire sur les Français les plus riches, le niveau de fiscalité étant déjà bien assez élevé, et qu’on se contentera, pour tenter de financer cette transition écologique, de faire des économies, à hauteur de 5 % dans les budgets des différents ministères. C’est donc encore une fois la détérioration du service public qui sera mise à contribution sans que cela puisse bien évidemment suffire, confirmant s’il en était encore besoin, qu’Emmanuel Macron n’est absolument pas à la hauteur de cet enjeu majeur de société auquel nous sommes collectivement confrontés, et qu’il reste, envers et contre tous, « le président des riches » !    

L. V.

Après la canne de Provence, le bambou ?

28 Mai 2023

La canne de Provence, c’est cette espèce de roseau qui envahit nos talus et que l’on voit partout en région méditerranéenne où on l’utilise traditionnellement pour faire les canisses qui, enduits de plâtre, constituent l’essentiel des plafonds de maisons anciennes à Marseille. Le petit nom scientifique de cette graminée géante, Arundo donax, fait d’ailleurs clairement référence à sa ressemblance avec le roseau, au point d’inspirer certaines de ses appellations multiples telles que « roseau de Fréjus », « grand roseau » ou « roseau canne »…

Canne de Provence (photo © Flickr / Gerbeaud)

Personne n’est très sûr de l’origine de cette plante qui pourrait avoir été introduite depuis l’Asie et qui s’est désormais répandue partout dans le monde, au point d’être considérée comme l’une des 100 plantes les plus envahissantes de la planète, dans le collimateur des autorités environnementales de plusieurs contrées, notamment aux îles Canarie ou en Nouvelle-Calédonie où sa plantation est sévèrement prohibée.

En tout cas, on la voit partout en Provence où elle constitue le matériau idéal pour la constitution de haies brise-vent, protégeant les cultures du mistral, tout en fournissant à foison des tiges robustes pour faire une tonnelle, une canne à pêche ou un tuteur de tomate. L’espèce est frugale et ses rhizomes résistent parfaitement tant aux gelées hivernales qu’à la sécheresse estivale, avec des vitesses de pousse spectaculaires. On la considère d’ailleurs comme l’une des plantes les plus prometteuses pour la production de biomasse en climat méditerranéen avec un record établi sur une culture industrielle en Italie de 35 tonnes de matière sèche par hectare, alors que les rendements habituels sont inférieurs à 10 t pour une prairie et atteignent au maximum 14 t pour un champ de maïs…

Plantation de bambous de la variété Moso edulis (source © Only Moso)

Et pourtant, voilà que l’on s’intéresse désormais à une autre graminée, asiatique celle-là sans aucun doute, et qui pourrait peut-être demain venir envahir à son tour nos paysages méditerranéens. C’est notamment une idée que promeut la start-up aubagnaise Carboneutre, issue d’Osmoz, une société à mission créée en août 2022, et de BambooPro, une entreprise italienne qui s’est déjà fait la main en implantant quelques centaines de parcelles pour compenser les émissions de gaz à effet de serre d’industriels soucieux de leur empreinte carbone.

Son directeur, Christophe Guyat, imagine venir couvrir la Provence de bambouseraies géantes pour compenser nos émissions de gaz à effet de serre. Son constat est que le bambou est une plante à pousse rapide, qui arrive à maturité en 7 ans seulement, contre un bon siècle pour le chêne et qui s’auto-régénère grâce à ses rhizomes : quand on plante une forêt de bambou, c’est pour l’éternité ! Et pas avec n’importe laquelle des quelques 1500 espèces de bambous connus à travers le monde. Toutes présentent une croissance rapide et un fort pouvoir de fixation du CO2, jusqu’à 12 tonnes par an et par hectare, soit 4 fois plus qu’une forêt de feuillus. Mais celle que Carboneutre a sélectionnée, Moso edulis, présente surtout l’avantage de présenter de nombreux débouchés économiques, pour alimenter des centrales à biomasse, produire des granulés pour le chauffage au bois mais aussi comme bois de construction pour l’ameublement et le bâtiment.

Construction en bambou du temple de Luum à Tulum au Mexique (photo © César Belar / Co-Lab)

C’est en effet un des atouts du bambou, outre sa capacité à absorber de fortes quantités de CO2, et son aptitude à s’adapter à de nombreux types de sols et conditions climatiques, tout en étant très peu inflammable, que de donner un matériau à multiples usages. S’il est autant utilisé en Chine et ceci depuis au moins 6000 ans, ce n’est pas par hasard : on déguste ses jeunes pousses, on utilise ses feuilles pour tresser des vanneries, recouvrir le toit des maisons ou fabriquer du papier, et on emploie ses tiges pour faire des balais comme des flûtes, des manches de parasol, des conduites d’eau, des mâts de bateaux, des meubles ou encore des échafaudages.

Frondaisons majestueuses à la bambouseraie des Cévennes (source © Tourisme Gard)

Un savoir faire traditionnel que l’on peut notamment observer dans le village laotien implanté dans la bambouseraie des Cévennes, implantée depuis 1856 à Générargues près d’Anduze et qui offre aux visiteurs une balade fabuleuse au milieu de forêts de bambous majestueux. Il existe d’ailleurs bien d’autres bambouseraies sur le sol national dont le jardin de Planbuisson, en Dordogne qui contient plus de 240 variétés de bambous et qui est également ouvert au public. En Provence, un passionné, Bernard Le Neindre, a aussi initié, dès 2003 des plantations de bambous à grande échelle sur un terrain situé à Eyrargues, dans le nord des Bouches-du-Rhône. Appuyé par l’association Bambous en Provence, le jardin a ouvert au public en 2012 et connait depuis un grand succès, s’étant même vu décerné en 2019 par le ministère de la Culture le label de « jardin remarquable ».

Les bambous du parc bambous à Eyrargues (source © Bambous en Provence)

Si le bambou connait un tel succès un peu partout dans le monde, c’est aussi qu’on n’arrête pas de redécouvrir les innombrables propriétés qu’offre cette famille de graminées. C’est avec un filament en bambou que Thomas Edison a réussi à fabriquer en 1880 sa première ampoule à incandescence. Et c’est avec un échafaudage en bambou qu’ont été édifiées les plus hautes tours de Hongkong, de Shangaï ou de Gwangzhou, plus élevées que la Tour Eiffel et qui culminent autour de 400 m.

Guillaume Beuvelot, Antoine Sherwood et Thomas Moussiegt de Cobratex avec une planche de surf, une bobine de fil et une prothèse médicale en bambou (photo © Annabelle Grelier / Radio France)

Une autre start-up française, Cobratex, créée à Toulouse en 2010, s’intéresse quant à elle aux propriétés remarquables du bambou pour l’aéronautique : bien que moins résistante à la traction que la fibre de carbone, la fibre de bambou encaisse mieux les vibrations et est surtout plus légère, ce qui lui confère un avantage indéniable, notamment pour l’ameublement intérieur des avions, mais aussi pour de nombreuses autres applications qui vont du skate board à la planche de ski en passant par les prothèses médicales…

Principe de la phyto-épuration par les bambous (source © Bamboo for life)

Mais le bambou offre aussi des débouchés prometteurs dans le domaine de la phyto-épuration. Une autre entreprise, aixoise celle-là, joliment dénommée Bamboo for life, a ainsi installé une première station d’épuration pour un hôtel du Lubéron avec des bambous plantés en restanques qui servent à épurer les eaux usées du site sans produire de boues d’épuration, mais tout en participant activement à l’aménagement paysager, à la séquestration du CO2 et à la production de biomasse et de matériaux de construction. Une seconde station d’épuration du même type est en projet au Val, dans le Var, venant confirmer un intérêt croissant pour cette plante à forte croissance qui nous vient d’Asie mais qui semble amenée à venir coloniser rapidement notre environnement proche…    

L. V.

Alpes maritimes : des projets solaires qui interrogent

26 Mai 2023

Le département des Alpes maritimes est un gros consommateur d’électricité : avec plus de 1 million d’habitants, il consomme à lui-seul plus de 7 millions de MWh par an et Nice fait partie des 3 villes françaises (avec Aix-en-Provence) où la consommation d’électricité par habitant est la plus élevée ! Et pourtant, ce département importe la quasi-totalité (plus de 90 %) de son électricité, qui plus est en restant très dépendant d’une unique ligne à haute tension. Il est donc vital que ce département développe sa propre production d’électricité, et le photovoltaïque pourrait bien y contribuer dans ce secteur géographique plutôt favorisé par l’ensoleillement naturel.

C’est sans doute la raison pour laquelle les projets d’installations photovoltaïques sont brusquement en train de se multiplier, dans le nord-ouest du département, près de la limite administrative avec le Var et les Alpes de Haute-Provence. Enedis et RTE ont d’ailleurs inauguré, le 13 juillet 2022, un poste source dans la commune de Valderoure, à l’intersection de ces 3 départements, en plein cœur du Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, qui devrait permettre de raccorder au réseau une cinquantaine de projets de production photovoltaïque pour une puissance de 80 MW. Un projet conséquent, initié depuis 2015, et qui aura nécessité un investissement total de 10,7 millions d’euros.

Le poste source installé à Valderoure par RTE et Enedis, permettant de raccorder plus de 50 projets de production photovoltaïques (photo © Franck Fernandes / Var Matin)

Mais c’est le prix à payer pour permettre de raccorder au réseau ces installations solaires qui se multiplient dans le secteur. Le département des Alpes maritimes a ainsi inauguré dans la foulée, le 14 octobre 2022, une centrale solaire à Saint-Auban, composée de plus de 27 000 panneaux photovoltaïques, pour une puissance de 11 MWc. Réalisé par Akuo, et piloté par la société d’économie mixte Green Energy 06, le projet s’étend sur une dizaine d’hectares, en pleine zone naturelle. Et les projets similaires se multiplient tout autour avec 16 hectares de panneaux solaires à Séranon, 20 ha à Valderoure même, autant à Peyroules, etc.

Inauguration officielle de la centrale photovoltaïque de Saint-Auban en octobre 2022 (source © Département 06)

Une véritable invasion de centrales photovoltaïques au sol qui sont en train de fleurir dans le moindre petit village du PNR des Alpes d’Azur, au milieu de vastes étendues boisées et montagneuses, restées quasiment désertiques jusqu’à présent. On y trouve même une installation photovoltaïque de taille XXL dont l’installation est en train de s’achever dans la petite commune d’Andon, à quelques kilomètres de la réserve naturelle des Monts d’Azur, un haut-lieu de préservation de la faune sauvage, où l’on peut observer des hardes de cerfs et de bisons d’Europe se promener librement dans la forêt.

Installation photovoltaïque d’Andon avec ses 61 ha de panneaux à la place de la forêt (photo © Franck Fernandes / Var Matin)

Lancé il y a une quinzaine d’années par la société Photosol, le projet a été lauréat de plusieurs appels à projet de la Commission de régulation de l’énergie, ce qui lui permet d’obtenir une garantie de complément de rémunération pour la revente à EDF de l’électricité produite pendant 20 ans. Cela lui a permis de lancer en parallèle un appel au financement privé auprès des particuliers de la région, en s’appuyant sur la société spécialiste du crowdfunding KissKissBankBank, de quoi étoffer le tour de table pour un projet dont le montant est estimé à plus de 45 millions d’euros.

Il faut dire que Photosol a vu grand puisque la puissance installée est de 51 MWc et que les panneaux solaires couvrent pas moins de 61 hectares auxquels il faut ajouter une trentaine d’hectares en périphérie qui devront également être soigneusement élagués et débroussaillés pour protéger les précieux panneaux solaires en cas d’incendie.

Une implantation dans un site peu favorable car très boisé, et avec un fort impact sur la biodiversité (photo © CPC)

Le projet a pourtant soulevé quelques émois parmi les défenseurs locaux de l’environnement qui s’étonnent que l’on rase ainsi la forêt dans ce versant très boisé et riche en biodiversité, qui plus est dans un parc naturel régional, et alors même que le Conseil national pour la protection de la nature avait émis un avis défavorable. Mais le Préfet des Alpes maritimes s’est assis sur cet avis et a signé en 2019 un arrêté de dérogation, prévoyant quelques mesures compensatoires pour justifier la disparition des écosystèmes naturels déboisés et terrassés pour l’implantation de cette centrale : la transition énergétique mérite bien quelques menus sacrifices environnementaux…

Il n’en reste pas moins qu’on s’interroge sur l’opportunité de concentrer ainsi autant de centrales photovoltaïques au sol dans une des rares zones naturelles boisée encore préservée de la région, ce qui oblige à raser toute la végétation, alors qu’il existe des versants bien exposés mais non végétalisés, voire des zones agricoles et mêmes des friches industrielles polluées qui pourraient tout aussi bien faire l’affaire. Sans compter les innombrables toitures de hangars et de bâtiments de toute sorte qui pullulent sur le littoral et qui présentent l’avantage majeur d’être beaucoup plus près des lieux de consommation de l’électricité.

Panneaux photovoltaïques en toiture et sur les ombrières des parkings sur un immeuble de Sophia Antipolis (photo © Sébastien Botella / Nice Matin)

En réalité, si Photosol a choisi d’installer sa centrale solaire sur ce versant boisé reculé de l’arrière-pays, c’est que les propriétaires privés de ces terrains, où toute exploitation agricole et forestière a disparu depuis des lustres, sont bien contents d’en tirer un petit bénéfice via une redevance modique. Mais ce n’est pas le cas sur le littoral où le prix du foncier atteint des sommes astronomiques et où chaque m2 peut être valorisé, sans compter les contraintes réglementaires souvent plus contraignantes.

Il faut donc faire preuve d’inventivité pour développer des projets de centrales solaires dans ce type de contexte urbain, en mobilisant notamment les parkings de supermarché recouverts d’ombrières, ou les toitures des gymnases, mais il est plus difficile d’y trouver de grandes surfaces exploitables qui permettent les économies d’échelle que Photosol a trouvé à Andon. En matière d’énergies renouvelables, il semble que l’on en soit encore à tâtonner…     

L. V.

Le château de Villers-Cotterêts revit…

24 Mai 2023

On l’a tous appris à l’école : en 1515, le roi François 1er a remporté la bataille de Marignan. Cette date facile à retenir constitue peut-être le souvenir scolaire le mieux partagé, même si la plupart d’entre nous ont oublié depuis longtemps le contexte de cette bataille qui fit plus de 16 000 morts en 16 heures de combat. En 1511, le roi Louis XII avait dû céder le Milanais aux Suisses avec l’aide desquels il avait pourtant conquis ce duché quelques années plus tôt avant de s’embrouiller pour une sombre histoire de solde impayée, au point que les Suisses, fâchés, avaient tourné casaque et même mit le siège devant Dijon. L’armée française emmenée par le tout jeune roi François 1er, tout juste couronné le 25 janvier 1515, comportait pas moins de 50 000 hommes dont près de la moitié de mercenaires recruté en Allemagne et aux Pays-Bas.

François 1er à Marignan, peint par Fragonard en 1836 et exposé à Versailles dans la galerie des batailles (source © Arthisto)

Passant les Alpes par surprise via le col de l’Argentière au prix de travaux de génie civil rondement menés, alors que l’armée suisse les attendait sur la route du Mont-Cenis, les Français engagent le combat le 13 septembre à une quinzaine de km de Milan, et la bataille fait rage jusqu’à la nuit noire. Elle reprend au petit matin, incertaine, jusqu’à l’arrivée bienvenue d’un renfort de Vénitiens qui vient épauler l’armée française, obligeant finalement les Suisses à battre en retraite vers Milan. François 1er y gagne, outre le duché de Lombardie, un prestige militaire qu’il fait largement fructifier, même s’il est peut-être davantage resté à la postérité pour son amour des arts, sa passion de la chasse et ses activités de bâtisseur de château, embellissant ceux d’Amboise et de Blois, lançant la construction de Chambord, reconstruisant largement celui du Louvre et celui de Fontainebleau.

Portrait de François1er par Jean Clouet, conservé au musée du Louvre (source © Musée d’archéologie nationale)

Parmi les nombreux châteaux bâtis sous son autorité, celui de Villers-Cotterêts, dans l’ancien duché de Valois, situé au sud du département actuel de l’Aisne, tient une place spéciale. Il s’y trouvait à l’époque uniquement les ruines d’un château médiéval abandonné, ruiné à la suite des guerres de Cent Ans, mais que François 1er affectionnait particulièrement pour sa forêt giboyeuse attenante. En 1528, le site est transformé en demeure royale et en août 1539, le roi y signe la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts, un texte législatif rédigé en français et contenant pas moins de 192 articles. Imposant notamment la tenue des registres de baptême, cette ordonnance est surtout restée célèbre par ses 2 articles, jamais abrogés depuis, qui imposent que tous les actes administratifs soient désormais « enregistrez & deliurez aux parties en langage maternel francoys, et non autrement ».

Extrait de l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts (source © Hypothèses – Chroniques chartistes)

La langue française a bien évolué depuis, mais cet acte fondateur a valu au château de Villers-Cotterêts d’être retenu en 2018 par Emmanuel Macron pour y abriter la future Cité internationale de la langue française. Il faut dire qu’entre temps, le château en question avait largement périclité. Transformé en 1808 en « dépôt de mendicité », il accueillait les mendiants et les délinquants ramassés dans les rues de Paris et parqués là pour s’en débarrasser. Transformé en maison de retraite à la fin du XIXe siècle, il a finalement été purement et simplement laissé à l’abandon à partir de 2104.

Vue aérienne du château de Villers-Cotterêts pendant la période de fouilles avec les vestiges du château médiéval au premier plan (photo © Denis Gliksman  / INRAP)

Dès 2019, le Centre national des monuments nationaux, lance une opération de grande envergure pour rénover totalement ce château, classé Monument historique depuis 1997 mais qui nécessitait une sérieuse remise en état. Une importante campagne de fouilles archéologiques a été menée par l’INRAP entre mai 2020 et février 2021, qui a notamment permis de mettre à jour les vestiges du château médiéval, dit de La Malmaison, arrasé au début du XVIe siècle pour y construire l’édifice actuel mais dont on a pu retrouver les fondations d’une imposante tour carrée et les restes d’un système d’adduction d’eau alimenté par une source captée en forêt. Les images à 360° de cette campagne de fouille spectaculaire sont d’ailleurs accessibles sur le site de l’INRAP.

Des fouilles ont aussi été menées dans la cour du jeu de paume situé dans l’ancien logis de François 1er qui s’adonnait volontiers à ce sport, ancêtre du tennis et qui se jouait en simple ou en double sur un terrain séparé d’un filet, selon des règles assez complexes consistant à se renvoyer la balle tout en « épatant la galerie » située autour du terrain et où se tenaient les spectateurs. Cette cour intérieure a été entièrement rénovée et munie d’une verrière autostable de 600 m2, installée à 11 m de hauteur, véritable prouesse architecturale pour éviter que son poids ne vienne appuyer sur les façades du bâtiment.

Vue d’esquisse de la verrière installée au-dessus de la cour du jeu de paume, avec ses mots accrochés (photo © Atelier projectiles – Olivier Weets / Centre des monuments nationaux / Connaissance des Arts)

Les travaux de restauration se sont échelonnés de 2020 à 2022, visant à redonner au site l’aspect qu’il avait entre le XVI et le XVIIIe siècle. Un chantier gigantesque qui a mobilisé jusqu’à 400 compagnons simultanément et qui a permis d’évacuer les aménagements récents laissés par l’ancienne maison de retraite, mais aussi de reprendre certaines parties de la charpente, la plupart des planchers et plusieurs des façades maçonnées, exigeant jusqu’à 600 m3 de pierres de taille pour remplacer les matériaux trop abîmés. Les décors remarquables de style Renaissance qui ornent notamment la chapelle et les escaliers du roi et de la reine, avec notamment un admirable plafond à caisson orné de la fameuse salamandre de François 1er ont également été restaurés et mieux mis en valeur, de même que les cuisines et les séchoirs.

Emblèmes de François 1er au plafond à caisson dans l’escalier de l’ancien logis royal (photo © Denis Gliksman / INRAP)

Les travaux sont désormais terminés et la nouvelle Cité internationale de la langue française devrait bientôt ouvrir ses portes au public. Elle offrira aux visiteurs un parcours muséographique dans cet écrin historique remarquable et se veut un espace accueillant, dédié à la découverte de la langue française et de la francophonie, qui accueille déjà en résidence d’artistes de nombreux professionnels. Une bien belle renaissance pour cet héritage de la Renaissance…

L. V.

Stockage de l’énergie : une idée de Shadok ?

22 Mai 2023

L’inventivité sans limite des Shadok, ces petits personnages improbables inventés par le génial Jacques Rouxel et qui font irruption à la télévision française en 1968, animés par la voix éraillée de Claude Piéplu, nous ont laissé d’innombrables maximes empreintes d’une philosophie toute particulière dont on trouve des applications quotidiennes. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Telle est l’une de ces réflexions frappées au coin du bon sens, ou presque, et dont on constate chaque jour à quel point elle inspire nos décideurs, toujours à la pointe du management moderne.

Une devise Shadok, qui a fait son chemin… (source © Jacques Rouxel / Vision Déco)

Mais la maxime semble aussi avoir été adoptée par nos plus grands ingénieurs. En témoigne cette invention proprement époustouflante qui a été imaginée et mise en œuvre par une start-up suisse, Energy Vault, désormais cotée en bourse, distinguée en 2020 par le Forum économique mondial comme l’une des 100 entreprises pionnières du futur et qui a levé en juillet 2021 pour 100 millions de dollars afin de passer à la vitesse supérieure après avoir construit un premier démonstrateur constitué d’une grue de 6 bras et 110 m de hauteur. La seule fonction de cet engin étrange est d’élever des blocs de béton de 35 tonnes chacun, puis de les faire retomber en chute contrôlée en utilisant l’énergie gravitaire ainsi libérée pour la transformer en courant électrique, qui servira à remonter le bloc !

Le système de grue imaginé par la start-up suisse Energy Vault pour stocker de l’énergie en manipulant des blocs de béton (photo © SDA / Watson)
Maquette du prototype de grue d’Energy Vault (source © Swissinfo)

Bien évidemment, il ne s’agit pas de (ré)inventer le mouvement perpétuel d’autant qu’il y a malgré tout des pertes, une part importante de l’énergie utilisée disparaissant en cours de route. Mais c’est quand même un dispositif astucieux, bien que légèrement encombrant, pour résoudre la question toujours délicate du stockage de l’électricité lorsque celle-ci est produite de façon intermittente, notamment par certaines sources d’énergie renouvelables comme le solaire et l’éolien, et pour faire face aux pics de besoin car la demande est toujours en dents de scie.

Utiliser une grue géante et s’amuser à monter et descendre d’énormes blocs de béton pour remplacer une simple batterie à accumulation, voilà qui ne manque pas de panache et l’idée peut paraître séduisante car bien sûr les blocs de béton en question ne nécessitent ni lithium ni terre rare pour leur fabrication. Sauf que les tours géantes que promet Energy Vault et qui pour l’instant n’existent que sur le papier, nécessitent quant même pas moins de 6500 blocs par installation pour une capacité de stockage de 35 kW. Or une telle quantité de béton représente une fois et demi le poids de la tour Montparnasse à Paris, ce qui donne une idée du gigantisme de l’opération…

Et pour un résultat finalement modeste si on le compare à la capacité de stockage qu’on peut obtenir avec un procédé bien plus simple et qui, lui, est éprouvé de longue date, consistant simplement à utiliser l’énergie excédentaire pour pomper de l’eau et la stocker dans un bassin en altitude d’où on peut ensuite la faire redescendre via des conduites forcée équipées de turbines et de générateurs, ce qui permet de produire quasi instantanément l’électricité dont on a besoin pour répondre à la demande. De telles installations, dénommées STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) existent déjà en France au nombre de six et leur capacité de stockage est de 5 GW, 170 fois supérieure donc à celle de la tour en béton de la start-up suisse…

Les deux lacs d’Emosson formant la STEP du Nant de Drance dans le Valais Suisse, mis en service le 1er juillet 2022 (photo © Sébastien Moret / Swisstopo)

La Suisse elle-même d’ailleurs est en pointe dans ce domaine et vient de raccorder au réseau, fin 2021, une installation spectaculaire effectuée sur le complexe hydroélectrique d’Emosson, à la frontière franco-suisse. Les 2 lacs d’Emosson ont été reliés par 17 km de galeries souterraines et l’eau du lac supérieur peut désormais être relâchée dans le lac inférieur via deux conduites forcées de 7 m de diamètre sur une hauteur de chute de 425 m de haut, ce qui permet d’injecter sur le réseau une puissance de 900 MW, équivalent à celui d’une centrale nucléaire et mobilisable en moins de 5 mn !

Le barrage de Grand’Maison connecté par des galeries souterraines à l’usine hydroélectrique de Verney située 930 m plus bas (source © EDF / L’Express)

En France, le modèle du genre est la centrale hydroélectrique de Vaujany dans l’Oisan, dont le lac supérieur est constitué par le barrage de Grand’Maison, mis en service en 1985 à 1790 m d’altitude sur l’Eau d’Olle, complété en aval par la centrale du Verney, située 930 m plus bas. En deux minutes, ce complexe hydroélectrique peut fournir une puissance équivalente à deux centrales nucléaires ! L’alimentation des pompes se fait d’ailleurs principalement à partir de l’électricité d’origine nucléaire en heures creuses, lorsque la production est surabondante.

Et le procédé n’est pas nouveau puisqu’il a été mis en œuvre en France dès 1938, sur le lac Noir dans les Vosges, dont la capacité de stockage a été augmentée par une digue équipée d’une usine hydroélectrique tandis que ce lac naturel était relié à son voisin, le lac Blanc, situé 1 km en amont et une cinquantaine de mètres plus haut. La centrale a été mise à l’arrêt en 2002 et même détruite en 2014 mais plusieurs autres STEP sont toujours fonctionnelles, dont celle de Montézic, dans l’Aveyron, celle de Revin, dans les Ardennes, ainsi que 3 autres dans les Alpes (Super-Bissorte, Le Cheylas et La Coche).

Le barrage de Montézic, dans l’Aveyron, mis en service en 1986, lac supérieur alimentant la centrale hydroélectrique de Montézic en rive gauche de la Truyère (source © Centre presse)

Certes, les sites naturels qui se prêtent à ce type d’activité ne sont pas si fréquents mais il existe néanmoins de belles possibilités d’extension de tels dispositifs dont l’impact environnemental est bien moindre que celui des batteries de stockage, même si le rendement en est un peu inférieur, et qui rendent de grands services pour réguler l’adéquation entre rythme de production et de consommation de l’électricité.

Une autre devise Shadok, empreinte d’une grande sagesse… (source © Jacques Rouxel / La Croix)

Leur mode de fonctionnement, basé sur le pompage, ne présente pas le côté spectaculaires des grues en train de monter et descendre leurs blocs de béton, mais, comme ont coutume de le dire les Shadoks dans leur grande sagesse et leur prudence légendaire : « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ». On ne saurait mieux dire en effet…

L. V.

François Ruffin et les betteraves de Napoléon

20 Mai 2023

La prochaine élection présidentielle n’est prévue que dans 4 ans, en 2027, mais déjà les sondages commencent à interroger les Français sur leurs intentions de vote, alors que, bien évidemment, personne n’a encore la moindre idée du contexte politique qui prévaudra, ni des candidats qui se lanceront ! Mais cela n’empêche pas de conjecturer… Un point semble en tout cas se dégager de ces premiers sondages, c’est le score particulièrement élevé que la candidate du RN, Marine Le Pen, pourrait espérer, avec des intentions de vote au premier tour qui la placent autour de 30 %, et même une possibilité de remporter le second tour, ce qui constituerait un véritable séisme politique…

Le second tour des présidentielles de 2027 opposera-t-il Marine Le Pen (photo © AFP / Challenges) et Édouard Philippe ? (photo © Bertrand Gay / AFP / La Dépêche)

A ce stade, bien malin qui pourrait dire qui se présentera face à elle. On sait déjà que le président sortant, Emmanuel Macron, n’est pas autorisé à concourir pour un troisième mandat et les prétendants sont nombreux pour représenter son camp. A ce jour, et au vu de ces sondages encore très préliminaires, c’est l’ex premier ministre, Édouard Philippe, qui pourrait peut-être faire le meilleur score, sans doute parce qu’il n’a plus de responsabilité gouvernementale…, tout en plafonnant en dessous des 25 % au premier tour. Et le candidat de la gauche, en supposant que celle-ci se présente unie, n’arriverait donc, vraisemblablement qu’en troisième position, avec un peu plus de 20 %…

Mais bien sûr, tout ceci ne reflète que les opinions du moment et peut encore largement évoluer. A gauche en tout cas, celui qui a incarné les plus grandes chances de succès jusqu’à présent, Jean-Luc Mélenchon, après avoir renoncé à siéger à l’Assemblée nationale, semble mettre en avant la candidature de François Ruffin, qu’un récent sondage commandé par l’Expresse semble désigner comme plus consensuel, moins autoritaire, plus sincère et surtout, plus proche des gens. Six Français sur dix considéreraient même qu’il est le candidat naturel de la gauche : de quoi monter à la tête !

François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon : vers un passage de flambeau ? (photo © Tesson / ANDBZ / Abacapress.com / Actu Orange)

Mais le député de la Somme garde la tête froide en répliquant, sur son site internet, que cette opposition artificielle entre le « gentil Ruffin » et le « méchant Mélenchon » n’a pas lieu d’être, tout en développant ses convictions, qui sont celles de la NUPES, basées sur une régulation accrue du libre-échange pour favoriser la réindustrialisation du pays, redonner du sens au travail, abriter du secteur concurrentiel des enjeux majeurs comme la santé et l’éducation, retrouver une fiscalité plus juste et renforcer le volontarisme de l’État, non pas comme béquille pour distribuer de l’aide sociale, mais comme stratège pour piloter les grandes transformations dont la France a besoin pour engager enfin le grand virage de la transition écologique et sortir de cette illusion que la mondialisation, la compétitivité et la concurrence peuvent présider à une gestion durable de la planète.

Le député François Ruffin lors d’un blocage de dépôt de carburant le 6 avril 2023 (photo © Sameer Al-Doumy / AFP / Le JDD)

S’il se différencie de Jean-Luc Mélenchon, c’est plus sur le ton, moins radical, plus consensuel et à l’écoute des gens qui, selon lui, ont d’abord besoin d’être rassurés et aspirent davantage à la paix qu’à faire la révolution. Il réfute aussi toute aventure personnelle en précisant sans ambages : « Il n’y aura pas de Messie, pas de super-héros qui viendra, avec ses petits bras musclés et son magnifique cerveau, qui viendra relever la France. Il y faut une équipe, des forces organisées, et au-delà les milliers, les millions de bonnes volontés ».

Un positionnement qui reflète son parcours de journaliste engagé, initié en 1999 par la création d’un journal local, Le Fakir, dénonçant les mensonges et les omissions du bulletin municipal « Le journal des Amiénois » de Gilles de Robien. Reporter entre 2005 et 2012 pour plusieurs émissions de radio dont celle de Daniel Mermet « Là-bas si j’y suis », il réalise en 2015 son premier film intitulé « Merci patron ! » qui dénonce les délocalisations organisées au sein de LVMH par le milliardaire Bernard Arnault. Élu député de la Somme en 2017, puis réélu triomphalement dès le premier tour en 2022, il se distingue à l’Assemblée nationale par son activisme tous azimuts et par son choix de ne conserver de son indemnité de député que l’équivalent d’un SMIC, et de quoi payer ses impôts…

Le slogan de François Ruffin et de son mouvement Picardie debout ! lors de la campagne des législatives de 2017, avec sa mascotte, la marionnette Lafleur (source © site de François Ruffin)

Il s’en prend dans un de ses récents billets d’humeur publié le 4 mai 2023, à la frilosité du gouvernement qui annonce vouloir enfin s’attaquer à la rénovation énergétique des écoles primaires, alors que celles-ci sont de la responsabilité des communes et que l’enjeu est plutôt de traiter les 5 millions de passoires thermiques qui font encore office de logement. Selon un bilan de la Cour des Comptes analysé par le Figaro, seuls 2500 logements auront ainsi été sortis en 2021 des catégories F et G les plus énergivores, grâce au dispositif gouvernemental intitulé MaPrimRenov’ : à ce rythme-là, il faudra 2000 ans pour arriver à sortir enfin les logements français de cet état qui plombe à la fois le budget familial de leurs occupants et la balance commerciale nationale…

Isolation thermique par l’extérieur d’une maison d’habitation des années 1960 : dès 2025, les passoires thermiques classées G seront interdites à la location… (photo © F. Henry / RÉA / Challenges)

Face à une telle inertie, François Ruffin met en avant le volontarisme dont certains dirigeants, confrontés à des défis de pareille ampleur, ont su faire face à l’occasion du New Deal après la crise économique de 1929 ou lors de la reconstruction après la Seconde guerre mondiale, mais aussi face au blocus économique imposé par les Anglais lors des guerres napoléoniennes… Face au blocus continental que Napoléon avait tenté d’imposer pour affaiblir sa grande rivale britannique, cette dernière, maître des océans, avait en effet riposté en bloquant toutes les importations depuis l’outre-mer, privant ainsi l’Europe du précieux sucre produit aux Antilles.

Qu’a cela ne tienne, en mars 1811, l’Empereur lance un défi en promettant 1 million de francs à qui produira le premier pain de sucre à partir de la betterave cultivée sur le sol français et dont Olivier de Serre avait montré, dès 1575, qu’on pouvait en extraire un jus sucré. Les meilleurs chimistes européens étaient alors à l’œuvre pour tenter de cristalliser le fameux saccharose à partir du jus de betterave. La promesse napoléonienne s’avère décisive puisque dès le 2 janvier 1812, on rapporte à l’Empereur qu’un industriel français, Benjamin Delessert, vient de mettre au point, dans sa raffinerie de Passy et à l’aide de son chef de fabrication, le chimiste Jean-Baptiste Quéruel, un procédé innovant permettant d’extraire le sucre de la betterave. Aussitôt, Napoléon accourt à Passy, remet à Delessert la légion d’honneur et le nomme baron d’Empire.

Le 2 janvier 1812, Napoléon remet la légion d’honneur à Benjamin Delessert dans son usine de Passy après s’être fait expliquer le procédé de fabrication du sucre à partir de jus de betterave (source © Image d’Épinal / Canalblog)

S’ensuit alors une série de décisions politique qui traduisent un volontarisme sans faille et dont François Ruffin s’extasie ainsi : « dès le 15 janvier, des décrets sont pris. Pour que cent étudiants, de chimie, de médecine, de pharmacie, soient formés à distiller du sucre de betteraves, et l’on crée trois écoles spécialisées. Pour que cinq fabriques impériales soient ouvertes, plus cinq cents fermes-distilleries. Pour que cent mille hectares de betteraves soient cultivés… » Une anecdote que le député de la Somme conclut ainsi : « Combien on aurait besoin de la même chose, aujourd’hui ? Les mêmes volontés, unies, pour transformer nos logements, nos déplacements, notre agriculture, notre industrie ? Et combien, à la place, on éprouve un enlisement… » Assurément un thème que l’on n’a pas fini d’entendre si François Ruffin se présente aux prochaines élections présidentielles !

L. V.

Il y a le ciel, le soleil et, à défaut de la mer, la piscine et le chlore…

18 Mai 2023

Il fait beau. On débâche, on nettoie le bassin, le filtre et on stérilise l’eau. En France, 3 millions de piscines privées et plus de 4000 publiques.

Les joies de la piscine en famille (photo © CPC)

Le chlore, excellent biocide, anti-algues, désinfectant est le plus utilisé. Facile à produire, peu onéreux, il est utilisé depuis plus d’un siècle pour stériliser l’eau du robinet d’abord, puis celle des piscines privées ou publiques. Par ailleurs, les bienfaits de la natation sont évidents sur le plan cardio-vasculaire, respiratoire et ostéo-musculaire. Tous les âges sont concernés, du nourrisson à l’enfant d’âge scolaire, sportifs et adultes. Mais les avantages doivent être regardés avec attention car le chlore peut avoir des effets délétères sur la santé.

Les produits les plus couramment utilisés pour l’entretien des piscines sont les agents de chloration qui libèrent du « chlore » lorsqu’ils sont dissous dans l’eau. Il existe plus de 600 produits issus de la chloration. Pour le chlore, plusieurs formes sont commercialisées :

– acide trichloroisocyanurique, dichloroisocyanurate de sodium sous forme de galets ou de granulés,
– hypochlorite de calcium sous forme de galets,
– hypochlorite de sodium (eau de javel) sous forme liquide.

Les bienfaits d’une eau, pas trop chlorée… (source © CNRS / PRC)

Effets du chlore sur l’organisme à forte concentration dans l’eau :

Il réagit sur les muqueuses (irritations oculaires, respiratoires et cutanées). Il réagit aussi avec les matières organiques apportées par les nageurs (urine, salive, sueur, mais aussi crème solaire, déodorant …) qui entraînent la libération de sous-produits de la chloration. Par exemple, l’irritation oculaire est essentiellement causée par les trichloramines (gaz insoluble et très volatil, immédiatement libéré dans l’air, conférant aux piscines intérieures leur odeur si caractéristique). L’eau de piscine constitue un cocktail d’innombrables produits toxiques. 

Attention aux réactions aux dérivés chlorés… (photo © evgeniyasheydt – 123RF / Le Journal des Femmes)

Les nageurs sont exposés aux produits de chloration essentiellement par inhalation, respirations buccales et nasales, par ingestion sensible notamment pour les jeunes enfants et en particulier les bébés nageurs et par absorption cutanée. Leur peau peut présenter une sécheresse, des démangeaisons et des rougeurs (érythèmes), ainsi qu’une allergie de contact (urticaire) et un risque accru d’eczéma. Parmi les effets chroniques, il existe de nombreuses affections allergiques : asthme, rhume des foins et rhinite allergique, le tout favorisé par des antécédents familiaux. Il existe aussi des infections respiratoires (bronchiolite, infections récurrentes…)

Attention aux effets du chlore sur les jeunes enfants (source © Bio à la une)

Comme le note le CNRS dans une récente étude, pour maintenir un bon équilibre sanitaire, il existe dans le commerce, outre les produits chlorés, toute une variété de produits chimiques désinfectants et assainissants à base de brome, de sel, de bicarbonate ou d’oxygène actif. Il est conseillé de manipuler ces produits avec prudence car ils sont souvent incompatibles entre eux, c’est-à-dire qu’ils peuvent conduire à des réactions dangereuses.

Ces agents de chloration « organiques » et « inorganiques » ont des propriétés chimiques similaires et pourtant ils doivent être maintenus éloignés les uns des autres. Leur mise en contact, en présence d’humidité, peut être à l’origine d’accidents domestiques tels qu’incendie ou explosion. Il est donc important d’informer les utilisateurs des propriétés physico-chimiques de ces agents pour une meilleure sécurité lors de leur manipulation et de leur stockage.

Traitement de piscine : à manier avec modération… (source © Aquapolis)

Ainsi, le CNRS formule-t-il des consignes de prévention à mettre en œuvre avec ces produits :

– préparer les solutions en versant les produits dans une grande quantité d’eau, idéalement directement dans l’eau de la piscine,

– ne jamais prélever directement dans le flacon ni y replacer ce qui est en excès pour éviter les contaminations. Il faut utiliser une tasse à mesure propre, en métal ou en plastique pour chaque produit chimique à prélever,

– ne jamais réutiliser les flacons vides, il est préférable de les rincer puis de les déposer dans les déchetteries,

– limiter les quantités stockées et le temps de stockage pour éviter une humidification lente des produits.

Précautions d’emploi : les conseils de l’ANSES

Les produits chimiques utilisés pour la désinfection des eaux de piscine sont des produits qui possèdent une réactivité chimique qu’il faut connaître et ne pas négliger car elle peut être source d’incidents voire d’accidents. Avant toute manipulation de produit, il est important de lire les étiquettes, les documents d’information fournis lors de l’achat du produit ou de demander conseil auprès des fournisseurs. Le local de stockage doit être bien ventilé et protégé de fortes sources de chaleur.

On n’omettra pas aussi de prendre en compte le risque chimique majeur présenté par ces produits générateurs de chlore qui provient de leurs incompatibilités avec un grand nombre de produits chimiques utilisés pour nettoyer, par exemple, les abords de la piscine.

La période du printemps qui est généralement dévolue à la remise en eau des piscines, sera en 2023 une période de traitement des eaux de piscine (pénurie d’eau exige) et donc de sur-chloration. Attention et prudence.

C.B.

Sources scientifiques :

CNRS – équipe Prévention du risque chimique (PRC) : les dangers des produits désinfectants des eaux de piscine

CNRS – PRC : Eaux de piscines privées – produits désinfectants et risque chimique

Médisite : Piscines – 4 dangers méconnus du chlore

ANSES : Désinfectants pour piscines et spas – respecter les précautions d’emploi

Autres sources :

Le Monde : Comment traiter sa piscine sans produits chimiques ?

SAMSE : Quelle désinfection choisir pour sa piscine ?

RTM : du solaire sur les rails ?

16 Mai 2023

Après avoir longtemps été à la traîne en matière de développement des transports en commun, au point de devenir une des grandes métropoles françaises les plus polluées et où l’on perd le plus de temps chaque jour dans des embouteillages urbains monstrueux, l’agglomération marseillaise est peut-être enfin en train de prendre un tournant et de lancer les chantiers des futures infrastructures de transports en commun tant attendues, quitte à délaisser les projets de boulevards urbains d’un autre âge.

Adopté fin 2021, le plan mobilité de la Métropole se fixe pour ambition que 95 % des habitants du territoire se trouvent à moins de 15 mn d’un accès à un transport en commun et que la moitié d’entre eux soit à moins de 500 m d’un arrêt de transport à haut niveau de service, de type métro, tramway ou bus rapide. On en est très loin, mais les projets tant attendus commencent néanmoins à émerger, boostés par le plan Marseille en grand annoncé triomphalement en septembre 2021 par Emmanuel Macron, lequel promettait notamment 1 milliard d’euros (dont un quart seulement sous forme de subventions) pour développer en profondeur le réseau métropolitain de transports en commun.

Vue d’artiste du futur projet de tramway vers la Belle de Mai, ici sur le boulevard National, à l’angle du boulevard Longchamp (source © Made in Marseille)

La Métropole travaille ainsi dès à présent à la modernisation tant attendue des deux lignes de métro marseillais quasiment restés en l’état depuis leur mise en service dans les années 1970. Les travaux d’extension du tramway sont d’ores et déjà engagés en vue d’une extension vers le sud jusqu’à La Rouvière pour desservir notamment le secteur de Sainte-Marguerite, mais aussi vers le nord, d’abord jusqu’à la station de métro Capitaine Gèze et ensuite jusqu’à la cité La Castellane. Une nouvelle ligne de tramway est également prévue vers la Belle de Mai, tandis qu’une extension est envisagée entre la rue de Rome et la place du 4 septembre.

Pose officielle des premiers rails de l’extension vers le nord du tramway près de la place Bougainville, le 7 février 2023, en présence de nombreux élus locaux (source © Métropole AMP)

Confrontée à de réelles difficultés, dont la fraude dans les transports en commun n’est pas la moindre, la Régie des transports marseillais (RTM), désormais sous contrôle métropolitain, cherche aussi, au-delà de ces projets d’extension de son réseau, à ne pas rater le train de la transition écologique. Elle a déjà installé quelques panneaux solaires sous forme d’ombrières sur les parkings relais de La Rose et du Capitaine Gèze et en prévoit d’autres sur le futur parking de 600 places programmé à côté de la station Sainte-Marguerite – Dromel. Dès 2024, ce sont pas moins de 5 500 m2 de panneaux solaires qui devraient ainsi être installés sur le dépôt de bus RTM de La Rose et en 2026, c’est la toiture du dépôt de Saint-Pierre qui devrait être à son tour couvert de panneaux solaires pour la production d’électricité.

La station de métro aérien Sainte-Marguerite Dromel, à l’arrière du Vélodrome, avec les projets de couverture de la voie et des quais par panneaux photovoltaïques, sans le projet de parking relai (premier plan à droite) qui va être réaménagé avec lui-aussi des ombrières solaires (source © Made in Marseille)

Mais la RTM imagine désormais d’aller bien plus loin encore dans ses ambitions en matière de production d’électricité photovoltaïque et a lancé en 2022 une première étude destinée à évaluée l’opportunité de recouvrir de panneaux photovoltaïques ses 3 km de lignes de métro aérienne. Des panneaux pourraient ainsi être fixés sur les verrières qui abritent les quais de stations à ciel ouvert. Mais l’innovation consiste surtout à imaginer des panneaux solaires fixés directement sur les traverses du métro dans ses tronçons aériens.

Le système de panneaux photovoltaïques développé par la société suisse Sun-ways qui ambitionne d’en équiper les voies européennes (source © Sun-ways)

L’idée n’est pas tout à fait neuve car le Suisse Sun-ways a déjà développé depuis 2021 un dispositif innovant d’accroche de panneaux solaires amovibles sur les rails de chemins de fer et rêve d’en équiper dès 2025 les chemins de fer suisses avant de s’attaquer au marché juteux des 260 000 km de voies ferrées européennes. La proposition est séduisante car l’espace visé n’a aucune fonction autre que d’assurer l’espacement entre les rails et peut donc ainsi être valorisé sans impact environnemental et à moindre frais. De surcroît, l’équipement se fait de manière quasi automatisée, à l’aide d’un train spécial qui permet de poser 1 km en quelques heures seulement, soit des coups d’installation très réduit et ensuite une faciliter de raccordement sur le réseau, voire une réutilisation directe de l’électricité produite pour alimenter les caténaires des trains…

Le dispositif innovant de panneaux photovoltaïques adapté par Bankset et en cours de test sur le réseau ferré allemand (source © Révolution énergétique)

Un autre opérateur, britannique celui-ci, Bankset Energy teste de son côté un autre dispositif comparable, en partenariat avec la Deutsche Bahn, sur un site expérimental de quelques mètres en Saxe. Ses petits modules fixés sur les traverses développent une puissance unitaire de 80 W et il est attendue une puissance globale de 100 kWc pour chaque km de voie ferrée ainsi équipée. Si un tel dispositif devait être installé sur la totalité du réseau ferré français qui dépasse les 27 000 km, cela représenterait un gisement de 2,7 GWc, soit l’équivalent de la puissance électrique nécessaire pour faire rouler 300 rames de TGV lancées à pleine vitesse : de qui faire rêver les ingénieurs de la SNCF…

Dans ce domaine, la prudence s’impose néanmoins et l’échec patent de la route solaire qui semblait pourtant une bonne idée mais s’avère peu productive et de faible durabilité, incite à ne pas s’emballer trop vite. Au delà des projets de centrale solaire lourde, les solutions visant à disposer des panneaux photovoltaïques sur les toitures de bâtiments ou en couverture de voiries urbaine, mais aussi sur les canaux de transfert d’eau brute, sur les plans d’eau voire en mer, sont a priori plus judicieuses, mais pourquoi pas en effet sur les rails des métro aériens, situés par définition en site urbain dense où l’électricité produite est donc facilement utilisable sans installation coûteuse. La révolution énergétique est en marche et le processus ne fait que commencer !

L. V.

L’énergie positive du Bhoutan…

14 Mai 2023

Face au défi du changement climatique, la France s’est engagée officiellement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une véritable gageure quand on sait que cela signifie diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’est bien évidement pas envisageable sans un changement drastique de notre mode de vie et de nos comportements individuels. Mais sait-on que trois pays au moins, non seulement ont déjà atteint ce stade mais l’ont même largement dépassé en consommant davantage de CO2 qu’ils n’en émettent ?

Bien sûr, ces trois pays ne sont que de minuscules confettis à l’échelle mondiale et il vaut mieux ne pas compter uniquement sur leurs efforts pour espérer inverser un tant soit peu la trajectoire actuelle qui nous conduit tout droit dans le mur du réchauffement climatique global selon une trajectoire déjà largement engagée. Ces trois pays ont d’ailleurs en commun d’être des États peu peuplés et peu industrialisés, couverts de zones forestières bien préservées puisqu’il s’agit du Surinam, du Panama et du Bhoutan.

Paysage verdoyant du Bhoutan (photo © Jean-Pierre Michel / Géo)

Ce dernier pays intrigue bien des Occidentaux après avoir été dans les années 1970 le chantre du Bonheur national brut. Une notion on ne peut plus sérieuse que le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, tout juste intronisé en 1972, s’empresse de mettre en avant comme indicateur de développement, en lieu et place du traditionnel Produit national brut auquel les économistes traditionnels nous ont davantage habitué.

L’idée était novatrice et plutôt séduisante puisque basée sur 4 critères principaux, à savoir le développement économique responsable, la conservation de la culture locale, la sauvegarde de l’environnement et la bonne gouvernance… Une feuille de route plutôt consensuelle en apparence, bien que poussée un peu à l’extrême. Au nom du respect des valeurs traditionnelle, les habitants du pays durent ainsi attendre jusqu’en 1999 pour que soit enfin autorisés la télévision et l’accès à internet !

Dans un verger de pommiers, au pays du bonheur national brut… (photo © Matthieu Ricard / Voyageurs du monde)

Et, en fait de bonne gouvernance, le Bhoutan est resté une monarchie absolue jusqu’en 2006, date à laquelle le bon roi susnommé a abdiqué en faveur de son fils, Jigme Khesar Wangchuck, couronné en 2008, à l’âge de 28 ans. Le régime s’est alors transformé en monarchie constitutionnelle et en 2013, le Premier ministre est quelque peu revenu sur la notion de Bonheur national brut en expliquant en substance que ses prédécesseurs ont beaucoup glosé sur ces notions abstraites mais peu agi en conséquence face aux véritables défis qui se posent au pays, dont le chômage, l’endettement, la crise monétaire et la corruption. Une vision plus réaliste mais qui ne l’a pas empêché d’être balayé lors des élections suivantes en octobre 2018 : le peuple est parfois bien ingrat…

Le bâtiment du parlement à Thimphou, capitale du Bhoutan (source © Décisions durables)

Toujours est-il que ce petit pays, plus étendu que la Belgique mais moins que la Suisse et qui compte à peine 800 000 habitants (moins que la ville de Marseille !), fait rêver bien des écologistes avec ses forêts qui absorbent trois fois plus de gaz carbonique que le pays n’en émet. Coincé entre l’Inde et la Chine, le Bhoutan présente des plaines subtropicales dans sa partie sud tandis que le nord s’élève dans le massif himalayen avec des sommets qui culminent à plus de 7 000 m d’altitude.

Les rivières impétueuses du Bhoutan, source inépuisable d’hydroélectricité (photo © National Geographic / Le Bhoutan)

Si son bilan carbone est aussi flatteur, c’est que 70 % de la superficie du pays est couvert de forêts, grâce à une politique active de préservation, la constitution interdisant même de descendre en dessous d’un taux minimum de 60 %… Grâce à son relief escarpé, le Bhoutan tire l’essentiel de ses ressources énergétiques de la production hydroélectrique dont les équipements sont d’ailleurs largement financés par l’Inde qui en tire également profit. L’agriculture est restée principalement vivrière mais l’élevage traditionnel de yack, dans les zones de montagne, ne représente plus qu’à peine 3 % de la consommation nationale de beurre, de viande et de fromage.

Le monastère bouddhiste de Taksang, surnommé « la tanière du tigre », site sacré du Bhoutan (source © Shanti Travel)

C’est néanmoins ce côté traditionaliste qui donne au Bhoutan son attrait touristique, depuis que le pays s’est ouvert au tourisme en 1974, à tel point que cette activité représente désormais plus de 20 % des ressources nationales. Une activité extrêmement encadrée avec visa obligatoire pour les étrangers et paiement à une agence de voyage locale d’un droit de séjour d’environ 200 dollars par jour, sensée couvrir les frais d’hébergement et de déplacement des touristes, tout en contribuant de manière substantielle au développement des infrastructures du pays. Au Bhoutan, l’accès aux centres médicaux est gratuit, de même que la scolarité jusqu’au lycée, ce qui contribue sans doute au Bonheur national brut sinon à la bonne santé de l’économie nationale dont l’endettement atteint désormais 125 % du PIB. Au Bhoutan, le revenu mensuel moyen par habitant est inférieur à 300 dollars : c’est trois fois moins que la moyenne asiatique et 12 fois moins qu’en France, mais le bonheur n’a pas de prix !

L. V.

Des fraises au chocolat ou les hasards de l’évolution

12 Mai 2023

Le biophysicien et écrivain Bill François fait partie de ces esprits scientifiques curieux pour qui « la valeur n’attend pas le nombre des années ». Passionné par le monde marin et la plongée, il étudie la physique à l’École normale supérieure puis se lance dans la recherche en hydrodynamique et rejoint le Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes à l’École supérieure de physique et de chimie industrielle de Paris. En 2019, alors qu’il est, à 25 ans, en deuxième année de sa thèse sur la mécanique des fluides appliquée à la nage des bancs de poissons, il remporte un nouveau concours d’éloquence dans le cadre de l’émission Le Grand Oral, domaine où il excelle, et publie son premier ouvrage, traduit depuis en 17 langues et intitulé Éloquence de la sardine…

Bill François, finaliste de nombreux concours d’éloquence, ici en mai 2017 aux Journées de l’éloquence d’Aix-en-Provence (source © Le Monde des Grandes écoles et de l’Université)

Ce chercheur de haute volée n’a pas hésité à se mettre en scène en montant son propre spectacle en 2021, mi stand-up humoristique, mi conférence scientifique où il s’interroge ainsi sur l’intelligence humaine et la connerie du monde (ou l’inverse) : «   Une partie de notre cerveau liée à l’intelligence, le cortex, a évolué, mais la partie du cerveau ancestrale, le striatum, est restée comme à l’époque où on était des singes. On a dans notre tête une partie géniale, et une partie imbécile, l’une conçoit les Airbus et l’autre conçoit les plateaux-repas qu’on nous sert dans les Airbus »

Il vient en tout cas de récidiver en publiant un nouveau livre titré Le Plus Grand Menu du monde. Histoires naturelles dans nos assiettes. Un voyage passionnant qui s’appuie sur les dernières découvertes génétiques pour nous faire remonter vers l’origine de certains de nos aliments. Prenons les fraises par exemple. Ce végétal, de la famille des Rosacées, est connu en Europe depuis l’Antiquité. Les Romains adoraient déjà picorer les fruits rouges, minuscules mais délicieux de la fraise des bois, Fragaria vesca, et l’utilisaient même dans leurs produits cosmétiques du fait de son odeur agréable.

La fraise des bois, savoureuse mais minuscule… (source © Magellan)

Au Moyen-Âge les stolons de fraises des bois sont implantés dans les jardins et cultivés mais il a fallu atteindre le XVIe siècle pour que les navires de Jacques Cartier rapportent d’Amérique du Nord des pieds de fraise de Virginie que les scientifiques identifient comme une espèce distincte, Fragaria virginiana. Implantée dans quelques jardins londoniens, cette petite fraise parfumée et précoce fait l’objet d’une mise en culture et un conseiller au parlement de Provence, Nicols-Claude Fabri de Prereisc, par ailleurs botaniste amateur, grand amateur d’art et ami de Galilée se fait envoyer quelques plants par un ami érudit. Les trouvant excellentes, il les conseille au directeur du Jardin royal d’Hyères qui les implante lui-même au Jardin des Plantes à Paris.

La fraise de Virginie, proche de notre fraise des bois (source © Comptoir des graines)

Et voilà qu’un ingénieur militaire, Amédée-François Frézier, qui s’était illustré lors de la guerre de succession en Espagne, nommé officier du génie au service du roi Louis XIV, embarque en 1712 sur un navire marchand pour une mission secrète d’espionnage des fortifications espagnoles au Chili et au Pérou. Esprit curieux et éclectique, notre espion au nom prédestiné s’intéresse aussi à une variété de grosses fraises blanches dont il prélève discrètement 5 pieds du côté entre Santiago et Valparaiso, au Chili, qu’il arriva à rapporter en France en les arrosant quotidiennement. Débarqué en 1714 à Marseille, il offre l’un des précieux pieds à Antoine de Jussieu qui l’implante au Jardin royal de Paris avant de le transplanter au jardin botanique de Brest dont le climat est plus adapté. Il fallut néanmoins attendre 1740 pour y obtenir des fruits, car il fallait pour cela mélanger pieds mâles et femelles, grâce à un autre plant que Frézier avait soigneusement multiplié dans son propre jardin de Plougastel.

La fraise blanche du Chili, qui a failli disparaître en 2003 (source © Petit Chef)

La fraise blanche du Chili, Fragaria chiloensis, avait l’avantage d’être beaucoup plus grosse que celles alors connues mais est plutôt insipide malgré son léger goût d’ananas. Et c’est donc au jardin botanique de Brest qu’un pied mâle de fraisier du Chili rencontra un pied femelle de fraisier de Viginie, pour former le premier hybride de frise à l’origine de toutes les variétés de fraises actuellement cultivées, comme l’a démontré l’agronome française Antoine Nicolas Duchesne, professeur d’histoire naturelle sous la Révolution et spécialiste des fraises, qui a dénommé la nouvelle venue Fragaria ananassa, la Fraise ananas, pour souligner son caractère totalement exotique pour l’époque…

Le livre de Bill François regorge ainsi d’anecdotes scientifiques sur l’origine de nos aliments. On y croise la mouche qui a inventé le fromage en se laissant choir malencontreusement dans un seau de lait. Les levures qui vivaient dans ses entrailles se sont hybridées avec celles présentes dans le lait en train de cailler. Ces nouvelles levures, hasard de l’évolution génétique, se sont révélées aptes à faire du fromage alors que le lait en caillant naturellement devient habituellement aigre et peu appétissant. Ce sont ces levures qui ont été ensuite conservées et entretenues pour ensemencer le lait et développer différentes variétés de fromages.

Cabosses, fruits du cacaoyer (source © Valrhona)

On y découvre aussi l’histoire fabuleuses des cabosses du cacaoyer, ces fruits énormes renfermant des graines de grande taille également, les fameuses fèves de cacao dont on fait le chocolat. Si le cacaoyer a développé ainsi au fil des millénaires des fruits aussi monstrueux c’est parce qu’il a évolué en parallèle des gomphothères. Ces derniers étaient des sortes d’éléphants, apparus au Miocène en Afrique et qui ont colonisé quasiment toute la planète. Présents au sud de l’Europe, ils ont atteint au Pléistocène l’Amérique du Sud où ils ont connu un grand succès, se nourrissant allègrement de ces grosses cabosses de cacaoyer dont ils dispersaient joyeusement les graines, contribuant à un développement inespéré de cette plante.

Reconstitution artistique d’un gomphothère qui vivait encore au Chili12 000 ans avant notre ère (source © Nobumichi Tamura / STKRF / AP / CNN)

Mais voilà qu’avec les différentes glaciations successives, les gomphothères disparaissent du paysage et avec eux tous les gros mammifères capables de disséminer ainsi les graines du cacaoyer. Ce dernier se met alors à péricliter et disparaît peu à peu jusqu’à ne plus subsister qu’à l’état résiduel dans quelques secteurs forestiers de l’Équateur.

Heureusement, les humains le remarquent et se mettent à le cultiver il y a environ 5000 ans, prenant le relai des gomphothères disparus et sauvant ainsi d’une extinction inéluctable, une espèce égarée dans une impasse évolutive sans perspective : le chocolat revient de loin…

L. V.

Centre culturel de Carnoux : qui veut gagner 1 million ?

10 Mai 2023

Le Centre culturel est une véritable institution pour les 6500 habitants de Carnoux-en-Provence. Rares sont en effet les communes de cette taille qui peuvent s’enorgueillir de posséder un établissement culturel de cette qualité, en plus de la médiathèque toute récente et de l’Artea, une magnifique salle de spectacle de 308 places assises doublée d’un théâtre de verdure équivalent en plein air.

Situé à l’entrée de la Ville en face du Panorama, le Centre culturel a fait l’objet d’une belle rénovation architecturale il y a une quinzaine d’années avant de se voir adjoindre en 2016 une salle de musique dernier cri conçue par le cabinet d’architecture Plò pour un montant de 163 000 € qui donne un cadre particulièrement chaleureux et adapté aux cours de musique instrumentale.

Les bâtiments du Centre culturel de Carnoux-en-Provence (source © Centre culturel)

Cet écrin remarquable qui a permis à des générations de Carnussiens de s’initier au chant, à la musique, au théâtre et à bien d’autres activités créatrices et artistiques, a été longtemps géré par une structure associative, proche de la municipalité et à qui cette dernière mettait à disposition les locaux dont elle assurait l’entretien tout en versant une subvention d’équilibre. Les bénévoles de l’association se chargeaient de la gestion du centre et les usagers payaient directement les intervenants, en fonction des activités pratiquées, selon un schéma classique dans ce type d’établissement. En 2018, le montant de cette subvention annuelle s’élevait ainsi à 79 000 € pour 650 adhérents recensés.

Cette année-là cependant, suite à un rapport critique de la Chambre régionale des Comptes qui pointait l’opacité de la gestion de cette association et sa trop grande proximité avec l’exécutif municipal, la commune avait brusquement décidé de confier la gestion de cet équipement culturel public à une société privée, dans le cadre d’un contrat de délégation publique (DSP), en l’occurrence à la société ALG qui gère déjà depuis sa création en 2000, la salle de spectacle de l’Artea.

Cette DSP, attribuée pour une durée de 5 ans et arrivant à son terme le 31 août 2023, le Conseil municipal de Carnoux avait délibéré le 2 mars dernier la reconduction de cette DSP. Une simple formalité d’ailleurs car le maire avait déjà retenu un prestataire pour rédiger les documents d’appel d’offre en vue de la consultation et n’a pas souhaité ouvrir le débat. Il existe pourtant de multiples possibilités pour gérer un tel équipement public culturel, depuis la régie directe avec du personnel municipal comme c’est le cas pour la médiathèque jusqu’à la délégation de service public confiée à une structure privée ou associative comme c’est le cas du Centre culturel de Cassis, en passant par des dispositifs de type régie autonome, dotée d’une autonomie financière…

Toujours est-il que la consultation en question a été lancée le 20 avril 2023, les candidats ayant jusqu’au 26 mai à midi pour remettre leurs offres. Une consultation assez discrète, il faut bien le reconnaître, dont on cherchera vainement la moindre trace sur le site officiel de la ville de Carnoux-en-Provence, pourtant régulièrement tenu à jour et pas avare d’informations détaillées sur la moindre réunion locale d’anciens combattants. Mais curieusement, la rubrique intitulée Marchés publics ne donne pas la moindre information sur les consultations publiques en cours. Il faut pour cela aller fouiller sur une plateforme d’achat ultra spécialisée, en l’occurrence Klekoon, pour accéder aux pièces du marché.

Page de garde du règlement de la consultation pour le renouvellement de la gestion du Centre culturel (source © Klekoon)

On y apprend ainsi que le futur délégataire du Centre culturel municipal devra gérer le site « pour le compte de la Ville » en assumant ses frais d’exploitation, qu’il « sera responsable de la reprise du personnel en poste, du recrutement et de la rémunération de l’ensemble des personnels nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement » et qu’il « s’engage à exploiter les installations et les activités qui en découlent, au mieux des intérêts des usagers prioritairement les enfants carnussiens et en garantissant le caractère laïc et éducatif de l’action menée et en respectant les obligations légales en matière d’hygiène et de sécurité ».

La valeur annoncée pour le montant global du contrat est estimée à 1 million d’euros HT tout rond et correspond au chiffre d’affaires prévisionnel cumulé sur 5 ans. De fait, les seuls bilans financiers communiqués aux candidats pour les exercices 2021 et 2022 font en effet état de produits d’exploitation qui s’élèvent à 157 632 € HT en 2021 et 209 091 € HT en 2022. Le million d’euros annoncé parait donc réaliste puisqu’il suppose un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 200 k€.

Tarifs 2022-2023 des activités offertes par le Centre culturel de Carnoux (source © Centre culturel)

Les pièces fournies aux candidats sont néanmoins très succinctes en la matière, indiquant seulement les tarifs pratiqués depuis la rentrée 2022 mais sans aucune mention du nombre d’adhérents alors qu’il s’agit d’une notion importante pour évaluer le taux de fréquentation du site et son dynamisme. Ces données ne figurent ni dans ce dossier de consultation des entreprises ni même sur le site de la mairie et encore moins sur celui du Centre culturel où la dernière lettre d’information disponible date de septembre 2016 ! On les trouve uniquement sur le site Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire, alimenté par 2 élus d’opposition car ils ont été communiqués en conseil municipal le 26 janvier 2023… On y constate ainsi qu’à la rentrée 2021 le nombre d’adhérents était tombé à 272, après une année de fermeture lors de la période de confinement, alors qu’il était encore de 371 en 2019. Depuis, ce chiffre est remonté à 304 à la rentrée 2022, mais on reste loin du potentiel de 650 adhérents que revendiquait l’association en 2018, ce qui laisse une belle marge de progression au futur délégataire.

Quant au montant de la subvention versée par la commune pour combler les pertes d’exploitation, elle constitue un élément essentiel de l’économie du projet, par essence déficitaire. En théorie, cette subvention n’est versée que pour compenser les contraintes d’exploitation imposées par la municipalité, lesquelles sont précisées dans la délibération du 2 mars 2023 et s’avèrent assez légères puisqu’elles consistent simplement à la mise à disposition gratuite de la salle de spectacle 5 fois par an, pour l’arbre de Noël et le spectacle des enfants. Mais cette prestation est on ne peut mieux valorisée puisqu’elle l’a été à hauteur de 120 000 € en 2022 et même 131 026 € en 2021, exercice pour lequel cette somme a représenté 83 % du chiffre d’affaires annuel, uniquement pour mettre à disposition de la mairie 3 soirs par an une salle dont elle est propriétaire !

On est certes assez éloigné ici du cadre réglementaire d’une délégation de service public pour laquelle il est prévu normalement que « le délégataire se rémunère se rémunère substantiellement des recettes de l’exploitation, augmentées d’une participation communale en compensation des contraintes imposées par la collectivité ». Mais on ne chipotera pas pour si peu ! L’essentiel est que cette nouvelle consultation, bien que peu disserte sur les conditions réelles d’exploitation de ce bel outil qu’est le Centre culturel de Carnoux, suscite de nombreuses candidatures et fasse émerger un nouvel exploitant pour redynamiser cette structure, si utile pour animer la vie associative et le développement culturel et artistiques des Carnussiens, jeunes et moins jeunes…

L. V.

De la réduction des dépenses à la production de richesse

8 Mai 2023

Dans l’éditorial du numéro 69 de la revue municipale du Messager, le maire Jean-Pierre Giorgi évoque les investissements communaux qui concourent à générer des économies d’énergie en citant notamment les efforts concernant l’éclairage public dont celui du stade Marcel Cerdan. Il souligne ainsi le recours à des LED plus efficaces qui offrent une meilleure qualité de lumière et contribuent à des réductions de consommations d’énergie. Il annonce aussi la prochaine installation d’un système de programmation visant à réguler l’éclairage.

Le stade Marcel Cardan à Carnoux avec ses deux terrains de jeu et ses éclairages surpuissants (source © Carnoux Football Club / Foot méditerranéen)

Si ces initiatives sont louables et positives pour les dépenses de fonctionnement de notre commune, il en demeure une qui n’est pas évoquée dans l’éditorial et qui concerne la production autonome d’électricité sur notre commune.

En effet, notre cité bénéficie d’un ensoleillement important (La commune de Carnoux-en-Provence a connu 3 036 heures d’ensoleillement en 2022, contre une moyenne nationale des villes de 2 248 heures de soleil). Aussi compte-t-on de nombreux propriétaires de villas à Carnoux qui, depuis plusieurs années, ont installé sur leurs toits des panneaux solaires produisant de l’électricité qui est ensuite rachetée par EDF ou autoconsommée.

Panneaux photovoltaïques sur les toits de maisons individuelles à Carnoux (source © Geoportail)

Des bailleurs sociaux, comme l’office HLM 13 Habitat qui gère les immeubles du Mussuguet, ont aussi implanté sur les toits terrasse des panneaux solaires qui font également office de garde-corps de sécurité.

Panneaux photovoltaïques servant de garde-corps sur les toits de la résidence 13 Habitat à Carnoux (photo © CPC)

Les bâtiments communaux, dont ceux du nouvel hôtel de ville et de la médiathèque Albert Camus, offrent des conditions optimales d’ensoleillement pour installer des panneaux solaires de dernière génération. Il en est de même pour des équipements publics comme le gymnase Heinrich et l’Artea. On pourrait opposer dans un premier temps le coût de l’investissement initial mais c’est sans compter les aides de l’État et celles des collectivités territoriales. Le second argument pourrait être d’ordre esthétique. Mais là encore, les concepteurs de panneaux photovoltaïques ont conçu des dispositifs s’adaptant aux toits plats ainsi qu’aux surfaces convexes.

Panneaux photovoltaïques sur le toit de l’école de Carmaux, une commune du Tarn où l’on dénombre pas moins de 69 installations équipant la quasi-totalité des toitures des bâtiments communaux et couvrant près de 50 % des besoins d’électricité des services publics (source © Mairie de Carmaux)

Pour illustrer cela, il faut savoir que depuis plus de douze années, l’École Internationale de Manosque conçue par les architectes Jean-Michel Battesti et Rudy Ricciotti est labellisée bâtiment certifié HQE (Haute Qualité Environnementale).  Avec une production d’électricité photovoltaïque et d’eau chaude solaire et mais aussi avec une toiture végétalisée innovante couverte de 50 cm de terre, elle offre une forte inertie thermique.  

Panneaux solaires en toiture sur l’école internationale de Manosque (source © Steelglass)

Parmi d’autres comme celui du Lycée Matisse de Vence (06), cet exemple peut être inspirant. Il est d’ailleurs prévu que les nouveaux bâtiments de la maternelle Frédéric Mistral de Carnoux soient équipés en panneaux photovoltaïques. Puisse ce premier pas en appeler d’autres !

Qu’attend-t-on alors pour conférer une meilleure qualité environnementale à notre cité en produisant une part de l’électricité consommée ?

M. M.

Il y a 80 ans, la rafle de Marseille

6 Mai 2023

Le 27 avril dernier, l’association Carrefour Citoyen de Roquefort la Bédoule a invité Jacques Azam, professeur honoraire d’histoire-géographie et marseillais de naissance, afin qu’il relate dans une conférence ce moment tragique de l’histoire marseillaise.

Jusqu’en novembre 1942, Marseille se situait dans la zone dite libre placée sous la tutelle du gouvernement de Vichy. Le débarquement des troupes alliées en Afrique du Nord dans le cadre de l’opération Torch le 8 novembre 1942 déclenché l’invasion de la zone sud de la France le 11 novembre et par conséquent l’arrivée des troupes allemandes à Marseille.

Début 1943, scène de rue à Marseille, occupée depuis l’année précédente par les troupes allemandes (photo © Getty – Gamma-Keystone / France Culture)

A cette époque, le quartier du Vieux-Port était constitué d’immeubles dont les rez-de-chaussée abritaient des boutiques et des ateliers, et dans les étages une population humble aux origines variées dont une importante colonie italienne. Derrière le Vieux-Port, le quartier du Panier était réputé pour abriter des malfrats. Cet ensemble était d’ailleurs qualifié par les allemands de « chancre de l’Europe ».

Parmi les quartiers dans le viseur des troupes d’occupation et de la police française, figuraient aussi celui de l’Opéra, proche de la synagogue de la rue  de Breteuil, qui abritait de nombreuses familles juives, celui de la Belle de Mai et enfin un secteur dénommé la Fosse qui dans 14 immeubles comptait 13 maisons de prostitution.

Les opérations qui conduiront à la rafle font suite à des d’attentats perpétrés par la résistance, dont celui du 3 janvier 1942 qui fit tomber plusieurs officiers nazis. Hitler et le chef des SS Himmler décident, en représailles, de détruire le nid de terroristes. C’est Carl Oberg, à la tête des SS et de la police du Troisième Reich pour la France, qui exige une solution radicale et complète pour Marseille. L’ordre est donné par Pierre Laval, président du conseil, relayé par René Bousquet, secrétaire d’État en charge de la police pour le régime de Vichy qui signe l’ordre de mission le 14 janvier 1943.

Lors de la rafle de janvier 1943 (source © Conseil départemental des Bouches-du-Rhône)

C’est alors le début de l’opération « Sultan » qui va se dérouler en plusieurs temps. Les quartiers, dont celui du Vieux-Port, sont bouclés dès le 22 janvier 1943. Les habitants sont sommés de quitter leurs habitations en ne conservant que quelques vêtements et papiers. En tout, 12 000 fonctionnaires français, gendarmes, policiers ou gardes mobiles sont mobilisés. Ce sont ces hommes, surveillés par les soldats allemands qui procèdent alors aux expulsions et au transport des personnes de tous âges dans des autobus, depuis le quai de la Mairie jusqu’à la gare d’Arenc.  Là, entassés dans des wagons à bestiaux, avec trop peu d’eau et d’aliments, ils sont convoyés à Fréjus où s’opèrera un tri. Comme le relate une victime de cette expulsion présente dans l’assemblée qui assiste à la conférence, le trajet a duré une journée au cours de laquelle, outre l’incertitude quant au sort réservé aux déplacés, ce sont les conditions insupportables qui restent gravées dans les mémoires.

Le 24 janvier 1943, sur le Vieux-Port, à Marseille (photo © Wolfgang Vennemann / Archives fédérales allemandes / Wikicommons / France Culture)

Entre le 22 et le 24 janvier 1943, ce sont près de de 40 000 personnes qui sont contrôlées et plus de 20 000 personnes victimes de cette rafle qui sont évacuées. Arrivés à Fréjus, ils sont triés. D’après les chiffres du Mémorial de la Shoah, au total, 1642 habitants seront envoyés à Compiègne puis déportés, dont près de 800 juifs envoyés à Sobibor en Pologne, tandis que ce sera Orianenburg-Sachsenhaussen pour plus de 700 autres (200 juifs mais aussi 600 « suspects », des étrangers en situation irrégulière, des tziganes, des homosexuels, des « vagabonds » sans adresse ou quiconque n’aurait pu présenter une carte d’alimentation ou sortirait de prison).

Un témoin d’alors qui s’est exprimé précédemment précise qu’après plusieurs jours passés dans un contexte éprouvant et après avoir pu justifier de leur identité, sa famille a pu regagner Marseille où elle a été hébergée chez des proches.

En effet, le 1er février 1943, débute de dynamitage des immeubles du Vieux-Port. En vingt jours, ce sont plus de 14 hectares qui sont rasés et un épais nuage de poussière envahit l’atmosphère de Marseille. Quand après le tri opéré à Fréjus environ 15 000 évacués reviennent « chez eux », ils découvrent un spectacle apocalyptique.

Si c’est sur l’ordre des Allemands que sont détruites ces habitations du quartier du Vieux-Port, dès le second empire, après avoir investi des quartiers neufs et aérés comme ceux qui ont été bâtis rue de la République (ex-rue Impériale), la bourgeoisie française rêvait de se débarrasser des quartiers pauvres situés au Vieux-Port. Cette mauvaise réputation s’accentuera encore dans les années 1930 où on parlera de Marseille comme du « Chicago de la France ». Ainsi, les urbanistes Jacques Gréber (1933) et Eugène Beaudouin (1942) prévoient-ils la construction d’immeubles neufs sur le Vieux-Port le long du quai de la Mairie.

Visite de chantier lors de la reconstruction des immeubles sur le Vieux-Port après la guerre (source © Archives de la construction moderne – EPLF / Fond Antonini / Espazium)

Cependant, tous les immeubles du quartier ne sont pas détruits. Ainsi plusieurs bâtiments historiques seront épargnés. Il s’agit de l’Hôtel de Ville construit au XVIIème siècle, de l’église St Laurent du XIIème siècle, du bâtiment de la douane, de l’Hôtel de Cabre du XVIème siècle, de la Maison Diamantée du XVI/XVIIème siècle, de l’Hôtel Dieu du XVIIIème siècle et enfin du clocher du couvent des Accoules. Le quartier du Panier a aussi échappé au dynamitage. La pègre qui l’avait investi de longue date bénéficiant de la bienveillance des Allemands avec qui elle collabore !

Après l’épisode cruel de la rafle de janvier 1943, le Vieux-Port connaîtra encore une destruction, celle du pont transbordeur que les Allemands dynamiteront en 1944 et dont un seul pilier sera détruit mais qu’il faudra néanmoins démonter pour des questions de sécurité.

Comme le relate Jean-Baptiste Mouttet, sur le site Médiapart, dans un article intitulé Marseille, 1943 : autopsie d’un crime contre les quartiers populaires, « Longtemps, les Marseillais croiseront du regard la balafre des décombres. Aujourd’hui encore, le Vieux-Port est asymétrique. D’un côté, des maisons héritées de l’arsenal des galères voulu par Louis XIV ; de l’autre, les immeubles élevés par Fernand Pouillon dans les années 1950. La tragédie, visible, s’est pourtant estompée de la mémoire des Marseillais et demeure méconnue à l’échelle nationale, malgré l’historiographie existante. »

L’avocat Pascal Luongo devant la photo de son grand-père sur le Vieux-Port à Marseille (photo © Emilio Guzman / Marsactu)

Il faudra attendre 2019 pour que deux hommes fassent resurgir ces déplorables évènements dans l’actualité. Michel Ficetola, ancien professeur d’Italien, dont les recherches retiennent l’attention de l’avocat Pascal Luongo auquel son grand-père racontait son évacuation des quartiers du Vieux-Port et le tri à Fréjus.   Fort de ses informations, l’avocat dépose plainte contre X pour crimes contre l’humanité le 17 janvier 2019, au nom de huit rescapés ou descendants de victimes, « pour un temps non prescrit, en raison d’une atteinte volontaire à la vie, du transfert forcé de population, de la privation grave de liberté physique et des actes inhumains causant intentionnellement de grandes souffrances et des atteintes graves physiques et psychiques ». Le 29 mai 2019, une enquête préliminaire est ouverte par la vice-procureure au parquet de Paris, Aurélia Devos, cheffe du pôle spécialisé dans ce type de crimes imprescriptibles.

Pour les Marseillais, ce plongeon dans l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, de la cruauté nazie et de la collaboration fait aussi écho à la tragédie de la rue d’Aubagne, où l’effondrement de deux immeubles a fait huit morts le 5 novembre 2018, ou encore récemment au drame  de la rue Tivoli, même si les causes sont bien différentes.

C’est l’histoire de l’urbanisme d’une ville où les quartiers populaires sont encore trop délaissés.

MM

Sources :

France Culture – Rafle à Marseille en janvier 1943 : un quartier rasé et le petit rire de Pétain – Chloé Leprince, 6 juin 2019

Médiapart – Marseille, 1943 : autopsie d’un crime contre les quartiers populaires – Jean-Baptiste Mouttet, 2 août 2020

La Marseillaise week-end du samedi 28 et dimanche 29 janvier 2023 : « Un quartier plein de vie »

Polynésie française : vers l’indépendance ?

3 Mai 2023

On connaissait les DOM et les TOM, mais sait-on qu’il convient désormais de parler de POM pour désigner officiellement le statut de la Polynésie française ? Depuis la loi organique de 2004 en effet, cette collectivité est désormais considérée, tout comme d’ailleurs la Nouvelle-Calédonie, comme un « Pays d’outre-mer ». Constitué de 118 îles réparties en 5 archipels dispersés sur une immense étendue océanique du Pacifique à 6000 km à l’Est des côtes australiennes, ce territoire est peuplé d’un peu plus de 300 000 habitants, soit, grosso modo l’équivalent d’une ville comme Montpellier…

Tahiti rame vers l’indépendance ? Course de pirogues traditionnelles (source © Tahiti infos)

La présence française y date des années 1840, d’abord aux Marquises puis à Tahiti qui passe sous protectorat avant d’être cédé à la France par le roi Pomare IV en 1880. Les iles Gambier, les Tuamotou, les îles Sous le Vent puis l’archipel des Australes sont annexés progressivement entre 1887 et 1901, formant alors les Etablissements français de l’Océanie, qui perdent en 1946 leur statut de colonie pour accéder à celui de Territoire d’outre-mer, avant de prendre, en 1957, le nom actuel de Polynésie française.

Oscar Temaru, ici en 2018, devant le drapeau de son parti (source © Tahiti infos)

C’est en 1977 qu’Oscar Temaru fonde son parti indépendantiste, sous le nom de Front de libération de la Polynésie, qui deviendra en 1986 le Tāvini Huira’atira nō te Ao Mā’ohi, ce qui signifie « Servir le peuple du pays ma’ohi », représenté par un drapeau bleu-blanc-bleu avec au centre 5 étoiles d’or symbolisant les 5 archipels du territoire. A partir de 1984, le statut d’autonomie interne ouvre la voie à la nomination d’un véritable gouvernement local dont le premier président sera l’inamovible Gaston Flosse. Élu depuis 1967 à l’Assemblée territoriale de Polynésie et devenu député en 1978, ce très proche du parti gaulliste de Jacques Chirac, occupe le poste de président du gouvernement polynésien sans discontinuer de 1991 à 2004.

Gaston Flosse à Papeete en septembre 2014 (photo © Grégory Boissy / AFP / Le Monde)

S’ensuit alors une période de forte instabilité politique avec pas moins de 13 gouvernements qui se succèdent entre 2004 et 2011, trois hommes se partageant la Présidence à tour de rôle, l’indépendantiste Oscar Temaru, le chiraquien Gaston Flosse et l’autonomiste Gaston Tong Sang. Lourdement condamné en septembre 2014 à une peine d’inéligibilité pour une sombre histoire d’emplois fictifs, Gaston Flosse est contraint de céder son fauteuil de Président de la Polynésie française à son ex gendre et dauphin, Édouard Fritsch, lequel sera reconduit pour un second mandat en 2018.

Dès 2013, l’Assemblée générale de l’ONU avait adopté une résolution à l’initiative d’Oscar Temaru, plaçant la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser. Mais ce territoire reste fortement dépendant des aides financières de la métropole que Gaston Flosse s’est efforcé d’accumuler année après année, en compensation de l’arrêt des essais nucléaires, mettant en place une société clientéliste qui dépend principalement des aides extérieures. Les efforts entrepris pour développer des filières de pêche hauturière, de culture perlière ou du tourisme n’ont guère été couronnés de succès et les exportations du territoire couvrent à peine 8 % de ses importations !

Bureau de vote à Atuona, dans les Marquises, pour les élections territoriales de Polynésie française (source © Polynésie la 1ère)

C’est dans ce contexte plutôt morose que les Polynésiens ont été appelés aux urnes ce dimanche 30 avril 2023 pour le second tour des élections territoriales, alors que les deux grandes figures tutélaires de Gaston Flosse et Oscar Temaru sont désormais sorties du paysage politique local. Le mode de scrutin est plurinominal à deux tours avec prime majoritaire, basé sur une circonscription unique constituée de 8 sections administratives, chacune d’elles étant représentée pour 5 ans par un nombre de sièges proportionnel à sa population. Les 57 membres de l’Assemblée ainsi élus, dont 37 sont issus des îles du Vent, élisent à leur tour le président de l’Assemblée et le Président de la Polynésie.

Au premier tour, le 16 avril dernier, 7 listes se partageaient les suffrages des Polynésiens, dont 4 n’ont pu atteindre la barre fatidique de 12,5 % des suffrages exprimés, nécessaire pour se maintenir au second tour qui s’est déroulé ce dimanche 30 avril. Trois listes restaient donc en présence pour cette élection qui a mobilisé quasiment 70 % du corps électoral, ce qui dénote un taux de participation plutôt élevé. Au vu des premiers dépouillements encore à finaliser, c’est la liste indépendantiste du Tāvini Huira’atira nō te Ao Mā’ohi, le parti d’Oscar Temaru, qui arrive largement en tête avec plus de 44 % des suffrages exprimés, ce qui devrait lui permettre de remporter 38 des 57 sièges de l’Assemblée de Polynésie et donc de s’assurer une large majorité.

Le député indépendantiste Moetai Brotherson, à l’Assemblée nationale, futur président de la Polynésie française ? (source © Outre-mer la 1ère)

Le parti du président sortant Édouard Fritsch, Tapura huiraatira, un parti autonomiste de droite, désormais soutien d’Emmanuel Macron, arrive en seconde position avec un peu plus de 38 % des voix, malgré son alliance avec l’ancien parti de droite de Gaston Flosse qui n’avait pas réussi à franchir la barre du premier tour et ne devrait plus avoir qu’un seul représentant dans la nouvelle assemblée.  Enfin, un nouveau parti, créé en 2020 et dénommé A here ia Porinetia (« Aimons la Polynésie ! »), fait son entrée à l’Assemblée. Foncièrement anti-indépendantiste et proche de l’extrême-droite, il devrait disposer de 3 sièges. Une configuration globalement très favorable donc aux idées indépendantistes et qui laisse penser que le futur Président de la Polynésie française sera très probablement un indépendantiste issu de ses rangs, vraisemblablement le député Moetai Brotherson, un colosse qui avait fait sensation en débarquant au Palais Bourbon en habits traditionnels tahitiens, avec jupe, sandales et chemisette à fleurs découvrant ses avant-bras largement tatoués selon la coutume locale.

L. V.

Les généraux ennemis du Soudan

1 Mai 2023

Il ne fait décidément pas bon être Soudanais, surtout en ce moment ! Déjà que la situation de ce pays n’était guère brillante depuis son accession à l’indépendance en 1956, indépendance qui avait conduit à une première guerre civile qui a déchiré pendant 17 ans le nord musulman du sud animiste et chrétien. Un premier épisode sanglant suivi d’une seconde guerre civile déclenchée en 1983 lorsque le président de l’époque décide d’étendre le droit musulman au domaine pénal.

Village incendié pendant la guerre du Darfour en 2016 (photo © AFP / Le Bien public)

S’ensuivent 26 ans de conflits armés et d’atrocités entre les forces gouvernementales aux mains des populations arabo-musulmanes du Nord et les groupes armés des zones tribales chrétiennes du Sud. Une nouvelle guerre civile qui aurait causé la mort de plus de 2 millions de Soudanais et le déplacement plus ou moins volontaire de 4 millions d’autres, dans un pays qui compte autour de 45 millions d’habitants. En 2005, un accord de paix est enfin signé et le 9 janvier 2011 un référendum d’autodétermination conduit à la scission du pays, avec la création du Soudan du Sud qui fait perdre au pays le statut de nation la plus vaste du continent africain, au profit de l’Algérie.

Manifestant allumant des feux sur une barricade de briques dans une rue de Khartoum en janvier 2022 pour protester contre le coup d’État du général al-Bourhane (photo © AFP / Arab News)

En décembre 2018, des mouvements de protestation éclatent dans le nord du Soudan, réclamant de meilleures conditions de vie alors que 20 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Le 11 avril 2019, face au mécontentement populaire, le président Omar el-Béchir, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité pour sa conduite un peu virile dans la guerre du Darfour, est finalement destitué par un coup d’État militaire. L’un des putschistes, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, provoque un nouveau coup d’État le 25 octobre 2021, après avoir procédé à l’arrestation de la plupart des membres civils du Conseil de souveraineté, puis il prend la tête, en avril 2022, d’une coalition dénommée Le Grand Courant islamique, destinée à « faire renaître le pays dans la religion », en vue des futures élections promises par les militaires en 2024.

Le général Abdel Fattah al-Bourhane lors de son allocution à la télévision soudanaise le 13 avril 2019 après son premier coup d’Etat (source © AFP / Jeune Afrique)

Mais voilà que le 15 avril 2023, les Forces de soutien rapide dirigées par le général Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemetti, entrent en rébellion ouverte contre les forces armées régulières, attaquant des bases militaires à travers le pays et prenant le contrôle du palais présidentiel et de l’aéroport de Khartoum. Ces Forces de soutien rapide sont en réalité les héritières d’une milice arabe Rizeigat, les Janjawid, créée en 2003 à l’instigation du gouvernement par Hemetti, alors simple marchand de chameaux.

Le général soudanais Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemetti, le 8 juin 2022 (photo © Ashraf Shazly / AFP / Le Monde)

Cette milice, très active durant la guerre du Darfour où elle est à l’origine de multiples massacres, a été intégrée en 2013 à l’armée régulière. Mais lors du coup d’État d’avril 2019, Hemetti n’a pas hésité à se retourner contre son ancien mentor, Omar el-Béchir, pour le destituer et devenir vice-président du Conseil militaire de transition, avant de participer, aux côtés du général Abdel Fattah al-Bourhane d’octobre 2021 qui met fin au processus de transition vers un régime civil. Ce même homme est l’artisan d’un rapprochement du Soudan avec la Russie début 2023, au point d’accueillir en grandes pompes l’arrivée des mercenaires russes du groupe Wagner.

Membres des Forces de soutien rapide, paramilitaires soutenus par le gouvernement soudanais et armés par l’Arabie saoudite, ici en 2017 au sud Darfour (photo © AFP / Middle East Eye)

Trois semaines après le déclenchement de ces affrontements meurtriers entre l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Bourhane et les Forces de soutien rapide de son second, Hemetti, on compte déjà, selon un bilan officiel probablement sous-estimé, plus de 500 morts et 4600 blessés ainsi que des milliers de réfugiés qui fuient les combats en tentant de passer les frontières vers l’Égypte, le Tchad, l’Éthiopie et le Soudan du Sud, tandis que les pays occidentaux essaient tant bien que mal d’exfiltrer leurs ressortissants exposés aux raids aériens et aux tirs à l’arme lourde jusque dans les rues de la capitale.

Frappe aérienne sur l’aéroport de Khartoum, le 20 avril 2023, cible de combats entre l’armée régulière et les paramilitaires de la FSR (photo © AFP / L’Orient le jour)

Ce climat de guerre est en train de gagner la totalité du pays, semant la panique parmi les populations civiles qui en sont les victimes collatérales, et créant un certain sentiment de gêne parmi les puissances régionales qui ont largement contribué à cette situation en poussant le Soudan à la solution militaire de crainte que la société civile ne conduise le pays vers une démocratie largement honnie, en particulier par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite qui ont énormément investi dans ce pays pour développer des zones de production agricole destinées à leur propre consommation et qui ont soutenu financièrement le pouvoir militaire des deux généraux qui se déchirent désormais. Le Soudan est décidément bien mal parti…  

L. V.