Les scientifiques alertent maintenant depuis des décennies sur l’impact grandissant des gaz à effet de serre et sur les conséquences désormais irréversibles de ce phénomène sur le réchauffement climatique mondial, source de désordres multiples et dont on constate dès à présent les effets concrets : montée du niveau des océans et submersion des zones basses côtières souvent très urbanisées, aggravation des risques d’inondations et de feux de forêts, perte de la biodiversité, hausse des températures rendant certaines zones inhabitables, canicules et sécheresses agricoles, tensions pour l’eau et accentuation des migrations climatiques…
Autant de fléaux déjà à l’œuvre mais dont on pourrait encore atténuer les effets si la planète s’engageait dans une véritable transition écologique, tournant définitivement le dos aux énergies fossiles qui ont fait la prospérité de la majorité depuis 150 ans mais qui conduisent désormais l’humanité à sa perte. Tous les scientifiques sérieux le disent depuis maintenant des décennies, relayés par les excellents travaux de synthèse et de vulgarisation du GIEC, le Groupe international des experts pour le climat. L’opinion publique est de plus en plus sensible à leurs arguments, mais nos responsables politiques et économiques tardent à s’engager dans cette voie, obnubilés qu’ils sont par les impératifs de la rentabilité à court terme et du « business as usual ».
C’est justement pour échapper à ce piège du pilotage à (courte) vue qu’a été créée en 2013 une instance comme France Stratégie, officiellement le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, un service du Premier ministre, chargé de « concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental, ainsi qu’à la préparation des réformes ».
Son premier commissaire général, le haut fonctionnaire Jean Pisani-Ferry, a laissé la place en janvier 2017 pour se consacrer à l’élaboration du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, alors en campagne. Mais cet économiste de renom est toujours dans le circuit et Elisabeth Borne lui a confié, en septembre 2022, une mission ambitieuse visant ni plus ni moins qu’à identifier les conditions et les moyens pour mettre enfin en œuvre cette transition écologique dont tout le monde parle.
Le travail entrepris est colossal, mobilisant des dizaines de spécialistes et aboutissant à la rédaction de 11 rapports thématiques qui embrassent de multiples aspects du problème, des modélisations macro-économiques jusqu’aux impacts sur l’inflation, la productivité ou le marché du travail, en passant par les approches en matière de sobriété et d’adaptation au changement climatique, sans oublier les enjeux du financement et de la fiscalité, le tout conclu par un rapport de synthèse, cosignée avec l’inspectrice générale des finances, Selma Mahfouz, et qui a été remis officiellement le 22 mai 2023 à Élisabeth Borne.
Le principal mérite de ce travail est peut-être d’écrire noir sur blanc et de manière officielle ce que tout le monde savait déjà, à savoir qu’il est plus que temps d’engager enfin concrètement cette transition écologique pour laquelle nous n’avons que trop tergiversé, que cela exigera une volonté politique sans faille de la part de l’État, et que le coût pour la société sera colossal…
Sur la nécessité d’agir, ce rapport ne fait que rappeler des évidences déjà largement démontrées, et notamment que ne rien faire coûterait infiniment plus cher que d’anticiper et de prendre enfin à bras le corps cette problématique devant laquelle chacun recule depuis des décennies… D’autant que la France s’est d’ores et déjà engagée à réduire d’ici 2030 de 47,5 % ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2050, un projet d’autant plus ambitieux que quasiment rien n’a été fait depuis 30 ans et qu’il va falloir désormais mettre les bouchées doubles pour rattraper en 10 ans le retard accumulé !
Pour cela, les auteurs de ce rapport ont identifié 3 leviers d’action qui n’ont rien d’original et qui devront être actionnés simultanément pour espérer obtenir enfin le résultat visé : réorienter massivement le capital jusqu’à présent investi dans l’utilisation des énergies fossile, axer tous les développements technologiques vers les énergies vertes et engager un mouvement résolu de sobriété et d’économie d’énergie. Un programme qui ne pourra se mettre en place que via une impulsion forte de l’État, dans le cadre d’une planification écologique rigoureuse, et qui exigera des investissements publics majeurs, de l’ordre de 2 à 2,5 points de PIB.
Un gros effort que Jean Pisani-Ferry ne cherche pas à masquer et qui se traduira nécessairement, selon lui, au moins jusqu’en 2030 par des baisses de confort et de niveau de vie, avec un coût économique et social non négligeable. L’effort portant sur tous les Français mais pesant proportionnellement surtout sur les plus modestes, pour isoler leur logement et changer leur voiture, cela ne sera possible que moyennant des aides publiques massives, pour soutenir les ménages comme les entreprises. Un effort qui se traduira nécessairement par un endettement conséquent que le rapport chiffre à 10 points de PIB supplémentaire en 2030 et probablement 25 d’ici 2040, en tenant compte du ralentissement de la croissance qui en découlera.
Un effort significatif donc et que Jean Pisani-Ferry propose de répartir, pour le rendre plus acceptable socialement, en mettant fortement à contribution les classes les plus aisées via un prélèvement obligatoire exceptionnel ciblé à leur encontre. Une condition sine qua non selon lui pour rendre socialement acceptable une telle transition écologique sans se heurter aux mêmes protestations que lors des crises antérieures des « bonnets rouges » ou des « gilets jaunes » qui ont jusqu’à présent contribué à retarder la prise de telles mesures.
Sauf que ce message courageux et réaliste n’a reçu aucun écho de la part du gouvernement. Élisabeth Borne s’est empressée de préciser qu’il n’y aura bien évidemment aucun prélèvement fiscal supplémentaire sur les Français les plus riches, le niveau de fiscalité étant déjà bien assez élevé, et qu’on se contentera, pour tenter de financer cette transition écologique, de faire des économies, à hauteur de 5 % dans les budgets des différents ministères. C’est donc encore une fois la détérioration du service public qui sera mise à contribution sans que cela puisse bien évidemment suffire, confirmant s’il en était encore besoin, qu’Emmanuel Macron n’est absolument pas à la hauteur de cet enjeu majeur de société auquel nous sommes collectivement confrontés, et qu’il reste, envers et contre tous, « le président des riches » !
L. V.