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David Hockney, un artiste avant-gardiste

28 mars 2024

Ce propos avait été rédigé en mai 2023, à l’occasion de la rétrospective organisée par le Musée Granet d’Aix-en-Provence à partir d’une sélection d’œuvres de David Hockney issues de la collection de la Tate Gallery de Londres. Ainsi, après quelques éléments biographiques, nous dégagerons les principales problématiques artistiques qui sous-tendent sa création, avant d’évoquer les démarches artistiques auxquelles il se réfère et enfin nous tenterons de montrer en quoi l’œuvre de David Hockney est celle d’un artiste de son temps.

Éléments biographiques

David Hockney est né en 1937 à Bradford (GB) au sein d’une famille nombreuse de classe moyenne. Comme on peut le découvrir en lisant le récent texte de Catherine Cusset intitulé « Vie de David Hockney » et édité chez Folio, le jeune David est espiègle, créatif et il aime dessiner sur tout support, y compris le journal de son père. En 1953, après ses études secondaires, il entre à l’école des Beaux-Arts de Bradford (Bradford School of Art) où il découvre différents modes d’expression (peinture, gravure, collage, photographie …), les courants artistiques de la modernité aussi bien que de la contemporanéité (cubisme, surréalisme, abstraction, Pop’art…) ainsi que des artistes comme J. Dubuffet et J. Pollock. Diplômé en 1957, il intègre le Royal College of Art de Londres. Dans cet établissement prestigieux, il se cultive énormément et parfait sa maîtrise de la peinture, de la gravure et découvre la sculpture.

David Hockney, devant certaines de ses œuvres à la galerie Lelong à Paris en 2020 (photo © Galerie Lelong / Paris Match)

En 1960, il est subjugué par les œuvres de l’exposition consacrée à Picasso. Une fois diplômé, il part pour New York, haut lieu de la penture américaine, puis en 1964 il s’installe à Los Angeles où il s’ouvre à l’esprit et au mode de vie américain. Durant cette période, il s’affirme artistiquement avec notamment sa série des grands portraits et des piscines. En 1980 il découvre, à l’occasion d’une exposition consacrée à la peinture chinoise, les modes de représentation de l’espace des artistes de l’Extrême Orient ce qui le conduit à approfondir ses recherches sur l’optique et la perspective. En 2019, il s’installe en Normandie où il s’adonne à la fois à la peinture sur de très grands formats et poursuit son exploration des possibilités créatrices offertes par les outils numériques.

Les questions artistiques en jeu dans l’œuvre de Hockney

La question fondamentale qui traverse son œuvre a été énoncée dès ses études au Royal College of Art de Londres : « Comment voyons-nous le monde et comment ce monde de temps et d’espace peut-il être capturé en deux dimensions ? ». En d’autres termes, comment rendre compte de la réalité d’objets en trois dimensions, fixes ou en mouvement, par une représentation réalisée sur un support à deux dimensions ? Il n’est pas le premier à se confronter à cette problématique. En effet, elle a germé chez Cézanne puis a nourri les artistes cubistes et traverse depuis la création moderne et contemporaine. L’adoption de la perspective inversée lui permet d’apporter des réponses personnelles à son questionnement sur la représentation. Il en est de même avec le principe de point focal en mouvement ou changeant.

La Chaise de Van Gogh, acrylique sur toile, 1988 (source © David Hockney / Connaissance des arts)  

La question de l’espace de la peinture est aussi très présente dans ses œuvres. Ainsi, dans l’œuvre de 1964 intitulée Man in Shower in Beverly Hills, David Hockney peint une figure sous la douche dans un espace figuré par le jeu des carreaux et du rideau, espace qu’il barre en diagonale en représentant un tapis. Au premier plan, comme en surimpression, il traite une plante en aplat noir affirmant ainsi un geste pictural. Enfin, dans l’angle supérieur droit, il représente en arrière-plan et comme en miniature un salon moderne et vivement coloré qui rompt la planéité du tableau. Avec ce tableau, il donne une réponse à la question : Comment fusionner espace pictural et réalité ? David Hockney parle d’ailleurs de naturalisme et non de réalisme. Son art est parfaitement figuratif, profondément ancré dans le réel, mais avec des niveaux de lecture qui se superposent et se surajoutent.

David Hockney, Man in Shower in Beverly Hills, 1964, acrylique sur toile, 167 x 167cm, Collection Tate Gallery, Londres (photo © MM / Musée Granet Aix-en-Provence, 2023)

Un autre questionnement concerne le langage de l’œuvre et en particulier le recours à des signes plastiques hétérogènes, lignes, formes, taches, dont les lettres et les chiffres qui fonctionnent aussi comme des codes.

Parmi les autres problématiques qui nourrissent le travail de David Hockney, il y a bien sûr la pratique des artistes. Nous avons déjà évoqué l’intérêt majeur pour la période cubiste de Picasso, mais aussi pour sa démarche : « Je ne fais pas des tableaux, j’explore » (P. Picasso), formule qu’il fait sienne dès les années 1970. Pour la couleur, ses intérêts se portent sur les œuvres de Paul Gauguin, de Vincent Van Gogh et d’Henri Matisse. S’agissant des grands formats plus tardifs, c’est à Monet et son travail sur le motif que l’on peut penser. Enfin, sa culture en art le conduit aussi bien à évoquer les recherches sur la perspective d’Hogarth qui a écrit un traité de la perspective en 1754 qu’à se nourrir d’œuvres plus anciennes comme les Annonciations.

David Hockney, artiste de son temps

Rappelons que lors de sa formation artistique dans les années 50, à Bradford et surtout à Londres, David Hockney a bénéficié d’un enseignement ouvert à tous les moyens d’expression dont la photographie. Cet outil demeure présent dans sa pratique. A ce propos, si de nombreuses peintures ont fait l’objet de recherches à la mine de plomb ou à l’aquarelle, les œuvres de sa période californienne sont très souvent issues de prises de vue photographiques.

Il expérimente des compositions combinant des photographies réalisées avec un appareil Polaroid. Ainsi, dans l’œuvre A Bigger Card Players, qui reprend le sujet des joueurs de cartes de Paul Cézanne, on repère sur le mur, outre une peinture du même sujet, Pearblossom Hwy de 1986 qui est un montage de « Polaroids ».

A Bigger Card Players, 2015, dessin photographique imprimé sur papier et monté sur cadre aluminium (source © David Hockney / Toledo Museum of Art)

Il utilisera aussi de nombreux montages tirages numériques comme dans l’œuvre Studio de 2017, immense tableau de 178 x 760 cm qui le représente au milieu de ses œuvres dans son atelier. Enfin, il travaille sur des supports numériques (IPad) qui lui permettent d’ajouter la dimension temporelle.

David Hockney est aussi éclectique dans sa création puisqu’à la peinture, à la photographie, à la gravure, il ajoute des scénographies et des sculptures. L’œuvre exposée, Caribbean Tea Time, datant de 1987, est une sorte de paravent sur lequel il synthétise ses recherches dans un ensemble qui n’est pas sans lien avec la structuration de l’espace par la couleur telle que la traitait Henri Matisse.

Michel Motré

Sainte-Victoire : la chasse aux œufs… de dinosaures

5 juillet 2023

A Pâques, la traditionnelle chasse aux œufs était cette année organisée par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône sur son site de Roques-Hautes, un vaste domaine départemental qui s’étend sur 800 hectares au pied de la montagne Sainte-Victoire, sur les communes d’Aix-en-Provence, de Beaurecueil, du Tholonet, de Saint-Antonin-sur-Bayon et de Saint-Marc Jaumegarde. Une chasse aux œufs en chocolats tout ce qu’il y a de plus classique pour amuser les plus petits, sauf que les œufs en question font référence aux œufs de dinosaures qui sont légions dans le secteur, au points que nombre de paléontologues anglophones ont surnommé le coin « Eggs en Provence »…

Affiche ludique du Conseil départemental pour la chasse aux œufs de Pâques (source © CD 13)

C’est en 1869 que le géologue Philippe Matheron a découvert et décrit les premiers restes fossilisés de dinosaures de Provence, découverts près de l’étang de Berre, tandis qu’Albert de Lapparent publiait en 1947 une première synthèse sur les dinosaures du sud de la France à partir de ses fouilles réalisées en 1939 sur le site varois de Fox-Amphoux. Dès 1935, des premiers œufs fossilisés de dinosaures sont découverts par Maurice Dérognat près de la Sainte-Victoire et c’est en 1952 que le conservateur du Musée d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence, Raymond Dughi, et son adjoint, François Sirugue, font état de leurs propres observations, sur le site dit de Roques-Hautes, à Beaurecueil.

Œufs de dinosaures de la Sainte-Victoire (source © Grand site Sainte-Victoire)

Bien d’autres ont été exhumés depuis, dans toute la vallée de l’Arc, de Trets jusqu’à l’étang de Berre, mais ce site de Roques-Hautes est l’un des mieux conservés car entièrement préservé de l’urbanisation. Une réserve naturelle, fermée au public et s’étendant sur 140 ha, y a été créée en 1994, à la suite du dernier grand incendie qui avait presque entièrement ravagé le massif de la Sainte-Victoire fin août 1989, réduisant en cendre près de 5000 ha. C’est d’ailleurs en 1994 qu’a été exhumé, par Edgar Lorenz, un premier squelette complet de Rhabdodon priscum, exposé au musée d’Aix-en-Provence.

Squelette de Rhabdodon priscum (source © Futura sciences)

Les terrains dans lesquels ont été conservés ces œufs de dinosaures sont des argiles rougeâtres qui datent du Crétacé supérieur, il y a environ 74 millions d’années. A l’époque, tout ce secteur, parfois appelé bombement durancien, sépare le golfe méditerranéen au sud et la mer qui s’étend alors sur l’emplacement des Alpes actuelles. De nombreux cours d’eau le parcourent et les dépôts argileux dans lesquels on retrouve les œufs fossilisés correspondent aux berges de ces anciens cours d’eau : les œufs une fois éclos s’y échouaient et se remplissaient de sédiments, ce qui a permis leur conservation.

Le lit des cours d’eau de l’époque charriait des galets qui ont donné les grès actuels dans lesquels on retrouve désormais des ossements fossilisés, provenant principalement de deux espèces bien identifiées, les Rhabdodons, de gros herbivores pouvant atteindre 4 m de long pour 1,80 m de hauteur et peser jusqu’à 3 tonnes, ainsi que des Arcovenator, de redoutables carnassiers de près de 5 m de longueur. Les Rhabdodons affectaient les zones de lac (caractérisés par des dépôts de calcaires lacustres) au bord desquels ils venaient pondre leurs œufs dans les herbiers périphériques. A l’époque, la zone, située beaucoup plus au sud qu’actuellement, jouissait d’un climat chaud, quasi tropical, qui avait permis, durant le Crétacé moyen la formation de bauxite sur ces mêmes terrains.

Site du parc départemental de Roques-Hautes au pied de la Sainte-Victoire (source © MyProvence)

A la fin du Crétacé, sous l’influence de la plaque africaine qui remonte vers le nord, mouvement à l’origine de la formation des Pyrénées, tout le secteur se creuse d’une vaste ride, formant le synclinal de l’Arc, tandis que son flanc nord se plisse et qu’apparait un premier relief à l’emplacement approximatif de l’actuelle montagne Sainte-Victoire. Ces mouvements tectoniques intenses se poursuivent durant tout l’Éocène, au début de l’ère tertiaire, conduisant notamment à la formation de brèches qui ont d’ailleurs été exploitées comme calcaires marbriers. Puis, au cours de l’Oligocène, les mouvements tectoniques s’accentuent, en lien avec la formation de la chaîne alpine : le nouveau pli anticlinal qui s’est formé finit par se rompre et les terrains formant l’actuelle montagne Sainte-Victoire s’avancent vers le nord de près de 2 km sous forme d’un chevauchement sur les terrains sous-jacents.

Malgré cette complexité géologique, on retrouve donc, dans la réserve de Roques-Hautes, de très nombreux vestiges fossilisés datant de cette époque de la fin du Crétacé où Rhabdodons et Arcovenator abondaient. Les fouilles se sont multipliées depuis 2010 et voila donc que le Département a lancé, en collaboration avec le Musée d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence et le ministère de la Défense (propriétaire d’un vaste terrain très convoité par la réserve naturelle car d’une grande richesse paléontologique), des campagnes faisant appel aux bonnes volontés pour venir fouiller le sol à la recherche des morceaux de coquilles d’œufs fossilisés.

Campagne Brossons des œufs sur les flancs de la Sainte-Victoire (source © page Facebook Réserve naturelle de Sainte-Victoire)

Intitulées « Brossons des œufs », ces campagnes, dont La Provence a rendu compte récemment, permettent d’associer aux fouilles de nombreux amateurs passionnés, ce qui contribue aussi à éviter les risques de pillage du site. Chacun peut en effet s’investir pour venir gratter la terre, mais en s’inscrivant à l’avance, comme c’était le cas lors de la dernière journée organisée, le 26 juin 2023 et en étant encadré par une équipe de spécialiste, qui profite de cette main d’œuvre bénévole et enthousiaste tout en prodiguant des conseils pédagogiques pour éviter que cet engouement ne se traduise en un saccage désordonné de vestiges miraculeusement conservés au fil des millénaires : une belle démarche de rapprochement entre scientifiques généreux et citoyens engagés !

L. V.

Après la canne de Provence, le bambou ?

28 Mai 2023

La canne de Provence, c’est cette espèce de roseau qui envahit nos talus et que l’on voit partout en région méditerranéenne où on l’utilise traditionnellement pour faire les canisses qui, enduits de plâtre, constituent l’essentiel des plafonds de maisons anciennes à Marseille. Le petit nom scientifique de cette graminée géante, Arundo donax, fait d’ailleurs clairement référence à sa ressemblance avec le roseau, au point d’inspirer certaines de ses appellations multiples telles que « roseau de Fréjus », « grand roseau » ou « roseau canne »…

Canne de Provence (photo © Flickr / Gerbeaud)

Personne n’est très sûr de l’origine de cette plante qui pourrait avoir été introduite depuis l’Asie et qui s’est désormais répandue partout dans le monde, au point d’être considérée comme l’une des 100 plantes les plus envahissantes de la planète, dans le collimateur des autorités environnementales de plusieurs contrées, notamment aux îles Canarie ou en Nouvelle-Calédonie où sa plantation est sévèrement prohibée.

En tout cas, on la voit partout en Provence où elle constitue le matériau idéal pour la constitution de haies brise-vent, protégeant les cultures du mistral, tout en fournissant à foison des tiges robustes pour faire une tonnelle, une canne à pêche ou un tuteur de tomate. L’espèce est frugale et ses rhizomes résistent parfaitement tant aux gelées hivernales qu’à la sécheresse estivale, avec des vitesses de pousse spectaculaires. On la considère d’ailleurs comme l’une des plantes les plus prometteuses pour la production de biomasse en climat méditerranéen avec un record établi sur une culture industrielle en Italie de 35 tonnes de matière sèche par hectare, alors que les rendements habituels sont inférieurs à 10 t pour une prairie et atteignent au maximum 14 t pour un champ de maïs…

Plantation de bambous de la variété Moso edulis (source © Only Moso)

Et pourtant, voilà que l’on s’intéresse désormais à une autre graminée, asiatique celle-là sans aucun doute, et qui pourrait peut-être demain venir envahir à son tour nos paysages méditerranéens. C’est notamment une idée que promeut la start-up aubagnaise Carboneutre, issue d’Osmoz, une société à mission créée en août 2022, et de BambooPro, une entreprise italienne qui s’est déjà fait la main en implantant quelques centaines de parcelles pour compenser les émissions de gaz à effet de serre d’industriels soucieux de leur empreinte carbone.

Son directeur, Christophe Guyat, imagine venir couvrir la Provence de bambouseraies géantes pour compenser nos émissions de gaz à effet de serre. Son constat est que le bambou est une plante à pousse rapide, qui arrive à maturité en 7 ans seulement, contre un bon siècle pour le chêne et qui s’auto-régénère grâce à ses rhizomes : quand on plante une forêt de bambou, c’est pour l’éternité ! Et pas avec n’importe laquelle des quelques 1500 espèces de bambous connus à travers le monde. Toutes présentent une croissance rapide et un fort pouvoir de fixation du CO2, jusqu’à 12 tonnes par an et par hectare, soit 4 fois plus qu’une forêt de feuillus. Mais celle que Carboneutre a sélectionnée, Moso edulis, présente surtout l’avantage de présenter de nombreux débouchés économiques, pour alimenter des centrales à biomasse, produire des granulés pour le chauffage au bois mais aussi comme bois de construction pour l’ameublement et le bâtiment.

Construction en bambou du temple de Luum à Tulum au Mexique (photo © César Belar / Co-Lab)

C’est en effet un des atouts du bambou, outre sa capacité à absorber de fortes quantités de CO2, et son aptitude à s’adapter à de nombreux types de sols et conditions climatiques, tout en étant très peu inflammable, que de donner un matériau à multiples usages. S’il est autant utilisé en Chine et ceci depuis au moins 6000 ans, ce n’est pas par hasard : on déguste ses jeunes pousses, on utilise ses feuilles pour tresser des vanneries, recouvrir le toit des maisons ou fabriquer du papier, et on emploie ses tiges pour faire des balais comme des flûtes, des manches de parasol, des conduites d’eau, des mâts de bateaux, des meubles ou encore des échafaudages.

Frondaisons majestueuses à la bambouseraie des Cévennes (source © Tourisme Gard)

Un savoir faire traditionnel que l’on peut notamment observer dans le village laotien implanté dans la bambouseraie des Cévennes, implantée depuis 1856 à Générargues près d’Anduze et qui offre aux visiteurs une balade fabuleuse au milieu de forêts de bambous majestueux. Il existe d’ailleurs bien d’autres bambouseraies sur le sol national dont le jardin de Planbuisson, en Dordogne qui contient plus de 240 variétés de bambous et qui est également ouvert au public. En Provence, un passionné, Bernard Le Neindre, a aussi initié, dès 2003 des plantations de bambous à grande échelle sur un terrain situé à Eyrargues, dans le nord des Bouches-du-Rhône. Appuyé par l’association Bambous en Provence, le jardin a ouvert au public en 2012 et connait depuis un grand succès, s’étant même vu décerné en 2019 par le ministère de la Culture le label de « jardin remarquable ».

Les bambous du parc bambous à Eyrargues (source © Bambous en Provence)

Si le bambou connait un tel succès un peu partout dans le monde, c’est aussi qu’on n’arrête pas de redécouvrir les innombrables propriétés qu’offre cette famille de graminées. C’est avec un filament en bambou que Thomas Edison a réussi à fabriquer en 1880 sa première ampoule à incandescence. Et c’est avec un échafaudage en bambou qu’ont été édifiées les plus hautes tours de Hongkong, de Shangaï ou de Gwangzhou, plus élevées que la Tour Eiffel et qui culminent autour de 400 m.

Guillaume Beuvelot, Antoine Sherwood et Thomas Moussiegt de Cobratex avec une planche de surf, une bobine de fil et une prothèse médicale en bambou (photo © Annabelle Grelier / Radio France)

Une autre start-up française, Cobratex, créée à Toulouse en 2010, s’intéresse quant à elle aux propriétés remarquables du bambou pour l’aéronautique : bien que moins résistante à la traction que la fibre de carbone, la fibre de bambou encaisse mieux les vibrations et est surtout plus légère, ce qui lui confère un avantage indéniable, notamment pour l’ameublement intérieur des avions, mais aussi pour de nombreuses autres applications qui vont du skate board à la planche de ski en passant par les prothèses médicales…

Principe de la phyto-épuration par les bambous (source © Bamboo for life)

Mais le bambou offre aussi des débouchés prometteurs dans le domaine de la phyto-épuration. Une autre entreprise, aixoise celle-là, joliment dénommée Bamboo for life, a ainsi installé une première station d’épuration pour un hôtel du Lubéron avec des bambous plantés en restanques qui servent à épurer les eaux usées du site sans produire de boues d’épuration, mais tout en participant activement à l’aménagement paysager, à la séquestration du CO2 et à la production de biomasse et de matériaux de construction. Une seconde station d’épuration du même type est en projet au Val, dans le Var, venant confirmer un intérêt croissant pour cette plante à forte croissance qui nous vient d’Asie mais qui semble amenée à venir coloniser rapidement notre environnement proche…    

L. V.

La bastide de Paul Cézanne bientôt restaurée

9 février 2023

Considéré, dit-on, par Picasso comme « le père de l’art moderne », Paul Cézanne fait partie de ces peintres français du XIXe siècle qui ont fortement marqué de leur empreinte l’évolution de la peinture en introduisant des lignes géométriques modernes dans ses portraits, natures-mortes et paysages. Né à Aix-en-Provence en 1839, et malgré de très nombreuses incursions en région parisienne, où il a résidé, tant à Paris que près d’Auvers-sur-Oise, Cézanne est resté très attaché à sa ville natale où il est décédé le 22 octobre 1906, emporté par une pneumonie contractée alors qu’il peignait en extérieur dans le massif de la Sainte-Victoire sous un violent orage…

La montagne Saint-Victoire au grand pin, huile sur toile peinte par Paul Cézanne vers 1887 (source © Courtauld Institute Gallery / Cézanne en Provence)

Ami intime d’un autre Aixois, Emile Zola, avec qui il avait partagé les bancs du collège, Paul Cézanne a fait toute sa scolarité à Aix où il a entamé ses études de droit, sans trop d’enthousiasme et surtout pour répondre aux injonctions de son père banquier. Il travailla d’ailleurs brièvement en 1861 dans la banque paternelle avant de s’orienter définitivement vers sa carrière de peintre.

Les Grandes Baigneuses, huile sur toile peinte par Paul Cézanne en 1906 (source © Museum of Art of Philadelphie / Cézanne en Provence)

En 1901, il se fait construire un atelier au nord d’Aix, sur la colline des Lauves, où il peindra jusqu’à sa mort tout en louant l’été un petit cabanon aux carrières de Bibémus, au pied de la Montagne Sainte-Victoire, afin d’y entreposer son matériel de peinture et être au plus près de ces paysages dont il ne se lasse pas, laissant près de 80 toiles qui représentent ce fameux promontoire. L’atelier des Lauves, dans lequel Cézanne a notamment peint ses dernières toiles des Grandes Baigneuses est ouvert au public et chacun peut y observer son ambiance de travail quotidienne dans un environnement particulièrement lumineux.

Atelier des Lauves à Aix-en-Provence, où Cézanne a peint nombre de ses dernières œuvres (source © DRAC / Ministère de la Culture)

Pour autant, le lieu qui a sans doute le plus marqué la vie de Paul Cézanne dans sa ville natale est plutôt la bastide du Jas de Bouffan, une maison de maître datant du XVIIIe siècle, nichée au milieu d’un ancien domaine agricole de 5 ha, alors à portée de calèche du centre-ville d’Aix, et  que son père avait racheté en 1859 pour la transformer en bastide familiale.

La bastide du Jas de Bouffan peinte par Paul Cézanne vers 1882 (photo © Christie’s images/ Coll. Privée / Arts in the City)

Pendant la guerre de 1870, le jeune Cézanne, pour échapper à la conscription, s’installe dans une maison à l’Estaque mais il revient alors régulièrement dans la bastide paternelle du Jas de Bouffan où, à partir de 1881, son père accepte de lui aménager son propre atelier. En 1886, au décès de son père, Paul Cézanne, qui réside alors à Gardanne avec son épouse, Hortense, et son fils, hérite avec ses sœurs d’une somme rondelette mais préfère en 1890 installer sa famille dans un appartement situé 23 rue Boulegon, au cœur d’Aix, plutôt qu’au Jas de Bouffan, pour éviter les heurts entre sa mère et Hortense.

Pour Paul Cézanne qui a connu bien des déménagements tout au long de sa vie, cette bastide familiale est restée un point d’ancrage où il est revenu régulièrement. Il y a produit ses premières œuvres de jeunesse et, entre 1860 et 1870, il y a peint directement sur les murs 12 grandes compositions qui seront ultérieurement détachées après sa mort. Une trentaine de ses tableaux, désormais accrochés dans les plus grands musées du monde, y ont vu le jour. Autant de raison pour la ville d’Aix-en-Provence de réhabiliter ce site et de l’ouvrir au public sous forme d’un espace muséal entièrement consacré au grand peintre.

Photographie de Paul Cézanne vers 1877, avec son attirail de peintre (source © akg-image / World History Archives / Arts in the City)

Il faut dire que le domaine en question, vendu aux enchères en 1889 par la famille Cézanne, a connu bien des vicissitudes depuis. C’est à l’époque Louis Granet, un ingénieur agronome originaire de Carcassonne, qui avait racheté la bastide et son parc qu’il avait magnifiquement aménagé, plantant notamment une belle orangeraie et y érigeant plusieurs statues. A sa mort en 1917, le domaine reste pendant des décennies en jachère avant d’être réoccupé par sa fille puis son petit-fils, André Corsy. Ce dernier cède une partie du domaine à la commune en 1994, tout en conservant l’usufruit de la maison et la ferme.

Mais entre-temps, la vaste domaine agricole de jadis a été largement rattrapé par l’urbanisation. Les grands ensemble de la ZAC de l’Encagnane, de la Cité Corsy puis de la ZAC du Jas de Bouffan ont grignoté l’espace et la bastide est désormais coincée entre ces immeubles d’habitation et la bretelle d’accès de l’autoroute. Il a d’ailleurs fallu attendre 2001 pour que la bastide et son parc soient classés monuments historique et 2006 pour qu’ils soient enfin ouverts au public.

La bastide familiale des Cézanne au Jas de Bouffan à Aix-en-Provence (source © Cézanne en Provence)

En 2017, la Ville d’Aix s’est portée acquéreur de la ferme et a entrepris les premiers travaux de restauration d’urgence de la bastide tout en lançant, en collaboration avec la Direction régionale des affaires culturelles et la société Paul Cézanne, les premières études en vue d’une réhabilitation architecturale et paysagère du site, tout en réfléchissant à sa mise en valeur. Et voilà que la commune passe aux travaux pratique en lançant simultanément deux marchés de maîtrise d’œuvre, concernant l’un l’aménagement des espaces extérieurs, dont le parc et l’orangeraie, l’autre la restauration de la ferme, du hangar et de la maison du gardien. L’objectif de ces travaux, dont le coût est estimé à 7 millions d’euros, venant s’ajouter aux 2,8 M€ déjà engagés pour la restauration de la bastide elle-même, est de créer un nouveau centre d’interprétation des œuvres du peintre aixois, ouvert à un large public et tête de pont d’un itinéraire de découverte des principaux sites où Paul Cézanne a exercé son art. La bastide présentera la vie et les œuvres du peintre tandis qu’un auditorium sera aménagé à la place de l’ancien hangar et un espace de restauration légère dans l’orangeraie. Le parc, quant à lui, déjà partiellement restauré, sera entièrement réaménagé en y réintégrant des jardins agricoles et des oliviers en périphérie, et fera l’objet d’un nouveau plan de gestion et d’une mise en lumière.

Une nouvelle renaissance pour cette bastide et son parc quelque peu à l’abandon depuis des années et dont la réouverture au public est programmée pour mi-2025 : patience, patience…

L. V.

Marseille, capitale européenne de l’innovation ?

10 novembre 2022

L’information est jusqu’à présent restée assez discrète, même si La Tribune s’en est fait l’écho au niveau national. Il n’empêche : l’agglomération marseillaise, dont la France entière a tendance à moquer l’archaïsme et le côté folklorique, sans parler de la violence au quotidien, de la pauvreté de sa population et des retards dans son développement économique, se retrouve bel et bien parmi les trois villes européennes finalistes en vue de désigner la prochaine capitale européenne de l’innovation !

C’est la Métropole Aix-Marseille-Provence qui porte cette candidature, malgré ses grandes difficultés internes à gérer ses propres compétences et à organiser durablement le paysage métropolitain. Le créateur de mode avant-gardiste, Didier Parakian, vice-président de la Métropole délégué aux Fonds européens et aux relations internationales, est à l’origine de cette aventure en vue de décrocher la distinction de i-capitale attribuée chaque année depuis 2015 par la Commission européenne à une grande agglomération de plus de 250 000 habitants, distinguée pour « sa capacité à exploiter l’innovation pour améliorer la vie de ses citoyens ». Paris avait déjà remporté le titre en 2017 et l’agglomération de Nantes en 2019, mais personne n’attendait Marseille sur le podium lorsqu’elle a présenté sa candidature en début d’année parmi 22 prétendants.

Didier Parakian, ambassadeur de la métropole marseillaise innovante (source © La Provence)

Et pourtant, contre toute attente, l’agglomération marseillaise s’est retrouvée sélectionnée en demi-finale parmi les 6 candidats les plus sérieux et, à l’issue d’une audition privée le 28 octobre 2022, figure désormais parmi les trois finalistes de la compétition, sachant que le vainqueur recevra une subvention de 1 million d’euros et les deux autres 100 000 € chacun. Le résultat final sera annoncé le 7 décembre prochain, à l’occasion du sommet du Conseil européen de l’innovation qui se tiendra à Bruxelles. Les deux autres challengers encore en compétition sont la deuxième ville de Finlande, située dans la banlieue d’Helsinki et dénommée comme chacun sait, Espoo, ainsi que la grande ville espagnole de Valence qui a déjà participé aux éditions précédentes et avait échoué au pied du podium, ce qui lui confère un avantage indéniable…

Quel que soit le résultat final le soir du 7 décembre, l’agglomération marseillaise, grande métropole de 1,8 millions d’habitants, aura en tout cas frappé les esprits en montant un dossier solide qui met en avant sa diversité et son multiculturalisme comme des atouts pour développer l’innovation dans un écosystème attractif pour nombre de PME comme de grands groupes. Le dossier met en avant l’innovation à la marseillaise non seulement comme moteur de croissance et de compétitivité pour l’économie, mais aussi comme accélérateur de transition écologique pour le territoire et facteur d’inclusion pour ses populations : un discours bien rodé et qui a manifestement été convaincant à Bruxelles !

La tour La Marseillaise et celle de CMA CGM, symboles du Marseille de demain ? (photo © Cédric / Photoart / Skyscrapercity)

Il faut dire aussi que la candidature de l’agglomération phocéenne s’appuie sur un grand nombre d’outils destinés à favoriser l’implantation de start up et autres jeunes entreprises innovantes, dans un espace qui, malgré ses faiblesses bien connues, ne manque pas d’attractivité.

Ainsi, la pépinière d’entreprise Marseille Innovation existe à Marseille depuis plus de 25 ans, encadrée par une quinzaine de personnes et organisée en 4 pôles dont l’Hôtel technologique, dédié aux start-up du numérique et des sciences de l’ingénieur, l’Hôtel Technoptic pour les entreprises qui se consacrent à l’optique, à la phonique ou aux objets connectés, ou encore le Pôle Média La Belle de Mai, qui accueille des start-up du secteur du multimédia et des contenus numériques. Cette structure accueille chaque année une cinquantaine de nouvelles start-up qui s’engagent dans la pépinière pour au minimum deux ans et maximum quatre ans. Elle a même créé cette année son propre fonds d’innovation pour offrir aux entreprises les plus prometteuses des prêts d’honneur à taux zéro garantis par BPI France. Soutenue par la Métropole, la région et la Ville, cette pépinière a déjà permis l’émergence de plusieurs pépites parmi lesquelles Proverpharm, un acteur pharmaceutique international créé en 2007 pour exploiter un brevet pour la synthèse du bleu de méthylène, ou encore Enovacom, un éditeur de logiciel santé, ou Traxens, qui a développé une technologie de gestion à distance de containers…

Mais bien d’autres structures de ce type se sont mises en place depuis le lancement de Marseille Innovation en 1996. Dernièrement, en octobre 2018, l’Accélérateur M s’adresse aux start-up évoluant autour de l’univers maritime, à celles portées sur les industries culturelles et créatives, et enfin à celles privilégiant l’urbanisme et la qualité de vie en Méditerranée. La condition pour intégrer le programme M’PowerUp, qui prépare en huit mois à la levée de fonds ou au recrutement d’une équipe : disposer de deux clients déjà identifiés. Mais l’Accélérateur M accompagne aussi les entreprises innovantes tout au long de leur parcours, y compris dans les phases délicates de changement d’échelle et de développement à l’international.

Le Pôle Média de la Belle de Mai (source © France attractive)

Citons aussi le Carburateur, plateforme plus généraliste d’aide au développement d’entreprises innovantes, implantée à la Cabucelle, dans les quartiers nord de Marseille et dont les secteurs d’activité vont des cosmétiques au transports en passant par la sécurité, avec de nombreuses prestations d’accompagnement financier, technique, juridique ou commercial. Mais on pourrait évoquer aussi l’incubateur Obratori, porté par le groupe L’Occitane dans le domaine du bien-être, ou ZeBox, fortement appuyé par l’armateur CMA CGM et spécialisé dans le domaine de la logistique, ou encore ces multiples tiers-lieux, espaces de co-working et d’atelier social qui fleurissent sur le territoire, à l’image de L’Epopée, à Sainte-Marthe, Coco Velten, près de la gare Saint-Charles ou désormais Le Cloître de Saint-Jérôme.

Le Cloître de Saint-Jérôme, au nord de Marseille, un nouveau centre d’innovation sociale et de formation des jeunes (photo © J.C. Verchere / Le Cloître / France Télévision)

D’autant que ce foisonnement d’initiatives, loin de se focaliser dans la ville centre, a largement essaimé sur le territoire métropolitain avec par exemple le Technopole de l’Arbois, sur la commune d’Aix-en-Provence, avec sa pépinière d’entreprises Cleantech et son incubateur Impulse : un lieu d’innovation et de développement technologique très tourné vers la transition écologique et qui a permis de faire émerger des acteurs industriels comme Ombrea, qui se positionne sur le développement des ombrières photovoltaïques pour l’agriculture.

En fin de compte et malgré les préjugés parfois dévalorisant, la métropole marseillaise ne manque finalement pas d’atouts pour étayer sa candidature, faisant valoir aussi ses entreprises en pleine mutation technologique du côté de l’étang de Berre, le dynamisme de son activité portuaire tourné vers la Méditerranée et sa volonté à constituer un trait d’union avec l’Afrique si proche et en plein bouillonnement. Une bonne surprise est donc possible le 7 décembre prochain !  

L. V.

Le Ravi, c’est fini…

18 septembre 2022

« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » Tout le monde a en tête cet aphorisme qui figure en tête de la dernière page de chaque numéro du Canard enchaîné, même si personne ne sait trop bien à qui attribuer cette citation, sans doute trop belle pour être vraie… En revanche, on sait bien qui est l’auteur de cette autre maxime moins connue mais sans doute plus réaliste : « la liberté de la presse est entière : il suffit d’avoir les milliards nécessaires ». C’est le sociologue Alfred Sauvy qui faisait ce constat lucide en préface d’un ouvrage de Jean Boniface publié au début des années 1960 sous le titre Arts de masse et grand public. Une vision assez prémonitoire de la bataille à laquelle on vient d’assister entre les milliardaires Xavier Niel et Rodolphe Saadé pour prendre le contrôle du quotidien régional La Provence

La presse française très prisée des milliardaires, un dessin signé Miss Lilou (source © Blagues et dessins)

Rien qu’en France, 8 milliardaires contrôlent de fait une vingtaine de journaux, trustant à eux seuls 95 % des ventes d’hebdomadaires nationaux généralistes et plus de 80 % de la presse quotidienne nationale. Ainsi, Bernard Arnault, première fortune de France, détient des titres comme Le Parisien, Les Echos, Investir ou encore la chaine Radio Classique. Son alter ego Vincent Bolloré s’est forgé de son côté un véritable empire médiatique avec les chaînes CNews, Direct 8 et des titres aussi courus que Paris Match, Géo, Voici, Ça m’intéresse ou Capital. Patrick Drahi, qui a fait fortune dans le domaine des télécommunications, est désormais à la tête de Libération, l’Express ou encore BFM et RMC. Son collègue Xavier Niel, patron de Free, est actionnaire majoritaire du Monde, de Télérama, du Nouvel Observateur ou encore de Rue 89. On pourrait citer aussi le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, désormais patron de Marianne, Elle ou encore Télé 7 jours, mais aussi François Pinault, 24e fortune mondiale qui détient Le Point tandis que le Figaro est entre les mains de la famille Dassault.

Un dessin signé Loup sur les limites subtiles du dessin de presse… (source © The Conversation)

Curieusement, aucun de ces grands patrons tous milliardaires et grands philanthropes, défenseurs invétérés de la sacro-sainte liberté d’informer, n’est venu au secours du petit mensuel provençal satirique le Ravi qui vient de rendre l’âme et de jeter l’éponge après 18 ans de combat homérique pour tenter de faire entendre sa voix quelque peu gouailleuse d’une « presse pas pareille ». Lancé en 2003 par l’association marseillaise La Tchatche, ce journal était publié en kiosque tous les premiers vendredis du mois. Mais le n°208 daté de juillet-août 2022 sera donc le dernier de la liste, suivi néanmoins par un « numéro très spécial » publié post mortem sur le site du Ravi, encore accessible.

Couverture du numéro (très) spécial du Ravi, publié post mortem sur son site (source © le Ravi)

Il est vrai que ce dernier exemplaire du Ravi vendu en kiosque cet été contenait, outre une attaque frontale contre les fachos du RN, un portrait au vitriol de Rodolphe Saadé, le patron de la CMA CGM et, donc, désormais de La Provence, en train de se lâcher contre un autre grand prédateur, Michel-Edouard Leclerc, qui avait osé attaquer le transporteur maritime en l’accusant de profiter de la situation pour gonfler ses marges et encaisser des bénéfices mirobolant… Un dialogue savoureux et quelque peu viril, imaginaire bien entendu, mais qui donne bien le ton des journalistes du Ravi, jamais avares en bons mots et fins observateurs des petits travers du microcosme politico-économique régional.

Exemple de « contrôle technique de la démocratie » à Aix-en-Provence le 24 septembre 2021 : une caricature de Sophie Joissains signée Trax (source © le Ravi)

C’est d’ailleurs ce qui faisait le sel de ce média pas comme les autres qui sortait, mois après mois, ses enquêtes d’investigation sur les sujets qui fâchent, mais aussi ses portraits acides de personnalités « en surmoi médiatique » qui ont tellement pris la grosse tête qu’elles s’exposent à un rappel peu amène de certaines de leurs déclarations publiques à l’emporte-pièce. Sa rubrique mensuelle intitulée « contrôle technique de la démocratie » était un vrai bijou d’observation des mœurs locales de la démocratie au quotidien, observée en direct par un journaliste assistant incognito à un conseil municipal et relatant avec talent et humour le jeu de rôle des élus locaux jamais avares de postures et sans cesse rattrapés par leur vanité personnelle et leur ego surdimensionné.

Un dessin signé Yakana, à l’occasion de la disparition du Ravi (source © le Ravi)

Et pourtant, le journal se portait plutôt bien avec ses ventes en hausse, son site internet performant et très fréquenté, ses actions éducatives bien suivies et son taux d’autofinancement remarquable de 80 %. Mais ce n’était pas suffisant pour faire vivre durablement la petite équipe de journalistes particulièrement investie qui se dévouait corps et âmes pour ce projet atypique. Faute de subvention publique et malgré les nombreux soutiens populaires régulièrement sollicités, le journal, comme d’ailleurs toute la presse écrite, avait bien du mal à trouver son équilibre financier. Or en 2021, le Conseil départemental de Martine Vassal comme le Conseil régional de Renaud Muselier, ont brusquement fermé le robinet des subventions à ce journal satirique un peu trop critique à leur égard. La Ville de Marseille a bien tenté de lui venir en aide en votant in extremis une subvention à son bénéfice en juin dernier mais le journal a donc déposé le bilan avant même d’avoir pu en voir la couleur…

La Ravilution de juin 2022, vue par Na ! : en 3 mois, les donateurs se sont mobilisés pour recueillir 63.000 euros de dons et tenter de sauver le journal, en vain (source © le Ravi)

Malgré le tragique de la situation, l’équipe du Ravi a gardé son sens de l’humour et sa page d’adieu et de remerciement à tous ceux qui l’ont accompagné dans cette aventure vaut la lecture ! Petit extrait : « C’est donc la fin d’une histoire débutée en 2003 ! Pour les six salariés de la Tchatche, aucun problème : comme pour tous les chômeurs, il leur suffira de traverser la rue afin de trouver un travail. Pour l’offre médiatique régionale, déjà étriquée, c’est ballot : elle s’appauvrit encore un peu plus avec la disparition d’un des très rares journaux mêlant enquête et satire en France… ».

A l’occasion de la disparition du Ravi, les (fausses) condoléances des personnalités locales, ici le sénateur RN Stéphane Ravier… (source © le Ravi)

Quant aux personnalités locales, l’équipe du Ravi anticipe avec autant de perspicacité que d’ironie les larmes de crocodile qu’ils ne manqueront pas de verser sur la disparition de ce média indépendant qui leur a si souvent fait grincer les dents et lever les bras au ciel, un peu comme le fameux ravi de la crèche, auquel le journal en question tire son nom, l’air toujours un peu ahuri et naïf mais sans jamais baisser les bras, jusqu’à ce jour du moins… Un grand remerciement en tout cas à cette équipe de journalistes passionnés qui a œuvré avec autant de conviction, et souvent un brin de provocation, pour faire vivre cette démocratie locale si précieuse.

L. V.

Métropole : la CRC rend son verdict

6 septembre 2022

Le 1er juillet 2022 avait marqué la disparition officielle des Conseils de Territoires, ces fantômes du passé hérités de l’éclatement de l’aire métropolitaine marseillaise en autant de baronnies défendant chacune ses propres intérêts politiques. L’étape suivante de la réforme tant attendue de la Métropole jamais aboutie Aix-Marseille-Provence, consiste désormais à revoir la répartition de ses compétences et surtout de ses ressources budgétaires. Une phase délicate car c’est justement le point sensible de cette intercommunalité qui n’a jamais réussi à fonctionner correctement, faute de la moindre volonté politique commune des élus locaux de dépasser leur propre intérêt pour construire enfin un destin métropolitain commun.

Séance du dernier conseil métropolitain Aix-Marseille-Provence, le 30 juin 2022 (photo © ML / Marsactu)

La question de la répartition des ressources financières entre la Métropole et ses 92 communes membres est justement le point de cristallisation de ces désaccords, à l’origine notamment de la démission fracassante de la maire d’Aix-en-Provence, Sophie Joissains qui avait violemment claqué la porte de la Métropole en novembre 2021… Face au constat de l’incapacité totale des élus locaux à se mettre d’accord sur des sujets aussi douloureux, le législateur n’a eu d’autre ressources, à l’occasion de l’adoption de la loi 3DS dont un chapitre est consacré exclusivement à tenter de remettre la Métropole AMP sur de bons rails, que de confier à la Chambre régionale des Comptes (CRC) le soin de tirer au clair ces questions financières aussi complexes que conflictuelles.

Notons au passage que cette décision est un sérieux camouflet pour la CLECT, cette commission locale d’évaluation des charges transférée, qui a justement pour mission de calculer le coût des charges liées au transfert de compétences entre les communes et leur intercommunalité. Il revient ensuite à l’exécutif, autrement dit aux élus réunis tant en conseil municipal qu’en conseil communautaire, d’adopter les attributions de compensation qui en découlent et qui vont fixer le montant des flux financier avec chacune des communes membres. Le fait de demander à la CRC de faire ce diagnostic à sa place revient donc à acter l’impuissance de la CLECT qui aurait dû faire ce travail depuis bien longtemps, dans les mois qui ont suivi la création de la Métropole AMP au 1er janvier 2016. Une véritable claque pour notre maire, Jean-Pierre Giorgi, qui préside justement cette CLECT et qui se vante d’être un expert en finances publiques…

Les locaux de la Chambre régionale des Comptes PACA (source © GoMet)

Le rapport de la CRC, qui a été remis lundi 29 août à Martine Vassal, n’a pas encore été rendu public et ne le sera qu’à l’issue d’une présentation et d’un débat qui aura lieu lors d’un prochain conseil communautaire en octobre. Il n’aura d’ailleurs aucun caractère prescriptif et vise simplement, selon la CRC « à éclairer les élus locaux dans la perspective d’un nouveau pacte financier et fiscal métropolitain ». Mais la presse locale, Marsactu en tête, s’est déjà procuré une copie de cet avis et n’a pas pu s’empêcher d’en faire part, décryptant en termes plus prosaïques, le langage feutré et rigoureusement policé des magistrats de la CRC, suivie rapidement par ses confrères de La Marseillaise et de La Provence.

Et le moins qu’on puisse dire c’est que, malgré toutes les circonlocutions de rigueur de rigueur de ce type de rapport officiel, le constat est accablant… L’analyse confirme ce que tout le monde savait, à savoir que la Métropole ne fonctionne pas car elle reverse aux communes des sommes considérables, ce qui ne lui permet pas de faire face aux véritables enjeux métropolitaines qui sont pourtant sa raison d’être ! Comme le déplore Marsactu, « la Métropole est restée figée à ce qu’elle était au moment de sa création : un agglomérat d’intercommunalités et autant de petits arrangements ».

Ainsi, pour le dernier exercice 2021, alors même que la métropole est fonctionnelle depuis plus de 5 ans, ce sont pas moins de 632 millions d’euros qui ont été reversés par la Métropole aux communes, sous forme de ces fameuses attributions de compensation. Or, selon les calculs de la CRC, les sommes dues pour le strict respect des équilibres financiers entre la métropole et ses membres n’aurait pas dû excéder 453 millions d’euros. Ce sont donc 178 millions d’euros qui ont ainsi été indûment versés aux communes pour cette seule année (sans doute une petite erreur de calcul du président de la CLECT ?), mais qui ajoutés aux reversement des années antérieures représentent un pactole colossal qui aurait pu être investi pour assurer le développement de transports publics plus performants ou une collecte des déchets moins chaotique…

Le parvis de l’hôtel de ville de Carnoux, un ouvrage démesuré largement financé par la Métropole (source © Facebook)

Un mode de fonctionnement qui a fortement bénéficié aux communes qui, à l’instar de Carnoux, affichent, année après année, des excédents budgétaires conséquents, alors que la Métropole, comme d’ailleurs le Département, s’enfoncent dans un endettement inquiétant. La CRC note aussi que les transferts financiers qui se font en dehors de ces mécanismes de compensation des transferts de compétence, via la dotation de solidarité communautaire, relève de situations issues des anciennes intercommunalités et jamais revues depuis à l’aune métropolitaine, ce qui explique pourquoi la ville centre de Marseille, qui regroupe pourtant une part importante de la population métropolitaine, en est la grande perdante.

La CRC ne peut par ailleurs que constater ce que Jean-Claude Gaudin lui-même avait noté lors de la constitution de la Métropole en 2016, à savoir que certains territoires ont copieusement tiré la couverture à eux en chargeant lourdement la barque juste avant de passer le flambeau. Plusieurs communes, notamment du côté de Salon et d’Istres, avaient en effet astucieusement anticipé l’arrivée de la Métropole qu’ils combattaient pourtant de toutes leurs forces, en décidant in extremis la création d’équipements luxueux et l’augmentation des impôts locaux. A charge ensuite pour la Métropole de leur reverser les recettes issues de ces prélèvements et surtout d’assumer financièrement les coûts d’investissement et d’entretien des nouveaux équipements dont ces communes sont les seules bénéficiaires.

L’Arena d’Aix-en-Provence, un équipement de 62 millions d’euros, inauguré en 2017 et transféré à la Métropole par l’ex Communauté d’agglomération du Pays d’Aix (photo © Gilles Badier / La Provence)

L’ancien Pays d’Aix s’était fait le champion de cette entourloupe et concentre désormais sur son seul territoire plus de 80 % des fonds de concours versés par la Métropole. Rien qu’en 2021, ce sont ainsi 51 millions d’euros que la métropole a dû lui verser pour honorer des décisions d’investissement prises par l’ancienne Communauté d’agglomération du Pays d’Aix (CPA) à son seul profit juste avant sa dissolution. Une somme cinq fois supérieur à ce que cette même CPA investissait en 2013 avant que la Métropole ne se projette à l’horizon.

Autant d’opérations juteuses pour les territoires au détriment de l’intérêt général métropolitain qui nécessitent désormais une totale remise à plat sur la base du constat enfin objectivé par les magistrats de la CRC. Mais l’atterrissage risque d’être douloureux pour certaines communes dopées à la subvention métropolitaine et habituées à vivre largement au dessus de leurs moyens. On imagine déjà que les prochains débats en conseil communautaire seront animés et nul besoin d’être prophète pour supposer que les délais fixés par la loi 3DS pour un retour à un fonctionnement métropolitain plus rigoureux et plus équilibré auront bien du mal à être tenus…

L. V.

Isowat : c’est la ouate qu’ils préfèrent…

23 août 2022

Pendant (trop ?) longtemps, les Français, comme du reste une bonne partie des pays occidentaux, ont trouvé bien commode d’expédier à l’autre bout du monde les matériaux recyclables issus du tri (plus ou moins) sélectif de nos déchets, tout en important massivement l’essentiel de nos produits de consommation, désormais fabriqués quasi exclusivement dans les pays asiatiques à faible coût de main d’œuvre.

Un dessin de Patrick Chapatte, à la sauce française… (source © China Hegemony)

Sauf que la Chine ne veut plus servir de poubelle du monde et refuse désormais d’importer la plupart de nos déchets. Et sauf que ce modèle de partage à l’échelle mondiale entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, a atteint ses limites. La pandémie de Covid19 a fait prendre conscience à certains de nos responsables politiques, bien peu clairvoyants jusque-là, à quel point cette dépendance complète de nos approvisionnements même les plus vitaux avait rendu notre pays vulnérable.

Les industriels eux-mêmes commencent à percevoir les dangers d’une telle stratégie de délocalisation à outrance : explosion des contrefaçons, guerre des approvisionnements pour l’accès aux matière premières, difficulté à maîtriser la qualité de production, retard de livraisons, renchérissement et coût écologique considérable du transport massif par porte-containers géants (même si ce poste fait la fortune de certains à l’image de la CMA-CGM et de son patron, Rodolphe Saadé), sans même parler du coût social colossal du chômage de masse qui en résulte en Europe…

La délocalisation, une lubie du capitalisme mondialisé : un dessin du regretté Tignous (source © Agora vox)

Bref, l’heure pourrait être enfin à la relocalisation d’une partie de notre production, en particulier dans le domaine de la transition écologique qui semble un marché prometteur, maintenant que l’on commence (enfin !) à prendre conscience de la nécessité et de l’urgence de prendre des mesures pour réagir contre ce fléau provoqué par l’Homme.

L’isolation thermique des bâtiments constitue, de ce point de vue, une incontestable priorité, justifiée non seulement par l’importance de son impact sur le réchauffement climatique mais aussi par la nécessité d’économiser nos approvisionnements énergétiques largement importés. Les bâtiments, du fait de la déperdition de leur énergie, constituent en effet dans notre pays la deuxième principale source d’émission des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique, derrière le transport routier, quand même… Un foyer français consacre en moyenne 60 % de ses dépenses énergétiques pour simplement chauffer et climatiser son logement, ce qui en fait un poste majeur de notre consommation nationale en électricité, gaz, fuel et charbon. Et en ces temps de tension internationale sur le prix des matières premières énergétiques, l’argument économique a souvent plus de poids que celui de l’impact environnemental…

Déperdition thermique : nos maisons largement responsables du réchauffement climatique… (source © La maison Saint-Gobain)

Toujours est-il que les choses bougent (enfin !) sur le front de l’incitation à isoler les bâtiments. Dès le 25 août de cette année 2022, la loi Climat et résilience, adoptée en 2021, interdit désormais d’augmenter le loyer des logements classés dans la catégorie F ou G à l’issue du diagnostic de performance énergétique. A compter du 1er septembre 2022, ce diagnostic, dont les modalités ont été revues, devient obligatoire pour vendre des biens de ce type, considérés comme des passoires thermiques. Et à partir du 1er janvier 2023 il deviendra carrément interdit de mettre en location des logements consommant plus de 450 kWh/m² par an, en énergie finale. Une mesure qui sera étendue à partir de 2025 à l’ensemble des logements de classe G (au delà de 420 kWh/m² par an), puis, à compter de 2028 à ceux de classe F, avant d’être appliquée aussi aux classes E, mais pas avant 2034.

Un dessin signé Erik Tartrais (source © Ville de Saint-Quentin en Yvelines)

La démarche peut paraître particulièrement prudente et progressive mais son impact ne sera pas négligeable et inquiète d’ailleurs fortement les propriétaires, notamment les bailleurs sociaux, qui vont devoir se lancer dans de gros chantiers d’isolation thermique de leur parc. Pour la seule mesure applicable dès 2023, ce sont déjà pas moins de 90 000 logements qui pourraient être concernés en France selon le Ministère, tandis que le nombre de logements actuellement de classe G est estimé à 600 000 (et le double pour ceux de classe F !)…

Isolation de combles à base de ouate de cellulose (source © Isowat Provence / Fundtruck)

Face à de tels enjeux, les industriels s’organisent et on ne peut que saluer, parmi d’autres cette initiative de la société Isowat Provence, créée en 2018 par Cyril Coillot à Aix-en-Provence, un ancien spécialiste de la gestion des déchets chez Veolia. Associé avec un fabricant de savon, il s’est mis en tête de développer un isolant thermique en ouate de cellulose, entièrement à base de matériaux recyclés. Papiers, cartons, journaux et magazines, récupérés dans les poubelles jaunes ou auprès des industriels et commerçants, font l’objet d’un procédé innovant de tri-optique de défibrage qui permet d’obtenir en entrée de processus une matière première de qualité, débarrassée de toute impureté, à partir de déchets ainsi recyclés, le tout en favorisant l’insertion professionnelle, credo des fondateurs de cette jeune start-up.

Isowat Provence, un projet en devenir… ( source © Entrepreneurs pour la Planète)

Celle-ci a bénéficié depuis 2018 d’un soutien par les pouvoirs publics, dont la Région PACA et l’ADEME et est en recherche d’un partenaire industriel pour lancer une première chaîne de fabrication permettant de valoriser localement 8000 tonnes de déchets par an pour produire jusqu’à 600 000 m² de surfaces isolantes, sans consommation d’eau, faisant ainsi d’une pierre plusieurs coups : recyclage de déchets sans les exporter à l’autre bout de la planète, création d’emploi et développement d’une filière de production locale de matériaux biosourcés à faible impact écologique, nécessaires pour accompagner les besoins d’isolation thermique de nos logements. Assurément un beau projet, mais qui reste encore à concrétiser jusqu’au stade industriel : à suivre…

L. V.

Crosscall : le téléphone aixois bientôt made in France ?

30 avril 2022

La crise du Covid aura au moins eu le mérite de mettre l’accent sur la vulnérabilité extrême des sociétés occidentales devenues totalement dépendantes, même pour des produits de première nécessité, des pays asiatiques où se fait l’essentiel de la production mondiale. Une mondialisation qui a permis à des pays comme la France de fermer la quasi totalité de ses usines : adieu la pollution et vive la société de consommation et de loisirs, grâce à des produits à bas coût, confectionnés en Asie par une main d’œuvre bon marché et transportés depuis l’autre bout du monde pour presque rien !

Usine de production de téléphones Samsung au nord Vietnam (photo © Dux Tàm / VNA / Le Courrier du Vietnam)

Seulement voilà que le coût de la main d’œuvre chinoise augmente : entre 2005 et 2016, il a été multiplié par trois, se rapprochant désormais de celui d’un ouvrier portugais, même s’il reste très inférieur à celui de son homologue français ou allemand. Avec la pandémie mondiale, la Chine aussi a dû faire face à des pénuries de main d’œuvre et la qualité de sa production s’en est ressentie tandis que les coûts de l’énergie explosaient, celui de l’électricité ayant récemment augmenté de 20 %. Quant au coût du transport maritime par containers, il a connu une envolée spectaculaire, multiplié par cinq au cours de la seule année 2021, pour le plus grand profit d’une société comme la CMA-CGM qui engrange des profits mirifiques !

Autant d’arguments pour inciter les entreprises françaises à relocaliser une partie de leur production industrielle en France, ce qui pourrait au passage booster le marché de l’emploi et rééquilibrer quelque peu notre balance commerciale totalement déréglée… C’est du moins le pari qu’est en train de faire une start-up implantée à Aix-en-Provence sous le nom délicieusement provençal de Crosscall, et dont l’activité consiste à vendre des smartphones résistants, destinés notamment aux amateurs de sports extrêmes en extérieur.

C’est en tout cas ce marché du sport outdoor qu’a visé initialement le créateur de cette société, le Marseillais Cyril Vidal, un commercial travaillant alors dans le BTP et la construction modulaire. Grand amateur de jet ski et autres sports nautiques, ses nombreuses déconvenues suite aux défaillances de son téléphone portable, devenu inutilisable à la moindre tempête un peu arrosée, l’ont conduit en 2009 à créer la marque Crosscall, pour mettre sur le marché des mobiles tout terrain et étanches.

Shark, le téléphone étanche et flottant développé par Crosscall pour les usagers de la mer (source © Crosscall)

Deux ans plus tard, en 2011, Crosscall, alors implantée à Châteauneuf-les-Martigues, se met à commercialiser son premier portable, assemblé en Chine, le Shark, étanche et capable de flotter lorsqu’il tombe à l’eau. Vendu chez Décathlon, il permet à la jeune pousse de réaliser son premier chiffre d’affaire, plutôt modeste de 1500 €… En 2014, Crosscall, qui entre temps à réussi aussi à s’implanter dans les magasins Point P et Au Vieux Campeur, commercialise son premier smartphone présentant les mêmes caractéristiques de robustesse et d’étanchéité. En 2016, Crosscall affiche déjà un chiffre d’affaire de 30 millions d’euros, se choisit un nouveau partenaire industriel, le groupe chinois Hisense, s’implante dans les boutiques commerciales d’Orange, SFR, Bouygues et Free, et réussit à recruter David Eberlé, ancien président de Samsung Electronics France pour développer son marché en France et à l’international.

Cyril Vidal, PDG de Crosscall et son associé David Eberlé, fin 2016 dans les locaux de la société à Aix-en-Provence (photo © Geneviève Van Lede / La Provence)

La même année, la start-up en pleine croissance obtient une levée de fonds de 4,5 millions auprès d’ACG Management et une aide de 2 millions via BPI France, puis procède en 2018 à une nouvelle levée de fonds de 12 millions d’euros auprès d’A Plus Finance et Al Mundi. Les 4 salariés du départ sont désormais pas loin de 200 et plus de 3,5 millions de téléphones de la marque ont déjà été vendus dans 19 pays, tandis que Crosscall, après plusieurs déménagements successifs a désormais son siège à Aix-en-Provence.

Le siège de la société Crosscall à Aix-en-Provence (source © Gomet)

Mais la crise du Covid et la pénurie de semi-conducteurs en particulier, ont fait prendre conscience aux dirigeants de Crosscall, dont le capital reste à 100 % français et qui a remporté coup sur coups plusieurs gros marchés pour approvisionner en mobiles le personnel de la SNCF, de la police et même de la gendarmerie, de la fragilité liée à cette production chinoise dont les coûts ont augmenté de près de 11 % en un an, tout en enregistrant des ruptures d’approvisionnement et une baisse de qualité.

L’entreprise aixoise a donc commencé à implanter dans ses locaux, grâce à un financement accordé dans le cadre du plan France Relance, un laboratoire de recherche et développement, destiné notamment concevoir ses nouveaux produits et à tester la qualité de ses modèles, ce qui lui permet désormais de monter en gamme et de proposer une garantie de 5 ans sur certains de ses modèles, ce qui est assez innovant sur ce type de produits. Soumis à rude épreuve, allant de l’immersion dans l’eau salée jusqu’à la chute de 2 m sur du marbre en passant par un séjour au réfrigérateur entre -25 et +71 °C, les smartphones de la marque n’ont pas usurpé leur réputation de robustesse qui fait leur succès commercial !

Le Trekker X3, smartphone commercialisé par Crosscall qui ne craint pas les climats extrêmes (source © Grounds)

L’étape suivante va désormais consister à développer, juste en face du siège de la société, un atelier où seront bientôt fabriqués les accessoires de la marque, du kit de fixation sur VTT jusqu’à la batterie externe sans oublier les fameuses coques flottantes. Il s’agira ensuite de développer, en collaboration avec le réparateur français Cordon, une chaîne de reconditionnement des smartphones de la marque, tout en leur garantissant les mêmes qualités de performance, de robustesse et d’étanchéité, un véritable challenge mais qui répond à une véritable demande de durabilité de ce type d’appareils.

Le reconditionnement des téléphones Crosscall, un objectif qui se concrétise… (source © Crosscall)

Et la dernière étape envisagée par Crosscall, à l’horizon 2025, est la plus difficile puisqu’elle vise, ni plus ni moins qu’à lancer à Aix-en-Provence, sur un site qui reste encore à identifier, l’assemblage de ses smartphones à partir de composants européens, issus notamment du fabricant franco-italien de semi-conducteurs, STMicroelectronics. Un beau challenge mais qui est loin d’être gagné, ne serait-ce que pour trouver la main d’œuvre qualifiée d’ingénieurs capables de réaliser ce type de produits dont les Chinois sont désormais les grands spécialistes, maintenant que les anciens champions européens du secteur, tels Ericsson et Nokia, ont jeté l’éponge : l’avenir dire si le pari de Crosscall arrive à se réaliser…

L. V.

Sophie Joissains claque la porte de la métropole

30 novembre 2021

Soumise à bien des turbulences depuis sa création officielle au 1er janvier 2016, il y a bientôt 6 ans, la Métropole Aix-Marseille-Provence n’en finit pas de subir de violents coups de tabac. Le dernier en date, qui vient de secouer l’hémicycle du Pharo, à l’occasion du récent Conseil métropolitain du vendredi 19 novembre 2021, était assez inattendu, d’autant qu’il vient des rangs même de la majorité de Martine Vassal qui doit en grande partie sa réélection à la tête de la Métropole, en juillet 2020, à sa grande copine, l’ancienne maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains, malgré les frasques judiciaires de cette dernière.

Maryse Joissains alors soutien de Martine Vassal en vue de sa réélection à la tête de la Métropole en 2020 (photo © David Aussillou / Radio France)

Sauf que le torchon brûle désormais entre les deux femmes qui se sont échangé des courriers bien peu courtois ces derniers temps, avant que Maryse Joissains, définitivement condamnée à 8 mois de prison avec sursis et 3 ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics, ne finisse par démissionner, contrainte et forcée, de tous ses mandats, à la ville comme à la Métropole. Non sans avoir une dernière fois réglé ses comptes en public en s’adressant aux Aixois via le magazine municipal dont sa propre fille est la directrice de publication, tradition familiale oblige… Bien pratique pour faire passer en toute impunité un message au vitriol contre des magistrats « inspirés par une idéologie gauchiste, un esprit de corps et une rare incompétence » qui « ont trouvé du temps pour condamner un maire connu pour sa probité, sa rigueur et sa bienveillance », alertant même sur « le pouvoir des juges » qui serait, selon ses propres termes, « l’ouverture à la dictature ».

Joissains mère et fille (source © Facebook Maryse Joissains Masini)

De la part d’une femme affichant aussi ostensiblement sa foi chrétienne, on aurait pu s’attendre à un esprit de repentance plus affirmé après une condamnation si infamante, qu’elle assimile purement et simplement à « une lettre de cachet » : bigre !… Et si l’ex maire d’Aix a été ainsi condamnée, il faudrait peut-être même en chercher les raisons du côté de son combat acharné contre la réforme en cours de la Métropole, qui risque de voir disparaître les Conseils de territoires et se rééquilibrer les fameuses attributions de compensation qui font les affaires de sa commune au détriment de l’intérêt métropolitain. Elle n’hésite d’ailleurs pas à pointer du doigt le risque de chantage de la part du Département et de la Métropole, tous les deux dirigés par Martine Vassal justement, qui finance largement les communes et peut ainsi menacer de fermer le robinet en cas de désaccord…

Le 3 juillet 2020, Maryse Joissains, encore maire d’Aix-en-Provence, félicite sa fille, Sophie, qu’elle vient de nommer deuxième ajointe (photo © Serge Mercier / La Provence)

Un argument repris sans la moindre nuance par sa fille, Sophie Joissains, qui s’est donc offert le luxe de démissionner en plein conseil métropolitain, le 19 novembre dernier, de ses fonctions de deuxième vice-présidente de la Métropole. Assise au premier rang de l’hémicycle, juste en face d’une Martine Vassal passablement désarçonnée, la toute nouvelle maire d’Aix-en-Provence a pris la parole, à l’issue de la présentation des orientations budgétaires, pour s’en prendre violemment à la Présidente de la Métropole, accusée de duplicité pour avoir accepté de discuter avec l’État le réajustement de ces incontournables attributions de compensation.

Face à face entre Martine Vassal (à gauche, à la tribune) et Sophie Joissains (à droite, au premier rang) lors du Conseil métropolitain du 19 novembre 2021 (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

Après avoir rappelé à Martine Vassal ses engagements de la campagne municipale de 2020, Sophie Joissains a donc démissionné en direct et avec fracas, non sans avoir menacé de saisir illico le Tribunal administratif en cas de mesures de rétorsion comme elle l’a exprimé de manière très crue : « le fait que vous soyez à la fois présidente de la Métropole et du Département conduit inévitablement à des pressions sur les communes qui ont toutes besoin des subventions du Département. Cette pression institutionnelle tient évidemment la parole des uns et des autres. C’est inacceptable ».

On a connu des échanges plus feutrés dans les couloirs de cet hémicycle… D’autant que Martine Vassal a sorti à son tour l’artillerie lourde, accusant carrément la fille de Maryse Joissains de ne pas « être à la hauteur » ni même légitime : « Quant on n’a pas été élue au suffrage universel, on n’est pas là pour donner des leçons ». Une position d’ailleurs curieuse de la part de celle qui vient d’être battue lors des dernières élections municipales à Marseille et qui dirige désormais, grâce au seul soutien des élus locaux périphériques, une Métropole en guerre ouverte contre les exécutifs des deux plus grandes villes de l’aire métropolitaine qui rassemblent à elles seules plus de 60 % de la population !

L’avocat Yves Moraine, ancien proche de Jean-Claude Gaudin et désormais porte-parole de Martine Vassal, ici en mars 2020 (photo © Frédéric Speich / MaxPPP / France 3 Régions)

Et les échanges d’amabilité se sont poursuivis bien après cette séance mémorable, Martine Vassal dépêchant pour cela Yves Moraine, son vice-président du Conseil départemental et un des piliers survivants de l’ère Gaudin, lequel s’est lâché avec délectation pour fustiger cette « sortie surréaliste, décalée et irresponsable » qu’il considère comme « un énième épisode de la guerre de la famille Joissains contre la Métropole. Maryse insultait Gaudin, Sophie agresse Vassal », avant d’oser un calembours d’un goût douteux : « Décidément, à Aix, c’est de mère en pis ! ».

Les 1,9 millions d’habitants de l’aire métropolitaine apprécieront sans doute cette ambiance bon enfant et ces mots savoureux dignes de Pagnol que s’échangent nos responsables politiques en mal de reconnaissance pendant que certains, y compris au sommet de l’État tentent vainement de ramener un peu d’ordre dans cette pétaudière pour lui permettre de prendre enfin à bras le corps les compétences métropolitaines et les enjeux majeurs en termes de mobilité, de développement économique, de logement et de préservation de l’environnement pour lesquels elle avait été créée : bon courage…

L. V.

Métropole : Martine Vassal dans la nasse

24 septembre 2021

Lors de sa visite très médiatisée à Marseille, début septembre 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est entretenu avec Martine Vassal avec qui il a même partagé un déjeuner dans les vastes bureaux paysagers de la tour La Marseillaise, dont plusieurs étages sont loués par la Métropole. Pour autant, il n’a guère ménagé la Présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, fustigeant cette structure qui, cinq ans après sa création officielle au 1er janvier 2016, « ne fonctionne pas », incapable de vision ni action stratégique à l’échelle de l’agglomération métropolitaine, et empêchée de faire le moindre investissement d’intérêt général, que ce soit dans les logements ou les transports publics, pourtant priorités n°1 aux yeux de la population.

Emmanuel Macron s’entretenant avec des élus locaux à Marseille le 1er septembre 2021 (photo © Franck Pennant / La Provence)

La raison de cette incurie est simple et déjà largement analysée en son temps par la Chambre régionale des Comptes qui mettait ces dysfonctionnements sur le compte du mode d’organisation choisi par les élus locaux qui n’ont aucun sens de l’intérêt général métropolitain et ne se soucient que de leur propre intérêt électoral local. Ce que le chef de l’État a traduit en ces termes : « 60 % du budget est redistribué aux maires » sous forme de subventions pour la réalisation de leurs petits projets locaux, l’enfouissement des lignes électriques, la réfection d’un rond-point ou l’embellissement de l’hôtel de Ville, à Carnoux, par exemple… Autant d’argent qui ne peut servir pour financer des bus entre Carnoux et Marseille !

Les transports publics : une compétence métropolitaine quelque peu négligée… (source © Agir pour la Métropole)

Le diagnostic de cette « métropole tribale » est connu depuis bien longtemps. Mais reconnaissons au moins au Président de la République le mérite de n’avoir pas hésité à mettre les pieds dans le plat, selon son habitude, et de dire tout haut ce que beaucoup murmurent tout bas, assortissant les promesses d’aides de l’État de conditions exposées sans détour : « nous devons financer à la condition qu’on règle les problèmes d’organisation et de gouvernance. Sinon, je mets plus d’essence dans un système qui continue à garder les mêmes freins. C’est non ».

Emmanuel Macron a d’ores et déjà annoncé qu’il reviendra très vite à Marseille, peut-être dès le 15 octobre et de nouveau en décembre, et il exige que les choses bougent rapidement. Faute de quoi, il menace à mots couverts de passer en force en réformant par la loi la structure bancale de la Métropole et de ses six Conseils de territoire, vestiges des anciennes intercommunalités et bastions des maires des communes périphériques, à l’image du CT1, l’ancienne communauté urbaine Marseille Provence Métropole et son millions d’habitants, dont le Président est Roland Giberti, élu à Gémenos, un gros village de 6500 âmes, et le premier vice-président Jean-Pierre Giorgi, le maire de Carnoux-en-Provence, dont l’absence de vision métropolitaine est patente…

Roland Giberti élu président du Conseil de territoire Marseille-Provence le 15 juillet 2020 (source © Made in Marseille)

C’est surtout ce dernier point, en réalité, qui crispe les élus locaux, habitués désormais à recevoir de la part de la Métropole ces chèques dont la justification est quelque peu surprenante. De par la loi, la Métropole est en effet tenue d’exercer sur l’ensemble de son périmètre la totalité des compétences dévolues de droit à l’intercommunalité. C’est bien le cas pour la plupart d’entre elles, notamment tout ce qui relève du développement économique, de la mobilité urbaine, de la voirie, des infrastructures et réseaux de télécommunication, de l’habitat, de la gestion des déchets, de l’eau, de l’assainissement, etc.

Mais si la voirie a bien été globalement transférée à la Métropole lors de sa création, cela n’a pas été le cas de la gestion de l’éclairage public ou des arbres d’alignement par exemple. Les communes continuant d’exercer ces missions, reçoivent donc de la part de la Métropole, ces fameuses attributions de compensation, dont le montant relève d’un calcul aussi complexe que discutable, ces compétences leur étant temporairement confiées dans le cadre de conventions.

Séance du Conseil métropolitain Aix-Marseille-Provence (source © GoMet)

Quant aux infrastructures dont la gestion a été transférée à la métropole, il s’agit dans certains cas d’éléments d’intérêt purement local, que des petites communes périphériques n’auraient jamais eu la possibilité de financer et d’entretenir seules, mais qu’elles ont eu l’opportunité de se faire payer par la Métropole, au détriment d’investissements qui, eux, seraient réellement d’intérêt métropolitain. La Chambre régionale des Comptes a largement fustigé ce choix des communes de lancer subitement moult projets coûteux juste avant la création de la Métropole, sachant que ce serait à cette dernière d’en assumer les frais de construction et d’entretien, de quoi plomber les comptes métropolitains pour longtemps !

Reste qu’il n’est pas facile de sortir d’un tel système qui arrange bien tous ceux qui soutiennent Martine Vassal et qui lui ont assuré sa réélection dans un faute, il i y a à peine plus d’un an. C’est le cas notamment de Maryse Joissains, l’ex-maire démissionnaire d’Aix-en-Provence, qui s’est fendue d’une lettre assassine à la Présidente de la Métropole, histoire de faire monter la pression : « tu as là une chance unique de respecter tes engagements. Je te demande une dernière fois de respecter ce pourquoi tu as été élue (…). Je te demande de respecter ta parole en général, et de ne pas diminuer la part de retour de compensation que les présidents de territoire ont toujours accordé aux mairies ». On croirait entendre Margaret Thatcher réclamant son argent à l’Union européenne…

Martine Vassal et Maryse Joissains en 2018 (photo © Cyril Sollier / La Provence)

Martine Vassal est donc prévenue, et de ce fait totalement coincée par cette position radicale de ses soutiens. D’autant que l’incontrôlable Maryse Joissains n’est pas la seule à fulminer ainsi. Le maire d’Eyguilles, Robert Dagorne, qui s’était déjà distingué en étant à deux doigts de faire capoter le projet de Métropole fin 2015, en remet une couche en prévenant qu’il n’acceptera jamais de payer davantage pour des projets d’intérêt métropolitain. Martine Vassal sait à quoi s’en tenir et risque d’avoir bien du mal à convaincre ses troupes pour tenter de répondre aux exigences de réorganisation posées par Emmanuel Macron. La construction métropolitaine est décidément tout sauf un long fleuve tranquille…

L. V.

Aix-en-Provence : une démission inévitable

5 septembre 2021

Certaines stratégies politiques sont tellement cousues de fil blanc que leur annonce, même médiatisée, a bien du mal à se faire passer pour un scoop… La démission annoncée de la maire d’Aix-en-Provence, Maryse Charton, ex-épouse Joissains et petite fille du Corse Masini dont elle s’est appropriée le patronyme, en fait partie. Annoncée le 1er septembre 2021, cette démission n’a pas surpris grand monde, alors même que cette figure du clientélisme aixois, surtout connue pour sa gouaille et son franc-parler, avait été confortablement réélue en juin 2020, avec 43 % des suffrages exprimés, à l’issue d’une triangulaire qui opposait sa liste LR-UDI à une liste LREM et à une liste d’union de la gauche menée par le professeur d’université Marc Pena.

Maryse Joissains, démissionne in extremis avant d’être inéligible (photo © Cyril Sollier / La Provence)

Pourtant, en juin 2020, Maryse Joissains, était quelque peu en délicatesse avec la Justice. Condamnée en juillet 2018 à 10 ans d’inéligibilité et un an de prison avec sursis pour prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics, elle avait vu sa peine réduite par la Cour d’appel de Montpellier à un an d’éligibilité et six mois de prison avec sursis.

Mais l’ancienne avocate auprès de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui s’était fait connaître au début des années 1980, pour ses plaidoiries contre l’État dans les affaires du sang contaminé et de l’amiante, connaît trop bien les rouages de l’institution judiciaire et a su habilement tirer partie de toutes les ficelles du métier pour ne pas s’avouer aussi aisément vaincue. Elle forme immédiatement un pourvoi en cassation pour bénéficier du caractère suspensif de la procédure et le 19 février 2020, à 3 semaines seulement du premier tour des élections municipales, elle réussit à faire annuler cette peine d’inéligibilité par la Cour de cassation pour une erreur de droit.

Un dessin signé Red (source © Blog d’Alexandre Castronovo)

La culpabilité de Maryse Joissains est confirmée par la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’État, mais ce tour de passe-passe lui permet de se présenter malgré tout aux suffrages des électeurs qui, ravis de ce brio avec lequel la dame se joue des règles communes, lui accorde donc de nouveau sa confiance en la réélisant pour un quatrième mandat. Les Français disent se méfier de la probité de leurs représentants politiques mais adorent reconduire aux responsabilités des élus pourtant pris la main dans le sac et déjà lourdement condamnés : comprenne qui pourra…

Le 7 décembre 2020, six mois après sa réélection triomphale, Maryse Joissains est de nouveau condamnée par la Cour d’appel qui, cette fois alourdit sa sentence en la condamnant à 3 ans d’inéligibilité et 8 mois de prison avec sursis. Mais qu’à cela ne tienne : un nouveau pourvoi en cassation permet encore de gagner du temps et de suspendre l’application de la peine tout en restant en fonction.

Un dessin signé Charmag, publié dans Le Ravi en décembre 2020

On se doute bien que, malgré la grande patience de l’institution judiciaire, le petit jeu a ses limites et que le couperet va bien finir par tomber un jour. C’est pour devancer l’échéance, attendue avant la fin du mois de septembre, que Maryse Joissains a donc fini par envoyer au Préfet des Bouches-du-Rhône, sa lettre de démission dans laquelle elle prétend sans vergogne « C’est avec une vive émotion et un serrement de cœur que je me vois contrainte pour des raisons de santé de démissionner de mes fonctions de maire d’Aix-en-Provence ».

Pour un peu, on verserait une larme sur ce drame humain qui affecte la vieille dame de 79 ans, laquelle témoigne ainsi du calvaire que lui a valu cet acharnement judiciaire incompréhensible : « Cette décision improbable m’a valu une émotion si forte qu’elle a entraîné mon hospitalisation d’urgence, et ce pendant 10 jours. J’en suis ressortie quasi aveugle », tout en précisant que cette « convalescence encore longue » ne lui permettra pas « d’exercer pleinement son mandat ».

Maryse Joissains avec sa fille Sophie lors de son procès en appel à Montpellier en mars 2019 (photo © Pascal Guyot / AFP / le Progrès)

On ne peut bien entendu que souhaiter un prompt rétablissement à cette femme courageuse et admirable de dévouement pour le bien public de ses concitoyens, tout en se demandant s’il est bien raisonnable, dans un tel contexte, de la laisser pousser l’abnégation jusqu’à souhaiter rester adjointe au-delà du 15 septembre, ce qui lui permet, accessoirement de rester vice-présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence et toujours présidente du Conseil de territoire du Pays d’Aix, structure qui a remplacé formellement l’ancienne Communauté d’agglomération.

Heureusement, les Aixois se rassureront en sachant que la mairie reste en de bonnes mains puisque c’est la propre fille de Maryse, Sophie, qui devrait reprendre le flambeau. Nommée par sa mère dès 2001 directrice de cabinet à la tête justement de cette ex-communauté d’agglomération, Sophie Joissains a connu une ascension politique foudroyante en devenant, dès 2008, adjointe à la culture d’Aix-en-Provence et vice-présidente de l’agglomération puis, dans la foulée, sénatrice des Bouches-du-Rhône et vice-présidente de la Région PACA. Réélue avec sa mère en 2014 puis en 2020, elle est actuellement deuxième adjointe sur une liste taillée sur mesure pour lui permettre d’hériter à tout moment du fauteuil de maire sans qu’un autre colistier ne vienne lui faire de l’ombre.

Sophie Joissains avec sa mère (source © Archives Narjasse Kerboua / Made in Marseille)

Même en démocratie, le fonctionnement dynastique fonctionne parfaitement quand on a le sens de la famille, à défaut de celui de la probité. De ce point de vue, la famille Joissains fait très fort puisque la mère et la fille ne font jamais que poursuivre l’œuvre du père, Alain Joissains, élu maire d’Aix-en-Provence en 1978, déjà à la suite d’une bataille juridique, et qui avait dû laissé sa place en 1983 pour avoir financé la villa de ses beaux-parents avec des fonds publics. Condamné en appel à 2 ans de prison avec sursis pour recel d’abus de biens sociaux, il avait été nommé directeur de cabinet par son épouse dès la victoire de cette dernière aux municipales de 2001. A Aix-en-Provence, et quoi que puisse en penser la Justice, on a le sens des liens familiaux…

L. V.

Rocher Mistral : des chauves-souris un peu encombrantes

6 juillet 2021

Le village de La Barben, petite commune de 836 habitants, située à proximité de Salon-de-Provence, entre Luberon et Alpilles, était jusque-là surtout connu pour son zoo, créé en 1969 et géré comme une entreprise familiale, qui héberge 130 espèces animales de toute la planète et accueille jusqu’à 300 000 visiteurs par an. Mais La Barben est aussi le lieu d’un ancien castrum, jadis propriété de l’abbaye de Saint-Victor, vendu en 1474 par le roi René à la famille des marquis de Forbin qui l’ont conservé dans leur patrimoine pendant quasiment cinq siècles.

Le château de La Barben, vu du ciel, perché sur son rocher (source © Château de La Barben / France 3)

En 1630, lors de la révolte des Cascavéus, dirigée contre la centralisation des impôts décidée par Richelieu, le château est incendié. Soumise par les armées du prince de Condé, la population aixoise est condamnée à verser une amende colossale pour réparer les dommages subis et cela permettra de reconstruire largement le château de La Barben selon les canons du classicisme alors à la mode avec des jardins que l’on dit dessinés par Le Nôtre, le jardinier de Louis XIV. En 1806, la sœur de Napoléon, Pauline Borghèse y vécut des amours tumultueuses avec le maître des lieux, Auguste de Forbin, ami du peintre aixois François-Marius Granet qui décora le château de belles fresques murales.

Le château de La Barben, une forteresse médiévale totalement réhabilitée au XVIIe siècle (source © So châteaux)

En 1963, le domaine change de mains, racheté par un ingénieur agricole, André Pons, justement pour y fonder ce fameux zoo. Et voilà que le 31 décembre 2019, c’est un jeune entrepreneur, Vianney Audemard d’Alençon qui rachète à son tour le château dans le but d’y monter des spectacles historiques, comme il l’a déjà fait sur le site de Saint-Vidal en Haute-Loire et selon le modèle à succès du parc d’attraction du Puy-du-Fou.

Pour se couler dans les thématiques à la mode, le projet, baptisé Rocher Mistral, en l’honneur bien sûr du grand félibrige et prix Nobel de littérature, Frédéric Mistral, se veut un parc à thème centré sur l’environnement, l’agriculture et les traditions provençales. Des sujets qui forcément rencontrent l’assentiment enthousiaste des politiques locaux, Renaud Muselier et Martine Vassal en tête et ça tombe bien puisque Vianney d’Alençon évalue à environ 30 millions d’euros l’investissement nécessaire pour réhabiliter le château et remettre en état les 400 ha du domaine. Les subventions publiques des collectivités pleuvent, au moins 7 millions apportés par la Région et le Département dès la première année !

Vianney d’Alençon, nouveau propriétaire du château de La Barben et promoteur du projet Rocher Mistral (source © Echo du Mardi)

Une affaire rondement menée donc et qui a permis, heureux hasard du calendrier, d’inaugurer le nouveau parc à thème ce mercredi 30 juin 2021, en présence de Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État au Tourisme, et de Renaud Muselier qui vient tout juste d’être réélu haut la main à la tête du Conseil Régional. Désormais ouvert au public, le château offre sept spectacles quotidiens sous forme de reconstitutions historiques en costume local, mais donne aussi accès à l’inévitable marché provençal et à deux restaurants au nom évocateur « l’auberge Daudet » et « la guinguette de Marius » : difficile de faire davantage couleur locale…

Danses folkloriques provençales lors de l’inauguration du Rocher Mistral (photo © Alexandre Vella / 20 Minutes)

Quant au domaine alentours, des terres agricoles à l’abandon et qui, pour partie, ont servi de décharges au fil du temps, il est en train d’être remis en culture, replanté en vignes sur 8 ha et destiné au maraîchage sur une quinzaine d’hectares, pour alimenter justement le marché des touristes. Une partie du domaine verra pâturer des chèvres du Rove et des brebis mérinos d’Arles, tandis qu’un apiculteur a déjà installé une cinquantaine de ruches pour produire du miel de lavande et de romarin, ainsi que de l’hydromel.

Une collaboration a été initiée avec la Ligue de protection des oiseaux pour participer à la sauvegarde de l’unique couple d’aigles de Bonelli encore présent sur place. Par ailleurs, un travail est mené avec le Groupe Chiroptères de Provence car il se trouve que les souterrains du château abritent l’une des plus importantes colonies régionales de 600 à 700 individus de Murins à oreilles échancrées, qui, comme chacun sait, sont des chauves-souris qui, la nuit, viennent gober les mouches, chenilles et autres araignées, jouant ainsi un rôle important dans la régulation de la biodiversité.

Les souterrains du château, un refuge pour les chauves-souris (source © L’estrangié e li santoun)

Comme de nombreuses espèces de chiroptères, sur les 26 actuellement répertoriées dans la région, ces chauves-souris sont menacées de disparition, sous la conjonction de multiples facteurs liés à l’anthropisation de leur habitat, au développement des pesticides, à l’éclairage nocturne ou encore au développement des éoliennes, la liste étant loin d’être limitative… Avec l’ancien propriétaire du site, les naturalistes avaient trouvé un terrain d’entente qui avait peu a peu permis à ces petits mammifères peureux de s’habituer à la présence humaine dans les souterrains qui servaient de refuge saisonnier à la colonie. Ils ont donc naturellement poursuivi leur collaboration pour étudier comment adapter au mieux le nouveau projet d’aménagement du Rocher Mistral afin de sauvegarder la colonie de Murins à oreilles échancrées malgré l’afflux attendu de visiteurs.

Murins à oreilles échancrées au repos (photo © David Aupermann / Plan actions chiroptères)

Mais il semble que la coexistence entre défenseurs de l’environnement et promoteurs du projet ne soit pas aussi fluide qu’espérée, d’autant que le Puy-du-Fou sauce provençale n’est pas du goût de tous les habitants du petit village de La Barben, soucieux de leur tranquillité et qui voient d’un mauvais œil cet afflux prévisible de touristes en goguette. La branche départementale de France Nature Environnement a donc déposé un recours contre le projet, mettant en cause notamment la menace qui pèserait sur la survie des chauves-souris, mais aussi la réalisation de travaux sans permis pour aménager un parking de 400 places et les aires d’accueil du public et des spectacles dans le potager, sur des terres agricoles.

Cette plainte, déposée le 28 mai devant le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, pour destruction d’espèces protégées, altération d’habitat d’espèces protégées et réalisation de travaux sans autorisation d’urbanisme, fait un peu tâche sur ce projet qui se revendique en faveur de la protection de l’environnement et de la valorisation du patrimoine local. La SAS Rocher Mistral est invitée à comparaître le 13 juillet 2021 devant le tribunal dans ce cadre mais cela n’a pas empêché son inauguration en grandes pompes ni bien sûr son ouverture au public et il serait bien étonnant que ce recours en justice ait la moindre chance de freiner un projet qui bénéficie de tels soutiens…

L. V.

The Camp : le phare de la French Tech clignote…

16 Mai 2021

Le phare de l’innovation de la métropole, situé en plein cœur de l’Arbois, The Camp, est en difficulté. Ce « camp de base pour explorer le futur », ce lieu « où des talents du monde entier se forment », cette « fenêtre sur le monde de demain », doute. Malmené par la crise sanitaire, le campus a dû recapitaliser en février (20 millions d’euros supplémentaires) et revoir sa stratégie. Le nombre de salariés a été revu à la baisse. « Nous avons simplifié notre offre et allégé le navire », a expliqué son président, Olivier Mathiot au journal Les Echos.

Une architecture futuriste, nichée dans un écrin de verdure… (photo © The Camp)

Tout était beau pour The Camp, inauguré en 2017 sur le site technologique du plateau de l’Arbois. Entreprises, banques, collectivités, le projet pensé par Frédéric Chevalier, fondateur du groupe de communication HighCo, ne manquait ni de parrains, ni de soutiens, ni de financements. Sa naissance avait été cependant douloureuse. Frédéric Chevalier, entrepreneur innovant, président du Club d’entrepreneurs Top 20, charismatique et reconnu, décédait d’un accident de voiture à l’été 2017, quelques mois avant l’inauguration de son bébé…

Frédéric Chevallier avec Emmanuel Macron en juillet 2016 (photo © The Camp Rea / Blast)

Malgré l’engouement du monde économique et politique, le projet, présenté comme la future Silicon Valley française, a dû depuis affronter de nombreuses difficultés, à commencer par les tensions de ses présidents et directeurs successifs et un flou entretenu sur les objectifs du projet. Créer une agora présentielle pour le monde numérique, ce n’était évidemment pas gagné d’avance. La crise pandémique n’a fait que mettre à jour les problèmes. The Camp est aujourd’hui menacé. A la vérité, il n’a jamais vraiment décollé.

Le site d’infos en ligne Blast, qui se présente comme indépendant et au service des citoyens et de l’intérêt général, vient de publier une enquête poussée et sans complaisance sur The Camp. Nous livrons ici notre propre analyse.

Un projet ambitieux qui a séduit le monde politico-économique

Tout semblait promis à The Camp. En 2016, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, l’avait présenté comme un modèle. Il avait accompagné en janvier 2016,190 start-up tricolores, qui débarquaient avec fanfare et trompettes au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas pour porter haut les couleurs de l’innovation à la française. France was back ! Les élus de tous bords, casque virtuel maladroitement posé sur la tête, découvraient les termes de l’innovation numérique en même temps que de la novlangue. Tout ceci était grisant… Les ministres n’étaient pas de reste. Mounir Mahjoubi, Murielle Pénicaud, Jean-Yves Le Drian, Jean-Baptiste Lemoyne, Cédric O, y ont été chacun de leur couplet enchanté et enchanteur.

Le projet, très ambitieux, n’a donc pas manqué de financements : 85 millions, dont 40 pour l’immobilier. Les collectivités locales se sont mouillées. 10 millions de la Métropole, 5 millions du Département, 5 millions de la Région, un soutien de l’État par des financements de programmes. Les grandes entreprises ont été mises à contribution (Accor, Air France-KLM, Sodexo, CMA-CGM, Vinci immobilier, Vinci construction, SNCF Gare & connexions, …), comme les banques (Crédit Agricole, Caisse d’Épargne, Caisse des dépôts). 10.000 m² de bâtiments au cœur de 7 hectares paysagers, des terrains de sport, une piscine naturelle, … The Camp en impose. Cerise sur le gâteau, l’architecte Corinne Vezzoni, médaille d’or 2020 de l’Académie française d’architecture en avait dessiné les plans.

Deux sociétés anonymes pour un projet unique

Le projet initial prévoyait que The Camp accompagnerait 40 start-up par an et serait à l’équilibre au bout de trois ans. Cela est très loin d’être le cas et les engagements de remboursement ne peuvent être honorés. Le 16 février 2021, le tribunal de commerce a dû réajuster l’opération afin d’entamer des négociations en vue de la recapitalisation de la société pour la remettre sur les rails. Les salaires faramineux des dirigeants au début (24 à 35 000 € net mensuels) ne sont pas les seuls en cause. En fait, le montage imbrique deux sociétés : la SAS The Camp pour l’exploitation et la société The Camp i pour l’immobilier. Selon Blast-info, « alors que la première, aujourd’hui placée sous assistance respiratoire, prend l’eau, la deuxième se porte nettement mieux : la SAS The Camp affichait 22 millions d’euros de déficit cumulé à la fin de l’exercice 2019 (le dernier déposé) ; quant à The Camp i, si la société a plus de 20 millions d’emprunts à rembourser au Crédit Agricole et à la Caisse d’Épargne, la valeur vénale du site est estimée, après expertise, entre 25,1 et 30,4 millions d’euros… ».

La résidence hôtelière de The Camp (photo © Lisa Ricciotti, Corinne Vezzoni et Associés Architectes pour The Camp / IDEAT)

L’argent public est donc arrivé sur la première et a notamment permis de payer les loyers. La SAS The Camp a ainsi versé 2,25 M € par an versés à la SCI The Camp i. Les collectivités ont assumé le risque maximum alors que certains capitaux privés pouvaient s’appuyer, eux, sur l’immobilier. Les ressources étant maintenant en baisse, les remboursements d’avances aux collectivités ont été suspendus ou réétalés. Le Crédit Agricole a dû remettre 2,5 M€ au pot afin de respecter, dans une certaine mesure, le remboursement des emprunts contractés, entre autres, par la SAS The Camp auprès du même Crédit Agricole !

Les collectivités locales pénalisées

Ce montage financier bancal a à la fois pénalisé le projet et lésé les partenaires publics. Ces derniers ont consenti des avances remboursables au détriment d’investissements en fonds propres, ce qui, en 2015-2016 était déjà anachronique. La région disposait en effet depuis 2011 d’une structure d’investissement public-privé spécialisée dans l’investissement en fonds propres en matière d’innovation, PACA Investissement (aujourd’hui Région sud Investissement), potentiellement ouverte aux autres collectivités locales, qui aurait permis d’intervenir dans l’opération. De surcroît, les investissements de Région sud Investissement sont systématiquement abondés du même montant par les fonds européens, ce qui est particulièrement intéressant. Même si ce fonds d’investissement rechigne en général à intervenir directement dans l’immobilier, cela restait possible et il pouvait financer les équipements, l’animation, la R&D et, dans une certaine mesure la formation. En tous les cas largement à hauteur des 4 M€ d’avances remboursables actuelles.

The Camp, un OVNI posé sur le plateau de l’Arbois (photo © Corinne Vezzoni et Associés Architectes
pour The Camp / Golem Images / Usine digitale)

Une prise de participations publique en fonds propres, simultanée au sein des deux sociétés, aurait assuré la durée de l’action publique et la mutualisation des risques. Aujourd’hui, rien de dit que les avances seront réellement remboursées (elles peuvent être transformées en subventions) et que la réglementation est scrupuleusement respectée. Les avances remboursables ne peuvent en effet être différées éternellement. D’autre part, le Département, ayant perdu sa compétence économique en 2015, aurait dû logiquement transférer l’action en cours à la Région. Ces deux points seront tôt ou tard soulevés par la Chambre Régionale des Comptes. L’avance remboursable, qui est en fait un prêt à taux zéro, était une mauvaise solution pour les collectivités voulant soutenir un tel projet. Contrairement à la prise de participation, elle les limitait à un rôle passif.

La crise a montré les fragilités du projet

Les collectivités n’auraient jamais dû accepter de n’être partenaires que d’une société d’exploitation alors que le patrimoine, qu’elles finançaient partiellement par leurs avances remboursables, était protégé dans une autre société. De fait, en raison des difficultés, le remboursement des avances aux collectivités a été repoussé, étalé alors que le patrimoine immobilier, privé lui, financé en partie par ces apports publics, a pris de la valeur.

Aujourd’hui, côté politique, The Camp n’est vraiment plus sur le devant de la scène. D’abord parce que la gestion de l’investissement public, centré sur une SAS sans patrimoine, est fortement contestable et qu’en période électorale, cela fait désordre. Et puis, il faut bien avoir d’autres projets, qui à défaut de réussir vraiment, feront au moins rêver les électeurs. Les ministres se succèdent plutôt maintenant dans les nouveaux accélérateurs comme Zebox, créé par CMA CGM, La Coque (qui se veut « la vitrine du numérique et de l’innovation d’Aix-Marseille French Tech Région Sud ») ou la Cité de l’Innovation et des Savoirs, tous situés au cœur d’Euroméditerranée.

Un reportage de France 24 en octobre 2017 (source YouTube)

L’innovation est un projet global, technologique, mais aussi social

Le problème que posent les difficultés du projet The Camp va bien au-delà de la simple gestion locale. Certes, on aurait pu faire mieux. Mais ces difficultés montrent aussi que le modèle choisi était fragile et qu’il n’a pas pu faire face à la crise pandémique. Il n’est pas le seul, mais il met en sans doute en avant un retard conceptuel de l’innovation French Tech à la française. L’innovation n’est pas uniquement d’avoir des idées. L’innovation n’est pas non plus qu’un problème d’échanges.

Jean-Paul Bailly, le premier président de The Camp après le décès de Frédéric Chevalier expliquait en 2017 dans une interview à La Provence que le projet consistait à « réunir tous les acteurs publics, privés, experts, entrepreneurs, étudiants… pour être un lieu de réflexion, d’échange sur la manière de construire ce monde meilleur ». Il anticipait sans s’en rendre compte que ce qui a été occulté, c’est l’énorme travail de transversalité sociale et de filières économiques qui sous-tendent un tel projet. L’innovation est un projet global, de la recherche fondamentale et appliquée au produit final. Elle crée des ruptures qui ne sont pas que technologiques, mais modifient aussi fortement les usages et les rapports sociaux. L’adhésion, l’acceptation du plus grand nombre contribuent au succès d’une innovation.

La French Tech a toujours été face à un énorme défi, celui du sens sociétal. L’innovation ne mène pas toujours au progrès, surtout dans un contexte planétaire marqué par des défis sans précédent : inégalités, changement climatique, diminution des ressources… Lorsqu’elle ne s’inscrit pas dans un véritable projet sociétal, l’innovation technologique est fragilisée, souvent stigmatisée et apparaît comme un parfait bouc-émissaire responsable de tous les maux. La relation de l’innovation avec la société, sa capacité à répondre aux problèmes humains et sociaux est l’objet d’attentes très fortes.

Le moment est sans doute venu pour que les collectivités locales fassent entendre cette parole et contribuent à recentrer le projet. Dans le cas contraire, il est fort probable que les grandes entreprises, à l’exemple de SNCF Gare & connexions, se retireraient une par une et que The Camp n’y survivrait pas.

J. Bx. (source : Carnoux citoyenne)

Roquefavour : un travail de Romains…

16 mars 2021

Pour qui part de Marseille ou d’Aix-en-Provence en TGV au petit matin, c’est toujours un plaisir que d’apercevoir à quelques centaines de mètres de la voie ferrée, un peu après la gare d’Aix – Les Milles, du côté ouest, le majestueux aqueduc à trois niveaux qui enjambe la vallée de l’Arc, avec son appareillage en pierres de taille chaudement éclairé par les rayons du soleil levant.

Vue de l’aqueduc de Roquefavour (source © Société des eaux de Marseille)

Vaguement copié sur le modèle de l’ancestral Pont du Gard, construit par les Romains au premier siècle après J.-C. et avec lequel plus d’un touriste surpris ne peut s’empêcher de le confondre, ce monument architectural est pourtant nettement plus moderne que son illustre prédécesseur puisque achevé en 1847. Et pourtant, sa fonction est strictement identique puisqu’il a pour rôle de faire transiter au dessus d’un cours d’eau naturel, l’eau captée très en amont et acheminée par un canal.

En l’occurrence, il s’agit ici de l’eau de la Durance, que les élus de Marseille, à l’instigation du maire de l’époque, Maximin-Dominique Consolat, décidèrent en 1835 de capter à leur profit pour alimenter en eau la cité phocéenne alors en pleine croissance mais durement éprouvée par deux années consécutives de sécheresse sévère, nécessitant une restriction drastique de l’alimentation en eau potable, suivies par de brutales inondations à l’origine d’une épidémie de choléra. Les ressources locales en eau potable étant manifestement insuffisantes et trop vulnérables pour satisfaire aux besoins d’une grande ville méditerranéenne, il fallait prendre le taureau par les cornes et aller chercher au loin, dans les contreforts alpins, la précieuse ressource.

L’ingénieur suisse Jean-François Mayor de Montricher, principal architecte du Canal de Marseille (source © Société des eaux de Marseille)

Le creusement sur une longueur de 82 km de ce qui allait devenir le Canal de Marseille ne posait guère de problèmes techniques sinon qu’il nécessitait le percement de 84 tunnels et pas moins de 18 ponts-aqueducs, mais le franchissement de la vallée de l’Arc, sur la commune de Ventabren, constituait le défi principal à relever. Il fut d’abord question d’un franchissement par siphon, ce qui aurait nécessité le percement d’une galerie souterraine sous le lit de l’Arc. Mais la Ville préféra retenir le projet de l’ingénieur suisse Jean-François Mayor de Montricher, polytechnicien sorti major de sa promotion de l’École des Ponts et Chaussées en 1832 et affecté à partir de 1836 à l’arrondissement de Marseille. C’est lui qui proposa le tracé retenu d’un canal gravitaire ralliant directement Marseille sans passer par Aix, et c’est lui qui conçut cet ouvrage d’art exceptionnel qu’est l’aqueduc de Roquefavour.

Long de 393 m et s’élevant à 83 m, soit deux fois plus haut que le Pont du Gard, ce pont-aqueduc le plus haut du monde construit en maçonnerie ne peut laisser indifférent avec ces trois niveaux superposés d’arches en pierres de taille dont les faces extérieures ont été laissées à l’état brut. Ces dernières ont été extraites de deux carrières ouvertes à Velaux et acheminées sur le chantier par une voie ferrée de 9 km construite spécifiquement. Certains des blocs pèsent pas moins de 15 tonnes !

Photographie de l’aqueduc de Roquefavour prise en 1861 par Édouard Baldus pour un ouvrage commandité par la compagnie PLM (source © BNF Expositions)

Commencé en 1841 après des premiers sondages effectués dès 1839, le chantier a mobilisé au total près de 5 000 ouvriers dont 300 tailleurs de pierres, à une époque où la main d’œuvre spécialisée était encore accessible. Ce qui n’a pas pour autant empêché les entrepreneurs de réclamer des révisions de contrat, arguant du fait que les travaux s’avéraient plus complexes et plus coûteux que prévu, une bonne habitude qui est d’ailleurs restée bien ancrée dans le monde du BTP. Il a fallu que le ministre des Travaux publics en personne intervienne en 1842 pour permettre la poursuite des travaux, mais en régie. Cela a occasionné une sérieux renchérissement du coût mais a permis de finir l’ouvrage, achevé en mai 1847 seulement, juste à temps pour permettre une première mise en eau du canal avant l’été, dès le 30 juin.

Le ministre des Affaires étrangères de l’époque, un certain Alphonse de Lamartine, de passage pour visiter le chantier, est subjugué par la beauté de l’œuvre et il se laisse aller à son esprit de poète romantique pour déclamer, plein d’enthousiasme et de lyrisme : « Le pont de Roquefavour est une des merveilles du monde. Le cadre est digne du tableau. Pour l’effet, il ne manque que la lune, soleil des monuments, quelques graminées et quelques stalactites pendantes de ci de là ». Ce à quoi, l’ingénieur suisse des Ponts et Chaussées, Mayor de Montricher, rétorque, plus prosaïque : « Passe encore pour la lune, ce soir votre vœu peut être comblé. Quant aux stalactites, permettez-moi de vous dire, monsieur de Lamartine, que je n’en suis pas jaloux. Elles prouveraient que la cuvette de mon canal perd ses eaux et ne vous en déplaise, j’aime mieux le monument tel qu’il est ». Deux visions du monde qui se heurtent…

Le Canal de Marseille passant sur l’aqueduc de Roquefavour (source © Cardalines)

De fait, initialement, l’eau du canal circulait dans une cunette en pierre installée au sommet de l’ouvrage. En 1971, la Société des Eaux de Marseille remplace ce cheminement initial par deux canalisations superposées de 1 m de diamètre chacune, qui permettent d’augmenter la capacité de transit à 4,4 m³/s tout en évitant le risque de fuites. En 1975, c’est même l’ensemble de la cunette qui est remplacée par une canalisation unique de 2,20 m de diamètre, ce qui augmente encore la capacité de transit, le Canal de Marseille apportant chaque année 240 millions de m³ d’eau brute soit 80 % de la consommation en eau de la ville.

Mais ce bel ouvrage architectural, classé au patrimoine des monuments historiques en 2005, subit comme tout un chacun, les affres du temps. En 2007, des chutes de pierres sont observées par la SNCF qui exploite la voie ferrée Aix-Rognac, laquelle passe sous l’ouvrage majestueux, de même d’ailleurs que la route départementale RD 65 qui relie Les Milles à Roquepertuse en suivant la vallée de l’Arc. Une partie du pont est en train de s’effriter, ce qui est d’autant plus dommageable que cette voie ferrée est utilisée notamment pour transporter les chargement de bauxite destinés à l’usine d’alumine de Gardanne.

Des purges sont effectuées en urgence dès 2008, et en 2014 une consultation est lancée pour choisir un maître d’œuvre, en l’occurrence François Botton, architecte en chef des monuments historiques. C’est désormais la Métropole Aix-Marseille-Provence qui est propriétaire de l’aqueduc et c’est la Direction de l’eau, de l’assainissement et du pluvial qui pilote le chantier de confortement de l’ouvrage, près de deux siècle après sa construction. Un chantier dont le coût a été évalué à près de 22 M€ TTC, financé à 80 % par le Conseil de territoire Marseille Provence, avec des subventions de l’État, de la DRAC et de l’Agence de l’Eau.

Montage de l’échafaudage au pied de l’aqueduc de Roquefavour (photo © J.P. Enaut / TPBM)

Ce chantier, qui devrait durer près de 4 ans, mené sans interrompre l’activité de transit de l’eau, nécessite le montage d’un échafaudage hors normes constitué de 170 000 éléments et pesant pas moins de 1 200 tonnes ! De nombreuses pierres devront être remplacées tandis que l’étanchéité devra être entièrement revue. Il est prévu de monter par les échafaudages au moins 3 300 tonnes de matériaux : un vrai travail de Romains pour un aqueduc qui, bien que conçu au XIXe siècle par un ingénieur suisse, est bel et bien d’inspiration romaine.

L. V.

Mobilité métropolitaine : ça phosphore !

12 janvier 2021

Comment développer les transports en commun du futur sur l’aire métropolitaine Aix-Marseille-Provence ? Tout le monde a son idée sur le sujet même si chacun reconnaît que ce n’est pas si simple sur un territoire où l’habitat est aussi dispersé et où chacun a pris l’habitude depuis des années de se déplacer principalement en voiture, ce qui en fait une des agglomérations de France où l’air est le plus souvent pollué et où les bouchons sont les plus fréquents.

Contrairement à d’autres métropoles, celle-ci est polycentrique. Alors qu’en région parisienne ou lyonnaise, la majorité habite en banlieue et vient travailler dans la ville centre, il n’en est rien à Marseille. Toutes les études sur lesquelles se base notamment le Plan de déplacement urbain, arrêté en 2019, insistent justement sur ce constat que les déplacements pendulaires sont multiples et complexes, les trois corridors principaux (Marseille-Aubagne, Marseille-Aix et Marseille-étang de Berre) ne représentant finalement que 50 % des déplacements métropolitains. Une chose est sûre : 96 % de ces flux d’échange métropolitains (sur des distances supérieures à 7 km) sont réalisés en voiture, faute de transports en commun fiables et adaptés.

Répartition des principaux déplacements métropolitaines (source © PDU Aix-Marseille-Métropole)

C’est donc tout l’enjeu de demain : comment développer enfin sur ce territoire des modes de déplacements plus durables afin de réduire l’usage de la voiture individuelle qui congestionne les axes routiers et empoisonne l’air ambiant ? L’agglomération lyonnaise a répondu depuis des années à cet enjeu en développant un réseau performant de bus, métros et tramways tandis que le Grand Paris est en train de réaliser une extension sans précédent de son réseau de métros pour irriguer sa grande banlieue.

Extrait de la Une de La Provence en date du 4 janvier 2021 (source © Twitter / LoopAM)

Et pendant ce temps-là, à Marseille les idées fusent ! La dernière en date qui a eu les honneurs de La Provence le 4 janvier 2021 provient de deux financiers locaux, Guillaume Nicoulaud et Mathieu Morateur, qui ont lancé une petite start-up du nom de Loop Aix-Marseille, pour promouvoir le développement d’un réseau maillé de transports en communs haute fréquence vaguement inspiré de l’Hyper-loop que le milliardaire Elon Musk cherche à développer tout en projetant la colonisation de la planète Mars.

Vue d’artiste du projet de navette électrique imaginé par LoopAM (source © La Provence)

Leur credo est qu’il faut développer un système de navettes rapides sous forme de petits véhicules électriques autonomes de 25 places montés sur pneus et se déplaçant à grande fréquence (toutes les 10 minutes voire davantage aux heures de pointe) sur les principaux axes de la métropole pour relier à terme Aubagne, Marseille, Aix, Marignane… Pour pouvoir assurer un cadencement aussi rapide et une desserte Aix-Marseille en 15 mn comme l’annonce La Provence, la solution imaginée est de faire circuler ces véhicules en tunnel ! On s’affranchit ainsi de tous les obstacles urbains qui encombrent l’espace, mais bien sûr, la facture est salée : nos deux financiers visionnaires l’estiment au minimum à 6 milliards d’euros et sont en train de faire chauffer leurs calculettes pour étudier comment rentabiliser un tel investissement qui serait bien entendu supporté par le privé, dans le cadre de concessions de service public.

A ce stade, ce n’est pas gagné d’autant que, au-delà de ces coûts d’investissement colossaux, l’exploitant devra prendre en charge les frais de fonctionnement qui risquent d’être particulièrement élevés sur un territoire où l’habitat est aussi dispersé. Un projet un peu fou que ce Loop qui fait partie des idées plus ou moins farfelues que le collectif Tous acteurs, animé par la Chambre de commerce et d’industrie métropolitaine, dévoilait dès mars 2020, en pleine campagne électorale des municipales.

Outre ce projet de Loop, il y était question de voies réservées pour les bus sur certains grands axes de circulation, d’un projet de RER d’Aubagne à Marignane en passant par Aix et Vitrolles, mais aussi de navettes maritimes côtières hybrides et même de taxis volants, soyons fous !

Maquette du projet de Val’tram de Valdonne qui pourrait desservir la vallée de l’Huveaune en amont d’Aubagne à l’échéance 2024 (source © Made in Marseille)

Pas sûr que tous ces projets innovants résistent à une analyse un peu sérieuse comme l’a montré l’abandon du projet de réouverture de la voie ferrée Aix-Rognac sur lequel la région et la Métropole ont pourtant investi plus de 2 millions d’euros en études de faisabilité avant de conclure à un projet non rentable au vu de la fréquentation attendue. Le projet de Val’tram envisagé entre Aubagne et La Bouilladisse sur une autre voie ferrée désaffectée, avait déjà été abandonné pour les mêmes raisons par la Métropole avant que Martine Vassal ne se ravise à la veille des élections et ne vienne ressortir des cartons poussiéreux ce vieux serpent de mer contesté.

Maquette du projet d’AirAixpress imaginé par Anne-Laurence Petel (source © GoMet)

De son côté, la candidate LREM aux élections municipales à Aix-en-Provence, Anne-Laurence Petel, avait lancée l’idée plutôt originale d’un système de navettes électriques autonomes de 8 places ressemblant vaguement à des cabines de téléphérique et qui se déplaceraient suspendues à des structures aériennes couvertes de panneau photovoltaïques en surplomb des grands axes routiers comme l’autoroute entre Aix et Marseille. Baptisé du doux nom à consonance typiquement provençale AirAixpress et en cours de développement par la société lyonnaise Supraways, laquelle envisage un coût de construction de 15 à 25 millions d’euros au km, soit moins élevé que le tram, le concept ne manque pas d’originalité et pourrait se placer en bonne place de ce concours Lépine des modes de transport métropolitains du futur…

L. V.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’hydrogène sans jamais oser le demander…

16 décembre 2020

Tout le monde s’intéresse à l’hydrogène souvent présenté comme un des éléments de la transition énergétique vers une société décarbonée, capable de se passer des énergies fossiles et de maîtriser ses émissions de gaz à effet de serre. On n’y est pas encore et les tergiversations récentes de notre Président de la République qui hésite fortement à mettre en œuvre les propositions issues de la Convention citoyenne sur le Climat, qu’il a pourtant lui-même constituée, confirme, s’il en était besoin, que le chemin sera encore long et parsemé d’embûches…

Un dessin d’actualité signé Ysope

Pour ceux en tout cas qui s’interrogent sur le potentiel que représente d’hydrogène pour contribuer à cette révolution énergétique que beaucoup appellent de leurs vœux, on recommandera la lecture d’une note de synthèse rédigée par l’astrophysicien Jacques Boulesteix, par ailleurs conseiller municipal de Carnoux. Une synthèse claire et pédagogique qui permet de mieux appréhender les formidables atouts que représente l’hydrogène, ce gaz très répandu dans notre environnement et qui peut servir aussi bien de combustible sans émission de CO2 dans une chaudière ou un moteur, que de source d’électricité dans une pile à combustible dont le rendement est très supérieur à celui d’un groupe électrogène classique.

Graphique extrait de la note de Jacques Boulesteix sur l’hydrogène

Mais pour autant, l’hydrogène n’est pas la panacée miraculeuse que certains imaginent. Sa production, en dehors de cas très favorables où on arrive à l’extraire de manière native, passe pour l’essentiel par des opérations lourdes de vaporeformage à partir de gaz naturel, un procédé peu coûteux mais catastrophique en termes d’émission de gaz à effet de serre. Quant à l’alternative bien connue qui consiste à réaliser une hydrolyse de l’eau, son bilan énergétique n’est guère reluisant…

Certes, les chercheurs et les industriels du monde entier s’échinent à contourner ces obstacles physico-chimiques pour trouver le Graal qui permettra demain (peut-être) de produire de l’hydrogène bon marché, en grosses quantités, sans impact environnemental et avec un bilan énergétique favorable. De multiples pistes sont pour cela explorées allant de la valorisation de la biomasse à partir de déchets plus ou moins fermentescibles jusqu’à la production par photosynthèse à partir de micro algues.

Structure moléculaire d’une hydrogénase modifiée (source © Labo BIP CNRS)

Il est d’ailleurs à noter que cette dernière voie est notamment explorée par une équipe marseillaise du Laboratoire de bioénergétique et ingénierie des protéines. Celle-ci travaille sur des micro-algues vertes et des cyanobactéries qui produisent de l’hydrogène lors de la photosynthèse, sous l’effet d’enzymes appelées hydrogénases. Mais ce processus est très transitoire car les hydrogénases sont inhibées par l’oxygène qui est également produit pendant la photolyse de l’eau. L’équipe de chercheurs a donc testé (et breveté) des mutations bien spécifiques des hydrogénases afin de permettre à l’hydrogène formé de diffuser vers l’extérieur afin d’orienter ainsi la photosynthèse vers la production d’hydrogène plutôt que d’oxygène.

L’avenir dira si ces recherches permettront d’ouvrir la voie vers un nouveau mode de production plus propre de l’hydrogène. Mais ce n’est pas le seul obstacle qui reste à lever pour une large exploitation de l’hydrogène, loin s’en faut. Celui du stockage et du transport de l’hydrogène n’est pas simple non plus, comme le précise Jacques Boulesteix dans sa note. Mais là aussi des équipes locales sont à pied d’œuvre pour chercher des solutions.

Hysilabs, la start-up qui cherche à révolutionner le transport de l’hydrogène (photo © G. Vanlede / La Provence)

C’est en particulier le cas de la société Hysilabs, une start-up initiée par deux chercheurs qui se sont rendus compte qu’il était possible de combiner l’hydrogène gazeux avec des hydrures pour le transporter sous forme liquide en s’affranchissant des inconvénients du transport et du stockage sous forme de gaz fortement comprimé. La petite start-up basée à Aix-en-Provence a levé pour plus de 2 millions d’euros de fonds en 2018 pour poursuivre ses développements et proposer des solutions industrielles clé en main telles que l’alimentation d’une tour de télécommunication sur le plateau de l’Arbois par un générateur électrique à l’hydrogène.

Démonstrateur Jupiter 1000 à Fos-sur-mer d’injection de gaz dans le réseau (photo © Jérôme Cabanel / GRT gaz / actu-environnement)

Et l’on pourrait citer aussi le projet Jupiter 1000, un démonstrateur industriel piloté par GRT gaz et d’autres partenaires à Fos-sur-Mer, permettant de transformer par électrolyse de l’électricité renouvelable en hydrogène mais aussi en méthane grâce au recyclage de CO2 issu de la capture de fumées industrielles du secteur. Une installation qui permet d’injecter dans le réseau jusqu’à 25 m3/h de méthane et 200 m3/h d’hydrogène.

Qui a dit que l’agglomération marseillaise était à la traîne en matière de recherche et développement de pointe ?

L. V.

Métropole Aix-Marseille : la fête est finie…

12 décembre 2020

En période pré-électorale, il est d’usage que l’on lâche un peu la bride budgétaire : c’est le moment ou jamais de dépenser sans compter l’argent du contribuable et d’enchaîner les inaugurations de nouvelles infrastructures pour montrer à quel point la collectivité est efficace. Une règle d’or que Martine Vassal a appliqué à la lettre à la tête de la Métropole Aix-Marseille-Provence, avec un niveau record d’investissement et surtout de transfert de fonds vers les communes en 2019 et début 2020. Ce qui lui a d’ailleurs plutôt bien réussi puisqu’elle a pu être réélue sans difficulté à la tête de l’intercommunalité, malgré sa défaite cuisante aux élections municipales dans son fief marseillais.

Martine Vassal réélue à la tête de la Métropole Aix-Marseille-Provence le 9 juillet 2020 (source © Commune de Peynier)

Mais une fois les élections passées et en attendant les suivantes, il faut bien faire les comptes et resserrer un peu les boulons, quitte à se serrer la ceinture. C’est ce qui a été fait à l’occasion du rapport d’orientations budgétaires qui a été discuté le 19 novembre 2020, en visio-conférence (Covid oblige), en vue de fixer les grandes lignes du prochain budget 2021 de la Métropole. Un exercice particulièrement douloureux comme l’a détaillé à TPBM Gérard Bramoullé, premier adjoint à la maire d’Aix-en-Provence, mais aussi premier Vice-Président de la Métropole, en charge justement de la stratégie budgétaire.

Gérard Bramoullé, premier vice-président de la Métropole Aix-Marseille Provence, en charge de la stratégie budgétaire (photo © Robert Poulain / TPBM)

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le constat est sévère sinon catastrophique. Le rapport au vitriol que la Chambre régionale des comptes avait rendu public le 15 octobre dernier ne pouvait de toute façon guère permettre de masquer la dure réalité : la Métropole fonce droit dans le mur de l’endettement et il commençait à être temps de freiner un peu… Comme l’analyse lui-même celui qui préside désormais aux destinées budgétaires de la Métropole : « En quatre ans, la dette s’est envolée tutoyant les 3 milliards d’euros et l’épargne s’est effondrée. Or, sans épargne, on perd notre capacité d’autofinancement. Dans une situation normale, on devrait être en mesure d’autofinancer à hauteur de 30 % les opérations d’investissement. Aujourd’hui, on est à moins de 10 %, avec un recours massif à l’emprunt. Mais on ne peut pas continuer à vivre à crédit indéfiniment. La réalité nous rattrape. »

Le grand argentier de la Métropole ne cache pas son inquiétude : « On a lancé des projets sans se préoccuper de savoir si nous avions les moyens de les financer. On subit aujourd’hui le retour de bâton de cette folie des grandeurs. La dette en soi n’est pas un problème : c’est la capacité à rembourser les emprunts qui compte. Et dans ce domaine, nous sommes loin d’être exemplaires. La durée de remboursement « normale » d’un emprunt est en moyenne de huit ans. Sur le budget annexe des transports, nous sommes à 18 ans ».

Un constat qui n’a pas échappé à l’agence de notation Fitch Ratings qui, en mai 2020, a jugé « négative » la perspective financière de la collectivité. En 2020, les besoins en fonctionnement ont largement excédé les capacités d’autofinancement du budget alors qu’il n’était pas question de limiter le niveau d’investissement en contexte pré-électoral. Il a donc fallu recourir massivement à l’emprunt pour financer ces investissements, ce qui a fait exploser les objectifs du Pacte de gouvernance financier et fiscal, instauré en 2016 à la création de la Métropole. Ces objectifs visaient à ne pas augmenter la fiscalité et à maîtriser la dette tout en conservant un haut niveau de reversement aux communes, une spécificité locale mainte fois dénoncée…

Le Conseil métropolitain présidé par Martine Vassal, avant qu’il ne passe en visio-conférence… (photo © Antoine Tomaselli / La Provence)

Selon ces objectifs, le recours à l’emprunt ne devait pas dépasser 23 % par an et le niveau d’autofinancement ne devait pas descendre en dessous de 39 %. Or en 2020, la Métropole a emprunté à hauteur de 65 % pour financer ses investissements et sa part d’autofinancement est tombée à 7 % seulement, du jamais vu! L’encours global de la dette métropolitaine approche désormais les 3 milliards d’euros et la capacité de désendettement atteint des durées vertigineuses…

Face à une situation budgétaire aussi effrayante, il a bien fallu faire des choix. Pas question évidemment de tailler dans la masse salariale. Les 7 875 agents que compte la Métropole et qui représentent une masse salariale de près de 400 millions d’euros par an constituent une dépense incompressible, dont le montant augmente même d’année en année sous l’effet des promotions, même si cette progression est contenue à 1 % dans la trajectoire budgétaire envisagée pour 2021, soit en dessous des exigences fixées par le gouvernement pour l’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités. A défaut, ce sont donc les dépenses de fonctionnement reversées par la Métropole aux six Conseils de Territoires, les anciennes intercommunalités que la Métropole n’a toujours réussi à faire disparaître et à qui elle a encore reversé 192 millions en 2020, qui ont été légèrement amputées (de 20 millions) en 2021.

La marge de manœuvre étant extrêmement limitée du côté des dépenses de fonctionnement, ce sont donc les investissements qui vont devoir être considérablement réduits pour éviter que les comptes de la Métropole ne s’enfoncent définitivement dans le rouge. Alors qu’en 2019, le montant global d’investissement de la Métropole avait atteint 566 millions d’euros et devrait se situer aux alentours de 503 millions pour l’exercice 2020, il est prévu de ramener ce chiffre à 350 millions d’euros en 2021, soit une baisse de plus de 25 %, ce qui est colossal.

Evolution du montant annuel des dépenses d’investissement de la Métropole AMP depuis sa création (source ©
Rapport d’orientation budgétaire Métropole AMP)

Tous les projets vont donc devoir être revus à la baisse ou leur réalisation étalée dans le temps. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour les entreprises qui sont très dépendantes des marchés publics mais pas non plus pour les habitants qui attendent justement de la Métropole la mise en œuvre de programmes structurants pour améliorer enfin les réseaux de transport en commun et la mobilité urbaine dans un contexte de transition écologique. Heureusement, cela n’entravera pas les projets de la Ville de Carnoux toujours aussi généreusement servie par la Métropole qui continue à financer les yeux fermés le coûteux programme d’enfouissement des réseaux aériens engagé depuis des années grâce au financement des autres habitants de la Métropole voire du Département…

La question de savoir qui profite le plus des largesses de la Métropole fait d’ailleurs grincer quelques dents et le sujet n’a pas manqué d’être évoqué à l’occasion de ce récent débat sur les orientations budgétaires de l’intercommunalité. Certains se sont en effet étonnés que le territoire Marseille-Provence, qui regroupe 18 communes dont la principale agglomération Marseille, ne bénéficie au final que de 46 % des investissements prévisionnels de la Métropole alors qu’il concentre près de 60 % des habitants. Inversement, le Pays d’Aix, avec à peine plus de 20 % des habitants de la Métropole, se réserve royalement 36 % du budget total d’investissement destiné aux territoires.

Répartition des dépenses d’investissement prévisionnelles de la Métropole AMP pour 2021 (source © Rapport d’orientation budgétaire Métropole AMP / mise en forme CPC )

Une répartition qui reflète parfaitement les rapports de force politiques au sein de la Métropole. Martine Vassal n’a bien évidemment aucun intérêt à favoriser l’investissement sur la ville de Marseille, désormais gérée par une autre majorité, tandis qu’elle ne peut rien refuser à la maire d’Aix et à sa fille, Sophie Joissains, qui avec Gérard Bramoullé, tiennent les postes clés de la Métropole et ont largement contribué à lui permettre de sauver son fauteuil de Présidente. Quant aux habitants de Martigues, toujours aux mains du communiste Gaby Charroux, ils devront se contenter de 1,8 % du budget d’investissement métropolitain, soit deux fois moins que le poids démographique de leur territoire : malheur aux vaincus…

Cette répartition budgétaire pour 2021 confirme en tout cas clairement que la part des investissements gérés à l’échelle métropolitaine et qui correspondent réellement aux besoins structurants du territoire reste portion congrue puisqu’elle ne représente que 12,8 % du budget global d’investissement de la métropole. Ce n’est pas encore en 2021 que les lignes de transports en commun permettant de desservir l’aire métropolitaine et la construction de logements sociaux passeront avant le financement des ronds-points avec le nom du village écrit en lettres de bronze… L’intérêt général devra encore patienter un peu !

L. V.

La Métropole étrillée par la Chambre régionale des comptes

25 octobre 2020

C’est un véritable pavé dans la mare que vient de lancer la Chambre régionale des comptes (CRC) en rendant public le 15 octobre 2020 son rapport d’observation qui porte sur le fonctionnement de la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP) depuis sa création le 1er janvier 2016. Un pavé qui ne manquera pas d’éclabousser fortement Martine Vassal qui vient tout juste d’être réélue à la tête de l’institution et qui s’est empressée de rassurer les maires des communes périphériques en leur redonnant l’essentiel des pouvoirs décisionnels qui auraient dû progressivement être transférés à l’échelon métropolitain : exactement l’inverse de ce que prônent les magistrats de la CRC à l’issue de leur analyse !

Assemblée communautaire de la Métropole Aix-Marseille-Provence en 2019 (photo © Emilio Guzman / Marsactu)

Ces derniers rappellent en effet que la métropole avait été créée précisément pour permettre aux six intercommunalités préexistantes, dont la communauté urbaine Marseille Provence Métropole à laquelle était rattachée Carnoux, d’unir leurs forces et de mettre en commun leurs ressources pour agir enfin à la bonne échelle et mettre en place les projets structurants tant attendus en matière notamment de transports publics, d’habitat, de développement économique, de protection de l’environnement et de lutte contre la pollution de l’air. Mais les maires du périmètre étaient et sont toujours quasi unanimement opposés à cette construction métropolitaine de crainte qu’elle ne vienne empiéter sur leurs prérogatives. Ils ont donc tout fait pour en plomber la construction : le constat de la CRC vient confirmer qu’ils ont magistralement réussi…

Manifestation d’élus locaux contre la création de la métropole (source © Marsactu)

Les anciennes intercommunalités, devenues conseils de territoires auraient dû s’effacer progressivement en ne gardant qu’un rôle purement consultatif. Mais ils sortent encore renforcés des dernières élections municipales et ont conservé de fait l’essentiel de leurs prérogatives, via des conventions par lesquelles la métropole leur délègue la quasi totalité de ses compétences, à tel point que l’essentiel des crédits d’investissement continuent à être gérés au niveau de ces anciennes intercommunalités au lieu d’être utilisées pour la mise en œuvre de projets structurants à l’échelle métropolitaine.

Au moment de la création de la métropole, les intercommunalités se sont dépêchées de voter en masse toute une flopée de nouveaux projets, à charge pour la métropole, destinée à prendre le relai, d’en assumer le coût financier tant pour leur réalisation que pour leur exploitation future. Un tour de passe-passe qui a conduit la métropole, à peine née, à devoir assurer des engagements financiers colossaux, au risque de voir son taux d’endettement exploser et ses marges de manœuvre considérablement réduites pour mener à bien des projets d’intérêt véritablement communautaire.

Un dessin signé Red, réalisé en 2015 à l’initiative du Conseil de développement de l’ex Communauté urbaine MPM

Et ce n’est pas tout puisque les communes ont organisé délibérément une augmentation substantielle des attributions de compensation qui leur sont reversées par les intercommunalités pour compenser les transferts de compétence vers ces dernières. Une augmentation chiffrée à 220 millions d’euros entre 2012 et 2016, date de la création de la métropole, alors que la CRC considère que 80 % de cette augmentation artificielle ne correspond à aucun transfert de charge effectif. Mais une augmentation bien opportune pour les communes qui aspirent, par ce biais, l’essentiel des ressources de la métropole. Selon la CRC, celle-ci reverse ainsi aux communes plus des trois-quarts des impôts qu’elle perçoit, alors qu’une métropole comme celle du Grand-Lyon en conserve plus de la moitié, ce qui lui permet de mettre effectivement en œuvre des politiques publique efficaces à l’échelle du territoire, ce dont AMP est bien incapable.

De surcroît, plusieurs des intercommunalité préexistantes se sont fortement endettées juste avant la création de la métropole, assurées qu’elles étaient de pouvoir transmettre à la future métropole le remboursement de cette dette, ou comment socialiser les pertes… C’est le cas notamment de l’ancienne communauté d’agglomération du Pays d’Aix, dont la dette a été multipliée par 2,5 entre 2013 et 2015, ou celle du Pays d’Aubagne et de l’Étoile qui a augmenté de 45 % sur la même période.

Fin 2018, la métropole s’est ainsi retrouvée avec une dette globale de 2,79 milliards d’euros, soit 1451 € par habitant. Un chiffre qui n’a rien d’inquiétant en soit, sauf lorsqu’on le traduit en termes de capacité de désendettement (8 ans pour AMP, soit deux fois plus qu’à Lyon et 4 fois plus qu’à Bordeaux!) ou qu’on le met en regard des recettes de fonctionnement de la métropole (2 fois plus qu’à Nantes ou Lille, 3 fois plus qu’à Lyon et 4 fois plus qu’à Bordeaux).

Et cette dette n’en finit pas d’augmenter puisqu’elle n’était que de 2,28 milliards en 2016 : la métropole emprunte en moyenne 40 % de plus que ne le faisaient les anciennes intercommunalités, creusant son déficit sans pour autant être en capacité de réaliser les investissements structurants, tant attendus pour répondre aux difficultés quotidiennes de ses habitants en matière de logement, d’emploi et de déplacement, sans même parler de préparer ce vaste territoire aux défis qui nous attendent en termes de transition écologique et d’adaptation au changement climatique.

Rééquilibrer et développer la construction de logements sociaux sur le territoire métropolitain, un enjeu majeur… (source © Agir pour la métropole)

Le regard porté par la CRC sur le fonctionnement de la métropole AMP est donc particulièrement sévère, d’autant qu’il ne se résume pas à ces quelques points. L’analyse portée sur l’évolution de la masse salariale qui continue à augmenter dans les communes alors même qu’elles ont transféré l’essentiel de leurs compétences à la métropole n’est pas des plus rassurantes. De même que l’examen de la politique métropolitaine en matière de logement, jusqu’à présent des plus embryonnaires, la métropole n’ayant même pas été en capacité de faire adopter son Plan local de l’habitat et se trouvant totalement dépourvue de la moindre vision programmatique globale face à une multitude de bailleurs sociaux plus ou moins coopératifs. Pa étonnant que dans ces conditions il soit si difficile de se loger sur le territoire métropolitaine où la production de logements sociaux et la lutte contre l’habitat indigne dans les centres-villes dégradés (dont celui de la ville-centre Marseille) sont à la peine…

L.V.

Le rapport complet de la CRC et une analyse plus complète de son contenu sont notamment accessibles sur le site carnouxcitoyenne, créé par les deux élus d’opposition de Carnoux : bonne lecture !

Parking en façade

31 Mai 2020

Une Fiat 500 bien garée (source © Royal de luxe)

Au pied des grandes résidences, s’étendent généralement de vastes étendues bitumées qui servent de parking. Ce n’est pas très esthétique ni très écologique. Il vaudrait mieux prévoir des espaces verts où les enfants pourraient jouer et la nature se développer. Mais où garer les voitures alors ? Mais sur les façades pardi ! On se demande à quoi pensent les architectes qui n’ont pas encore mis en œuvre une solution aussi évidente qui portant coule de source et est à la portée du premier clown venu.

C’est d’ailleurs ce qu’a fait M. Bourgogne, alias Jean-Luc Courcoult, un des fondateurs de la troupe de théâtre de rue Royal de luxe. En avril 2019, il a tout simplement garé sa petite Fiat 500 rouge sur la façade d’un immeuble du quartier Bellevue à Nantes, au 5 rue d’Aquitaine. Et comme il aime bien lui tenir compagnie, il a lui-même planté sa tente pas très loin, sur une autre façade du même quartier, au 2 rue de la Saône. Une installation de camping tout ce qu’il y a de plus classique avec table, chaise et un peu de matériel éparpillé tout autour, fixé à la verticale sur la façade de l’immeuble désaffecté, à la hauteur du quatrième étage.

M. Bourgogne en camping (source © Royal de luxe)

Un spectacle un peu ébouriffant pour les enfants de Bellevue (source © Royal de luxe)

Pendant une semaine, ce campeur insolite a tenu tout le quartier en haleine. Les classes de 9 écoles des environs se sont succédé au pied de la façade, le nez en l’air, pour voir évoluer cet étrange hurluberlu qui sort de nez de sa tente, fait sa toilette, étend son linge et écrit de drôles de lettres empreintes de poésie qu’il leur descend au bout d’une corde. Des textes merveilleux que les enfants découvrent ensuite avec leur instituteur et qui racontent l’histoire de la petite Fiat rouge un peu caractérielle, ou celle de M. Bourgogne, comme l’escargot bien sûr, qui n’hésite pas à escalader les façades, parfaitement à l’aise sur une surface verticale.

En mai 2020, la Fiat 500 est de retour dans le quartier de Bellevue mais cette fois elle est verte, comme un tableau d’écolier. Elle fait escale dans les écoles et les enfants peuvent écrire et dessiner sur sa carrosserie avec des craies de couleur comme ils le feraient sur le tableau de l’école…

Une lettre de M. Bourgogne (source © Royal de luxe)

 

Un univers plein de poésie où il convient de ne s’étonner de rien et qui enchante les petits écoliers nantais. Telle est la recette de ces installations théâtrales de la Compagnie Royale de Luxe, laquelle a été créée en 1979 à Aix-en-Provence par Jean-Luc Courcoult et ses camarades Véronique Loève et Didier Gallot-Lavallée. Rapidement exilée dans un petit hameau des Cévennes puis squattant un château à Toulouse, la compagnie est désormais basée à Nantes depuis 1989. Ses créations successives, d’une grande originalité, l’ont fait connaître dans le monde entier, notamment à partir de 1993 avec son Géant tombé du ciel, première étape d’une Saga des géants, qui s’achève en 2018 à Liverpool.

En 1997, à l’occasion des Rencontres de la Photographie à Arles, la troupe y avait présenté son rhinocéros géant de 5 m de long qui a ensuite remporté un franc succès l’année suivante lors de l’Exposition universelle de Lisbonne. Enfermé dans une cage, le rhinocéros géant exigeait pas moins de 17 personnes pour l’actionner.

L’éléphant du sultan à Nantes en 2005 (source © Royal de luxe / Auray)

Une caractéristique de ces créatures géantes que l’on retrouve notamment pour l’éléphant du sultan, créé en 2005 à Nantes pour célébrer le centenaire de la mort de Jules Verne et qui a ensuite voyagé jusqu’à Londres et Anvers : une belle bête de 48 tonnes et 22 m de longueur pour 12 m de haut, dont la mise en mouvement nécessite le concours de 22 manipulateurs.

En cette période où la crise sanitaire a mis à mal l’activité artistique et en particulier les spectacles de rue, il n’est pas inutile d’évoquer le talent et l’imagination de ces troupes qui ont l’art d’enchanter notre quotidien !

L. V.