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Au Nord, ce sera les batteries…

10 juin 2023

Le Nord de la France a longtemps été connu pour ses corons, ces cités ouvrières constituées d’un alignement de petites maisons mitoyennes en briques, si typiques des banlieues industrielles qui ont poussé comme des champignons dans la seconde moitié du XIXe siècle dans le Nord et le Pas-de-Calais, associés à l’essor local de l’exploitation minière du charbon, et de la sidérurgie. En 1906, la catastrophe de Courrières, liée à un coup de grison y a fait plus de 1000 morts dans un vaste réseau minier près de Lens, ce qui en dit long sur l’importance de la main d’œuvre alors occupée à l’exploitation de la houille.

Coron de la cité La Parisienne à Drocourt (photo © Hubert Bouvet / Région Nord Pas-de-Calais / Patrimoine mondial)

En 1947, on comptait plus de 200 000 mineurs en activité dans le bassin houiller du Nord Pas-de-Calais. Cinq ans plus tard, en 1952, sous l’effet de la mécanisation, ce nombre avait déjà été divisé par deux pour une production qui avait néanmoins augmenté, atteignant plus de 29 millions de tonnes par an !

Mais le déclin s’amorce dans les années 1960 et, en 1984, les Houillères du Nord ne comptent plus que 21 000 mineurs avant de stopper définitivement l’extraction fin 1990. En parallèle s’était développée une industrie sidérurgique florissante dans le Valenciennois et la vallée de la Sambre, alimentée par le charbon du Nord et le minerai de fer lorrain. Relancée dans les années 1960 avec du minerai de fer importé, la sidérurgie connait à son tour le déclin tandis qu’à partir des années 1980 ce sont les autres industries, textiles et automobiles notamment, qui commencent à leur tour à battre de l’aile. Depuis la fin des années 1980 la moitié des emplois d’ouvriers non qualifiés travaillant dans l’industrie du Nord et du Pas-de-Calais ont été supprimés, et il n’en restait plus que 185 000 en 2018.

Ancien carreau de mine et terrils de charbon à Loos-en-Gohelle, près de Hénin-Beaumont (source © French wanderers)

Mais voilà qu’une nouvelle filière est peut-être en train de se mettre en place avec l’implantation de pas moins de 4 gros projets de fabrication de batteries électriques, susceptibles d’équiper nos voitures de demain. Le plus avancé est celui de la société ACC (Automotive Cells Company), créée en 2020 en partenariat entre l’équipementier Saft, désormais filiale de TotalEnergies, et les groupes PSA et Mercedes-Benz. Plusieurs centres de production sont envisagés mais le premier est en train de voir le jour sur le site de Douvrin, dans la banlieue de Lens, à côté de l’usine automobile de PSA devenue Stellantis. Inaugurée le 30 mai 2023, cette première usine devrait permettre d’embaucher plus de 2000 salariés et fournira d’ici 2030 de quoi équiper en batterie de l’ordre de 500 000 véhicules électriques.

L’usine de batteries ACC implantée tout récemment sur les communes de Douvrin et de Billy-Berclau, près de Lens (photo © France 3 régions)

Le groupe sino-japonais Envision- AESC devrait lui emboîter le pas en développant à partir de 2024 sa propre usine de fabrication de batteries, près de Douai, pour le compte de Renault et à proximité de l’usine de ce dernier. Détenu à 80 % par le Chinois Envision et à 20 % par Nissan, ce groupe possède déjà 4 usines de ce type dans le monde et a déjà équipé plus de 600 000 véhicules électriques. Cette implantation s’inscrit comme la précédente dans la stratégie européenne de réindustrialisation pour fabriquer localement les batteries qui devront équiper nos véhicules de demain, les voitures à moteur thermique étant vouées à disparaître d’ici 2035.

La start-up grenobloise Verkor, développe de son côté un projet d’implantation d’une usine gigantesque près de Dunkerque, qui devrait employer à terme 2000 salariés et créer 5000 emplois indirects, moyennant un investissement colossal de 2,5 milliards d’euros, des batteries qui devraient aussi alimenter les véhicules Renault de demain. Les premiers coups de pioche sont prévus dès l’été 2023 et le site devrait être opérationnel à partir de 2025. De quoi donner du baume au cœur au Chef de l’État, Emmanuel Macron, qui se réjouissait avec emphase en février 2022 de cette implantation qui « permet de faire des Hauts-de-France la vallée de la batterie, un segment essentiel pour produire sur notre sol les voitures électriques de demain ».

Maquette de la future gigafactory de batteries imaginée par la société grenobloise Verkor près de Dunkerque (source © Verkor / La Tribune)

Et voilà qu’un quatrième site de production de batteries pour véhicules électriques est désormais annoncé, toujours dans ce même secteur géographique, cette fois par le groupe taïwanais ProLogium, lequel envisage d’implanter deux sites de production massive de batteries électriques solides, sur le grand port maritime de Dunkerque. Des dispositifs qui présentent, par rapport aux batteries plus classiques lithium-ion, l’avantage d’être plus légères et d’avoir une longévité supérieure, ce qui leur confère un bilan carbone global meilleur tout en acceptant des puissances de charge plus élevées, donc des vitesses de rechargement plus rapides.

Les batteries produites par la société taïwanaise ProLogium fondée en 2006 (source © ProLogium / L’Usine nouvelle)

Ce dernier projet de ProLogium, qui correspondrait à un investissement global de 5,2 milliards d’euros, n’a pas encore été confirmé, mais c’est néanmoins l’euphorie au pays des corons qui voit son avenir industriel s’éclaircir de nouveau avec cette manne d’investissement dans les batteries du futur : après le textile, les betteraves à sucre, le charbon et l’acier, cap sur les batteries !

L. V.

Un CV qui fait le buzz

22 octobre 2022

Au Canada comme dans le monde anglo-saxon en général, il est fréquent de de commencer à travailler quand on est adolescent, et pas seulement pour des jobs d’été mais souvent pour de vrais boulots à temps partiel, le week-end et le soir après l’école. Chez nos amis québécois par exemple, la législation n’impose pas un âge minimum pour accéder au marché de l’emploi. Elle demande simplement l’autorisation parentale pour les enfants de moins de 14 ans et impose des charges horaires maximales jusqu’à 16 ans, mais pas au-delà. De très nombreux adolescents commencent donc à travailler régulièrement des 13-14 ans pour faire du gardiennage, de la vente en magasin, livrer les journaux ou faire la nounou.

Jeune adolescente canadienne au travail (source © RTL)

Au point que les services de l’État se croient obligés de rappeler régulièrement aux parents quelques conseils de base pour éviter que leur enfant ne s’adonne en totalité à une telle activité professionnelle, certes lucrative et gage d’autonomie personnelle, mais qui peut venir fâcheusement empiéter sur le temps scolaire et les périodes de repos nécessaires… En tout cas, dans un tel contexte, les médias regorgent de conseils en tous genre pour aider les parents angoissés à guider leur progéniture dans la rédaction de leur curriculum vitae, ce précieux sésame qui donne accès au monde du travail, même quand on n’a que 14 ans et aucune expérience professionnelle à faire valoir…

Mais évidemment, rien de tel en France où le travail des enfants est davantage réglementé. Sans remonter jusqu’au décret impérial de 1813 qui interdit le travail des enfants de moins de 10 ans dans les mines où ils faisaient pourtant merveille grâce à leur petite taille, il a quand même fallu attendre 1892 pour qu’une loi limite à 10 heures la durée maximum quotidienne de travail des enfants de moins de 13 ans, à une période où le travail était encore autorisé à partir de 12 ans… Il a ainsi fallu attendre 1936 pour que la scolarité devienne obligatoire jusqu’à 14 ans, puis 16 ans à partir de 1959.

Le jeune stagiaire, un auxiliaire devenu indispensable en entreprise : un dessin signé Schwartz pour le Rectorat de Rennes (source © CFTC)

Mais l’Éducation nationale, sous la pression ambiante, s’est mis en tête de pousser les enfants à s’imprégner du monde du travail qui les attend (ou pas) en rendant obligatoire des stages de découverte en entreprise au cours de la classe de 3ème et parfois dès la 4ème. Depuis 2019, ces séquences de découverte du monde professionnel sont en effet ouvertes avant même l’âge de 14 ans, comme si les enfants n’avaient rien de plus urgent à apprendre que la manière dont fonctionne le milieu professionnel.

Les nouvelles générations à la découverte du monde du travail : un dessin de Jiho, publié dans Marianne en 2015

Pour pouvoir trouver un tel stage d’observation, même limité à quelques jours, encore faut-il faire acte de candidature. Et voilà que les entreprises sollicitées se mettent à exiger des jeunes collégiens non seulement une lettre de motivation, mais même un véritable cv, comme s’ils étaient candidats pour un véritable recrutement ! Un curriculum vitae à 14 ans, quand on est encore au collège, quel sens cela peut-il bien y avoir ? C’est justement la question que s’est posée cette maman d’élève de Joué-les-Tours qui du coup s’est piquée au jeu et s’est chargée elle-même de rédiger le cv de son rejeton puis de la partager sur son propre réseau professionnel via l’application Linkedin.

Du coup, l’exercice, traité avec une bonne dose d’ironie et d’autodérision, a fait le buzz et le cv du petit Loulou a largement circulé, alors même qu’il n’a pas été rédigé par le principal intéressé comme sa mère le revendique haut et fort ! On y apprend ainsi que le jeune collégien, malgré son jeune âge, a déjà enchaîné 3 contrats à durée déterminée. Le premier était naturellement une « création de poste », de bébé cela va de soi, au cours de laquelle le jeune Loulou, outre de faire ses premières dents a « mis en place les processus internes au bon fonctionnement d’une famille et coaché [ses] parents sur l’optimisation de leur temps libre ».

Le cv du jeune Loulou, rédigé par sa maman… (source © France Bleu)

S’en est suivi un deuxième CDD de « poseur de questions » couronné par un beau succès personnel de « meilleur déguisement de Spiderman au carnaval de l’école en février 2014 ». Et depuis 2019, notre impétrant bénéficie donc d’un nouveau contrat à durée déterminée (c’est du moins ce que sa mère espère) de « geek à capuche », « champion du monde de la coupe de cheveux improbable » qui « essaie de survivre à l’adolescence, au réchauffement climatique et à [ses] parents frappadingues ». Un cv qui ne dira pas grand-chose des compétences du candidats, sinon qu’il baragouine un peu le Chinois, se débrouille en programmation et est plus doué pour le « codage de trucs bizarres » que pour le « rangement de [sa] chambre » ou le « vidage du lave-vaisselle », mais on s’en serait évidemment douté…

Il n’y a pas de souci à se faire naturellement pour le jeune Loulou qui a déjà reçu plusieurs offres de stages selon les médias qui ont largement relayé l’exercice potache de sa mère pleine d’humour. Il y a d’ailleurs gros à parier que d’autres parents d’élèves vont se piquer au jeu et que les DRH des entreprises sollicitées pour accueillir des élèves de 3ème en stage de découverte du mode du travail n’ont pas fini de s’amuser et de se faire passer les cv les plus drôles. D’ici à ce que la rédaction de cv devienne une épreuve obligatoire du Bac, il n’y a sans doute pas beaucoup à attendre…

L. V.

Depuis 10 ans, Carnoux se dépeuple…

8 janvier 2022

Le 20 décembre 2021, l’INSEE a publié les résultats de son dernier recensement qui correspond à l’année 2019, une nouvelle campagne de recensement étant prévue très prochainement. Ces données confirment que Carnoux continue à perdre des habitants : 6 999 en 2008, 6 754 en 2013, 6 498 en 2019. En 10 ans, Carnoux aura donc perdu 500 habitants, soit un peu plus de 7 % de sa population. Elle n’est pas la seule : Cassis a perdu, dans la même période plus de 11 % de sa population. Par contre Roquefort-la-Bédoule, Ceyreste, Aubagne ou La Ciotat se sont peuplées d’une manière significative : presque 20 % d’habitants en plus pour Roquefort-la-Bédoule !

Evolution de la population communale entre 2008 et 2019 sur Carnoux et alentours (source © Carnoux citoyenne)

Alors, évidemment, on peut s’interroger. Les raisons de fluctuations de populations sont nombreuses : construction de logements, création d’emplois, services, transports, cadre de vie, etc. Mais sur une longue période, l’insertion dans la dynamique métropolitaine, la situation géographique ou la cohérence des politiques publiques locales, jouent tout autant.

La maire de Cassis estime dans La Provence du 5 janvier que le prix du foncier, « qui a fait un bond phénoménal », et les locations de courte durée de type Airbnb, « qui privent les Cassidains de logements à l’année », expliquent en grande partie la diminution de la population. La contrainte foncière ayant d’ailleurs amené le gouvernement à l’autoriser à « baisser de 50 % de taux de logements à construire pour les trois ans à venir ». Augmentation du prix du foncier et ralentissement de la construction de logements sociaux, on voit bien quelle est la population qui est amenée à quitter Cassis : la plus pauvre, celle qui ne peut plus s’y loger…

Extrait d’un article publié par La Provence le 5 janvier 2022 (source © Carnoux citoyenne)

L’augmentation du coût du foncier, de l’immobilier et les locations Airbnb touchent également Carnoux. Les 500 habitants perdus ne pourront malheureusement pas être rattrapés par les seuls logements sociaux, récemment inaugurés et au nombre de 60, du programme Saint-Augustin…

Logements sociaux construits à Carnoux à la place de l’ancien établissement scolaire privé Saint-Augustin (source © Agence Jérôme Siame architectes)

Alors, la question qui se pose est plutôt de savoir si les « variables fondamentales » que sont l’emploi, le prix du foncier ou le pourcentage de logements sociaux, donnent une explication suffisante, ou s’il faut aller chercher au-delà. Le prix de l’immobilier est certes plus élevé à Cassis (5 380 €/m2), mais il l’est également à La Ciotat (4 300 €) ou Gémenos (4 280 €), loin devant Carnoux (3 430 €), qui est plus proche de Roquefort-la-Bédoule (3 100 €) ou de Ceyreste (3 100 €). Il n’y a donc, ici, aucune relation évidente entre le prix du foncier et l’évolution de la population.

Le pourcentage de logements sociaux est le plus faible à Gémenos (2 %) et Ceyreste (5 %), contrairement à Roquefort (11 %), Cassis (13 %) ou Carnoux (16 %), La Ciotat (17 %) ou Aubagne (24 %). Ainsi, même si les populations concernées sont différentes, l’évolution du parc de logements sociaux n’est pas vraiment sensible sur une décennie.

Enfin l’emploi n’est pas une explication décisive. Gémenos ne connaît que 9,9 % de chômage, Carnoux, Ceyreste et Cassis 11,5 %, tandis qu’Aubagne et La Ciotat sont respectivement à 14,3 et 13,7 %.

Une population vieillissante à cassis comme à Carnoux… (photo © Julio Pelaez / Le Bien Public)

Le vieillissement de la population est une facteur explicatif : Cassis et Carnoux sont, parmi les 4 villes citées, celles dont le nombre des personnes de plus de 65 ans est le plus élevé : 39,7 % pour Cassis, 31,4 % pour Carnoux à comparer à 28,1 % pour Roquefort-la-Bédoule et 29,5 % à Ceyreste. Or la densité d’occupation des logements diminue avec l’âge, notamment avec le départ des enfants.

La difficulté d’avoir un emploi pourrait être l’une des raisons de la baisse démographique, mais pas du tout. Les politiques locales, notamment de création de zones d’activités nouvelles comme à Cassis, ont été bénéfiques. Carnoux, et surtout Cassis, offrent un nombre d’emplois locaux supérieur aux autres communes. C’est donc un paradoxe : tout se passe comme si plus le nombre d’emplois locaux est fort, moins la commune est attractive ! Evidemment on ne retrouvera pas ce phénomène à Gémenos où, s’agissant d’une zone industrielle à l’origine favorisée par la défiscalisation, le nombre d’emplois offerts n’a rien à voir avec la démographie de la commune. Mais c’est le cas de Cassis et de Carnoux.

Proportion d’emploi locaux sur Carnoux et ses voisines (source © Carnoux citoyenne)

La raison en est que plus les communes se retrouvent à l’écart des flux économiques, plus elles accueillent des commerces ou des entreprises vivant du territoire sur lequel elles se trouvent. Il y a un effet « bulle ». Ces emplois sont avant tout en prise directe avec les besoins locaux et ceux qui ne travaillent pas dans ces communes ont moins de raisons de venir y habiter. Carnoux et Cassis pâtissent sur le plan démographique du fait de ne se situer vraiment ni sur l’axe Marseille-Aubagne-La Ciotat, ni sur l’axe La Ciotat-Aubagne-Aix. Le retard en matière d’offre de transports collectifs fait le reste. Ceyreste, ville dortoir de La Ciotat échappe à ce phénomène.

Ainsi, ce dernier recensement nous montre aussi les répercussions des problèmes de la mise en place poussive de la métropole. La fluidité insuffisante des échanges et l’absence de complémentarité des zones économiques, figent en quelque sorte les populations. Seules les zones à la croisée des flux voient leur population régulièrement augmenter. Les communes restées plus à l’écart, comme Cassis et Carnoux voient par contre leur population baisser recensement après recensement. Et la faiblesse structurelle des transports collectifs n’aide pas…

Pythéas

Sources :

Les Carnussiens, adeptes des déplacements en voiture

6 octobre 2020

L’INSEE PACA vient de publier en septembre 2020 des informations très intéressantes sur les déplacements domicile-travail, qui représentent 46 % de tous les déplacements dans la métropole Aix Marseille Provence.


Les principaux déplacements pendulaires dans la métropole AMP (source : Livre blanc des déplacements de la métropole / Transport Urbain)

800 Carnussiens se déplacent chaque jour à Marseille pour leur travail

Ces « navettes » domicile-travail concernent plus de 2000 Carnussiens sur les 2800 actifs répertoriés dans la commune. Environ 36 % des déplacements pour aller travailler se font à l’intérieur de la commune, 40 % avec Marseille, 18 % avec la zone d’Aubagne et 6 % avec d’autres bassins d’emplois qui ne sont pas détaillés.

Comme à Roquefort-la-Bédoule, seul un habitant sur trois exerce une activité professionnelle dans sa commune de résidence. Cassis semble bénéficier d’une économie locale plus active puisque 6 habitants actifs sur 10 y travaillent sur la commune.

Toujours selon l’INSEE, 85 % des déplacements domicile-travail se font en voiture et les déplacements Carnoux-Marseille ont augmenté en 12 ans de 10 %, que l’on retrouve bien évidemment sur les autoroutes et les transports ferroviaires.

Le PDU n’a pas fixé d’objectifs à l’inflexion de la croissance des déplacements

Le Plan de Déplacements Urbains (PDU) métropolitain ne s’est pas fixé d’objectifs pour diminuer le nombre global de déplacements, ce qui est regrettable. Il n’a établi qu’un scenario sur un rééquilibrage de la répartition des modes de transport, la voiture passant de 54 % à 45 % entre 2017 et 2030 et la pratique du vélo étant multipliée par 5 (c’est vrai que le vélo est encore peu répandu ici, si on compare aux agglomérations strasbourgeoise ou bordelaise). Ainsi la croissance de la circulation routière est estimée, sur la même période, à + 7 %, ce qui correspond à la croissance démographique attendue puisque le nombre de déplacements par personne restera stable (3,5 par jour).

Evolution prévisionnelle des modalités de déplacement dans le territoire métropolitain entre 2017 et 2030 selon le projet de PDU

 Limiter les déplacements subis et mutualiser ceux qui peuvent l’être

Il est pourtant indispensable de commencer à limiter les déplacements subis et mutualiser ceux qui peuvent l’être. L’espace et la durée des déplacements journaliers ne peuvent croître indéfiniment. Quelques pistes ont été souvent avancées :

  • offre de logements public ou privé en meilleure adéquation avec les zones d’activité
  • facilité de recrutement des conjoints sur une même zone économique
  • limitation de l’étalement urbain
  • recours plus important aux transmissions haut débit (consultations diverses, télétravail, …)
  • plans de mobilité d’entreprises
  • limitation par la règlementation du recours au travail fractionné (ex: 2h le matin, 3h le soir)
  • développement des services publics sur les lieux de travail
  • crèches et conciergeries sur les lieux de travail
  • covoiturage
  • pedibus pour se rendre à l’école
  • livraisons groupées à domicile
Les bouchons sur l’autoroute entre Aubagne et Marseille, le lot quotidien de nombreux Carnussiens allant travailler en voiture (photo © Philippe Laurenson / La Provence)

Car la rupture passe aussi bien par la diminution des déplacements subis journaliers que par la seule diminution du tout automobile. Nous plaidons pour un accompagnement du PDU par des politiques publiques et d’entreprises qui aillent bien au-delà du simple volet des déplacements et des transports. Dans la métropole Aix-Marseille, comme ailleurs, l’aménagement du territoire, les conditions de travail et l’aide à l’émergence de nouveaux comportements sociaux sont la clé d’une véritable mobilité durable.

Jacques Boulesteix – Conseiller municipal de Carnoux

Ce texte est extrait du site Carnoux Citoyenne qui permet à chaque habitant de dialoguer avec les deux élus de la liste Carnoux citoyenne, écologique et solidaire et de suivre leur action au sein du Conseil municipal de Carnoux-en-Provence

CEM : une écologie brute de décoffrage…

4 octobre 2020

Les blasés et les conservateurs vont s’en donner à cœur joie ! Tous les contempteurs viscéraux de l’écologiste chevelu, héritier du mouvement hippie et grand défenseur des petites fleurs et des oiseaux, ne manqueront sans doute pas de ricaner en découvrant la photo d’accueil qui orne le site des Chantiers écologistes massifs : on y voit un groupe de jeunes gens hilares et poing levé, brandissant vers le ciel leur pelle de camping au milieu de nulle part, perdus sur un talus herbeux et embrumé, le tout souligné d’un slogan à l’humour ravageur : « Prends ta pelle et viens on CEM »…

Il ne s’agit pas bien évidemment pas d’un appel à l’amour libre façon Woodstock même si l’image y fait inévitablement songer. Pas question de se rouler une pelle en toute liberté mais bien de se retrousser les manches et de travailler ensemble, au service, ni plus ni moins, « de la Sécurité alimentaire nationale » dans le cadre d’un chantier écologique massif, un CEM donc dans la novlangue adéquate, pour laquelle est fourni tout un lexique pour permettre au béotien de comprendre ce dont il s’agit.

On y découvre ainsi qu’un CEMeur est un « volontaire engagé sur un CEM » comme son nom l’indique, qu’une CEMence est « un collectif citoyen qui organise un CEM », il suffisait d’y penser, qu’une abeille est quelqu’un qui « fait connaître les CEM et mobilise les troupes », tandis qu’une fourmi est « pilote d’une équipe sur le CEM » et qu’un ambassadeur est le « référent territorial pour la dynamisation des CEM ». Et au passage qu’Etika Mondo est l’association porteuse du programme.

Chantier école sur l’écolieu d’Etika Mondo dans les Cévennes (source © Etika Mondo)

Un coup d’œil sur le site de cette structure et sur sa page Facebook permet d’apprendre que l’association a été créée par deux passionnés d’écologie et de permaculture, Boris Aubligine et Émilie Doom, qui ont acquis en 2018 un domaine agricole en déshérence de 56 ha, perdu dans les collines cévenoles, sur le territoire communal du Vigan (Gard) pour le transformer en « écolieu » et y instaurer un « Éco-hameau du futur ». Depuis 2019, ils y accueillent chaque été des stagiaires en grand nombre venus se ressourcer dans la nature sauvage du Parc National des Cévennes et s’adonner pendant 5 jours à des travaux manuels pour remonter les murets en pierres sèches des anciennes restanques, restaurer à l’ancienne les bâtiments en ruine du domaine, construire des toilettes sèches ou encore cultiver le potager en permaculture.

Une expérience qui attire manifestement de nombreux citadins en mal de lien avec la nature et désireux de retrouver, à l’occasion d’une petite semaine de vacances et dans une ambiance ultra conviviale, l’impression de sortir de la société de consommation et de retrouver un rythme et une ambiance plus rurale et plus en accord avec les valeurs de respect de l’environnement.

Un succès qui amène à voir les choses en grand et à engager ces fameux chantiers écologiques massifs dont le principe consiste à rassembler sur un même lieu plusieurs centaines de bénévoles afin d’utiliser cette énorme force de travail pour aménager en quelques jours une bonne partie de l’infrastructure nécessaire pour aménager une « ferme écologique de proximité ». Une idée d’autant plus lumineuse qu’elle s’est télescopée, lors de son lancement début 2020, avec la crise sanitaire du Covid-19, à l’occasion de laquelle les autorités ont elles-mêmes lancé un appel à toutes les bonnes volontés citadines et plus ou moins désœuvrées, confinement oblige, pour venir prêter main forte aux agriculteurs privés de main d’œuvre saisonnière.

On sait que cette initiative n’a pas rencontré le succès escompté et que la plupart des agriculteurs qui en ont bénéficié ont vite compris qu’il ne fallait pas trop compter sur cette main d’œuvre citadine et bénévole, pleine de bonne volonté mais vite lassée et fortement sujette aux ampoules et aux lumbagos, pour venir ramasser les fraises ou les haricots en plein champ. Mais les initiateurs d’Etika Mondo restent pourtant convaincus que c’est de là que viendra le salut de l’agriculture nationale et surtout la garantie de notre subsistance alimentaire.

Selon eux en effet, l’heure est grave et la « rupture alimentaire est imminente ». Persuadés que les prix du pétrole sont sur le point de s’envoler à plus de 200 dollars le baril, ils en déduisent que dans un futur très proche tous les tracteurs seront à l’arrêt, les magasins en rupture totale d’alimentation faute de transport et que seul une agriculture d’autosubsistance de proximité permettra de sauver le pays d’une famine inéluctable. Il faut donc sonner la mobilisation générale et envoyer tous les citadins travailler bénévolement dans les champs, un peu comme Mao Zedong l’avait instauré à partir de 1968 dans la Chine communiste, mais pour des raisons idéologiques très différentes.


Volontaires travaillant sur le site du Champ de la Garde à Nanterre le 7 juin 2020 (photo © Florence Hubin / Le Parisien)

Le mouvement reconnaît certes qu’il faut compter quatre bénévoles citadins pour faire le travail d’un salarié agricole expérimenté mais passe quelque peu sous silence le fait que les travaux des champs, bien que fortement saisonniers, demandent malgré tout un investissement dans la durée et pas seulement un gros coup de collier pendant quelques jours par an. Il s’interroge au passage sur le fait que la législation française ne permet pas (encore) de recourir à la force de travail bénévole pour une activité de production dont le but lucratif ne peut être totalement ignoré, sans même aborder la question de la protection sociale de ces travailleurs bénévoles occasionnels exposé comme tout un chacun à des accidents du travail.


Travaux dans les champs dans une AMAP en région parisienne (source © AMAP des Volontaires)

La démarche est assurément fort sympathique et ne manquera pas de rencontrer un assentiment naturel au sein d’une partie de la population citadine, comme le montre le succès du concept de CEM plébiscité par un vote participatif organisé par la Région Occitanie. L’idée de développer sur l’ensemble du territoire national un maillage de fermes pratiquant l’agriculture biologique, la protection de la biodiversité et le respect de leur environnement, ne peut bien évidemment qu’être encouragée au vu de la crise dans laquelle se débat l’agriculture intensive et l’impact écologique très négatif de cette filière depuis les années 1960. Le fait même de rapprocher citadins et agriculteurs et de développer un lien plus court et plus direct « de la fourche à la fourchette » répond à un réel besoin comme en témoigne le succès récent des Associations de maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) ou des jardins partagés comme à Carnoux.


Bénévoles en cours d’aménagement du jardin collectif de Carnoux en octobre 2017 (source © Un jardin se crée à Carnoux)

Pour autant, l’agriculture reste une activité qui exige un minimum de professionnalisme et les exploitations agricoles, pour être durables et même si elles s’inscrivent dans un mouvement vertueux de moindre impact écologique, doivent s’insérer dans un modèle économique dans lequel la force de travail mérite d’être justement récompensée par le fruit des récoltes. Si l’agriculture française connaît une telle crise actuelle, avec une diminution toujours croissante du nombre d’exploitations, des surfaces cultivées et du nombre d’actifs employés, ce n’est pas parce qu’elle manque de bras mais c’est avant tout parce que l’organisation des marchés, soumis à la mondialisation et au diktat de la grande distribution, ne permet plus à l’activité d’être rémunératrice tout en étant respectueuse de l’environnement. Les exploitations qui se développent en agriculture biologique ont sans doute davantage besoin de débouchés rémunérateurs et stables que d’une main d’œuvre bénévole volatile et inexpérimentée…

L. V.

Port-Miou, le château restauré à neuf

29 septembre 2020

Entrée de la calanque de Port-Miou le long de la Presqu’île (source © JCF Boat)

La calanque de Port-Miou, la plus à l’Est du massif des Calanques, est en fait la seule calanque du massif qui se situe non pas sur le territoire marseillais mais sur celui de sa voisine Cassis. Formant un abri naturel idéal sous forme d’un long bassin étroit de 1,4 km de longueur dont l’entrée est largement protégée par le promontoire que constitue la Presqu’île, cette calanque a servi de tout temps de port. D’où son nom d’ailleurs, qui viendrait, paraît-il du latin Portum Melior, autrement dit le meilleur port, bien meilleur en tout cas que celui de Cassis même, qui, au XVIIe siècle, était tellement mal entretenu que les navires préféraient aller se charger dans la calanque voisine où les galères royales avaient aussi habitude de faire escale.

La calanque de Port-Miou et ses rangées de bateaux de plaisance (source © Sun plaisance Location)

Vers 1630 y est installée une madrague, autrement dit un filet fixe de grandes dimensions, qui servait alors pour la pêche côtière au thon. A partir de 1720, l’exploitation des carrières destinées à extraire la pierre de Cassis commence à se développer dans le secteur. Ce calcaire urgonien dur et compact, renfermant de nombreux moules de rudistes et qui forme une bonne partie des falaises du massif est alors très prisé pour la construction en pièce de taille. Ce matériau servira notamment pour l’édification du phare de Cassis ou celui du Planier à Marseille, mais aussi pour une partie des quais d’Alexandrie et la voûte du tunnel du Rove. En revanche, la légende selon laquelle le socle de la statue de la Liberté à New-York serait en pierre de Cassis est bien entendu une pure galéjade…

Vestige des trémies de chargement à la Pointe de Cacau, Cassis (source © Mapio)

A Port-Miou toutefois, l’exploitation de pierres de tailles est restée assez modeste. Des trémies de chargement de blocs de pierre y ont bien été construits vers 1850 mais c’est à partir de 1895 que le site connaît un début d’exploitation industrielle majeure avec l’arrivée du groupe belge Solvay qui se porte acquéreur de toute la rive nord de la calanque. Alors en pleine guerre économique avec les soudières locales fonctionnant selon le procédé inventé en 1791 par le chimiste français Nicolas Leblanc, le Belge Ernest Solvay, inventeur en 1860 d’un procédé concurrent de fabrication de la soude à l’ammoniac visait le marché florissant des savonneries de Marseille, mais aussi l’exportation vers les savonneries espagnoles et italiennes. Il construit une usine à Salin-de-Giraud, à proximité de celle de son concurrent Péchiney et il démarre à Port-Miou, à partir de 1907, l’exploitation du calcaire.

Manifestation contre la carrière Solvay de Port-Miou en 1910 (source © Cassis Forum)

A l’époque, le carbonate de calcium extrait à Cassis était concassé sur place puis chargé via une trémie dans des chalands qui transportaient les blocs jusqu’à l’usine de Salin-de-Giraud. Après mélange, en présence d’ammoniac, au chlorure de sodium extrait localement dans les salines de Camargue, le procédé permet d’obtenir du bicarbonate de sodium puis, après chauffage, de la soude. Cette technique, qui est toujours utilisée de nos jours, est moins polluante que le procédé Leblanc, d’autant qu’elle permet de recycler l’ammoniac et d’obtenir comme sous-produit du chlorure de calcium utilisé comme sel de déneigement.

Malgré son avantage technique, le baron Solvay se heurte néanmoins à une forte opposition locale avec même, le 13 mars 1910, une manifestation rassemblant 3000 personnes, défenseurs de l’environnement avant l’heure, l’accusant de venir saccager la beauté de ce site naturel préservé. Cela n’empêcha pas Solvay d’extraire bon an mal an, de l’ordre de 80 000 puis, mécanisation aidant, 100 000 tonnes de calcaire par an et ceci jusqu’en fin 1982. A partir de 1975 en effet, la municipalité alors dirigée par Gilbert Rastoin, fait pression pour que cesse l’exploitation jugée gênante pour les activités touristiques en plein essor.

Photo d’archive du château de Port Miou (source © Fondation du Patrimoine)

La rive nord de la calanque, qui sert de passage à des centaines de milliers de randonneurs chaque année, se rendant vers la calanque voisine de Port Pin ou vers celle d’En Vau, appartient toujours à Solvay. Mais, l’issue de longues batailles juridiques et d’une expropriation, la Ville de Cassis a finalement racheté en 2010 la vieille bâtisse qui s’y trouve et que l’on appelle localement « château » du fait de sa tour carrée arrogante. Édifié en 1810 par un ancien marquis cassidain, paraît-il dans le but d’y loger sa maîtresse, le bâtiment a longtemps servi à abriter la douzaine d’ouvriers en charge de l’exploitation de la carrière. Fortement dégradé au fil du temps, le bâtiment menaçait ruine, même s’il servait encore d’annexe à la capitainerie du port de plaisance qu’est devenue la calanque de Port-Miou avec ses 455 anneaux.

Le château avant les travaux de restauration (source © Fondation du Patrimoine)

En mai 2017, des travaux de restauration de cet étrange édifice ont donc été engagé, pilotés par Acta Vista, une association qui développe depuis 2002 des chantiers d’insertion et de formation qualifiante aux métiers du patrimoine, dédiés aux personnes les plus éloignées de l’emploi. Le projet de restauration a duré 3 ans et vient tout juste de s’achever, permettant à l’ancien château de Port-Miou de retrouver tout son éclat.

Le rez-de-chaussée du bâtiment continuera à être utilisé comme annexe de la capitainerie tandis que le premier étage entre les bureau administratifs de la capitainerie et des locaux pour différentes associations environnementales œuvrant sur place. Le deuxième étage quant à lui constituera la première maison du parc car le Parc National des Calanques, pourtant créé en 2012, n’en est toujours pas pourvu.

Travaux de rénovation du toit de la tour (source © Acta Vista)

Le coût global du chantier s’est élevé à 2, 3 millions d’euros selon TPBM, financé largement par de multiples fondations d’entreprises ainsi que la Fondation du Patrimoine qui a royalement apporté 9 000 €. Une quarantaine de salariés en formation s’est investi sur le chantier dans le cadre d’une formation qualifiante. Les deux premières années, le groupe encadré par un maçon tailleurs de pierre et un accompagnateur socio-professionnel, s’est chargé de la maçonnerie et du gros œuvre avant de s’attaquer en troisième année aux aménagement intérieur tandis que d’autres groupes se formaient sur la menuiserie et la métallerie.

Vue du château de Port Miou restauré (source © Acta Vista)

Les deux niveaux inférieurs ont été entièrement rénovés ainsi que les façades, la maçonnerie extérieure, la toiture, les portes et fenêtres, mais aussi les planchers et les ouvrages annexes. Un vrai coup de neuf donc pour le château de Port-Miou, et un beau coup de pouce pour ces stagiaires devenus de vrais professionnels à l’issue de ce chantier mené qui plus est dans un cadre idyllique !

L. V.

Alinéa : la famille Auchan sauve les meubles

18 septembre 2020

Un dessin signé du dessinateur JM (source © Actu en dessin)

C’est le quotidien régional La Provence qui a lâché l’information le vendredi 15 mai 2020 : l’enseigne Alinéa est en faillite ! Créée en 1989 à Avignon, pour tenter de concurrencer la toute puissance mondiale du géant suédois de l’ameublement Ikéa, cette enseigne se présente sur son site comme une marque française de décoration d’intérieur aux accents méditerranéen. Un positionnement stratégique qui mise donc sur la fibre patriotique des clients, lassés de commander des meubles en kit aux noms imprononçables et qui préfère acheter des assiettes ornées de feuilles d’olivier plutôt que de têtes de rennes.

Alexis Mulliez, le patron de l’enseigne Alinéa (photo © Gabriel Noé / Le Figaro)

L’affaire était plutôt bien partie puisque dès 1996, Alinéa ouvrait un second magasin à Montpellier et qu’en 2015, la firme pouvait enorgueillir d’un chiffre d’affaire de 520 millions d’euros avec 26 magasins répartis dans toute la France. En avril 2017 cependant, le rapport du groupe Auchan, fait état de 176 millions d’euros de pertes cumulées depuis 2012, ce qui n’est pas très rassurant pour une enseigne dont le directeur n’est autre qu’Alexis Mulliez et les actionnaires l’Association familiale Mulliez, celle-là même qui est aux manettes de la galaxie Auchan et ses innombrables marques commerciales qui envahissent toutes les entrées de villes françaises. Clasée 6e fortune de France en 2020 par le magazine Challenge, la famille Mulliez serait à la tête d’une fortune professionnelle estimée à 26 milliards d’euros, une paille…

En octobre 2017, une nouvelle société avait été créée, toujours dirigée par Alexis Mulliez et dont le siège social est désormais implanté à Aubagne, dans la zone des Paluds, à proximité des autres enseignes du groupe (Auchan, Norauto, Décathlon, Leroy-Merlin, Flunch, Jules, Kiabi, Boulanger, etc.) et sur des terrains détenus par la foncière Immochan : ici, le commerce se fait en famille… L’objectif de cette nouvelle société était d’ailleurs clairement de sortir Alinéa et ses pertes abyssales du groupe Auchan, même si l’association familiale reste actionnaire à 100 % d’Alinéa qui compte désormais 30 magasins (dont 4 en franchise) et près de 2000 salariés, dont 250 sur le site d’Aubagne.

Magasin Alinéa d’Aubagne (source © Alinéa)

Du coup, le chemin vers la faillite annoncée était tout tracé. Les raisons invoquées lors du dépôt de bilan étaient bien sûr conjoncturelles, liées à la crise des gilets jaunes, aux mouvements de grèves occasionnés par la réforme des retraites, et bien entendu à la crise sanitaire qui avait obligé l’enseigne à fermer momentanément ses magasins pour les transformer en drive.

C’est donc le tribunal de commerce de Marseille qui a placé Alinéa en redressement judiciaire, le 13 mai dernier. Une audience s’est tenue le 31 août dernier au cours de laquelle, selon les informations recueillies par Marsactu, ont été listées les quelques 80 sociétés qui tentent de se faire payer leur dû, parmi lesquelles de grosses entreprises comme Onet ou Véolia mais aussi la SACEM qui réclame le versement des droits pour la diffusion de musiques d’ambiance dans les magasins du groupe…

Toujours est-il que le tribunal n’a eu à examiner qu’une seule et unique offre de reprise, laquelle se propose de céder 17 des 26 magasins détenus en propre, n’en conservant donc que 9 et de licencier au moins 1000 salariés, soit plus de la moitié des effectifs. Une offre, validée par le jugement rendu le 14 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Marseille, qui ressemble donc beaucoup à une liquidation déguisée, et qui émane tout simplement des dirigeants actuels d’Alinéa, soit Alexis Mulliez en personne et son association familiale richissime. Un beau tour de passe-passe pour ces derniers qui, grâce à ce coup de maître, effacent la totalité de leurs dettes auprès de leurs fournisseurs mais aussi de l’État et des organismes sociaux, tout en virant une bonne partie de leur personnel et en fermant tous les sites peu rentables.

Un magasin Alinéa en grève près de Troyes, fin juillet 2020, pour protester contre sa fermeture annoncée (source © L’Est éclair)

Mais que l’on se rassure, ceci n’a rien à voir avec une faillite frauduleuse comme certains mauvais esprits pourraient le laisser entendre. Tout ceci est en effet parfaitement légal, par la grâce d’un décret très opportuniste, publié le 20 mai 2020 dans le contexte de la crise économique consécutive à la période de confinement : ce texte autorise en effet explicitement les propriétaires d’une société à la reprendre eux-même après un dépôt de bilan qui leur permet d’effacer toutes les dettes non remboursées, une solution qui était jusque-là laissée à la discrétion du juge et pour des cas très particuliers.

La famille Mulliez réussit donc un coup de maître en se débarrassant ainsi à moindres frais d’une enseigne qui perdait structurellement de l’argent depuis des années, tout en restant aux manettes… Une situation qui suscite d’autant plus d’interrogations que fin 2017, alors que la situation commençait à se dégrader sérieusement, Alinéa avait fait le choix étrange de céder les murs de la plupart de ses magasins à une société immobilière ad hoc, Aline Immo, laquelle appartient bien entendu à 100 % à la famille Mulliez. Du coup, depuis cette date, les charges d’Alinéa ont augmenté dans des proportions conséquentes. L’enseigne verse désormais un loyer élevé, de l’ordre de 13 millions d’euros par an selon Libération, ce qui assèche sa trésorerie et plombe ses coûts fixes, tout en fragilisant la structure puisqu’elle ne bénéficie plus de ce patrimoine immobilier comme garantie potentielle, alors que sa valeur était tout de même estimée à 150 millions d’euros.

Un magasin Alinéa dans la banlieue de Rennes, le 18 août 2020 (photo © Damien Meyer / AFP / Le Monde)

Une situation assez inédite donc et pas très rassurante pour les employés d’Alinéa qui s’en sortent nettement moins bien que leurs patrons. Une mauvaise nouvelle aussi pour la collectivité qui va devoir payer près de 22 millions d’euros pour le licenciement des 1000 salariés, une somme qui sera à la charge de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS). Mais ni le maire d’Aubagne, Gérard Gazay, ni le député Bernard Deflesselles, ne semblent pour l’instant avoir réagi sur ce dossier qui concerne pourtant directement leur périmètre… Business as usual !

L. V. 

A Carnoux, des huîtres en or…

14 mars 2020

Carnoux n’est pas si éloignée de la Méditerranée. Mais c’est de l’étang de Thau, dans l’Hérault, que viennent les huîtres et les moules que chacun peut y déguster. Depuis plusieurs années, en effet, les Carnussiens ont la chance de pouvoir s’approvisionner en huîtres toutes fraîches apportées à domicile par un conchyliculteur installé à Mèze, en bordure de l’étang de Thau et vendues directement du producteur au consommateur : un modèle de circuit court qui évite tout intermédiaire, limite au strict minimum les impacts environnementaux et garantit à la fois une juste rémunération du producteur et un prix très abordable pour le consommateur. A se demander même pourquoi on a inventé les supermarchés alors que les circuits courts de commercialisation sont si avantageux pour tout le monde !

Le stand ambulant de MC Coquillage (source © Facebook / MC Coquillage)

Et, cerise sur le gâteau, voilà que les huîtres de MC Coquillage, vendues chaque semaine à Carnoux du côté du Moulin des Calanques, peuvent désormais s’enorgueillir d’une médaille d’or recueillie début 2020 lors du Concours général agricole organisé à Paris par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Une belle consécration affichée sur le stand de MC Coquillages à Carnoux (photo © JB/CPC)

Cette manifestation festive, qui vient de fêter ses 150 ans puisqu’elle est organisée chaque année depuis 1870, malgré quelques interruptions, en marge du Salon de l’Agriculture, récompense chaque année les meilleurs produits agricoles du terroir. Cette année, ce sont pas moins de 82 produits issus de l’aquaculture qui ont ainsi été primés lors du Concours général agricole, parmi lesquels 6 seulement issus du bassin méditerranéen, dont les fameuses huîtres creuses produites par MC Coquillage, celles-là mêmes que l’on peut acheter à Carnoux en vente directe !

Les huîtres MC Coquillages primées à Paris (source © Concours général agricole)

En Méditerranée, l’essentiel de la production d’huîtres et de moules provient précisément de l’étang de Thau, cette vaste lagune maritime de 7500 hectares, séparée du Golfe du Lion par un cordon littoral sableux qui relie le Mont Saint-Loup au sud, un ancien complexe volcanique situé près d’Agde, au Mont Saint-Clair, au nord, près de la ville portuaire de Sète. Ce site a toujours été favorable pour la récolte puis l’élevage des huîtres. Les fouilles archéologiques effectuées sur la villa gallo-romaine de Loupian et près des rives de l’étang attestent que les Romains, qui adoraient les huîtres (uniquement plates à l’époque) y avaient déjà développé les prémisses d’une activité ostréicole structurée.

La culture des moules y serait apparue plus tard, entre le IV et le Vème siècle, mais il a fallu attendre la seconde moitié du XIXème siècle pour que se développe une conchyliculture plus industrielle, les huîtres étant alors élevées sur des radeaux flottants installés dans les canaux de Sète. La pollution des eaux a ensuite obligé les élevages d’huîtres à se reporter sur des sites moins urbanisés, concentrés désormais au large de Bouzigues et de Mèze, dans la partie nord de l’étang.

C’est en 1925 qu’un entrepreneur en maçonnerie a eu l’idée de remplacer les radeaux flottants par des structures pyramidales immergées en béton, sur lesquelles les coquilles d’huîtres sont collées à l’aide d’un mortier de ciment. Ces structures ont ensuite été remplacées par des pieux en bois de palétuvier,faiblement putrescibles, puis, depuis une trentaine d’années, par des cordages synthétique en nylon, sur lesquels on continue à coller les jeunes huîtres.

Les tables sur l’étang de Thau (source © Facebook / MC Coquillage)

En 1970, pour mettre un peu d’ordre dans les élevages conchylicoles qui avaient tendance à se multiplier de manière totalement anarchique, un remembrement a été organisé. Depuis lors, le nombre des concessions est figé, organisé en 2750 « tables » de dimensions standardisées 12 x 50 m, couvrant au total une superficie de 352 ha. Chacune de ces tables est constituée de 33 pieux entre lesquels sont tendues entre 1000 et 1200 cordes servant de supports aux huîtres. Le tout permet de produire chaque année près de 13 000 tonnes d’huîtres et d’employer environ 2000 personnes, un gros enjeu économique local.

Une table avec ses huîtres sur cordes dans l’étang de Thau (photo © Christophe Fortin / Midi Libre)

Ce dispositif bloque du coup toute nouvelle installation, les exploitations étant reprises souvent au sein de la famille. De fait, la plupart des quelques 150 exploitations de Mèze sont de petites structures familiales où il s’agit d’être fortement polyvalent puisque le conchyliculteur doit maîtriser à la fois les techniques d’élevage, l’entretien des tables, mais aussi les normes sanitaires et environnementales, de plus en plus sévères, ainsi bien sûr que la préparation et la commercialisation de ses produits…

Du fait du développement de l’urbanisation autour de l’étang, les producteurs sont en effet confrontés depuis plus de 30 ans à des crises sanitaires périodiques. Une première interdiction de consommation a frappé le secteur fin 1989 et d’autres se sont succédé depuis. La dernière en date a pris fin le 20 janvier 2020, suite à un constat de présence de germes pathogènes constaté en décembre précédent.

L’étang de Thau, vaste lagune méditerranéenne (source © Syndicat mixte du Bassin de Thau)

De gros efforts ont été fait ces dernières années précisément pour améliorer le traitement des eaux usées et des rejets industriels tout autour de l’étang de Thau, afin de réduire ces risques de pollution accidentels ou saisonniers. Plusieurs contrats de lagune ont été mis en œuvre, ainsi qu’un contrat de gestion intégré du territoire, porté par le Syndicat mixte du bassin de Thau, et qui a permis d’engager plus de 500 millions d’euros d’investissement entre 2012 et 2018.

Associant pas moins de 11 partenaires, ce contrat a permis d’engager une gestion plus équilibrée de la ressource en eau et une meilleure préservation de la qualité de l’eau et du milieu aquatique, dans le cadre d’une gouvernance où se retrouvent aussi bien l’État que les collectivités locales, aux côtés de l’Agence de l’Eau mais aussi de la Prud’hommie de l’étang de Thau ou du Comité régional conchylicole de Méditerranée. Un bel exemple d’action concertée pour laquelle enjeux économiques et environnementaux se rejoignent…

L. V.

Duel d’artillerie lourde à Carnoux…

8 février 2020

Il y a encore quelques mois, tout le monde annonçait une campagne municipale terne, sur fond de découragement des élus qui, à en croire les médias, étaient tous sur le point de jeter l’éponge, et de démobilisation des citoyens, gagnés par l’apathie et tentés par l’abstention. Mais à un peu plus d’un mois du premier tour, il n’en est rien ! Voilà qu’à Carnoux, la campagne a pris des allures d’affrontement sanglant..

C’est Gilles Di Rosa qui a déclenché l’offensive dès le mois d’octobre 2019, alors que le maire sortant, Jean-Pierre Giorgi, élu sans discontinuer au conseil municipal depuis 37 ans, avait annoncé dès le mois de janvier, sa volonté de briguer un quatrième mandat de maire. Les tracts distribués, semaine après semaine, par l’équipe de Gilles Di Rosa, ont peu à peu instillé leur venin… C’est d’abord le rond-point des Barles qui a été pointé du doigt : une dépense somptuaire à 70 000 €, présentée comme un « gaspillage de l’argent public ». Puis c’est le placement financier de 200 000 €, immobilisé depuis 2014 sous forme de parts sociales dans un établissement bancaire, qui a été mis en cause. Et c’est enfin le crédit quasi gratuit de 800 000 € accordé par la commune fin 2013 au diocèse de Marseille en toute illégalité, afin de permettre à ce dernier de réaliser à bon compte la reconstruction du collège privé Saint-Augustin, une opération qui avait fait l’objet de vertes critiques de la part de la Chambre régionale des comptes.

Attaqué sur son terrain favori de la gestion financière des deniers publics, le sang du maire sortant n’a fait qu’un tour. Et le voici donc qui diffuse dans toutes les boîtes aux lettres de la ville un tract incendiaire où on le voit, les manches retroussées et les bras croisés dans une allure de défi, répondre pied à pied à son adversaire animé d’une « véritable ambition » comme le rappellent chacun de ses tracts de campagne.

Et c’est carrément l’artillerie lourde qui est employée pour répondre aux tirs de snipers de la liste adverse. A ce niveau-là, les cibles mineures comme le rond-point et son olivier centenaire, sont négligées : trop petit pour la Grosse Bertha avec laquelle le maire sortant pilonne le camp adverse… Les arguments manquent un peu de précision, mais l’essentiel est d’impressionner l’adversaire !

Le fond du problème est que la commune a trop d’argent et dégage année après année un excédent budgétaire important : 520 000 € en 2017 et quasiment 1,2 millions en 2018 ! La commune a beau s’efforcer de réaliser des dépenses somptuaires, du rond-point de l’olivier à l’hôtel de ville quelque peu disproportionné en passant par l’enfouissement des lignes électriques, comme la quasi totalité des investissements est subventionnée, parfois jusqu’à 70 %, par le Conseil départemental, il reste toujours trop d’argent en fin d’exercice et c’est ce qui explique ces placements financiers et ces prêts quelques peu inhabituels et normalement interdits dans une commune pour laquelle l’annuité du budget est un principe de base.

Le collège Saint-Augustin à Carnoux (source site du collège)

Sur la question du crédit de 800 000 € accordé au diocèse pour la reconstruction du collège Saint-Augustin, l’argument mis en avant par le maire est tout simplement effarant, surtout venant de la part d’un spécialiste en finances publiques. Il reconnaît bien volontiers, comme l’a expressément écrit la Chambre régionale des comptes que se décision était parfaitement illégale, ce qui est un peu surprenant de la part de celui qui, de par sa fonction même de représentant de l’État et d’officier de police judiciaire, est garant de la légalité des décisions de la collectivité. Mais il estime que c’était faute vénielle car elle est restée exceptionnelle. C’est comme si un malfrat se targuait de son honnêteté en plaidant : « oui, j’ai braqué une banque, mais je ne l’ai fait qu’une fois, et en plus je n’ai même pas été condamné… »

Ces échanges nourris de tirs d’artillerie entre deux listes que seules séparent des ambitions personnelles (rappelons quand même au passage que Gilles Di Rosa était l’adjoint de Jean-Pierre Giorgi de 2001 à 2008 et qu’il a été élu sur sa même liste en 2008, même si son élection a été ensuite invalidée) transforment depuis quelques semaines déjà la place du marché en champ de bataille où les deux équipes au complet s’affrontent sous l’œil amusé des quelques Carnussiens qui viennent y faire leurs courses.

Article publié dans La Provence le 6 février 2020

Pendant ce temps et loin de ces batailles d’ego d’un autre temps, la liste Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire trace pas à pas son sillon en mettant en avant des thématiques qui touchent à la vie quotidienne des Carnussiens dans un monde mouvant et soumis à des défis majeurs tels que le changement climatique global, la montée des inégalités sociales ou la transition énergétique. Comment mieux associer chaque citoyen aux choix d’investissement via la mise en place de budgets participatifs ? Comment mieux faire face collectivement aux défis d’une métropole en pleine construction et qui n’a guère fait preuve d’efficacité jusqu’à présent alors que c’est à son échelle que doivent être gérés le développement d’une activité économique innovante, le rééquilibrage des offres de logement accessibles à tous, la mise en place de transports publics performants, le maintien d’un maillage adapté de services publics accessibles, mais aussi la gestion des ressources en eau, la prévention des risques naturels et technologiques, la préservation des espaces naturels et agricoles ou encore la lutte contre les pollutions ?

Toutes ces thématiques et bien d’autres encore font l’objet d’analyses et de propositions concrètes, détaillées sur le site internet de la liste. Elles ont été largement abordées lors d’une réunion publique qui s’est tenue à la Crémaillère, mardi 4 février 2020 et qui a rassemblé une soixantaine de Carnussiens avides de donner leurs avis et d’émettre des propositions concrètes : comment développer le réseau de pistes cyclables à Carnoux ? Comment mettre en place un dispositif de pedibus pour accompagner les enfants à l’école communale ? Comment rendre plus accessibles les équipements culturels et sportifs de qualité dont dispose la commune et qui sont largement sous-utilisés ? Comment encourager et accompagner les initiatives individuelles d’isolation thermique des maisons et de mise en place de panneaux solaires pour l’eau chaude sanitaire et la production électrique ? Comment mieux évaluer le niveau de pollution de l’air du fait des flux incessant de voitures qui traversent la ville et surtout comment réduire cette circulation ? Comment développer les espaces verts et lutter contre les îlots de chaleur en ville ?

Réunion publique de la liste Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire à la Crémaillère, le 4 février 2020 (source © CPC)

Autant de questions qui passionnent nombre de Carnussiens, intéressés par cette démarche citoyenne un peu à rebours des querelles de politiciens semi-professionnels qui se disent bon gestionnaires parce qu’ils savent faire des dossiers de demande de subvention et des placements financiers. Gérer une commune est bien plus que cela : c’est aussi associer les habitants aux décisions pour créer du consensus et du lien social afin d’anticiper sur les défis qui nous attendent collectivement et trouver ensemble les meilleures voies pour y faire face…

L. V.

Notre système de retraite ne va pas si mal, merci !

11 décembre 2019

On entend souvent en ce moment, de la part du gouvernement mais aussi des milieux patronaux et de certains économistes l’affirmation péremptoire selon laquelle notre système de retraite français serait au bord du gouffre et que la réforme annoncée serait indispensable pour sauver le dispositif qui sinon risque l’explosion à court terme. Une analyse pour le moins catastrophiste destinée à faire accepter de nouveaux sacrifices pour les futurs retraités menacés de devoir travailler toujours plus longtemps pour des niveaux de pension espérée toujours plus faibles.

Un dessin signé Deligne (source © Urtikan.net)

Pourtant, une vision aussi pessimiste semble pour le moins exagérée si l’on en croit un article de Guillaume Duval publié tout récemment par le magazine Alternatives économiques, lequel s’appuie sur le rapport rendu public en novembre 2019 par le Conseil d’orientation des retraites (COR).

Tout d’abord et contrairement au discours ambiant, le déficit actuel de notre système de retraite, loin de se creuser de manière irrémédiable comme certains voudraient le laisser croire, est plutôt en train de se résorber et les projections sur les prochaines années n’ont rien d’inquiétant. C’est la crise financière de 2008 et le ralentissement de l’activité économique qui s’en est suivi qui ont vraiment creusé le déficit. Ce dernier a ainsi atteint 6 % en 2010, la part des cotisations sociales (payées par les salariés et leurs employeurs, et donc fortement dépendante du niveau de l’activité économique du pays) étant alors tombée à son plus bas niveau (77 % des recettes globales). Depuis, la part des cotisations sociales est remontée et le niveau actuel de définit s’est considérablement réduit, autour de 1 %, un niveau marginal qui n’a donc rien de préoccupant.

Evolution du financement du système de retraite français (y compris Fonds de solidarité vieillesse) en pourcentage des dépenses (source infographie © Alternatives économiques)

La question est néanmoins de savoir ce que va devenir ce déficit dans les années à venir, et c’est justement l’objet de l’étude prospective conduite par le COR à la demande de l’État et qui vient donc d’être publiée. Or, les conclusions du COR sont plutôt rassurantes, puisque la part des retraites dans la richesse nationale, qui représente actuellement de l’ordre de 13,8 % du PIB, ne devrait guère bouger dans les 10 à 15 prochaines années. Le COR est formel : l’augmentation prévisible des dépenses de retraites dû au vieillissement de la population sera compensée par l’évolution des pensions qui est désormais moins rapide que celle du revenu moyen du fait des réformes engagées ces dernières années. Loin de se creuser, le déficit actuel ne devrait guère bouger et pourrait même disparaître selon les hypothèses de croissance envisagées.

Manifestation contre la réforme des retraites à Marseille le 5 décembre 2019 (photo © Clément Mahoudeau / AFP / Libération)

En fait, la principale menace qui pèse sur l’équilibre à venir de notre système de retraite est la baisse des recettes plus que la hausse des dépenses. Or le facteur principal qui provoque cette réduction des recettes est provoqué par la politique actuelle du gouvernement qui comprime inexorablement la masse salariale publique en gelant le niveau de rémunération des fonctionnaires et en supprimant toujours plus d’emplois publics. Une politique de relance de l’action publique permettrait de revenir rapidement à l’équilibre de notre système de retraite, mais ce n’est pas dans l’air du temps…

Evolution du montant brut mensuel moyen des retraités français à 66 ans, en euros constant (valeur 2017) – source © Alternatives économiques

Une chose est sûre, en tout cas : la France est le pays européen, après la Grèce et l’Italie, qui consacre la part la plus importante de sa richesse nationale à payer les pensions de ses retraités. Un point qui exaspère tout ce que notre pays compte d’adeptes du néolibéralisme débridé et du « toujours moins d’État providence ». Mais c’est aussi un choix de société qui explique que notre pays fait partie de ceux où la part des plus de 65 ans vivant sous le seuil de pauvreté est la plus faible de toute l’Europe : seuls 7,8 % des séniors français vivent avec moins de 60 % du revenu médian. Ce taux monte à 15,8 % dans un pays comme la Suède, pourtant présenté comme le modèle indépassable de l’État social et de la retraite à points. Il atteint même 17 % en Allemagne où les retraités pauvres commencent à devenir un vrai problème de société.

Un rééquilibrage semble donc inévitable. Dans les années qui viennent, l’Allemagne va devoir consacrer une part plus importante de sa richesse nationale pour renforcer le pouvoir d’achat de ses citoyens retraités, tandis qu’en France, sous l’effet des mesures déjà prises depuis plusieurs années, l’évolution du montant des pensions versées connait un ralentissement progressif.

Évolution de l’âge moyen de départ en retraite dans les différents régimes (source © Alternatives économiques)

Mais il n’est pas besoin pour autant d’aller au-delà des mesures déjà adoptées et qui semblent largement de nature à permettre d’accompagner cette évolution, y compris d’ailleurs pour intégrer l’allongement prévisionnel de la durée de vie. De ce point de vue aussi, les affirmations selon lesquelles l’allongement de l’espérance de vie obligerait à retarder sans cesse l’âge de départ en retraite sont quelque peu battues en brèche par la réalité.

D’abord, l’âge moyen de départ en retraite a très sensiblement augmenté sous l’effet des réformes déjà adoptées. Il atteint désormais 63,1 ans dans le privé et 62,7 ans dans le public (hors policiers et gendarmes), et même 63,2 ans dans la fonction publique territoriale (abstraction faite des pompiers qui partent plus tôt). En 2002, cet âge moyen de départ en retraite était inférieur à 62 ans dans le privé et inférieur à 61 ans dans le public.

Quant à la durée de vie moyenne, elle continue à augmenter, mais de manière quasi imperceptible. L’espérance de vie à 60 ans est passée en 15 ans (jusqu’en 2014) de 20,4 à 23,1 ans pour les hommes et de 25,6 à 27,7 ans pour les femmes. Mais depuis plusieurs années, elle stagne et n’évolue quasiment plus, ce qui rend totalement inopérant un des principaux arguments avancés pour justifier d’augmenter toujours l’âge du départ en retraite, d’autant que, dans le même temps, le taux d’emploi des séniors est loin d’évoluer à la hausse…

Un dessin signé Plantu, publié dans Le Monde du 10 décembre 2019

On peut être pour ou contre le projet de réforme envisagé par le gouvernement pour harmoniser les différents régimes de retraite et passer à un système de répartition par points, mais au vu de ces chiffres il paraît bien difficile de justifier le volet initialement associé à ce projet et qui consiste à augmenter encore l’âge (ou la durée de cotisation) requis pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein : on peut d’ores et déjà parier que le gouvernement sera contraint de lâcher du lest sur ce dernier point s’il veut aller poursuivre son objectif de réforme sans mettre le pays à feu et à sang !

L. V.

Renvois d’ascenseur à La Ciotat

4 décembre 2019

Construction du Germinal aux chantiers navals de La Ciotat en 1964 (photo © Louis Sciarli / Archives communales / Le Monde diplomatique)

Lorsque les chantiers navals de La Ciotat ont fermé leurs portes en 1988, certains irréductibles ont voulu faire le pari que le site pouvait retrouver une activité industrielle navale tournée vers la réparation et l’entretien de yachts. Bien accompagnés par les collectivités territoriales, ils créent ainsi en 1994 la SEMIDEP-Ciotat, une société publique locale (SPL) dont les actionnaires sont le Département des Bouches-du-Rhône (à hauteur de 50 %), la Région PACA (pour 25,8 %), la métropole Aix-Marseille-Provence (à l’époque la Communauté urbaine, pour 19,9 %) et la commune de La Ciotat (pour 4,3 %).

Depuis, la SEMIDEP a été pompeusement rebaptisée La Ciotat Shipyards et connait de fait un fort développement dans un marché en pleine expansion, enregistrant en 2017 un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros pour une activité qui emploie de l’ordre de 700 personnes. Le monde étant ce qu’il est, avec des riches de plus en plus riches, le nombre de super-yachts, des bateaux luxueux mesurant de 50 à 80 m de long, connait une progression annuelle de plus de 5 % par an tandis que celle des méga-yachts (les plus de 80 m de longueur) a augmenté de 27,5 % en 2018 ! On dénombrerait ainsi plus de 5 500 de ces mastodontes des mers dont 70 % naviguent justement en Méditerranée : une aubaine pour les sites portuaires comme La Ciotat car les propriétaires de ces engins dépensent en moyenne 1 million d’euros chaque année uniquement en frais d’entretien et de réparation, jusqu’à 40 M€ pour une révision complète…

Un mega-yacht dans le port de La Ciotat (photo © Violette Artaud / Marsactu)

Pas étonnant que, dans ces conditions, les ports se livrent une concurrence effrénée pour attirer à eux ces clients fortunés et semi-captifs qui ont besoin de réparer d’urgence une avarie ou de faire subir une révision plus complète à leur bateau de luxe. La Ciotat dispose déjà d’un ascenseur à bateaux de 2000 tonnes lui permettant de sortir de l’eau et de déplacer sur rails des bateaux de moins de 50 m sur une plateforme comportant 17 emplacements.

Mais La Ciotat Shipyards voit plus grand et veut désormais concurrencer directement Barcelone en s’attaquant au marché des méga-yachts avec un projet de nouvel ascenseur pour des bateaux de 4000 t qui équiperait l’immense plateforme nord des chantiers navals, d’une superficie de 44 000 m2. Fin 2017, la SEMIDEP a ainsi lancé un appel d’offre pour ce projet titanesque, dont le coût est estimé à 100 M€. Une annonce qui avait alors déclenché une formidable polémique, relayée notamment par La Provence ou encore Marsactu car, dans le même temps, certains professionnels de la filière, dont l’association Riviera Yachting Network, faisait savoir qu’ils soutenaient un autre projet concurrent, sur le port de Marseille, avec un ascenseur encore plus gros, permettant de sortir de l’eau des engins de 6000 t ! En juin 2018, le Grand Port Maritime de Marseille annonçait ainsi que le gagnant de son propre appel à projet était la société Monaco Marine, basée pourtant à La Ciotat et d’ailleurs seul concurrent en lice, qui pourra exploiter la nouvelle installation à son profit pour une durée de 53 ans… Un projet à 71,6 M€ selon les informations de Marsactu, dont 27,5 M€ apportés par le Port de Marseille.

Photomontage du projet de plateforme (source © La Ciotat Shipyards)

Mais pas de quoi doucher l’enthousiasme de Patrick Boré, le maire de La Ciotat qui estime que « le soleil brille pour tout le monde » et qu’il y a largement la place pour deux ascenseurs… Un nouveau « schéma stratégique de développement » a été adopté, permettant au Conseil départemental d’injecter des fonds publics importants tandis que deux acteurs industriels locaux de poids se sont associés, la société Composite works France, acteur historique de la réparation de yachts, et Blohm + Voss La Ciotat, qui exploite déjà la grande forme de radoub, pour constituer MB 92 La Ciotat. C’est bien évidemment ce « nouveau poids lourd du secteur » avec qui la SEMIDEP a conclu « un partenariat stratégique » lui confiant pour une durée de 35 ans l’exploitation de la plateforme avec son futur ascenseur, moyennant sa participation financière à la construction.

Thierry Tatoni, président du Conseil scientifique du PNC (source © IMEB)

Un projet qui devrait voir le jour d’ici 2021 mais pour lequel Préfet s’est quand même cru obligé de saisir le Parc national des Calanques, par courrier en date du 29 juillet 2019, pour un avis conforme. Bien que situé en dehors du cœur marin du Parc, qui s’arrête à l’aplomb du Bec de l’Aigle, le site est en effet suffisamment proche pour qu’il soit opportun de vérifier l’absence d’impact majeur. Le Conseil scientifique du Parc, désormais présidé par Thierry Tatoni, professeur d’écologie à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale, a rendu un avis unanimement défavorable considérant notamment que « le développement de l’usage de ces navires de plaisance de fort tonnage, fortement consommateurs en énergie carbonée et à destination d’un usage exclusivement privatif, ne peut être considéré comme cohérent avec les objectifs de transition écologique promus au niveau international et national ».

Didier Réault, président du Conseil d’administration du PNC (source © Made in Marseille)

Un jugement de bon sens qui ne manque pas d’attirer l’attention sur les risques majeurs que fait courir sur la préservation du milieu naturel la concentration de ces mastodontes qui se moquent parfaitement de l’état des herbiers à posidonies ou des cétacés qu’ils pourraient déranger. Mais un avis qui n’a pas été du goût des représentants du Conseil d’administration du Parc national des Calanques présidé par Didier Réault, adjoint LR au maire de Marseille. A une très large majorité, celui-ci a donc décidé, le 13 septembre dernier, de s’assoir magistralement sur cet avis scientifique et de délivrer sans barguigner l’avis conforme qu’attendait le maire de La Ciotat, tout en rappelant, pour la forme, les quelques recommandations qu’avaient prudemment énumérées les membres du Conseil scientifique dans l’éventualité où « la réalisation de ce projet devait être poursuivie par l’autorité administrative », à croire que les scientifiques avaient eux-mêmes anticipé que leur avis pourtant très clair ne serait probablement pas écouté… Que vaut la qualité des fonds marins quand de tels enjeux économiques et la satisfaction de riches clients internationaux sont en jeu ?

L. V.

Que vont devenir nos retraites ?

14 novembre 2019

Quelques éléments d’histoire :

Après le fiasco des rentes ouvrières et paysannes de 1910 et les premières assurances sociales de 1930 qui ne concernaient pas l’assurance retraite, il faut attendre 1937 et le Front Populaire pour voir élargies les assurances sociales aux catégories de salariés jusqu’alors exclues et la signature d’accords issus de négociations paritaires débouchant sur l’instauration de régimes de prévoyance et de retraite dans certains secteurs professionnels (Industries Métallurgiques et Minières, puis chimie, aéronautique, travaux publics …), prémices du système en répartition que nous connaissons encore.

C’est en octobre 1945 que Gaullistes et Communistes au sein du Conseil National de la Résistance proposent un système de sécurité sociale garantissant une assurance vieillesse dont voici les principes (exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945) :

« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes.

Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la volonté de débarrasser nos concitoyens de l’incertitude du lendemain »

En 1947 sont créés des régimes de retraites complémentaires dont ceux des cadres (AGIRC) avec une technique de calcul par points. En 1961 la création de l’ARRCO permet aux salariés non-cadres de bénéficier d’une retraite complémentaire, système qui sera généralisé en 1972 sauf pour quelques régimes spéciaux.

Un dessin signé Tartrais (source © dessin-actu)

En 1983, l’âge de départ à la retraite est abaissé de 65 ans à 60 ans avec une durée de cotisation de 37,5 années de carrière. Cette disposition ne cessera ensuite d’être modifiée.

1993, par les lois Balladur : allongement progressif de la durée minimum de cotisation de 37,5 ans (150 trimestres) à 40 ans (160 trimestres), changement du mode de calcul des pensions des salariés du privé (période de référence : passage des 10 meilleures années aux 25 meilleures années) et indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires

2003 avec la réforme Fillon : dès 2012, durée de cotisation allongée à 41 ans (164 trimestres), surcote pour ceux qui prolongent, création de produits d’épargne retraite par capitalisation, création de la retraite additionnelle (2005) dans la fonction publique.

2007 : réforme des régimes spéciaux.

2010 : allongement progressif de la durée d’assurance et recul de l’âge de départ à 62 ans avec report à 67 ans de la retraite à taux plein, sans compter une révision régressive des carrières longues.

2014 : instauration du compte pénibilité, nouvel allongement progressif de la durée d’assurance, abaissement de la valeur d’un trimestre à 150 fois le SMIC horaire, plus de droits nouveaux issus du cumul emploi-retraite.

Comme ce rappel le montre, les modalités d’ouverture des droits aux pensions de retraite n’ont cessé d’évoluer négativement, sauf entre 1983 et 1993.

Un dessin signé Babouse (source © SNJ CGT)

Pourquoi l’Etat décide-t-il de remettre à plat le régime des retraites ?

  • Afin d’éviter le déficit de certaines caisses (mineurs, agriculteurs notamment),
  • Pour le rendre solidaire et universel,
  • Pour rendre le système « pilotable »,
  • Pour tenir compte des évolutions démographiques dont l’allongement de l’espérance de vie, mais cette dernière est-elle durable ?
  • Pour qu’il soit plus équitable,
  • Afin qu’il soit plus redistributif.

Quels changements majeurs ?

  • L’état décide d’unifier les 42 régimes existants et donc de mettre fin à l’existence de régimes spéciaux qui ne concernent qu’environ 410 000 agents.
  • Il envisage un nouveau mode de calcul par points tel qu’il existe pour les retraites complémentaires et d’abandonner le calcul par trimestres jusqu’alors en vigueur.

Quels effets ?

  • Un allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite au taux plein de sa génération même s’il y aura toujours la possibilité de cesser son activité à 62 ans mais avec une pension substantiellement réduite (- 15 %). C’est à partir de 64 ou 65 ans (âge pivot) que pour ceux qui ont commencé à travailler à 22 ans, la retraite pourra être perçue avec 5,5 % de rendement. Subsistent quelques régimes dérogatoires pour les salariés des fonctions régaliennes (sécurité, défense) et pour les métiers à risques.

Un dessin signé Lacombe, publié dans Marianne le 1er novembre 2019

Exemple d’un salarié qui a cotisé sur la base d’un salaire égal à 1,5 SMIC. Il a acquis 30 000 points (10 € = 1 point) tout au long de sa carrière. Il a le droit de partir à 62 ans, âge légal de départ à la retraite.

Au moment de sa retraite, la retraite mensuelle est calculée à l’âge du taux plein en appliquant la valeur de service, 1 point = 0,55 € soit 30 000 points x 0,55 € = 16 500 €

Le salarié bénéficiera de 5,5 % de rendement s’il part à l’âge du taux plein de sa génération.

Si ce salarié part à la retraite 2 ans avant l’âge de taux plein, le montant de sa retraite annuelle sera diminué de 10 % (rendement de 4,95 %) et sera de 1238 € par mois

S’il part 1 an avant l’âge de taux plein, sa retraite sera diminuée de 5 % (rendement de 5,225 %) et sera de 1306 € par mois

S’il part à l’âge du taux plein, il bénéficiera du plein rendement de 5,5 % soit 1375 € par mois

S’il part une année après l’acquis du taux plein, le rendement est de 5,775 % et la retraite est de 1444 € par mois soit pour l’année 105 % de 16 500 €

S’il part 2 ans après l’acquis du taux plein, le rendement est de 6,05 % et la retraite est alors de 1513 € par mois soit pour l’année 110 % de 16 500 €

Comparaison entre les deux systèmes

Système actuel : Les assurés qui partent avant l’âge du taux plein subissent une double pénalisation : d’une part, le calcul de la retraite est proratisé car la carrière est incomplète par rapport à la durée d’assurance requise, d’autre part ils subissent une décote de 5 % du montant de la retraite pour chaque année les séparant de l’âge du taux plein.

Exemple : un assuré de la génération 1963 qui a commencé sa carrière à 22 ans et qui doit valider une durée d’assurance de 42 ans, devra partir à 64 ans pour bénéficier du taux plein dans le système actuel. S’il part à 62 ans, il sera doublement pénalisé, par la proratisation 540/42 et par la décote (-10 %) et sa retraite sera fortement réduite (- 15 %)

Système universel : Les assurés verront leur rendement ajusté de 5 % par année d’écart à l’âge du taux plein, sans subir de règle de proratisation par rapport à une d’assurance requise car celle-ci ne constitue plus un critère de calcul de la retraite dans le système universel en points.

Exemple : un assuré, dont l’âge du taux plein est fixé à 64 ans, verra sa retraite diminuée de 10 % s’il décide de partir à 62 ans (et non plus de 15 % dans l’exemple ci-dessus).

Un dessin signé Sabine Nourrit

  • L’abandon du calcul de la durée de cotisation par trimestres au profit du calcul par points pénalise les carrières sans grandes évolutions d’autant que la référence n’est plus celle des 25 meilleures années pour le plus grand nombre et des six derniers mois pour les fonctionnaires.
  • Les agents de l’État qui n’effectuent pas d’heures supplémentaires ou ne perçoivent pas ou peu de primes et d’indemnités (enseignants du premier degré par exemple) verront leur pension réduite par rapport à leurs aînés.
  • La fixation d’un minimum de pension mensuelle à 1000 € qui entraînera une légère hausse du niveau des retraites les plus faibles (petits agriculteurs et salariés avec de bas salaires),
  • Une baisse du niveau des pensions pour les classes moyennes (ex : couple percevant un salaire mensuel situé entre 2468 et 4423 € par mois – source INSEE janvier 2019)
  • Un nouveau calcul des pensions de réversion pour les veufs et les veuves (70% des droits de retraite du couple. L’exemple donné dans le rapport (2850 € pour le couple) n’octroie qu’une augmentation pour le survivant de 30 € par mois !
  • Une majoration des points (5 % par enfant) dès le premier enfant
  • La prise en compte des périodes de chômage, de maternité, de congé éducation jusqu’aux 3 ans de l’enfant.

La garantie des droits acquis dans les régimes actuels. Cf. exemple ci-dessous extrait du rapport :

  • La possibilité de cumuler retraite et emploi, un comble au regard du taux de chômage des jeunes peu qualifiés et des séniors !

 

Quelles incertitudes ?

  • Le rapport DELEVOY fixe, pour le calcul de la retraite, le gain d’1 point pour 10 € cotisés (cotisation salariée + cotisation patronale) et la valeur du point à 0,55 €. Il précise que cette valeur ne peut baisser mais qu’elle sera revalorisée en fonction du taux d’inflation et non des revenus.

Prenons l’exemple d’un salarié rémunéré au SMIC durant toute sa vie (1521 € brut mensuel), la cotisation mensuelle s’élèvera à : 1521,22 € X 25,31 % (cotisation salarié + cotisation patronale) = 385,02 € soit, si 10 € cotisés rapportent un point, 38,50 points/mois et donc 462 points/an. Pour 44 années de cotisations sans périodes de chômage et de maladie : 462 X 44 = 20 328 points sont acquis qui représentent 20 328 X 0,55€ = 11 180,40 €/an de pension soit 931 €/mois !

Ce salarié, selon les informations données dans le rapport, bénéficierait d’un « coup de pouce » de solidarité pour atteindre le plancher de 1000 € de pension par mois !

 

  • Quand on connaît le mode de calcul du taux d’inflation par l’INSEE et que l’on sait qu’actuellement pour les fonctionnaires, l’augmentation des retraites n’est que de 0,9 % avec une inflation à 2 %, rien ne garantit que ce soit la totalité de ce taux qui soit prise en compte !
  • L’allongement de la durée de cotisation est plus avantageux pour ceux qui travaillent alors que ceux qui sont en chômage ou en congé de maternité ou d’éducation ne bénéficient que d’un taux de 60 %. Cela n’est pas sans incidence sur le calcul de la pension quand on sait que l’employabilité des séniors est faible ! Va-t-on vers une incitation au cumul retraite/travail alors que le taux de chômage est toujours aussi élevé !

Un dessin signé Xavier Delucq (source © Huffington Post)

Au final, il ressort de l’analyse de ce rapport que si les salariés très modestes peuvent espérer au mieux quelques euros de plus, l’atteinte d’une retraite minimale au niveau du SMIC n’est pas pour demain ! Qu’en est-il alors des principes de 1945 rappelés dans le rapport Delevoy ?

Garantit-on des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes ?

Est-on assuré d’être débarrassé de l’incertitude du lendemain ? Loin s’en faut !

Compte tenu de ces observations et des incertitudes qui demeurent, et même si le rapport prétend préserver un système de retraite par répartition plus équitable et pérenne, ne se dirige-t-on pas vers un système qui conduirait ceux qui le peuvent à envisager un complément de retraite par capitalisation ! Qu’en sera-t-il alors des plus pauvres qui ne peuvent épargner et pour qui la retraite ne permettra que de survivre ?

MM

Horizons Sud : un bilan mitigé pour la région PACA

24 août 2019

L’information n’a certes guère dépassé le petit cercle d’initiés qui s’intéressent encore à l’élaboration de ces multiples plans de programmation territoriale aux sigles tous plus abscons les uns que les autres : l’assemblée de la Région PACA a officiellement adopté le 26 juin 2019 son SRADDET… Il faut bien reconnaître que cet acronyme n’est pas des plus commodes à retenir : le SRADDET n’est autre que le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, un concentré de novlangue dont les technocrates raffolent mais qui peine à mobiliser le citoyen lambda.

Instauré en 2015 par la loi NOTRe (nouvelle organisation territoriale de la République), celle-là même qui attribuait de nouvelles compétences aux Régions, en partie au détriment des Départements, tout en renforçant la structuration intercommunale, et ceci dans le contexte du redécoupage des Régions françaises, le SRADDET est en réalité un nouveau schéma régional de planification qui fusionne plusieurs documents préexistants. Il existait déjà un Schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, mais aussi un Plan régional de prévention et de gestion des déchets, ainsi qu’un Schéma régional de l’intermodalité, mais aussi un Schéma régional climat, air, énergie, et même un Schéma régional de continuité écologique : n’en jetez plus !

La loi de 2015 a donc simplement instauré la fusion de tous ces documents de planification stratégique en un seul, histoire d’en simplifier l’appropriation et d’obliger à un minimum de cohérence entre toutes ces bonnes intentions soigneusement affichées mais rarement mises en œuvre. De ce point de vue, le SRADDET, même unifié et articulé autour de 11 domaines obligatoires, reste un simple document stratégique et prospectif d’aménagement du territoire qui n’a d’autre portée juridique que d’afficher de grandes orientations auxquelles devront se conformer les autres documents de planification généralement élaborés à l’échelle intercommunale : SCOT (schémas de cohérence territoriale), PLU (plans locaux d’urbanisme), PDU (plans de déplacements urbains), PCAET (plans climat-air-énergie territoriaux), ou encore les chartes des Parcs naturels régionaux.

Réunion de présentation de la stratégie régionale d’avenir au Conseil régional PACA le 1er octobre 2018 (extrait du rapport SRADDET PACA)

Toujours est-il que la Région PACA s’enorgueillit d’avoir été la première de France à adopter son SRADDET, aidée en cela par le fait qu’elle est l’une des rares à n’avoir pas vu ses limites administratives bouger au 1er janvier 2016, lors du grand redécoupage mis en œuvre par François Hollande. Il reste encore au Préfet de Région à approuver officiellement ce document avant qu’il ne soit mis en œuvre, mais cette étape n’en est pas moins l’aboutissement d’un long processus qui a demandé 2 ans de concertation avec pas moins de 250 partenaires territoriaux avant d’arrêter le projet, le 1er octobre 2018. Après consultation des personnes publiques associées puis enquête publique (qui n’a occasionné que 315 observations dont 6 seulement émanent de la population, ce qui montre que les 5 millions d’habitants de la région PACA ne se sont guère sentis mobilisés par le sujet), la commission d’enquête a remis un avis favorable, et voilà donc le document officiellement adopté.

Le citoyen curieux pourra toujours se reporter au rapport de 367 pages adopté en juin 2019 pour y découvrir les 68 objectifs retenus dans ce document stratégique, ainsi qu’au fascicule joint en annexe et qui détaille sur 295 pages les 52 règles adoptées. En quelques lignes, on retiendra que les principaux messages clés visés par la région au travers de ce document sont les suivants :

  • Redonner une attractivité à la région en accompagnant une hausse de la démographie, tout en maitrisant la consommation de l’espace,
  • Conforter les centres villes,
  • Permettre l’accès à un logement abordable pour tous,
  • Réussir la transition énergétique et écologique vers une région neutre en carbone en 2050,
  • Développer une offre de transports intermodale à l’horizon 2022,
  • Développer l’économie circulaire et produire moins de déchets.

De belles intentions nobles et louables donc, bien que légèrement contradictoires au moins en apparence, qui s’appuient en réalité sur un diagnostic approfondi qui a été élaboré depuis octobre 2017 dans le cadre d’un partenariat entre la Région, les services de l’État et les 4 agences d’urbanisme locales, celles de l’agglomération marseillaise (AGAM), de l’aire toulonnaise et du Var (AUDAT), du pays d’Aix-Durance (AUPA) et celle de Rhône-Avignon-Vaucluse (AURAV). Pompeusement intitulé Horizons Sud, le portait territorial qui en résulte est mi-figue, mi-raisin.

Il en ressort notamment que les 3 grosses agglomérations territoriales récemment érigées en métropoles (Aix-Marseille, Toulon et Nice) sont nettement moins dynamiques et plus fragilisées sur le plan socio-économique que leurs analogues de la moitié sud de la France, une fragilité qui caractérise également la plupart des villes moyennes de la région. Après une croissance forte jusque dans les années 1980, PACA se révèle ainsi la région la moins attractive du grand Sud, avec une croissance démographique inférieure à la moyenne nationale et un indice de vieillissement de la population particulièrement élevé.

Évolution du solde apparent de population en région PACA (source : Notre territoire / Ma région SUD)

Cette faible attractivité est due en grande partie au choix du modèle de développement adopté jusque-là, avec un étalement urbain déraisonnable qui a fait disparaître une grande partie des espaces naturels et agricoles, par ailleurs menacés par le changement climatique, mais aussi par une priorité suicidaire accordée aux déplacement par la route, ce qui se traduit par une saturation du réseau routier et des niveaux de pollution atmosphérique inquiétants.

Un dessin signé Ysope pour Marsactu

Bien que fortement créatrice d’emplois, la région est l’une de celle qui présente le taux de chômage le plus élevé (10,2 % à comparer à la moyenne nationale de 8,5 %). PACA est devenue, juste après l’Île-de-France, la région où, se loger coûte le plus cher, mais aussi celle où le taux de résidences secondaires est le plus fort (le double de la moyenne nationale, ce qui réduit d’autant l’accessibilité au logement) et celle où l’offre de logement social est la plus faible : 13,3 % contre 16,7 % en moyenne nationale.

De bien tristes records qui montrent que, SRADDET ou pas, la Région PACA (ou Sud comme aime à l’appeler son Président, Renaud Muselier), a encore bien du chemin à faire pour aboutir à ce développement harmonieux, équilibré et durable qu’elle appelle de ses vœux…

L. V.

SMMM : une entreprise qui sait recevoir

21 août 2019

On dit le patronat français plutôt frileux pour embaucher des jeunes et encore plus pour les former. L’apprentissage qui a pourtant longtemps été la règle, en particulier dans les métiers manuels où le savoir-faire s’acquiert par la pratique et la transmission de l’expérience des aînés, n’est plus à la mode, contrairement à d’autres pays dont l’Allemagne.

La couverture du Moniteur du 16 août 2019 : un patron de PME à l’honneur

Heureusement, il y a de multiples exceptions et de nombreux chefs d’entreprises qui restent prêts à s’investir dans la formation de jeunes professionnels pour les aider à s’insérer dans le monde du travail et à gagner peu à peu en expertise. Michel Barthélémy en fait partie, lui qui a racheté en 2007 la Société méridionale de menuiserie métallique, une société créée en 1978 et implantée à Plan de Campagne, sur la commune de Cabriès, dans les Bouches-du-Rhône.

Cette PME de second œuvre, qui compte 26 salariés et génère un chiffre d’affaire de 4,2 millions d’euros, est réputée localement pour avoir un patron à la fibre sociale, ce qui lui vaut une présentation très élogieuse, mais méritée, dans Le Moniteur du 16 août 2019. C’est aussi ce qui lui a valu d’être démarchée l’été dernier par l’Association Saint-Michel, basée à Aix-en-Provence et spécialisée dans l’accueil de jeunes migrants, des mineurs non accompagnés, qu’elle héberge dans son foyer de 50 places, et qu’elle tente d’accompagner dans l’insertion avec l’appui de l’Aide sociale à l’enfance, un service du Département des Bouches-du-Rhône.

L’Association Saint-Michel, établissement social accueillant des enfants et leur famille en difficulté ainsi que de jeunes migrants, mineurs non accompagnés

Pour pouvoir déposer une demande de titre de séjour, un jeune migrant isolé doit en effet pouvoir faire la preuve d’au moins 6 mois d’apprentissage, une exigence qu’il n’est pas aisé de remplir quand on connaît la difficulté pour un jeune scolarisé dans une filière en alternance à trouver une entreprise qui veuille bien l’accueillir dans ce cadre.

Mais Michel Barthélémy, le patron de la SMMM a des convictions et considère que les entreprises n’ont pas seulement pour fonction de gagner de l’argent à tout prix, mais doivent le faire dans le respect de leur environnement. SMMM a d’ailleurs été la première entreprise française à mettre en œuvre des profilés constitués à 75 % d’aluminium recyclé, et ceci sur le chantier pilote d’un groupe scolaire. De même, la gestion des ressources humaines y accorde une large part à l’accompagnement des salariés avec, en 2018, 12 % des effectifs en apprentissage, 4 % en contrat de professionnalisation et autant en contrat de génération.

Michel Barthélémy avec ses deux apprentis Youssouf et Fareed (photo © Stéphanie Tetu / Le Moniteur)

Michel Barthélémy n’a donc pas hésité à accueillir dans ses ateliers de Plan de Campagne deux jeunes migrants hébergés et encadrés par l’Association Saint-Michel. Youssouf se forme ainsi à la menuiserie métallique tandis que Fareed se perfectionne en serrurerie métallique, accompagné chacun par un tuteur technique expérimenté. Le chef d’entreprise lui-même, veille avec soin à l’intégration de ses jeunes recrues et n’a pas hésité à les accompagner en personne au Centre de formation des apprentis du BTP d’Aix-en-Provence, pour leur rentrée en septembre 2018. Il surveille avec soin leur carnet de notes tout comme leur comportement au sein de son entreprise, et dialogue régulièrement avec leur éducateur qui les suit auprès de l’Association tutrice.

Un dispositif gagnant-gagnant, qui permet à ces deux jeunes mineurs loin de leur famille de s’intégrer et de gagner en autonomie, tout en apportant à l’entreprise la possibilité de former à sa main de futurs professionnels en voie de qualification. A se demander même pourquoi cet exemple ne fait pas davantage d’émules au sein du patronat français…

L. V.

La finance au secours du climat ?

11 juillet 2019

Pierre Larroutorou (extrait vidéo © ThinkerView)

Parmi les 74 députés français élus le 26 mais 2019 au Parlement européen, figure un ardent défenseur de la lutte contre le changement climatique. Placé en cinquième position sur la liste justement intitulée Envie d’Europe écologique et sociale, dirigée par Raphaël Glucksmann, il a été élu de justesse puisque le score de 6,19 % obtenu par la liste pourtant soutenue par le Parti socialiste, ne lui a permis d’avoir que 5 élus. Voilà donc que Pierre Larrouturou accède à 54 ans à son deuxième mandat électif, après avoir été un temps conseiller régional d’Ile de France, entre 2010 et 2015, sous l’étiquette des Verts.

Agronome de formation, cet économiste est un disciple de René Dumont, persuadé depuis toujours que le Monde ne peut se développer de manière harmonieuse sans davantage de justice sociale. Longtemps militant au PS, il avait créé en mars 2012 le Collectif Roosevelt aux côtés de nombreuses personnalités parmi lesquelles Edgard Morin, Michel Rocard ou encore Stéphane Hessel, dont il était très proche.

Pierre Larroutorou et Stéphane Hessel présentent une motion au congrès du Parti socialiste à Toulouse en 2012 (source © Daily Motion)

Ayant claqué à trois reprises la porte du PS qu’il juge trop timide dans ses volontés réformatrices, Pierre Larrouturou a toujours milité pour la réduction du temps de travail, un meilleur partage des richesse, une Europe plus démocratique et qui fut dès 2005 un des rares économistes à prédire la survenance de la crise économique majeure de 2008, s’attirant les moqueries acerbes d’un Dominique Strauss-Kahn alors au sommet de sa gloire.

Son aventure à la tête de son propre parti, Nouvelle Donne, créé fin 2013, ne lui a pas attiré que des amitiés comme il le raconte lui-même dans une longue interview qu’il a accordé en juin 2018 au média internet Thinkerview, qui fait un tabac d’audience sur YouTube.

En novembre 2017, Pierre Larrouturou publie un livre intitulé en toute modestie Pour éviter le chaos climatique et financier, un ouvrage coécrit avec Jean Jouzel, ancien vice-président du GIEC, et dont les recherches en tant que glaciologue ont contribué à mettre en évidence, dès les années 1980, l’impact du réchauffement climatique mondial.

Depuis lors, l’économiste Pierre Larrouturou a un peu mis de côté son combat contre le chômage pour se concentrer sur ce nouveau cheval de bataille qui, de son propre aveu, l’empêche de dormir. L’association qu’il a créée avec l’ex-glaciologue climatologue Jean Jouzel et dont il a été un temps le salarié, s’appelle Pacte Finance Climat.

L’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel (photo © Stéphane Geufroi / Ouest-France)

Tout un programme que cet économiste passionné expose avec infiniment de pédagogie, partant d’un constat largement partagé et que les projections du GIEC résument de manière très visuelle : même en supposant que les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris lors de la COP 21 soient scrupuleusement respectés (ce qui est loin d’être le cas, surtout depuis que ces mêmes accords ont été piétinés par Donald Trump, pourtant à la tête d’un des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre), le réchauffement climatique atteindrait plus de 3 °C d’ici la fin du siècle, avec sans doute des effets irréversibles et des emballements incontrôlables perceptibles dans les quelques années à venir. On est vraiment très proches désormais du point de rupture et seules des politiques ambitieuses et coordonnées de réduction des émissions de gaz à effet de serre pourraient peut-être encore permettre d’éviter le chaos généralisé.

Les trajectoires du probable : quel scénario pour le futur (source © Pacte Climat)

L’objectif visé est clair : faire en sorte que l’Europe joue un rôle moteur en démontrant, par une politique volontariste, qu’il est possible de diviser par quatre d’ici 2050 ses émissions de gaz à effet de serre tout en créant des millions d’emplois, grâce à des investissements massifs notamment dans l’isolation des bâtiments, dans le développement des énergies renouvelables, dans des transports publics propres et dans des politiques d’économie d’énergie à grande échelle.

Un dessin signé Wingz (source © CFDT)

Les études montrent que le pari vaut la peine d’être tenté avec 6 millions de nouveaux emplois à la clé et une réduction significative des dépenses d’énergie, mais aussi une diminution des dommages liés aux catastrophes naturelles voire à terme aux tensions politiques provoquées par l’inévitable immigration de réfugiés climatiques.

Comment amorcer la pompe pour financer un chantier aussi colossal ? En fait la réponse est simple et les outils pour y arriver existent déjà : les banques centrales, américaines comme européennes, ont créé massivement de la monnaie lors de la crise de 2008 pour sauver les banques commerciales menacées de faillite, et la Banque centrale européenne continue à le faire discrètement mais à grande échelle. Depuis 2015, ce sont pas moins de 2500 milliards d’euros qui ont ainsi été injectés par la BCE auprès des banques commerciales, l’essentiel de cette masse monétaire servant uniquement à la spéculation financière puisqu’on estime que seulement 300 millions d’euros ont été prêtés au secteur privé pour des investissements productifs, une misère !

Un dessin signé Nawaq (source © Jolyday)

Dans ces conditions, même le FMI en fait le constat : ces énormes sommes d’argent créées de manière totalement artificielle ne font qu’alimenter la bulle spéculative et nous rapprochent chaque jour davantage d’une nouvelle crise économique que le journal Les Échos prédit déjà comme 10 fois plus grave que celle de 20008 : « l’économie mondiale est comme le Titanic, elle accélère avant le choc »…

La proposition est donc évidente : il suffirait d’affecter cette création monétaire à des investissements en faveur de la transition énergétique. Pour cela, pas besoin de créer de nouvelles usines à gaz. Il suffit de s’appuyer sur la Banque européenne d’investissement (BEI) en lui adossant une nouvelle filiale, une Banque du développement durable, qui, dans le cadre d’un nouveau Traité européen à négocier entre les États les plus engagés, attribuerait à chacun d’entre eux un droit de tirage correspondant à 2 % de son PIB. De quoi investir 45 milliards en France sous forme de prêt à taux zéro pour financement massivement l’isolation des logements et le développement de transports publics propres.

Pierre Larroutorou sur ThinkerView

A cela s’ajoutent bien sûr d’autres leviers à actionner sous la forme d’une taxe sur les transactions financière et une taxe sur les émissions de CO2, mais surtout une contribution climat sous forme d’une taxe à hauteur de 5 % sur les bénéfices des entreprises, bien entendu dégressive en fonction du bilan carbone de chacun. Cette taxe, susceptible de rapporter 100 millions d’euros par an, alimenterait un Fonds européen pour le climat et le développement permettant de soutenir l’effort de recherche, les investissements pour la transition énergétique et l’aide au développement en faveur de nos voisins africains les plus exposés aux effets du dérèglement climatique. Une taxation évidemment peu populaire auprès des milieux d’affaire mais qui permettrait de compenser la chute régulière observée depuis le milieu des années 1990, avec un taux moyen d’imposition sur les bénéfices proche de 20 % en Europe alors qu’il est resté autour de 35 % aux États-Unis, jusqu’aux décision récentes de Donald Trump.

Reste à savoir désormais si ce pacte finance-climat a une chance d’être mis en œuvre, ce qui suppose que les chefs d’États européens, Emmanuel Macron et Angela Merkel en tête, s’en emparent de manière volontariste. Nombreux sont en tout cas les élus locaux de tous bords qui soutiennent la démarche : c’est peut-être le moment ou jamais pour nos responsables politiques, nouvellement élus à la tête des instances européennes, de faire preuve de clairvoyance et de courage, avant qu’il ne soit trop tard…

L. V.

Centrales à charbon : Gardanne fait de la résistance !

23 mars 2019

La centrale à charbon de Gardanne (photo © Frédéric Speich / La Provence)

C’était une des promesses de campagne du candidat Emmanuel Macron : d’ici le 1er janvier 2022, il n’y aura plus de centrale à charbon en fonctionnement sur le sol français. Une promesse qu’il avait d’ailleurs confirmée à plusieurs reprises depuis son élection, déclarant ainsi au magasine Forbes en mai 2018 : « EDF et Uniper, des entreprises très classiques, ont beaucoup résisté. Mais j’ai décidé de dire très clairement que nous allions les fermer. Je leur ai dit : Nous allons vous aider, mais nous allons les fermer. Il n’y a pas d’autre choix.” »

Une attitude volontariste et sans ambiguïté qui figurait d’ailleurs dans le Plan climat présenté en juillet 2017 par le ministre de l’écologie de l’époque, un certain Nicolas Hulot et qui précisait (en gras dans le texte !) : « Nous accompagnerons, dans le cadre de contrats, l’arrêt des dernières centrales électriques au charbon d’ici 2022». Un engagement qui a d’ailleurs été rappelé dans le Programmation pluriannuelle de l’énergie présentée en novembre 2018.

Bref, la volonté politique est là et le discours est clair. Mais la réalité est légèrement différente et certains commencent à douter fortement que la promesse puisse être tenue dans les délais. Comme l’explique le journaliste Nabil Wakim dans une série d’articles très documentés publiés sur ce sujet dans Le Monde, il ne reste en réalité que 5 centrales thermiques à charbon en activité sur le sol métropolitain, une dizaine d’entre elles ayant déjà été fermées par EDF entre 2013 et 2015. Celle du Havre et les deux unités de Cordemais, près de Saint-Nazaire, sont exploitées par EDF. Celle de Saint-Avold, en Moselle, et celle de Gardanne (construite dans les années 1950 par Charbonnage de France et située en réalité sur la commune voisine de Meyreuil) ont été rachetées par le groupe allemand E.ON, et désormais exploitées par Uniper, une structure dont le siège est à Düsseldorf, issue de la réorganisation d’E.ON en 2016 et qui compte pas moins de 14 000 salariés.

Extrait d’un article publié par Le Monde en date du 11 mars 2019

L’objectif de la fermeture de ces centrales est difficilement contestable puisqu’il s’agit de réorienter la production d’électricité vers des énergies moins impactantes en matière d’émission de gaz à effet de serre, le charbon étant considéré de ce point de vue comme la solution la pire qui existe : en France, les centrales thermiques à charbon ne représentent plus que 1,6 % de la production d’électricité nationale mais elles sont à l’origine de 25 % des émissions de CO2 du secteur, l’équivalent de 4 millions de véhicules !

A Gardanne, E.ON a d’ailleurs annoncé dès 2012 sa volonté de transformer une des deux unités de production en centrale à biomasse, un projet qui s’est concrétisé à partir de 2016 mais qui a été stoppé dès 2017 suite aux recours déposés par des associations environnementales locales. Un exemple qui illustre bien les difficultés à faire évoluer ces centrales à charbon dans les délais fixés par le politique.

La centrale thermique de Provence, à Gardanne, avec sa cheminée de 297 m de hauteur, le troisième plus haut édifice de France derrière la Tour Eiffel et le viaduc de Millau (photo © Gérard Julien / AFP / Le Monde)

En Loire-Atlantique, la situation n’est pas plus simple car la centrale de Cordemais, qui fonctionne depuis la fin des années 1960, est indispensable à l’alimentation en électricité de la péninsule bretonne dépourvue de centrale nucléaire. La dernière unité qui fonctionnait encore au fioul a été arrêtée en mars 2018, mais EDF conditionne l’arrêt définitif des deux unités de production au charbon à la mise en service de la centrale à gaz de Landivisiau, des interconnections avec le Royaume-Uni et du futur EPR de Flamanville, cette dernière, initialement prévue en 2012 étant désormais annoncée pour fin 2019, si tout va bien…

Comme à Gardanne, le site de Cordemais réfléchit d’ailleurs à une reconversion de la centrale pour l’utilisation de la biomasse, via le projet Ecocombust qui vise à utiliser de vieilles palettes et des déchets de bois comme combustible, mais l’exemple de Gardanne fait réfléchir… Embourbé dans le dossier, l’Allemand Uniper est d’ailleurs en train de jeter l’éponge. Il a ainsi annoncé le 24 décembre dernier, selon l’Usine Nouvelle, être entré en négociation exclusive pour la vente de ces deux sites français à l’entreprise tchèque EPH (Energetický a průmyslový holding), contrôlée par le milliardaire Daniel Křetínský, par ailleurs actionnaire du Monde et désormais propriétaire de l’hebdomadaire Marianne.

Stock de bois sur le site de la centrale de Gardanne (photo © Pierre Isnard-Dupuy / Reporterre)

On ne sait pas encore très bien ce que l’énergéticien tchèque compte faire de ces acquisitions sinon qu’un accord semble se dessiner pour une reconversion au gaz de l’usine de Saint-Avold dont l’exploitation pourrait même être confiée à Total qui se frotte déjà les mains. Quant à la centrale charbon de 600 MW implantée à Meyreuil, les personnels se sont mis en grève dès le 7 décembre 2018, à l’appel de la CGT, pour protester préventivement contre tout risque de fermeture des installations.

Le gouvernement a nommé en décembre un délégué interministériel pour accompagner l’évolution des 4 sites concernés et la température monte progressivement à Gardanne où l’inamovible maire communiste de 83 ans, Roger Meï, à la tête de la ville depuis 1977, se fait un plaisir de souffler sur les braises en rappelant que « ici, le charbon fait partie de notre identité depuis toujours » alors que celui qui est brûlé à la centrale est acheminé par bateau depuis l’Australie, la Colombie ou l’Afrique du Sud voire les États-Unis. A Gardanne, les esprits s’échauffent et le délégué CGT local, Nicolas Casoni prévient : «s’ils ferment la centrale comme ça, on va mettre le département à feu et à sang, on a déjà prévenu le Préfet !».

Manifestation dans les rues de Gardanne en mars 2019 contre la fermeture de la centrale (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

Selon la Provence, une manifestation a ainsi rassemblé autour de 500 personnes, jeudi 21 mars 2019 dans les rues de Gardanne où le mouvement de grève se poursuit. Le ton monte entre ceux qui veulent défendre coûte que coûte le statu quo et les 174 emplois qui bénéficient du statut protecteur des Industries électriques et gazières, misant sur des évolutions technologiques à venir pour limiter les impacts environnementaux de l’activité, et ceux qui essaient d’imaginer des pistes de reconversion du site industriel, plus en phase avec les impératifs de la lutte contre le changement climatique. Qui a dit que la transition écologique serait un long fleuve tranquille ?

L. V.

ISF : une proposition de Jacques Boulesteix

23 février 2019

Alors que la question du rétablissement ou non de l’Impôt de solidarité sur la fortune fait débat entre la majorité des Français, qui estiment que cela fait partie des urgences pour restaurer un minimum d’équité fiscale, et le Président de la République et son gouvernement qui refusent d’envisager une telle solution et l’excluent du champ des discussions, Jacques Boulesteix, ancien président et co-fondateur du Cercle Progressiste Carnussien, et ancien président du Fonds public PACA Investissement, a publié cette semaine la tribune suivante dans Le Monde, dans la lignée d’une proposition déjà développée le 9 février dernier dans Le Monde des Idées : une contribution constructive au débat qui permettra peut-être de réconcilier ces deux positions divergentes et pourrait même offrir au Président de la République, embourbé dans une position idéologique intenable, une porte de sortie vers le haut, qui sait ?

Le raisonnement biaisé de Macron sur l’ISF…

24 janvier 2019

Ainsi, aujourd’hui (24 janvier 2019), Emmanuel Macron se serait invité pour aller échanger avec de simples citoyens à Bourg-de-Péage dans la Drôme et aurait défendu la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. J’ai visionné la vidéo.

Emmanuel Macron à Bourg-de-Péage, le 24 janvier 2019 (photo © Albert Facelly / Libération)

Son raisonnement est le suivant (je cite, avec les raccourcis oratoires réels) :

  • Pour créer de l’activité il faut deux choses : de l’investissement et du travail

  • S’il n’y a pas d’investisseurs, on ne peut créer de l’emploi. Or la première des inégalités est le chômage

  • Pourquoi, depuis des décennies n’a-t-on pas avancé sur le chômage ? Parce qu’on a moins investi que les autres pays

  • Il faut donc des gens qui investissent dans ces entreprises

  • Or notre système de fiscalité fait que beaucoup de gens qui ont réussi sont partis investir ailleurs parce que notre système n’était plus incitatif

  • Donc nous avons pris l’impôt sur la fortune et on a dit : « les gens qui gardent cette fortune pour eux-mêmes dans l’immobilier, on continue à les taxer ; mais ceux qui réinvestissent dans l’économie, je les exonère »

  • Je regarde les autres pays. Ils ont beaucoup mieux réussi que nous et ils n’ont pas l’ISF !

  • Et chez nous, il y a deux ans, quand il y avait encore l’ISF, est-ce qu’on vivait mieux, est-ce qu’il y avait moins de SDF ? Non.

  • Ai-je fait des cadeaux aux riches ? Non, c’est pas vrai. S’ils réinvestissent dans l’économie, OK. S’ils s’achètent une villa, on continue de taxer.

Emmanuel Macron le 24 janvier 2019, en prédicateur hypnotiseur (photo © AFP)

Macron est un bonimenteur. Pour ceux qui connaissent les États-Unis, on peut le comparer à ces prédicateurs évangéliques qui squattent les télés avec brio devant des foules béates pour vendre du vent. Car il faut vraiment avoir fait une thèse en logique hellénique pour en discerner le vice.

Oui, il y a une certaine malhonnêteté intellectuelle dans le raisonnement. Nous souhaitons tous que l’économie soit irriguée par des investissements, régulés certes, mais des investissements. Nous souhaitons tous que la spéculation soit combattue. Mais en quoi les investissements exonérés de l’ISF vont-ils dans l’économie réelle ? Et en quoi, par sa politique, Macron lutte-il contre la spéculation ?

Un simple fait contredit Macron : si, rêvons un peu, vous touchez par miracle au Loto 10 millions d’euros, que faites-vous ? Vous n’allez pas investir vous-même ce qui vous restera après les cadeaux familiaux ou caritatifs. Investir, c’est un métier, une affaire de spécialistes. Donc vous vous adresserez à un cabinet de placements. Il suffit de lire des journaux comme Les Échos ou Investir pour savoir qu’on ne vous proposera pas d’investir dans l’économie réelle (industrie, agriculture, innovation, …) mais dans la dette souveraine. Pour valoriser votre argent (sans risque) vous prêterez aux États puisque les Banques Centrales ont interdiction de le faire. Et cela vous rapportera bien plus !

Donc, quand Macron affirme que l’exonération de l’ISF irrigue notre économie, il s’agit, bien évidemment, d’une supercherie. S’il avait vraiment voulu que ces milliards libérés s’investissent pour l’activité économique nationale, il aurait fallu l’imposer en contrepartie. Sans contrepartie, les capitaux vont au plus offrant, au plus rentable, c’est-à-dire au marché spéculatif international. Hollande avait déjà en 2012 octroyé 20 milliards d’euros par an au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui n’a ni créé d’activités, ni réduit le chômage.

Pierre Gattaz et son fameux pin’s en 2014 (photo © AFP)

On se souvient tous de Pierre Gattaz, le président du MEDEF, qui, le cœur sur la main (ou plutôt le pin’s que le cœur), annonçait, si la mesure était votée, la création d’un million d’emplois… En 5 ans, le dispositif en aura créé moins de 80 000. Envolés, les milliards de crédits ! Mais pas envolés pour tout le monde : Pierre Gattaz, le promoteur de ces cadeaux auprès de la classe politique, a vu, par exemple, les impôts de son entreprise (Radiall) diminuer de 876 000 euros grâce à cette mesure sans créer le moindre emploi, somme entièrement reversée à la famille Gattaz sous forme de dividendes.

C’est la poursuite ce processus auquel est si attaché Emmanuel Macron. La suppression de l’ISF n’apporte rien à l’économie, tout simplement parce qu’aucun engagement de réinvestissement n’est demandé à ses bénéficiaires. Qu’on le tourne comme on veut, il s’agit bien d’un retour d’ascenseur, d’un cadeau aux riches de la part du Président des riches.

Alors, il peut avoir le don de la prédication et hypnotiser ses auditeurs, le raisonnement présidentiel est totalement biaisé. Pour favoriser les investissements, il faut le vouloir. Il faut lutter contre l’évasion fiscale, légiférer contre l’optimisation fiscale et n’alléger les impôts qu’en contrepartie d’investissements réels.

J. Boulesteix

La Grèce toujours sous surveillance ?

12 juillet 2018

La Grèce va-t-elle enfin sortir la tête de l’eau après 8 années de réformes brutales et de politiques de rigueur imposées, bien malgré elle, par la Commission européenne et le FMI ? C’est en tout cas ce qu’ont claironné la plupart des médias à l’issue de l’accord qui a été trouvé le vendredi 22 juin aux petites heures du matin après 6 heures d’âpres négociations.

Alexis Tsipras et Jean-Claude Juncker en 2015 (photo ©AFP)

Le premier ministre Alexis Tsipras avait promis qu’il s’astreindrait à porter une cravate si un accord était trouvé sur la gestion de la dette grecque : c’est désormais chose faite et il va donc devoir en tirer les conséquences vestimentaires qui s’imposent à lui… Au vu de cet accord et selon le Courrier international, le journal grec de gauche Efimerida ton Syntakon, a en effet titré « Un bol d’air pour la dette », estimant que « La Grèce tourne la page, elle va retrouver sa souveraineté budgétaire et a obtenu un délai de dix ans pour rembourser les échéances de la dette arrivant à maturité. C’est une étape déterminante qui montre que la dette sera bientôt supportable ».

Une tutelle du FMI difficile à supporter par les Grecs (dessin signé Ysope)

Après neuf années de récession, la Grèce renoue effectivement avec une amorce timide de croissance, ce qui a permis aux nombreux médecins orthodoxes européens qui se penchaient sur son cas de réduire un peu la posologie du traitement de cheval qu’ils administraient. La Grèce a ainsi obtenu un délai de grâce de 10 ans pour commencer à rembourser une partie des prêts qui lui ont été accordés et elle recevra prochainement une toute dernière tranche d’aide pour un montant de 15 milliards d’euros dont 5,5 destinés à assurer le service de la dette, le reste permettant de constituer un « matelas financier » destiner à accompagner en douceur la sortie du programme d’ajustement structurel.

Finie donc, à compter du 20 août prochain, la mise sous tutelle de la Grèce qui avait dû l’accepter, contre son gré et malgré les véhémentes protestations de son ex ministre des finances, Yanis Varoufakis, lequel avait démissionné bruyamment du gouvernement au lendemain du référendum du 6 juillet 2015. La Grèce serait donc sauvée aux yeux de la plupart des analystes européens…

Une crise qui laisse de lourdes traces (dessin signé Lasserpe repris dans Les crises)

Dans quel état cependant ? Le taux d’endettement de la Grèce reste le plus élevé de tous les pays de la zone européenne, représentant 180 % de son PIB, et continue de croître d’année en année : passé de 109 % en 2008, lors du déclenchement de la crise grecque, il atteignait 172 % en 2011 au moment où le pays a dû de nouveau faire appel aux créancier du FMI et de l’UE, et 177 % l’an dernier…

Socialement, la Grèce reste bien mal en point. Il semblerait que le taux de chômage ait effectivement commencé à baisser depuis 2013, après avoir atteint des sommets effrayants : il était passé de 7,4 % de la population active en juillet 2008 à 27,9 % cinq ans plus tard, atteignant même 59,6 % chez les jeunes de moins de 25 ans. Depuis, le taux de chômage a diminué mais il reste supérieur à 20 %, le plus élevé de toute l’Union européenne, et encore au-dessus de 40 % pour les jeunes qui continuent de s’exiler massivement. Avec plus de 1 millions de chômeurs pour une population totale qui n’atteint pas les 11 millions d’habitants, la Grèce détient un bien peu enviable record !

Un plan d’austérité impitoyable (dessin signé Deligne)

Entre 2008 et 2013, les salaires ont baissé en moyenne de 32 % et le pouvoir d’achat a subi une érosion sans précédent de 40 %. Les retraités grecs ont subi leur 11ème réforme des retraites, se traduisant toujours par des baisses de revenus, et le nombre de fonctionnaires a été diminué d’un tiers. La plupart des biens de l’État ont été privatisés, même le port du Pirée ayant été refourgué aux Chinois. Les impôts et taxes ont subi des hausses successives spectaculaires.

Heureusement, il reste le tourisme… (dessin signé Chapatte)

Mais à part ça, tout va bien, comme s’en sont bruyamment félicité la plupart des dirigeants européens, notre ministre des finances, Bruno Le Maire en tête, estimant « que le problème de la dette grecque est désormais derrière nous ». De fait, le taux de croissance en Grèce a atteint 1,4 % en 2017 tandis que le budget grec affiche pour cette même année et pour la première fois depuis bien longtemps, un léger excédent de 0,8 % alors qu’il était en déficit de 15,1 % en 2009.

Un plan de sauvetage (légèrement) intéressé (dessin signé Mix & Remix)

La Grèce est donc officiellement guérie et va retrouver l’insigne privilège de pouvoir librement emprunter sur les marchés financiers mondiaux comme tout pays souverain qui se respecte…Le commissaire européen Pierre Moscovici l’a d’ailleurs clairement explicité en précisant bien qu’il serait désormais « indécent » d’imposer aux dirigeants grecs un dispositif « tatillon et intrusif ».

Pour autant, il a quand même cru bon d’indiquer, à toutes fins utiles, que l’Union européenne devra « s’assurer que les réformes sont mises en œuvre et que les politiques budgétaires continuent d’être saines ». Ce à quoi le Néerlandais Hans Vijibrief, tout nouveau président du Groupe de travail de l’Eurogroupe, a précisé que les responsables grecs devaient rester « stables politiquement et éviter de remettre en cause les réformes agréées ».

Au moins le message est clair : la Grèce vient de retrouver sa souveraineté économique et budgétaire mais reste pour le moins sous surveillance : pas question de refaire des bêtises…

L. V. 

La Mède : la raffinerie de tous les dangers…

26 juin 2018

Mise en route en juin 1935, en bordure de l’étang de Berre, sur la commune de Châteauneuf-les-Martigues, la raffinerie de La Mède, qui n’en finit pas de faire parler d’elle, fait partie de ces monstres technologiques engendrés par notre société de consommation empêtrée dans ses contradictions et ses choix technologiques hasardeux !

Raffinerie de La Mède, en bordure de l’étang de Barre (photo © MaxPPP)

Lors de sa construction, par ce qui s’appelait alors la Compagnie française de raffinage et qui s’est fondu depuis dans le groupe pétrolier Total, la raffinerie dite alors « de Provence » était alimentée par un port pétrolier dédié, désormais désaffecté, et disposait d’une capacité de raffinage de 400 000 t de pétrole brut par an, une misère à l’aune des standards actuels, mais largement suffisant à une époque où l’automobile commençait tout juste à se démocratiser.

Le 9 novembre 1992, alors que la raffinerie de la Mède, qui emploie alors 430 personnes et dont la capacité de raffinage dépasse désormais les 6,6 millions de tonnes tourne à plein régime, malgré un état de délabrement et de vétusté sans cesse dénoncé, une forte explosion se produit à 5h20 du matin. Entendue à 30 km à la ronde, cette explosion, qui provoque l’embrasement des unités de traitement les plus proches, est suivie de plusieurs autres. Deux réservoirs d’hydrocarbure et plusieurs canalisations prennent feu, ainsi qu’un réservoir de soude usée et d’essence qui explose à son tour vers 9h50.

Vue de la salle de contrôle de la raffinerie lors de l’accident de 1992 (source DGPR / BARPI)

Il faut attendre 13h pour que les pompiers parviennent tant bien que mal à maîtriser le sinistre, laissant néanmoins plusieurs brasiers se poursuivre pour achever de brûler les gaz et réduire la pression. Le bilan est sévère puisqu’il fait état de 6 morts et un blessé grave parmi le personnel, mais aussi 37 blessés plus légers dont 2 pompiers. La raffinerie est dévastée sur au moins 2 ha et il faudra attendre 2 ans avant que son activité puisse reprendre.

Le voisinage a été sérieusement atteint avec des bris de vitres constatés dans un rayon de 1 km et, ponctuellement jusqu’à 8 km du site. Lors du procès, qui intervient en 2002, quelques mois après la catastrophe d’AZF et alors que Total Fina annonce des bénéfices records, le procureur juge accablante la responsabilité des dirigeants de Total, mais se contente de simples condamnations avec sursis.

Vue aérienne des traces de relâchement d’hydrocarbure à la raffinerie de La Mède en 2005 (source DGPR / IMPEL)

Le 7 août 2005, rebelote avec cette fois un nuage de 10 à 20 tonnes d’hydrocarbures liquides et gazeux qui s’échappent accidentellement de la raffinerie. Un vent fort pousse ce nuage vers la commune de Sausset-les-Pins, à 7 km de là, endommageant une centaine d’habitations mais évitant une nouvelle catastrophe qui se serait inévitablement produite si les vapeurs d’hydrocarbures avaient stagné sur le site à proximité des torchères… Total sera d’ailleurs lourdement condamné en 2007 pour négligence et non-respect des procédures suite à cet accident.

Et en novembre 2014, le site fait de nouveau parler de lui, suite cette fois au débordement de deux bassins d’hydrocarbures qui se déversent directement dans l’étang de Berre, souillant sa rive sud.

En avril 2015, le site est paralysé par des grèves suite à l’annonce d’un plan de restructuration qui prévoit la disparition de 180 postes, alors que les capacités de raffinage sur le sol français sont jugées excédentaires. La raffinerie de la Mède, lourdement déficitaire, est fermée par Total fin 2015 mais reconvertie afin d’y sauvegarder 250 emplois.

Il s’agit alors de transformer, d’ici mi-2018, le site en « bio-raffinerie » pour y produire 500 000 tonnes par an de biodiesel à partir d’un tiers d’huiles alimentaires usagées recyclées et de deux-tiers d’huile végétale, projet consacré par la délivrance en mars 2018 d’une autorisation préfectorale, imposant le recours à au moins 25 % d’huile recyclée.

Vue des nouvelles installations de production de bio-carburant à la raffinerie de La mède (photo © IMRE Nedim / TOTAL)

Un projet qui déclenche la fureur des associations environnementales, dont l’ONG Les amis de la Terre, qui dénonce l’importation massive, pour alimenter la raffinerie, de 300 à 400 000 t d’huile de palme par an, en provenance de Malaisie et d’Indonésie, où ces plantations industrielles de palmiers à huile se font en rognant sans cesse davantage sur les forêts tropicales primaires : pour produire de telles quantités d’huile de palme, on considère qu’il faut détruire 1500 km2 de forêt, ce qui revient à hâter d’autant plus la disparition de la faune associée, sachant qu’il faut par exemple 1 km2 de forêt pour permettre à un orang outang de survivre.

Mais curieusement, ce ne sont pas les défenseurs de l’environnement qui se sont fait le plus entendre dans ce dossier polémique à souhait, mais plutôt les agriculteurs de la FNSEA qui ont défrayé la chronique en venant manifester en juin 2018 contre ce projet, n’hésitant pas à bloquer 13 raffineries et dépôts de carburant sur toute la France.

Manifestation d’agriculteurs de la FNSEA devant la raffinerie Total La Mède, le 11 juin 2018 (photo © Jean-Paul Pelissier / Reuters)

Plus que le sort de l’orang outang et du tigre de Sumatra, ces agriculteurs chantres de l’agro-industrie, venaient en réalité défendre les intérêts des producteurs d’oléagineux, colza et tournesol en tête, qui servent aussi à produire du biodiesel. Une filière industrielle dominée par le géant de l’agro-business, la société Avril, dont le regretté patron était l’ex-président de la FNSEA, le richissime Xavier Beulin, récemment disparu. Peu connue du grand public, cette société dont le chiffre d’affaire atteint pourtant 7 milliards d’euros et qui emploie pas moins de 8200 salariés, est le premier producteur et transformateur européen d’oléagineux, un concurrent direct de Total donc, propriétaire accessoirement des marques Lessieur et Puget, mais aussi leader français de la nutrition animale et qui commercialise un quart des œufs vendus sur le territoire national…

Une petite entreprise, en pointe donc contre la déforestation en Indonésie, mais qui n’hésite pas à importer, pour son compte 200 000 t d’huile de palme chaque année, garantie « zéro déforestation », cela va de soi, car, pour des raisons économiques fort respectables, le biodiesel produit intègre une forte proportion d’huile de palme, nettement moins chère sur le marché mondial que le colza français. D’ailleurs le groupe Avril détient, selon le Canard enchaîné, 34 % des actions de la société PalmElit, leader mondial des semences de palmier à huile.

Plantations de palmiers à huile en Indonésie (photo © François de Sury / voir-et-agir CH)

Et n’allez surtout pas vous demander s’il est bien raisonnable de développer ainsi des « carburants verts » pour alimenter le réservoir de votre voiture, tandis que les terres arables nécessaires à l’alimentation humaine se dégradent à vue d’œil. Une étude récente commandée par la Commission européenne et publiée par Transport et environnement, indique qu’utiliser du biodiesel à base d’huile de palme revient à émettre trois fois plus de gaz à effet de serre que d’utiliser du diesel classique !

Encore un choix technologique manifestement soigneusement réfléchi et qui devrait nous permettre d’avancer à grande vitesse vers le mur où l’humanité ne devrait pas tarder à s’écraser en klaxonnant bien fort…

L. V.