Quelques éléments d’histoire :
Après le fiasco des rentes ouvrières et paysannes de 1910 et les premières assurances sociales de 1930 qui ne concernaient pas l’assurance retraite, il faut attendre 1937 et le Front Populaire pour voir élargies les assurances sociales aux catégories de salariés jusqu’alors exclues et la signature d’accords issus de négociations paritaires débouchant sur l’instauration de régimes de prévoyance et de retraite dans certains secteurs professionnels (Industries Métallurgiques et Minières, puis chimie, aéronautique, travaux publics …), prémices du système en répartition que nous connaissons encore.
C’est en octobre 1945 que Gaullistes et Communistes au sein du Conseil National de la Résistance proposent un système de sécurité sociale garantissant une assurance vieillesse dont voici les principes (exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945) :
« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes.
Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la volonté de débarrasser nos concitoyens de l’incertitude du lendemain »
En 1947 sont créés des régimes de retraites complémentaires dont ceux des cadres (AGIRC) avec une technique de calcul par points. En 1961 la création de l’ARRCO permet aux salariés non-cadres de bénéficier d’une retraite complémentaire, système qui sera généralisé en 1972 sauf pour quelques régimes spéciaux.
En 1983, l’âge de départ à la retraite est abaissé de 65 ans à 60 ans avec une durée de cotisation de 37,5 années de carrière. Cette disposition ne cessera ensuite d’être modifiée.
1993, par les lois Balladur : allongement progressif de la durée minimum de cotisation de 37,5 ans (150 trimestres) à 40 ans (160 trimestres), changement du mode de calcul des pensions des salariés du privé (période de référence : passage des 10 meilleures années aux 25 meilleures années) et indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires
2003 avec la réforme Fillon : dès 2012, durée de cotisation allongée à 41 ans (164 trimestres), surcote pour ceux qui prolongent, création de produits d’épargne retraite par capitalisation, création de la retraite additionnelle (2005) dans la fonction publique.
2007 : réforme des régimes spéciaux.
2010 : allongement progressif de la durée d’assurance et recul de l’âge de départ à 62 ans avec report à 67 ans de la retraite à taux plein, sans compter une révision régressive des carrières longues.
2014 : instauration du compte pénibilité, nouvel allongement progressif de la durée d’assurance, abaissement de la valeur d’un trimestre à 150 fois le SMIC horaire, plus de droits nouveaux issus du cumul emploi-retraite.
Comme ce rappel le montre, les modalités d’ouverture des droits aux pensions de retraite n’ont cessé d’évoluer négativement, sauf entre 1983 et 1993.
Pourquoi l’Etat décide-t-il de remettre à plat le régime des retraites ?
- Afin d’éviter le déficit de certaines caisses (mineurs, agriculteurs notamment),
- Pour le rendre solidaire et universel,
- Pour rendre le système « pilotable »,
- Pour tenir compte des évolutions démographiques dont l’allongement de l’espérance de vie, mais cette dernière est-elle durable ?
- Pour qu’il soit plus équitable,
- Afin qu’il soit plus redistributif.
Quels changements majeurs ?
- L’état décide d’unifier les 42 régimes existants et donc de mettre fin à l’existence de régimes spéciaux qui ne concernent qu’environ 410 000 agents.
- Il envisage un nouveau mode de calcul par points tel qu’il existe pour les retraites complémentaires et d’abandonner le calcul par trimestres jusqu’alors en vigueur.
Quels effets ?
- Un allongement de la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite au taux plein de sa génération même s’il y aura toujours la possibilité de cesser son activité à 62 ans mais avec une pension substantiellement réduite (- 15 %). C’est à partir de 64 ou 65 ans (âge pivot) que pour ceux qui ont commencé à travailler à 22 ans, la retraite pourra être perçue avec 5,5 % de rendement. Subsistent quelques régimes dérogatoires pour les salariés des fonctions régaliennes (sécurité, défense) et pour les métiers à risques.
Un dessin signé Lacombe, publié dans Marianne le 1er novembre 2019
Exemple d’un salarié qui a cotisé sur la base d’un salaire égal à 1,5 SMIC. Il a acquis 30 000 points (10 € = 1 point) tout au long de sa carrière. Il a le droit de partir à 62 ans, âge légal de départ à la retraite.
Au moment de sa retraite, la retraite mensuelle est calculée à l’âge du taux plein en appliquant la valeur de service, 1 point = 0,55 € soit 30 000 points x 0,55 € = 16 500 €
Le salarié bénéficiera de 5,5 % de rendement s’il part à l’âge du taux plein de sa génération.
Si ce salarié part à la retraite 2 ans avant l’âge de taux plein, le montant de sa retraite annuelle sera diminué de 10 % (rendement de 4,95 %) et sera de 1238 € par mois
S’il part 1 an avant l’âge de taux plein, sa retraite sera diminuée de 5 % (rendement de 5,225 %) et sera de 1306 € par mois
S’il part à l’âge du taux plein, il bénéficiera du plein rendement de 5,5 % soit 1375 € par mois
S’il part une année après l’acquis du taux plein, le rendement est de 5,775 % et la retraite est de 1444 € par mois soit pour l’année 105 % de 16 500 €
S’il part 2 ans après l’acquis du taux plein, le rendement est de 6,05 % et la retraite est alors de 1513 € par mois soit pour l’année 110 % de 16 500 €
Comparaison entre les deux systèmes
Système actuel : Les assurés qui partent avant l’âge du taux plein subissent une double pénalisation : d’une part, le calcul de la retraite est proratisé car la carrière est incomplète par rapport à la durée d’assurance requise, d’autre part ils subissent une décote de 5 % du montant de la retraite pour chaque année les séparant de l’âge du taux plein.
Exemple : un assuré de la génération 1963 qui a commencé sa carrière à 22 ans et qui doit valider une durée d’assurance de 42 ans, devra partir à 64 ans pour bénéficier du taux plein dans le système actuel. S’il part à 62 ans, il sera doublement pénalisé, par la proratisation 540/42 et par la décote (-10 %) et sa retraite sera fortement réduite (- 15 %)
Système universel : Les assurés verront leur rendement ajusté de 5 % par année d’écart à l’âge du taux plein, sans subir de règle de proratisation par rapport à une d’assurance requise car celle-ci ne constitue plus un critère de calcul de la retraite dans le système universel en points.
Exemple : un assuré, dont l’âge du taux plein est fixé à 64 ans, verra sa retraite diminuée de 10 % s’il décide de partir à 62 ans (et non plus de 15 % dans l’exemple ci-dessus).
- L’abandon du calcul de la durée de cotisation par trimestres au profit du calcul par points pénalise les carrières sans grandes évolutions d’autant que la référence n’est plus celle des 25 meilleures années pour le plus grand nombre et des six derniers mois pour les fonctionnaires.
- Les agents de l’État qui n’effectuent pas d’heures supplémentaires ou ne perçoivent pas ou peu de primes et d’indemnités (enseignants du premier degré par exemple) verront leur pension réduite par rapport à leurs aînés.
- La fixation d’un minimum de pension mensuelle à 1000 € qui entraînera une légère hausse du niveau des retraites les plus faibles (petits agriculteurs et salariés avec de bas salaires),
- Une baisse du niveau des pensions pour les classes moyennes (ex : couple percevant un salaire mensuel situé entre 2468 et 4423 € par mois – source INSEE janvier 2019)
- Un nouveau calcul des pensions de réversion pour les veufs et les veuves (70% des droits de retraite du couple. L’exemple donné dans le rapport (2850 € pour le couple) n’octroie qu’une augmentation pour le survivant de 30 € par mois !
- Une majoration des points (5 % par enfant) dès le premier enfant
- La prise en compte des périodes de chômage, de maternité, de congé éducation jusqu’aux 3 ans de l’enfant.
La garantie des droits acquis dans les régimes actuels. Cf. exemple ci-dessous extrait du rapport :
- La possibilité de cumuler retraite et emploi, un comble au regard du taux de chômage des jeunes peu qualifiés et des séniors !
Quelles incertitudes ?
- Le rapport DELEVOY fixe, pour le calcul de la retraite, le gain d’1 point pour 10 € cotisés (cotisation salariée + cotisation patronale) et la valeur du point à 0,55 €. Il précise que cette valeur ne peut baisser mais qu’elle sera revalorisée en fonction du taux d’inflation et non des revenus.
Prenons l’exemple d’un salarié rémunéré au SMIC durant toute sa vie (1521 € brut mensuel), la cotisation mensuelle s’élèvera à : 1521,22 € X 25,31 % (cotisation salarié + cotisation patronale) = 385,02 € soit, si 10 € cotisés rapportent un point, 38,50 points/mois et donc 462 points/an. Pour 44 années de cotisations sans périodes de chômage et de maladie : 462 X 44 = 20 328 points sont acquis qui représentent 20 328 X 0,55€ = 11 180,40 €/an de pension soit 931 €/mois !
Ce salarié, selon les informations données dans le rapport, bénéficierait d’un « coup de pouce » de solidarité pour atteindre le plancher de 1000 € de pension par mois !
- Quand on connaît le mode de calcul du taux d’inflation par l’INSEE et que l’on sait qu’actuellement pour les fonctionnaires, l’augmentation des retraites n’est que de 0,9 % avec une inflation à 2 %, rien ne garantit que ce soit la totalité de ce taux qui soit prise en compte !
- L’allongement de la durée de cotisation est plus avantageux pour ceux qui travaillent alors que ceux qui sont en chômage ou en congé de maternité ou d’éducation ne bénéficient que d’un taux de 60 %. Cela n’est pas sans incidence sur le calcul de la pension quand on sait que l’employabilité des séniors est faible ! Va-t-on vers une incitation au cumul retraite/travail alors que le taux de chômage est toujours aussi élevé !
Au final, il ressort de l’analyse de ce rapport que si les salariés très modestes peuvent espérer au mieux quelques euros de plus, l’atteinte d’une retraite minimale au niveau du SMIC n’est pas pour demain ! Qu’en est-il alors des principes de 1945 rappelés dans le rapport Delevoy ?
Garantit-on des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes ?
Est-on assuré d’être débarrassé de l’incertitude du lendemain ? Loin s’en faut !
Compte tenu de ces observations et des incertitudes qui demeurent, et même si le rapport prétend préserver un système de retraite par répartition plus équitable et pérenne, ne se dirige-t-on pas vers un système qui conduirait ceux qui le peuvent à envisager un complément de retraite par capitalisation ! Qu’en sera-t-il alors des plus pauvres qui ne peuvent épargner et pour qui la retraite ne permettra que de survivre ?
MM