Posts Tagged ‘Méditerranée’

Un précurseur antique du chemin de fer

16 Mai 2024

Il est bien connu que l’invention du chemin de fer a largement contribué à l’essor de l’industrialisation en Europe au début du XIXe siècle. Associant un système de rails métalliques pour le guidage et des wagons tractés par une locomotive à moteur, ce nouveau mode de déplacement a connu un essor spectaculaire à partir de 1840 et s’est imposé pendant plus d’un siècle, jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale comme le mode de transport prépondérant, pour les marchandises comme pour les voyageurs. La première ligne commerciale fut ouverte en 1825, dans le comté de Durham, au nord-est de l’Angleterre et reliait le port fluvial de Stockton-on-Tees à la ville de Darlington, permettant la desserte de plusieurs houillères pour en faciliter le transport du charbon extrait.

Le jour de l’inauguration, c’est l’ingénieur britannique Georges Stephenson en personne qui est aux commandes de la locomotive à vapeur qu’il a lui-même construite et baptisé Locomotion n°1, laquelle tracte un wagon de musiciens, ce qui ne l’empêche pas d’atteindre en descente la vitesse fabuleuse à l’époque de 40 km/h. Stephenson n’en est pas à son coup d’essai, ayant conçu un premier prototype de locomotive à vapeur dès 1814 et faisant fonctionner depuis 1817 un engin capable de tracter 70 tonnes de charbon dans la houillère où il est employé. C’est lui qui a eu l’idée de tester une locomotive à vapeur sur cette ligne où il était initialement prévu une traction hippomobile, et c’est lui encore qui concevra en 1829 La Fusée, une locomotive innovante pour la nouvelle ligne reliant Manchester à Liverpool.

La locomotive Rocket (La Fusée) conçue par l’ingénieur britannique Georges Stephenson en 1829 (photo © Wiliam M. Connolley / Science Museum London / Wikimedia Commons)

Si ce mode de transport sur rails a connu un tel succès et continue encore à être très largement utilisé de nos jours malgré sa contrainte liée à la nécessité de suivre toujours le même trajet, c’est parce qu’il permet de réduire fortement les frottements et facilite ainsi le transport de lourdes charges. Avant même l’invention de la locomotive à vapeur, ce système de rails était ainsi déjà largement utilisé, notamment dans les mines, parfois depuis le XVIe siècle, mais plutôt sous forme de rainures taillées dans la roche, remplacées ensuite par des gorges en bois recouvert de fer pour réduire l’usure.

Wagonnets poussés par des enfants dans une mine de charbon dans les années 1800 à 1850 (source © Fossilraptor)

Un tel dispositif de chemin guidé destiné à minimiser l’énergie nécessaire pour déplacer des charges remonte en fait à l’Antiquité. Le modèle le plus abouti date des Grecs anciens et est connu sous le nom de Diolkos, ce qui fait référence à la notion de portage. Il s’agit d’une voie dallée, de 3,5 à 6 m de largeur, creusée de deux sillons parallèles et qui avait été aménagée sans doute à la fin du VIIe siècle avant J.-C., pour relier le golfe de Corinthe, à l’ouest, au golfe Saronique, du côté de la mer Egée. Cette voie pavée avait été conçue pour faciliter le transfert des marchandises par voie terrestre via l’isthme de Corinthe, une bande de terre qui ne fait pas plus de 6,4 km de largeur à son point le plus étroit et qui permet de relier la presqu’île du Péloponnèse à la Grèce continentale.

Tronçon encore bien conservé du Diolkos antique, sur une base militaire grecque, au nord du canal de Corinthe (source © Arkeonews)

C’est probablement Périandre, tyran de Corinthe, qui est à l’origine de l’aménagement de cette voie remarquable, aménagée en courbe de niveau pour minimiser les dénivelées et dont la pente est en moyenne de 1,5 % sans jamais dépasser 6 %. Ses vestiges sont encore bien visibles du côté du golfe de Corinthe où l’on peut voir l’ancien quai d’amarrage des navires et la rampe qui permettait de tracter les navires sur la terre ferme. Selon les reconstitutions archéologiques qui ont pu être faites, les bateaux étaient déchargés et les marchandises acheminées à travers l’isthme terrestre sur des sortes de chariots roulants halés au moyen de cordes, et guidés par les deux gorges taillées dans le calcaire dur selon un espacement de 1,60 m.

Reconstitution du fonctionnement de la voie de transbordement des bateaux à travers l’isthme de Corinthe (source © YouTube)

L’opération permettait un transbordement rapide depuis la mer Ionienne vers la mer Egée sans avoir à faire tout le tour du Péloponnèse par une navigation souvent périlleuse au passage de certains caps réputés particulièrement traîtres. Dans certains cas, c’était même le navire tout entier qui était ainsi halé à terre pour le faire passer rapidement d’une mer à l’autre. Un système de treuils à cabestan était probablement utilisé pour tirer les lourds navires de guerre à terre et les faire pivoter pour les orienter dans l’axe des rails, après les avoir allégés au maximum. En 428 avant J.-C., les Spartiates avaient prévu de faire transiter leur flotte par le Diolkos pour attaquer Athènes et en 411, ils y firent transiter toute une escadre en direction de Chios. En 220 av. J.-C., Démétrios de Pharos y fit passer une cinquantaine de navires de guerre vers le golfe de Corinthe et, trois ans plus tard, c’est Philippe de Macédoine qui l’utilisa pour 38 de ses vaisseaux tandis que le reste de sa flotte contournait le Péloponnèse. Le Romain Octave emprunta lui aussi cette voie terrestre avec une partie de ses birèmes après sa victoire à Actium en 31 av. J.-C., pour pourchasser plus rapidement son adversaire Marc Antoine. On raconte même que le général byzantin Nicétas Oryphas l’utilisa encore en 868 après J.-C. et y fit transiter sa flotte de 100 navires venus au secours de la ville italienne de Raguse alors assiégée par les Arabes, ce qui signifierait que cette voie terrestre aura servi pendant au moins 1500 ans !

Bataille d’Actium, bas-relief exposé au musée de l’Ara Pacis à Rome, copie d’originaux en marbre issus d’un temple dédié au culte impérial d’Auguste, conservés aujourd’hui à Cordoue (photo ©  G. Collognat / Odysseum)

Une belle longévité pour un ouvrage, dont le péage fit la fortune de la ville de Corinthe et qui a d’ailleurs été probablement bien davantage utilisée à des fins commerciales, pour transporter des pondéreux, y compris des blocs de marbre ou des bois d’œuvre, que pour un usage militaire, même si c’est ce dernier dont on a surtout gardé trace dans les chroniques anciennes.

An l’an 67 de notre ère, l’empereur Néron, alors en tournée en Grèce, inaugure en grande pompe avec l’aide d’une pelle en or, le chantier du futur canal de Corinthe, destiné à permettre un transfert maritime plus rapide à travers l’étroit isthme. Mais le chantier, jugé excessivement onéreux par Galba, qui lui succède à sa mort en 68, sera rapidement abandonné. Il faudra attendre 1829 pour que le géologue français Pierre Théodore Virlet d’Aoust, participant à l’expédition de Morée à la fin de la guerre d’indépendance de la Grèce, dresse de nouveaux plans pour reprendre ce vieux projet de canal.

Le canal de Corinthe, large de 24 m, quelque peu sous-dimensionné pour le transit des paquebots modernes (source © Apostolos Kaknis / Blog-Croisiland)

Les travaux ne débuteront cependant qu’en mars 1882 et se révéleront bien plus ardus que prévu. La société concessionnaire fera d’ailleurs faillite en 1889 et l’inauguration de l’ouvrage ne se fera qu’en juillet 1893 pour une première traversée en janvier 1894, par un bateau battant pavillon français, le Notre-Dame du Salut, bien avant la traversée toute récente du Bélem rapportant la flamme olympique. Le canal débute d’ailleurs côté ouest juste à côté de l’antique Diolkos et son creusement est sans doute à l’origine de la destruction des vestiges d’une bonne partie de cette voie de halage particulièrement ingénieuse pour son époque, prémices, selon certains, des futures voies ferrées du XIXe siècle.

L. V.

Le rocambolesque trésor de Lava

4 Mai 2024

Un procès hors normes vient de se tenir au tribunal correctionnel de Marseille, fin janvier 2024, celui de Félix Biancamaria, accusé de recel d’un bien culturel maritime considéré comme un « trésor d’État ». Le verdict a été rendu le 27 mars 2024 et condamne Félix Biancamaria à 12 mois de prison avec sursis et à une amende de 200 000 € à payer solidairement avec son ami Jean-Michel Richaud, également inculpé dans cette affaire. Les deux hommes ont déjà fait appel de ce jugement et l’affaire n’est donc pas terminée, même si cet épisode judiciaire fait un peu figure de n-ième rebondissement dans ce dossier rocambolesque qui dure depuis déjà près de 40 ans…

Jean-Michel Richaud et Félix Biancamaria (à droite) lors de leur procès à Marseille en janvier 2024, à l’issue duquel ils ont été condamnés pour recel de bien culturel maritime (source © Corse matin)

Tout aurait commencé le 6 septembre 1985, même si bien des points restent obscurs dans cette histoire où les principaux protagonistes ont changé maintes fois de version et reconnaissent ouvertement avoir passé leur temps à mentir pour préserver leurs intérêts. A l’époque, les deux frères Félix et Ange Biancamaria, deux fils de bonne famille corse, âgés alors de moins de 30 ans, s’adonnent avec leur ami Marc Cotoni, aujourd’hui décédé, à la pêche aux oursins, dans le golfe de Lava, face au rocher de Pietra Piumbata, à quelques kilomètres au nord d’Ajaccio. A entendre leur témoignage, recueilli récemment pour les besoins de l’émission Affaires sensibles de Fabrice Drouel, ils remplissaient alors de pleins sacs postaux d’oursins, sans grand souci de la préservation de l’environnement.

Les eaux limpides du golfe de Lava où les frères Biancamaria ont trouvé leur trésor romain (source © Archeobiblion)

Ils auraient découvert ce jour-là 3 pièces d’or collées au rocher à très faible profondeur, faciles à détacher avec leur couteau de plongeur. Des pièces recouvertes de dépôt calcaire, que les frères s’empressent de tremper dans l’acide chlorhydrique et qui révèlent alors tout leur éclat et leurs inscriptions latines. De quoi donner envie d’y retourner aussitôt ! Et les frères Biancamaria enchaînent dès lors plongées sur plongées, découvrant rapidement bien d’autres pièces d’or enfouies dans le sable à quelques mètres du rivage de la petite crique, parfois coincées sous quelques rochers qu’ils s’empressent de soulever à l’aide de crics et de barres à mine.

Les pièces d’or du trésor de Lava (photo © A M Felicisimo / Nice matin / CC-BY-SAA / Le Figaro)

Selon Félix Biancamaria, qui a raconté ses exploits dans un ouvrage publié en 2004 et dont il remet désormais en cause certains détails qui collent mal avec sa version judiciaire actuelle, il se serait alors rendu chez un numismate niçois pour tenter d’écouler ses trouvailles, rapidement identifiées comme des pièces romaines de grande valeur, datant d’environ 270 après J.-C. Rapidement réorienté vers le spécialiste national de l’époque, en l’occurrence Jean Vinchon qui tient une officine reconnue rue Richelieu, à Paris, Félix Biancamaria repart avec, selon lui 800 000 F en liquide dans son sac. De quoi motiver les deux frères à multiplier les fouilles dans les eaux turquoise de Lava…

Pendant des mois, ils accumulent ainsi au moins 400 à 600 pièces d’or, peut-être davantage, toutes datées de cette même époque, marquées de l’effigie des 4 empereurs romains qui se sont succédé entre 253 et 275 après J.-C., à savoir Gallien, Claude II le Gothique, Quintille et Aurélien. Certaines sont de simples aurei, des pièces minuscules pesant moins de 5 grammes, mais ils découvrent aussi des médaillons dits multiples, de plusieurs dizaines de grammes chacun, des œuvres d’art d’une valeur inestimables et d’une très grande rareté. Ils remontent aussi des bijoux et des anneaux d’or, qu’ils s’empressent de fondre, ainsi qu’un exceptionnel plat en or pesant 900 grammes, de forme incurvée et serti en son centre d’un médaillon sculpté à l’effigie de Gallien, découvert en juillet 1986 sous un rocher.

Le plat en or à l’effigie de l’empereur Gallien, découvert par Félix Biancamaria (photo © Stéphane Cavillon / DRASSM / France Bleu)

Les jeunes frères Biancamaria sont saisis par une véritable frénésie devant tout cet or qu’il suffit de ramasser dans l’eau limpide à très faible profondeur. Ils multiplient dès lors les allers-retours à Paris pour écouler leur trésor et amassent ainsi une véritable fortune qu’ils dépensent sans compter en voitures de collections, montres de luxe et chaussures en peau de crocodile. Ils étalent leur richesse sans se cacher le moins du monde, passant toutes leurs nuits à faire la fête avec leur cercle d’amis. Quarante ans plus tard, leurs yeux brillent toujours lorsqu’ils évoquent cette vie facile baignant dans le luxe, et ceci sans le moindre remord, confirmant que seul les intéressait l’argent qu’ils pouvaient tirer de ce trésor archéologique tombé fort opportunément entre leurs mains.

En novembre 1986, le numismate Jean Vinchon organise une vente exceptionnelle aux enchères à Monte Carlo d’une partie des pièces d’or du trésor de Lava. Mais le quotidien régional Le Provençal, alerté par une dénonciation anonyme, met les pieds dans le plat et s’interroge que l’on puisse ainsi vendre au plus offrant un patrimoine archéologique aussi inestimable, qui plus est d’origine sous-marine. La législation française prévoit en effet explicitement que ce type de trésor revient intégralement à l’État, contrairement à une découverte faite à terre dont le découvreur peut revendiquer la propriété à 50 %.

Fiche Interpol publiée dans les années 2010, rappelant que les pièces du trésor de Lava ne peuvent être écoulées librement sur le marché mondial où elles continuent à circuler… (source © La carte aux trésors)

Les douanes saisissent alors les 18 pièces d’or exceptionnelles destinées à être vendues aux enchères et une enquête de gendarmerie est ouverte. En 1994, Ange et Félix Biancamaria ainsi que leur complice Marc Cotoni et le numismate Jean Vinchon sont condamnés à 18 mois de prison avec sursis et 25 000 F d’amende. Une paille par rapport à la valeur du trésor découvert, estimé désormais à plusieurs dizaines de millions d’euros. Seuls 78 pièces au total sont finalement récupérées par l’État français, pour la plupart désormais conservées à la Bibliothèque nationale de France, mais des dizaines d’autres ont été vendues, souvent à l’étranger et sont désormais dispersées aux quatre coins du monde. Des faux ont même été fabriqués et saisis ultérieurement.

Si Félix Biancamaria s’est retrouvé de nouveau sur les bancs du tribunal en 2024, c’est parce qu’il a continué à écouler le trésor de Lava et notamment le fameux plat en or soigneusement caché pendant toutes ces années. Il s’est même fait aider pour cela par de nombreux intermédiaires, dont Gilbert Casanova, notable local, président de la Chambre de Commerce dans les années 1990, et qui reconnait avoir trimballé le fameux plat en or jusqu’en Floride pour tenter de le fourguer à de riches collectionneurs sans scrupules. Il raconte même avoir repêché le fameux plat dans le port d’Ajaccio, un jour où il le présentait à des clients potentiels sur son yacht, le plat ayant valsé par-dessus bord à cause de son chien exubérant, ce qui expliquerait que le fameux médaillon de Gallien qui en ornait le centre n’ait jamais été retrouvé…

Félix Biancamaria, prolixe devant les caméras de France TV pour l’émission Affaires sensibles (source © France TV)

Le plat, quant à lui, a bel et bien été récupéré, fin 2010, dans le sac de Félix Biancamaria, qui était aller le récupérer à Bruxelles car il avait une nouvelle piste pour tenter de l’écouler. Mais il ne savait pas qu’il était sur écoute et les gendarmes n’ont eu aucune peine à l’arrêter avec l’objet du délit, ce qui lui vaut d’ailleurs son récent procès où il a tenté une nouvelle fois, mais en vain, de convaincre que le fameux trésor n’avait jamais été trouvé en mer mais sur la terre ferme.

Un trésor dont on ignore toujours la véritable origine, du fait des mensonges répétés de ses découvreurs, même si l’on subodore que ces objets précieux et rarissime appartenaient à un riche dignitaire, peut-être un officier de haut rang ayant servi les 4 empereurs successifs, et ayant fui Rome vers 273 après J.-C. à bord d’une galère qui aurait pris feu au large d’Ajaccio, mais dont on n’a jamais retrouvé trace du naufrage. En dehors des objets en or du trésor de Lava qui a fait tourner la tête aux deux frères Biancamaria…

L. V.

Le Parc des Calanques, à Carnoux ce soir…

4 avril 2024

Plus de 10 ans déjà se sont passés depuis la création officielle du Parc National des Calanques en 2012. Dix années au cours desquelles ce Parc National original, créé aux portes de la deuxième ville de France, dans un environnement naturel mêlant massif rocheux méditerranéen et fonds marins, s’est structuré et a mené de multiples actions souvent méconnues.

C’est pourquoi il a paru opportun d’inviter Alain Vincent, directeur de l’action territoriale du Parc National des Calanques, pour évoquer ces 10 ans d’actions et ces nombreux projets d’avenir qui se bousculent, pour mieux préserver cet espace naturel exceptionnel qui s’étend à deux pas de notre commune de Carnoux-en-Provence et favoriser les bonnes pratiques qui permettent de maintenir les usages sans menacer la biodiversité. Un subtil équilibre pour lequel il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie, et parfois d’un peu de fermeté…

Cette conférence organisée par le Cercle progressiste carnussien se tiendra ce soir, jeudi 4 avril 2024, à Carnoux dans la salle municipale du Clos Blancheton à partir de 18h30. L’accès est gratuit et ouvert à tous : profitez-en !

Égypte : Alexandrie sous les eaux ?

19 janvier 2024

Avec le réchauffement climatique en cours, le niveau des océans monte, principalement sous l’effet d’un phénomène physique de base : un liquide qui s’échauffe se dilate. A cela s’ajoutent bien d’autres phénomènes dont une modification de régime des précipitations ou encore la fonte des glaciers et des calottes polaires qui rendent les choses plus complexes et risquent d’amplifier le mouvement. Toujours est-il que depuis 1880, toutes les observations confirment que le niveau des mers s’élève, et même de plus en plus vite. Entre 1901 et 2015, cette élévation moyenne avait été estimée autour de 1,7 mm par an. Sur la période 2006-2018, elle serait plutôt de l’ordre de 3,7 mm/ an, donc plus du double. Et les projections du GIEC annoncent une augmentation comprise, selon les scénarios, entre 5,2 et 12,1 mm/an pour la période 2080-2100.

L’élévation du niveau de la mer, un phénomène inéluctable déjà bien engagé (photo © Bruno Marty / INRAE)

Une étude récente publiée le 18 décembre 2023 par trois chercheurs de l’Institut national de géophysique et de volcanologie, basés à Bologne et à Rome, s’attache à suivre les mouvements du niveau de la Méditerranée à partir des données satellite qui enregistrent ces données en continu par visée radar et sont disponibles depuis 1996. Or ces données révèlent une hausse du niveau relatif de la mer Méditerranée localement très supérieure car se cumulent non seulement l’élévation du niveau de la mer mais aussi l’enfoncement du sol sous l’effet des mouvements tectoniques toujours en cours.

L’effet de ces mouvements géologiques de subsidence varie fortement d’un point à un autre mais leur prise en compte modifie fortement l’impact de cette élévation du niveau de la mer : lorsque celle-ci monte en même temps que le sol s’enfonce, les effets en termes d’érosion du littoral ou de salinisation des terres, déjà bien visibles dans certaines régions comme la Camargue ou la presqu’île de Gien dans le Var, en sont décuplés ! Sur certaines stations de mesure, notamment dans le nord de l’Adriatique, on observe ainsi, dès à présent, des vitesses d’élévation relative de la mer par rapport au littoral qui atteignent 17 mm par an ! Inversement, à certains endroits, la côte se soulève comme c’est le cas des Champs Phlégréens près de Naples avec une élévation relative de 39 mm par rapport au niveau de la mer, malgré la hausse de ce dernier.

Principales plaines côtières du pourtour méditerranéen, directement menacées par l’élévation en cours du niveau des eaux (source © A. Vecchio et al., Environmental Research Letters)

Selon cette étude, les 19 000 km de côte méditerranéenne risquent néanmoins de subir une élévation relative moyenne du niveau de la mer plus importante que celle imaginée par le GIEC dont les projections ne tiennent pas compte de ces mouvements tectoniques. Un phénomène qui sera particulièrement marqué dans les grands deltas alluviaux, dont ceux du Rhône (Camargue), du Pô (côte vénitienne) et surtout du Nil, dans la région d’Alexandrie, de loin la plus exposée.

Vue aérienne de l’entrée du port d’Alexandrie avec la citadelle mamelouke de Qaitbay, édifiée au XVe siècle avec les pierres de l’ancien phare antique (photo © Getty Image / Norwegian Cruise Line)

Sur ce dernier point, l’information n’est pas nouvelle et l’on mesure déjà depuis des années un enfoncement de la grande cité égyptienne de 6 millions d’habitants, qui dépasse allègrement les 3 mm/an, ce phénomène étant en l’occurrence renforcé depuis la construction des barrages sur le Nil qui empêchent le transit sédimentaire permettant de recharger, année après année, le cône alluvial menacé par les intrusions marines. Le GIEC avait déjà annoncé dans un de ses rapport qu’on s’attend ici à une augmentation du niveau de la mer de 1 m d’ici 2050 et que « un tiers des terres ultra-fertiles du delta du Nil et des villes historiques comme Alexandrie seront inondées ».

Pluies sur Le Caire, ici le 12 mars 2020 : durant cet hiver, les inondations ont fait une vingtaine de morts en Égypte (photo ©  Mohamed el-Shahed / AFP / Arabnews)

Dans le delta du Nil, la mer a déjà avancé de 3 km depuis les années 1960. Le phare de Rosette, construit à la fin du XIXe siècle par le khédive Ismaël Pacha a d’ores et déjà été englouti dans les années 1980. Selon les projections de l’ONU, une simple élévation de la mer de 50 cm se traduirait par l’inondation de 30 % de la ville d’Alexandrie et le déplacement d’au moins 1,5 millions d’habitants, lesquels ont déjà dû évacuer en 2015 et en 2020 des dizaines d’immeubles fragilisés par les inondations récurrentes. Dans son discours d’ouverture de la COP 26, à Glasgow, en novembre 2021, l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson, toujours provocateur, n’avait d’ailleurs pas hésité à prononcer ses « adieux » à la ville d’Alexandrie, invitant chacun à s’y rendre s’en tarder pour la visiter avant qu’il ne soit trop tard…

Reconstitution par l’équipe de Franck Goddio de la cité antique de Thônis-Hérakléion dans la baie d’Aboukir (source © Bilan)

Il faut dire que la région connait déjà au moins un précédent avec la disparition de l’ancien port antique de Thônis-Hérakléion, érigé sur une île à l’embouchure du Nil, et qui repose désormais sous plusieurs mètres de fond dans les eaux de la Méditerranée où ses vestiges, ainsi que ceux de la ville voisine de Canope, ont été découverts en 1999-2000 par l’archéologue sous-marin français, Franck Goddio, dans la baie d’Aboukir, à plusieurs kilomètres des côtes égyptiennes actuelles. L’ancien port grec d’Hérakléion jouait pourtant un rôle majeur dans le commerce naval antique et était même le principal port de toute la Méditerranée jusqu’à la fondation d’Alexandrie en 331 avant J.-C.

Les ruines de la cité antique engloutie de Thônis-Hérakléion, par 6 m de fond (source © Arkeonews)

Au milieu du IIe siècle avant notre ère, un violent tremblement de terre détruisit le temple du dieu Amon. D’autres cataclysmes ont suivi, avec des phénomènes de liquéfaction des sols liés aux séismes, emportant sous les eaux la totalité de la ville engloutie définitivement au VIIe siècle de notre ère et dont les plongeurs continuent à fouiller les vestiges, confirmant, s’il en était besoin, que lorsque les forces telluriques s’allient à l’élévation du niveau de la mer sous l’effet du réchauffement climatique, il ne fait pas bon habiter trop près du littoral…

L. V.

Construction en pierres sèches : un savoir ancestral reconnu

16 octobre 2023

Construire en pierres sèches, voilà bien un point commun à la plupart des civilisations qui ont la chance d’habiter dans des zones où la pierre est abondante. Empiler des pierres les unes sur les autres, cela paraît simple mais très tôt les hommes ont su raffiner les techniques et tirer le meilleur parti de cette technique de construction. L’appareillage particulièrement soigné et la taille gigantesque des blocs parfaitement ajustés que l’on retrouve dans les constructions incas de Machu Pichu ou de la forteresse de Sacsayhuaman édifiée au XVe siècle sur les hauteurs de Cuzco montrent quel niveau de perfection certains artisans étaient capables d’atteindre.

Mur en pierres soigneusement appareillées des ruines incas de Sacsayhuaman, au Pérou (source © Histoire à sac à dos)

Mais l’on retrouve de telles constructions cyclopéennes aux pierres soigneusement ajustées bien avant, notamment dans les ruines de la ville grecque de Mycènes. De nombreuses techniques différentes y coexistent d’ailleurs, entre les murailles de la porte aux lions, les blocs parallélépipédiques taillées et les linteaux énormes des tholos, les grandes dalles dressées et les murs en petit appareillage plus classique, que l’on retrouve notamment dans le cercle A de tombes royales qui aurait été édifié vers 1600 avant notre ère.

A Mycènes, vestiges du cercle A de tombes royales, découvertes par Schliemann et datées entre 1600 et 1500 ans avant J.-C. (source © Antik for ever)

C’est sans doute ce qui fait la particularité de cette technique de construction, très ancienne et que d’innombrables civilisations se sont appropriées à travers le monde, chacune avec son style spécifique, pour construire des abris de cantonniers ou des murets de clôture comme des forteresses défensives majestueuses ou des tours énigmatiques, à l’image des nuraghes, ces vestiges édifiés en Sardaigne, vers 1500 avant J.-C. sous forme de milliers de tours en pierres à cône tronqué, dont on ne sait toujours pas très bien expliquer l’usage mais qui s’imposent dans le paysage.

Nuraghe Losa, près de la ville d’Abbasanta, dans le centre-ouest de la Sardaigne, construit vers 1600 avant notre ère (photo © Istock / Histoire et civilisation)

Une telle technique valait bien une reconnaissance internationale. C’est chose faite depuis que l’UNESCO l’a inscrite en 2018 sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité ! Dès 2011, le ministère français de l’écologie l’inscrivait dans les filières vertes de construction et reconnaissait les bienfaits de ce type de construction dont l’empreinte carbone est très faible du fait de l’absence de liant, de type chaux ou mortier de ciment, et de l‘utilisation de matériaux généralement prélevés sur place et assemblés manuellement.

Restanque en pierres sèches et cabanon dans le Gard, au lieu-dit Combe de Bourguignon, à Marguerittes (photo © Claire Cornu / Patrimoine UNESCO)

Les murs de soutènement en pierre sèche, qui jalonnent tout le pourtour méditerranéen mais que l’on retrouve un peu partout dans le monde, des campagnes irlandaises jusqu’aux pentes du Valais suisse, présentent de multiples avantages dont celui de laisser passer l’eau tout en retenant la terre. La Ligue de protection des oiseaux d’Alsace a aussi démontré que les murs en pierres sèches constituaient des abris naturels pour les espèces prédatrices d’insectes ravageurs des cultures, ce qui est d’ailleurs à la base du système agroécologique des vignobles italiens des Cinque Terre…

Murs en pierres sèches dans les vignobles en terrasse des Cinque Terre (source © CERVIM)

Rien d’étonnant donc que cette technique ancestrale de construction revienne à la mode. Dès 1998, des acteurs d’une vingtaine de pays se regroupent au sein de la Société internationale pour l’étude pluridisciplinaire de la pierre sèche qui organisent désormais tous les deux ans son congrès. Et voilà que la XVIIIe édition de ce congrès international de la pierre sèche vient de se dérouler en région PACA, dans le petit village de Goult, dans le Lubéron, justement connu mondialement pour la beauté de ses murs en pierres sèches et ses bories majestueuses.

Le village des bories près de Gordes, restauré à la fin des années 1970 (source © Fréquence Sud)

Les participants, venus du monde entier ont pu participer à 4 jours de chantier participatif au niveau du moulin de Jérusalem qui surplombe le ville, animé par des stagiaires du CFPA Provence-Ventoux de Carpentras et des spécialistes de l’association Les Muraillers de Provence. Ils ont ensuite enchaîné sur 2 jours de congrès avec des conférences portant aussi bien sur « l’économie de la pierre sèche en France en 2023 » que sur « le rôle de l’âne catalan dans la reconquête des terrasses viticoles de Catalogne » en passant par un atelier consacré spécifiquement à la gestion de l’eau dans les aménagements en pierres sèches, dans lequel ont été évoqués galeries drainantes du Luberon et autres mines à eau…

Chantier participatif de construction d’un mur en pierres sèches à l’occasion du congrès international de Goult (source © Facebook Société scientifique internationale Pierres Sèches)

Au-delà du côté un peu folklorique de ce renouveau des techniques artisanales qui ont permis à nos ancêtres de forger ces paysages ruraux traditionnels avec leurs restanques, leurs murs et leurs abris de toutes formes en pierres sèches, on assiste à un véritable regain d’intérêt pour ces techniques qui ont fait leurs preuves et qui présentent bien des avantages dans une optique de transition écologique. Dès 2018, un Guide des bonnes pratiques des murs de soutènement en pierres sèches était édité, avec l’aide des études scientifiques lancées depuis quelques années déjà par des acteurs comme l’ENTPE ou le CEREMA.

Construction d’un mur de soutènement en pierres sèches dans la Creuse, par l’association Bâti et savoir-faire en Limousin (source © La Montagne)

Dans les Cévennes, une école de formation professionnelle fonctionne depuis 2010, gérée par l’association Artisans bâtisseurs en pierres sèches. De nombreuses autres ont vu le jour depuis et il est désormais question de créer un diplôme de murailler-caladeur, reconnu nationalement. Après être un peu tombé en désuétude, tout indique que la construction en pierres sèches a de nouveau le vent en poupe…

L. V.

Ecocéan : une station MIR dans le port de Marseille

27 septembre 2023

Le pourtour méditerranéen fait partie de ces régions où la biodiversité est particulièrement menacée. Au-delà des effets du changement climatique, dont les manifestations directes commencent à être bien visibles avec l’afflux d’espèces envahissantes et des surmortalités de certaines espèces endémiques, c’est l’impact de l’activité humaine qui constitue la principale menace sur cette biodiversité. Plus de 500 millions de personnes y vivent, auxquels s’ajoutent de l’ordre de 360 millions de touristes chaque année. L’urbanisation détruit les habitats naturels côtiers et les déchets s’accumulent, y compris en mer, tandis que les rejets d’eaux pluviales et d’eaux usées souvent mal traitées viennent dégrader la qualité des milieux aquatiques. La faune marine est de plus en plus menacée par l’accroissement des activités nautiques, le braconnage et la surpêche qui a fait des ravages en Méditerranée.

Fonds marins filmés en Méditerranée par un robot submersible de l’IFREMER, en 2021, à 2000 m de profondeur (photo © IFREMER / Radio France)

Certes, il arrive que l’on constate quelques heureux événements comme ces pontes de tortues caouanne sur deux plages du Var cet été, à Fréjus, comme en 2020, et à Saint-Cyr-sur-Mer où 62 petites tortues marines viennent d’éclore le 20 septembre 2023, après des mois de surveillance rapprochée pour éviter tout risque de prédation.

Jeune tortue fraîchement éclose sur la plage des Lecques à Saint-Cyr-sur-Mer le 20 septembre 2023  (source © Fréquence Sud)

Mais un rapport publié en juin 2021 par une équipe scientifique coordonnée par l’Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéenne, basée à la Tour du Valat, dressait un bilan très alarmant du véritable effondrement de la biodiversité observée sur le bassin méditerranéen entre 1993 et 2016. Les populations de vertébrés ont chuté de 20 % et plus de 50 % des écosystèmes marins sont en danger.

Les pratiques de pêche ne sont pas étrangères à ce bilan alarmant, en particulier le chalutage qui racle les fonds marins sans distinction. Un article de Marsactu évoquait ainsi dernièrement le sort de deux chalutiers marseillais « pesqués par la Justice ». Le premier, baptisé Notre-Dame de la Garde, a été ainsi pris la main dans le filet à 5 reprises durant l’été 2021, en train de draguer en toute illégalité des réserves interdites à la pêche pour permettre aux juvéniles de se reproduire. Une zone située au large de Port-Saint-Louis du Rhône forcément très poissonneuse et où le chalutier s’est rendu pas moins de 23 fois durant l’été, remontant dans ces filets des pêches miraculeuses et très lucratives tout en ravageant sans scrupule l’écosystème protégé.

Chalutiers marseillais dans le port de Saumaty (photo © Anaïs Boulay / Le Marin)

Quant au second chalutier, baptisé Di Trento, c’est en novembre 2022 qu’il été alpagué, en plein cœur du Parc national des Calanques, dans un secteur interdit à la pêche, en pleine période de migration de la daurade royale, de quoi remonter des filets à plusieurs milliers d’euros. Une tentation qui fait que ce pêcheur professionnel a déjà été condamné à plusieurs reprises. Le voilà désormais interdit de sortie en mer pour un an, sachant que c’était le dernier des 5 chalutiers marseillais encore autorisés à pratiquer ce type de pêche lors de la création du parc : de quoi permettre aux fonds marins de souffler un peu…

Filets utilisés par Ecocean pour la pêche des post-larves au large de La Ciotat (photo © Rémy Dubas / Ecocean)

Pour autant, le littoral marseillais a bien besoin de se reconstituer après des décennies de surpêche mais aussi et surtout d’activités industrielles polluantes et de rejets urbains mal contrôlés. C’est justement une des missions que s’est assignée la jeune société Ecocean. Créée en 2003 à Montpellier par le plongeur professionnel Gilles Lecaillon, Ecocean s’est spécialisée dans le collecte et l’élevage de post-larves de poissons ou de crustacés, un domaine scientifique connu internationalement sous son appellation anglo-saxonne de Post-Larval Capture and Culture, PCC pour les intimes.

Le principe est simple puisqu’il s’agit de pêcher en mer, dans les zones relativement préservées, des post-larves qui correspondent à la dernière étape des métamorphoses larvaires successives avant le stade juvénile, puis d’élever en aquarium ces individues avant de les réimplanter dans un milieu naturel dégradé comme le littoral portuaire marseillais, totalement ravagé par des siècles d’incurie. Si cette technique s’est imposée c’est parce que l’élevage des larves elles-mêmes s’avère très difficile. Les poissons, pour se reproduire, pondent de grandes quantités d’œufs qui remontent à la surface de l’eau, donnant des larves qui mènent d’abord une existence planctonique. Elles subissent ensuite de nombreuses métamorphoses et ce n’est qu’au cours des derniers stades que ces larves se fixent au fond de l’eau en devenant des juvéniles.

Post-larve de sar, Diplodus sargus, en aquarium (photo © Alizee Frezel / Ecocean)

La caractéristique commune de ces larves de poissons est leur vulnérabilité extrême. Moins de 1% des œufs de poissons atteignent le stade de juvéniles, l’immense majorité d’entre eux servant de nourriture aux innombrables prédateurs. Les juvéniles eux-mêmes ont une espérance de vie très faible. L’idée est donc de capturer des post-larves, sans incidence sur les stocks puisque l’immense majorité est destinée à périr dans le milieu naturel, de les élever en laboratoire à l’abri des prédateurs, puis de les relâcher à l’état juvénile dans des zones à recoloniser.

Réintroduction des juvéniles dans le cadre du projet Casciomar au large de Cassis et La Ciotat (photo © Rémy Dubas / Ecocean)

Pour cela, Ecocean s’appuie sur des pêcheurs professionnels qui vont prélever les post-larves dans les secteurs préservés de la côte méditerranéenne pour alimenter ses fermes aquacoles de Toulon et de Marseille. Cette dernière est installée dans les installations portuaires de la Joliette, abritée dans des containers estampillés CMA-CGM, et forme ce que Ecocean a malicieusement dénommé la station MIR, autrement dit une station Méditerranéenne d’innovation en restauration écologique. Les post-larves y sont élevées pendant 2 à 6 mois avant d’être relâchées en mer pour repeupler les fonds.

Biohuts prête à être immergées dans les eaux de Port-Miramar à La Londe-les-Maures, dans le Var, pour servir de nursery aux post-larves de poissons (photo © Ecocean)

Depuis 2015, Ecocean s’enorgueillit ainsi d’avoir réimplanter en mer plus de 20 000 juvéniles dont la survie est évaluée à plus de 80 %, et poursuit son action au rythme de 2000 à 3000 réintroductions par an, généralement dans des récifs artificiels protégés, dénommés biohuts, sorte de cages bourrées de coquilles d’huîtres recyclées dans lesquelles les juvéniles trouvent un milieu favorable et sécurisé pour leur nouvelle implantation. On trouve ainsi 56 de ces biohuts implantées au large de Port-Fréjus et une trentaine de ports en Méditerranée est associé à l’opération cofinancée par l’Agence de l’Eau.

OP Coral : aquarium d’élevage de coraux dans le port de Marseille (photo © Franck Pennant / La Provence)

Une œuvre de longue haleine puisqu’on estime à environ 400 km de côtes la partie du littoral méditerranéen devenue totalement impropre à la vie aquatique du fait des activités urbaines et industrielles. Une ferme coralligène, surnommée OP Coral, a aussi été implantée dans un container du port de Marseille pour y développer la croissance contrôlée de coraux, éponges et autres gorgones dans des bacs à 16 °C éclairés par des lampes à UV, avec comme objectif de réimplanter ensuite des individus en milieu naturel. Tout espoir n’est donc pas perdu d’arriver un jour à retrouver en Méditerranée des fonds poissonneux et vivants…

L. V.

Le tombolo d’Hyères a un pied dans la tombe…

9 septembre 2023

Le double tombolo qui relie la ville varoise d’Hyères-les-palmiers à l’île de Giens, situé à 5 km plus au sud, fait partie de ces curiosités géographiques que l’on ne retrouve qu’à quelques autres endroits sur terre, notamment à Orbetello en Toscane. Vu depuis les hauteurs de la colline de Costebelle, on dirait deux bras gigantesques qui retiennent l’île de Giens et l’arriment solidement à la terre ferme, comme le raconte si bien Michel Augias dans ses vidéos et sur son site consacré à l’histoire locale de l’eau. Mais cette solidité n’est qu’apparente et d’ailleurs toute récente à l’échelle des temps géologiques…

Vue aérienne de la presqu’île de Giens avec les anciens marais salants en premier plan, la zone pavillonnaire de la Capte à gauche et la plage de l’Almanarre à droite (source © TPM)

Il y a 18 000 ans seulement, à l’occasion de la dernière glaciation, le niveau de la mer était 125 m plus bas et tout le secteur était totalement émergé, le littoral se situant à plusieurs kilomètres au sud des îles actuelles de Giens mais aussi de Porquerolles ou de Port-Cros, alors accessibles à pied sec par nos lointains ancêtres. La remontée progressive du niveau de la mer a ensuite isolé ces îles mais l’on considère que le cordon littoral qui constitue le tombolo ouest s’est mis en place il y a 5 000 ans seulement, déposé par-dessus des dépôts lagunaires récents.

Le cordon oriental, lui, est sensiblement plus récent et les dépôts de sable sont nettement plus épais puisqu’il faut descendre à plus de 24 m de profondeur pour retrouver les dépôts vaseux sous-jacents. Il a probablement émergé sous l’accumulation progressives des apports alluvionnaires des fleuves côtiers voisins, dont le Gapeau, mais aussi le Pansard et le Maravenne, qui charrient vers la mer des matériaux issus de l’érosion des massifs en amont. Depuis l’émergence de ce second tombolo sableux, il y a peut-être 2 à 3 000 ans, à plus d’1 km à l’Est du précédent, le tombolo ouest n’est plus alimenté par ces apports détritiques et est donc soumis à une érosion constante.

Vue aérienne de la presqu’île de Giens reliée par son double tombolo à la ville d’Hyères, avec l’emprise du site classé en 2005 (source © Google earth / Thierry Boisseaux / IGEDD)

Les archives historiques indiquent d’ailleurs que la morphologie du secteur a considérablement évolué depuis. Un peu avant notre ère, les Grecs qui s’étaient déjà implantés à Marseille, vers 600 avant J.-C. fondent, à l’extrémité nord du tombolo ouest un comptoir dénommé Olbia, qui passera ensuite aux mains des Romains, lesquels organisent l’exploitation des premiers marais salants, près de l’embouchure du Gapeau. En 1480, un canal est créé qui récupère les eaux du Roubaud et les conduit vers l’étang des Pesquiers, situé entre les deux tombolos, provoquant un afflux d’eau douce qu’il faut évacuer en créant une brèche dans le tombolo est, le Grand passage, que l’on équipe alors de bourdilles pour piéger les poissons.

Mais les crues du Gapeau viennent régulièrement endommager les pêcheries tandis que le paludisme décime les habitants, si bien qu’en 1824 sont entrepris de gros travaux de drainage et le détournement des eaux du Roubaud au nord de la bastide du Ceinturon. En parallèle, l’exploitation du sable des cordons dunaires connait alors un essor quasi industriel, en particulier pour alimenter le chantier d’aménagement du port de Toulon. Le tombolo ouest, déjà privé d’apports sédimentaires et subissant les effets de l’érosion naturelle, est l’objet, à partir de 1848, de gros travaux de terrassement en vue de l’exploitation des marais salants sur toute la partie nord de l’étang des Pesquiers, exploitation qui durera jusqu’en 1994, avant le rachat du site par le Conservatoire du Littoral en 2001.

Exploitation des marais salants de la presqu’île de Giens (source © Histoire d’eau à Hyères)

En 1930, une conduite d’évacuation des eaux usées est mise en place sur 1,2 km de long au nord du tombolo ouest, partiellement enterrée puis posée sur les fonds marins, pour rejeter les eaux usées en mer à 10 m de profondeur, contribuant encore à décimer les bancs de posidonies qui protégeaient tant bien que mal le cordon dunaire de l’érosion. Enfin, en 1969, une route goudronnée, « la route du sel » est construite sur le tombolo ouest sur lequel on installe aussi une ligne à haute tension et dans lequel on enfouit une conduite d’adduction d’eau potable, les pelleteuses détruisant sans état d’âme la maigre végétation qui maintient le cordon dunaire. Puis c’est l’essor massif du tourisme balnéaire avec ses cortèges de voitures pour lesquelles il faut bien aménager des parkings le long de la magnifique plage de l’Almanarre, tandis que les vacanciers piétinent joyeusement le reste de végétation dunaire et que l’on enlève systématiquement les bancs de posidonies qui protègent les plages de l’érosion.

La plage de l’Almanarre très prisée des estivants, malgré sa tendance à se réduire comme peau de chagrin (source © Recoin de France)

Dès lors, à chaque grosse tempête se créent des brèches à travers le cordon dunaire du tombolo ouest où la plage a, par endroits, quasiment disparu. Après chaque coup de mer, il faut reboucher les trous, mettre des enrochements, parfois fermer les plus grosses brèches avec des épaves de bateau lestées de pierres, et conduire de gigantesques travaux de terrassement pour tout remettre en état. La conduite d’eau potable puis la route elle-même sont emportées et ont dû être reconstruites en arrière pour les besoins du tourisme car la presqu’île de Giens, qui ne compte que 3000 habitants permanents, reçoit pas moins de 1 million de visiteurs par an !

La protection du tombolo ouest contre l’érosion marine : un travail de Sisyphe sans cesse recommencé…  (photos © Commune de Hyères / IGEDD)

Côté Est, où des zones d’érosion active menacent les zones bâties et les installations portuaires, des tubes en géotextile remplis de sable ont été lestés au fond de la mer pour protéger de la houle les tronçons les plus exposés. Mais pour ce qui est du tombolo ouest, les solutions techniques envisagées pour protéger ce qui reste de l’érosion, tenter de maintenir un maigre cordon dunaire et empêcher la submersion marine périodique de la route du sel et des anciens marais salants en arrière, sont nettement plus lourdes car les fonds marins sont désormais profondément érodés. Des modélisations très poussées ont été faites pour évaluer l’efficacité d’infrastructures qui s’apparentent à des digues sous-marines implantées à une centaine de mètres du rivage et qui affleurent le niveau de la mer, laissant un tirant d’eau de 40 cm à 1 m, selon les projets, pour l’usage balnéaire.

Chaque hiver, le ballet incessant des engins de chantier pour recharger la plage de l’Almanarre sur le tombolo ouest… (photo © Luc Boutria / Var Matin)

Des investissements particulièrement lourds estimés au minimum à 2 millions d’euros pour la version la moins coûteuse, élaborée en 2017 par le bureau d’études spécialisé Artelia, et dont beaucoup doutent de l’efficacité réelle. Les écologistes locaux, menés par Benoit Guérin, du collectif Hyères écologie citoyenne, sont vent debout contre ce projet, estimant qu’il est temps de laisser faire la nature et de supprimer la route du sel, dans une logique de repli stratégique face à l’inexorable montée du niveau de la mer, redoutant par ailleurs les impacts environnementaux de travaux de génie civil d’une telle ampleur dans un milieu marin déjà très fragilisé.

Une vision que n’est pas loin de partager le ministère qui a confié en 2021 une étude au Conseil général de l’environnement et du développement durable. Le rapport qui en découle insiste évidemment sur les points d’interrogations encore en suspens, recommande de nouvelles études et investigations pour comparer différentes alternatives, voire vérifier quelles seraient les conséquences en cas de non intervention. Bref, une manière polie de gagner du temps et de ne surtout pas se positionner…

Jean-Pierre Giran, le maire de Hyères-les-palmiers (photo © Rémi Brancato / Radio France)

Une attitude qui a le don d’agacer profondément le maire UMP de Hyères, Jean-Pierre Giran, devenu tout récemment président de Toulon Provence Métropole, à la faveur de la démission forcée d’Hubert Falco, et qui trépigne d’impatience pour engager les pelleteuses. Un dossier emblématique en tout cas du dilemme qui va se poser de plus en plus fréquemment à nos élus locaux confrontés aux effets croissants de l’érosion littorale et au risque accru qui pèse sur les enjeux touristiques associés : face aux phénomènes naturels, l’homme n’aura pas nécessairement partout le dernier mot !

L. V.

Titan et les migrants : le choix des médias

29 juin 2023

L’affaire a fait beaucoup de bruit et toute l’actualité internationale a vibré à l’unisson autour de cet évènement dramatique qui a tenu en haleine la planète entière à partir du 18 juin 2023. Ce jour-là en effet, le petit sous-marin de poche, dénommé Titan, appartenant à la société américaine OceanGate, avait plongé avec 5 hommes à bord pour aller visiter l’épave du Titanic, ce paquebot britannique présumé insubmersible qui avait coulé lors de sa première traversée transatlantique le 15 avril 1912 après avoir malencontreusement heurté un iceberg et dont l’épave git désormais à 650 km au sud-est de Terre-Neuve, par 3 851 m de fond.

Le Titan amorçant sa plongée vers les abysses (source © OceanGate / Reuters / Le Temps)

La plongée du Titan, largement médiatisée, devait durer 7 heures. C’était la première de l’année 2023 mais d’autres avaient déjà eu lieu en 2021 et 2022. Construit en 2017, le Titan est un cylindre de 6,70 m de long, en oxyde de titane recouvert de fibres de carbone, actionné par 4 moteurs électrique mais à autonomie très limitée. Il nécessite l’usage d’un navire pour l’amener sur site et le récupérer. La plongée vers l’épave dure 2 heures et autant pour la remontée vers la surface, laissant quelques heures pour vadrouiller autour de l’épave que les passagers peuvent observer au travers d’un vaste hublot.

C’est d’ailleurs probablement le point faible de l’engin car le hublot en question n’est homologué que jusqu’à 1300 m de profondeur. Un ancien dirigeant de la société Oceangate, David Lochridge, avait d’ailleurs démissionné en 2018, inquiet pour la sécurité des passagers de l’appareil du fait de l’absence de vérification du comportement de ce hublot à une telle profondeur. Des incidents avaient déjà été signalés et le scénariste américain Mike Reiss, qui avait plongé en 2022 à bord du même sous-marin, confirmait le 19 juin à la BBC : « On perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments et ce genre de trucs ».

Plateforme de mise à l’eau du Titan, ici en 2018 lors des premiers essais de plongée (photo © MacKenzie Funk / New York Times)

Il faut dire que le submersible en question ne dispose pas de système de géolocalisation et que les communications avec la surface sont très sommaires. Le confort est spartiate, chacun étant simplement assis à même le plancher avec des réserves en oxygène limitées donnant une autonomie maximale de 96 heures. Les passagers, qui payent pourtant la bagatelle de 250 000 dollars pour avoir ce privilège d’observer de visu à travers le fameux hublot les vestiges rouillés du Titanic, sont donc amplement prévenus des dangers de l’opération et doivent signer, avant de monter à bord, une décharge confirmant qu’ils sont bien conscients que tout cela peut très mal tourner…

Le bastingage du Titanic vu depuis le hublot du Titan (sans Leonardo DiCaprio ni Kate Winslet) par près de 4 000 m de fond (source © OceanGate)

Cinq passagers étaient à bord du submersible lors de cette fameuse plongée du 18 juin 2023. Le pilote de l’engin était le fondateur et PDG d’OceanGate en personne, Stockton Rush, accompagné par le Français Paul-Henri Nargeolet, un ancien officier de marine ayant servi comme plongeur-démineur, puis devenu responsable à l’IFREMER des programmes de submersibles Cyana et Nautile. Il avait plongé dès 1987 à bord d’un Nautile vers l’épave du Titanic. Chasseur d’épaves invétéré et passionné du Titanic, il avait rejoint la société RMS Titanic Inc comme responsable des opérations sous-marines, ce qui lui avait permis en 1993 de remonter les premiers objets de l’épave. Depuis 2018, il était consultant pour l’entreprise Caladan Oceanic qui organise également des plongées vers l’épave du Titanic mais avec un sous-marin homologué pour descendre jusqu’à 11 000 m. A 77 ans, il était sans conteste l’un des meilleurs spécialistes de l’épave du Titanic.

Paul-Henry Nargeolet, l’ancien officier de marine passionné par l’épave du Titanic (photo © Vincent Michel / Ouest-France / MaxPPP / L’Indépendant)

De quoi attirer de riches passionnés désireux de dépenser leur fortune pour participer à une expédition touristique hors du commun avec frissons garantis, de quoi agrémenter en savoureuses anecdotes leurs prochains dîners d’affaires. Ainsi, le Britannique Hamish Harding, qui faisait partie du voyage, est le PDG d’Action Aviation, une société de courtage d’avions, basée à Dubaï, après avoir notamment développé le tourisme d’affaire vers l’Antarctique. Il avait déjà plongé au plus profond de la fosse des Mariannes, à 11 000 m, et avait participé à un vol spatial en 2022 à bord de la fusée New Shepard. L’autre businessman qui l’accompagnait, Shahzada Dawood, un Britannique d’origine pakistanaise, était le richissime vice-président du conglomérat pakistanais Engro Corporation qui fait dans les engrais et l’industrie chimique. Ce dernier avait même traîné dans l’aventure son jeune fils de 19 ans, Suleman, étudiant à Gmasgow.

Ce 18 juin 2023, le navire de surface Polar Prince, un brise-glace canadien, perd le contact avec le petit sous-marin Titan après 1h45 de plongée. A l’heure prévue pour la fin de mission, il ne remonte pas et un dispositif de recherche s’enclenche alors. Deux avions équipés de sonar sont engagés sur zone tandis qu’un troisième largue des bouées acoustiques pour tenter de capter des sons provenant du submersible. L’IFREMER mobilise de son côté son navire l’Atalante avec à son bord un robot capable de plonger à 6 000 m de profondeur. Toute la presse mondiale se mobilise et le monde entier est tenu en haleine par les moindres péripéties des recherches en cours. Les meilleurs spécialistes mondiaux se perdent en conjecture sur tous les plateaux télé pour supputer les chances de retrouver vivant l’équipage dont on sait qu’il ne dispose que de réserves limitées en oxygène.

Bref, personne sur Terre ne peut ignorer que quelque part dans l’Atlantique nord, des moyens colossaux sont déployés pour tenter de retrouver ces 5 touristes intrépides alors même que tout indique que leur sous-marin de poche s’est désintégré sous l’effet de la pression dans les premières heures de plongée. Une hypothèse qui sera d’ailleurs confirmée le 28 juin par un communiqué des garde-côtes américaines, précisant que le submersible a bien implosé et que ses restes ont été repêchés à 500 m de l’épave du Titanic.

Fragment de l’épave du Titan repêchée en mer et rapportée à Saint-Jean de Terre-Neuve au Canada, le 28 juin 2023 (photo © Paul Daly / The Canadian Press / AP / Le Monde)

Il n’en reste pas moins que cette opération a mobilisé pendant plusieurs jours des moyens importants et capté l’essentiel de l’attention médiatique, alors que bien d’autres événements au moins aussi dramatiques étaient quasiment passés sous silence.

C’est le cas notamment de la catastrophe qui est survenue quelques jours plus tôt, dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, près des côtes grecques du Péloponnèse. Un bateau de pêche vétuste, contenant sans doute entre 400 et 750 migrants, fait naufrage alors que des navires des garde-côtes grecques l’avaient repéré et approché mais l’empêchaient d’accoster. Les passeurs égyptiens dont le capitaine du navire qui l’avait abandonné avant l’entrée dans les eaux profondes du Péloponnèse ont été arrêtés depuis. Mais le bilan est lourd avec pas moins de 82 corps sans vie qui ont été repêchés tandis que 104 rescapés, principalement égyptiens, syriens et pakistanais, ont pu être secourus, les autres étant à jamais disparus en mer.

Un dessin de Daniel Glez (source © Jeune Afrique)

Un drame malheureusement devenu banal dans cette Méditerranée que des milliers de jeunes venus du Sud tentent de traverser au péril de leur vie, attirés par l’Eldorado européen, et que les médias ont finalement bien vite éclipsé, au profit des aventures plus croustillantes du petit sous-marin Titan. Même Barak Obama s’est ému de cette distorsion dans le traitement de l’actualité et le médiateur de Radio-France a largement relayé les innombrables réactions d’auditeurs indignés par une vision aussi biaisée.

Il n’en reste pas moins que les médias ne font que répondre à la demande et savent pertinemment que la curiosité humaine sera davantage captée par le sort de 5 riches explorateurs intrépides perdus près de l’épave emblématique du Titanic que par celui de centaines de pauvres gens qui sombrent jour après jour dans les eaux de la Méditerranée en espérant fuir la misère : toutes les vies se valent, mais certaines valent quand même manifestement plus que d’autres…

L. V.

IADYS : le robot de la méduse

5 février 2023

Dans la « start-up nation » qu’est devenue la France, du moins aux yeux de notre Président de la République, les startups ont le vent en poupe, forcément. Selon une synthèse de Tool Advisor, on en dénombrait paraît-il au moins 1 million en 2021, employant a minima 1,5 millions de salariés, ce qui n’est effectivement pas négligeable, même si les chiffres ne sont pas nécessairement très fiables, ne serait-ce que du fait des contours un peu approximatifs de ce qu’est une « startup ».

On désigne généralement par ce terme une entreprise récemment créée, porteur d’un projet ou d’une idée innovante et qui présente une croissance rapide de son chiffre d’affaires. Au risque de se casser rapidement le figure, comme c’est le cas de plus de 60 % d’entre elles selon les chiffres les plus optimistes qui circulent, mais aussi parfois d’atteindre le graal dont rêve chaque entrepreneur qui se lance, à savoir devenir une « licorne », autrement dit une entreprise innovante dont le capital est valorisé à plus de 1 milliard d’euros.

En tout cas et même si bien peu atteignent ce stade envié, les startups françaises se portent plutôt bien avec un chiffre d’affaires cumulé estimé à 8,3 milliards d’euros en 2021, en augmentation de plus de 20 % par rapport à l’année précédente. Une sur deux est basée en Ile-de France, mais on en trouve aussi dans notre environnement proche…

Le Jellyfishbot présenté en avril 2019 au salon des inventions à Genève par son concepteur, Nicolas Carlési (source © IADYS)

Citons ainsi par exemple la société IADYS initialement implantée dans la zone industrielle de Napollon, à Aubagne, et depuis 2019 dans celle de la Plaine du Caire à l’entrée de Roquefort-La Bédoule, une jeune société fondée en 2016 qui conçoit, développe et commercialise des innovations technologiques, à la croisée de la robotique et de l’intelligence artificielle, comme l’indiquent les initiales de son acronyme (Interactive Autonomous Dynamic Systems).

Son créateur, Nicolas Carlési, passionné de plongée sous-marine, a été formé à l’Université de Montpellier où il a préparé un doctorat en robotique et intelligence artificielle axé sur la coopération entre véhicules sous-marins hétérogènes, avant de travailler pour l’entreprise Scalian, spécialisée dans les drones pour l’inspection de lignes électriques à haute tension.

Le Jellyfishbot en pleine action (source © IADYS / Airzen)

Après 2 années de recherche-développement, la petite startup bédoulienne a mis au point un robot flottant de 18 kg, robuste et compact, en forme de petit catamaran, destiné à collecter de façon téléopérée les déchets flottants dans les zones portuaires. De ce point de vue, le Vieux-Port de Marseille est le terrain de jeu idéal pour s’entraîner à ramasser les déchets flottants qui y foisonnent. En l’occurrence, voisinage oblige, c’est plutôt la Ville de Cassis qui s’est porté acquéreur du premier prototype pour nettoyer son propre port qui ne vaut guère mieux, surtout après un petit coup de mistral…

Le 6 décembre 2022, le petit robot nettoyeur de la société IADYS, a ainsi eu les honneurs d’une présentation officielle au Village des solutions, à l’occasion de la cinquième édition de Méditerranée du futur, le grand raout politico-commercial  organisé au parc Chanot à Marseille par Renaud Muselier et présenté comme « le rendez-vous mondial de l’adaptation au réchauffement climatique », rien de moins.

Nicolas Carlési et son Jellyfishbot au Parc Chanot à Marseille à l’occasion de Méditerranée du futur (photo © Jean-Pierre Enaut / Les Nouvelles Publications)

Joliment dénommé « Jellyfishbot », ce qui fait référence, comme chacun s’en doute, en anglais sinon en provençal, à une méduse robotisée sur laquelle viendrait s’agglomérer les déchets tandis qu’elle flotte gracieusement à la surface des flots, la petite merveille robotisée de IADYS a fait bien du chemin depuis ses premiers balbutiements. Au gré des demandes des nouveaux clients, la petite méduse robotisée s’est vue adjoindre de nouveaux filets qui lui permettent de collecter outre les petits déchets classiques, les hydrocarbures flottants et les microparticules.

Depuis cette année, le Jellyfishbot intègre même un détecteur d’obstacle fixes ce qui lui donne une totale autonomie pour organiser son propre circuit de travail dans un périmètre donné, un peu comme un aspirateur automatisé. Les dernières générations de l’appareil sont même équipées de capteurs bathymétriques et d’une interface graphique, ce qui permet au robot de tracer une cartographie précise de la profondeur du plan d’eau à l’issue de son travail de collecte. Et l’on peut même désormais lui adjoindre un kit de prélèvement d’eau, afin de procéder en même temps à l’analyse de la qualité des eaux.

Jellyfishbot en version autonome en pleine action de nettoyage dans le port de Cassis (source © IADYS)

Du coup, la petite startup de Roquefort – la Bédoule cartonne. Elle comprend déjà 18 collaborateurs, ce qui traduit une croissance rapide pour une jeune pousse qui n’a que 6 années d’existence. A ce jour, ce sont pas moins de 70 exemplaires du Jellyfishbot qui ont été commercialisés et la société collectionne les prix de l’innovation dont l’un remporté à l’occasion du salon international des inventions à Genève en avril 2019.

Plusieurs ports français dont celui du Havre ou celui d’Ajaccio se sont déjà équipés d’un tel robot pour nettoyer  leurs installations et de nombreux exemplaires ont été vendus aux États-Unis comme en Australie ou à Dubaï, pour des ports de plaisance, des chantiers navals et même des bases de loisirs et des parcs d’attraction où le petit robot connait un grand succès de curiosité. Certaines entreprises de dépollution se sont même équipées du dispositif pour procéder à l’enlèvement de nappes d’hydrocarbures dans des bassins de sites industriels.

Mise à l’eau d’un Jellyfishbot dans le port de Saint-Tropez (source © IADYS)

Avec le réchauffement climatique, beaucoup craignent une recrudescence des invasions de méduses sur le littoral méditerranéen. Une chose est sûre, avec les quantités de plastiques et autres déchets qui finissent en mer, y compris dans le Parc national des Calanques, et transforment peu à peu la Méditerranée en vaste égout à ciel ouvert, la petite méduse robotisée de IADYS ne devrait pas chômer dans les années qui viennent, au risque de se transformer en licorne…

L. V.

Cassis explore ses rivières mystérieuses

1 février 2023

Les rivières souterraines qui débouchent en mer à Cassis font partie de ces lieux mystérieux dont l’exploration humaine est encore loin d’avoir percé tous les secrets. Et comme tous les sites auréolés d’une part de mystère, ils attisent la curiosité, l’homme n’ayant de cesse d’aller explorer ces espaces encore méconnus, parfois au péril de sa vie.

En octobre 2015, une conférence organisée à Carnoux par le Cercle progressiste carnussien avec la participation des membres de l’association cassidaine Cassis, les rivières mystérieuses, avait ainsi battu tous les records d’affluence en rassemblant pas moins de 120 personnes dans une salle du Clos Blancheton remplie à craquer. Et depuis, les spéléologues et les plongeurs ont poursuivi leurs investigations, progressant peu à peu dans leur connaissance de ces réseau karstiques souterrains qui courent sous nos pieds et finissent en galeries ennoyées jusqu’en mer, au Bestouan et dans la calanque de Port-Miou.

Travaux de désobstruction au fond d’un puits naturel sur le plateau du Mussuguet en octobre 2022, à la recherche d’une jonction avec la rivière souterraine de Port-Miou (photo © CRM)

On connait de mieux en mieux la configuration de ces réseaux et l’on sait maintenant que les tentatives de barrage édifié dans les années 1970 à la sortie de la galerie de Port-Miou pour préserver cette ressource d’eau douce potentiellement exploitable et la protéger des arrivées d’eau salée était vouée à l’échec. Il semble en effet que les mélanges avec l’eau de mer se font très en amont, par des arrivées encore inexplorées, au niveau du puits terminal reconnu jusqu’à plus de 230 m de profondeur.

Plongée de Xavier Méniscus dans la rivière souterraine de Port-Miou (photo © Guillaume Ruoppolo / Subaqua)

Ces avancées, rendues possible par le courage de plongeurs souterrains, spéléonautes bardés d’électronique et d’appareils respiratoires de plus en plus sophistiqués, ont même fait l’objet d’un reportage diffusé par TF1 à une heure de grande écoute, ce qui traduit bien la fascination qu’exerce sur l’homme ces espaces souterrains encore en voie d’exploration, à deux pas de Carnoux.

Du coup, pour ceux qui voudraient tout savoir de ces fameuses rivières mystérieuses de Cassis et des dernières découvertes encore en cours, ne ratez surtout pas la conférence qui aura lieu très prochainement au Centre culturel de Cassis, le mardi 20 février 2023 à partir de 18h, en présence notamment de Marc Douchet, plongeur émérite et actuel président de l’association Cassis, les rivières mystérieuses, de Gérard Acquaviva, ex président de cette même association et de Louis Potié, qui dirigeait dans les années 1960 le Syndicat de recherche de Port-Miou créé à l’époque par la Société des Eaux de Marseille, laquelle plaçait alors beaucoup d’espoir dans l’exploration de ces précieuses ressources en eau douce en plein cœur du massif des Calanques.

A Cassis, le mystère rôde dans les rivières souterraines qui courent sous nos pieds : c’est le moment de s’y immerger pour un petit frisson d’aventure…

L. V.

La saga du yellow submarine marseillais

22 janvier 2023

La mort, le 14 janvier 2023, du plongeur et caméraman sous-marin Bernard Delemotte, décédé à l’âge de 83 suite à un accident de plongée au large du Frioul alors qu’il s’apprêtait à déménager pour vivre sur son nouveau catamaran ancré à La Rochelle. Une belle mort pour l’ancien chef plongeur de la Calypso, à un âge où l’on meurt habituellement plutôt d’un accident cardio-vasculaire que d’une pratique sportive aussi exigeante. Un évènement en tout cas qui vient remettre en lumière la saga de l’équipe Cousteau.

Bernard Delemotte, aux commandes du sous-marin le Saga à Marseille (photo © Philippe Mura / France Bleu)

D’autant qu’un autre pilier de cette équipe, Albert Falco, lui aussi ancien chef plongeur puis capitaine de la Calypso est décédé récemment, également à Marseille, en 2012. Comme lui, Bernard Delemotte était un passionné du Monde du silence, ce monde sous-marin dans lequel il a passé une si grande partie de sa vie, compagnon du commandant Cousteau depuis la fin des années 1960. Après le développement, dès les années 1950, de sa soucoupe plongeante pilotée justement par Albert Falco et qui peut descendre à 350 m de profondeur, le commandant Cousteau imagine la construction d’un sous-marin, l’Argyronète, dans le cadre d’une convention signée en 1966 entre l’Office français de recherches sous-marines (OFRS), une association qui participe notamment, dans les années 1950, à l’exploration de la résurgence de Port-Miou à Cassis, et ce qui était alors l’Institut français du pétrole (IFP).

Le commandant Jacques-Yves Cousteau avec son inévitable bonnet rouge (photo © Keystone / Arcinfo)

Bernard Delemotte, qui venait de rejoindre l’équipe de la Calypso à l’occasion de l’expédition Précontinent III, suit ce projet ambitieux piloté par Jean Mollard, lequel rejoint en 1970 la COMEX, récemment créée par Henri-Germain Delauze. Cette défection et les difficultés de financement du projet obligent à mettre ce dernier en stand-by, alors que la coque du sous-marin, les moteurs diesel, les équipements hydrauliques, la sphère largable et de nombreux autres équipements ont déjà été livrés et sont stockés dans le hangar et les magasins annexes de l’Estaque où le projet est en gestation.

La Calypso du commandant Cousteau amarrée en 1970 à l’Estaque, près du hangar où se construit le Saga (source © Bateaux)

Mais en 1981, la COMEX reprend le projet, en collaboration avec le CNEXO, devenu depuis l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et en octobre 1987, le nouveau sous-marin est lancé pour effectuer ses premiers essais en mer dans la rade de Marseille dès 1988. Rebaptisé le Saga (ce qui signifie Sous-marin d’assistance à grande autonomie, comme chacun l’avait bien évidemment deviné) et recouvert d’une peinture d’un jaune éclatant qui rappelle le fameux yellow submarine aussi mythique que déjanté de la chanson des Beatles, il est alors, avec ses 28 m de long et ses 545 tonnes, le plus gros sous-marin civil jamais construit. Sa cabine de pilotage à pression atmosphérique permet d’accueillir 6 hommes d’équipage tandis que 6 plongeurs peuvent loger dans son compartiment hyperbare.

Conçu pour descendre jusqu’à 600 m de profondeur, le Saga a établi le record du monde de profondeur pour une sortie d’un plongeur largué à 316 m de profondeur. Équipé d’un dispositif de pilotage largement automatisé permettant de réduire au strict minimum l’équipage chargé de la manœuvre, l’engin est propulsé par 2 moteurs Stirling et peut embarquer 6,5 tonnes d’oxygène cryogénisé, ce qui lui assure une autonomie de 21 jours. Un compartiment largable est même prévu, permettant aux 6 hommes d’équipage de remonter à la surface sans encombre en cas d’avarie…

Le Saga en vadrouille dans la rade de Marseille au large de l’Estaque (source © Bateaux)

Conçu principalement pour réaliser des missions off shore au bénéfice de l’exploitation pétrolière, le Saga s’est très rapidement retrouvé confronté à la concurrence des véhicules sous-marins téléguidés, les ROV (Remotely operated underwater vehicle), qui présentent l’avantage majeur de permettre des interventions sous-marines tout aussi sophistiquées sans engager des plongeurs donc sans mettre en danger des vies humaines. Développés à la même période et sans cesse perfectionnés depuis, les ROV ont mis un coup d’arrêt brutal à la carrière commerciale du petit sous-marin jaune dont avait rêvé le commandant Cousteau. Dès 1990, la COMEX se détourne du projet et remise le Saga dans son hangar de l’Estaque où il dort toujours depuis.

Le Saga dans son hangar de l’Estaque (source © Les Compagnons du Saga)

En 1999, c’est la Ville de Marseille qui se porte acquéreur du hangar et du prototype tandis qu’en 2014 est créée l’association Les Compagnons du Saga, destinée à entretenir le petit sous-marin jaune et à faire vivre sa mémoire. Bernard Delemotte, comme d’autres passionnés, faisait partie des piliers de cette association. Sa disparition marque d’une pierre jaune la saga du petit submersible marseillais, si novateur dans les années 1980 et si rapidement devenu obsolète….

L. V.

Des pingouins dans les calanques ?

11 décembre 2022

C’est devenu le nouveau marronnier de la presse régionale cet automne : chaque jour ou presque, on nous annonce un nouveau pingouin sur le littoral marseillais ! Et ce n’est pas une galéjade… Le 19 novembre 2022 déjà, La Provence relayait une information repérée par France bleu Côte d’Azur, indiquant que des plaisanciers avertis avaient repéré et filmé un petit pingouin Torda en train de barboter dans le port de Nice tandis qu’un animateur animalier local du Centre de découverte du monde marin de Nice expliquait qu’il s’agissait d’une espèce rare et protégée vivant habituellement  dans les frimas de l’Atlantique nord, mais qui manifestement était en train de découvrir les joies des bains de mer méditerranéens.

Petit pingouin observé en novembre 2022 près du port de Bandol (photo © Anthony Cabardos / France Bleu)

Cinq jours plus tard, c’était près de Six-Fours-les-Plages qu’un autre pingouin de la même espèce était repéré et également filmé puis formellement identifié, nageant cette fois dans les eaux du port du Brusc. On les repère aussi en Corse où 4 pingouins ont été signalés coup sur coup près de Bastia, à Saint-Florent, à Cargèse et même sur la plage Saint-François à proximité du centre-ville d’Ajaccio !

Et fin novembre, voilà que ces pingouins quelques peu incongrus sous nos latitudes, se retrouvent dans le port autonome de Marseille, juste devant les Terrasses du Port, à portée de vue des milliers de badauds qui se pressent dans le secteur. Au moins 6 individus s’ébattent ainsi depuis plus d’une semaine en contrebas des quais d’Arenc pour la plus grande joie des touristes de passage. L’un d’entre eux s’est même déjà fait prendre par l’hameçon d’un pêcheur, selon La Provence, mais a pu heureusement être relâché.

Les pingouins emblématiques de la grotte Cosquer (source © Echosciences PACA)

Les Marseillais ont certes depuis longtemps l’habitude de côtoyer des pingouins dans leur environnement proche comme en témoigne le célèbre dessin pariétal qui orne les parois de la grotte Cosquer et qui est devenu l’emblème même de ce site dont la reconstitution désormais ouverte au public à la Villa Méditerranée depuis le 4 juin 2022 fait un tabac et remplit généreusement les poches de celui qui l’a découverte, le Cassidain Henri Cosquer. Comme l’expliquait en effet Marsactu le 19 octobre dernier, ce dernier bénéficie d’une royalty de 14 centimes sur chaque billet vendu pour visiter la réplique de la grotte, ce qui lui avait déjà rapporté la coquette somme de 49.000 € en 4 mois seulement, sans compter les 25.000 € qu’il a touché pour avoir fort opportunément déposé la marque « Grotte Cosquer » alors même que le projet de réplique était déjà sur les rails et le petit bonus de 10.000 € supplémentaire pour ses conseils en vue de la reconstitution de son petit chalutier qui accueille les visiteurs à l’entrée de la Villa Méditerranée : voilà un homme qui a les pieds sur terre et un solide sens des affaires !

Petit pingouin torda pêchant dans les eaux de l’étang de Thau (photo © Jérémy / 34spearfing / Webzine voyage)

Pas comme ces pingouins qui batifolent dans les eaux des calanques alors qu’ils devraient se trouver à des milliers de kilomètres de là, au milieu des embruns et des tempêtes en haute mer. De quoi intriguer le pékin moyen qui se demande bien ce que font ces oiseaux pélagiques du Grand Nord dans les eaux du port de Marseille. Le climatosceptique à tendance complotiste en déduira sans doute que c’est bien la preuve qu’on nous ment et que le climat, loin de se réchauffer comme on nous en rebat les oreilles, COP après COP, s’oriente en réalité vers un retour de l’âge glaciaire comme en ont connu nos lointains ancêtres qui venaient se réchauffer en taguant à leur manière les parois de la grotte Cosquer. D’ailleurs, les baleines, aperçues tout près des îles du Frioul lors du premier confinement en mars-avril 2020, n’étaient-elles pas déjà un signe précurseur d’un tel phénomène ?

Inversement, d’autres en concluront que ces pingouins quelque peu désorientés mais aux coups de bec redoutable qui leur valent leur nom anglais de razorbill (« bec de rasoir »), constituent l’avant-garde des cohortes de migrants qui vont venir s’échouer sur nos côtes méditerranéennes si attractives, poussées par le dérèglement du climat mondial.

Couple de petits pingouins torda sur les falaises du Cap Fréhel en Bretagne (source © Le Penthièvre)

Les scientifiques, quant à eux, se veulent plus pragmatiques et notent que le petit pingouin, Alca torda de son vrai nom, vit principalement en mer, dans les eaux septentrionales et ne vient que rarement près des côtes, uniquement pour la reproduction et la nidification. On le trouve alors en nombre sur les corniches rocheuses des côtes de l’Islande et de Scandinavie, mais aussi en Grande-Bretagne et, de manière résiduelle, sur certaines côtes bretonnes où les populations ont été cependant décimées, passant de plus de 500 couples dans les années 1960 à seulement 25 actuellement. On considère d’ailleurs que c’est probablement l’oiseau de mer le plus menacé de disparition en France car il est particulièrement vulnérable aux ravages des marées noires et des filets de pêche dans lesquels il s’enserre inéluctablement.

Couple de pingouins torda en Islande (source © Balades naturalistes)

Mais cet oiseau des mers froides passe l’hiver dans des zones plus clémentes au large des côtes de la Manche ou de l’Atlantique, y compris au large des côtes marocaines, mais aussi en Méditerranée même si jusqu’à présent se présence y était plutôt exceptionnelle. Pourquoi donc cet afflux soudain de petits pingouins au large des calanques et jusque dans nos ports ? Nul n’en sait rien à ce stade sinon qu’il s’agit d’un oiseau grégaire et que ses moindres déplacements donnent vite l’impression du nombre.

Un dessin de Sabine Nourrit, publié dans La Provence le dimanche 4 décembre 2022

Il ne faut donc sans doute pas surinterpréter cette présence incongrue de pingouins dans les eaux méditerranéennes, surchauffées cet été au point d’y voir disparaître les magnifique gorgones cuites à petit feu. Peut-être se sont-ils simplement retrouvés dans ce secteur un peu par hasard, poussés au gré des vents et des tempêtes, et y ont-ils trouvé un environnement plutôt favorable malgré la présence des hommes à proximité ? Ce ne sont pas les clients des Terrasses du Port qui s’en plaindront, eux qui peuvent désormais les voir évoluer à proximité, plongeant et nageant avec grâce sous l’eau où ils évoluent avec autant d’aisance que dans les airs. Quoi qu’on en pense, les pingouins, à Marseille comme ailleurs, sont loin d’être manchots !

L. V.

Renaud Muselier se croit toujours au quai d’Orsay…

25 novembre 2022

L’information est restée relativement discrète et c’est dommage car les habitants de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur ignorent pour la plupart quel rôle de premier plan leur Président joue au niveau international, maintenant qu’il a rejoint le clan des fervents supporters d’Emmanuel Macron, en particulier en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique mondial. Il est sur tous les fronts et il était bien évidemment présent au sein de la délégation officielle de la France pour la COP 27 qui vient de se tenir du 6 au 18 novembre 2022, à Charm el-Cheikh, en Égypte, ce qui est bien la moindre des choses pour celui qui se vante d’avoir toujours « une COP d’avance ».

Renaud Muselier, président de la Région PACA et ministre supplétif des affaires étrangères (photo © Renaud Mahoudeau / AFP / Valeurs actuelles)

Il s’y est d’ailleurs distingué en annonçant par communiqué de presse le 7 novembre la création d’un fonds d’investissement de 1 milliard d’euros pour financer des infrastructures autour de la Méditerranée. En réalité, la création de ce fonds, dénommé PLIFF, pour PAMEx Locally Investment Facility, une appellation dont on devine l’inspiration typiquement provençale, avait été annoncée dès le mois de juillet dernier. Au passage, cet acronyme bizarre de PAMEx signifie pour les initiés « Plan d’action pour une Méditerranée exemplaire ».

Il s’agit a priori, si l’on en croit le communiqué de presse, d’un « consortium, coordonné par le R20, une ONG qui a pour objectif d’accompagner les autorités locales et régionales du monde entier dans le développement et le financement de projets d’infrastructures durables, et qui a mis au point une facilité financière particulièrement innovante sous forme de guichet unique permettant d’offrir aux collectivités territoriales ainsi qu’à leurs entreprises des facilités de financement ». Autrement dit, ce n’est pour l’instant qu’un concept un peu théorique, destiné à lever des capitaux sous forme de fonds propres et d’emprunts, et à mobiliser de l’assistance technique mais le déploiement n’est pas prévu avant 2030 : on a donc largement de quoi voir venir et l’urgence climatique devra patienter un peu…

Renaud Muselier dévoilant ses plans pour la Méditerranée en marge de la COP 27 à Charm el-Cheikh, aux côtés de Nasser Kamel, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (source © Var Matin)

En revanche, la communication n’attend pas et Renaud Muselier a déjà lancé à la planète entière des invitations pour un grand raout organisé à Marseille les 5 et 6 décembre 2022, sous le nom pompeux de « Méditerranée du futur – acte V ». Car chaque année désormais, la Région PACA organise un grand rassemblement pour marquer son territoire. Mais le colloque de cette année n’est rien de moins que le « Rendez-vous mondial de l’adaptation au changement climatique ». Pour les déçus de la COP 27 qui estiment que l’on n’est pas allé assez loin dans les engagements mondiaux, voilà une belle séance de rattrapage en perspective, axée cette année sur « la Méditerranée des ressources, de la souveraineté alimentaire et de la sécurité énergétique » !

En réalité, il y sera surtout question du projet pilote d’électrification des ports qui est un peu la pierre angulaire du dispositif que Renaud Muselier cherche à mettre en valeur à chaque occasion, maintenant que le port de Marseille commence à s’engager sur la mise en place de bornes électrique sur les quais du port pour éviter que les bateaux de croisière ne laissent tourner à plein régime leurs moteurs à fuel lourd pour actionner la climatisation pendant les escales. Une thématique qui revient comme un leitmotiv dans chacune des interventions de notre Président de Région et qui était encore mise en avant lors de son dernier voyage officiel à Djibouti, à la fin du mois d’octobre, juste avant son déplacement en Égypte.

Un article du Canard enchaîné du 3 novembre 2010, contant les exploits financiers de Renaud Muselier à l’île Maurice (source © le blog de Lucien-Alexandre Castronovo)

Car Renaud Muselier adore voyager, sans doute une réminiscence de son passage éclair au Quai d’Orsay comme Secrétaire d’État aux Affaires étrangères entre juin 2002 et mai 2005, dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, il y a une petite éternité. En 2010, alors qu’il se disait « dégouté de la politique », l’ancien premier adjoint de Jean-Claude Gaudin avouait avoir même demandé la nationalité mauricienne pour développer sur cette île paradisiaque (surtout du point de vue fiscal) de l’Océan Indien ses petites affaires qui lui avaient alors valu les honneurs du Canard enchaîné pour la qualité de ses opérations d’investissement défiscalisé. Mais depuis 2014, et sa tête de liste surprise aux élections européennes, Renaud Muselier s’est réconcilié avec la politique et il n’a pas peur désormais d’éclipser la ministre des Affaires étrangères en titre, une certaine Catherine Colonna.

Renaud Muselier en visite au refuge Decan, association de protection de la faune et de la flore à Djibouti (source © Ambassade de France à Djibouti)

Son déplacement récent à Djibouti, à la tête d’une délégation d’entrepreneurs et d’universitaires locaux, n’est ainsi pas passé inaperçu. Valeurs actuelles notamment s’en est fait l’écho, s’étonnant que notre Président de Région voyage toujours avec un passeport diplomatique et que sa délégation de 28 personnes y ait élu domicile à l’hôtel le plus cher de la place à 400 € la nuit. Un argument que Renaud Muselier balaie d’un revers de main en affirmant sans ciller « il n’y a qu’un hôtel à Djibouti », ce qui ne manque pas d’étonner les journalistes qui en ont dénombré pas moins de 17 aux standards internationaux…

Mais quand on est président d’une Région qui se targue de bénéficier d’un PIB équivalent à celui de la Nouvelle-Zélande, on ne mégote pas quand on est en déplacement officiel, même si certains élus du Rassemblement national se permettent d’insinuer que les frais du déplacement sont très supérieurs au montant de l’aide que la Région PACA apporte en réalité à Djibouti : la diplomatie internationale est très au-dessus de ce type de considérations bassement matérielles…

Renaud Muselier avec Ismaïl Omar Guelleh, Président de la République de Djibouti (photo © Agence djiboutienne d’information / Ambassade de France à Djibouti)

D’autant que le voyage n’avait pas seulement pour but d’aller dire bonjour aux forces armées françaises stationnées sur la base aérienne de Djibouti et de saluer le Président de la République local, Ismaïl Omar Guelleh pour lui parler de l’Observatoire régional de recherche pour l’environnement et le climat, une structure nouvellement créée à Djibouti avec l’aide de l’Agence internationale de l’énergie atomique pour développer des modèles régionaux de suivi des impacts du changement climatique sur les ressources en eau. Protéger l’environnement, c’est aussi l’occasion de faire des affaires quand on est un politicien avisé comme Renaud Muselier. Un domaine qui justifiait naturellement que la Société du Canal de Provence soit aussi du voyage, de même d’ailleurs que la société Qista, implantée dans les Bouches-du-Rhône et le Var, qui développe des bornes anti-moustiques connectées à un peu plus de 1000 € l’unité et qui cherche justement à en vendre à Djibouti, ça tombe bien…

L. V.

Port-Vendres se déleste en douce de ses vestiges…

2 octobre 2022

Voilà une affaire qui est en train de faire du bruit et qui commence à embarrasser quelque peu le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, accusé ni plus ni moins que d’avoir saccagé, avec la complicité des pelleteuses d’Eiffage, premier groupe européen du BTP, un site archéologique de première importance, un ancien temple romain dédié à Vénus largement cité par le géographe grec Strabon qui évoque, au premier siècle avant Jésus-Christ Aphrodision, latinisé en Portus veneris, « entre deux promontoires du Pyréné, célèbre par son temple ». Même le Canard enchaîné s’en est fait l’écho et le fait est qu’une nouvelle enquête a été ouverte pour tenter de démêler l’affaire.

Port-Vendres, un site portuaire connu et exploité depuis l’Antiquité (photo © CC BY-SA / Ministère de la transition écologique)

Il faut bien reconnaître que le dossier n’est pas d’une grande limpidité… Des controverses existent sur la position même de ce fameux temple de Vénus, probablement d’origine grecque, qui aurait été implanté sur une île, près de l’ancienne cité de Pyrène, évoquée pour la première fois par Hérodote au VIe siècle avant J.-C., et qui aurait donné son nom à la chaîne de montagne voisine. Mais l’origine du mot Pyrénées prête elle-même à débat, entre tenants d’une étymologie grecque liant justement ce nom à une ancienne cité portuaire de la Côte vermeille, et partisans d’une origine mythologique celte.

Le géologue universitaire Jean-Claude Bisconte de Saint Julien est quant à lui persuadé que cette antique cité portuaire n’est pas Collioure comme le prétendent certains, mais bien Port-Vendres, où l’on n’a pourtant pas retrouvé de vestige de ville antique. En revanche, lui est convaincu, comme il l’expose avec force détails dans son livre récemment publié que l’ancienne Pyréné se trouvait bien à l’emplacement de l’actuelle Port-Vendres même si ce site portuaire prisé des marins antiques par l’abri naturel qu’il offre contre la Tramontane, a été mis en sommeil pendant plus de 1000 ans, du fait d’une sédimentation excessive.

Le professeur Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien et la couverture du livre qu’il vient de publier fin 2019 (source © L’Ouillade)

Il pense que l’île dont parle les Anciens, abritant le sanctuaire dédié à Aphrodite, a été arasée en 1929 lorsque les installations portuaires modernes ont été aménagées, contribuant à faire de Port-Vendres un port de commerce très actif, en particulier pour l’importation de fruits exotiques dont 270 000 tonnes transitent annuellement ici. De fait, des investigations géophysiques réalisées en 2018 ont révélé les fondements de l’ancienne île Aphrodisium, immergés en bordure d’un quai.

Carte postale de l’îlot marquant l’entrée du port de Port-Vendres avant sa destruction en 1929 (source © Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien / France 3 Régions)

Le problème, c’est que le quai en question est désormais trop court pour faire accoster les cargos actuels de 155 m de long et de 8 m de tirant d’eau. Comme c’est le seul port en eau profonde du département, le Conseil départemental qui en est le propriétaire, porte depuis 1998, avec la Région Occitanie et la Chambre de commerce et d’industrie, gestionnaire du port de commerce, un ambitieux projet de réaménagement qui consiste notamment à reconstruire totalement le quai Dezoums, inutilisé depuis 2005, en remblayant en totalité une ancienne anse naturelle adjacente. Un projet qui naturellement cristallise l’opposition des défenseurs locaux de l’environnement, lesquels avaient déjà réussi à faire annuler en 2011 par le Tribunal administratif une première autorisation de construire.

Projet de requalification du quai Dezoums en lieu et place de l’actuelle anse des Tamarins (source © EGIS – Etude d’impact des travaux de requalification du quai Dezoums à l’Anse des Tamarins – février 2017)

Le projet a été partiellement revu et une nouvelle étude d’impact a été lancée, aboutissant, fin 2018, à une autorisation de la DREAL au titre du Code de l’environnement, sur la base du projet délibéré en juin 2018 par le Conseil départemental pour un montant d’environ 25 millions d’euros. Les travaux de dragage et de déroctage entrepris en 2019 concernent pas moins de 50 000 m3 que le maître d’ouvrage, conseillé par le CEREMA, un organisme public, se vante de réexploiter au maximum dans une logique d’économie circulaire bien comprise, s’engageant à ne procéder à aucun rejet en mer.

Dragage en cours dans le port de Port-Vendres en mai 2019 (source © France 3 Occitanie)

Mais voilà que lors de ces travaux de terrassement réalisés entre mars et juin 2019, certains témoins voient les pelleteuses à l’œuvre le long du fameux quai Dezoums, remonter de gros blocs bien équarris de marbre blanc, qui font furieusement penser à ce que pourraient être les fondations de l’antique sanctuaire d’Aphrodite ! Pire, les associations repèrent des allées et venues suspectes de barges parties en mer chargées de sédiments et de blocs issus de ces travaux de déroctage, et revenues vides après avoir discrètement largué leur cargaison en pleine mer, ni vu ni connu…

L’association FRENE 66, membre de France Nature Environnement, ainsi que deux autres associations de défense du patrimoine local, « Port-Vendres et les Port-Vendrais » et le collectif « Les Tamarins » portent plainte et les gendarmes viennent apposer les scellés sur le tas de gravats resté à quai tandis que le professeur Jean-Claude Bisconte de Saint Julien s’égosille dans la presse, jurant que les matériaux issus du déroctage recelaient sans aucun doute des vestiges archéologiques d’une valeur patrimoniale inestimable, les anfractuosités naturelles de l’ancienne île étant même susceptibles d’abriter des anciennes épaves irrémédiablement perdues.

Vue aérienne montrant les différents éléments de l’anse de Port-Vendres avec notamment le quai Dezoums (8) où ont eu lieu les travaux de dragage et l’anse Guibal (16) où gisait l’épave de Port-Vendres 1 (source © EGIS – Etude d’impact des travaux de requalification du quai Dezoums à l’Anse des Tamarins – février 2017)

Il faut dire que le site de Port-Vendres est particulièrement riche en matière d’archéologie sous-marine et que la commune elle-même a fait l’objet d’un classement en Site patrimonial remarquable (SPR) par le Ministère de la Culture. De fait, plusieurs épaves antiques y ont été repérées, dont celle d’un navire romain qui a coulé dans l’anse Guibal, à la fin du IVe siècle de notre ère, avec une partie de sa cargaison d’amphores remplies de poisson et de garum en provenance du sud de l’Espagne. Identifiée en 1929, lors des travaux d’aménagement du port et déjà largement endommagée par les travaux de dragage effectués dans l’entre-deux-guerres, l’épave a été fouillée à partir de 1962 puis en 1973 dans le cadre d’une opération de sauvetage avant destruction définitive par les travaux de réaménagement du port prévus à partir de 1974. L’épave avait alors été démontée et remontée à la surface, constituant la première opération de ce type en France, les parties en bois ayant alors été envoyées à la DRASM de Marseille (Direction des recherches archéologiques sous-marines) pour un traitement chimique en vue de sa conservation.

Vidéo produite par le Parc naturel marin du Golfe du Lion en 2017 retraçant l’histoire de l’épave Port-Vendres 1

Curieusement, ce riche patrimoine archéologique local ne fait l’objet, dans l’étude d’impact rédigée par EGIS en 2017, que d’une seule ligne sur les 92 pages du résumé non technique, se contentant d’affirmer que « le site d’étude a en particulier fait l’objet de plusieurs fouilles archéologiques mettant en évidence des vestiges significatifs ». De quoi faire hurler les associations locales, mais pas suffisamment pour émouvoir le Procureur de la République qui a classé l’affaire sans suite le dossier ouvert en septembre 2019,  avant que les défenseurs acharnés de l’antique Portus veneris ne relancent l’affaire en justice, avec photos à l’appui montrant les blocs déchargés en mer et reposant désormais à 40 m de fond ! Une nouvelle enquête est donc en cours tandis que les travaux d’aménagement du port se poursuivent : business is business..

L. V.

Alerte : les gorgones se meurent !

25 septembre 2022

Le réchauffement climatique a encore fait une nouvelle victime ! Depuis la mi-août 2022 les alertes se multiplient dans le milieu des plongeurs méditerranéens : les gorgones, ces magnifiques ramifications colorées qui tapissent les tombants du Parc national des Calanques sont en train de dépérir de manière spectaculaire. Les premières observations ont été faites après les gros orages du 17 août 2022 qui ont balayé la région et fait, une nouvelle fois déborder le Vieux-Port de Marseille, faute de gestion des eaux pluviales adaptée au régime méditerranéen.

Bouquet de gorgone en train de dépérir dans le Parc des Calanques (photo © Patrick Bonhomme / Parc national des Calanques)

Dès le lendemain, des plongeurs se sont inquiétés d’observer un blanchissement inexorable des branches de gorgone, ces bouquets admirables de couleur vive qui constituent un des principaux attraits des fonds méditerranéens. Dès lors, les scientifiques ont commencé à multiplier les observations sur les différentes aires marines protégées de la côte provençale où les gorgones pourpres Paramuricea clavata forment de larges colonies qui se fixent sur les substrats rocheux des fonds marins situés entre 7 et 110 mètres de profondeur.

Le plus souvent pourpre, parfois jaune, les gorgones comme les coraux sont des colonies constituées d’un squelette souple en forme de ramification arborée que se partagent les polypes, de petits animaux munis de tentacules, rattachés à la grande famille des cnidaires qui comprend aussi les méduses ou les anémones de mer. Grâce à cette disposition en éventail le long des branches de l’arborescence généralement disposée perpendiculairement au courant dominant, les polypes filtrent l’eau avec leurs tentacules et se nourrissent ainsi de micro-organismes.

Colonie de gorgone pourpre dans les calanques marseillaises (photo © H Thédy / Parc national des Calanques)

Ces colonies qui tapissent le talus continental en Méditerranée occidentale ont une croissance excessivement lente de l’ordre de 2 à 3 cm par an, mais leur longévité peut atteindre une cinquantaine d’années. Elles forment ainsi une véritable forêt sous-marine qui, à l’instar des grandes barrières de corail qui ceignent les atolls polynésiens, constituent un biotope particulièrement favorable, servant de refuge à une grande variété d’espèces sous-marines. On considère ainsi que pas moins de 15 à 20 % des espèces connues en Méditerranée se concentre à proximité de ces forêts de gorgones, ce qui explique que les plongeurs en soient aussi friands.

Justement, depuis un mois maintenant, les plongeurs ne cessent de multiplier les alertes, constatant avec désespoir que les gorgones de Méditerranée commencent par se nécroser, blanchissent et deviennent cassantes puis finissent par mourir sur pied. Les chercheurs du Parc national des Calanques et de nombreuses associations locales dont Septentrion Environnement, qui œuvre pour la sauvegarde des richesses sous-marines de la Méditerranée, se relaient pour inspecter l’ensemble des spots où ces gorgones sont particulièrement développées.

Un plongeur inspecte des gorgones en train de dépérir dans le Parc national des Calanques (photo © Olivier Bianchimani / 20 minutes)

Et partout le constat est le même : un véritable spectacle de désolation, comme lorsque, au lendemain d’un feu de forêt, on inspecte avec tristesse et dans un silence de mort, le sol couvert de cendre et les moignons noircis de ce qui était la veille encore une magnifique forêt verdoyante, bruissant du chant des oiseaux.

De nombreux prélèvements ont été réalisés pour analyser en laboratoire les causes sans doute multiples de ce véritable massacre qui s’est produit en l’espace de quelques semaines et qui a déjà décimé, selon les premières estimations, 90 % des colonies de gorgones dans les Calanques et plus largement depuis la Côte bleue jusque sur les rivages du Var. Plusieurs facteurs peuvent en effet se combiner pour expliquer cette mortalité inhabituelle : processus biologiques complexes, modification du microbiote associé, survenue d’agents pathogènes, facteurs génétiques de résistance plus ou moins grande au stress thermique, etc.

Prélèvement de gorgones jaunes Eunicella cavolinii pour analyse génétique (photo © T. de Bettignies / MNHN)

Mais la raison principale de ce dépérissement soudain est d’ores et déjà parfaitement identifiée et ne fait aucun doute pour les scientifiques. C’est bien une fois de plus le réchauffement climatique qui en est le responsable, car les gorgones sont extrêmement sensibles aux variations de température. Or cet été, la température de l’eau sur nos côtes méditerranéennes a atteint des records jamais enregistrés, jusqu’à 27 °C à 30 m de profondeur ! C’est trop pour les gorgones qui ont littéralement séché sur pied…

Ce n’est certes pas la première fois que de telles canicule sont observées dans nos régions et l’on avait déjà constaté des épisodes sévères de dépérissement des gorgones pourpres dans les aires marines protégées de Méditerranée où elles font l’objet d’un suivi scientifique, notamment en 1999, 2003, 2006 et 2009, justement à l’occasion de périodes marquées par de fortes canicules prolongées.

Mais lors de ces épisodes antérieurs, le taux de mortalité n’avait guère dépassé 10 à 15 %, ce qui permet une survie des colonies. Il n’en sera peut-être pas de même après cet été 2022 excessivement meurtrier… Sachant qu’il faut une cinquantaine d’années pour reconstituer une colonie ainsi décimée, il est probable que l’on n’est pas près de revoir le doux frémissement des ramures pourpres de gorgones sur les tombants des Calanques, d’autant que toutes les modélisations annoncent une accentuation de la fréquence et de la sévérité des épisodes de canicules dans les années à venir : on commence à assister aux premiers effets probablement irréversibles du changement climatique…

L. V.

Un barrage pour fermer la Méditerranée ?

31 août 2022

Le détroit de Gibraltar, c’est cette porte étroite ouverte entre le Maroc et l’Espagne, par laquelle les eaux de l’Atlantique communiquent avec celle de la Méditerranée. Connue sous le nom de Colonnes d’Hercule dans l’Antiquité, elle doit son nom actuel à une déformation de l’Arabe Djebel Tariq, autrement dit, la montagne de Tariq, en référence au général Tariq ibn Ziyad, ce stratège militaire berbère qui, en avril 711, fit traverser ses troupes omeyyades pour partir à l’assaut de la péninsule espagnole.

Les côtes marocaines vues depuis le littoral espagnol à Gibraltar (photo © Pierre-Philippe Marcou / AFP / France TV info)

Large tout juste de 14 km dans sa partie la plus étroite, mais profond d’environ 800 m, ce détroit s’est ouvert il y a seulement 5,3 millions d’années, à la faveur d’une faille sismique qui s’est peu à peu élargie entre la plaque ibérique et le nord de l’Afrique. Il y a un peu moins de 6 millions d’années, à la fin du Miocène, la mer Méditerranée s’était en effet progressivement asséchée, sous l’effet conjugué de l’émergence d’un arc volcanique et de la glaciation alors en cours. Les apports d’eau des principaux fleuves méditerranéens (le Nil, le Rhône et le Pô notamment) étant insuffisants pour compenser l’évaporation de la Méditerranée, le niveau de celle-ci va baisser d’environ 1500 m ! Les cours d’eau côtiers voient leur lit s’inciser de plus en plus profondément, créent progressivement de véritables canyons à leur embouchure, dont les calanques sont les vestiges actuels.

A la fin du Miocène, la réouverture du détroit de Gibraltar se serait traduite par le déferlement assez brutal des eaux de l’Atlantique dans la Méditerranée alors quasi totalement asséchée et recouverte d’épaisses couches de sel. Une belle chute d’eau comme en rêvent tous les concepteurs d’ouvrages hydroélectriques ; Et d’ailleurs, justement, dès 1928, l’architecte allemand Herman Sörgel, projetait très sérieusement d’édifier un immense barrage hydroélectrique de 35 km de long et 300 m de hauteur à l’emplacement du détroit de Gibraltar, pour créer une dénivelée entre les deux masses d’eau et produire du courant.

Croquis du projet Atlantropa avec ses principaux ouvrages imaginés par l’Allemand Herman Sörgel (source © La marmite du 20e siècle)

Son idée, très utopique, était non seulement de fournir de l’électricité mais de baisser ainsi artificiellement le niveau de la Méditerranée, d’environ 100 m dans sa partie occidentale et même de 200 m dans sa partie orientale, grâce à deux autres ouvrages, également sources de production hydroélectrique, l’un formant un seuil entre la Sicile et les côtes tunisiennes, et l’autre barrant le détroit des Dardannelles pour retenir l’eau de la mer de Marmara. Un projet totalement pharaonique, baptisé du nom d’Atlantropa et que Sörgel défendra avec beaucoup d’enthousiasme jusqu’à sa mort en 1952, qui se serait traduit par l’assèchement de plus de 660 000 km² de terres ainsi gagnées sur la mer, soit plus que la superficie totale de la France.

Herman Sörgel avait pensé à tout, même à creuser un canal artificiel permettant de relier Venise, désormais loin dans les terres, ou à prolonger le canal de Suez autant que nécessaire. Il avait même prévu de doubler ce projet d’un gigantesque barrage hydroélectrique sur le fleuve Congo pour développer en parallèle ce continent désormais rendu plus accessible. Effrayé par la montée du nazisme et face à l’impuissance de la Société des Nations à réguler les conflits naissants, son idée était de rapprocher les pays européens (avec leurs possessions coloniales africaines d’alors) dans une communauté de destin liée à la mise en œuvre et à la gestion (par un organisme supranational) de ce vaste projet. Sörgel avait ainsi calculé que la construction du supercontinent nouveau exigerait de chaque membre de tels investissements que ces derniers n’auraient plus assez de moyens pour financer une guerre. Et en cas de menace d’un des pays membre, il suffirait pour le calmer de lui couper l’alimentation en électricité depuis la centrale de Gibraltar : redoutable !

Curieusement, les pays européens n’ont pas mis en œuvre le projet de Sörgel et ont préféré se faire la guerre… Mais voilà que l’idée d’ériger un barrage à Gibraltar revient sur le tapis, justifiée désormais par la montée du niveau des mers ! Aux dernières nouvelles, en 2016, le niveau de la Méditerranée s’était déjà élevé de 16 cm depuis le début du XXe siècle, et celui de l’Atlantique d’environ 31 cm, mais le mouvement est en train de s’accélérer et on s’attend désormais sur les côtes méditerranéennes à une élévation d’environ 30 cm d’ici 2050 et au moins 60 cm voire 1 m d’ici la fin du siècle…

Le détroit de Gibraltar vu du ciel (source © Article 19)

De quoi inquiéter sérieusement les populations des villes côtières qui se retrouvent ainsi exposées à une érosion accrue à chaque nouvelle tempête. Chacune entreprend ainsi des travaux de plus en plus titanesques, érigeant pour se protéger des digues toujours plus hautes, des épis en enrochements et même, comme à Venise, des systèmes de portes pour se protéger de la mer. Une course contre la montre aussi coûteuse que vaine, que certains imaginent donc désormais de remplacer par des investissements communs, un peu comme l’avait proposé Herman Sörgel en son temps…

Et l’on voit donc resurgir l’idée d’un barrage à Gibraltar, pour protéger de manière globale la Méditerranée contre l’élévation du niveau moyen des océans. C’est notamment le biologiste marin, Alexandre Meinesz, qui, dans son dernier ouvrage intitulé Protéger la biodiversité marine, publié aux éditions Odile Jacob, s’inquiète des effets dévastateurs sur la flore et la faune méditerranéenne de l’augmentation de la température mais aussi de l’acidité de l’eau, sous l’effet de nos émissions de gaz à effet de serre.

Alexandre Meinesz et son dernier ouvrage (source © Twitter / La Terre au Carré)

Il propose, pour y remédier, d’édifier en travers du détroit de Gibraltar un barrage muni d’écluses pour la navigation, afin de réguler les apports de l’Atlantique de manière à compenser l’évaporation tout en maintenant le niveau de la Méditerranée à celui du siècle dernier, c’est à dire 20 cm en dessous de sa cote actuelle. Le raisonnement n’est pas absurde puisque cela permettrait d’économiser d’innombrables ouvrages de protection disséminés tout le long du littoral et sans cesse rehaussés dans une course perdue d’avance contre le réchauffement climatique. Il faudrait d’ailleurs prévoir aussi un dispositif similaire au niveau du canal de Suez pour limiter l’intrusion des eaux de la mer Rouge.

Ha-Phong Nguyen a planché pendant son master sur la faisabilité d’un barrage à Gibraltar (source © EPFL)

En 2014, un jeune élève-ingénieur de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Ha-Phong Nguyen, a étudié la faisabilité d’un tel projet, prévoyant d’implanter un barrage dans la partie la moins profonde du détroit de Gibraltar, longue de 27 km et qu’il suffirait de fermer partiellement pour maintenir le niveau actuel de la Méditerranée malgré l’élévation attendue de l’Atlantique, tout en laissant le passage sur 1 km pour la navigation et la faune marine. Cerise sur le gâteau, l’ouvrage permettrait, en accélérant les courants, de produire autant d’électricité qu’une petite centrale nucléaire…

Un projet repris en 2016 par Jim Gower, de l’Institut des sciences de la mer du Canada, qui publiait dans la revue Natural Hazards le fruit de ses études, estimant le coût d’un tel ouvrage de 25 km de long, implanté à 284 m sous la mer, à la bagatelle de 45 milliards d’euros.

Exemples de réalisations actuelles de plus de 30 km de long dont s’est inspiré l’étude sur la fermeture de la mer du Nord, respectivement en Corée du Sud et aux Pays-Bas (source © Bull. of the American Meteorological Society)

De quoi titiller l’esprit inventif de nos voisins hollandais toujours à l’affût d’un projet d’aménagement hydraulique et inciter le docteur Sjoerd Groeskamp, océanographe à l’Institut royal néerlandais pour la recherche en mer, à publier en février 2020 avec son collègue suédois Joakim Kjellson de GEOMAR, dans le Bulletin of the American Meteorological Society, une étude imaginant cette fois la construction de 2 barrages : l’un de 161 km de long entre les côtes bretonnes et le sud de l’Angleterre, et l’autre de 475 km entre le nord de l’Écosse et les côtes norvégiennes. Ces ouvrages permettraient d’empêcher l’élévation du niveau de la mer du Nord et de protéger ainsi les côtes, souvent très urbanisées, de tous les pays concernés, pour la modique somme de 250 à 500 milliards d’euros, soit à peine 0,1 % du PNB de l’ensemble de ces pays sur 20 ans : qui a dit que l’adaptation au changement climatique allait nous coûter cher ?

L. V.

La mer Morte est-elle menacée de mort ?

4 août 2022

Cléopâtre et la reine de Saba déjà l’avaient remarqué en leur temps : la mer Morte est particulièrement riche en sels minéraux et notamment en potassium, si bien que les boues issues de ses rives étaient déjà réputées pour leurs bienfaits thérapeutiques et cosmétiques dès l’Antiquité. Une tradition qui perdure et qui continue à drainer des milliers de touristes venus faire des cures thermales et surtout flotter comme un bouchon en faisant la planche tout en lisant le journal. Une capacité portante exceptionnelle liée à cette forte teneur en sels qui peut atteindre jusqu’à 340 g/l alors que celle de la Méditerranée ne dépasse pas 38 à 40 g/l et que celle de la mer Rouge atteint tout au plus 50 à 58 g/l. Aucun animal marin ni même les algues ne peuvent survivre dans un tel milieu, ce qui lui vaut d’ailleurs son nom de mer Morte…

Les eaux turquoise de la mer Morte, tellement salées qu’on y flotte sans peine (source © Get your guide)

Sauf que rien n’est totalement immuable et que la reine de Saba ne reconnaîtrait pas les rives de la mer Morte si d’aventure elle devait repasser par là… En l’espace de 50 ans, cette mer fermée a perdu un tiers de sa superficie, tout comme la mer d’Aral ou le lac Tchad, et son niveau baisse en moyenne de 70 cm par an, une baisse qui s’est encore accélérée depuis et peut atteindre jusqu’à 1,45 m par an ! En 1900, la surface de l’eau était à – 390 m sous le niveau des mers et elle se trouve désormais à – 426 m, soit une baisse de près de 40 m depuis…

Le lac de Tibériade et ses berges verdoyantes (photo © AFP / i24)

Bien entendu, le réchauffement climatique n’améliore pas la situation en augmentant les périodes de forte chaleur qui accentuent l’évaporation, la mer Morte n’étant que l’exutoire ultime du Jourdain, ce fleuve biblique issu du lac de Tibériade et dont les eaux viennent se perdre dans la mer Morte où elles s’évaporent naturellement. Mais la cause de cet assèchement brutal est principalement liée à l’activité humaine. Dans les années 1960, l’État d’Israël, en plein expansion a eu besoin d’énormes quantités d’eau pour alimenter ses colonies de peuplement et assurer la mise en culture du désert du Néguev. Un barrage a alors été construit au sud du lac de Tibériade et plus des trois-quarts de son débit est depuis purement et simplement détourné pour les besoins des Israéliens, ne laissant plus qu’un débit qui ne dépasse pas celui de la Seine à Paris !

Vue aérienne de la mer Morte en voie d’assèchement, avec à gauche la partie sud exploitée en bassins de décantation pour extraire la potasse (source © France TV Info)

Depuis lors, les apports du Jourdain ne suffisent plus à compenser l’évaporation de la mer Morte qui s’assèche à vue d’œil. En parallèle, Israéliens et Jordaniens se sont mis à exploiter la potasse contenue dans les eaux de la mer Morte pour en faire des engrais agricoles. Toute la partie sud de la mer Morte a été transformée en gigantesques bassins de décantation pour extraire le précieux minerai, ce qui accentue fortement la vitesse de réduction du plan d’eau qui rétrécit comme peau de chagrin.

En se retirant, la mer laisse des dépôts souterrains de sols riches en sels. Le ruissellement sur les rives vient dissoudre peu à peu ces poches souterraines de sels et on assiste depuis des années à d’innombrables effondrements qui viennent miner les berges : plus de 6000 cratères d’effondrement, dont certains atteignent plusieurs kilomètres de diamètre, se sont ainsi formés, transformant les abords de la mer Morte, en de nombreux endroits, en un paysage lunaire traversé de multiples crevasses, routes et infrastructures étant peu à peu englouties au fur et à mesure que la mer se retire et que les berges s’effondrent.

Cratères d’effondrement et recul du rivage sur les berges de la mer Morte (source © Pour la science)

Pour pallier cette situation catastrophique, personne n’envisage de réduire les prélèvements en eau dans une région qui en manque déjà cruellement. En 2006, sous l’égide de la Banque Mondiale, c’est un autre projet pharaonique qui a vu le jour, consistant à construire une immense usine de dessalement d’eau de mer sur les rives de la mer Rouge, puis à creuser un gigantesque canal à travers le désert pour conduire vers la mer Morte les saumures issues du traitement, espérant que ces eaux permettraient de réalimenter suffisamment le plan d’eau en cours d’assèchement.

Les bords de la mer Morte devenue un haut lieu du tourisme également fort gourmand en eau potable (photo © You matter)

Les études ont néanmoins permis de cerner les coûts pharamineux d’un tel projet estimé à près de 10 milliards de dollars, et surtout les risques écologiques majeurs induits. Il aurait fallu pomper l’eau à plus de 120 m de profondeur pour ne pas aspirer toute la vie organique excessivement riche associée aux récifs coralliens de la mer Rouge, et sans garantie que les saumures déversées dans la mer Morte ne viennent rapidement faire virer au blanc (du fait de précipités de gypse) ou au rouge (par suite du développement de micro-algues associées aux milieux lagunaires sursaturés) les eaux de la mer Morte réputées pour leur belle couleur turquoise… Par ailleurs, la canalisation souterraine de 180 km de long envisagée pour transporter les saumures vers la mer Morte risquait fort de se rompre en cas de séisme, fréquent dans la région, au risque de rendre définitivement impropre à tout usage la nappe souterraine exploitée le long de son tracé !

La ville israélienne d’Eilat et sa voisine jordanienne d’Aqaba, au bord de la mer Rouge (photo © Hadas Parush / Flash 90 / Times of Israel)

En juin 2021, les apprentis sorciers ont finalement renoncé au projet mais la Jordanie a alors annoncé officiellement qu’elle lançait le projet de construction d’une usine de dessalement sur les rives de la mer Rouge, dans le golfe d’Aqaba, afin de fournir au pays 250 à 300 millions de m³ d’eau potable par an d’ici 2026. Un projet chiffré à 1 milliard de dollars en comptant tout le réseau de distribution d’eau à réaliser, la ville d’Aqaba étant situé à l’extrémité sud du pays, à plus de 300 km de la capitale Amman… En parallèle, la Jordanie va tenter de limiter l’urbanisation sur les zones côtières et Israël envisage de taxer les industries minières pour freiner l’extraction de la potasse.

Reste à mettre en point le dispositif pour développer une usine de dessalement d’une telle ampleur en essayant de privilégier le recours à l’énergie solaire car les conditions d’ensoleillement sont idéales pour cela en Jordanie qui par ailleurs manque de ressources énergétiques propres et produit déjà 20 % de ses besoins énergétiques à base de renouvelable. A défaut de freiner l’évaporation des eaux de la mer Morte, le soleil contribuera du moins à favoriser l’approvisionnement des Jordaniens en eau potable…

L. V.

Art Explorer : un bateau-musée à Marseille

22 Mai 2022

Réduire la fracture culturelle en facilitant l’accès du plus grand nombre au monde de l’Art, telle est l’ambition affichée du fonds de dotation Art Explora, créé en 2019 par l’entrepreneur français Frédéric Jousset, doté d’un capital de 4 millions d’euros et dirigé par l’ancien président de l’UNEF puis premier adjoint démissionnaire d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, Bruno Julliard.

Le futur bateau-musée et son village culturel tel qu’il devrait se présenter lors de son escale dans le Vieux-Port de Marseille, en 2023 si tout va bien… (source © Art Explora / Made in Marseille)

Le dernier projet en date de ce fonds de dotation consiste ni plus ni moins qu’à construire un immense catamaran à voile de plus de 46 m de long et 55 m de hauteur, le plus grand du monde, capable d’accueillir à son bord jusqu’à 2000 visiteurs par jour, et 10 000 dans le village culturel ambulant qui sera érigé à quai, pour dialoguer avec des artistes embarqués pour une croisière tout autour de la Méditerranée, et visiter une exposition sous forme de galerie immersive.

Un projet ambitieux dont le coup d’envoi avait été donné lors de l’Exposition universelle de Dubaï qui s’est achevée le 31 mars 2022 et où la fondation Art Explora représentait les Arts et la Culture au Pavillon de la France, autour de la thématique « Connecter les esprits, construire le futur » : tout un programme ! Parmi de nombreuses productions artistiques figurait donc une présentation de ce projet, dénommé Art Explorer, de ce catamaran géant destiné à parcourir les eaux de la Méditerranée avec son exposition culturelle itinérante artistique et numérique.

La maquette du futur bateau-musée en cours d’installation à Marseille (source © Art Explora / France Bleu)

Et en attendant que ce projet devienne réalité, a priori en 2023, et s’amarre sur le quai du Vieux-Port, face à l’hôtel de ville, les Marseillais ont d’ores et déjà la possibilité de se faire une idée du projet en accédant à une exposition gratuite de la maquette du bateau, installée sur le Vieux-Port pendant 10 jours, du 19 au 29 mai. Outre la maquette du futur catamaran, les visiteurs peuvent ainsi découvrir l’itinéraire qu’empruntera le catamaran Art Explorer, à partir de l’automne 2023 et jusqu’à fin 2025 avec pas moins de 20 escales dans des ports de la Méditerranées, répartis dans 15 pays différents. Expérience immersives et sonores à bord du bateau, festival, expositions et ateliers à quai, autant d’occasion de dialoguer autour de l’art et des cultures méditerranéennes sur des thématiques allant du droit des femmes aux enjeux environnementaux et sociaux en passant par les défis migratoires ou éducatifs…

Vue d’ambiance du futur village culturel associé au projet Art Explorer (source © Jean-Michel Wilmotte architecte et associés / Art Explora)

Conçu par l’architecte naval Axel de Beaufort, le catamaran, qui sera alimenté en électricité par modules solaires, est actuellement en construction en Italie, tandis que les espaces d’exposition à quai, à la fois modulables et transportables, sont conçu par l’agence d’architecture Willmotte & associés, à base de conteneurs recyclés favorisant le transport et le stockage tout en réduisant l’empreinte environnementale du projet. A bord, une exposition montée en partenariat avec le musée du Louvre sera centrée sur la représentation des femmes dans l’art méditerranéen et le rôle des figures féminines dans la production artistique au fil des âges.

Ce projet s’inscrit dans la continuité d’une autre expérience d’exposition itinérante, également soutenue par la fondation Art Explora en association avec le Centre Georges Pompidou à Beaubourg, mais qui avait été lancée dès 2011 sous la forme d’un gros camion servant de musée mobile, le MuMo, permettant de rendre accessible l’art contemporain un peu partout au gré de ses étapes. Initié en 2011, ce musée mobile a permis de faire découvrir l’art moderne à plus de 150 000 personnes en établissement scolaire, foyers fermés, EHPAD ou centre social, surtout dans de petites villes et en quartier prioritaires de la Politique de la Ville.

Le musée mobile lors d’une étape (photo © Fany Trichet / CNAP)

Le fonds de dotation Art Explora, qui envisage de se transformer à brève échéance en fondation reconnue d’utilité publique pour augmenter ses capacité d’attraction de nouvelles sources de financement, dons privés et legs en plus des dotations généreuses de grandes entreprises, a été fondé par l’entrepreneur Frédéric Jousset, dont la mère était conservatrice en chef au musée Beaubourg, ce qui explique sans doute cette attirance pour le domaine culturel. Formé à HEC et après plusieurs expériences dans le domaine du marketing puis du conseil en stratégie, il a fondé en 2000 la société Webhelp, devenue en quelques années un leader dans le domaine des centres d’appel et solutions clients, ce qui lui a permis d’amasser une belle fortune personnelle, estimée à 250 millions d’euros.

Frédéric Jousset, l’entrepreneur mécène fondateur d’Art Explora (source © Entreprendre)

Membre depuis 2007 de la commission des acquisitions du musée du Louvre, dont il est administrateur depuis 2016, il a notamment participé au financement d’un chantier de fouille au Soudan, à l’élaboration du site Internet pour le musée consacré aux enfants, ainsi qu’à la réalisation de cycles de conférences d’histoire de l’art en prison. Il est également propriétaire de Beaux Arts magazine dont il a développé la version numérique, et concessionnaire de l’hôtel du Relais de Chambord, situé en face du château…

Un vrai mécène à l’ancienne, donc mais qui sait parfaitement jongler avec les outils d’optimisation fiscale et son réseau d’accointances politiques pour mettre en œuvre des projets artistiques permettant de favoriser la diffusion des œuvres y compris dans certains milieux qui en sont traditionnellement éloignés : nul ne s’en plaindra et les Marseillais auront certainement à cœur d’aller découvrir ce futur musée flottant dès qu’il accostera sur le Vieux-Port !

L. V.

Éolien flottant : un avenir prometteur…

17 Mai 2022

Depuis plusieurs siècles, l’humanité a bâti sa prospérité et son développement industriel sur l’utilisation d’une énergie carbonée fossile à base de charbon, de gaz et de pétrole. Une véritable manne, longtemps considérée comme inépuisable, facile à transporter et à stocker, mais dont on a désormais compris que son usage immodéré et à grande échelle était en train de conduire notre civilisation à sa perte, du fait des pollutions atmosphériques induites mais surtout des rejets de gaz à effet de serre dont l’accumulation est en train de perturber durablement et de manière déjà quasi irréversible, le climat mondial, au risque de voir notre planète devenir invivable pour les prochaines générations.

Face à ce constat, désormais unanimement partagé même si nombre de responsables politiques et surtout d’agents économiques tardent à en tirer les conséquences tant elles impliquent un changement profond de nos habitudes de vie, on sait que l’urgence est de développer à grande échelle le recours aux énergies renouvelables, tout en réduisant autant que possible nos besoins énergétiques. Et parmi ces énergies renouvelables, celle qui semble la plus prometteuse est très probablement l’éolien flottant.

Le moulin de Daudet, à Fontvielle (source © Tripadvisor)

Paradoxalement, l’énergie éolienne n’a rien d’une trouvaille innovante puisque c’est probablement, après l’énergie humaine et animale, celle qui a été le plus tôt domestiquée, dans l’Antiquité, par les Perses puis les Égyptiens, qui maîtrisaient cette technique dès l’an 600 avant notre ère, pour l’irrigation agricole. Introduit en Grande-Bretagne vers l’an Mil, le concept de moulin à vent, constitué d’une éolienne à axe horizontal qui transforme l’énergie cinétique du vent en énergie mécanique, notamment pour moudre les grains ou presser les olives, se généralise très rapidement dans toute l’Europe, surtout à partir du XIIIe siècle.

A la fin du XIXe siècle, c’est un Américain, Charles Bush, qui développe la production d’électricité à partir d’une éolienne, selon un procédé rapidement amélioré par le Danois Poul La Cour, si bien qu’en 1918, 3 % de l’énergie produite au Danemark est déjà d’origine éolienne. Relancée après le premier choc pétrolier, la production électrique éolienne a désormais le vent en poupe, avec une production mondiale qui a été multipliée par 28 entre 2000 et 2012. Mais le développement de cette énergie est freinée par le caractère intermittent de sa production et, accessoirement, par son impact sur l’avifaune.

Éoliennes d’essais développées par le Danois Poul La Cour à l’école d’Aksov, en 1897 (source © Danish Wind Industry Association)

C’est justement pour ces raisons que l’éolien flottant est très certainement amené à se développer. C’est en effet en haute mer que l’on rencontre les vents les plus puissants et les plus réguliers, qui permettent de rentabiliser au mieux de telles installations. En matière de production électrique, on caractérise le facteur de charge d’une installation comme le rapport entre entre l’énergie produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait produite durant cette même période si elle avait constamment fonctionné à puissance nominale. Le parc français de centrales nucléaires présente ainsi un facteur de charge très intéressant de l’ordre de 75 %, alors que celui des panneaux photovoltaïques ne dépasse guère 15 % tandis que celui des éoliennes terrestres est inférieur à 25 % et arrive à 50 % en offshore. Mais en haute mer, l’éolien flottant peut atteindre un facteur de charge de l’ordre de 65 %, ce qui devient très compétitif, tout en réduisant fortement les nuisances environnementales.

Installation en Mer du Nord des éoliennes Statoil du projet Hywind Tampen (source © Modern Power System)

Du coup, les implantations de ce type sont en plein essor. Les Norvégiens de Statoil-Hydro ont ainsi mis en exploitation dès 2017 une première unité commerciale constituée de 5 éoliennes implantées au large des côtes écossaises, pour une puissance totale de 30 MW. Depuis, les projets se multiplient avec notamment la plus grande éolienne du monde installée à 20 km des côtes portugaises et raccordée, depuis décembre 2020, au réseau.

Remorquage d’une éolienne du projet WindFloat Atlantic, installée au large des côtes portugaises (photo © WFA Windplus / Euractiv)

La France n’est pas en reste dans ce domaine puisqu’une éolienne géante, assemblée dans le port de Saint-Nazaire, a été remorquée en mer, à 22 km au large du Croisic en octobre 2017. Raccordé au réseau depuis septembre 2018, ce démonstrateur dénommé Floatgen est destiné à démontrer la faisabilité technique et la viabilité économique de la démarche avant le passage à une échelle industrielle dans le cadre du lancement de plusieurs appels à projets. Quatre sites ont ainsi été attribués dès 2016 pour y implanter les premières installations éoliennes flottantes de production.

Mise en place de l’éolienne du démonstrateur Floatgen au large du Croisic (source © Floatgen)

C’est ainsi que le groupe Qair (ex Quadran) développe actuellement un ambitieux projet, intitulé Eolmed, de 3 éoliennes flottantes au large de Gruissan, dans l’Aude, sur des fonds de 55 m, à 18 km des côtes méditerranéennes. La société BW Ideol, basée à La Ciotat, est l’un des partenaires de ce projet pour lequel elle met à disposition le savoir-faire en matière de fondations offshore, acquis par ses ingénieurs dans le domaine pétrolier. La construction du site commence dès cette année pour un début d’exploitation attendu en 2024.

Schéma de principe du démonstrateur flottant Eolmed au large de Gruissan (source © Eolmed)

Un autre projet de 4 éoliennes Alstom/General Electric de 6 MW chacune, équipées de fondations flottantes Naval Energies et Vinci Construction France, est lui aussi en cours de construction, au large des îles de Groix et de Belle-Ile, en Bretagne, par le consortium Eolfi, une ex-filiale de Veolia rachetée par le groupe Shell en 2019.

Schéma de principe des éoliennes flottantes que la société Eolfi compte installer au large de Groix (source © DCNS – GE / Actu Morbihan)

Deux autres projets sont également en cours de développement en Méditerranée, dont un autre dans l’Aude, au large de Leucate, développé par Engie avec des éoliennes produites par MHI Vestas Offshore Wind et des flotteurs métalliques fabriqués par Eiffage. Le dernier projet, dénommé Provence Grand Large, se situe dans les Bouches-du-Rhône, à 17 km au large de Port-Saint-Louis-du-Rhône, près du phare de Faraman. Piloté par EDF Énergies nouvelles, avec l’aide de 3 éoliennes Siemens Gamesa de 8 MW de puissance unitaire, montées sur fondations flottantes développées par SBM Offshore et l’IFP, le projet devrait entrer en service dès 2023.

Vue d’artiste de la future ferme pilote Provence Grand Large (source © SBM Offshore / Gomet)

Au delà de ces premiers pilotes industriels qui entrent progressivement en phase opérationnelle, des programmes plus ambitieux sont d’ores et déjà lancés, à l’instar des deux appels d’offres annoncés le 14 mars 2022 par le Premier ministre, Jean Castex, pour l’installation de parc éoliens flottants de 250 MW chacun en Méditerranée, à plus de 20 km au large de Port-la-Nouvelle et de Fos-sur-Mer. Le mouvement des éoliennes flottants semble bel et bien lancé et l’avenir dire si cette filière est effectivement amenée à prendre demain une place prépondérante dans notre mix énergétique comme certains l’imaginent déjà.

L. V.

Des filets connectés pour capter les déchets…

1 février 2022

La Mer Méditerranée, c’est bien connu, est une mer fermée, réceptacle naturel de tous nos déchets que le vent emporte et qui finissent tous, invariablement dans la mer, canalisés à chaque épisode pluvieux via les cours d’eau et le réseau de collecte des eaux pluviales.

Chacun n’en a pas forcément conscience, mais un mégot jeté négligemment dans le caniveau sur le mail de Carnoux, sera nécessairement emporté à la première pluie dans la « bouche d’égout » la plus proche, laquelle conduit directement, via un simple tuyau, dans le fossé pluvial que l’on voit à la sortie de Carnoux, en contrebas de la route après le rond-point des Barles, fossé qui n’est autre que le lit résiduel du Ru de Carnoux qui se jette dans le Merlançon, lui-même affluent de l’Huveaune, qui conduira votre mégot directement en mer au niveau de la plage du Prado où, avec un peu de chance, vous le retrouverez avec plaisir en allant barboter dans l’eau l’été prochain…

Regard pluvial à Carnoux : dernière étape avant un rejet direct en mer… (photo © CPC)

On estime que l’on rejette ainsi en mer chaque année, bien involontairement et sous le seul effet mécanique du vent et de la pluie, plus de 10 millions de tonnes de déchets, principalement à base de plastique qui se fragmente peu à peu et pénètre dans toute la chaîne alimentaire. D’ici 2050, les océans contiendront probablement plus de plastique que de poissons.

Malgré tous les efforts des pouvoirs publics et de nombreuses initiatives privées pour essayer de nettoyer cet immense dépotoir qu’est devenue la Mer Méditerranée, une des solutions les plus efficace est encore d’éviter que nos déchets ne viennent se déverser en mer à chaque orage comme on l’a encore constaté lors de l’épisode pluvieux du 4 octobre 2021 qui avait coïncidé de surcroît avec une grève des éboueurs métropolitains, si tant est que l’on puisse encore parler de coïncidence pour des phénomènes aussi récurrents…

Déchets jonchant la plage du Prado après les intempéries du 4 octobre 2021 (photo © Nicolas Tucat / AFP / Le Monde)

Une des solutions envisagée et déjà testée avec succès en de multiples endroits est de récupérer ces macro-déchets en installant des filets à l’exutoire des réseaux d’eau pluviale, voire des déversoirs d’orage qui, eux, sont liés directement aux réseaux d’eaux usés, lesquels finissent toujours, en cas de forte pluie, à excéder les capacités de traitement des stations d’épuration, si bien que l’on n’a généralement pas d’autre choix que de déverser alors directement en mer les eaux usées sans le moindre traitement en comptant sur la dilution naturelle et l’effet de chasse pour que cela ne soit pas trop visible…

Mise en place d’un filet récupérateur de déchet à la sortie d’un exutoire (source © Made in Marseille)

L’inconvénient d’un tel dispositif est que les filets, même de grande capacité, finissent toujours par se remplir, souvent précisément au plus fort de l’orage, formant alors de véritables bouchons à l’exutoire des réseaux d’eau usées, provoquant alors des débordement d’eau nauséabonde sur la voirie et dans les sous-sols des immeubles avoisinants, ce qui n’est généralement guère apprécié des riverains !

C’est pour éviter ce type de désagrément que la start-up marseillaise, au nom typiquement provençal de Green City Organisation, a lancé son dispositif D’Rain de filet connecté. Créée en 2017 par Isabelle Gérente, une plongeuse d’origine lilloise venue à Marseille pour développer des projets sportifs mais écœurée par les arrivées massives en mer de déchets de toute sorte à chaque épisode pluvieux, cette start-up a donc développé un système de collerette équipée de capteurs, que l’on vient fixer à la sortie d’une canalisation d’eau pluviale et à laquelle on accroche un filet qui récupère les déchets.

Isabelle Gérente, la fondatrice de Green City Organisation (photo © France TV Info)

Grâce à un dispositif de transmission des données collectées, on connaît à tout moment le niveau de remplissage du filet, ce qui permet de venir le récupérer et le changer à temps tout en évitant les plongées intempestives de surveillance. De surcroît, les capteurs recueillent en permanence des données sur la qualité de l’eau : salinité , pH, taux d’oxygène dissous, mais aussi teneur en hydrocarbures, métaux lourds ou encore résidus médicamenteux de nature à dégrader fortement l’état du milieu aquatique.

Schéma du principe du dispositif D’Rain avec sa collerette connectée et ses filets de récupération (source © Green City Organisation / GoMet)

Labellisé par les pôles de compétitivité Aquavalley et le Pôle Mer Méditerranée, le dispositif a été breveté e 2020. Après un premier essai dans le Vieux-Port de Marseille, la start-up marseillaise avait annoncé début 2021 la signature d’un partenariat avec la fondation Probiom, une ONG environnementale qui tente de lutter contre la prolifération de déchets plastique sur les côtes algériennes. Le 14 décembre 2021, la société a organisé, sur le Vieux-Port, dans les locaux de la Société nautique, une présentation de son démonstrateur, fruit de 18 mois de recherches cofinancées par l’Agence de l’Eau et Total Énergies, avant de mettre en scène l’installation du dispositif sur l’exutoire situé à proximité, l’un des plus gros d’Europe, et qui sert de déversoir d’orage directement dans le Vieux-Port en cas de forte pluie.

Vue du dispositif expérimental D’Rain mis en place au niveau de l’exutoire de la Société nautique sur le quai du Vieux-Port à Marseille le 14 décembre 2021 (photo © Rémi Liogier / GoMet)

Les filets ainsi mis en place, fournis par la société Ecotank, ont une capacité de 10 m³ et sont constitués d’une double paroi, à mailles larges pour bloquer les macro-déchets, mais doublés d’une maille plus fine pour arrêter même les mégots. Quant le filet est plein, la collerette intelligente, qui pèse quand même 1,7 tonnes, se détache automatiquement et l’exploitant est alerté pour qu’il puisse venir récupérer le filet à l’aide de scaphandriers, mobilisés par l’entreprise Seven Seas et le remplacer par des filets neufs.

Installation du dispositif expérimental D’Rain sur l’exutoire du Vieux-Port à Marseille le 14 décembre 2021 (photo © Guillaume Ruoppolo / Walis / Marseille médias)

Didier Réault, vice-président de la Métropole, délégué à la mer et au littoral, était présent lors de cette démonstration et s’est montré intéressé par cette technologie innovante qui pourrait, à terme, équiper les quelques 180 exutoires en mer pour la seule ville de Marseille, exploités par la SERAMM, dans le cadre d’une délégation de service public. Même dans cette hypothèse, et même en imaginant qu’une telle technologie de pointe soit suffisamment fiable pour permettre de récupérer ainsi une partie de nos déchets, ce n’est bien évidemment pas une raison pour continuer à jeter négligemment votre mégot dans le caniveau…

L. V.