Archive for the ‘Déchets’ Category

Robinson Crusoé et le Chevalier des Tuamotu

20 avril 2024

Publié en 1719, le célèbre roman d’aventure de Daniel Defoe, intitulé Robinson Crusoé, retrace l’histoire imaginaire mais inspirée de faits réels de ce marin de 28 ans, originaire de York, seul survivant d’un naufrage survenu près de l’embouchure de l’Orénoque, au large du Venezuela, et qui se retrouva seul sur une île déserte où il vécut pendant 28 longues années avant de pouvoir regagner l’Angleterre à l’occasion d’une mutinerie d’un navire de passage. Ce roman a captivé des générations entières et inspiré de multiples auteurs, dont Michel Tournier et son célèbre Vendredi, ou les limbes du Pacifique. Les adaptations au cinéma sont également innombrables, une des dernières en date étant le film américain à succès, sorti en 2000 et adapté en français sous le titre Seul au monde, dans lequel l’acteur Tom Hanks se retrouve seul survivant d’un accident d’avion sur une île déserte des Fidji où il restera plusieurs années avant d’arriver à rejoindre la civilisation sur un radeau de fortune.

Tom Hanks, Robinson Crusoé des temps modernes, sur son île déserte en tête à tête avec son ballon de volley (source © IUP / Première)

Ces robinsonnades, qui ont créé un nouveau genre littéraire, exercent un véritable pouvoir sur bien des adolescents attirés par l’esprit d’aventure. C’est précisément le cas du biologiste français Matthieu Juncker, attiré depuis tout petit par le monde de la mer et passionné de pêche, qui garde un souvenir très précis de ses lectures du chef d’œuvre de Daniel Defoe. Devenu biologiste marin après des études à Paris et à Luminy, il embarque en 2000 pour le Pacifique et n’a plus quitté la région depuis.  Polynésie. Après une thèse sur le lagon de Wallis-et-Futuna, il prend la direction en 2009 de l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie où il se passionne notamment pour la photographie sous-marine mais aussi pour le savoir ancestral des pêcheurs du Pacifique.

Le biologiste Matthieu Juncker dans son élément (photo © Claude Bretegnier / Demain en Nouvelle-Calédonie)

Après avoir participé à de multiples inventaires de faune sous-marine et à différentes expéditions, le voilà qui vient d’embarquer pour une nouvelle robinsonnade. Depuis le 17 avril 2024, il a en effet débarqué seul sur un îlot totalement désert de l’archipel des Tuamotu où il compte vivre seul et en totale autarcie pendant 200 jours, de quoi concrétiser enfin son rêve d’enfant découvrant les aventures de Robinson Crusoé. Le motu corallien sur lequel il va vivre cette aventure hors du commun fait partie de la centaine d’ilots déserts de cet archipel de Polynésie, qu’il décrit lui-même comme « assez austère, un banc de sable avec le lagon à gauche, l’océan à droite et quelques cocotiers au milieu ».

Quelques-uns des nombreux îlots déserts de l’archipel des Tuamotu, entre océan et lagon (photo © M. Juncker / À contre-courant)

Pas vraiment de quoi faire rêver, sinon du fait de l’extrême richesse des poissons multicolores qui grouillent encore dans les eaux du lagon au milieu de la barrière récifale. Un milieu extrêmement menacé par le réchauffement climatique global, le corail étant particulièrement sensible à toute variation de température. Comme pour les gorgones en Méditerranée, les scientifiques sont très inquiets pour le devenir de ces barrières coralliennes qui sont à l’origine de cet écosystème très riche mais fortement vulnérable. Comme l’explique le biologiste aventureux, « Selon les prévisions, une hausse de la température de 2 degrés suffirait à les rayer de la carte. La majorité des coraux n’ont pas la capacité de survivre à ce réchauffement et l’acidification des océans ralentira leur croissance ».

C’est donc bien le sort de ces ilots menacés et où des espèces commencent à disparaître, qui motive principalement l’expédition scientifique solitaire de Matthieu Juncker. Il s’intéresse en particulier au « Titi », un oiseau endémique qui n’a rien d’un moineau parisien comme son nom vernaculaire pourrait le laisser entendre, mais est un véritable « chevalier », au sens le plus noble du terme. Le Chevalier des Tuamotu ne se promène certes pas à cheval et armé de pied en cap, mais son port altier lui confère néanmoins une certaine distinction malgré sa petite taille (15 à 16 cm), ses pattes jaune sale, ses ailes courtes et son bec riquiqui qui le fait plutôt ressembler à un passereau.

Le Titi ou Chevalier des Tuamotu, une espèce menacée (photo © P. Raust / Manu)

De son nom scientifique Prosobonia parvirostris, cet oiseau limicole endémique des Tuamotu est de fait menacé de disparition, même s’il a réussi à survivre à son cousin, le Chevalier de Kiritimati, une espèce désormais éteinte pour l’éternité. Le dernier inventaire en date faisait état de 1000 individus encore recensés, présents sur 5 atolls seulement, mais c’était il y a 10 ans déjà et Matthieu Juncker s’est donc donné pour mission (ou prétexte) d’actualiser ces données en étudiant de près cet oiseau dans son environnement naturel, tout en analysant plus globalement l’effet de la montée des eaux sur le fragile petit atoll où il a désormais élu domicile. Il est également chargé par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) de surveiller la présence de déchets plastiques dans la mer à proximité de son motu. De son côté, l’association polynésienne Te mana o te moana lui a demandé de profiter de son séjour pour d’observer les sites de pontes de tortues.

Matthieu Juncker dans son nouvel environnement pour 200 jours (photo © Claude Bretegnier / À contre-courant)

Un programme scientifique qui devrait donc largement occuper notre Robinson Crusoé moderne, lequel compte se nourrir exclusivement de poissons pêchés dans le lagon et de noix de coco ou autres ressources végétales locales. Il prend néanmoins la précaution de se munir d’une petite unité de désalinisation d’eau de mer et d’une bâche pour recueillir l’eau de pluie, ainsi que d’une pharmacie pour faire face en cas d’accident, mais aussi de quelques outils dont une machette pour se construire son faré sur la plage.

L’expédition se nomme À contre-courant, ce qui exprime bien la volonté de Matthieu Juncker, au-delà de l’expérience scientifique de vouloir vivre une expérience personnelle forte en allant « à l’encontre de cette société de surinformation, de consommation et de sécurité ». Il disposera néanmoins d’un téléphone cellulaire et enverra régulièrement des nouvelles de son expédition dont il compte surtout témoigner largement ensuite, via un livre et un film notamment, pour alerter sur la fragilité de ces écosystèmes menacés par le réchauffement climatique et dont on ne se soucie guère…

L. V.

Cerexagri, l’usine qui enfume les voisins

8 février 2024

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le passé industriel très actif de Marseille n’est pas complètement mort, lui qui a laissé de multiples stigmates avec ses innombrables terrils riches en métaux lourds qui jonchent encore le littoral en bordure du Parc national des Calanques et dont la dépollution reste un casse-tête. La production d’alumine, à partir de la bauxite locale, a contribué à la richesse locale avec un site majeur de production à Saint-Louis des Aygalades mais aussi de multiples dépôts de boues rouges, résidus de cette production industrielle et dont on ne sait plus très bien que faire désormais.

Mais il subsiste encore sur le territoire de Marseille quelques sites industriels majeurs toujours en activité, parmi lesquels l’usine Arkema à Saint-Menet, toujours en activité depuis 1954 et classée site Seveso seuil haut, dont le plan particulier d’intervention, révisé récemment, s’étend désormais jusqu’à la commune de Carnoux qui pourrait être sérieusement touché en cas de fuite massive de chlore par temps de Mistral.

Usine Arkema à Saint-Menet, source de risque industriel majeur pour l’Est marseillais (photo © Georges Robert / La Provence)

Un autre site industriel majeur, implanté depuis 1983 dans le quartier de Saint-Louis des Aygalades, fait aussi parler de lui pour ses nuisances environnementales. Il s’agit de l’usine Protec Métaux Arenc, rachetée récemment par Satys, et spécialisée dans la fabrication de peintures spéciales pour l’aéronautique. En 2013, des fuites de chrome VI, une substance toxique fortement cancérigène et mutagène, ont été repérées fortuitement dans le tunnel ferroviaire de Soulat situé en contrebas, à 400 m de là. Les investigations, qui n’ont été rendue publiques qu’en 2019, ont révélé que le produit avait provoqué une pollution majeure du ruisseau des Aygalades et persistait encore dans la nappe, ce qui a obligé les autorités à prendre des mesures drastiques d’interdiction d’utilisation des puits domestiques du secteur.

Entrée de l’usine PMA désormais Satys, implantée dans le quartier de Saint-Louis, à l’origine d’une grave pollution au chrome VI de la nappe et du ruisseau des Aygalades (source © Google Maps / Marsactu)

A ce jour, les travaux de dépollution, que l’industriel est mis en demeure d’engager depuis 2018, ne sont toujours pas réalisés même si des tests in situ ont bien été effectués en 2021 après le rachat du site par Satys. Il était question que l’usine déménage en 2023, pour s’installer dans une zone d’activité dédiée à Marignane, mais les riverains du secteur s’y sont bruyamment opposé et l’industriel a dû battre en retraite. L’usine et ses installations vieillissantes en pleine zone urbaine reste donc toujours en place à ce jour, freinant les travaux de dépollution qui peuvent difficilement être réalisés tant que l’activité de production se poursuit…

Portail de l’antenne marseillaise de Cerexagri au Canet (photo © Etienne Bonnot / Marsactu)

Et voilà qu’une autre usine marseillaise, défraie à son tour la chronique et fait les choux gras de Marsactu. Installée au Canet, entre l’autoroute A7 et la L2, à proximité immédiate des grandes tours de la cité Jean Jaurès, l’usine existe depuis 1909. A l’époque, les bâtiments, immenses cathédrales de béton armé aux toits voûtés, étaient exploités par les Raffineries Internationales de Soufre. Peu à peu, l’usine s’est retrouvée en pleine ville, encerclé d’immeubles d’habitations, de pavillons et même d’écoles. La production quant à elle s’est toujours poursuivie mais l’usine a changé de main et a été intégrée à Cerexagri, une filiale d’Arkema qui regroupe les activités agrochimiques issues de Total. L’usine continue à fabriquer du soufre destiné à être utilisé comme fongicide dans l’agriculture.

Les vastes salles voûtées du site marseillais de Cerexagri (source © AGAM)

Fin 2006, Arkema a cédé sa filiale Cerexagri dont le chiffre d’affaires était alors estimé à 200 millions d’euros avec ses trois usines de production situées, outre Marseille, à Bassens près de Bordeaux, et à Mourenz dans les Landes. L’heureux repreneur est le géant indien de l’agrochimie, le groupe UPL (United Phosphorus Ltd), l’un des cinq géants mondiaux des pesticides, présent dans 130 pays avec plus de 10 000 salariés dans le monde.

En mars 2010, un incendie s’était déjà produit dans les locaux de l’usine marseillaise de Cerexagri. Rapidement maîtrisé par les marins-pompiers, le feu avait néanmoins provoqué la formation d’un spectaculaire nuage de soufre qui s’était lentement dirigé vers les barres d’immeubles de la cite Jean Jaurès dont les habitants étaient aux premières loges pour bénéficier gratuitement d’une inhalation soufrée qui, semble-t-il n’avait pas fait de victime directe.

Site de l’usine Cerexagri (toitures blanches), entre l’autoroute A7 et la L2, en bordure de la cité Jean Jaurès et à côté de l’école Canet Jean Jaurès (source © Google Maps)

A l’époque, l’usine était classée site Seveso seuil haut, mais en 2021, les services de l’État ont accepté de le déclasser, actant le fait que les volumes de produits toxiques stockés sur place étaient désormais en dessous des seuils. La même année pourtant, un autre site de l’indien UPL faisait parler de lui en Afrique du Sud. Suite à des émeutes urbaines, un hangar de stockage de produits chimiques situé dans la zone portuaire de Durban avait été incendié, provoquant une grave contamination des plages voisines où les autorités ont dû interdire la pêche et la baignade. Selon France Info, l’enquête avait montré que la multinationale indienne n’avait pas les autorisations environnementales pour cette activité et il avait fallu retirer 13 000 tonnes de déchets toxiques et 24 000 m3 de liquides contaminés pour les enfouir en décharge contrôlée.

Incendie du site de stockage UPL près de Durban en juillet 2021 : une véritable catastrophe écologique (source © IOL)

C’est pourtant cette même année 2021, comme l’indiquent les révélations récentes de Marsactu, que la direction marseillaise de Cerexagri, profitant de l’assouplissement des exigences environnementales à son encontre, décide de modifier son procédé de convoyage de la poudre de soufre vers la chaine d’ensachage, en remplaçant son ancien dispositif mécanique par un système plus performant à air comprimé, qui permet de meilleurs rendements. Le seul (petit) inconvénient du nouveau process est qu’il rejette dans l’atmosphère un gaz éminemment toxique, mortel à fortes concentrations, l’hydrogène sulfuré H2S. Selon le Code du Travail, dès que la concentration de ce gaz dans l’air dépasse 5 ppm dans un espace confiné, la production doit être immédiatement stoppée. Or le nouveau dispositif génère des concentrations 30 fois supérieures !

Qu’à cela ne tienne : la direction fait installer en toute discrétion une seconde ligne d’échappement qui permet d’évacuer l’essentiel du gaz toxique à l’extérieur, juste au-dessus d’une porte par laquelle transitent les salariés du site. Cette installation n’étant pas déclarée, les services de contrôle mesurent les rejets à la sortie de l’échappement principal tandis que l’essentiel des rejets passe par l’échappement secondaire, ni vu ni connu…

Banderole sur l’usine Cerexagri de Bassens en 2021 à l’occasion d’un mouvement social (photo © Ezéquiel Fernandez / Radio France)

N’ayant pas été informés du stratagème, les salariés ne se doutent de rien sauf qu’ils sont régulièrement incommodés en passant près de l’endroit sensible, au point de finir par faire des mesures à l’aide de capteurs individuels, découvrant avec effarement que leur capacité de mesure est allègrement dépassée ! Une fois le pot aux roses découvert, les salariés déclenchent une alerte pour danger grave et imminent et décident de l’arrêt de l’activité. Cinq jours plus tard, des inspecteurs du travail se rendent sur place avec un expert et mettent en demeure la direction du site de mettre son installation en conformité, ce qui est fait une semaine plus tard, sans que l’on sache à ce jour si les rejets récurrents d’H2S à forte concentration ont pu avoir un impact sur les habitants des logements voisins dont les fenêtres donnent directement sur l’usine.

On apprend d’ailleurs à cette occasion qu’en 2023 déjà le même site industriel s’était fait rappeler à l’ordre par les services de l’État qui s’était rendu compte que l’usine rejetait directement dans le réseau pluvial, sans le moindre traitement, ses eaux de purges des chaudières, provoquant une atteinte grave à l’environnement. De quoi écorner quelque peu la réputation de la multinationale indienne dont la communication institutionnelle est portant fortement axée sur la sécurité et le bien-être de ses employés ainsi que sur le respect de l’environnement, un thème récurrent dans la bouche de bien des pollueurs !

L. V.

La société Alteo mise en examen

28 janvier 2024

C’est le quotidien national Le Monde qui l’a révélé le 19 janvier 2024 : la société Alteo, propriétaire de l’usine de production d’alumine de Gardanne, a été mise en examen le 17 octobre 2023, près de 4 ans après l’ouverture d’une information judiciaire, pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

Vue aérienne de l’usine d’alumine d’Alteo à Gardanne, ici en 2019 (source © Made in Marseille)

C’est le nouveau procureur de la République à Marseille, Nicolas Bessone, qui a confirmé l’information en précisant que l’usine Alteo de Gardanne est soupçonnée d’avoir à Gardanne et à Cassis, entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, « laissé s’écouler dans les eaux de la mer dans la limite de la mer territoriale, directement ou indirectement, une ou des substances dont l’action ou les réactions ont même provisoirement entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune ». Le parquet de Marseille estime donc, après 4 ans d’enquête, avoir rassemblé suffisamment d’éléments venant étayer les arguments avancés depuis des années par des riverains et des associations de défense de l’environnement qui s’époumonent en vain pour dénoncer les pollutions multiples occasionnées par cette usine.

Le sujet n’est pas nouveau puisque les résidus de traitement de l’usine, les fameuses « boues rouges », ont toujours été purement et simplement rejetées dans la nature depuis que le site a été mis en service, il y a plus d’un siècle en 1894. A l’époque, le procédé industriel utilisé, inventé par Karl Joseph Bayer en 1887, était fortement innovant et le site de Gardanne est le premier au monde à l’utiliser ainsi de manière industrielle, après quelques tâtonnements. Il consiste à dissoudre à chaud à l’aide de soude concentrée le minerai de bauxite, alors exploité dans les mines toutes proches du Var, pour en extraire l’alumine, cette poudre blanche qui donne ensuite l’aluminium par électrolyse.

Vue aérienne du site de Mange-Garri, à Bouc-Bel-Air, près de Gardanne, où sont entreposées les résidus solides de la fabrication d’alumine, les fameuses « boues rouges » (photo © Colin Matthieu / Hemis.fr / France TV info)

Mais ce procédé produit des quantités importantes de déchets, ces fameuses boues rouges, alors à raison de 1,5 tonne pour 1 tonne d’alumine produite, des résidus riches en oxydes de fer qui leur donnent cette couleur caractéristique, mais aussi en soude résiduelle, très caustique, et en métaux lourds de type plomb, mercure, cuivre, chrome ou cadmium, ainsi qu’en arsenic et en éléments radioactifs. Des boues toxiques qui ont été longtemps stockées dans tous les vallons situés autour de l’agglomération marseillaise. Jusqu’à ce que Péchiney, alors propriétaire de l’usine de Gardanne, ait la brillante idée de les rejeter directement en mer, au large de Cassis, via une conduite qui court sur plus de 50 km et se rejette en mer à quelques kilomètres du littoral, dans le canyon de la Cassidaigne.

Les canalisations d’effluents toxiques qui partent de l’usine de Gardanne et courent à travers bois jusqu’à Cassis, enterrées sur une partie de leur trajet comme dans la traversée de Carnoux (photo © Guillaume Origoni et Hans Lucas / AFP / Le Monde)

Mise en service en 1966 malgré la protestation des pêcheurs et des écologistes de l’époque, cette conduite, qui traverse toute la commune de Carnoux où elle est repérée en surface par de petites bornes orange, a rejeté plus de 30 millions de tonnes de boues rouges toxiques, directement en mer, en plein cœur du Parc national des Calanques, déposant des sédiments rougeâtres que l’on retrouve dans les fonds marins de Toulon jusqu’à Fos !

La conduite qui rejette en mer à 7 km des côtes de Cassis, les effluents liquides toxiques issus de l’usine d’alumine de Gardanne (photo © Boris Horvat / AFP / 20 minutes)

Il a fallu attendre le 1er janvier 2016 pour que cessent enfin ces déversements directs en mer des boues rouges toxiques, en application de la Convention de Barcelone signée 10 ans plus tôt en 1995 et fixait une date limite au 31 décembre 2015 pour de tels rejets. Une enquête publique mouvementée avait été lancée en août 2015, qui vit le ministre de l’écologie d’alors, Ségolène Royal, se faire désavouer publiquement par le Premier ministre de l’époque, un certain Manuel Vals, il a été accordé une nouvelle autorisation à l’usine de Gardanne, passée entre temps des mains de Péchiney à celle d’Alcan, puis de Rio Tinto, et rachetée en 2012 par un fonds d’investissement anglo-saxon HIG Capital qui l’a regroupé au sein de son nouveau pôle baptisé Alteo.

Les envols de poussières toxiques autour du site de stockage de Mange-Garri empoisonnement la vie des riverains et de l’environnement proche (photo © Boris Horvat / AFP / Géo)

Grâce à la générosité de l’Agence de l’Eau, financée pour l’essentiel par les redevances des usagers sur leur consommation d’eau potable, le fonds d’investissement HIG a pu équiper l’usine de Gardanne de filtres-presses destinés à extraire la phase solide des boues rouges, stockée depuis à l’air libre dans les immenses bassins de Mange-Garri à Bouc-Bel-Air, à raison de 350 000 tonnes supplémentaires chaque année, au grand dam des riverains exposés, en période venteuse, aux envolées de poussières éminemment toxiques. Le reste des effluents liquides continue à être rejeté en mer par les mêmes canalisations, sans autre traitement, moyennant une autorisation préfectorale accordée pour 6 ans et fixant des teneur limites à ne pas dépasser pour certains paramètres de ces effluents, en dérogation avec les seuils réglementaires habituellement appliqués.

Les rejets en mer des boues rouges, désormais arrêtés, mais qui se poursuivent par des rejets d’effluents liquides peu ragoutants : un dessin du caricaturiste Z, publié dans Charlie Hebdo le 24 août 2020

Un montage qui s’apparente fort, comme de nombreux responsables politiques l’ont alors dénoncé, à une lâche concession faite à l’industriel pour lui permettre de continuer à polluer allègrement, moyennant le versement d’une redevance, elle-même minorée de manière totalement dérogatoire, ceci pour répondre à son habile chantage à l’emploi et en échange de vagues promesses de se doter un jour d’une véritable station d’épuration digne de ce nom. Un échéancier avait été alors accordé à l’entreprise pour se mettre progressivement en règle mais les échéances ont été repoussées à de multiples reprises, faute d’atteindre dans les délais les seuils fixés dans l’arrêté. Alteo avait même mis en avant cette pression environnementale pour placer l’usine en redressement judiciaire fin 2019 et organiser son rachat en 2021 par le groupe de logistique minière franco-guinéen United Mining Supply.

Et pourtant, malgré ce traitement de faveur totalement dérogatoire, les services de l’État en charge de contrôler cette installation industrielle ont enregistré, via les quelques analyses effectuées, que même les valeurs dérogatoires concédées n’étaient pas respectées, loin s’en faut. Un prélèvement inopiné réalisé en 2016 indiquait ainsi des dépassements colossaux par rapport aux seuils fixés dans l’arrêté préfectoral, et ceci s’est reproduit depuis malgré les multiples mises en demeure du Préfet et ceci même au-delà de septembre 2020, data à laquelle Alteo s’est vanté d’avoir enfin mis en service une unité de traitement biologique pour traiter ses effluents avant rejet dans le milieu naturel.

Modélisation de l’extension des dépôts de boues rouges au large de Cassis (source © Wild Legal)

Ce sont ces multiples et répétées infractions aux différents arrêtés préfectoraux pourtant largement dérogatoires, qui valent aujourd’hui cette mise en examen suite aux plaintes déposées dès 2018 par huit plaignants représentant des riverains, des pêcheurs et des associations de défense de l’environnement dont ZEA, plaintes qui avaient débouché sur l’ouverture d’une enquête en mars 2019 par le pôle santé du Tribunal judiciaire.

Après des années d’errements, la Justice semble enfin se donner les moyens d’agir sur ce type de pollution industrielle à grande échelle, effectuée au vu et au su de tous, avec la complicité active et revendiquée de nombre de responsables politiques voire scientifiques, et au mépris de toutes les législations et réglementations pourtant plutôt laxistes mises en place. Une belle victoire pour ceux qui se battent depuis des années voire des décennies contre ce type d’impunité !

L. V.

Île de Nauru : un mode de gestion peu durable…

26 décembre 2023

La République de Nauru fait partie de ces micro États dont on a bien du mal à croire en la viabilité en tant que nation souveraine… Ce n’est certes pas le pays le moins étendu ni le moins peuplé du monde. Avec sa superficie hors norme de 0,44 km2 et ses 800 habitants, soit 8 fois moins que la commune de Carnoux, tant en surface qu’en population, le Vatican remporte sans conteste la palme mondiale, mais qui peut se comprendre de par son histoire et sa position si singulière. Quant à Monaco, qui occupe la seconde place mondiale au rang des nations les plus minuscules, avec ses 2,02 km2, la principauté se rattrape largement avec une population qui dépasse désormais les 39 000 habitants, soit davantage que la République de San Marin ou même que le Liechtenstein.

Image satellite de l’île de Nauru prise en 2002 (source © Wikipedia)

Pour autant, la République de Nauru fait quand même figure de confetti, tenant toute entière sur un îlot minuscule de 21,3 km2 qui culmine à l’altitude notable de 71 m au-dessus de la mer, perdu justement dans l’immensité du Pacifique sud, proche de l’Équateur, situé entre les îles Marshall au nord, les îles Salomon au sud et l’archipel des Kiribati à l’est. L’île Banaba, la plus proche voisine de Nauru, se situe à près de 300 km de là, tandis que les îles Salomon sont à plus de 1000 km…

On connait mal l’histoire du peuplement de cette île de Micronésie mais il semble que les populations d’origine, de source mélanésienne voire polynésienne se sont retrouvées mêlées avec d’autres issues des rivages philippins et arrivées vers 1200 avant notre ère. La société Nauru est traditionnellement organisée en 12 tribus, parlant chacune son dialecte et qui sont symbolisées par l’étoile à 12 branches figurant sur le drapeau du pays.

Pêcheurs de Nauru avec une frégate utilisée pour la pêche traditionnelle (photo © Bettmann Archive / Every Culture)

Un capitaine britannique découvre l’île en 1798 mais ce sont des commerçants allemands, accompagnés de missionnaires protestants venus de Brême, qui s’y installent à partir de 1872, alors que l’îlot servait de refuge à des contrebandiers et des déserteurs. Les Allemands commencent à exploiter le coprah car les cocotiers sont nombreux sur l’île, un ancien volcan recouvert de calcaire corallien. En 1900, on découvre que l’île est particulièrement riche en phosphate qui forme par endroit des accumulations sur 7 à 8 m d’épaisseur entre les dépôts de calcaire corallien. L’origine de ce phosphate reste sujet à controverses mais on l’attribue généralement à des résurgences d’eaux profondes riches en phosphore qui ont percolé à travers le massif corallien et précipité sous forme de phosphates.

Le rivage et les fonds marins de Nauru, désormais dévastés par les stigmates de l’exploitation industrielle des phosphates (photo © Winston Chen / Unsplash / Reporterre)

Quoi qu’il en soit, l’exploitation industrielle de ces épaisses accumulations de phosphate débute dès 1906, suscitant la venue de nombreux travailleurs étrangers. En 1914, l’Australie qui faisait partie des Alliés vainqueurs de la Première guerre mondiale, récupère l’île à son profit, malgré les protestations de la Nouvelle-Zélande qui la réclame également. Entre les deux guerres, la demande mondiale en engrais phosphatés explose, sous l’effet du développement de l’agriculture intensive et l’exploitation décolle. Mais en 1940, la marine allemande bombarde les installations, suivie en 1942 par les troupes japonaises qui occupent l’île jusqu’en 1945. Dès 1947, les Nations-Unies réattribuent l’île à l’Empire britannique qui en confie la gestion à l’Australie. Les exploitations de phosphate reprennent alors de plus belle, au point que les Australiens envisagent même en 1964 de déporter la totalité de la population nauruane sur une autre île pour couper court aux velléités d’indépendance de cette dernière…

Exploitation minière de phosphate sur l’île de Nauru (photo © Bettmann Archive / Le Parisien)

Mais en 1968, les Australiens doivent se rendre à l’évidence et finissent par accorder l’indépendance à Nauru qui devient dès lors la plus petite république du monde avec seulement 9000 habitants à l’époque. L’entreprise minière est nationalisée et c’est le jackpot pour la population, d’autant que les cours du phosphate atteignent des sommets dans les années 1970. En 1974, le pays engrange pour 225 millions d’euros de bénéfices et se targue alors du deuxième PIB par habitant le plus élevé au monde, juste derrière l’Arabie Saoudite et loin devant les États-Unis eux-mêmes !

Vestiges d’installations industrielles portuaires sur le littoral de Nauru (source © Population Data)

Les habitants accèdent à la société de consommation et le pays investit massivement sa nouvelle fortune dans l’immobilier, construisant de luxueux buildings à New-York et Melbourne. Un golf somptueux est aménagé sur l’île et une compagnie aérienne est créée, qui rayonne dans tout le Pacifique. Mais dans les années 1990, les réserves minières s’épuisent et il apparaît rapidement que les dirigeants du pays ont très mal anticipé cette perte de revenus pourtant facilement prédictible. La gestion des finances publiques s’avère catastrophique, caractérisée par la corruption et le détournement de fonds, ce qui oblige l’Etat à revendre la plupart de ses actifs détenus à l’étranger. La compagnie aérienne nationale est même cédée à Taïwan, en échange d’un soutien diplomatique appuyé à ce pays…

Paysage lunaire sur l’île de Nauru, suite à l’exploitation de phosphate (photo © Reuters / France TV info)

Nauru fait alors face à une véritable crise économique, mais aussi écologique, l’environnement naturel de l’île ayant été complètement ravagé par une exploitation minière à outrance. La plupart des espèces naturelles ont disparu tandis que les sols sont dévastés par la pollution industrielle et l’érosion, les anciennes exploitations minières ayant laissé la place à un paysage lunaire de cratères. Par-dessus le marché, l’élévation progressive du niveau de la mer commence à menacer chaque jour davantage la survie même de cet îlot minuscule où les seules terres fertiles et la totalité de la population se concentrent sur la frange côtière la plus exposée. A cela s’ajoute une crise sanitaire d’ampleur : les années d’opulence ont développé chez les habitants de très mauvaises habitudes alimentaires et le pays doit faire face à un taux d’obésité qui touche plus de 95 % de la population selon l’Organisation mondiale de la santé : un véritable désastre !

Pêcheur de Nauru (source © Seatizens)

Face au tarissement des rentrées d’argent du pays, ses dirigeants tentent de multiples expédients tels le blanchiment d’argent via la mise en place d’un paradis fiscal, ainsi que la vente de passeports internationaux. En 2001, l’Australie y voit un moyen de traiter la gestion des migrants qui affluent sur ses côtes et que sa marine traque en mer pour les empêcher d’accoster. Deux centres de transit sont aménagés sur l’île de Nauru et la marine australienne y parque des milliers de demandeurs d’asile de toute origine. Le gouvernement de Nauru y voit un intérêt financier non négligeable, recevant des subsides de la part de l’Australie pour l’aider à gérer ce qui est alors dénommé « solution du Pacifique ». Une solution qui génère de multiples protestations internationales et déclenche plusieurs grèves de la faim de réfugiés afghans puis sri-lankais. Début 2008, l’Australie est contrainte de renoncer et de fermer ces camps de transit, mais a depuis réactivé le dispositif dès 2012.

Camp de transit sur l’île de Nauru, réactivé en 2012 (photo © AFP / Le Temps)

Depuis lord, l’île de Nauru végète et ses habitants dépriment. Nul ne sait si cette république atypique a encore un avenir tant sa situation est cauchemardesque. Les caisses de l’État sont vides, l’environnement naturel est dévasté, l’état de santé de la population est déplorable et la survie même de l’île est menacée. Après avoir connu une véritable euphorie et un niveau d’opulence sans égal, la petite république du Pacifique vit un véritable cauchemar, emblématique d’une gestion minière qui consiste à épuiser ses richesses naturelles sans penser au lendemain…

L. V.

Un four à déchets à l’usine Arkema de Saint-Menet

16 novembre 2023

L’usine Arkema, basée dans la vallée de l’Huveaune à Saint-Menet, boulevard de la Millière, sur le territoire de Marseille mais en limite de La Penne-sur-Huveaune, fait partie de ces grands sites industriels qui ont désormais quasiment disparu du paysage national, l’essentiel de notre production industrielle, surtout celle qui relève d’activités polluantes voire dangereuses, ayant été progressivement délocalisé dans d’autres contrées, souvent à l’autre bout du monde. Un choix qui réjouit élus locaux et riverains, ravis de se débarrasser ainsi des nuisances liées à ces usines fumantes, mais qui n’est pas forcément un bon calcul en termes d’impact environnemental global…

Les installations industrielles d’Arkema à Saint-Menet (photo © Salva pictures / Facebook / Découvrir Marseille)

Délocaliser une usine, surtout dans un pays où les réglementations sont moins contraignantes, ne diminuera pas ses rejets atmosphériques ! En revanche, cela induit automatiquement une baisse des emplois qualifiés locaux, génère des nuisances supplémentaires du fait de l’augmentation des transports de matières sur de longues distances, et induit parfois des ruptures d’approvisionnement difficiles à gérer, comme on le voit fréquemment, notamment dans le secteur du médicament…

L’usine Arkema à Saint-Menet (photo © La Provence)

Toujours est-il que cette usine de Saint-Menet, qui s’étend sur près de 10 hectares en pleine zone urbanisée et que l’on ne peut pas rater lorsqu’on emprunte l’autoroute entre Aubagne et Marseille, avec ses multitudes de cheminées fumantes et son entrelacs de tuyaux en tous sens, généreusement éclairés en pleine nuit, est toujours bien active, et ceci depuis 1954, date de son implantation. Elle s’appelait à l’époque Organico et produisait 2400 tonnes par an de monomère AMINO 11, à partir d’huile de ricin, ce matériau étant ensuite polymérisé sur un autre site industriel basé à Serguigny, dans l’Eure, pour produire une fibre textile, le rilsan.

Le rilsan est un polyamide d’origine naturelle (on dit désormais « biosourcé » !) découvert en France peu avant la dernière guerre et qui concurrence parfaitement le nylon, un autre polymère inventé peu avant mais sui, lui, est un dérivé pétrolier. A l’époque, les graines de ricin, dont les propriétés laxatives et cosmétiques sont connues depuis l’Antiquité, servait pour la production de produits lubrifiants. Dès 1955, Organico produisit une centaine de tonnes de Rilsan utilisé comme fibre textile pour des vêtements légers, imperméables et résistants, mais cet usage fut stoppé dans les années 1970, du fait du prix de revient moindre du nylon. Depuis, l’usine a changé 7 fois de raison sociale, devenant Atochem puis désormais Arkema depuis 2004.

Colliers de serrage en rilsan (source © Amazon)

Le rilsan a trouvé bien d’autres débouchés, notamment dans l’industrie automobile, pour des colliers de serrage de type Serflex, des tuyaux, des selles de vélo, des semelles de chaussure, du matériel médical ou les crosses de fusils Famas, entre autres. Le site de Saint-Menet, unique en son genre en France, produit désormais 26 000 tonnes d’Amino 11 par an mais aussi 25 000 tonnes d’autres co-produits tels que la glycérine (utilisée en pharmacie ou pour les peintures), l’heptaldéhyde (destiné aux caoutchoucs et à la fabrication d’arômes artificiels) ou encore des esters méthyliques (servant de solvants et d’huiles). Le site fonctionne en continu, 24 heures sur 24, avec pas moins de 300 salariés et un arrêt programmé de temps en temps, comme cela a été le cas récemment, entre mars et mai 2023, le temps de réviser tout le matériel et de procéder aux gros travaux nécessaires.

L’approvisionnement du site Arkema de Saint-Menet par des wagons-citernes de chlore, un des risques majeurs lié au site… (source © La Provence)

Forcément, la cohabitation avec un site industriel d’une telle ampleur, le seul du territoire marseillais à être classé Seveso seuil haut, suscite quelques craintes auprès des riverains. Le Plan de prévention des risques technologiques, adopté en novembre 2013, évoque des risques de combustions, d’explosion mais aussi liés à des fuites de gaz toxiques du fait de l’emploi d’ammoniac, de brome et surtout de chlore. Le Plan particulier d’intervention de l’usine, révisé en 2019, a d’ailleurs considérablement élargi le périmètre potentiellement concerné en cas de fuite de chlore lors des opérations d’approvisionnement par rail, ce périmètre englobant désormais la ville de Carnoux en cas de mistral…

Mais voilà qu’un autre projet est en train de voir le jour sur ce site d’Arkema, qui a fait l’objet d’une concertation publique du 8 septembre au 11 octobre 2023, et qui inquiète fortement les riverains. Il s’agit de construire, sur le site d’Arkema, une nouvelle chaufferie qui serait alimentée par la combustion de CSR, un terme abscons qui désigne des « combustibles solides de récupération », autrement dit tout ce qui se retrouve non valorisé à la sortie des centres de tri sélectif de nos déchets et qui est destiné aux centres d’enfouissement ou à l’incinérateur. Les engagements législatifs récents encouragent cette valorisation pour éviter d’engorger les décharges qui débordent déjà.

Un four rotatif Rock destiné à la combustion de CSR (photo © DWE / Dalkia Wastenergy / Bioénergie)

Le porteur de ce projet est la société Dalkia, une filiale d’EDF spécialisée dans les chaufferies, et le projet a été primé par l’ADEME en 2021, ce qui lui permet de bénéficier d’une aide pour son développement. Mais c’est Dalkia qui portera l’essentiel du financement de ce projet particulièrement ambitieux puisqu’il représente un investissement de 41 millions d’euros. L’objectif est de brûler chaque année 45 000 tonnes de déchets, issus des refus de tri et qui, jusqu’à présent ne sont donc pas valorisés. Ces déchets seront apportés sur site par une dizaines de rotations de camions chaque jour. Leur combustion devrait produite 200 000 tonnes de vapeur par an, qui serviront exclusivement pour les besoins du site industriel d’Arkema, jusqu’à présent alimenté par deux chaufferies dont l’une vient tout juste d’être transformée pour passer du fuel au gaz.

Implantation de la future centrale à combustion de CSR, à l’Est du site industriel d’Arkema (source © Dossier concertation Huveaune énergie circulaire)

La combustion des déchets, telle qu’elle est envisagée, permettra donc non seulement de réduire la part de nos ordures ménagères actuellement destinée à l’enfouissement, mais contribuera aussi à la décarbonation de ce site industriel majeur. Un bel exemple d’économie circulaire à en croire ses partisans, d’autant que le gisement de déchets susceptibles de servir ainsi de combustibles est évalué à 124 000 tonnes, dans un proche environnement. Les fumées issues de la combustion seront filtrées et les cendres comme les mâchefers seront récupérées, ces derniers pouvant être valorisés comme matériaux de construction et de terrassement par le BTP. Tout est donc prévu pour que ce futur four à déchets, de surcroît source d’une quinzaine de créations d’’emplois directs, contribue de manière vertueuse à une économie circulaire que chacun appelle de ses vœux. Mais ce n’est pas pour autant que le projet déclenche l’enthousiasme parmi les riverains qui s’inquiètent surtout des futurs rejets de fumées dans le voisinage…

L. V.

Ecocéan : une station MIR dans le port de Marseille

27 septembre 2023

Le pourtour méditerranéen fait partie de ces régions où la biodiversité est particulièrement menacée. Au-delà des effets du changement climatique, dont les manifestations directes commencent à être bien visibles avec l’afflux d’espèces envahissantes et des surmortalités de certaines espèces endémiques, c’est l’impact de l’activité humaine qui constitue la principale menace sur cette biodiversité. Plus de 500 millions de personnes y vivent, auxquels s’ajoutent de l’ordre de 360 millions de touristes chaque année. L’urbanisation détruit les habitats naturels côtiers et les déchets s’accumulent, y compris en mer, tandis que les rejets d’eaux pluviales et d’eaux usées souvent mal traitées viennent dégrader la qualité des milieux aquatiques. La faune marine est de plus en plus menacée par l’accroissement des activités nautiques, le braconnage et la surpêche qui a fait des ravages en Méditerranée.

Fonds marins filmés en Méditerranée par un robot submersible de l’IFREMER, en 2021, à 2000 m de profondeur (photo © IFREMER / Radio France)

Certes, il arrive que l’on constate quelques heureux événements comme ces pontes de tortues caouanne sur deux plages du Var cet été, à Fréjus, comme en 2020, et à Saint-Cyr-sur-Mer où 62 petites tortues marines viennent d’éclore le 20 septembre 2023, après des mois de surveillance rapprochée pour éviter tout risque de prédation.

Jeune tortue fraîchement éclose sur la plage des Lecques à Saint-Cyr-sur-Mer le 20 septembre 2023  (source © Fréquence Sud)

Mais un rapport publié en juin 2021 par une équipe scientifique coordonnée par l’Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéenne, basée à la Tour du Valat, dressait un bilan très alarmant du véritable effondrement de la biodiversité observée sur le bassin méditerranéen entre 1993 et 2016. Les populations de vertébrés ont chuté de 20 % et plus de 50 % des écosystèmes marins sont en danger.

Les pratiques de pêche ne sont pas étrangères à ce bilan alarmant, en particulier le chalutage qui racle les fonds marins sans distinction. Un article de Marsactu évoquait ainsi dernièrement le sort de deux chalutiers marseillais « pesqués par la Justice ». Le premier, baptisé Notre-Dame de la Garde, a été ainsi pris la main dans le filet à 5 reprises durant l’été 2021, en train de draguer en toute illégalité des réserves interdites à la pêche pour permettre aux juvéniles de se reproduire. Une zone située au large de Port-Saint-Louis du Rhône forcément très poissonneuse et où le chalutier s’est rendu pas moins de 23 fois durant l’été, remontant dans ces filets des pêches miraculeuses et très lucratives tout en ravageant sans scrupule l’écosystème protégé.

Chalutiers marseillais dans le port de Saumaty (photo © Anaïs Boulay / Le Marin)

Quant au second chalutier, baptisé Di Trento, c’est en novembre 2022 qu’il été alpagué, en plein cœur du Parc national des Calanques, dans un secteur interdit à la pêche, en pleine période de migration de la daurade royale, de quoi remonter des filets à plusieurs milliers d’euros. Une tentation qui fait que ce pêcheur professionnel a déjà été condamné à plusieurs reprises. Le voilà désormais interdit de sortie en mer pour un an, sachant que c’était le dernier des 5 chalutiers marseillais encore autorisés à pratiquer ce type de pêche lors de la création du parc : de quoi permettre aux fonds marins de souffler un peu…

Filets utilisés par Ecocean pour la pêche des post-larves au large de La Ciotat (photo © Rémy Dubas / Ecocean)

Pour autant, le littoral marseillais a bien besoin de se reconstituer après des décennies de surpêche mais aussi et surtout d’activités industrielles polluantes et de rejets urbains mal contrôlés. C’est justement une des missions que s’est assignée la jeune société Ecocean. Créée en 2003 à Montpellier par le plongeur professionnel Gilles Lecaillon, Ecocean s’est spécialisée dans le collecte et l’élevage de post-larves de poissons ou de crustacés, un domaine scientifique connu internationalement sous son appellation anglo-saxonne de Post-Larval Capture and Culture, PCC pour les intimes.

Le principe est simple puisqu’il s’agit de pêcher en mer, dans les zones relativement préservées, des post-larves qui correspondent à la dernière étape des métamorphoses larvaires successives avant le stade juvénile, puis d’élever en aquarium ces individues avant de les réimplanter dans un milieu naturel dégradé comme le littoral portuaire marseillais, totalement ravagé par des siècles d’incurie. Si cette technique s’est imposée c’est parce que l’élevage des larves elles-mêmes s’avère très difficile. Les poissons, pour se reproduire, pondent de grandes quantités d’œufs qui remontent à la surface de l’eau, donnant des larves qui mènent d’abord une existence planctonique. Elles subissent ensuite de nombreuses métamorphoses et ce n’est qu’au cours des derniers stades que ces larves se fixent au fond de l’eau en devenant des juvéniles.

Post-larve de sar, Diplodus sargus, en aquarium (photo © Alizee Frezel / Ecocean)

La caractéristique commune de ces larves de poissons est leur vulnérabilité extrême. Moins de 1% des œufs de poissons atteignent le stade de juvéniles, l’immense majorité d’entre eux servant de nourriture aux innombrables prédateurs. Les juvéniles eux-mêmes ont une espérance de vie très faible. L’idée est donc de capturer des post-larves, sans incidence sur les stocks puisque l’immense majorité est destinée à périr dans le milieu naturel, de les élever en laboratoire à l’abri des prédateurs, puis de les relâcher à l’état juvénile dans des zones à recoloniser.

Réintroduction des juvéniles dans le cadre du projet Casciomar au large de Cassis et La Ciotat (photo © Rémy Dubas / Ecocean)

Pour cela, Ecocean s’appuie sur des pêcheurs professionnels qui vont prélever les post-larves dans les secteurs préservés de la côte méditerranéenne pour alimenter ses fermes aquacoles de Toulon et de Marseille. Cette dernière est installée dans les installations portuaires de la Joliette, abritée dans des containers estampillés CMA-CGM, et forme ce que Ecocean a malicieusement dénommé la station MIR, autrement dit une station Méditerranéenne d’innovation en restauration écologique. Les post-larves y sont élevées pendant 2 à 6 mois avant d’être relâchées en mer pour repeupler les fonds.

Biohuts prête à être immergées dans les eaux de Port-Miramar à La Londe-les-Maures, dans le Var, pour servir de nursery aux post-larves de poissons (photo © Ecocean)

Depuis 2015, Ecocean s’enorgueillit ainsi d’avoir réimplanter en mer plus de 20 000 juvéniles dont la survie est évaluée à plus de 80 %, et poursuit son action au rythme de 2000 à 3000 réintroductions par an, généralement dans des récifs artificiels protégés, dénommés biohuts, sorte de cages bourrées de coquilles d’huîtres recyclées dans lesquelles les juvéniles trouvent un milieu favorable et sécurisé pour leur nouvelle implantation. On trouve ainsi 56 de ces biohuts implantées au large de Port-Fréjus et une trentaine de ports en Méditerranée est associé à l’opération cofinancée par l’Agence de l’Eau.

OP Coral : aquarium d’élevage de coraux dans le port de Marseille (photo © Franck Pennant / La Provence)

Une œuvre de longue haleine puisqu’on estime à environ 400 km de côtes la partie du littoral méditerranéen devenue totalement impropre à la vie aquatique du fait des activités urbaines et industrielles. Une ferme coralligène, surnommée OP Coral, a aussi été implantée dans un container du port de Marseille pour y développer la croissance contrôlée de coraux, éponges et autres gorgones dans des bacs à 16 °C éclairés par des lampes à UV, avec comme objectif de réimplanter ensuite des individus en milieu naturel. Tout espoir n’est donc pas perdu d’arriver un jour à retrouver en Méditerranée des fonds poissonneux et vivants…

L. V.

Une pluie de plastique sur Carnoux…

30 août 2023

Attention aux retombées de plastique quand il pleut : les chercheurs ont mis en évidence l’augmentation très significative des teneurs en micro fragments de plastique dans l’air ambiant en période de pluie. Du coup, la fondation australienne Minderoo a développé un outil de modélisation, accessible sur internet, qui permet d’annoncer, pour l’instant uniquement à Paris, la quantité totale de plastique que l’on peut s’attendre à voir se répandre sur l’ensemble de la ville en fonction de la météo du jour : de l’ordre de 40 jusqu’à plus de 400 kg par jour selon le type de précipitations et les conditions météorologiques !

Nos déchets en plastique envahissent toute la planète et se retrouvent dans toutes les chaînes alimentaires (source © Makigo)

Oui, nous sommes envahis de microplastiques. Ces minuscules particules plastiques de moins de 5 mm sont partout, dans l’atmosphère au fond des océans, de l’Arctique à l’Antarctique, dans les glaciers, dans notre nourriture… Nous en mangeons quotidiennement : près d’1 gramme par jour, soit l’équivalent d’une carte de crédit grignotée chaque semaine ! Entre 10 et 100 particules de microplastiques tombent dans notre assiette à tous les repas, et nous en buvons une dizaine dans une bouteille d’eau en plastique, mais aussi dans notre viande, dans le lait, dans le poisson, dans les moules : nous absorbons ainsi jusqu’à 1500 particules de microplastiques par kilogramme de produit de la mer, soit l’équivalent de 2 bouchons de bouteille…

Nombre de micro-particules de plastique ingérées dans un litre d’eau en bouteille selon leur provenance (source © Appenzeller/Hecher/Sack / Wikimedia commons)

Et cela, parce que tous ces micro-fragments sont issus de l’altération des plastiques que nous utilisons ou que nous n’utilisons qu’à peine : les emballages, les verres, les couverts autrefois si répandus, les pneus des voitures qui s’usent sur la route, le linge synthétique (2000 microplastiques sont relarguées à chaque lessive). Tous ses micro-déchets de plastiques sont disséminés dans notre environnement. On les retrouve dans les boues de nos stations d’épuration qu’on utilise en épandage sur les cultures, mais aussi dans les cours d’eau et ils finissent dans la mer…

Quantité de plastique épandue dans les champs chaque année dans différents pays européens (source © Atlas du plastique 2020 Nizetto / Heinrich Böll Stiftung)

Il y aurait 25 000 milliards de ces particules, soit entre 82 000 et 578 000 tonnes, dans l’océan… Et la Méditerranée est la mer la plus polluée au monde… Et dans ce schéma, la France est le plus grand pollueur sur le pourtour méditerranéen !!!

Depuis les années 70, on se doute que les plastiques ont un impact. Mais, c’est une science récente, les chercheurs n’ont pas encore prouvé l’impact direct sur l’homme. Par contre, l’impact environnemental est avéré. Indestructibles durant plusieurs dizaines voire centaines d’années, les microplastiques voyagent sur des milliers de kilomètres et servent de radeaux à de nombreuses espèces unicellulaire (bactérie et virus…) qui en profitent pour parcourir l’océan. Cela risque de déséquilibrer les écosystèmes et la biodiversité en participant à l’arrivée d’espèces invasives et de nouvelles pathologies, notamment chez les animaux tels que les oiseaux marins : un déséquilibre de la flore intestinale a déjà été observée pour certains oiseaux marins, par exemple.

Les oiseaux de mer, premières victimes des accumulations de plastique dans les océans (photo ©  Istock / Novethic)

Ces microplastiques tendent aussi à s’opposer à la pompe biologique si efficace pour absorber le carbone de l’air, au risque d’accentuer le changement climatique. Dans l’atmosphère, certaines de ces particules reflètent la lumière, mais d’autres l’absorbent, comme le noir de carbone et pourraient accentuer les effets du changement climatique. Elles pourraient aussi interagir avec les nuages et contribuer au changement climatique selon des mécanismes encore mal connus.

En laboratoire, les chercheurs ont mis en évidence que cette pollution entraîne une diminution de la fécondité des oursins et des bivalves, ainsi qu’un ralentissement du développement des larves des animaux marins, augmente les maladies auto-immunes, etc. Ils ont montré que cela entraîne le blanchiment du corail et la mortalité du zooplancton ou de juvéniles de poisson. La transposition à l’homme n’est pas immédiate, mais il est permis de s’interroger…

On estime en effet qu’un adulte absorberait entre 39 000 et 59 000 micro-particules de plastique par an et qu’un bébé en ingérerait jusqu’à 1 million par an, résultat de sa manie de tout mettre à la bouche, tétine comme jouet en plastique, et il respirerait environ la même quantité. Une part est rejetée mais le reste circule dans notre organisme : nous en trouvons dans le lait maternel, le placenta, le cerveau …

Ingestion de plastique : Alertez les bébés ! (photo © Dimarik / Istock / Pourquoi docteur ?)

Par mesure de précaution, il est donc important d’éviter d’en absorber plus que nécessaire et donc de réduire autant que possible l’utilisation de plastique lorsqu’on peut le remplacer par d’autres matériaux moins nocifs. C’est d’ailleurs un des arguments qui a guidé le choix de la Commission européenne qui a décidé d’interdire dans 5 ans les terrains de sport sur pelouse synthétique. Un message que la commune de Carnoux pourrait peut-être entendre, elle qui s’apprête à arracher le gazon naturel de son stade de foot pour le remplacer par des fibres en plastique dont les micro-débris finiront fatalement dans les poumons de nos jeunes sportifs et dans l’estomac des poissons de nos calanques…

C. Chevalier

A quand une sécurité sociale de l’alimentation ?

15 août 2023

L’agriculture française est en crise. Les agriculteurs, qui représentaient les deux tiers de la population active lors de la Révolution française, n’en constituaient plus qu’un peu plus de 40 % au début du XXe siècle et ce taux ne cesse de décroître : tombé à 15 % environ en 1968, il est de l’ordre de 7 % au début des années 1980 et désormais inférieur à 2 % : moins de 400 000 personnes en France sont désormais exploitants agricoles et ce chiffre devrait encore diminuer de 10 % dans les 10 ans à venir.

Exploitation maraîchère bio du Pas de Calais (photo © Sandrine Mulas / Terre de Liens / Le Figaro)

La France reste un gros pays exportateur de produits agricoles, principalement pour les vins et les spiritueux, mais aussi pour les pommes de terre, les eaux minérales en bouteilles et les céréales. Mais ses importations de produits agricoles n’arrêtent pas d’augmenter, ayant plus que doublé au cours des 20 dernières années : la France importe désormais massivement non seulement le soja brésilien, mais aussi les tomates, les fraises, les bananes, les olives, le café, le cacao ou les fruits de mer, et de plus en plus des produits transformés comme le beurre, les pâtisseries, la bière, le fromage, ou la volaille, autant de produits qui pourraient être davantage produits sur le sol français moyennant un mode d’organisation différent de notre système agricole. La France importe désormais en masse son alimentation d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie, autant de pays européens où les conditions de production devraient pourtant être proches des nôtres !

Augmentation des importations de volaille en France : elles représentent désormais près de la moitié de la consommation intérieure !  (source © Plein Champ)

Parallèlement à cette crise de l’agriculture française, dominée par le productivisme et le triomphe de l’agrobusiness, qui ne répond plus aux besoins, tout en détruisant irrémédiablement la biodiversité, les sols et nos ressources en eau, à coup d’engrais chimiques et de pesticides, se pose chaque jour davantage le défi de permettre à chacun de se nourrir correctement. En France aujourd’hui, 8,5 millions d’adultes soufrent d’obésité du fait de la malbouffe, et plus de 5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire.

Distribution d’aide alimentaire par les Restos du Cœur à Marseille en mars 2021 (photo © Nicolas Turcat / AFP / Reporterre)

Depuis le lancement des Restos du Cœur dans les années 1980, le montant de l’aide alimentaire en France n’a cessé d’augmenter et atteint désormais 1,5 milliard d’euros par an (en comptant la valorisation du travail des bénévoles associatifs qui en assurent la distribution). Une part importante de ce coût est en réalité apporté sous forme de défiscalisation des entreprises de la grande distribution pour leur permettre d’écouler ainsi à bon compte leur stock d’invendus et de produits proches de la péremption. Si bien que ce système profite en réalité surtout à l’industrie agro-alimentaire et à la grande distribution en lui servant de variable d’ajustement pour gérer sa surproduction.

C’est ce double constat de dysfonctionnement de notre système agricole et de nos politiques publiques d’aide alimentaire qui a conduit en 2017 un groupe d’étudiants d’Ingénieurs sans frontières, réunis dans le cercle de réflexion AgriSTA (Agriculture et souveraineté alimentaire), à élaborer la notion de sécurité sociale alimentaire (SSA) au point de lancer en 2019 un Collectif national en se regroupant avec une dizaine de partenaires associatif dont la Confédération paysanne, le réseau CIVAM pour des campagnes vivantes, l’Atelier paysan, le collectif Les pieds dans le Plat, ou encore l’association VRAC.

Extrait de la bande dessinée élaborée par ISF-Agrista et illustrée par Claire Robert, publiée en 2021 (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le confinement lié à la pandémie de Covid19, à partir de mars 2020, a mis en lumière le besoin criant d’aide alimentaire pour de nombreuses catégories de travailleurs précaires et d’étudiants privés de cantine, tandis que s’aggravait la crise du monde paysan. Face à ce constat, l’idée est de reconnecter les politiques agricoles et d’aide alimentaire en instaurant un système démocratique et participatif basé, non pas sur la croyance aveugle dans les vertus du marché libre et non faussé, mais sur des valeurs proches de celles qui ont conduit après-guerre le Conseil national de la résistance à instaurer la Sécurité sociale, toujours en œuvre malgré les attaques incessantes du libéralisme débridé.

L’objectif est de favoriser l’accès à tous à une alimentation saine et de qualité, produite par des paysans dans le respect de l’environnement, un peu à la manière des AMAP ou autres dispositifs de circuits courts, mais à grande échelle sans aucune exclusion. Ce principe d’universalité reposerait donc sur la base d’une cotisation obligatoire et se traduirait par une sorte de carte Vitale bis permettant d’allouer à chacun une allocation alimentaire d’un montant identique, utilisable uniquement pour acheter les produits conventionnés issus de l’agriculture équitable française.

Une nouvelle carte Vitale qui porterait bien son nom ? (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le montant reste à fixer, mais on évoque une somme de l’ordre de 150 € par mois, ce qui correspond plus ou moins à la médiane des dépenses alimentaires par personne (hors boisson et produits extérieurs), sachant que cette somme est plutôt de l’ordre de 100 € pour les ménages pauvres. Le coût global d’une mesure aussi ambitieuse atteint près de 130 milliards par an, financé par un système de cotisations qui reste à imaginer, l’idée étant d’instaurer des caisses locales au fonctionnement démocratique pour récolter les cotisations et choisir les produits et exploitations conventionnées.

D’autres alternatives sont aussi envisageables, comme celle proposée en 2022 par le collectif Hémisphère gauche qui consiste à distribuer des chèques services aux ménages les plus modestes pour acheter des produits issus de l’agroécologie. Moyennant une aide de 100 € par mois pour les 10 % les plus nécessiteux, de 60 € pour les 10 % suivants et de 50 € pour la tranche suivante de 10 %, le coût se réduit à 7,5 milliards par an. Une somme qui peut être entièrement couverte par l’instauration d’une taxe de 1,5 % sur le chiffre d’affaires de la grande distribution, une taxe additionnelle sur les ventes d’alcool et la suppression partielle de la niche fiscale sur la restauration.

Distribution des Paniers marseillais, ici en 2019 (photo © Marion Esnault / Reporterre)

Les idées ne manquent donc pas pour tenter de remettre sur les rails de la raison notre agriculture en pleine dérive tout en améliorant les conditions d’alimentation de la population française mise à mal par des décennies de malbouffe et de triomphe d’une industrie agro-alimentaire dépourvue d’éthique. Une vingtaine d’expérimentations locales de cette démarche de sécurité sociale de l’alimentation ont déjà vu le jour, dont le Marché du lavoir, à Dieulefit dans la Drôme, ou encore les Paniers marseillais, un regroupement local d’AMAP qui distribue depuis mai 2021 des paniers solidaires à 3 € dans certains quartiers nord de Marseille, grâce à des subventions de collectivités publiques : des pistes qui méritent d’être creusées pour un projet qui ne manque pas d’ambition…

L. V.

Tickets de caisse : de qui se moque-t-on ?

7 août 2023

La mesure avait été décidée un peu en catimini dans le cadre de l’adoption de la loi du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, qui prévoyait dans son article 49 qu’à compter du 1er janvier 2023, l’impression systématique des tickets de caisse mais aussi des reçus de carte bancaire et des tickets d’automate serait supprimée. Un décret publié le 31 mars 2023 a reporté l’entrée en vigueur de cette mesure au 1er août 2023, mais voilà donc qui est fait : depuis quelques jours déjà, le consommateur qui fait ses courses ou qui procède à un paiement sur un automate voire à une opération bancaire sur distributeur automatique de billets, n’a plus aucune preuve écrite lui permettant d’en conserver trace et donc de la contester en cas d’erreur matérielle toujours possible, sauf à exiger expressément son reçu.

Les tickets de caisse, bientôt un lointain souvenir… (photo © SIPA / Le Progrès)

Bien entendu, la démarche est justifiée par de louables intentions tant sanitaires qu’environnementales. Comme le précisent les attendus de la loi, cette dématérialisation va dans le sens de l’Histoire et ne fait qu’emboîter le pas à ce que font la plupart de nos voisins européens, rappelant que l’on imprime en France chaque année 30 milliards de tickets de caisse et de facturettes qui finissent toutes à la poubelle alors même que certains de ces documents contiennent, quelle horreur !, des substances nocives dont du bisphénol A qui est un perturbateur endocrinien.

Supprimer ces tickets va donc dans le sens de la modernisation de notre société, permet de faire des économies, allège notre empreinte carbone et est même une véritable mesure de santé publique. A se demander même qui a eu cette idée folle un jour d’inventer les tickets de caisse, véritable fléau des temps modernes ?

Un dessin signé Chaunu publié dans Ouest France le 1er août 2023

On notera au passage que l’identification des dangers sanitaires du bisphénol A ne date pas d’hier et que l’utilisation de ce produit est interdite en France depuis 2010 dans les biberons et depuis 2015 dans les récipients à usage alimentaire. Classé comme « substance extrêmement préoccupante » par le règlement européen REACh en 2016, la Commission européenne en a définitivement interdit l’usage dans les papiers thermiques, destinés justement à l’impression des tickets de caisse, et ceci depuis le 2 janvier 2020. L’argument selon lequel ces bouts de papier seraient dangereux pour la santé humaine au prétexte qu’ils pourraient contenir une substance illicite est donc quelque peu fallacieux, sauf à imaginer que l’État français ne se donne pas les moyens de faire appliquer les réglementations européennes en vigueur…

Quant à l’impact environnemental de ces tickets de caisse, il mérite, lui aussi, d’être quelque peu proportionné. Le papier est en effet, avec le verre, la substance qui se recycle le plus facilement. Sa fabrication elle-même, pour peu que l’on se préoccupe un minimum d’en adapter les procédés techniques, se fait pour l’essentiel à partir de matière première renouvelable (le bois) ou recyclée (vieux papiers et chiffons). Rien ne prouve donc a priori, que le bilan carbone d’un reçu de carte bancaire soit plus élevé lorsque ce reçu est imprimé sur un petit bout de papier que lorsqu’il est envoyé de manière numérique et stocké sur un serveur. Le contraire est même le plus probable…

Une mesure écologique, vraiment ? Un dessin signé Soph’, publié dans l’Est Républicain

A qui donc profite une telle décision, puisque les arguments mis en avant sont de toute évidence des plus fallacieux ? Aux commerçants et aux banquiers, bien évidemment, qui, non seulement économisent ainsi l’approvisionnement en rouleaux de papier et en toner, voire en imprimantes, mais surtout s’évitent bien bien des discussions avec les clients habitués à vérifier sur leur ticket de caisse si le prix promotionnel si alléchant a bien été pris en compte lors du passage en caisse…

Il faudra désormais être particulièrement vigilant et vérifier en temps réel si le prix scanné par la caissière et brièvement affiché sur l’écran digital est bien le bon : une porte ouverte à toutes les « erreurs » possibles, surtout en grande surface où les distributeurs se sont fait une spécialité d’oublier d’appliquer les promotions pourtant affichées de manière ostentatoire pour attirer le chaland.

Même les oiseaux s’inquiètent… (source © Birds dessinés)

Car la loi est claire : le commerçant n’a aucune obligation de justifier désormais le détail de la transaction. Il peut le faire de manière dématérialisée, par envoi de SMS ou par courriel via un compte fidélité du client ou via l’application bancaire de ce dernier, sous réserve que celui-ci lui ait donné son accord, dans le strict respect des règles de protection des données individuelles. Mais rien ne l’y oblige, sauf à ce que le client en question le demande, ou exige d’obtenir son ticket de caisse (du moins pour l’instant, le temps que tous les commerçant finissent d’user leurs imprimantes encore fonctionnelles). Le commerçant n’a même pas l’obligation de le proposer aux clients, sinon par une simple affichette plus ou moins discrète : si l’on veut malgré tout son ticket de caisse, c’est au consommateur de le réclamer !

Les personnes âgées, parfois éloignées des outils numériques, et celles à faibles ressources, dont le budget familial doit être ajusté à l’euro près, pour espérer tenir jusqu’à la fin du mois, seront bien évidemment les premières victimes de cette nouvelle offrande que le gouvernement fait au secteur bancaire et à celui de la grande distribution.

Une mesure qui ne va pas faciliter la vie des personnes aux revenus modestes : un dessin signé Dawid, publié dans La Nouvelle République

Il y avait pourtant nettement plus urgent et plus efficace comme mesure à prendre si l’objectif était véritablement de se préoccuper de l’état de notre environnement et de la santé publique. Plutôt que de supprimer les tickets de caisse et les reçus bancaires, le vrai enjeu est bien de réduire de manière significative les emballages plastiques qui continuent d’englober la majeure partie de ce qui est vendu en grande surface et qui viennent encombrer nos poubelles jaunes ou sont emportées par le vent jusque dans la mer où ils rendent nos écosystèmes durablement invivables pour la faune résiduelle.

Rappelons au passage que seule une toute petite partie de nos déchets plastiques est actuellement recyclable, grosso modo celui qui sert à fabriquer les flacons et les bouteilles. Certaines collectivités, dont la Métropole Aix-Marseille-Provence, acceptent de récupérer tous les emballages plastiques dans les poubelles jaunes, par souci de facilité, mais l’essentiel de cette collecte finit dans l’incinérateur ou enfoui en décharge ! L’objectif est officiellement de recycler 100 % de nos déchets plastiques d’ici 2025 (demain donc…) mais on en est très loin avec un taux qui ne dépasse pas 26 % des déchets plastiques récoltés, selon les chiffres (optimistes) de PAPREC.

Les emballages alimentaires en plastique : le vrai fléau à combattre ! (source © Zero waste)

L’urgence serait donc d’inciter (enfin) la grande distribution et les industriels de l’agro-alimentaire de développer des emballages sans plastique, de quoi relancer une filière industrielle innovante avec même des capacités d’exportation à la clé : un programme autrement plus ambitieux que cette idée parfaitement stupide de supprimer les tickets de caisse au motif que cela fait plus moderne et que certains de nos voisins européens l’ont fait avant nous !

L. V.

Carnoux : une pelouse synthétique bientôt interdite ?

14 juillet 2023

Pour la commune de Carnoux-en-Provence, ce sera l’investissement majeur de l’année 2023 : le stade de football Marcel Cerdan, dans laquelle la commune a déjà injecté des millions depuis des années, va utiliser l’essentiel de son budget d’investissement annuel avec près de 1,3 millions d’euros programmé pour remplacer les ampoules et le grillage mais surtout pour arracher toute la pelouse et la remplacer par du gazon synthétique en plastique. Car notre maire en est convaincu : le plastique est l’avenir de l’humanité et un stade qui se respecte doit forcément présenter un revêtement en gazon synthétique qui permet une utilisation plus intensive du terrain, même si le coût de l’opération est colossal, pour une durée de vie qui ne dépasse pas une dizaine d’années.

Le stade Marcel Cardan à Carnoux avec ses deux terrains de jeu (source © Carnoux Football Club / Foot méditerranéen)

Le bilan environnemental d’un tel choix est catastrophique, d’autant que les déchets générés lors du remplacement d’un tel revêtement sont énormes et quasi impossibles à recycler. Cette décision paraît même quelque peu anachronique à l’heure où l’on essaie tant bien que mal de s’extraire de notre dépendance aux hydrocarbures dont l’utilisation à outrance depuis bientôt deux siècles a réussi à modifier de manière irréversible le climat de notre planète. Certes, les volumes d’eau nécessaires à l’arrosage du stade en seront un peu diminués (mais pas supprimés pour autant) et il paraît même, comme cela a été évoqué en séance du conseil municipal, que cela dissuaderait les gens du voyage à venir s’installer sur le stade de Carnoux lors de leur passage annuel, en l’absence d’aire d’accueil, toujours en gestation depuis des décennies faute de la moindre volonté politique de respecter la loi…

Coupe de principe d’un terrain de sport avec sa sous-couche et ses rouleaux de gazon synthétique lestés de sable fin avec un remplissage de granulés en caoutchouc en en liège (source © Realsport)

Mais voilà que la Commission européenne envisage désormais sérieusement d’interdire totalement l’usage du gazon synthétique d’ici quelques années. En 2018 pourtant, l’ANSES (Agence nationale de la sécurité alimentaire, de l’alimentation et du travail), avait estimé que ce type de revêtement synthétique de terrains de sport était surtout dommageable pour l’environnement mais a priori peu dangereux pour la santé humaine, le risque principal étant lié à l’utilisation, pour ce type de terrains, de granulats constitués de pneumatiques usagés broyés, lesquels peuvent relarguer quantité de produits indésirables mal identifiés, tels que métaux lourds, benzène, composés organiques volatiles et autres produits potentiellement cancérigènes.

Remplissage d’un gazon synthétique au moyen de granulés en caoutchouc à base de pneus usagés (photo © kvdkz/ Actu environnement)

Le gazon synthétique lui-même est fabriqué à partir de microfibres à base de polyéthylène et de polyamide, ce dernier polymère étant parfois considéré comme un perturbateur endocrinien. Les dalles de gazon synthétiques sont généralement recouvertes d’un lit de sable fin puis de microgranules de caoutchouc, issues de la récupération et du recyclage des pneus usagés dont on ne sait trop que faire et qui trouvent ici un de leur principal débouché. Ces matériaux s’insinuent entre les fibres et ne sont pas visibles mais ils contribuent fortement au confort et à la souplesse du terrain, tout en limitant son échauffement qui est l’un des gros défauts des gazons synthétiques, pouvant même provoquer des risques de brûlure en plein été.

Le stade n° 4 du complexe sportif Léo Lagrange à Toulon avec son revêtement synthétique à base de noyaux d’olives concassées (source © mes infos)

Pour remplacer les granulés à base de pneus usagés qui servent à lester les dalles de gazon synthétique, des alternatives existent, notamment à base de noyaux d’olive concassés, comme cela a été testé par la ville de La Ciotat qui a inauguré en janvier 2020 le premier terrain de sport réalisé en France par une entreprise d’Ollioules, Méditerranée Environnement, avec cette technique sur le stade Bouissou en remplacement d’un revêtement en stabilisé (simple mélange de terre, de sable et de gravillon tassé). Cette technique qui présente l’avantage de recycler un matériau issu de l’agriculture local (il a fallu 60 tonnes de noyaux d’olives en provenance du Muy pour le stade de La Ciotat !), sans aucun risque pour l’environnement ni la santé humaine, présente un léger surcoût par rapport à une solution classique mais pour une durée de vie plus longue, tout en laissant diffuser un infime parfum d’huile d’olive, très couleur locale.

Remplissage en noyaux d’olives concassés du terrain de sport Léo Lagrange à Toulon (source © Toulon Provence Méditerranée)

Un succès qui a incité la métropole Toulon Provence Méditerranée à lui emboîter le pas en lançant tout récemment la rénovation de deux terrains de sport jusque-là recouverts avec des granulés de pneus. A l’automne 2022, le complexe sportif Léo Lagrange à Toulon a ainsi été refait par la même entreprise qu’à La Ciotat, également à base de noyaux d’olives concassées. Et l’été dernier, le terrain de rugby de la base nature du Vallon du soleil à La Crau, a quant à lui été refait avec du liège qui permet d’utiliser des fibres plus longues (de 60 mm). Plus coûteuse et davantage soumise à l’érosion en cas de fortes pluies, cette solution technique présente néanmoins de multiples avantages, ce matériau s’avérant très résistant à l’usure, ne se compactant pas au fil du temps et ne générant pas de poussière.

Pour autant, on se rend compte désormais que les impacts environnementaux et probablement sanitaires de ce type de gazon à base de microplastiques sont nettement plus importants que ce l’on imaginait. Le sol situé sous un gazon synthétique devient très rapidement totalement stérile, les micro-organismes et les vers de terre étant dans l’incapacité d’y subsister. La surface recouverte est totalement hostile à toute vie, les oiseaux en particulier ne pouvant plus y trouver la moindre subsistance. Un terrain de sport enherbé constitue de fait un puits de carbone, un espace de biodiversité et un îlot de fraicheur en période de canicule alors que le même espace recouvert d’un gazon en plastique devient une zone stérile, hostile à toute vie et qui en réfléchissant les rayons solaires accentue encore le réchauffement climatique.

Un dessin signé Vrob (source © Vrob / blog Médiapart)

Mais on constate désormais que de surcroît les innombrables microfibres en polymère qui constituent l’essentiel des gazons synthétiques se désagrègent rapidement et se dispersent dans l’environnement sous forme de microparticules non dégradables qui sont emportées par l’eau et le vent et qui finissent généralement dans la mer. La France à elle-seule déverserait ainsi dans la mer Méditerranée pas moins de 11 000 tonnes de pastique chaque année ! Une partie de ces minuscules fragments de plastique est ingéré par les poissons et se retrouvent donc dans notre chaîne alimentaire, en sus des fragments que nous ingérons directement chaque fois que le mistral souffle…

Pour ces différentes raisons, de nombreuses villes comme Boston ont d’ores et déjà décidé d’interdire le gazon synthétique sur leur territoire. En 2021, le Sénat s’était également prononcé à l’unanimité en faveur d’une interdiction totale à compter de 2026 de tout nouveau terrain synthétique, estimant que le plastique est devenu le fléau des temps modernes à éradiquer en priorité. Cette date de 2026 risque fort d’être de toute façon la limite que retiendra la Commission européenne pour interdire tout nouveau revêtement en gazon synthétique et il serait vraiment regrettable que notre commune de Carnoux n’anticipe pas cette échéance et s’obstine à vouloir implanter une pelouse en plastique sur son stade de foot pour le seul plaisir de quelques acharnés qui veulent pouvoir taper dans leur ballon quelques heures de plus par semaine : l’avenir de notre planète mérite peut-être ce petit sacrifice…

L. V.

Fukushima : rejet d’eau radioactive dans le Pacifique

10 juillet 2023

Voilà qui ne va pas rassurer ceux qui craignent l’impact environnemental et sanitaire des centrales nucléaires, alors même que le monde entier observe avec effroi la guerre des nerfs que se livrent Ukrainiens et Russes autour des six réacteurs de la centrale de Zaporijia, la plus grande d’Europe, que certaines rumeurs annoncent minée par l’armée et prête à exploser à tout moment. On a en effet appris par ailleurs, le 4 juillet 2023, dans un rapport rendu public par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), que le projet du Japon de rejeter dans l’océan Pacifique les quelques 1,3 millions de tonnes d’eau radioactive, contaminée par l’accident nucléaire de Fukushima, était « conforme aux normes de sûreté internationales » et aurait « un impact radiologique négligeable sur les personnes et l’environnement » : ouf, on respire !

Vue aérienne du site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi (photo © Kyodo / Reuters / Le Parisien)

Cela fait maintenant 12 ans que les 6 réacteurs de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima Daiichi, exploitée par la société privée Tepco (Tokyo Electric Power Company), sont définitivement arrêtés, toujours en attente de leur démantèlement. C’est en effet le 11 mars 2011, en début d’après-midi qu’un fort séisme au large des côtes japonaises avait déclenché un gigantesque tsunami qui avait atteint, 50 minutes plus tard, cette zone côtière du nord-est de l’île de Honshu, provoquant des vagues dévastatrices de plus de 15 m de hauteur qui avait fait pas moins de 18 000 morts.

Ce jour-là, heureusement, 3 des 6 réacteurs de la centrale étaient à l’arrêt. Mais le tsunami a noyé les bâtiments abritant les groupes électrogènes de secours et a gravement endommagé les prises d’eau situées en mer, destinées au refroidissement des installations. Suite à l’arrêt de toute possibilité de refroidissement, le cœur des 3 réacteurs a progressivement fondu tandis que l’hydrogène produit par la fonte des gaines de combustible faisait exploser le toit de plusieurs des réacteurs avant de provoquer l’embrasement de la piscine du réacteur 4, conduisant le Japon à mettre temporairement à l’arrêt tout son programme nucléaire.

Cuves de stockage d’eau contaminée sur le site de Fukushima (photo © Philip Fong / AFP / Sud Ouest)

D’énormes quantités d’eau de mer ont été pompées et projetées sur le site pour tenter de faire baisser la température, l’eau contaminée étant initialement rejetée en mer puis progressivement recueillie pour être stockée sur place dans des cuves qui se remplissent rapidement. Dès 2013, 1000 réservoirs supplémentaires, de 1000 m3 chacun, sont construits pour stocker toute cette eau radioactive qui s’accumule tandis que des usines de retraitement sont mises en route et qu’une barrière souterraine étanche est édifiée pour limiter la contamination de la nappe.

Mais cela ne suffit plus et les capacités de stockage sont quasiment saturées sans aucune possibilité d’extension, sauf à transporter par camions-citernes l’eau radioactive sachant que chaque jour 140 000 litres d’effluents supplémentaires sont pompés dans les installations ou dans la nappe souterraine contaminée et doivent être stockés après retraitement ! A ce jour, ce ne sont pas moins de 1,34 millions de mètres cube d’eau radioactive qui sont ainsi entreposés sur le site de la centrale, de quoi remplir plus de 500 piscines olympiques…

Rafael Grossi, directeur général de l’AIEA présente au Premier ministre japonais, Fumio Kishida, le rapport de ses services autorisant le rejet en mer des eaux contaminées de Fukushima, le 4 juillet 2023 à Tokyo (photo © Eugène Hoshido / AFP / L’Express)

Depuis des années, les dirigeants de Tepco s’interrogent sur le devenir de cette eau qui continue à s’accumuler de jour en jour. Le traitement qui lui a été appliqué a permis de la débarrasser de 62 des 64 familles de radionucléides qui y sont présents, mais rien à faire pour en éliminer le Carbone 14 et surtout le Tritium qui est le composant radioactif de l’hydrogène présent dans les molécules d’eau elles-mêmes : filtrer l’eau ne permet pas d’obtenir autre chose que l’eau elle-même…

De nombreuses solutions techniques ont été envisagées pour se débarrasser de cette eau toujours radioactive. On a imaginé la faire bouillir pour la rejeter sous forme de vapeur mais qui restera elle-même radioactive et pourrait être encore plus dangereuse car disséminée au gré des vents qui peuvent être très changeants et finalement plus aléatoires que les courants marins eux-mêmes. On a aussi pensé l’injecter dans des couches géologiques profondes entre deux formations argileuses imperméables, comme on le fait pour le stockage de déchets radioactifs en fûts, mais avec un risque non négligeable de migration et de contamination des nappes phréatiques déjà bien mal en point. On a aussi suggéré d’utiliser cette eau pour faire du béton qui serait à son tour stocké en profondeur : c’est plus sûr mais nettement plus cher…

Des réservoirs d’eau contaminée radioactive à perte de vue qui vont tous finir dans la mer… (photo © Kota Endo / Kyodo News / AP / Le Monde)

Bref, après des années de réflexion, les ingénieurs de Tepco sont arrivés à la conclusion que la solution la plus simple et assurément la moins coûteuse consistait tout bonnement à rejeter cette eau dans l’océan Pacifique. Ils ont observé le comportement de poissons élevés dans des bacs d’eau radioactive puis replacés dans de l’eau de mer et qui semblent résister assez bien, ce qui leur a permis de convaincre les ingénieurs de l’AIEA que cette eau, une fois diluée en mer, ne sera finalement pas si toxique que cela.

Une canalisation d’un kilomètre a été construite pour permettre le rejet en mer de toute cette eau contaminée, après dilution préalable, de telle sorte que la radioactivité de l’eau rejetée ne dépasse pas, en principe, 1500 Béquerels par litre, nettement moins que les 4000 Bq/l mesurés à la sortie de l’usine française de La Hague, et encore moins que les normes imposées par l’OMS pour l’eau potable, à savoir 10 000 Bq/l. Toutes les installations ont été testées fin juin et les premiers rejets devraient commencer début août pour s’étaler sur plusieurs décennies.

Des milliers de sacs remplis de terre contaminée, entassés autour de la centrale de Fukushima sans que personne ne sache très bien quoi en faire… (photo © AFP / Est Républicain)

Il avait fallu 12 ans pour construire la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, entre 1967 et 1979. Il faudra sans doute un demi-siècle à partir de son arrêt en 2011 pour achever son démantèlement… Au lendemain de la catastrophe, un immense chantier avait déjà été entrepris pour décaper les sols contaminés sur une zone d’environ 9000 km2 et en extraire le Césium dont la radioactivité met 30 ans pour diminuer de moitié. Cette opération a coûté une petite fortune, estimée à 24 milliards de dollars et a généré une montagne de déchets, évaluée à 20 millions de m3, toujours entreposés sur place en attendant un éventuel transfert ultérieur. Toutes les zones résidentielles ont été traitées, les fossés curés, les toitures et les façades lavées, les jardins décapés et les zones boisées assainies dans un rayon de 20 m autour des habitations, mais pas au-delà. 75 % de la surface contaminée, occupée par des forêts, est donc restée à l’écart de ce traitement et laissée en l’état jusqu’à ce jour, conservant son potentiel de césium radioactif qui continue à se disperser au gré des événements climatiques.

Manifestation à Séoul en Corée du Sud, le 30 juin 2023, contre les rejets d’eau radioactive dans le Pacifique (photo © Ahn Young-Joon / AP / Le Monde)

La pêche est toujours interdite dans les cours d’eau de la région. Mais aucune mesure n’est envisagée pour restreindre les activités de pêche dans l’océan à proximité des zones de rejets de l’eau contaminée, les autorités étant persuadées que la dilution naturelle suffira à éviter tout impact dommageable sur l’environnement. Une appréciation qui est loin de convaincre tout le monde, y compris dans les pays limitrophes dont la Chine et la Corée du Sud où l’on assiste déjà à des manifestations bruyantes de marins-pêcheurs tandis qu’on observe une amorce de spéculation sur le prix du sel : les ingénieurs de Tepco, quelque peu décrédibilisés par leur gestion de la catastrophe de 2011, vont devoir faire preuve de pédagogie pour convaincre de la pertinence de leurs choix techniques simples et peu coûteux…

L. V.

Bellegarde : des chevaux de Camargue du Magdalénien

1 avril 2023

La découverte remonte à 2016, mais elle vient tout juste d’être rendue publique en cette fin du mois de mars 2023. C’est en effet en triant et en nettoyant des objets récoltés à l’occasion de fouilles lancées en 2015 par l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) et qui avaient alors duré près d’un an, que les archéologues sont tombés sur des fragments de dalles calcaires gravées dont deux en particulier sont ornées de têtes de chevaux vus de profil, dont on distingue nettement les yeux, les oreilles, les naseaux et la crinière.

Tête de cheval gravée datant du Magdalénien, découverte à Bellegarde (photo © Pascal Guyot / AFP / France TV info)

Ces gravures qui pourraient paraître anodines ne le sont pas puisqu’elles sont datées du Magdélénien, 22 000 ans avant notre ère, et sont donc contemporaines des peintures de la grotte Lascaux. De telles représentations de têtes de cheval de cette époque du Paléolithique sont d’ailleurs extrêmement rares, surtout dans le sud-est de la France, d’où l’importance de cette découverte. D’autant que les chevaux en question sont de fait des chevaux de Camargue car ces objets sont issus d’une fouille qui a eu lieu sur la commune de Bellegarde, dans le Gard, sur les premiers contreforts des Costières de Nîmes, en vue de l’extension du centre de traitement et de stockage de déchets industriels qui domine la plaine de la Crau à son extrémité ouest.

Ce site est parfaitement visible quand on emprunte l’autoroute A54, à peu près à mi-chemin entre Arles et Nîmes. Après avoir traversé toute la plaine de la Crau, puis le canal Philippe Lamour, on aperçoit sur la gauche, à flanc de coteau ces immenses installations de stockage qui reçoivent chaque année plus de 200 000 tonnes de déchets spéciaux, issus du BTP et de l’industrie, en sus des ordures ménagères du secteur qui y sont enfouies. Il n’existe que 13 centres de ce type en France, capables de traiter ainsi des déchets potentiellement dangereux, parfois amiantés, qui sont stockés dans des alvéoles rendues totalement étanches par des géomembranes imperméables, lesquelles reposent sur un terrain naturellement très favorable car argileux sur environ 200 m d’épaisseur.

Centre d’enfouissement technique de classe 1 géré par Suez environnement à Bellegarde, ici en 2019 (photo © Kathy Hanin / Midi Libre)

Le site est connu de longue date car une carrière des Ciments Calcia, située à proximité, y exploite justement ces matériaux argileux depuis 1923. Le centre d’enfouissement de déchets, géré par Suez Environnement, date quant à lui de 1979 et devrait permettre à terme, d’ici 2039 a priori pour les déchets dangereux et jusqu’en 2046 pour les ordures ménagères, de stocker de l’ordre de 4 millions de m3 de déchets ultimes tout en produisant du biogaz grâce à une usine installée sur site.

Mais ce n’est probablement pas pour les qualités géologiques de son sous-sol argileux, si propice au stockage de déchets industriels, que nos lointains ancêtres se sont installés ici. C’est plus vraisemblablement pour la vue imprenable qu’ils avaient sur la plaine de Crau en contrebas depuis les contreforts de ce plateau. Un lieu de halte idéal pour ces populations alors nomades et qui pouvaient donc observer tout à loisir les hordes de chevaux sauvages s’ébattant dans la steppe aride qu’était alors la Crau.

Fouilles de l’INRAP à Bellegarde en 2016 (photo © Rémi Benali / AFP / Midi Libre)

Au cours des fouilles réalisées en 2016, ce sont pas moins de 100 000 objets que les archéologues ont récolté sur ce site particulièrement riche : silex taillés, ossements d’animaux ou parures de coquillages, témoignant d’une occupation très ancienne et quasi ininterrompue depuis plus de 20 000 ans avant notre ère et jusqu’au XVIe siècle. Ils ont aussi mis à jour, dans un niveau plus récent, daté d’environ 16 000 ans avant J.-C., une autre gravure interprétée comme une vulve féminine, assez comparable à une œuvre du même type retrouvée dans la grotte de Cazelle en Dordogne.

Partie souterraine des vestiges de l’ancien aqueduc romain sur le territoire de Bellegarde (source © Commune de Bellegarde)

Voilà en tout cas un nouveau point d’attrait pour la commune de Bellegarde, située au cœur d’un triangle entre Nîmes, Arles et Beaucaire et qui disposait déjà des vestiges d’un remarquable aqueduc romain, construit au premier siècle de notre ère. Il prenait l’eau dans des sources situées sur le plateau à proximité du village et longeait la costière avec une partie de son tracé en souterrain avant de descendre dans la plaine au niveau de la draille des Arcs, où se retrouvent les derniers vestiges de la partie aérienne de l’ouvrage antique. Au vu des capacité de l’ouvrage, il alimentait probablement le quartier romain de Trinquetaille à Arles, et aurait fonctionné jusque vers l’an 400.

Bien des siècles plus tard, lorsque la ville de Nîmes alors en pleine expansion réfléchit à son tour à accroitre ses capacités d’alimentation en eau potable et envisage sérieusement de remettre en service  l’ancien captage romain et l’aqueduc du pont du Gard qui acheminait jadis l’eau d’Uzès jusqu’à la Nemausus romaine. En 1847, un certain Aristide Dumont, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, rédige un mémoire préconisant plutôt de capter les eaux du Rhône. Un projet qu’il défendra toute sa vie et qui consiste à creuser un immense canal d’irrigation depuis Lyon, longeant le Rhône en rive gauche pour irriguer les plaines de l’Isère et de la Drôme avant de traverser en rive droite par un siphon pour alimenter Nîmes et les plaines de la Narbonnaise.

Philippe Lamour (à droite) avec le général de Gaulle le jour de l’inauguration de la station de pompage Aristide Dumont en 1960 (source © archives BRL / F. Pervenchon / Midi Libre)

L’ouvrage controversé ne verra pas le jour mais un siècle plus tard, l’idée est reprise par Philippe Lamour, un avocat séduit par le fascisme mais opposant frontal à Hitler et au régime de Vichy. Cet intellectuel de haut vol s’installe justement à Bellegarde pendant la guerre pour y se reconvertir dans l’agriculture. Il participe d’ailleurs à la fondation de la FNSEA, devient président de la Chambre d’agriculture du Gard et lance en 1949 l’appellation des Vins de qualité supérieure (VDQS) qui intègre le terroir alors dénommé Costières du Gard, lequel deviendra en 1989 une AOC sous le nom de Costières de Nîmes.

Tronçon du canal Philippe Lamour avec la station de pompage Aristide Dumont en limite sud de la commune de Bellegarde, qui élève les eaux du canal sur le plateau de la costière (source © Commune de Bellegarde)

Dès 1946, Philippe Lamour milite pour le creusement d’un canal prenant l’eau dans le Rhône au nouveau de Fourques et reprenant à partir de là l’essentiel du tracé des projets d’Aristide Dumont. En 1955, il prend la présidence de la toute nouvelle Compagnie Nationale d’Aménagement de la Région du Bas-Rhône et du Languedoc, plus connue désormais sous le nom de BRL. La station de pompage qui alimente le nouveau canal, située sur la commune de Bellegarde porte d’ailleurs le nom d’Aristide Dumont, tandis que le canal, qui serpente à travers toute la Camargue jusqu’aux portes de Montpellier, est désormais dénommé Philippe Lamour…

L. V.

Incinérateur : un exemple danois à méditer

27 mars 2023

Collecter les déchets ménagers n’est pas simple. Les accumulations récurrentes de poubelles éventrées débordant sur nos trottoirs viennent régulièrement pourrir la vie des Marseillais, mais pas seulement, d’autres agglomérations, y compris Paris, étant également confrontées à ce genre de situation en période de tension sociale.

Mais traiter les déchets n’est pas évident non plus. On a beau élaborer des plans départementaux d’élimination des déchets pour tenter d’organiser les filières et de répartir les équipements nécessaires le plus judicieusement possible, c’est la quadrature du cercle… Chacun veut que ses poubelles soient ramassées régulièrement, avec le moins de nuisance possible et de préférence  à faible coût, mais refuse catégoriquement la moindre implantation dans son voisinage d’un centre de tri et encore moins de compostage ou d’enfouissement des déchets, sans même parler d’un incinérateur dont on craint les odeurs et les rejets de fumées nocives !

Incinérateur : tout est question de perception… Un dessin de Martin Vidberg (source © Centre national d’information indépendante sur les déchets)

Le parcours chaotique qui avait conduit au début des années 2000 la défunte communauté urbaine Marseille Provence Métropole à construire un incinérateur pour gérer tant bien que mal, en prévision de la fermeture de la décharge d’Entressen, les 610 000 tonnes de déchets ménagers et assimilés produits annuellement par la capitale phocéenne et ses voisines les plus proches dont Carnoux, est à cet égard un bel exemple. Il avait alors été proposé de construire à Fos-sur-Mer, en dehors donc du territoire de la communauté urbaine, un incinérateur, géré en délégation de service public et capable de traiter 300 000 tonnes de déchets par an, soit une petite moitié du volume produit.

Jean-Noël Guérini en tête d’une manifestation contre le projet d’incinérateur de Fos-sur-Mer le 1er mars 2008 (photo © AFP / Le Point)

Sauf que la communauté urbaine, créée en 2000 et présidée jusqu’en 2008 par un certain Jean-Claude Gaudin, après avoir délibéré en faveur de ce projet en mars 2003, a tout fait pour le faire capoter et que les recours se sont multipliés contre le projet, le tribunal administratif étant même conduit en juin 2008 à annuler la décision de la communauté urbaine d’attribuer à la société espagnole Urbaser la construction et l’exploitation du futur incinérateur, via sa filiale dédiée EveRé…

L’arrivée d’Eugène Caselli à la tête de la communauté urbaine ayant permis de débloquer la situation, le projet aboutit finalement à une mise en service de l’installation en janvier 2010. Celle-ci dispose d’un centre de tri automatisé qui permet le recyclage des déchets plastiques et métalliques tandis que les éléments organiques sont dirigés vers l’unité de méthanisation pour être transformés en biogaz et en compost. Quant aux déchets combustibles, ils sont incinérés, de même que les boues issues de la station d’épuration. La chaleur dégagée alimente un groupe turbo-alternateur pour la production d’électricité et les résidus de combustion sont valorisés en remblais routiers sous forme de mâchefers.

Centre de tri des déchets en entrée de l’installation EveRé (photo © Nina Hubinet / Marsactu)

Début novembre 2013, l’unité de méthanisation a entièrement brûlé, endommageant gravement le centre de tri. Le torchon brûle alors entre l’exploitant et la communauté urbaine et c’est le début d’un conflit juridico-financier qui ne sera soldé qu’en juin 2015 avec la signature d’un protocole transactionnel à hauteur de 79 millions d’euros, assorti d’une redevance annuelle de 5,3 millions d’euros. Une lourde ardoise pour le contribuable, d’autant que la capacité de l’incinérateur, reconstruit en septembre 2016, est portée, depuis 2019 à 383 000 tonnes par an.

Incendie du centre de traitement EveRé à Fos-sur-Mer en novembre 2013 (photo © Serge Guéroult / La Provence)

Une installation plutôt chaotique donc et qu’on ne peut s’empêcher de comparer à celle construite à Copen Hill, près de Copenhague entre 2013 et 2016, connue sous le nom d’Amager Bakke. Lors du lancement du projet en 2009, le maire de la capitale danoise visait la neutralité carbone d’ici 2025 et misait beaucoup, pour cela, sur les réseaux de chaleur alimentés justement par la chaleur dégagée lors de l’incinération des ordures ménagères. Un réseau qui de fait alimente, en 2019, 90 % des logements de la ville !

Il s’agit à l’époque de remplacer l’ancien incinérateur, vieux de 45 ans, implanté dans une zone industrielle proche de la ville, par un autre plus moderne et qui n’émettrait quasiment plus de résidus soufrés et des quantités infimes d’oxyde d’azote, grâce à une technologie plus moderne combinant production de chaleur et d’électricité. L’agence d’architecture qui remporte le marché a pour ambition d’en faire « l’incinérateur le plus propre du monde » et reprend à son compte le principe d’un bâtiment attractif permettant de développer en parallèle des activités ludiques.

L’incinérateur Amager Bakke à Copenhague (photo © Rasmus Hjortshoj /BIG / AD magazine)

Débutée en 2013, la construction permet d’inaugurer l’usine en mars 2017. Celle-ci se présente sous la forme d’un bâtiment dont le toit, culminant à 85 m, est en pente, aménagé en parc urbain et équipé de remonte-pente, ce qui lui permet de servir de site de randonnées et de piste de ski tandis que des voies d’escalade sont aménagées sur une partie des façades. Ces dernières sont constituées d’un assemblage de grosses briques en aluminium entrecoupées de grandes baies vitrées qui donnent un éclairage naturel maximum à l’intérieur de l’usine.

Bref, une usine très emblématique et au fort pouvoir attractif, qui facilite son acceptation par le grand public. La capacité d’exploitation est de 440 000 tonnes de déchets par ans, soit davantage que l’incinérateur de Fos-sur-Mer, et l’usine fournit directement 30 000 logements en électricité et 72 000 en chauffage. Ses rejets dans l’atmosphère sont très maîtrisés, jusqu’à la production d’un anneau de vapeur d’eau de 21 m de diamètre, visible depuis le centre-ville de Copenhague, qui est relâché chaque fois que l’incinérateur a émis une tonne de CO2, histoire de sensibiliser les habitants à l’impact de l’usine en matière d’émission de gaz à effet de serre…

Le toit verdoyant servant de piste de ski de l’incinérateur de Copen Hill à Copenhague (source © Idverde)

Une approche très pédagogique donc, qui vise à rendre à la fois très visible mais peu impactante, cette fonction essentielle de traitement de nos ordures ménagères. Peut-être une source d’inspiration pour le second incinérateur que la Métropole Aix-Marseille-Provence devra bien se résoudre à construire un jour pour traiter la totalité des déchets émis par ses habitants ? Pourquoi pas alors choisir un lieu emblématique proche des lieux d’émission et de consommation de l’énergie produite, afin d’optimiser le dispositif tout en limitant autant que possible les effets nocifs du transport de nos déchets qui parcourent actuellement la moitié du département avant d’être traités !

L. V.

Les PFAS, ces « polluants éternels » omniprésents…

26 février 2023

Le génie inventif de l’homme est sans limite ! Il a même mis au point des « polluants éternels », très largement utilisés dans l’industrie et dont on comprend aujourd’hui qu’ils sont quasiment omniprésents comme le révèle Le Monde qui vient de diffuser, le 23 février 2023, sa « carte de la pollution éternelle » établie dans le cadre d’un vaste partenariat avec 16 autres grands médias européens et l’aide de scientifiques spécialistes du sujet.

Carte des sites européens de contamination détectée ou potentielle aux PFAS (source © Le Monde)

Cette carte montre la localisation de plus de 17 000 sites où la présence de ces composés chimiques ultra toxiques, constitués de substances per- et polyfluoroalkylées, PFAS de leur petit nom, a été enregistrée à des taux très supérieurs aux normes admissibles, ainsi que la vingtaine de sites industriels produisant ces substances et plus de 20 000 endroits potentiellement pollués du fait de leur activité industrielle en lien avec l’utilisation de ces composés chimiques : pas très rassurant…

On estime qu’il existe plus de 4700 composés chimiques différents se rapportant à cette famille des PFAS. Tous ont en commun de ne pas exister à l’état naturel mais d’être le résultat exclusif du génie chimique créatif humain, qui, comme chacun le sait, est sans limite. Leur invention date des années 1940, lorsqu’a été synthétisée pour la première fois la molécule d’acide perfluorooctanoïque (PFOA en anglais), dans le cadre du projet militaire Manhattan qui a conduit à la fabrication de la bombe atomique.

La poêle Téfal, à base de teflon et d’aluminium, inventée en 1951 par Marc Grégoire et commercialisée à partir de 1956 (source © Téfal / Deco)

Ce produit miracle, caractérisé par une liaison carbone-fluor extrêmement stable, présente de fait de multiples propriétés très recherchées puisqu’il résiste à tous les liquides, y compris l’huile et les graisses et est particulièrement résistant à la chaleur. Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains l’ont donc utilisé pour étanchéifier leurs chars d’assaut et, en 1949, DuPont de Nemours a introduit ce composé chimique dans ses chaînes de fabrication industrielles de poêles à frire miraculeuses vendues sous le nom de Téflon. Ce sont d’ailleurs les multiples contaminations des populations vivant à proximité des sites de production de DuPont, à Dordrecht aux Pays-Bas et à Parkesburg, en Virginie, qui ont contribué à mieux connaître les effets sanitaires de ces molécules.

Usine DuPont, désormais Chemours, à Dordrecht (source © Trouw)

Il faut dire que depuis, les PFAS ont connu un succès fou. On les retrouve désormais un peu partout, non seulement dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs, mais dans de nombreux emballages alimentaires, dans certains vêtements textiles imperméables, dans les moquettes résistant aux tâches, dans les peintures anti-corrosives, dans les revêtements de fils électriques, comme matériau permettant de réduire l’usure mécanique ou encore dans la composition des mousses utilisées par les pompiers pour combattre les feux de liquides inflammables dangereux.

De qui expliquer pourquoi on retrouve désormais des résidus de ces composés chimiques ultrastables et quasi indestructibles dans les sols et l’eau, un peu partout et pour des millénaires. On mesure ainsi des concentrations importantes de ces PFAS dans plusieurs cours d’eau du secteur, dans le ruisseau des Aygalades comme dans l’Huveaune ou l’Arc, mais aussi dans l’étang de Berre du fait des exercices répétés des services d’incendie sur les pistes de l’aéroport de Marignane.

Exercice d’extinction de feu à Marignane par les pompiers, à l’aide d’une mousse enrichie en PFAS (photo © Christian Valverde / BMPM / Pompiers sans frontières)

Le hic, c’est que ces composés chimiques indestructibles pénètrent facilement dans le corps des organismes vivant, si bien qu’on le retrouve aisément dans le sang humain un peu partout dans le monde. Et cette présence n’est malheureusement pas anodine car de nombreuses études ont permis de mettre en évidence les impacts sanitaires non négligeables de ces substances qui provoquent, entre autres, une augmentation du taux de cholestérol, une modification des enzymes du foie et du système thyroïdien, des risques d’hypertension artérielle, une réduction de la réponse aux vaccinations et des risques accrus de cancer du rein et des testicules notamment…

Le risque a d’ailleurs été jugé tel que l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) a drastiquement réduit en septembre 2020 la dose maximale admissible de PFAS de 270 à 0,63 ng/kg de masse corporelle, ce qui en dit long sur la dangerosité estimée de cette famille de produits chimiques. Le PFOA est lui-même désormais interdit depuis juillet 2020. En parallèle, la Directive européenne adoptée le 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine impose désormais que les PFAS soient systématiquement recherchés et que la somme de leurs différents composés ne dépasse pas 500 ng/l.

Affiche du film Dark waters sorti en 2020 en France, avec Mark Ruffalo dans le rôle de l’avocat de Cincinnati qui enquête sur une pollution massive aux PFAS (source © Réseau environnement)

Il faut dire que plusieurs alertes sanitaires sérieuses ont attiré l’attention sur l’impact sanitaire et environnemental désastreux de ces produits. Le film américain Dark waters, sorti en 2019, relate des faits réels qui se sont produits en 1999 sur à Parkersburg où le bétail a été décimé et au moins 70 000 personnes contaminées par la présence massive de PFOA dans la nappe du fait de l’activité industrielle d’un site de production de DuPont qui avait stocké 7100 tonnes de PFOA dans le centre d’enfouissement de Dry Run.

Action de Greenpeace devant l’usine Mitanie en Vénétie en octobre 2018 (photo © L. Moscia / Greenpeace / Libération)

En Vénétie italienne, ce sont pas moins de 350 000 personnes qui ont été plus ou moins intoxiquées par une pollution massive et durable de la nappe phréatique au PFOA entre Vérone, Vicence et Padoue, du fait de l’activité industrielle de l’usine chimique Miteni, implantée à Tressino dans les années 1960 jusqu’à sa faillite en novembre 2018 et qui rejetait allégrement des quantités colossales de PFAS dans la petite rivière voisine.

En février 2021, le chantier de construction d’un tunnel sous la zone estuarienne de Middle Harbour à Sydney en Australie, a dû être interrompu pendant plus d’un an, suite à la découverte d’une pollution massive aux PFAS et aux métaux lourds des sédiments, créant des risques excessifs de contamination du chantier en cas d’infiltrations d’eau. On n’a pas fini d’entendre parler des PFAS…

L. V.

Carrière Borie : une noria de camions à Carnoux

12 février 2023

Quand on arrive à Carnoux par l’autoroute A50 en direction de la Ciotat, on ne peut pas la rater ! La colline autrefois verdoyante qui surplombe l’autoroute côté Est, juste au-dessus de l’ancienne route qui reliait autrefois Cassis à Aubagne en longeant le petit ruisseau du Merlançon, est désormais totalement éventrée par une immense carrière à ciel ouvert, la seule encore en activité sur le territoire d’Aubagne.

La carrière exploitée par la société Carrières et bétons Bronzo-Perasso sur le site du vallon de l’Escargot, à Aubagne (source © Justacote)

Désormais exploitée par la société Carrières et bétons Bronzo-Perasso, cette carrière dit « du vallon de l’Escargot », qui s’étend sur pas moins de 150 ha, appartient à la famille Bronzo qui l’exploite depuis 2009 et détient une autorisation d’exploiter régulièrement renouvelée. Cette autorisation porte sur une quantité de 1,6 million de tonnes de calcaire par an, ce qui est colossal puisque la production annuelle totale de granulats calcaires de tout le département des Bouches-du-Rhône s’élevait en 2016 à 8,9 millions de tonnes seulement et à 20 millions de tonnes environ pour toute la région PACA, tout juste de quoi couvrir les besoins locaux du BTP dans le cadre d’un marché très tendu.

Rares sont en effet les localités qui acceptent l’ouverture d’une carrière de ce type à proximité, alors même que les besoins en matériaux de construction ne diminuent pas. Force est de reconnaître que les tirs d’explosifs qui ponctuent chaque semaine l’exploitation de la carrière Bronzo à proximité immédiate du quartier des Barles, à l’entrée de Carnoux, ne sont pas de nature à rassurer quant à l’impact environnemental d’une telle exploitation. Pas plus d’ailleurs que les envols de poussières qui suivent les énormes camions qui déboulent régulièrement de la carrière, chargés à ras bord de granulats concassés, et qui s’engagent à une vitesse folle sur la route départementale en contrebas, au mépris total de la circulation locale.

Une centrale à béton fonctionne sur le site et une centrale à enrobés bitumineux à chaud y avait même été implantée en 2015 par la société Colas (groupe auquel est rattaché Perasso) pour alimenter notamment le chantier de la L2. De quoi créer de multiples nuisances pour le voisinage, sans compter l’aspect esthétique puisque la colline boisée est en train d’être grignotée à grande vitesse par l’exploitation, se transformant en un paysage purement minéral constitué de fronts de taille verticaux en gradins.

Installations de tri et recyclage sur le site de Bronzo Perasso à l’Escargot (source © Bronzo / Google maps)

C’est justement pour pallier ces nuisances environnementales liées à l’exploitation des carrières que les entreprises du BTP cherchent au maximum à valoriser les déchets issus des chantiers de démolition. Après concassage et tri, on peut en effet en recycler une partie sous forme de granulats directement utilisables pour refaire du béton, tandis que le reste et notamment les fractions les plus fines, dépourvues en principe d’éléments putrescibles ou polluants, est considéré comme déchet inerte pouvant servir au remblaiement des anciennes carrières. Ces dernières sont en effet désormais tenues de provisionner des fonds pour assurer leur comblement et leur renaturation en fin d’exploitation.

La carrière Bronzo de l’Escargot a justement installé depuis 2015 une telle plateforme de récupération et recyclage des déchets du BTP, issus de chantiers de terrassement ou de démolition, ce qui permet aux entreprises les plus vertueuses de ne pas se contenter de benner ces déchets dans des lieux un peu reculés le long des routes, ni vu ni connu, voire en pleine nature, comme on le constate encore trop fréquemment. Mais il est prévu de poursuivre l’exploitation de la carrière de l’Escargot pendant encore 2 ou 3 ans et Bronzo considère que l’utilisation de ces déchets inertes, issus de cette activité de recyclage, ne pourra pas se faire sur ce site avant l’arrêt complet de l’exploitation.

Vue aérienne de l’ancienne carrière Borie à Aubagne (source © géoportail)

En attendant, il faut bien s’en débarrasser et Bronzo a eu l’idée pour cela d’utiliser la carrière Borie, une ancienne exploitation de calcaire à ciel ouvert située sur La Pérussonne, à Aubagne, à l’abandon depuis 1965. Depuis cette date, le site, désormais propriété de la commune d’Aubagne, a été laissé en friche, avec ses fronts de taille en l’état, qui s’éboulent peu à peu. La zone est ouverte au public et sert de lieu de promenade aux habitats du quartier.

L’ancienne carrière Borie à la Pérussonne, sur Aubagne (photo © François Rasteau / La Provence)

Une convention a donc été négociée entre la commune et le carrier qui souhaite y entreposer 225 000 m3 de déchets inertes moyennant le versement à la Ville d’une redevance de 180 000 €. Une bonne opération pour la société Bronzo qui se débarrasse ainsi à bon compte de ces matériaux dont elle ne sait que faire, tout en permettant à la commune d’argumenter que cela permettra de combler cette ancienne carrière devenue dangereuse avec ses front de taille instables et non sécurisés dans une zone pavillonnaire très fréquentée.

L’intérêt du site est bien entendu sa proximité avec la plateforme de tri, ce qui permet de minimiser les transports par camion, mais pour autant, le bilan environnemental de l’opération est loin d’être neutre ! Ce sont en effet 29 camions par jour en moyenne, soit près de 1000 par mois (sauf pendant les mois d’été, en pleine période touristique) qui relieront le vallon de l’Escargot à l’ancienne carrière Borie. Et comme ils ne pourront pas traverser les zones pavillonnaires de la Pérussonne aux voiries étroites et inadaptées à un tel trafic, Bronzo propose de faire transiter cette noria de gros camions par la commune de Carnoux-en-Provence !

Visite de l’ancienne carrière Borie le 27 janvier 2023 par la députée européenne Marina Mesure (source © Collectif Carrière Borie / Facebook)

Notre ville va donc prochainement être parcourue quotidiennement par plusieurs dizaines de poids-lourds chargés de déchets inertes qui la traverseront de part en part depuis les Barles jusqu’à l’entrée du camp militaire de Carpiagne où ils bifurqueront pour traverser tout le camp et redescendre ensuite vers Aubagne par l’ancien chemin de Cassis puis une piste DFCI qui devra être élargie au gabarit des camions. Une opération qui va durer pendant 3 ans jusqu’au remblaiement complet du site qui fera ensuite l’objet de travaux d’aménagements paysagers pendant 2 années supplémentaires.

Sauf que les riverains ont vu rouge en prenant connaissance d’un tel projet et que le conseil municipal qui s’est tenu à Aubagne le 15 novembre 2022 et au cours duquel a été délibérée la mise à disposition du site par la commune a tourné à la foire d’empoigne. Les habitants du quartier de la Pérussonne sont vent debout contre un tel projet, estimant que l’ancienne carrière a retrouvé un nouvel équilibre écologique et qu’elle est devenu un lieu de ballade très fréquenté, point de ralliement du GR 2013, qu’elle n’a nul besoin d’un tel projet de comblement et qu’aucune garantie n’est apportée quant au contrôle effectif de la nature des matériaux qui y seront enfouis par Bronzo. C’est en tout cas ce que dénonce avec force le collectif Carrière Borie qui s’est créé dans la foulée et a déjà obtenu 40 000 signatures pour sa pétition en ligne destinée à fédérer les oppositions au projet.

Extrait d’un article de presse publié par La Marseillaise le 15 novembre 2022 (source © Collectif Carrière Borie / Facebook)

Il faut bien reconnaître que le discours des autorités n’est pas très rassurant quant à la nature des matériaux que Bronzo prévoit de déverser sur ce site. Seul un autocontrôle est prévu, à charge exclusive de l’exploitant donc, les inspecteurs des installations classées de la DREAL se contentant de quelques contrôles inopinés épisodiques, sous réserve que leurs effectifs le permettent…

On comprend dans ces conditions les inquiétudes des riverains même si les plus impactés seront en réalité les habitants de Carnoux qui vont voir défiler pendant 3 ans de suite un millier de camions supplémentaires lourdement chargés de déchets qui traverseront à vive allure notre commune de part en part, semant au passage une nuée de poussières et ajoutant encore à la pollution routière liée aux 6 millions de véhicules qui transitent annuellement à travers Carnoux, en faisant un des points noirs de la circulation routière dûment répertoriés dans le département. C’est peut-être enfin le moment d’y implanter, comme cela avait été largement évoqué lors de la dernière campagne municipale mais toujours pas mis en œuvre depuis, des capteurs de suivi de la qualité de l’air pour surveiller ce que cette circulation exceptionnellement intense fait respirer chaque jour aux riverains du Mail…

L. V.

IADYS : le robot de la méduse

5 février 2023

Dans la « start-up nation » qu’est devenue la France, du moins aux yeux de notre Président de la République, les startups ont le vent en poupe, forcément. Selon une synthèse de Tool Advisor, on en dénombrait paraît-il au moins 1 million en 2021, employant a minima 1,5 millions de salariés, ce qui n’est effectivement pas négligeable, même si les chiffres ne sont pas nécessairement très fiables, ne serait-ce que du fait des contours un peu approximatifs de ce qu’est une « startup ».

On désigne généralement par ce terme une entreprise récemment créée, porteur d’un projet ou d’une idée innovante et qui présente une croissance rapide de son chiffre d’affaires. Au risque de se casser rapidement le figure, comme c’est le cas de plus de 60 % d’entre elles selon les chiffres les plus optimistes qui circulent, mais aussi parfois d’atteindre le graal dont rêve chaque entrepreneur qui se lance, à savoir devenir une « licorne », autrement dit une entreprise innovante dont le capital est valorisé à plus de 1 milliard d’euros.

En tout cas et même si bien peu atteignent ce stade envié, les startups françaises se portent plutôt bien avec un chiffre d’affaires cumulé estimé à 8,3 milliards d’euros en 2021, en augmentation de plus de 20 % par rapport à l’année précédente. Une sur deux est basée en Ile-de France, mais on en trouve aussi dans notre environnement proche…

Le Jellyfishbot présenté en avril 2019 au salon des inventions à Genève par son concepteur, Nicolas Carlési (source © IADYS)

Citons ainsi par exemple la société IADYS initialement implantée dans la zone industrielle de Napollon, à Aubagne, et depuis 2019 dans celle de la Plaine du Caire à l’entrée de Roquefort-La Bédoule, une jeune société fondée en 2016 qui conçoit, développe et commercialise des innovations technologiques, à la croisée de la robotique et de l’intelligence artificielle, comme l’indiquent les initiales de son acronyme (Interactive Autonomous Dynamic Systems).

Son créateur, Nicolas Carlési, passionné de plongée sous-marine, a été formé à l’Université de Montpellier où il a préparé un doctorat en robotique et intelligence artificielle axé sur la coopération entre véhicules sous-marins hétérogènes, avant de travailler pour l’entreprise Scalian, spécialisée dans les drones pour l’inspection de lignes électriques à haute tension.

Le Jellyfishbot en pleine action (source © IADYS / Airzen)

Après 2 années de recherche-développement, la petite startup bédoulienne a mis au point un robot flottant de 18 kg, robuste et compact, en forme de petit catamaran, destiné à collecter de façon téléopérée les déchets flottants dans les zones portuaires. De ce point de vue, le Vieux-Port de Marseille est le terrain de jeu idéal pour s’entraîner à ramasser les déchets flottants qui y foisonnent. En l’occurrence, voisinage oblige, c’est plutôt la Ville de Cassis qui s’est porté acquéreur du premier prototype pour nettoyer son propre port qui ne vaut guère mieux, surtout après un petit coup de mistral…

Le 6 décembre 2022, le petit robot nettoyeur de la société IADYS, a ainsi eu les honneurs d’une présentation officielle au Village des solutions, à l’occasion de la cinquième édition de Méditerranée du futur, le grand raout politico-commercial  organisé au parc Chanot à Marseille par Renaud Muselier et présenté comme « le rendez-vous mondial de l’adaptation au réchauffement climatique », rien de moins.

Nicolas Carlési et son Jellyfishbot au Parc Chanot à Marseille à l’occasion de Méditerranée du futur (photo © Jean-Pierre Enaut / Les Nouvelles Publications)

Joliment dénommé « Jellyfishbot », ce qui fait référence, comme chacun s’en doute, en anglais sinon en provençal, à une méduse robotisée sur laquelle viendrait s’agglomérer les déchets tandis qu’elle flotte gracieusement à la surface des flots, la petite merveille robotisée de IADYS a fait bien du chemin depuis ses premiers balbutiements. Au gré des demandes des nouveaux clients, la petite méduse robotisée s’est vue adjoindre de nouveaux filets qui lui permettent de collecter outre les petits déchets classiques, les hydrocarbures flottants et les microparticules.

Depuis cette année, le Jellyfishbot intègre même un détecteur d’obstacle fixes ce qui lui donne une totale autonomie pour organiser son propre circuit de travail dans un périmètre donné, un peu comme un aspirateur automatisé. Les dernières générations de l’appareil sont même équipées de capteurs bathymétriques et d’une interface graphique, ce qui permet au robot de tracer une cartographie précise de la profondeur du plan d’eau à l’issue de son travail de collecte. Et l’on peut même désormais lui adjoindre un kit de prélèvement d’eau, afin de procéder en même temps à l’analyse de la qualité des eaux.

Jellyfishbot en version autonome en pleine action de nettoyage dans le port de Cassis (source © IADYS)

Du coup, la petite startup de Roquefort – la Bédoule cartonne. Elle comprend déjà 18 collaborateurs, ce qui traduit une croissance rapide pour une jeune pousse qui n’a que 6 années d’existence. A ce jour, ce sont pas moins de 70 exemplaires du Jellyfishbot qui ont été commercialisés et la société collectionne les prix de l’innovation dont l’un remporté à l’occasion du salon international des inventions à Genève en avril 2019.

Plusieurs ports français dont celui du Havre ou celui d’Ajaccio se sont déjà équipés d’un tel robot pour nettoyer  leurs installations et de nombreux exemplaires ont été vendus aux États-Unis comme en Australie ou à Dubaï, pour des ports de plaisance, des chantiers navals et même des bases de loisirs et des parcs d’attraction où le petit robot connait un grand succès de curiosité. Certaines entreprises de dépollution se sont même équipées du dispositif pour procéder à l’enlèvement de nappes d’hydrocarbures dans des bassins de sites industriels.

Mise à l’eau d’un Jellyfishbot dans le port de Saint-Tropez (source © IADYS)

Avec le réchauffement climatique, beaucoup craignent une recrudescence des invasions de méduses sur le littoral méditerranéen. Une chose est sûre, avec les quantités de plastiques et autres déchets qui finissent en mer, y compris dans le Parc national des Calanques, et transforment peu à peu la Méditerranée en vaste égout à ciel ouvert, la petite méduse robotisée de IADYS ne devrait pas chômer dans les années qui viennent, au risque de se transformer en licorne…

L. V.

Poubelles de Marseille : une expérience ratée…

23 novembre 2022

La Ville de Marseille n’est pas spécialement réputée pour être en pointe en matière de ramassage des ordures ménagères. La cité est plutôt connue pour la brièveté légendaire des tournées de ses éboueurs, champions du fini-parti et dont les grèves à répétition rythment la vie des habitants, habitués à voir s’amonceler sur les trottoirs des monceaux de déchets qui attirent rats et gabians avant de finir sur les plages toutes proches, poussées par un Mistral taquin.

Les trottoirs de Marseille régulièrement submergés sous l’amoncellement d’immondices, ici le 23 septembre 2021 à La Plaine (photo © ML / GoMet)

Mais la Métropole Aix-Marseille-Provence, à qui incombe la responsabilité de collecter ces déchets que les habitants entassent consciencieusement devant le pas de leur porte, a voulu frapper un grand coup en lançant début 2021 l’installation de poubelles de rue dernier cri. De vrais bijoux de haute technologie qui sont en réalité des poubelles solaires connectées à compactage intégré, rien de moins !

Une vingtaine de ces bacs métalliques fermés ont ainsi été disposés à titre expérimental dans quelques sites très passants des quartiers sud de Marseille, de préférence dans des secteurs particulièrement fréquentés comme le rond-point du Prado ou la station de métro Castellane. Différents systèmes ont d’ailleurs été ainsi installés en parallèle par la Métropole, histoire d’en tester l’efficacité, dont celles de la société Mr Fill ou encore le dispositif Bigbelly, commercialisé en France par la société aixoise Connect Sytee.

Benne à ordures de rue à compactage solaire Mr Fill installée ici à Londres (source © Mr Fill)

Une innovation mise au point par la société américaine Big belly solar Inc, basée dans le Massachussetts et qui se présente sous forme de bornes parallélépipédiques d’une contenance d’environ 120 litres mais qui peut admettre 5 à 6 fois plus de déchets grâce à son système de compactage intelligent actionné par l’énergie solaire. Une puce électronique et des capteurs judicieusement placés permettent de suivre en direct le taux de remplissage du bac et d’alerter les équipes de surveillance chargées de déclencher le ramassage : on atteint là des sommets en matière d’intelligence adaptée à la collecte de nos ordures ménagères…

Des machines ultra sophistiquées qui équipent depuis 2004 l’espace publique de nombreuses métropoles mondiales, de Washington à Melbourne en passant par Londres, Boston, Hambourg ou Lausanne. La cité phocéenne ne pouvait évidemment pas passer à côté d’un tel prodige d’inventivité high-tech et Martine Vassal ne pouvait qu’être séduite par la modernité d’une poubelle connectée aussi fabuleuse.

Poubelle solaire compacteuse installée rue Saint-Ferréol à Marseille, déjà tagguée (photo © Caroline Delabroy / 20 minutes)

Mais avant d’en équiper toutes les rues, encore fallait-il tester le système. Il faut dire au passage que la poubelle en question n’est pas donnée, à raison de 5000 € l’unité quand une poubelle de rue plus classique, même un peu design, coûte moins de 500 €. Mais la haute technologie n’a pas de prix et la Métropole a tellement de mal à mobiliser ses agents pour venir vider les poubelles qu’elle a vu tout de suite l’intérêt d’un tel système de compactage qui permet de se déplacer 5 à 6 fois moins souvent. Il suffit en effet d’attendre que le bac soit plein de déchets, compactés au maximum, avant d’envoyer un agent pour le vider.

Une bien belle invention donc, installée aussi à Paris ou à Cannes. Sauf qu’à Marseille, bizarrement, le programme expérimental de poubelles connectées à compactage solaire semble avoir foiré lamentablement. Serait-ce que la technologie est trop complexe pour le pékin lambda ? Ou qu’un dispositif aussi sophistiqué nécessite trop de maintenance pour les équipes techniques de la Métropole ?

A la station de métro Castellane, les vestiges d’une poubelle connectée high-tech après quelques mois dans le biotope marseillais… (photo © CPC)

Toujours est-il que depuis quelques mois déjà, la belle poubelle high-tech qui trône fièrement en haut des escaliers de la station de métro place Castellane, fait un peu grise mine, bourrée jusqu’à la gueule de déchets immondes qui débordent de toutes parts, bien emmaillotée dans une rubalise comme celle que l’on déroule sur les scènes d’accident pour prévenir du danger. Relique posthume d’un accident technologique lié à un décalage excessif entre l’innovation technique de concepteurs inconscient de la réalité prosaïque du Marseillais pressé de se débarrasser de son paquet de cigarette vide, ou simple témoignage d’un crime de lèse majesté envers un modèle de perfection technologique venu d’Outre-Atlantique mais peu adapté au degré d’incivilité locale ? Toujours est-il que plus personne ne peut plus s’approcher de la bête bourrée d’électronique et chacun se contente donc de poser par-dessus son carton à pizza et sa canette de bière.

Une expérimentation qui a manifestement mal tourné… (photo © CPC)

Une bien triste fin pour ce concentré d’innovation technologique à l’Américaine qui arbore encore fièrement son étiquette qui précise pour les passants un peu distraits : « Ici on expérimente les poubelles de rue intelligentes ». Peut-être un peu trop intelligentes pour le Marseillais de base qui est manifestement passé à côté d’une belle invention, prête à révolutionner la collecte de nos déchets : Caramba, encore raté !

L. V.

A Marseille, le gabian opportuniste et envahissant

13 novembre 2022

Officiellement, c’est le goéland leucophée, Larus michahellis, de son petit nom scientifique qui lui a été attribué en 1840 par l’ornithologue allemand autodidacte John Friedrich Naumann. Mais à Marseille tout le monde l’appelle de son nom occitan : le gabian. C’est un proche cousin, typiquement méditerranéen, du goéland argenté, plus commun, qui s’épanouit sur les côtes de l’Atlantique. Il fait aussi partie de la grande famille des Laridae, qui comprend également les sternes et les mouettes avec lesquelles on le confond souvent, mais les grands goélands à tête blanche sont bien désormais considérés comme un genre en soi, parmi lequel on dénombre pas moins de 20 espèces, dont le gabian…

Le goéland leucophée, localement appelé gabian (photo © Louis Laisné / Museum national d’histoire naturelle)

Contrairement à la mouette rieuse, popularisée par Gaston Lagaffe, le goéland leucophée se caractérise par sa belle taille avec une envergure qui dépasse facilement les 1,50 m. Sa tête et son corps sont d’un blanc immaculé tandis que son manteau est gris et l’extrémité de ses ailes noires. On le distingue aisément du goéland argenté grâce à ses pattes jaunes, de même que son bec qui s’orne à l’extrémité d’une pointe de rouge à lèvres. A Marseille, où pourtant les autochtones ont du bagou et une fâcheuse tendance à parler fort, on n’entend que lui. Ses cris perçants et sa voix criarde, rythment les journées, surtout près du littoral, formant un fond sonore ininterrompu.

Portrait en pied de son éminence grise, le gabian (photo © J.P. Durand / Parc national des Calanques)

L’espèce n’est pourtant pas si fréquente qu’il n’y paraît et le goéland leucophée figure sur la liste rouge des espèces protégées au niveau mondial, même si elle y apparaît avec le statut de préoccupation mineure, pour laquelle le risque de disparition est considéré comme faible. Et pourtant, elle a bien failli disparaître puisqu’on ne recensait plus qu’une centaine de couples dans les alentours de Marseille au début du XXe siècle, réfugiés principalement sur l’archipel du Riou. Mais fort heureusement pour elle, les hommes ont inventé les décharges publiques à ciel ouvert : de véritables offrandes pour les gabians qui n’ont qu’à se servir et y trouvent à profusion une nourriture variée et de qualité, nettement plus facile à attraper que le poisson qui frétille au large.

Les gabians ont appris depuis longtemps à trier nos déchets (photo © Michel Luccioni / Corse Matin)

Du coup, cette espèce fort opportuniste s’est largement reconvertie, comme nombre de mafieux locaux, troquant allégrement la barque de pêche contre la benne à ordures, nettement plus rentable. On a vu alors les effectifs de gabians exploser, atteignant jusqu’à 23 000 couples en 2008, tournoyant en nuée autour des décharges qui se multipliaient et venant du coup s’installer carrément en ville. Pourquoi en effet continuer à nicher sur les côtes rocheuses et désertiques des îles du Riou quand la grande ville offre si généreusement le lit, le chauffage et le couvert avec ses nombreuses toitures terrasses hospitalières et ses poubelles répandues à foison sur les trottoirs marseillais ?

Le gabian est aussi un formidable chasseur de rats, il faut lui rendre cette justice (photo © Laurent Grolée / Radio France)

Au début des années 2000, les effectifs de gabians à Marseille étaient tels que les îles du Riou elles-mêmes, leur zone de repli préférée, étaient en voie de désertification avancée, la flore locale disparaissant sous des tonnes de guano et de fiente, favorisant le développement d’une végétation nouvelle sous l’effet de cet apport inhabituel de phosphate et de nitrates, au point de générer en parallèle une invasion de rats et de lapins, mettant également en danger toute la faune endémique…

De fait, le gabian est devenu à Marseille une espèce envahissante qui n’a plus vraiment peur de l’homme avec qui elle cohabite avantageusement, tout comme le rat et le pigeon. Il vient se servir directement en morceaux de choix sur les quais du Vieux-Port et près des poissonneries de la ville, mais on le voit souvent perché sur les bacs de poubelles, venant trier à la source tout ce qui peut être recyclé dans son estomac glouton. Il niche régulièrement sur les toits, surtout les terrasses gravillonnées où il peut pondre ses œufs en toute sécurité après avoir bâti un nid sommaire en brindilles. La femelle pond 2 à 3 œufs fin mars – début avril, et, dès la naissance des petits, mi-mai, le couple défend chèrement son territoire, n’hésitant pas à intimider tout intrus qui oserait les déranger.

Le gabian n’hésite pas à donner de la voix et peut se montrer agressif si on approche trop de son nid… (photo © S. Wroza / Museum national d’histoire naturelle)

C’est pour cette raison que les Marseillais ont tendance à prendre en grippe les gabians, d’autant que ces derniers sont plutôt casaniers et ont tendance à revenir pondre chaque année au même endroit. Une fois qu’ils ont élu domicile sur votre balcon ou votre terrasse, il devient difficile de les en chasser et mieux vaut ne pas trop s’approcher au risque de se prendre un coup de bec agressif. A tel point d’ailleurs que le service Allo Mairie, que tout Marseillais appelle pour un oui ou pour un non, est débordé d’appels de mamies en colère qui exigent que l’on vienne illico les débarrasser de ces encombrants voisins qui ont élu domicile sur leur balcon et qui les empêchent de dormir avec leurs cris stridents…

L’espèce étant protégée, la ville de Marseille doit demander périodiquement une dérogation pour destruction, limitée actuellement à 375 individus par an. Cela lui permet d’intervenir régulièrement, de préférence de manière préventive en empêchant l’accès, par des filets notamment, aux zones de nidification potentielles, voire en détruisant les œufs lorsque la ponte a déjà eu lieu. Pour cela, un prestataire spécialisé vient pulvériser sur les œufs un produit imperméabilisant qui empêche leur développement sans les casser (ce qui entrainerait systématiquement une nouvelle ponte de substitution !). Mais une fois les œufs éclos, il n’y a plus grand-chose à faire, sinon attendre que les petits grandissent, sauf si vraiment les parents ont élu domicile dans un endroit particulièrement vulnérable comme une crèche ou une école maternelle…

Nuée de gabians affamés sur la décharge d’ordures ménagères du Mentaure à La Ciotat en 2013 (source © La Provence)

Heureusement, la période du laisser-aller où les bennes à ordures se contentaient de déverser en plein air leur cargaison de nourriture gaspillée, commence à prendre fin. L’immense décharge d’Entressen, qui a engraissé des générations de gabians, a fini par fermer en 2010 et celle du Mentaure, à La Ciotat, en 2013, mais il reste encore en exploitation le site de Septème-les-Vallons : les gabians marseillais n’ont pas fini de se remplir la panse, même si leurs effectifs ont déjà fortement diminué, ne dépassant plus désormais les 13 000 couples, selon les dernières évaluations…

L. V.

Et pour en savoir plus, n’hésitez-pas à visionner ce très beau film de Pierre Meynadier, qui date déjà de quelques années (2012), intitulé Marius Gandolfi, le gabian…

Rats de Marseille : il court, il court le furet…

29 octobre 2022

C’est Aïcha Guedjali, conseillère municipale de Marseille, déléguée à la lutte contre l’habitat insalubre et les nuisibles, qui l’a annoncé sur Twitter, information largement relayée notamment par 20 minutes et France 3 : la Ville va recourir aux services de furets pour compléter sa panoplie de moyens permettant de venir à bout des rats qui pullulent dans la cité phocéenne. Car dans l’imaginaire collectif, les rats que l’on croise assez fréquemment dans les couloirs du métro ou près des amoncellements de poubelles qui caractérisent certains coins de trottoirs marseillais rappellent de mauvais souvenirs dont celui de la dernière grande peste, celle de 1720, qui avait occis près de la moitié des habitants de la ville.

Un rat sur le paillasson : ces voisins dont on se passerait volontiers… (photo © Bruno Souillard / MaxPPP / France 3)

Pourtant le rat, comme l’homme n’est pas directement responsable de la peste mais en est la première victime. Le bacille de la peste, découvert en 1894 par Alexandre Yersin, est transmis au rat par des puces, lesquelles se résolvent parfois à piquer aussi des humains lorsqu’elles ne trouvent plus de rats à portée de mandibule. Mais ces puces ne sont véhiculées que par le rat noir, l’antique rat des greniers. Or ce dernier a désormais quasiment disparu des grandes agglomérations où il a été entièrement remplacé par son cousin, le rat des villes, le surmulot, qui vit principalement dans les égouts, comme le détaille le spécialiste, Pierre Falgayrac, dans son ouvrage très documenté intitulé Des rats et des hommes : L’histoire d’une cohabitation forcée, les moyens d’une lutte raisonnée (éd. Hyform, 2013). Il y martèle ce message qui vient à l’encontre de bien de nos idées reçues : « Les rats ne sont pas du tout dangereux ! Ce sont des animaux craintifs qui préfèrent fuir qu’attaquer. Ils passent entre la moitié et les trois-quarts du temps dans leur terrier. Lorsqu’ils sortent la nuit, c’est pour manger, boire ou ronger, car leurs incisives sont à croissance continue »

Naturellement plutôt craintif, le rat sort rarement de son trou… (photo © Jans Canon / Flickr / L’Express)

Et d’ailleurs, selon lui, les rats ne sont pas plus nombreux à Marseille qu’à Paris, Lyon ou Toulouse. On compte généralement dans les grandes agglomérations entre 1 et 1,5 rat par habitant mais ces rats vivent principalement dans les galeries des égouts et c’est d’ailleurs là que réside le principal risque d’attraper la leptospirose, une maladie liée à une bactérie présente dans l’urine des rats et qui a touché un peu plus de 600 personnes en France en 2019. Il y aurait donc un bon million de rats à Marseille et les opérations de dératisation se font principalement dans les égouts par la SERAMM, au moyen d’appâts empoisonnés.

La sortie des égouts : un passage à risque pour le surmulot (source © Sortir à Paris)

En cas d’inondation, on voit d’ailleurs les rats venir se réfugier en surface et on a alors l’impression que la ville est envahie. Les travaux en voirie ont aussi tendance à déranger les rats et les poussent hors de leurs refuges habituels. Le fait que les rats ont besoin de ronger fréquemment pour réguler la croissance de leurs incisives est également très mal vu car en dehors de l’acier et du béton, rien ne résiste vraiment, et surtout pas les fils électriques apparents ou enterrés que les rats grignotent au passage en creusant leur terrier. Le 17 juillet 2014, un TER est ainsi venu percuter un TGV à Denguin, dans le Béarn, suite à un dysfonctionnement des feux de signalisation dont les fils avaient été rongés puis mis en contact par un couple de rats bricoleurs… Et l’on accuse de même des rats d’être responsables de la paralysie du système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon en mars 2013…

Les poubelles qui débordent dans les rues : des offrandes pour attirer les rats ! (source © Sud Radio)

Les rats sortent principalement la nuit pour chercher à manger et c’est pour cette raison qu’on ne les croise malgré tout pas si souvent, mais s’ils sont aussi visibles à Marseille, c’est principalement du fait des incivilités et de cette mauvaise habitude locale qui consiste à jeter ses détritus par terre et à laisser les déchets s’amonceler sur le trottoir autour des poubelles. On constate d’ailleurs que la mise en place de containers à déchets sous forme de bacs enterrés est un remède particulièrement efficace contre la prolifération des rats dont les populations se régulent naturellement en fonction des quantités de nourriture disponible.

Boîte à appât utilisée en dératisation (source © Info Rongeurs)

La Ville de Marseille procède quotidiennement à des opérations de dératisation dans l’espace publique en mettant en place des appâts empoisonnés et en rebouchant les orifices par lesquels les rats arrivent à pénétrer. Mais de telles pratiques sont plus difficiles à mettre en œuvre dans les jardins publics où les rats adorent creuser leurs galeries et venir se repaître des restes du goûter que les petits Marseillais auront jeté négligemment à côté de la balançoire.

D’où l’idée de recourir au furet pour chasser les rats de ces endroits sans pour autant laisser traîner en pleine nature des appâts empoisonnés qui pourraient faire des dégâts collatéraux. Le principe n’est pas nouveau et l’éleveur du Gers, à qui la Ville a fait appel, Alexandre Raynal, est déjà intervenu dans d’autres Villes, à Toulouse, Limoges, Vitry-sur-Seine, Montreuil ou Vincennes notamment avec ses 25 petits furets au doux nom de Prune, Mûre ou Blanco. Ce sont d’ailleurs principalement des femelles qui sont utilisées pour cette chasse aux rats car leur corps plus svelte leur permet de se glisser adroitement dans les galeries où elles adorent se faufiler.

Le furet, un appréciable chasseur de rats… (source © Le guide du furet)

Ces animaux subissent un dressage, non pas pour leur apprendre à chasser, ce qu’ils font d’instinct, mais pour les inciter à revenir ensuite auprès de leur propriétaire, ce qui est nettement moins naturel, leur tendance étant plutôt de se rouler ensuite en boule au fond d’une galerie pour y piquer un petit roupillon, sachant qu’un furet dort facilement 18 heures par jour…

Alexandre Raynal, l’éleveur de furets adepte de la chasse aux rats, ici à Toulouse en décembre 2021 (source © Actu.fr)

En fin de compte, c’est surtout l’aspect répulsif du furet qui est utilisé pour effrayer les rats et les pousser à sortir de leur cachette pour venir se jeter dans un filet qu’Alexandre Raynal tend en surface pour les récupérer au passage et les jeter dans un bidon où ils seront ensuite euthanasiés au gaz carbonique. En une demi-heure, il a pu ainsi attraper pas moins de 63 rats dans un jardin public de Toulouse ! A Marseille, l’expérience débutera en décembre et devrait concerner plusieurs parcs particulièrement fréquentés par les rongeurs. L’avenir des rats marseillais est en train de s’assombrir…

L. V.

Eau contre pétrole : le projet fou de Saint-Chamas…

4 octobre 2022

C’est Marianne qui vient de rendre public ce projet élaboré en toute discrétion et qui aurait déjà fait l’objet d’au moins deux réunions au sommet, à l’initiative de son promoteur, Xavier Houzel, négociant international d’hydrocarbures et longtemps aux manettes de la seule entreprise française indépendante de trading pétrolier, Carbonaphta. En mars 2022, il organisait en catimini une réunion à l’Élysée avec les principaux conseillers économiques d’Emmanuel Macron et en juin, au lendemain des élections présidentielles, il obtenait en quelques jours seulement un rendez-vous avec Thomas Tardiveau, à peine nommé conseiller technique électricité au cabinet de la toute nouvelle ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Xavier Houzel, spécialiste du négoce international d’hydrocarbures (source © Trilogues)

Quel était donc l’objet de ces conciliabules manifestement de première importance ? Un projet un peu fou qui consiste à troquer contre du gaz ou du pétrole dont la France a bien besoin, de l’eau qu’elle aurait en excès. Et pas n’importe quelle eau : celle de la Durance qui approvisionne déjà via le Canal de Marseille et le Canal de Provence, une bonne partie de la région PACA et toute l’agglomération marseillaise. Mais rappelons que le barrage de Serre-Ponçon, qui barre depuis 1959 le lit de la Durance un peu en aval de sa confluence avec l’Ubaye, constitue aussi le point de départ d’un canal de 250 km qui achemine de l’eau non seulement pour l’irrigation et l’eau potable, mais aussi pour la production hydroélectrique. On dénombre ainsi pas moins de 15 centrales hydroélectriques le long de ce canal, totalisant une puissance cumulée de 2000 MW, dont 360 pour celle de Serre-Ponçon, la plus importante, et 153 pour celle qui est située à l’extrémité aval du canal qui se rejette dans l’étang de Berre, sur la commune de Saint-Chamas.

Canal EDF entre Manosque et La Roque d’Anthéron(photo © Nicolas Janberg / Structurae)

Un aménagement industriel parfaitement huilé et d’une remarquable efficacité, mais dont les impacts sur les milieux naturels sont loin d’être négligeables, comme le relève depuis des années le GIPREB qui tente, tant bien que mal, de préserver la qualité des eaux de l’étang de Berre… La France a d’ailleurs été condamnée en 2004 à cause des rejets excessifs d’eau douce et de limons en provenance de la Durance qui se déversent directement dans l’étang de Berre, une lagune dont le milieu naturel a été totalement modifié et dont la biodiversité initiale a été entièrement bouleversée. Sous la menace d’une astreinte financière significative, EDF a finalement été contraint de réduire les quantités d’eau et de limons ainsi prélevés sur la Durance et rejetés dans l’étang de Berre. La capacité de prélèvement qui est de 4 milliards de m3 par an a ainsi été réduite à 1,2 milliards, sachant que le rythme actuel est plutôt de l’ordre de 950 millions de m3, et peut même tomber à moins de 600 les années de forte sécheresse comme en 2019 ou 2022.

En matière d’exploitation de la ressource en eau, il ne suffit pas en effet d’investir massivement, mais il faut aussi respecter les potentialités du milieu naturel. Or le changement climatique se traduit par une raréfaction de la ressource en eau issue des glaciers alpins, tandis que les milieux lagunaires comme l’étang de Berre supportent de moins en moins ces apports d’eau douce qui détruisent son écosystème naturel. Mais ce n’est ce genre de considération qui anime notre expert en négoce international d’hydrocarbures Xavier Houzel. Ce dernier a seulement retenu que le canal EDF rejette en pure perte des millions de m3 d’eau douce de qualité prélevée dans la Durance et que la France pourrait avoir intérêt à exporter cette eau vers des pays qui ont en bien besoin ! Rappelons au passage que les besoins en eau d’une ville comme Marseille ne représentent qu’à peine 5 % de ce volume colossal d’eau potable ainsi rejeté par le canal EDF…

Centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, à l’extrémité aval du canal EDF qui se jette dans l’étang de Berre (photo © EDF / Gomet)

Il prévoit ainsi de faire partir quotidiennement 19 tankers de 200 000 m3 depuis le port de Fos et 48 de 80 000 m3 depuis celui de Lavéra à Martigues, tous chargés à ras bord d’eau de la Durance, soit près de 3 milliards de m3 d’eau douce prélevée dans le bassin versant de la Durance et exportée à l’autre bout de monde, permettant ainsi à EDF de turbiner toute l’année au maximum de ses capacités. Bien entendu, l’eau est considérée comme un bien commun, indispensable à la vie, et il n’est pas très moral d’en faire ainsi une source de business international. Mais en grand philanthrope qu’il est, Xavier Houzel prévoir simplement d’en faire du troc et de l’échanger avec les pays qui en ont besoin, contre du coton par exemple, ou de préférence du gaz ou du pétrole, ce qui pourrait intéresser des partenaires comme l’Iran ou Israël.

Bien entendu, le projet ne tient aucun compte de l’impact que pourrait avoir un tel prélèvement sur le fonctionnement naturel de nos cours d’eau. Prélever ainsi des milliards de m3 d’eau n’est jamais sans incidence, même dans un pays au climat tempéré qui ne manque pas de ressources en eau. L’eau de fonte des glaciers qui donne l’impression de s’écouler en pure perte vers la mer contribue à la biodiversité et à l’équilibre écologique des cours d’eau et des milieux aquatiques mais aussi à la recharge des nappes souterraines dont on retire désormais une part importante de nos ressources en eau potable car elles sont un peu mieux préservées de la pollution que l’eau de surface…

Tracé du canal EDF entre le barrage de Serre-Ponçon et l’étang de Berre (source © L’étang nouveau)

Certes, ce projet met en avant l’impact positif qu’aurait cet export sur la qualité de l’étang de Berre actuellement gravement perturbé par les apports massifs d’eau douce et de limons de la Durance. Mais il passe totalement sous silence une alternative portée depuis des décennies par d’autres acteurs et qui vise justement à mieux valoriser ces rejets tout en limitant leur impact écologique. Il faudrait pour cela prolonger le canal EDF pour qu’il se rejette non pas dans l’étang mais dans le Rhône après avoir irrigué au passage la plaine de la Crau. Trois députés locaux ont d’ailleurs déposé en 2020 un rapport parlementaire qui détaille différentes propositions en vue de réhabiliter l’étang de Berre, parmi lesquelles figure ce projet de dérivation.

Christophe Béchu (au centre) en visite sur l’étang de Berre le 29 septembre 2022, à côté de Bérangère Couillard et de Martine Vassal (photo © Stéphane Guéroult / La Provence)

Le nouveau ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est d’ailleurs déplacé sur site le 29 septembre 2022, en compagnie de sa secrétaire d’État en charge de l’écologie, Bérangère Couillard, pour examiner ces différentes options. Une dérivation des eaux du canal vers le Rhône permettrait également de maximiser la production hydroélectrique et l’exploitation des ressources en eau tout en réduisant fortement l’impact de cet usage sur les milieux naturels. Mais le coût du projet est estimé à plus de 2 milliards d’euros. On ne parierait donc pas qu’il puisse tenir la corde face à la solution aussi simpliste que brutale proposée par Xavier Houzel : que pèse le respect de notre environnement quand le commerce international nous tend ainsi les bras ?

L. V.