Archive for août 2022

Un barrage pour fermer la Méditerranée ?

31 août 2022

Le détroit de Gibraltar, c’est cette porte étroite ouverte entre le Maroc et l’Espagne, par laquelle les eaux de l’Atlantique communiquent avec celle de la Méditerranée. Connue sous le nom de Colonnes d’Hercule dans l’Antiquité, elle doit son nom actuel à une déformation de l’Arabe Djebel Tariq, autrement dit, la montagne de Tariq, en référence au général Tariq ibn Ziyad, ce stratège militaire berbère qui, en avril 711, fit traverser ses troupes omeyyades pour partir à l’assaut de la péninsule espagnole.

Les côtes marocaines vues depuis le littoral espagnol à Gibraltar (photo © Pierre-Philippe Marcou / AFP / France TV info)

Large tout juste de 14 km dans sa partie la plus étroite, mais profond d’environ 800 m, ce détroit s’est ouvert il y a seulement 5,3 millions d’années, à la faveur d’une faille sismique qui s’est peu à peu élargie entre la plaque ibérique et le nord de l’Afrique. Il y a un peu moins de 6 millions d’années, à la fin du Miocène, la mer Méditerranée s’était en effet progressivement asséchée, sous l’effet conjugué de l’émergence d’un arc volcanique et de la glaciation alors en cours. Les apports d’eau des principaux fleuves méditerranéens (le Nil, le Rhône et le Pô notamment) étant insuffisants pour compenser l’évaporation de la Méditerranée, le niveau de celle-ci va baisser d’environ 1500 m ! Les cours d’eau côtiers voient leur lit s’inciser de plus en plus profondément, créent progressivement de véritables canyons à leur embouchure, dont les calanques sont les vestiges actuels.

A la fin du Miocène, la réouverture du détroit de Gibraltar se serait traduite par le déferlement assez brutal des eaux de l’Atlantique dans la Méditerranée alors quasi totalement asséchée et recouverte d’épaisses couches de sel. Une belle chute d’eau comme en rêvent tous les concepteurs d’ouvrages hydroélectriques ; Et d’ailleurs, justement, dès 1928, l’architecte allemand Herman Sörgel, projetait très sérieusement d’édifier un immense barrage hydroélectrique de 35 km de long et 300 m de hauteur à l’emplacement du détroit de Gibraltar, pour créer une dénivelée entre les deux masses d’eau et produire du courant.

Croquis du projet Atlantropa avec ses principaux ouvrages imaginés par l’Allemand Herman Sörgel (source © La marmite du 20e siècle)

Son idée, très utopique, était non seulement de fournir de l’électricité mais de baisser ainsi artificiellement le niveau de la Méditerranée, d’environ 100 m dans sa partie occidentale et même de 200 m dans sa partie orientale, grâce à deux autres ouvrages, également sources de production hydroélectrique, l’un formant un seuil entre la Sicile et les côtes tunisiennes, et l’autre barrant le détroit des Dardannelles pour retenir l’eau de la mer de Marmara. Un projet totalement pharaonique, baptisé du nom d’Atlantropa et que Sörgel défendra avec beaucoup d’enthousiasme jusqu’à sa mort en 1952, qui se serait traduit par l’assèchement de plus de 660 000 km² de terres ainsi gagnées sur la mer, soit plus que la superficie totale de la France.

Herman Sörgel avait pensé à tout, même à creuser un canal artificiel permettant de relier Venise, désormais loin dans les terres, ou à prolonger le canal de Suez autant que nécessaire. Il avait même prévu de doubler ce projet d’un gigantesque barrage hydroélectrique sur le fleuve Congo pour développer en parallèle ce continent désormais rendu plus accessible. Effrayé par la montée du nazisme et face à l’impuissance de la Société des Nations à réguler les conflits naissants, son idée était de rapprocher les pays européens (avec leurs possessions coloniales africaines d’alors) dans une communauté de destin liée à la mise en œuvre et à la gestion (par un organisme supranational) de ce vaste projet. Sörgel avait ainsi calculé que la construction du supercontinent nouveau exigerait de chaque membre de tels investissements que ces derniers n’auraient plus assez de moyens pour financer une guerre. Et en cas de menace d’un des pays membre, il suffirait pour le calmer de lui couper l’alimentation en électricité depuis la centrale de Gibraltar : redoutable !

Curieusement, les pays européens n’ont pas mis en œuvre le projet de Sörgel et ont préféré se faire la guerre… Mais voilà que l’idée d’ériger un barrage à Gibraltar revient sur le tapis, justifiée désormais par la montée du niveau des mers ! Aux dernières nouvelles, en 2016, le niveau de la Méditerranée s’était déjà élevé de 16 cm depuis le début du XXe siècle, et celui de l’Atlantique d’environ 31 cm, mais le mouvement est en train de s’accélérer et on s’attend désormais sur les côtes méditerranéennes à une élévation d’environ 30 cm d’ici 2050 et au moins 60 cm voire 1 m d’ici la fin du siècle…

Le détroit de Gibraltar vu du ciel (source © Article 19)

De quoi inquiéter sérieusement les populations des villes côtières qui se retrouvent ainsi exposées à une érosion accrue à chaque nouvelle tempête. Chacune entreprend ainsi des travaux de plus en plus titanesques, érigeant pour se protéger des digues toujours plus hautes, des épis en enrochements et même, comme à Venise, des systèmes de portes pour se protéger de la mer. Une course contre la montre aussi coûteuse que vaine, que certains imaginent donc désormais de remplacer par des investissements communs, un peu comme l’avait proposé Herman Sörgel en son temps…

Et l’on voit donc resurgir l’idée d’un barrage à Gibraltar, pour protéger de manière globale la Méditerranée contre l’élévation du niveau moyen des océans. C’est notamment le biologiste marin, Alexandre Meinesz, qui, dans son dernier ouvrage intitulé Protéger la biodiversité marine, publié aux éditions Odile Jacob, s’inquiète des effets dévastateurs sur la flore et la faune méditerranéenne de l’augmentation de la température mais aussi de l’acidité de l’eau, sous l’effet de nos émissions de gaz à effet de serre.

Alexandre Meinesz et son dernier ouvrage (source © Twitter / La Terre au Carré)

Il propose, pour y remédier, d’édifier en travers du détroit de Gibraltar un barrage muni d’écluses pour la navigation, afin de réguler les apports de l’Atlantique de manière à compenser l’évaporation tout en maintenant le niveau de la Méditerranée à celui du siècle dernier, c’est à dire 20 cm en dessous de sa cote actuelle. Le raisonnement n’est pas absurde puisque cela permettrait d’économiser d’innombrables ouvrages de protection disséminés tout le long du littoral et sans cesse rehaussés dans une course perdue d’avance contre le réchauffement climatique. Il faudrait d’ailleurs prévoir aussi un dispositif similaire au niveau du canal de Suez pour limiter l’intrusion des eaux de la mer Rouge.

Ha-Phong Nguyen a planché pendant son master sur la faisabilité d’un barrage à Gibraltar (source © EPFL)

En 2014, un jeune élève-ingénieur de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, Ha-Phong Nguyen, a étudié la faisabilité d’un tel projet, prévoyant d’implanter un barrage dans la partie la moins profonde du détroit de Gibraltar, longue de 27 km et qu’il suffirait de fermer partiellement pour maintenir le niveau actuel de la Méditerranée malgré l’élévation attendue de l’Atlantique, tout en laissant le passage sur 1 km pour la navigation et la faune marine. Cerise sur le gâteau, l’ouvrage permettrait, en accélérant les courants, de produire autant d’électricité qu’une petite centrale nucléaire…

Un projet repris en 2016 par Jim Gower, de l’Institut des sciences de la mer du Canada, qui publiait dans la revue Natural Hazards le fruit de ses études, estimant le coût d’un tel ouvrage de 25 km de long, implanté à 284 m sous la mer, à la bagatelle de 45 milliards d’euros.

Exemples de réalisations actuelles de plus de 30 km de long dont s’est inspiré l’étude sur la fermeture de la mer du Nord, respectivement en Corée du Sud et aux Pays-Bas (source © Bull. of the American Meteorological Society)

De quoi titiller l’esprit inventif de nos voisins hollandais toujours à l’affût d’un projet d’aménagement hydraulique et inciter le docteur Sjoerd Groeskamp, océanographe à l’Institut royal néerlandais pour la recherche en mer, à publier en février 2020 avec son collègue suédois Joakim Kjellson de GEOMAR, dans le Bulletin of the American Meteorological Society, une étude imaginant cette fois la construction de 2 barrages : l’un de 161 km de long entre les côtes bretonnes et le sud de l’Angleterre, et l’autre de 475 km entre le nord de l’Écosse et les côtes norvégiennes. Ces ouvrages permettraient d’empêcher l’élévation du niveau de la mer du Nord et de protéger ainsi les côtes, souvent très urbanisées, de tous les pays concernés, pour la modique somme de 250 à 500 milliards d’euros, soit à peine 0,1 % du PNB de l’ensemble de ces pays sur 20 ans : qui a dit que l’adaptation au changement climatique allait nous coûter cher ?

L. V.

Exploration spatiale : une image piquante…

29 août 2022

Nos capacités d’investigation de l’espace céleste ne cessent de se développer et notre connaissance de l’immensité intergalactique progresse à grands pas, comme l’évoquait encore récemment la conférence de Jacques Boulesteix le 27 juin dernier. La capacité des sondes spatiales et la résolution des télescopes géants installés dernièrement dans le désert d’Atacama ont permis de repousser de manière extraordinaire les limites de notre vision de l’espace et d’obtenir des clichés d’une extrême précision et parfois d’une lumineuse beauté de notre environnement stellaire.

C’est ainsi que le 31 juillet 2022, le scientifique reconnu Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, fondateur et directeur depuis 2006 du Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière au CEA, à ses heures perdues professeur de physique quantique à l’École Centrale de Paris, et animateur d’un blog sur la vulgarisation scientifique, a diffusé sur son compte Twitter un cliché fabuleux de l’étoile Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du soleil, située à la bagatelle de 4,2 années lumière de la Terre.

Le physicien et philosophe des sciences, Étienne Klein (photo © Gérard Cambon / SIPA / Sciences et Avenir)

Cette photo d’une grande netteté et d’une esthétique troublante, est présentée comme prise par le télescope de la NASA James Webb, lancé fin 2021 pour prendre la suite du télescope spatial Hubble, avec des capacité d’investigation accrue dans le domaine de l’infrarouge, et dont les premiers clichés sont justement rendus publics en ce mois de juillet 2022. Le grand physicien Étienne Klein commente d’ailleurs avec délectation cette image fabuleuse de Proxima du Centaure, s’émouvant de « ce niveau de détails » et s’extasiant devant « ce nouveau monde qui s’ouvre à nous ».

Un extrait du compte Twitter d’Étienne Klein à la date du 31 juillet 2022 (source © RTL)

Sauf qu’en fait d’étoile Proxima du Centaure, le cliché en question ne représente pas exactement le dispositif stellaire voisin de notre propre système solaire mais plus prosaïquement une… vulgaire tranche de chorizo. C’est Étienne Klein lui-même qui s’est senti obligé de faire ce rectificatif dès le lendemain après avoir constaté que son cliché avait été repris et diffusé par de nombreux médias, guère préoccupés par le souci de vérifier leur sources, et était en train de faire un tabac sur les réseaux sociaux…

Il était donc urgent de rectifier le tir et de reconnaître que tout ceci n’était qu’un canular un brin potache, ce que le philosophe des sciences a fait avec toute la pédagogie qui le caractérise, précisant à l’attention de ses lecteurs que, bien entendu « nul objet relevant de la charcuterie espagnole n’existe ailleurs que sur Terre ». Cela méritait en effet d’être noté car plus d’un lecteur du Tweet original s’était fait berné par la nature de cette image présentée pour tout autre que ce qu’elle représentait réellement.

Le vulgarisateur scientifique qu’est Étienne Klein en a d’ailleurs profité pour rappeler aux internautes un peu trop crédules ou simplement distraits ce conseil jamais inutile : « Apprenons à nous méfier des arguments d’autorité autant que de l’éloquence spontanée de certaines images ». Reconnaissons en effet que, présenté ainsi, cette banale photo d’une tranche de chorizo, que n’importe quel enfant de 7 ans, pour peu qu’il soit amateur de charcuterie espagnole, identifierait immédiatement comme tel, passe aisément, avec un minimum d’enrobage scientifique comme Étienne Klein a su le faire, pour un magnifique cliché de la NASA pris à des années lumières de nous : la magie de l’imagination humaine sans doute…

L. V.

Les Français, ignares en matière de changement climatique ?

27 août 2022

En matière de politique publique, l’adhésion des populations est un point essentiel, surtout dans un pays comme la France qui se targue de démocratie et où la mauvaise humeur du peuple a plus d’une fois conduit nos responsables politiques à une piteuse reculade, voire à une fuite éperdue lorsque la révolte devenait trop violente…La crise des gilets jaunes, fin 2018, tout comme celle des bonnets rouges en 2013, sont là pour nous rappeler que l’esprit insurrectionnel n’est jamais très loin lorsque le gouvernement s’attaque à certains sujets qui fâchent.

Manifestation des Gilets Jaunes à Paris le 1er décembre 2018 (photo © AFP / La Dépêche)

C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique l’extrême prudence de nos dirigeants, voire leur frilosité que beaucoup jugent excessive, à imposer des mesures qui permettraient de lutter plus efficacement contre l’aggravation du changement climatique et ceci malgré l’urgence de la situation. L’été 2022, comme plusieurs autres ces dernières années, vient pourtant encore nous rappeler que le réchauffement climatique global n’est pas qu’une lubie de spécialiste mais a des effets désormais bien visibles sur notre vie quotidienne.

En juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 personnes tirées au sort dans un échantillon représentatif de la population française, avait mené à bien un travail intense de débats et de réflexion et établi une série de 149 propositions de bon sens, destinées à adapter nos modes de consommation, de production, de déplacement, de nourriture et de logement, en vue de limiter notre impact climatique et se donner une chance de ne pas trop dépasser les seuils au-delà duquel on sait d’ores et déjà que le réchauffement global risque de conduire au chaos généralisé.

Intervention d’Emmanuel Macron lors de la Convention citoyenne pour le climat (photo © Lemouton / SIPA / 20 minutes)

Mais le gouvernement, qui s’était engagé à ce que ces propositions soient soumisse « sans filtre » à adoption directe ou à référendum, s’est bien vite empressé de remiser ce brûlot au fond d’un placard, estimant manifestement que l’opinion publique n’était pas prête à mettre en œuvre des mesures pourtant identifiées comme nécessaires par un groupe de citoyen lambda pour peu qu’il prenne la peine de creuser un minimum le sujet.

De fait, une étude récente, publiée le 27 juin 2022 par l’OCDE, vient conforter cette impression que la population française dans son ensemble est loin d’être convaincue par la nécessité de prendre des mesures volontaristes pour tenter de réduire enfin nos émissions de gaz à effet de serre. Certes, les pseudo-scientifiques climato-sceptiques à la Claude Allègre ont désormais quasiment disparu du paysage médiatique et les médias eux-mêmes peuvent difficilement se voir reproché de ne pas en faire assez sur le problème de la perte de biodiversité et sur les effets délétères du changement climatique.

Comment concilier politiques climatiques et justice sociale ? Un dessin signé Notto

Cette vaste enquête de l’OCDE a été menée auprès de plus de 40 000 citoyens du monde entier, issus de 20 pays différents, les plus concernés puisque émettant à eux seuls de l’ordre de 72 % des gaz à effet de serre de la planète. Et ses résultats sont assez consternant pour les Français qui se classent parmi les plus climato-sceptiques, au-delà même des États-Unis ou de l’Australie. Malgré tout le battage médiatique auquel nous sommes soumis, seule une petite moitié des Français (57 %) se dit effectivement persuadée de l’existence d’un lien entre le réchauffement climatique observé et l’activité humaine ! Pire encore, 12 % des Français se disent même convaincus que le réchauffement climatique est une pure chimère… Par comparaison, 84 % des Chinois et des Japonais ont parfaitement intégré ce lien entre activité humaine et changement climatique, de même que 80 % des Espagnols et des Anglais. En France, manifestement, la vulgarisation des sujets scientifiques a encore des marges de progression…

Selon cette enquête, plus de 80 % des Français ont bien intégré que le réchauffement climatique allait se traduire par une aggravation des périodes de sécheresse et une montée du niveau de la mer, même si cette proportion est plutôt de l’ordre de 90 % dans bon nombre de pays, voire supérieure en Indonésie par exemple. Mais curieusement ils ne sont pas moins de 63 % à penser que ce changement climatique est lié à des éruptions volcaniques plus fréquentes ! Force est de constater que la plupart des Danois, des Allemands ou même des Sud Coréens sont, ce ce point de vue, nettement moins crédules que nous…

Des stratégies personnelles liées à une mauvaise compréhension des mécanismes du changement climatique… Un dessin signé Wingz

Quant à déterminer les facteurs qui permettent de caractériser la source des gaz à effets de serre (GES) responsable de ce changement climatique, les Français sont systématiquement ceux des pays développés qui fournissent le plus fort taux de mauvaises réponses. Ainsi ils ne sont que 72 % à avoir intégré que produire de la viande de bœuf émet davantage de GES que produire des pâtes ou du poulet. Seuls 62 % des Français interrogés sont en capacité d’affirmer que l’empreinte environnementale de l’avion est supérieur à celle du train ou du bus. Et seuls 50 % ont compris que l’émission de GES de l’énergie nucléaire était inférieure à celle du gaz ou du charbon : étonnant dans un pays champion du monde du recours à l’électricité d’origine nucléaire et dont le gouvernement se bat pour tenter d’imposer cette réalité à ses voisins européens…

Dans un autre registre, un Français sur deux ignore que les USA sont le pays du monde qui émet le plus de GES par tête d’habitant et 40 % d’entre eux ne savent pas que c’est la Chine qui est le plus gros émetteur mondial de GES. Un niveau d’information aussi faible sur un sujet dont on nous rebat pourtant les oreilles à longueur de journée interroge de fait sur la capacité de notre pays à prendre les décisions qui s’imposent en la matière et surtout à les faire accepter par l’opinion publique. Nombre de scientifiques se sont d’ailleurs émus de ce constat, parmi lesquels François Gemenne, spécialiste des questions de migrations environnementales et climatique qui déplore qu’en France, la science soit devenue « affaire de croyance et d’opinion politique, ce qui est dramatique pour la démocratie ».

Toute l’ambiguïté de la lutte contre le changement climatique, un dessin d’Alexandre Magnin

Pas très rassurant en effet quant à l’acceptation collective de politiques publiques plus volontaristes en matière environnementale, d’autant que, sur ce point, les Français rejoignent les autres, comme le souligne l’OCDE qui constate que « dans tous les pays, le soutien aux politiques climatiques dépend des perceptions des citoyens concernant trois facteurs clés : l’efficacité perçue des politiques en matière de réduction des émissions, leur impact distributif présumé sur les ménages à faibles revenus (préoccupations en matière d’inégalité), et leur impact direct anticipé (gains et pertes) sur le revenu disponible du ménage ». Autrement dit, chacun est d’accord pour s’investir mais à condition que cela soit efficace, que l’effort soit équitablement réparti et que les conséquences sur son pouvoir d’achat et son niveau de confort personnel soit minimes. Une équation pas si facile à résoudre…

L. V.

Sécheresse et canicule : mieux vaut en rire…

25 août 2022

L’été 2022, tout comme celui de 2018 dernièrement, restera dans les annales pour ces périodes successives de canicule, ces incendies de forêts spectaculaires, y compris dans des régions de l’hexagone habituellement épargnées, ces fontes de glaciers et ces inondations brutales, de quoi convaincre les derniers sceptiques que les effets du changement climatique ne sont pas seulement une chimère de scientifique en mal de notoriété. Et encore, l’été est loin d’être terminé…

Canicule et sécheresse auront en tout cas bien alimenté nos médias ces derniers mois, et abondamment inspiré les dessinateurs de presse talentueux qui ont l’art de mettre en perspective les événements les plus dramatiques, partant du principe qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer : petit florilège…

L. V.

Canicule : une opportunité pour les affaires… Un dessin signé Ganaga (source © Blagues et dessins)
Sécheresse : le drame des agriculteurs… Un dessin signé Kavar (source © Pinterest)
Un été marqué par la canicule et des feux de forêts sur tout le territoire : un dessin signé Bauer (source © Le Progrès)
Et pendant ce temps, les glaciers alpins continuent à fondre… Un dessin signé Pitch (source © Twitter)
Attention aux personnes vulnérables : humour noir signé Chimulus (source © Urtikan)
Même l’actualité judiciaire est suspendue à la météorologie… Un dessin signe Alex (source © L’Union)
Les médias n’en font-ils pas un peu trop parfois ? Un dessin signé Tesson
Heureusement, le Chef de l’État est particulièrement investi… Un dessin signé Man (source © Fidjie Fidjie)
Le bon côté de la canicule, en attendant pire… Un dessin de Patrick Chapatte

Isowat : c’est la ouate qu’ils préfèrent…

23 août 2022

Pendant (trop ?) longtemps, les Français, comme du reste une bonne partie des pays occidentaux, ont trouvé bien commode d’expédier à l’autre bout du monde les matériaux recyclables issus du tri (plus ou moins) sélectif de nos déchets, tout en important massivement l’essentiel de nos produits de consommation, désormais fabriqués quasi exclusivement dans les pays asiatiques à faible coût de main d’œuvre.

Un dessin de Patrick Chapatte, à la sauce française… (source © China Hegemony)

Sauf que la Chine ne veut plus servir de poubelle du monde et refuse désormais d’importer la plupart de nos déchets. Et sauf que ce modèle de partage à l’échelle mondiale entre ceux qui produisent et ceux qui consomment, a atteint ses limites. La pandémie de Covid19 a fait prendre conscience à certains de nos responsables politiques, bien peu clairvoyants jusque-là, à quel point cette dépendance complète de nos approvisionnements même les plus vitaux avait rendu notre pays vulnérable.

Les industriels eux-mêmes commencent à percevoir les dangers d’une telle stratégie de délocalisation à outrance : explosion des contrefaçons, guerre des approvisionnements pour l’accès aux matière premières, difficulté à maîtriser la qualité de production, retard de livraisons, renchérissement et coût écologique considérable du transport massif par porte-containers géants (même si ce poste fait la fortune de certains à l’image de la CMA-CGM et de son patron, Rodolphe Saadé), sans même parler du coût social colossal du chômage de masse qui en résulte en Europe…

La délocalisation, une lubie du capitalisme mondialisé : un dessin du regretté Tignous (source © Agora vox)

Bref, l’heure pourrait être enfin à la relocalisation d’une partie de notre production, en particulier dans le domaine de la transition écologique qui semble un marché prometteur, maintenant que l’on commence (enfin !) à prendre conscience de la nécessité et de l’urgence de prendre des mesures pour réagir contre ce fléau provoqué par l’Homme.

L’isolation thermique des bâtiments constitue, de ce point de vue, une incontestable priorité, justifiée non seulement par l’importance de son impact sur le réchauffement climatique mais aussi par la nécessité d’économiser nos approvisionnements énergétiques largement importés. Les bâtiments, du fait de la déperdition de leur énergie, constituent en effet dans notre pays la deuxième principale source d’émission des gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique, derrière le transport routier, quand même… Un foyer français consacre en moyenne 60 % de ses dépenses énergétiques pour simplement chauffer et climatiser son logement, ce qui en fait un poste majeur de notre consommation nationale en électricité, gaz, fuel et charbon. Et en ces temps de tension internationale sur le prix des matières premières énergétiques, l’argument économique a souvent plus de poids que celui de l’impact environnemental…

Déperdition thermique : nos maisons largement responsables du réchauffement climatique… (source © La maison Saint-Gobain)

Toujours est-il que les choses bougent (enfin !) sur le front de l’incitation à isoler les bâtiments. Dès le 25 août de cette année 2022, la loi Climat et résilience, adoptée en 2021, interdit désormais d’augmenter le loyer des logements classés dans la catégorie F ou G à l’issue du diagnostic de performance énergétique. A compter du 1er septembre 2022, ce diagnostic, dont les modalités ont été revues, devient obligatoire pour vendre des biens de ce type, considérés comme des passoires thermiques. Et à partir du 1er janvier 2023 il deviendra carrément interdit de mettre en location des logements consommant plus de 450 kWh/m² par an, en énergie finale. Une mesure qui sera étendue à partir de 2025 à l’ensemble des logements de classe G (au delà de 420 kWh/m² par an), puis, à compter de 2028 à ceux de classe F, avant d’être appliquée aussi aux classes E, mais pas avant 2034.

Un dessin signé Erik Tartrais (source © Ville de Saint-Quentin en Yvelines)

La démarche peut paraître particulièrement prudente et progressive mais son impact ne sera pas négligeable et inquiète d’ailleurs fortement les propriétaires, notamment les bailleurs sociaux, qui vont devoir se lancer dans de gros chantiers d’isolation thermique de leur parc. Pour la seule mesure applicable dès 2023, ce sont déjà pas moins de 90 000 logements qui pourraient être concernés en France selon le Ministère, tandis que le nombre de logements actuellement de classe G est estimé à 600 000 (et le double pour ceux de classe F !)…

Isolation de combles à base de ouate de cellulose (source © Isowat Provence / Fundtruck)

Face à de tels enjeux, les industriels s’organisent et on ne peut que saluer, parmi d’autres cette initiative de la société Isowat Provence, créée en 2018 par Cyril Coillot à Aix-en-Provence, un ancien spécialiste de la gestion des déchets chez Veolia. Associé avec un fabricant de savon, il s’est mis en tête de développer un isolant thermique en ouate de cellulose, entièrement à base de matériaux recyclés. Papiers, cartons, journaux et magazines, récupérés dans les poubelles jaunes ou auprès des industriels et commerçants, font l’objet d’un procédé innovant de tri-optique de défibrage qui permet d’obtenir en entrée de processus une matière première de qualité, débarrassée de toute impureté, à partir de déchets ainsi recyclés, le tout en favorisant l’insertion professionnelle, credo des fondateurs de cette jeune start-up.

Isowat Provence, un projet en devenir… ( source © Entrepreneurs pour la Planète)

Celle-ci a bénéficié depuis 2018 d’un soutien par les pouvoirs publics, dont la Région PACA et l’ADEME et est en recherche d’un partenaire industriel pour lancer une première chaîne de fabrication permettant de valoriser localement 8000 tonnes de déchets par an pour produire jusqu’à 600 000 m² de surfaces isolantes, sans consommation d’eau, faisant ainsi d’une pierre plusieurs coups : recyclage de déchets sans les exporter à l’autre bout de la planète, création d’emploi et développement d’une filière de production locale de matériaux biosourcés à faible impact écologique, nécessaires pour accompagner les besoins d’isolation thermique de nos logements. Assurément un beau projet, mais qui reste encore à concrétiser jusqu’au stade industriel : à suivre…

L. V.

Salvador : le mirage du bitcoin ?

20 août 2022

Premier pays au monde à avoir adopté le bitcoin comme devise officielle, en septembre 2021, suivi en avril 2022 par la Centrafrique qui l’a adopté comme monnaie légale aux côtés du franc CFA, le Salvador est peut-être en train de s’en mordre les doigts…

Le symbole du bitcoin sur fond de drapeau salvadorien, une alliance ambiguë… (source © Clubic)

Il faut dire que cette cryptomonnaie, la première à avoir vu le jour, en novembre 2008, à l’initiative d’un certain Satoshi Nakamoto, un avatar dont on ne connaît toujours pas la véritable identité, a connu récemment quelques faiblesses. L’aventure semblait pourtant bien partie et l’idée même des cryptomonnaies, basée sur le principe d’un échange de valeurs totalement décentralisé qui s’affranchit des organismes financiers, paraît séduisante, bien qu’un peu obscure pour le non initié. Tout repose en effet sur un logiciel qui rétribue en bitcoin les « mineurs », des usagers qui mettent à disposition la puissance de calcul de leur ordinateur pour traiter des transactions de manière sécurisée en les inscrivant dans un registre virtuel, la « blockchain » qui permet de retracer chaque mouvement. C’est un peu comme si, sur un billet de banque on pouvait retrouver tout l’historique des utilisateurs qui l’ont eu précédemment en main !

Un des avantages de cette cryptomonnaie est bien sûr de s’émanciper des organismes bancaires, dans une démarche « de pair à pair ». C’est d’ailleurs ce qui a fait son succès initial parmi les utilisateurs du Darknet qui se sont rapidement emparés de cet outil un peu utopique pour s’en servir de monnaie d’échange pour l’achat d’armes, les jeux d’argent et le trafic de stupéfiant, jusqu’à ce que le FBI s’efforce en 2013-14 d’y mettre fin en bloquant le vecteur du marché, Silky road, la Route de la soie du marché noir…

Le bitcoin, une cryptomonnaie aussi mythique que mystérieuse… (source © 123photos / Trust my science)

D’une valeur quasi nulle à sa création, le bitcoin a atteint la parité avec le dollar dès 2011 et a connu depuis une histoire assez mouvementée qui lui a quand même permis d’atteindre en novembre 2021 le niveau record (à ce jour) de quasiment 69 000 dollars ! Sauf que en juin 2022, sa valeur avait été divisée par 4 en quelques mois pour retomber à environ 17 000 $ US… Une valeur assez fluctuante donc, qui dépend uniquement de son usage et des volumes d’échange, sans garantie puisque non liée à un stock physique d’actif traditionnel.

C’est d’ailleurs pour cette raison (et d’autres) que le pari du Salvador d’utiliser le bitcoin comme monnaie officielle a été tant décriée en cette période de chute des cours de la cryptomonnaie. Il faut dire qu’elle repose sur une initiative fortement médiatisée du Président de la République, Nayib Bukele, lui-même assez décrié. Fils d’un homme d’affaire d’origine palestinienne, lui-même ex publiciste et propriétaire d’un magasin de motos, il avait été élu maire de la capitale, San Salvador, en 2015, à tout juste 34 ans, avant de se voir exclu en 2017 de son parti, le Front Farabundo Marti de libération nationale, un ancien mouvement révolutionnaire de gauche, pour avoir lancé une pomme à la tête d’une conseillère municipale !

Nayib Bukele aux côtés de son épouse Gabriela Rodriguez, saluant ses partisans après sa victoire électorale en février 2019 (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Mais qu’à cela ne tienne, Nayib Bukele se présente 2 ans plus tard, en 2019, à la Présidence de la République au nom d’un micro parti conservateur de centre droit et se fait élire à 37 ans à la tête de ce pays de 6,5 millions d’habitant, gangrené par une guerre des gangs de narcotrafiquants qui fait des ravages, en portant un discours populiste axé sur la lutte contre la criminalité et la corruption des élites politiques. Depuis, il gouverne ce pays d’une main de fer en pratiquant une politique ultra-sécuritaire qui lui vaut un taux de popularité record de 80 % en 2020… Il n’hésite pas en février 2020 à faire entrer des soldats en arme dans les travées du Parlement pour intimider les députés qui rechignent à voter un emprunt colossal pour renforcer le budget des forces de l’ordre !

Soldats en armes au Parlement du Salvador le 10 janvier 2020 (photo © Víctor Peña / journal El Faro / Mr Mondialisation)

Son nouveau parti, intitulé justement Nouvelles idées, sort largement vainqueur des élections législatives de février 2021, ce qui permet au jeune président, qui aime à se dépeindre comme « le dictateur le plus cool du monde » de faire le ménage en mettant d’office à la retraite certains juges trop regardant, en arrêtant nombre de parlementaires et anciens ministres peu coopératifs, et en amendant la Constitution pour lui permettre d’enchaîner plusieurs mandats.

Communiquant principalement via les réseaux sociaux, il affirme en janvier 2022 à qui veut l’entendre être persuadé que la valeur du bitcoin atteindra prochainement les 100 000 $, alors même que la cryptomonnaie est en pleine dégringolade. Nayib Bukele n’a pourtant pas ménagé ses efforts pour faire du bitcoin une monnaie phare, annonçant même sur Twitter acheter des bitcoins sur son propre téléphone portable avec l’argent du Trésor national, en espérant fonder un hôpital avec le futurs bénéfices de cette spéculation. Un portefeuille électronique, Chivo wallet, a été créé pour permettre à chaque habitant du pays d’effectuer ses transactions monétaires et financières en bitcoins depuis son smartphone sans passer par le système bancaire, tout en bénéficiant au passage d’une dotation gratuite de 30 $ en bitcoins, histoire d’inciter chacun à utiliser la nouvelle monnaie.

L’arrivée de l’avatar du président Nayib Bukele, mise en scène à la fête des bitcoiners : du grand spectacle ! (photo © Salvador Melendez / AP / Le Grand Continent)

Une gigantesque fête des bitcoiners a même été organisée sur une plage du Salvador, où l’avatar du président est descendu sur la scène dans une soucoupe volante au milieu de lumières et de fumées blanches. L’occasion pour le président d’annoncer en grandes pompes que le Salvador allait émettre des obligations d’une valeur d’un milliard de dollars (les Volcano Bonds), dont la moitié serait utilisée pour acheter des bitcoins, et l’autre moitié pour créer une ville entière en forme de bitcoin, appelée Bitcoin City autour du volcan salvadorien de Conchagua, conçue spécialement pour les mineurs de cette cryptomonnaie.

La fièvre salvadorienne du bitcoin est un peu retombée depuis, du fait de l’effondrement des cours. Si plus de 70 % de la population a bien téléchargé l’application pour récupérer et dépenser les 30 dollars offerts par le gouvernement, la plupart n’ont pas poussé plus loin leur expérience des transactions via la cryptomonnaie. Même pour les transferts de fonds depuis l’étranger de la diaspora émigrée, qui représentent autour de 25 % du PIB salvadorien, seul 1,7 % aurait été fait via le Chivo wallet, alors que c’était un des principaux arguments pour utiliser le bitcoin en limitant les frais de transaction bancaire… La République du Salvador a déjà perdu plus de 40 millions d’euros du fait de la dépréciation récente du bitcoin et le pays se rapproche dangereusement du défaut de paiement.

Le Président de la République du Salvador, twitteur invétéré… (source © Portalcripto)

Le recours au bitcoin, finalement assez marginal, est loin d’être la cause principale de cette dette abyssale du pays mais il ne facilite pas les discussions avec le Fonds monétaire international qui juge que la volatilité excessive de la cryptomonnaie menace la stabilité financière de l’État comme des petits épargnants. Nayib Bukele va devoir twitter frénétiquement pour convaincre ses électeurs de continuer à faire confiance au bitcoin…

L. V.

Mais où sont passées les cigales de Provence ?

16 août 2022

Ah, vous aussi, vous l’avez remarqué ? En ce début de mois d’août pourtant remarquablement ensoleillé, on n’entend guère les cigales à Carnoux-en-Provence et dans les environs. De temps en temps, l’oreille attentive perçoit la stridulation caractéristique d’une cigale mâle (car chez les cigales, contrairement à d’autres espèces, sans vouloir viser personne en particulier, seuls les mâles se font entendre, les femelles étant d’une discrétion absolue…). Mais globalement, nos chaudes après-midi de ce mois d’août sont d’un calme inhabituel : une véritable incitation permanente à la sieste. Mais où sont donc passées les milliers de cigales qui bruissent habituellement dans une cacophonie pittoresque que tous les nordistes nous envient ?

La cigale grise de Provence sur un tronc de pin (source © Quel est cet animal ?)

Encore une fois, le coupable est tout trouvé : le changement climatique ! Comme d’habitude aurait-on presque envie d’ajouter… C’est devenue une vraie litanie, un peu comme le médecin de Molière qui, à chaque symptôme qu’on lui décrit, s’écrit « Le poumon ! ». Mais c’est malheureusement une réalité : le changement climatique est bien la raison principale qui explique que les cigales soient si étrangement silencieuses en cet été provençal.

En cherchant bien, ou pourrait certainement lui trouver un complice, l’autre fléau de nos temps modernes qui est en train de s’allier à son comparse pour donner à notre XXe siècle un petit air d’apocalypse à donner le frisson. Avec le changement climatique, la perte de biodiversité est en effet en train de se rappeler à notre bon souvenir de fourmi besogneuse qui a force de défricher, travailler la terre à coups de pesticides, de construire un peu partout et de creuser ses galeries à travers le monde entier pour y extraire du minerai, du gaz et du pétrole, non seulement a fini par dérégler irréversiblement le climat de la planète, mais est en passe de faire disparaître massivement la plupart des espèces animales et végétales qui la peuplent et dont les habitats naturels se réduisent comme peau de chagrin.

Le traitement des vignobles à coup de pesticides contribue à la perte de biodiversité (photo © Fred Speich / La Provence)

De fait, la disparition progressive des garrigues pour laisser place au béton de nos lotissements et aux plantations de vignes laisse de moins en moins de place aux insectes locaux comme au reste de la faune sauvage en voie de disparition accélérée. Mais dans le cas des cigales, cette menace est encore accrue par l’effet des traitements phytochimiques mis en place pour protéger certaines cultures, en particulier le vignoble attaqué par une cicadelle qui cause la flavescence dorée. Cette maladie, qui connaît depuis les années 1980, une forte recrudescence à caractère pandémique, a conduit les autorités sanitaires à rendre les traitements préventifs obligatoires, sous peine de sanctions ! Des traitements à base de produits chimiques de type pyréthrines et pyréthrinoïdes notamment, mais dont les effets secondaires sur une partie de la faune locale sont terribles, en particulier pour les cigales qui sont justement des cousines éloignées de la cicadelle dorée, des homoptères de la famille des cicadidae, de ces insectes suceurs qui se nourrissent exclusivement de la sève des végétaux avec leur drôle de museau en forme de paille.

Comme chacun sait, sauf peut-être un certain La Fontaine, les cigales passent l’essentiel de leur existence sous terre, à l’état de larve, à se nourrir de la sève des racines de végétaux. Une espèce de cigale américaine, au doux nom de Magicicada septendecim, patiente ainsi jusqu’à 17 ans à manger les pissenlits par la racine avant de voir enfin le jour, de muer rapidement sous les premiers rayons de soleil du mois de mai puis de se reproduire pendant l’été, tout en stridulant joyeusement, produisant un son qui peut atteindre 100 décibels, de quoi rivaliser avec une bonne discothèque. Mais après avoir « chanté tout l’été », la cigale meurt rapidement.

Éclosion en masse de cigales « zombies » aux USA, après 17 ans passés sous terre (source © OVNI-vidéos)

Et il en est de même pour ses cousines provençales, dont on dénombre une bonne quinzaine d’espèces, sur les quelques 4500 dénombrées de par le monde, la cigale étant connue sur Terre depuis pas moins de 365 millions d’années, bien avant l’homme qui n’y est apparu qu’il y a 3 ou 4 millions d’années et qui lui cause désormais tant de souci. Mais pour la cigale grise, la plus commune dans nos contrées, le cycle de vie souterraine est plus court, de l’ordre de 2 à 5 ans, si bien que chaque année des myriades de nouvelles larves de cigales viennent poindre à la surface de la terre au début de l’été, contrairement à ce qu’on observe sur la côte Est des USA notamment où les cigales ne se voient que par cycles, tous les 13 à 17 ans, un peu comme les nuées de criquets.

Exuvie de larve de cigale (photo © Jean-Pierre Lavigne / ONEM)

Mais une fois devenu adulte, le mâle n’a de cesse de se faire entendre pour attirer la femelle à féconder durant leurs quelques semaines de vie adulte qui leur sont accordées. Le terme de stridulation, souvent employé à tort par analogie avec le bruit que fait le criquet en frottant ses élytres, n’est d’ailleurs pas approprié pour la cigale qui rentre plutôt dans la catégorie des joueurs de cymbales. Le ventre du mâle est creux et fait office de caisse de résonance pour les deux grosses écailles qui se déforment, actionnées par l’action des muscles de l’animal, claquant d’un coup sec à chaque fois qu’elles passent de la forme convexe à la forme concave.

Une mécanique de précision mais qui demande, pour une bonne orchestration, de fonctionner à la température idéale pour disposer d’une élasticité adaptée, pas moins de 17 °C, mais pas plus de 36°C non plus. C’est la raison pour laquelle on n’entend pas les cigales les jours de pluie où à la fraîche. Mais c’est aussi pour cette raison qu’elles sont étrangement muettes cette années, durant les périodes de canicules où l’on a vu se succéder des températures extrêmes supérieures à 35°C pendant plusieurs jours de suite.

Une cigale mâle avec son ventre creux servant de caisse de résonance (source © Luberon)

Mais il y a une autre raison à cet étrange mutisme des cigales carnussiennes en ce mois d’août, alors que déboulent les hordes de touristes avide d’entendre leur musique si pittoresque. Du fait du réchauffement climatique, l’éclosion des œufs de cigales se fait désormais 10 à 15 jours plus tôt et c’est tout le cycle qui est en avance. Les larves sortent plus tôt de terre et la période de reproduction, qui incite le mâle à se montrer aussi bruyant pour faire son intéressant, débute donc plus tôt dans la saison. Au lieu de battre son plein pour le 15 août et même jusqu’en septembre, cette année, la fête est déjà finie pour bon nombre de cigales…

A ce compte, c’est toute la Provence qui risque de se retrouver orpheline de ces cigales qui font sa notoriété. On trouve déjà cet insecte de plus en plus au nord jusque dans la Drôme et du côté de Toulouse où il est en train de trouver des conditions climatiques plus adaptées à son mode de vie. Avec la poursuite du changement climatique et l’augmentation de la fréquence des périodes de sécheresse et de canicule qui nous attend, les cigales pourraient très rapidement disparaître complètement de notre écosystème provençal. Une disparition qui ne passera pas inaperçu, même pour le pékin moyen peu à l’écoute du monde des insectes qui nous entoure, car les cigales savent se faire entendre. Mais une disparition qui s’accompagnera de celle de milliers d’autres espèces animales plus discrètes, à l’image de notre biodiversité du quotidien en phase de mutation dramatique…

L. V.

Sempé, for ever…

14 août 2022

Le dessinateur humoristique et poète, Jean-Jacques Sempé, nous a quitté ce jeudi 11 août 2022, décédé paisiblement à près de 90 ans, dans sa résidence de vacances à Draguignan, dans le Var, selon un communiqué de son épouse. Une fin de vie banale pour un homme dont tous ceux qui l’ont approché retiennent la grande gentillesse et l’humanité simple. Porté ni sur l’actualité ni sur la politique, il a pourtant réussi l’exploit de dessiner pas moins de 113 fois la couverture du prestigieux magazine américain The New-Yorker, avec lequel il a collaboré pendant 40 ans à partir de 1978, et il restera sans doute comme l’un des dessinateurs français les plus illustres dont tout le monde connaît les dessins et leur style inimitable.

Le dessinateur Jean-Jacques Sempé à sa table de travail à Montparnasse, en 2019 (photo © LP / Arnaud Dumontier / Connaissance des arts)

Il était pourtant bien mal parti dans la vie. Enfant né hors mariage en 1932, à Pessac, il subit durant toute son enfance les terribles scènes de ménage de ses parents et se réfugie dès l’âge de 12 ans dans le dessin humoristique avant de quitter l’école à 14 ans pour son premier métier de livreur à bicyclette, à une période où la profession était bien représentée avant une longue éclipse. En 1954, il rencontre René Goscinny dans une agende de presse belge où il dépose régulièrement ses dessins pour un hebdomadaire intitulé Le Moustique. C’est le début d’une longue amitié qui débouche rapidement sur les premiers scénarios du Petit Nicolas, publié dans Pilote à partir de 1959, en même temps que les premières aventures d’Astérix.

Un album du Petit Nicolas réédité par IMAV éditions

C’est en voyant une publicité du célèbre caviste Nicolas que Sempé a eu l’idée de nommer ainsi son petit écolier turbulent des années 1950, tandis que Goscinny invente pour sa bande de copains les noms les plus extravagants, Rufus, Alceste ou Clotaire. Un univers de cours de récréation qui connaîtra en tout cas un succès immense et durable, publié à partir de 1960 et réédité depuis 2004 par Anne Goscinny, la propre fille de René, elle-même éditrice. Un succès que Sempé expliquait à sa façon : «  Le Petit Nicolas est indémodable car lorsque nous l’avons créé il était déjà démodé » : bien vu en effet !

A partir de 1965, Sempé collabore régulièrement avec l’Express où paraissent ses dessins toujours très fouillis dans lesquels se perdent ses personnages, parfois ridicules et pétris de convenance et de vanité, mais souvent profondément sincères sous le regard du dessinateur qu’on devine aussi espiègle que bienveillant. Des dessins plein de poésie et totalement intemporels, généralement en décalage complet avec l’actualité, centrés sur le comportement et les rapports humains plus que sur l’écume des modes et des événements.

Un dessin de Sempé à la une du New-Yorker (source © The Huffington post)

Il dessine également pour le Figaro et le Nouvel Observateur, puis Télérama à partir de 1980, tout en développant son activité pour le New Yorker qui lui assure une notoriété internationale. Les aventures du Petit Nicolas ont d’ailleurs été traduits dans une quarantaine de pays et ses autres publications de dessins d’humour dans une bonne vingtaine. Les cinq premiers volumes du Petit Nicolas, publiés entre 1960 et 1964, se sont d’ailleurs vendus au total à 15 millions d’exemplaires !

Ses dessins de cyclistes, de musiciens d’orchestre, de richissimes hommes d’affaires blasés ou de belles désœuvrées en villégiature à Saint-Tropez, resteront gravés dans les mémoires de chacun : on y reconnaît du premier coup d’œil sa patte tout en rondeur et son style inimitable, plein de poésie.

Connaisseur de vin, un dessin de Jean-Jacques Sempé, à admirer parmi bien d’autres sur le site de sa galeriste et épouse, Martine Gossieaux

Son dernier dessin est à lui seul est représentatif de l’artiste. Publié la semaine dernière dans Paris Match, quelques jours seulement avant son décès, on y voit une muse perdue dans un immense paysage pittoresque et verdoyant bien que dessiné en noir et blanc, comme souvent chez Sempé. Elle s’adresse à celui qui s’efforce de peindre la scène sur son chevalet, consciente sans doute que face à une telle beauté du paysage naturel qui l’entoure elle risque de paraître bien insignifiante : « Pense à ne pas oublier ».

Le dernier dessin de Jean-Jacques Sempé, publié dans Paris-Match du 4 au 10 août 2022 (source © Paris Match / Twitter)

Mais il n’y a aucun risque qu’on oublie le dessinateur qu’était Sempé avec ses dessins qui ne seront jamais démodés tant ils reflètent la complexité de l’âme humaine et ses petits travers intemporels, les petites joies du quotidien et les grandes émotions de toujours. A croire que son nom qui rappelle furieusement le semper latin, qui désigne justement ce mot de toujours, alors qu’il traduit simplement son origine basque, était prémonitoire pour ce dessinateur poétique et élégant de l’intemporel…

L. V.

Taïwan ou le règne de l’ambiguïté stratégique

9 août 2022

Comment faut-il donc interpréter la récente visite à Taïwan, mardi 2 août 2022, de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis ? Et surtout la démonstration de force qui s’en est suivie de la part de la Chine dont le ministre des affaires étrangères a déclaré sans ambages : « Ceux qui offensent la Chine devront être punis, de façon inéluctable » ? On a connu dialogue plus diplomatique entre les deux grandes puissances mondiales… D’autant que cet échange d’amabilités s’est accompagné d’une intrusion directe de 21 avions de chasse chinois dans l’espace aérien taïwanais, de rétorsions économiques à l’encontre de l’île de Taïwan et d’un déploiement de force sans précédent de la marine militaire chinoise dans le cadre de prétendus « exercices » avec tirs à balles réelles…

Nancy Pelosi (en tailleur rose) à son arrivée à l’aéroport de Taipe, mardi 2 août 2022 (photo © AP / Libération)

Une tension largement avivée par une réaction menaçante de la part de Moscou, le ministre russe des affaires étrangères affirmant haut et fort que « la partie chinoise a le droit de prendre les mesures nécessaires pour protéger sa souveraineté et son intégrité territoriale concernant le problème de Taiwan », tout en qualifiant la visite de Nancy Pelosi de « provocation évidente ». Mais que diable allait donc faire celle-ci dans cette galère taïwanaise, surtout à un moment où la planète est déjà au bord de l’explosion, du fait de l’agression russe en Ukraine ?

Il faut dire qu’un déplacement officiel, dans un Boeing de l’US Air Force, de Nancy Pelosi, troisième personnage des États-Unis qui, a 82 ans, n’en est pas à sa première provocation envers le gouvernement chinois, ne pouvait pas passer inaperçue, bien qu’annoncée à la dernière minute et peu médiatisée par le gouvernement de Taïwan. Elle a d’ailleurs annoncé clairement la couleur en déclarant dès son arrivée : « La visite de notre délégation du Congrès honore l’engagement indéfectible de l’Amérique à soutenir la démocratie dynamique de Taïwan. La solidarité de l’Amérique avec les 23 millions d’habitants de Taïwan est plus importante aujourd’hui que jamais, alors que le monde est confronté à un choix entre autocratie et démocratie ».

Manœuvres de l’armée chinoise dans le détroit de Taïwan début août 2022 (photo © Lin Jian / Chine nouvelle / SIPA / Les Echos)

Une véritable gifle pour Pékin qui considère Taïwan comme une simple province rebelle qu’il lui revient de ramener dans le giron du Parti communiste chinois et qui n’a jamais digéré le geste de Nancy Pelosi qui, en 1991, s’était rendue sur la place Tian’anmen, deux ans après le massacre des étudiants chinois protestataires, et y avait déployé une petite banderole noire en hommage aux plusieurs centaines de manifestants tués à la mitrailleuse et écrasés par les chars de l’armée chinoise.

Il faut dire aussi que la question du sort de Taïwan est un sujet particulièrement sensible aux yeux des dirigeants chinois. Rappelons pour mémoire que l’île de Taïwan, que les Portugais avaient appelé Formose lorsqu’ils l’ont abordée pour la première fois en 1542, était peuplée, depuis sans doute au moins 4000 ans par des populations austronésiennes venues du sud-est de la Chine. Colonisée par les Hollandais, ceux-ci encouragent la migration chinoise pour développer l’agriculture, mais sont chassés de l’île en 1633 par Zheng Chenggong, un fidèle de la dynastie Ming, alors que l’empire chinois est en passe de tomber entre les mains de la dynastie Qing, d’origine Mandchoue. Cinquante ans plus tard, celle-ci s’empare à son tour de l’île qui est donc intégrée à l’empire chinois, puis érigée en province en 1887.

Un dessin signé Bauer, publié dans Le Progrès le 4 août 2022

En 1895, après sa défaite contre le Japon, la Chine est contrainte de lui céder Taïwan qui sera donc partie intégrante de l’empire colonial japonais jusqu’en 1945, date à laquelle les États-Unis, sortis victorieux de la seconde guerre mondiale, se voient accorder la tutelle de l’île et aident les troupes du Parti nationaliste chinois, le Kuomintang, à s’y installer dès le retrait de l’armée japonaise. La République nationaliste de Tchang Kaï-chek gouverne alors le territoire de manière assez brutale, provoquant rapidement des émeutes réprimées dans le sang et qui auraient fait pas moins de 30 000 morts. En octobre 1949, le Kuomintang est défait piteusement par l’armée populaire de libération de Mao Zedong, puissamment soutenue par l’URSS, et ne conserve que ce territoire de Taïwan ainsi que quelques îles alentours.

Le mémorial à la gloire de Tchang Kaï-chek à Taïwan (source © Easy Voyage)

Jusqu’en 1971, c’est la République de Chine, établie sur ce confettis de Taïwan qui représente officiellement le pays à l’ONU, jusqu’à ce que les autres nations finissent par accepter que le pays soit enfin représenté par la République populaire de Chine. Jusqu’en 1978, Tchang Kaï-chek, avec le soutien des États-Unis, fait régner un régime dictatorial et corrompu à Taïwan. Son fils qui lui succède alors procède à une libéralisation progressive du régime et finit par lever, en 1987 seulement, la loi martiale qui étouffait le pays. Depuis, le régime s’est très largement démocratisé avec la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1996. L’actuelle présidente de la République, Tsai Ing-wen, issue du Parti démocrate progressiste, a été élue en 2016 et réélue en janvier 2020.

Tsai Ing-wen, actuelle présidente de Taïwan, ici en mai 2020, prononçant son discours d’investiture (source © Taïwan Info)

Le pays, qui compte désormais plus de 23 millions d’habitants, est l’un des plus libres du monde, classé 19e selon l’indice de liberté humaine en 2018, loin devant la France qui figure en 31e position pour les libertés individuelles et au 52e rang pour les libertés économiques… Le PIB par habitant se rapproche des 50 000 dollars, ce qui classe le pays au 21e rang mondial selon les données du FMI en 2017, juste derrière l’Allemagne et l’Australie, mais devant la France et le Royaume-Uni. Comme Singapour, Hongkong et la Corée du Sud, Taïwan a connu une industrialisation et un décollage économique très rapide au cours des dernières décennies et est désormais à la pointe de la technologie dans le domaine de l’informatique, des communications ou de la biotechnologie.

On comprend dans ces conditions, que la Chine de Xi Jinping n’a pas la moindre envie de voir ce joyau de son empire se détacher. Historiquement, il est bien difficile de lui donner tort, d’autant que Taïwan n’est reconnu officiellement que par une poignée de petits pays et que les États-Unis, bien qu’alliés inconditionnels, s’en sont toujours bien gardés, entretenant cette « ambiguïté stratégique » qui consiste à apporter une aide militaire à Taïwan tout en ne reconnaissant pas le pays. Pour parler crûment, les Occidentaux soutiennent ouvertement le régime libéral et démocratique qui s’est (récemment) installé à Taïwan mais sont bien mal placés pour faire la leçon à la Chine qui revendique ce territoire alors qu’ils ont soutenu pendant des années le régime autoritaire et corrompu du Kuomingtang. Chacun aimerait bien, en Occident, que le géant chinois s’imprègne de l’esprit démocratique qui règne désormais à Taïwan, mais c’est rarement de l’extérieur, surtout à coup de provocations de ce type et face à un régime aussi autoritaire et susceptible que celui de Xi Jinping, que l’on incite à une telle évolution : en géopolitique, les leçons de morales sont rarement très efficaces…

L. V.

La dure lutte des facteurs de luths

7 août 2022

Le luth, c’est cet instrument à cordes pincées en forme de poire que l’on retrouve fréquemment sur les tableaux de la Renaissance, à l’image de ce célèbre tableau du Caravage, intitulé justement Le joueur de luth, peint à la toute fin du XVIe siècle et conservé au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg. Très prisé à la cour de François 1er, le luth est alors un instrument courant, particulièrement apprécié pour accompagner la voix humaine du fait de son volume sonore plutôt intimiste. Apparu en Perse puis en Égypte il y a au moins 3 000 ans, le luth était, si l’on en croit l’Ancien Testament, déjà joué à la cour du roi David.

Le joueur de luth, huile sur toile du Caravage, peint vers 1596 et conservé au musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (source © Wikipedia)

Adopté ensuite par les Arabes qui le nomment trivialement al-oûd, autrement dit « le bout de bois », le luth fait partie de ces multiples présents de la civilisation islamique, qui diffuse en Europe depuis le royaume Andalou et que le Moyen-Age occidental s’approprie, le nom même luth n’étant qu’une déformation de l’appellation arabo-persane. Ce sont d’ailleurs les artisans arabes qui ont inventé la manière d’assembler la caisse de résonance du luth sous forme de « côtes », des lames en bois de noyer, d’if ou d’érable, courbées à la vapeur et assemblées entre elles pour former cette caisse ventrue dont l’intérieur est renforcé par des bandes de parchemin collé. La table elle-même, généralement en épicéa, est classiquement percée d’une ou plusieurs rosaces soigneusement sculptées selon des motifs géométriques qui rappellent la calligraphie arabe traditionnelle, tandis que le manche, souvent en ébène, est délicatement orné de fines incrustations en ivoire.

Un luth moderne, produit par le luthier Stephen Murphy

D’abord pourvu de 4 cordes initialement à base d’intestin de lionceau, désormais plus prosaïquement en boyau de mouton, il s’enrichit au XVe siècle d’une cinquième puis d’une sixième corde, avant que l’on ait l’idée de doubler certaines cordes, pour former des « chœurs », si bien qu’un luth peut désormais compter jusqu’à 24 cordes, qui sont pincées entre le pouce et l’index.

Le fils d’Henri IV, le futur roi Louis XIII, était paraît-il un joueur virtuose de luth dont il avait reçu un premier exemplaire dès l’âge de 3 ans et qu’il a joué toute sa vie dans son antre intimiste que constituait le pavillon de chasse de Versailles où sa femme, Anne d’Autriche, n’était pas bienvenue, elle qui, en bonne espagnole, ne jouait que de la guitare. Louis XIV, qui n’avait que 4 ans à la mort de son père, en 1643, reçoit quant à lui son premier luth pour ses 8 ans et pratique cet instrument pendant 10 ans avant de l’abandonner peu à peu au profit de la guitare tandis que la musique de Lulli impose d’autres instruments plus sonores, dont le clavecin, pour accompagner ses spectacles grandioses.

Portrait d’un luthiste français par Jean de Reyn, vers 1640 (source © Classique News)

Il fallu ensuite la fin du XIXe siècle pour que l’on redécouvre le luth grâce au Français Arnold Dolmetsch et son élève anglaise, Diana Poulton qui se replonge dans la musique de Shakespeare. Le luth est désormais un instrument qui bénéficie d’un regain d’intérêt avec une petite centaine de professeurs répertoriés en France par la Société française de luth, et pas moins de 22 luthiers recensés, dont l’Australien Stephen Murphy, installé depuis 1977 dans la Drôme, où il fabrique une quarantaine d’instruments par an, vendus entre 6 000 et 10 000 € pièce.

Pendant ce temps, les luthiers syriens, pourtant dépositaires de la tradition millénaire de fabrication de cet instrument, se morfondent en attendant vainement les clients, comme le relate un reportage diffusé dans La Croix, en 2017, selon lequel il ne resterait plus que six ateliers de luthiers dans tout le pays. Les instruments produits localement, pourtant richement ornés de véritables marqueteries en nacre et ivoire, se vendent au prix dérisoire de 500 € mais la production est menacée par la difficulté croissante à trouver des ouvriers qualifiés mais aussi à s’approvisionner en bois de noyer, venu de la Gouta orientale, ce fief de la rébellion djihadiste où la population a décimé les arbres encore debout pour en faire du bois de chauffage…

Ali Khalifeh, luthier syrien à Damas le 17 juillet 2017 (photo © Louai Beshara / AFP / La Croix)

Ali Khalifeh, descendant d’une famille de luthiers installés dans le quartier Adaoui à Damas, a pourtant réussi à moderniser la production en introduisant des machines qui permettent de cintrer plusieurs cotes simultanément et de polir un oud en un quart d’heure là où il faut cinq à six heures à la main ! Cela permet à son atelier de produire une vingtaine d’instruments chaque mois, mais ne rend pas pour autant le luthier optimiste sur l’avenir de son artisanat pourtant séculaire.

Miguel Serdoura, PDG du Luth doré, manufacture moderne de luths

De son côté, le luthiste portugais Miguel Serdoura a créé en 2015 Le Luth doré, une manufacture où les instruments sont fabriqués en série par plusieurs ouvriers, ce qui lui permet de commercialiser à partir de 1 500 € des luths Renaissance à 8 chœurs et, pour un peu plus de 2 000 € pièce des luths baroques à 13 chœurs, tout en développant des accessoires sophistiqués comme des étuis à contrôle hygrométrique. Installé à Paris, Le luth doré a sous traité la fabrication de ses instruments à des luthiers chinois qu’il a soigneusement formés, jusqu’à se rendre compte, en 2018, que ses derniers s’étaient lancés dans la contrefaçon à grande échelle et commençaient à inonder le marché européen avec des copies parfaitement identiques et arborant son propre logo !

Miguel Serdoura a vivement réagi à une pratique aussi déloyale, engageant des poursuites judiciaires contre les contrevenants, tout en rapatriant illico ses ateliers de fabrication en Europe : la vie du facteur de luths n’est pas un long fleuve tranquille, dans notre économie mondialisée en quête de luth final…

L. V.

La mer Morte est-elle menacée de mort ?

4 août 2022

Cléopâtre et la reine de Saba déjà l’avaient remarqué en leur temps : la mer Morte est particulièrement riche en sels minéraux et notamment en potassium, si bien que les boues issues de ses rives étaient déjà réputées pour leurs bienfaits thérapeutiques et cosmétiques dès l’Antiquité. Une tradition qui perdure et qui continue à drainer des milliers de touristes venus faire des cures thermales et surtout flotter comme un bouchon en faisant la planche tout en lisant le journal. Une capacité portante exceptionnelle liée à cette forte teneur en sels qui peut atteindre jusqu’à 340 g/l alors que celle de la Méditerranée ne dépasse pas 38 à 40 g/l et que celle de la mer Rouge atteint tout au plus 50 à 58 g/l. Aucun animal marin ni même les algues ne peuvent survivre dans un tel milieu, ce qui lui vaut d’ailleurs son nom de mer Morte…

Les eaux turquoise de la mer Morte, tellement salées qu’on y flotte sans peine (source © Get your guide)

Sauf que rien n’est totalement immuable et que la reine de Saba ne reconnaîtrait pas les rives de la mer Morte si d’aventure elle devait repasser par là… En l’espace de 50 ans, cette mer fermée a perdu un tiers de sa superficie, tout comme la mer d’Aral ou le lac Tchad, et son niveau baisse en moyenne de 70 cm par an, une baisse qui s’est encore accélérée depuis et peut atteindre jusqu’à 1,45 m par an ! En 1900, la surface de l’eau était à – 390 m sous le niveau des mers et elle se trouve désormais à – 426 m, soit une baisse de près de 40 m depuis…

Le lac de Tibériade et ses berges verdoyantes (photo © AFP / i24)

Bien entendu, le réchauffement climatique n’améliore pas la situation en augmentant les périodes de forte chaleur qui accentuent l’évaporation, la mer Morte n’étant que l’exutoire ultime du Jourdain, ce fleuve biblique issu du lac de Tibériade et dont les eaux viennent se perdre dans la mer Morte où elles s’évaporent naturellement. Mais la cause de cet assèchement brutal est principalement liée à l’activité humaine. Dans les années 1960, l’État d’Israël, en plein expansion a eu besoin d’énormes quantités d’eau pour alimenter ses colonies de peuplement et assurer la mise en culture du désert du Néguev. Un barrage a alors été construit au sud du lac de Tibériade et plus des trois-quarts de son débit est depuis purement et simplement détourné pour les besoins des Israéliens, ne laissant plus qu’un débit qui ne dépasse pas celui de la Seine à Paris !

Vue aérienne de la mer Morte en voie d’assèchement, avec à gauche la partie sud exploitée en bassins de décantation pour extraire la potasse (source © France TV Info)

Depuis lors, les apports du Jourdain ne suffisent plus à compenser l’évaporation de la mer Morte qui s’assèche à vue d’œil. En parallèle, Israéliens et Jordaniens se sont mis à exploiter la potasse contenue dans les eaux de la mer Morte pour en faire des engrais agricoles. Toute la partie sud de la mer Morte a été transformée en gigantesques bassins de décantation pour extraire le précieux minerai, ce qui accentue fortement la vitesse de réduction du plan d’eau qui rétrécit comme peau de chagrin.

En se retirant, la mer laisse des dépôts souterrains de sols riches en sels. Le ruissellement sur les rives vient dissoudre peu à peu ces poches souterraines de sels et on assiste depuis des années à d’innombrables effondrements qui viennent miner les berges : plus de 6000 cratères d’effondrement, dont certains atteignent plusieurs kilomètres de diamètre, se sont ainsi formés, transformant les abords de la mer Morte, en de nombreux endroits, en un paysage lunaire traversé de multiples crevasses, routes et infrastructures étant peu à peu englouties au fur et à mesure que la mer se retire et que les berges s’effondrent.

Cratères d’effondrement et recul du rivage sur les berges de la mer Morte (source © Pour la science)

Pour pallier cette situation catastrophique, personne n’envisage de réduire les prélèvements en eau dans une région qui en manque déjà cruellement. En 2006, sous l’égide de la Banque Mondiale, c’est un autre projet pharaonique qui a vu le jour, consistant à construire une immense usine de dessalement d’eau de mer sur les rives de la mer Rouge, puis à creuser un gigantesque canal à travers le désert pour conduire vers la mer Morte les saumures issues du traitement, espérant que ces eaux permettraient de réalimenter suffisamment le plan d’eau en cours d’assèchement.

Les bords de la mer Morte devenue un haut lieu du tourisme également fort gourmand en eau potable (photo © You matter)

Les études ont néanmoins permis de cerner les coûts pharamineux d’un tel projet estimé à près de 10 milliards de dollars, et surtout les risques écologiques majeurs induits. Il aurait fallu pomper l’eau à plus de 120 m de profondeur pour ne pas aspirer toute la vie organique excessivement riche associée aux récifs coralliens de la mer Rouge, et sans garantie que les saumures déversées dans la mer Morte ne viennent rapidement faire virer au blanc (du fait de précipités de gypse) ou au rouge (par suite du développement de micro-algues associées aux milieux lagunaires sursaturés) les eaux de la mer Morte réputées pour leur belle couleur turquoise… Par ailleurs, la canalisation souterraine de 180 km de long envisagée pour transporter les saumures vers la mer Morte risquait fort de se rompre en cas de séisme, fréquent dans la région, au risque de rendre définitivement impropre à tout usage la nappe souterraine exploitée le long de son tracé !

La ville israélienne d’Eilat et sa voisine jordanienne d’Aqaba, au bord de la mer Rouge (photo © Hadas Parush / Flash 90 / Times of Israel)

En juin 2021, les apprentis sorciers ont finalement renoncé au projet mais la Jordanie a alors annoncé officiellement qu’elle lançait le projet de construction d’une usine de dessalement sur les rives de la mer Rouge, dans le golfe d’Aqaba, afin de fournir au pays 250 à 300 millions de m³ d’eau potable par an d’ici 2026. Un projet chiffré à 1 milliard de dollars en comptant tout le réseau de distribution d’eau à réaliser, la ville d’Aqaba étant situé à l’extrémité sud du pays, à plus de 300 km de la capitale Amman… En parallèle, la Jordanie va tenter de limiter l’urbanisation sur les zones côtières et Israël envisage de taxer les industries minières pour freiner l’extraction de la potasse.

Reste à mettre en point le dispositif pour développer une usine de dessalement d’une telle ampleur en essayant de privilégier le recours à l’énergie solaire car les conditions d’ensoleillement sont idéales pour cela en Jordanie qui par ailleurs manque de ressources énergétiques propres et produit déjà 20 % de ses besoins énergétiques à base de renouvelable. A défaut de freiner l’évaporation des eaux de la mer Morte, le soleil contribuera du moins à favoriser l’approvisionnement des Jordaniens en eau potable…

L. V.

Carnoux : l’Artea toujours englué dans l’ALG

2 août 2022

Plus de vingt ans que ça dure ! Voilà plus de vingt ans que l’Artea, la salle de spectacle municipale de Carnoux-en-Provence, un écrin de culture magnifique composé d’une salle de spectacle remarquable avec sa jauge de 308 places assises et 450 debout et sa scène toute équipée assortie d’un vaste hall de 200 m2 et d’un théâtre de verdure en forme d’amphithéâtre doté de 300 places assises supplémentaires, ce bel équipement que bien des communes nous envient, vivote dans les mains d’une société privée chargée de son exploitation, largement subventionnée par la collectivité.

L’entrée de l’Artea, la salle de spectacle municipale de Carnoux (source © My Provence)

C’est en effet en 2000 que la gestion de cette salle de spectacle municipale a été confiée en délégation de service public à la société Arts et loisirs gestion (ALG), une SARL créée pour l’occasion et dont le siège social est d’ailleurs domicilié dans les locaux même de l’Artea. Le directeur de cette société, Gérard Pressoir, ancien conseiller financier à la Barclay’s Bank et ex directeur d’antenne de Fun Radio à Aix-en-Provence, s’était fait la main en gérant à partir de 1994, déjà en délégation de service publique (DSP), le Stadium de Vitrolles, une salle polyvalente de 4500 places conçue en 1990 par l’architecte Rudy Ricciotti pour la modique somme d’un peu plus de 7 millions d’euros, sous forme d’un gros cube de béton brut égaré en pleine campagne sur les remblais toxiques d’un ancien terril de boues rouges issues de la fabrication locale d’alumine.

Le Stadium de Vitrolles, à l’état d’abandon sur les hauteurs de Vitrolles, au milieu des déchets toxiques de boues rouges (source © Maritima)

Mauvais pioche pour Gérard Pressoir car après quelques années de succès relatif, assuré surtout grâce aux matchs de handball de l’équipe montée par Jean-Claude Tapie, le frère de Bernard, la polémique fait rage autour de cette salle de spectacle excentrée et atypique. Dès 1997, l’élection de la candidate Front National Catherine Mégret à la mairie de Vitrolles attise les tensions. A la suite de l’échec d’un concert de rock identitaire français prévu le 7 novembre 1997, le Stadium, déjà fragilisé par le dépôt de bilan de l’OM Handball en 1996, ferme ses portes en 1998, la municipalité refusant de renouveler la DSP. Il faut dire qu’un attentat à la bombe avait eu lieu une semaine avant pour empêcher le déroulement de ce spectacle de rock, donnant à la municipalité Front national le prétexte rêvé pour tirer le rideau, les installations techniques ayant été gravement endommagées.

Depuis, le Stadium est à l’abandon, victime des pillards et autres squatteurs. Récupéré en 2003 par la Communauté d’agglomération du Pays d’Aix, cette dernière a préféré y stocker des ordures ménagères et construire une autre salle de spectacle à Luynes, comprenne qui pourra… Reprise en 2015 par la commune de Vitrolles désormais dirigée par le socialiste Loïc Gachon, il a fallu attendre fin 2021 pour que le Festival lyrique d’Aix-en-Provence envisage de rouvrir la salle mais rien n’est encore fait tant le coût des travaux de remise en état est effrayant !

Gérard Pressoir (à droite), exploitant de l’Artea depuis plus de 20 ans, ici avec le chanteur et humoriste Yves Pujol (source © L’ARTEA)

Toujours est-il que c’est fort de cette expérience quelque peu mitigée que la SARL ALG, dans laquelle Gérard Pressoir est associé à parts égales avec la société Delta Conseil de Dominique Cordier, a remporté le marché de l’exploitation de l’Artea, dans le cadre d’une DSP par voie d’affermage. Un marché renouvelé à de multiples reprises depuis, étendu en 2018 à la gestion du Centre culturel de Carnoux, et qui vient encore d’être attribué, pour la n-ième fois à la société ALG et pour une durée de 5 ans jusqu’en septembre 2027, à l’issue d’une commission d’appel d’offre qui s’est déroulée en toute discrétion le 22 juillet 2022. Comme à l’accoutumée, aucune autre offre que celle de la société ALG n’avait été déposée, ce qui limite de fait grandement les aléas de la concurrence et a donc permis à Gérard Pressoir, dont la propre fille siège désormais au conseil municipal de Carnoux, de convaincre aisément et sans beaucoup d’arguments, qu’il était le mieux placé pour se succéder une nouvelle fois à lui-même dans la gestion de cet équipement culturel public : « il faut que tout change pour que rien ne change »…

La salle de spectacle de l’Artea, à Carnoux, avec ses 308 places assises (source © L’ARTEA)

Pourtant, le bilan de cette exploitation, jusqu’à présent soigneusement tenu à l’abri de la curiosité des habitants de Carnoux, bien que propriétaires et principaux bénéficiaires de l’Artea, n’est pas des plus brillants si l’on s’en réfère aux quelques feuillets assez indigents qui tiennent lieu de bilan annuel pour les trois dernières années d’exploitation. En 2019, la société ALG se targuait d’ouvrir 150 jours par an, principalement pour la diffusion de films, et d’accueillir plus de 20 000 spectateurs dans l’année, tout en louant la salle 30 jours par an à des écoles de danse. Avec le confinement, en mars 2020, la salle est restée fermée pendant quasiment un an, jusqu’en avril 2021. Et pour la saison 2021-2022, le nombre de jours d’ouverture par an ne dépasse pas 105, avec de nombreux spectacles annulés ou reportés faute de spectateurs, une baisse du nombre de location de la salle et une faible fréquentation du cinéma avec moins de 15 spectateurs par séance en moyenne.

Concert de Bella Ciao au théâtre de verdure de l’Artea, le 2 août 2018 dans le cadre des Estivales de Carnoux (source © Mairie de Carnoux-en-Provence)

Ces bilans posent une fois de plus la question de la manière dont un équipement culturel aussi ambitieux que l’Artea pour une petite commune de 7000 habitants peut être exploité de manière optimale. Le principe même de la DSP pour un tel équipement culturel est de décharger la commune de l’exploitation de la salle en la confiant à un professionnel jugé mieux à même de la rentabiliser au maximum, sachant que l’activité est par nature déficitaire. De fait, le coût annuel d’exploitation d’une telle salle en année normale est de l’ordre de 430 000 € qui se partage, grosso modo à parts égales, entre les frais de personnel (4 salariés déclarés dont le gérant lui-même et des techniciens souvent payés à la prestation) et les charges liées à la commande et l’organisation des spectacles. Les recettes en année normale tournent autour de 200 000 € et la commune verse donc au délégataire une subvention d’équilibre qui était de 258 000 € en 2018 et de 244 000 € en 2019, considérées comme années de référence avant le confinement.

Le maire de Carnoux sur la scène de l’Artea (vide) le 7 janvier 2022 pour ses vœux à la population (source © Mairie de Carnoux-en-Provence)

Les équipements sont mis gratuitement à disposition de l’exploitant par la commune qui se charge par ailleurs du gros entretien et qui subventionne donc le prestataire pour lui permettre de se rémunérer tout en assurant l’exploitation du site. Celle-ci pourrait donc très bien être confiée directement à des agents municipaux spécialisés, comme choisissent de le faire bon nombre de communes dans la même configuration. Cela permettrait une gestion beaucoup plus souple, moyennant davantage d’implication dans le choix de la programmation, en partenariat direct avec les associations locales. Une gestion mutualisée, assurée à l’échelle métropolitaine, du réseau de salles municipales implantées dans quasiment chacune des communes, pourrait sans doute aussi contribuer à en rationaliser la gestion et à optimiser l’exploitation de ces équipement qui nécessitent de lourds investissements et des frais d’entretien élevés.

On est en tout cas, dans ce cas de figure de l’Artea, très éloigné de la notion même d’affermage qui est pourtant officiellement le mode de dévolution retenu pour cette DSP et qui suppose que « le délégataire se rémunère substantiellement des recettes de l’exploitation, augmentées d’une participation communale en compensation des contraintes imposées par la collectivité ». En l’occurrence, les contraintes imposées par la commune sont très faibles puisqu’elles se limitent à la fourniture de places gratuites (120 par an dont 8 au maximum par spectacle, ce qui n’est guère une contrainte pour une salle qui peine généralement à se remplir) et à la mise à disposition de la salle pour 8 manifestations par an. La salle peut aussi être utilisée par des associations mais dans ce cas la location est facturée par l’exploitant…

Dans la nouvelle version de la DSP renouvelée en 2022, la subvention d’équilibre a été fixée à 195 000 € par an, ce qui reste très généreux et devrait encore excéder largement les recettes escomptées, celles-ci se limitant à 76 000 € pour l’exercice 2020-21 et même à 26 000 € seulement cette année ! De quoi fragiliser juridiquement la validité de cette nouvelle DSP puisque la subvention sera vraisemblablement la principale source de rémunération de l’exploitant : espérons que la Chambre régionale des Comptes ne viendra pas y fourrer son nez, comme elle l’avait fait dans la gestion du Centre culturel, et que personne ne s’avisera de déposer un recours contre cette attribution, comme cela a été le cas avec la DSP du Zénith de Toulon, également attribué à ALG en juillet 2020 mais suspendu trois mois plus tard sur ordonnance du Tribunal administratif…

L. V.