Archive for juillet 2019

A Las Vegas, les criquets s’invitent au casino

31 juillet 2019

Las Vegas fait partie de ces villes mythiques, constitutives du rêve américain. Créée en 1855, dans une vaste cuvette entourée de chaînes montagneuses, par une poignée de Mormons venus évangéliser les Indiens, son emplacement a justement été choisi car s’y trouvaient quelques prairies arrosées par des sources d’eau artésiennes, un vrai miracle en plein désert des Mojaves, le plus aride des États-Unis.

Depuis, la ville s’est fortement développée grâce en particulier à l’industrie du jeu et à l’implantation de multiples casinos, surtout lorsque l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro à Cuba en 1959 a conduit la Mafia américaine à rapatrier ses actifs dans une région plus accueillante pour ses propres affaires.

Le Club Arizona, un des premiers lieux de jeux implanté à Las Vegas au début du XXe siècle (source © casinospielen)

La ville est devenue depuis la principale destination touristique du pays et attire chaque année pas moins de 40 millions de touristes qui s’ajoutent aux quelques 2 millions de résidents permanents de l’agglomération, eux même en croissance très rapide puisqu’ils augmentent en moyenne de 8 000 nouveaux arrivants chaque année. Nourrir et abreuver autant de monde en climat aride, surtout dans les conditions de luxe et de confort auxquels aspire une population de riches touristes en goguette, sachant qu’à Las Vegas on consomme pas moins de 1000 litres d’eau par jour, soit quatre fois plus qu’un Français moyen, voilà qui n’est pas une sinécure.

Barrage de Hoover, édifié en 1932 sur le Colorado, près de La Vegas (source © Visiter Las Vegas)

Il a fallu construire de nombreux barrages dont celui qui alimente le lac Mead, sur le Colorado, un immense plan d’eau artificiel mais qui peine désormais à répondre aux exigences de la population puisque le débit naturel du Colorado ne représente plus que les deux-tiers des besoins de l’agglomération. Les sources artésiennes qui jaillissaient autrefois à l’emplacement de la ville sont taries depuis belle lurette. Les pompages toujours plus nombreux dans les nappes souterraines, destinés aussi à irriguer les cultures intensives nécessaires à l’alimentation de la ville mais très gourmandes en eau dans un climat aussi impropre à l’agriculture, induisent désormais un lent mais inexorable tassement des sols.

La « ville du péché » que certains se plaisent à vilipender pour ses temples du jeu, son essor de la prostitution, ses centres commerciaux démesurés, la ville où l’on vient pour divorcer et se remarier en un tournemain, est aussi une ville qui s’enfonce peu à peu et où l’on vit désormais avec la crainte de devoir un jour manquer d’eau alors qu’on vit en plein désert…

Las Vegas, capitale du jeu… (source © Visit Las Vegas)

Et voilà que ce tableau apocalyptique vient se renforcer par l’arrivée de nuées de criquets qui rappellent furieusement les descriptions bibliques des sept plaies de l’Égypte. Le 26 juillet 2019 en effet, ce sont des nuages compacts de criquets venus du désert alentours qui se sont soudainement abattus sur la ville. Ces nuées de criquets grégaires qui ravagent tout sur leur passage ne sont certes pas une spécificité locale et les populations sahéliennes les observent régulièrement sans que l’on sache très bien pourquoi ces insectes se mettent brutalement à se multiplier pour former ces gigantesques nuées si spectaculaires.

Nuée de criquets au-dessus d’un parking de Las Vegas (source © TWITTER / Business Plan City)

Un hiver et un printemps légèrement plus humides qu’à l’accoutumée suffisent semble-t-il à obtenir une telle multiplication des criquets pour arriver à des masses telles que rien ne semble y résister. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un tel phénomène est observé dans la région et généralement les nuées d’insectes migrateurs finissent par se déplacer vers le nord et laisser de nouveau la ville à ses habitants, après y avoir néanmoins grignoté à peu près toute la végétation comestible…

Amas de criquets sur des voitures à Las Vegas (source © LCI)

Depuis plusieurs jours, ainsi que les médias américains mais aussi européens s’en sont fait l’écho, il devient difficile de se promener dans les rues de Las Vegas sans se heurter à ces nuages de criquets qui comme par hasard se concentrent précisément le long de l’artère principale, là où se trouvent la majorité des casinos et des restaurants… De nuit, le spectacle est particulièrement impressionnant quand on voit tournoyer ces millions d’insectes de belle taille (plus de 5 cm de longueur !) à la lueur des éclairages qui les attirent inexorablement.

Un spectacle sur lequel ne manquent évidemment pas de gloser les prédicateurs de toute obédience, et pas seulement les Mormons de l’église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, ceux-là mêmes qui ont fondé la ville de Las Vegas au milieu du XIXe siècle sans se douter qu’elle deviendrait un jour, aux yeux de certains, un des symboles mondiaux de la décadence et du vice, et assurément un bel exemple d’un développement bien peu durable.

L. V.

Salade niçoise : Estrosi ne veut plus de riz…

26 juillet 2019

Avec la montée en puissance de l’intercommunalité et le transfert massif de la plupart des compétences communales vers les métropoles, communautés d’agglomération et autres communautés de communes, beaucoup craignaient que le conseil municipal, haut-lieu traditionnel du débat démocratique de proximité, ne perde de son acuité.

Affiche du film Clochemerle, réalisé en 1947 par Pierre Chenal

Heureusement l’ego et le sens du spectacle de nos élus locaux font beaucoup pour que perdurent les joutes homériques et les débats de fond qui ont toujours fait le sel des séances du conseil municipal. Admirablement mis en scène dans le petit village fictif de Clochemerle, dans le Beaujolais, les discussions enflammées autour de l’installation d’une pissotière municipale, sont restées dans les annales, même si elles n’ont rien à envier aux échanges tout aussi houleux qui ont eu lieu récemment lors de la mise en place d’urinoirs tout autant controversés dans les rues de la capitale parisienne.

Certes, les conseillers municipaux doivent bien souvent se contenter au quotidien de dossiers moins brûlants et l’intérêt des échanges en séance en pâtit quelque peu. Mais on peut faire confiance à l’imagination et au goût pour la joute oratoire de nos élus comme l’ont encore démontré les débats qui ont eu lieu il y a peu dans la salle du conseil municipal de Nice, autour du projet de nouveau règlement que le maire Christian Estrosi a tenu à faire adopter pour mieux encadrer l’organisation des mariages dans sa bonne ville.

Christian Estrosi lors de son (re)mariage avec Laura Tenoudji en novembre 2016 (photo © Jacovides – Borde – Moreau / BestImage / Gala)

Il faut dire que la question des mariages niçois fait partie sans conteste des priorités de cet ancien coureur motocycliste et éphémère Président de la Région PACA, lui-même remarié récemment à 61 ans, le 12 novembre 2016, et qui avait déjà édicté en 2012 un règlement particulièrement sévère pour éviter tout débordement dans la salle des mariages de sa mairie : interdiction absolue de déployer un quelconque drapeau, surtout étranger, obligation de respecter scrupuleusement les horaires prévus et aucune tolérance pour le moindre cri ou chahut dans la cour d’honneur de la mairie située dans le Vieux-Nice, à deux pas de la mer.

A défaut de respecter ces consignes pour lesquels les futurs époux s’engageaient par écrit au nom de toute la noce en signant une charte stipulant que tous leurs invités s’abstiennent de « troubler la quiétude, la tranquillité et la solennité de l’instant », le mariage risquait bel et bien d’être annulé ou reporté comme ce fut le cas une petite dizaine de fois en quelques années de mise en application. Sur 8000 mariages célébrés pendant cette période, voilà qui n’est pas énorme et ne méritait peut-être pas une telle délibération du conseil municipal.

Mais début novembre 2018, selon Le Parisien, un invité, particulièrement enthousiaste et qui plus est marseillais, d’une noce niçoise n’a pas pu s’empêcher de lancer un fumigène depuis le cortège nuptial. Manque de chance, le fumigène en question a atterri sur le toit du commissariat de la ville, ce qui a valu au jeune noceur en question une interpellation immédiate pour « violences volontaires avec arme par destination contre personne dépositaire de l’autorité publique ». Placé en garde à vue pendant 24 heures, le contrevenant a vu sa Mercedes saisie par les pandores et il a écopé d’une amende de 300 euros assortie de 2 mois de suspension de permis tandis qu’un autre participant à la noce a aussi été interpellé et jugé pour outrage aux forces de l’ordre. Le mariage a du coup été dûment annulé par le maire hors de lui.

Mariage à Nice (photo © Valéry Hache / AFP / France 3 Régions)

Et l’affaire n’en est pas restée là puisque Christian Estrosi en a déduit qu’il n’y avait rien de plus urgent que de restreindre encore les conditions pour qu’un mariage puisse être célébré jusqu’à son terme dans la bonne ville de Nice. D’où la récente passe d’armes qui s’est tenue dans la salle du conseil municipal, lundi 17 juin 2019, lorsque le maire a présenté un nouveau règlement intérieur revu et corrigé, qui prévoit pour les futurs mariages à célébrer, les formalités obligatoires préalables, le respect des horaires de la cérémonie, le lieu, l’accès et le stationnement des véhicules, le respect du nombre d’invités en accord avec la capacité de la salle, mais aussi l’attitude à adopter lors de la cérémonie et le comportement du cortège.

Un mariage à la sortie de la mairie de Nice (photo © Lucie Werner)

Un comportement exemplaire à tous égards, cela va de soi, pour lequel il a fallu pas moins de 20 articles pour dresser la liste de tous les interdits afin que, comme l’a exprimé avec grandiloquence le maire de Nice « cette cérémonie unique reste inoubliable pour chacun ». Il est en particulier désormais « interdit sur le parvis de la mairie, lors de la sortie des mariés, de jeter du riz afin de ne pas attirer les pigeons ».

Au pays de la salade niçoise, voilà qui n’a pas laissé d’étonner certains des élus municipaux, comme le rapporte Le Figaro. Mais l’adjoint à l’état civil a rapporté que, la semaine précédente, « une dame âgée qui ne faisait même pas partie du mariage a glissé sur des grains ». Un argument imparable en effet : sur la Côte d’Azur, on ne badine pas avec la sécurité, surtout celle des personnes âgées, d’autant que les invités ont la main lourde ainsi que l’a rapporté doctement le même élu : « le calcul est très simple: à raison d’un demi-kilo de riz au moins par mariage pour trente cérémonies, cela fait entre 15 et 30 kg de riz sur le parvis ! ». Voilà qui fait en effet désordre, mais fort heureusement et grâce à la mansuétude du maire, le lancer de confettis ou de pétales reste autorisé, sauf bien sûr si les pétales de rose sont en plastique car à Nice on ne rigole pas non plus avec l’environnement.

Quant à l’article 12 du tout nouveau règlement, il stipule ni plus ni moins que « toute tenue burlesque ou déguisement est à proscrire ». Une mesure qui a failli faire s’étouffer l’élu d’opposition, le socialiste Paul Cuturello, déclarant en séance : « interdire le déguisement au pays du carnaval, là, on dépasse les bornes, c’est d’un ridicule achevé ! ».

Conseil municipal de la Ville de Nice (source Les Petites Affiches des Alpes Maritimes)

Un avis partagé, selon Nice Matin, par l’ex-adjoint au maire en charge de l’État civil, Auguste Vérola, lequel avait été démis de ses fonctions par Christian Estrosi à cause de son rapprochement avec l’ennemi héréditaire Éric Ciotti, et qui n’a pas pu s’empêcher de commenter ; « ll faut que cela reste festif ! Annuler un mariage n’est pas glorieux ! ». Ce qui lui a valu de la part du maire une réplique cinglante : « de la part de quelqu’un qui a uni des mariés déguisés en gorilles ou en palmes ! ». Il se passe décidément de drôles de choses dans la salle des mariages de l’hôtel de ville de Nice et il était grand temps d’y mettre un peu d’ordre…

L. V.

Petit retard de livraison…

21 juillet 2019

L’adage est bien connu : mieux vaut tard que jamais. Une philosophie qui ne colle plus très bien, à vrai dire, avec les exigences des consommateurs actuels qui veulent tout, tout de suite (et si possible pour pas cher), comme en témoigne le succès planétaire de l’entreprise Amazon, le géant américain du commerce électronique en ligne, créée en 1994 par Jeff Bezos et qui est devenu en 2016 le premier distributeur non alimentaire en France.

Préparateurs de commande pour Amazon (source © Usine Digitale)

La fiabilité de la logistique mise en place par cet entrepreneur, capable de livrer une variété astronomique de produits, presque partout dans le monde et en quelques jours seulement (voire avec un délai de 1 jour ouvré seulement pour le service Amazone Prime, et bientôt peut-être en anticipant même les commandes) n’est pas pour rien dans le succès commercial de la firme de Seattle.

Étonnant même, quand on constate le nombre de griefs qu’elle concentre pourtant sur elle, depuis les accusations de fraude ou tout au moins d’optimisation fiscale à grande échelle jusqu’aux soupçons de dumping, en passant par les critiques sévères des conditions de travail voire les reproches des commerces de proximité en général et des libraires en particulier qui considèrent qu’Amazone veut leur peau, et l’a d’ailleurs déjà largement obtenu…

Mais il n’en a pas toujours été ainsi et l’on était semble-t-il plus conciliant envers la qualité du service commercial, y compris à la cour de Roi de France, du temps du Roi Soleil lui-même, pourtant réputé exigeant. En 1670, alors que Louis XIV est au sommet de son règne absolutiste et que les travaux d’agrandissement du château de Versailles battent leur plein, une commande royale de blocs de marbre rouge est passée au bénéfice des carrières de Caunes-Minervois.

Cheminée en marbre rouge du Languedoc dans le salon rond du Grand Trianon (source © Marc Maison)

Ce fameux marbre rouge du Languedoc qui a largement été utilisé à Versailles provient de carrières ouvertes dans les flancs de la Montagne Noire, qui surplombe la plaine du Minervois, dans l’Aude, la petite ville de Caunes étant édifiée sur les berges d’un cours d’eau au nom évocateur d’Argent-Double. Le marbre incarnat qui y est extrait a fait la renommée du secteur depuis l’époque romaine et nombre des pierres ayant servi à construire le Grand-Trianon en particulier proviennent de là.

Dans la carrière de Villerambert, un bloc de marbre commandé par Louis XIV et pas encore livré… (source © Marbres en Minervois)

Seulement voilà, pour une raison restée inconnue, les blocs de marbre commandés en 1670 et qui étaient destiné à une chapelle du château de Versailles n’ont jamais été livrés. Une partie des anciennes carrières étant toujours en exploitation, le plus drôle est qu’on vient de retrouver les blocs en question, oubliés dans les fourrés au milieu des buissons. L’estampille royale qui y figure atteste sans doute possible qu’il s’agit bien de blocs commandés pour les besoins du chantier il y a près de 350 ans et qui n’a jamais été livrés.

Mais qu’à cela ne tienne : le gérant de la carrière depuis 2001, un certain Khalid Massoud, qui a créé l’association Marbres en Minervois, destinée à faire mieux connaître les qualités esthétiques et architecturales de cette pierre à bâtir, n’allait pas laisser un tel incident commercial entacher l’honneur des carrières de Caunes-Minervois. Il s’est donc mis en tête d’honorer enfin la royale commande et de livrer sans plus tarder un des blocs tant attendus.

Carrière de marbre rouge à Caunes-Minervois (photo © Thierry Pons / MaxPPP / La Croix)

Comme on n’est plus à quelques années près, l’auguste client étant mort depuis belle lurette ainsi que son comptable, l’association a décidé de faire les choses dans les règles et de se conformer aux mœurs de l’époque, pour livrer le colis en souffrance. Khalid Massoud a donc fait appel au mécénat d’entreprise en mobilisant plusieurs acteurs locaux et des bénévoles afin d’expédier le bloc de marbre avec les moyens de transport en vigueur au XVIIe siècle.

Après 5 ans de recherches, de collecte des fonds, de mobilisation des initiatives et de démarches administratives, un premier bloc d’environ 1 tonne a été chargé sur une charrette tirée par un robuste cheval de trait qui l’a acheminé début juin 2019 jusqu’à La Redorte, où le bloc a été chargé le 13 juin sur une solide gabarre construite par une scierie locale à l’aide d’une dizaine de gros pins Douglas. Le radeau tiré par des chevaux permettra de transporter le bloc sur le Canal du Midi jusqu’à Carcassonne, où il sera déchargé pour y être entreposé tout l’hiver.

Départ du bloc en charrette (photo © Christophe Barreau / L’Indépendant)

A l’époque du Roi Soleil, les blocs de marbre mettaient 6 mois pour atteindre Versailles. Mais comme les réclamations du client se sont faites plus discrètes au fil des siècles, il n’y a plus d’urgence à livrer et l’association compte bien prendre son temps, sans doute 4 ou 5 ans, histoire d’entretenir le battage médiatique et de faire grimper la renommée de ce marbre injustement méconnu.

Le bloc principal, qui pèse pas moins de 3 tonnes, actuellement déposé sur l’immense radeau sera d’ici là acheminé lui aussi à Carcassonne, mais pas par le Canal du Midi où une telle embarcation n’est pas autorisée à naviguer. Une fois transportée jusqu’à Toulouse, les pierres devraient être chargées dans une goélette qui les conduira par la Garonne jusqu’au port de Bordeaux, d’où une embarcation militaire pourrait prendre le relai pour le tronçon maritime du périple jusqu’au port de Rouen. C’est finalement une charrette qui finira le trajet pour remonter la Seine jusqu’à Versailles. Un beau coup de publicité en tout cas pour ce carrier dont l’initiative ravit les médias locaux, de l’Indépendant à FR3 Occitanie en passant par la Dépêche ou le Midi Libre. Heureusement que le chantier n’attendait pas vraiment après ce bloc oublié…

L. V.

En Inde, les grandes manœuvres pour la bataille de l’eau

18 juillet 2019

Une des grands enjeux de notre temps est sans conteste la gestion des ressources en eau. Sous l’effet du développement démographique, les besoins sont de plus en plus importants, en particulier pour les nécessités de l’agriculture irriguée, mais aussi de certaines activités industrielles et économiques, dont le tourisme de masse.

Économies d’eau, comment s’y prendre… (source © CISALB)

Mais en parallèle, ces mêmes activités humaines se traduisent par une pollution des ressources en eau, tant dans les rivières que dans les sols et donc dans les nappes souterraines. Les quantités d’eau disponibles, propres à la consommation humaine après traitement, sont donc en voie d’amenuisement, avec naturellement de très fortes disparités selon les régions. Et les perspectives liées au changement climatique ne vont pas arranger les choses.

En France même, les modèles de prévision indiquent que les débits d’étiage de certains cours d’eau et surtout les niveaux des nappes souterraines sont appelés à diminuer de manière très significative dans les décennies à venir. Mais la situation est loin d’être dramatique et les adaptations pour y faire face, via une optimisation des consommations, une amélioration des dispositifs de traitement, une meilleure réutilisation des eaux usées, voire la construction d’ouvrages de stockage, devraient permettre de faire face sans trop d’inquiétude à cette évolution.

Femmes puisant l’eau en Inde dans le lit de la rivière Gundar au Tamil Nadu (photo © R. Ashok / A l’encontre)

Il n’en est pas de même dans d’autres pays qui font d’ores et déjà face à des pénuries d’eau nettement plus inquiétantes. C’est le cas par exemple en Inde où vit 16 % de la population mondiale avec, à sa disposition, seulement 4 % des ressources en eau de la planète. Selon un rapport publié en juin 2018 par l’agence Niti Aayog qui conseille le gouvernement indien, près des trois-quarts des foyers ne sont pas desservis en eau et 600 millions d’habitants font face à de graves problèmes de pénurie.

On dénombrerait ainsi d’ores et déjà 200 000 personnes qui meurent chaque année en Inde faute d’accès à l’eau potable et la situation est appelée à empirer puisque selon les projections de Niti Aayog, les besoins en eau devraient représenter d’ici 2030 le double des ressources en eau disponibles. Une terrible équation qui s’explique en partie par une très forte augmentation démographique, les projections de l’ONU prévoyant que l’Inde devrait compter 1,4 milliards d’habitants dès 2027, devenant à cette date le pays le plus peuplé du monde, devant la Chine.

Rivière Ganga encombrée de déchets à Allahabad en Inde (photo © Sanjay Kanojia / AFP / Getty Images / Mr Mondialisation)

Mais d’autres facteurs jouent également, dont le fait que 50 % des apports pluviométriques annuels tombe en une quinzaine de jours seulement, pendant la mousson, provoquant ruissellement, érosions, pollutions et inondations catastrophiques, mais ne favorisant guère l’infiltration dans les nappes, lesquelles sont de plus en plus exploitées (et souvent polluées) par les innombrables forages qui ont été réalisés ces dernières décennies, souvent de manière assez anarchique.

Cette année, le premier ministre nationaliste Narendra Modi, tout juste triomphalement réélu, a dû ainsi faire face à un retard catastrophique de l’arrivée de la mousson, au point que les autorités ont été obligées de conseiller aux agriculteurs de ne pas semer, de peur de voir toute leur récolte sécher sur pied. Des émeutes ont éclaté au Madhya Pradesh où la police n’a eu d’autre choix que de surveiller nuit et jour les réservoirs d’eau pour éviter les vols, tandis que les écoles ont dû fermer au Karnataka faute de possibilité d’y donner à boire aux enfants. Des convois de train ont été organisés pour ravitailler en eau la capitale du Tamil Nadu tandis que les camions citernes font la noria vers les hôpitaux, comme le relate Le Monde.

Approvisionnement en eau par camion-citerne à New Delhi (photo © Adnan1 Abidi / Reuters / Le Temps)

Pour faire face à une situation aussi inquiétante, certains responsables politiques ont voulu prendre le problème à bras le corps et se lancer dans des travaux d’aménagements pharaoniques, pour tenter de retenir cette eau si précieuse. C’est le cas notamment dans l’État du Telangana, créé en 2014 par une partition de celui d’Andra Pradesh. Situé sur le plateau du Deccan, cet État est traversé par deux grands fleuves, la Godavari et la Krishna, mais l’essentiel de sa surface est néanmoins semi-aride et sa capitale, Hyderabad, souffre de difficultés chroniques d’approvisionnement en eau potable.

Chantier de construction d’un des réservoirs du gigantesque complexe de détournement des eaux de la Godavari (source © Gouvernement du Telangana / Financial Express)

Sous l’impulsion du gouverneur local, un projet titanesque a été mené à bien, inauguré le 21 juin 2019, destiné à retenir une partie des eaux de la Godavari et de son affluent la Pranitha, lors des crues de mousson : selon un article publié à ce sujet dans Marianne, ce sont pas moins de 5 milliards de m3 qui seront ainsi retenus via le barrage de Medigadda et renvoyés par de gigantesques pompes jusqu’à 30 km plus en amont vers d’autres immenses retenues, dont le lac réservoir de Yellampalli situé à une altitude très supérieure. De là partira un réseau complexe de canaux et de canalisations destinés à distribuer de manière gravitaire toute cette eau précieuse, destinée en priorité à l’irrigation mais aussi à l’alimentation en eau potable.

Barrage de Yellampalli (source © The Hindu)

Le projet fait rêver toute la population, à l’exception sans doute des quelques 30 000 habitants dont les villages ont été rayés de la carte et qui ont dû partir chercher refuge ailleurs. A l’exception aussi de certains esprits chagrins, soucieux de la disparition de 3000 ha de forêts rasées pour faire face aux pelleteuses, et qui s’inquiètent du sort des espaces forestiers préservés situés en aval et qui ne seront plus alimentés par toute cette eau détournée vers l’amont.

Chantier de construction du barrage de Medigadda (source © Telangana Today)

Le premier ministre en tout cas est très fier de ce projet dont les ingénieurs indiens affirment qu’il s’agit du plus grand système d’irrigation jamais construit au monde. Il faut dire que sa réalisation a quand même coûté la bagatelle de 10,3 milliards d’euros et que son fonctionnement annuel est estimé à 1,8 milliard d’euros car il exigera d’énormes quantités d’électricité pour actionner les pompes.

Vue d’un des ouvrages de transfert d’eau du projet d’irrigation de Kaleshwaram (source © Shanmugamias Academy)

Par son ampleur, ce projet s’inscrit dans la droite ligne des ouvrages hydrauliques titanesques tels que la barrage d’Assouan, celui des Trois-Gorges en Chine, la grande rivière artificielle qui traverse la Libye sur 3000 km, ou encore le projet avorté de détournement vers le Sud des grands fleuves de Sibérie. L’avenir dira si les bénéfices qui en seront retirés compenseront ou non les impacts négatifs tant sociaux qu’environnementaux qu’un tel projet ne peut éviter, et si le bilan économique est à la hauteur des ambitions politiques qui le portent. Il ne sera pas dit en tout cas que les ingénieurs indiens seront restés les bras croisés face au formidable défi de la bataille de l’eau !

L. V.

A Marseille, le métro craint que les immeubles ne lui tombent sur la tête…

15 juillet 2019

Nos ancêtres les Gaulois, lithographie du XIXe siècle (photo © Selva / Leemage)

La légende de nos ancêtres les Gaulois ne craignant qu’une chose, que le ciel ne leur tombe sur la tête, est tenace bien que sans doute largement excessive. Popularisée par les bandes dessinées d’Astérix, cette croyance a néanmoins un fond de vérité, puisqu’elle résulte du témoignage d’un historien grec, Arrien, auteur de l’Anabase d’Alexandre, qui relate les campagnes d’Alexandre le Grand en s’appuyant notamment sur les mémoires d’un de ses généraux, Ptolémée.

Selon ce témoignage, l’histoire se passe en 335 avant J. C., plusieurs siècles donc avant la conquête de la Gaule par Jules César. Les Gaulois dont il est question sont en réalité des Celtes de la Gaule cisalpine, autrement dit du nord de l’Italie, plus précisément de la petite ville d’origine étrusque nommée Adria, située à l’embouchure du Pô et qui a donné son nom à la mer Adriatique toute proche. Ces farouches guerriers sont des mercenaires habitués à louer leurs services à Denys l’Ancien, tyran de Syracuse, qui avait établi à cet endroit une garnison militaire devenue centre de recrutement.

Alexandre le Grand à la bataille d’Issos, détail d’une mosaïque de Pompéi, conservée au musée de Naples

Quelque peu désœuvrés depuis la chute de son fils, Denys le Jeune, quelques années auparavant, ces guerriers gaulois viennent en fait dans l’idée de se faire recruter par le nouveau roi de Macédoine qui s’apprête à partir à l’assaut de l’empire Perse et de conquérir l’Asie. Alexandre les invite à un banquet et leur demande ce qu’ils craignent le plus, persuadé qu’ils répondront diplomatiquement en indiquant qu’ils redoutent avant tout les foudres du souverain tout puissant Alexandre le Grand.

C’est pourquoi la réponse des guerriers celtes, indiquant qu’ils n’ont peur que d’une chose, à savoir que le ciel leur tombe sur la tête, est restée dans les mémoires et dans les chroniques historiques. Faut-il cependant y voir l’expression d’une véritable croyance propre à la cosmogonie celtique qui se traduirait par une réelle peur que les puissances célestes viennent s’abattre sur les fiers guerriers gaulois ? En réalité et vu le contexte, Alexandre et son général Ptolémée traduisent plutôt cette affirmation ambiguë comme un acte de provocation de leurs invités, une manière de dire qu’ils n’ont peur de personne, pas même du roi de Macédoine… Ils en déduisent que ces Gaulois ne sont que des vantards, mais que leur vaillance mérite de les incorporer dans l’armée d’Alexandre…

Malgré la tradition qui prétendrait que nous serions tous lointains descendants de ces guerriers arrogants, la crainte que le ciel ne nous tombe sur la tête, n’est plus guère répandue de nos jours dans ce qui était autrefois le territoire de la Gaule transalpine.

Population réfugiée à la station de métro Lamarck pendant une alerte aérienne en 1944 (photo © Doisneau / coll. J. Robert / Ktakafka)

Certes, les circonstances nous rappellent parfois que le danger peut venir du ciel. Lors des bombardements allemands, puis surtout alliés, qui ont durement meurtri plus d’une ville française durant la dernière guerre mondiale, la population française avait pris l’habitude de se réfugier dans les caves et, à Paris, dans les stations de métro en espérant y être à l’abri des bombes. Cela ne sera pas toujours suffisant à en juger par le nombre incroyable de victimes civiles du fait de ces bombardements, y compris d’ailleurs dans les stations de métro comme celle de Pont-de-Sèvres, où 80 personnes ont trouvé la mort début 1943 suite à un raid audacieux de la Royal Air Force visant les usines Renault à Boulogne-Billancourt mais ayant arrosé un peu large.

Civils tués par un bombardement anglais le 4 avril 1943 à la station de métro Pont-de-Sèvres (photo Berliner Verlag archives ; source © Alamy Images)

Mais voilà que de nos jour certaines stations de métro non seulement ne constituent plus des abris sûrs contre les menaces venues du ciel, mais doivent même être fermées à cause de ces mêmes menaces. En l’occurrence, c’est le cas de la station Jules Guesde, située dans le 2e arrondissement de Marseille, laquelle a fait l’objet d’un arrêté municipal de police, le mercredi 19 juin 2019, ordonnant l’évacuation de 42 habitants et la fermeture sine die de la station de métro. La raison évoquée est que 3 immeubles vétustes de la rue de la Butte, située à deux pas de la Porte d’Aix et de l’Hôtel de Région, menacent de s’effondrer, sur l’entrée de la station de métro !

Périmètre de sécurité déployé place Jules-Guesde (photo © Emilio Guzman / Marsactu)

Une partie des immeubles branlants qui bordent la place avaient pourtant déjà été démolis en 2017 dans le cadre de l’opération Euroméditerranée qui intègre ce secteur, mais ceux des numéros 4, 6 et 8 de la rue de la Butte, menacent désormais ruine, d’où la prise de ce nouvel arrêté de péril imminent par les services de la Ville de Marseille, sérieusement échaudés depuis l’effondrement de la rue d’Aubagne qui avait fait 8 morts le 5 novembre 2018 et provoqué un véritable séisme politique.

Les derniers habitants ont donc été évacués dans l’urgence et les entrées des trois immeubles soigneusement cadenassées voire murées comme le relate La Provence. Un périmètre de sécurité a été mis en place tout autour de la zone jugée dangereuse, qui inclut donc l’entrée de la station de métro, interdisant tout accès à cette dernière. Le site de la RTM (Régie des transports marseillais) confirme laconiquement que la station est fermée au public mais que les rames de la ligne 2 continuent d’y circuler normalement, sans toutefois marquer l’arrêt.

L’entrée du n°4 rue de la Butte murée à côté de la station Jules Guesdes (photo © La Provence)

Quant à savoir combien de temps durera une telle situation sans doute très handicapante pour tous ceux qui habitent ou travaillent aux alentours, bien malin qui pourrait le dire. « Nous vous tiendrons informés de sa réouverture » assure aimablement la RTM sur son site, ce qui est bien en effet la moindre des choses, et on l’en remercie chaleureusement par avance.

Un nouveau drame a en tout cas peut-être été évité à Marseille grâce à cette mesure de sécurité préventive. A quelques mois des élections municipales, l’effondrement de ces immeubles sur une bouche de métro à la sortie des bureaux du Conseil Régional aurait sans doute été quelque peu malvenue…

L. V.

Katulu ? n° 60

13 juillet 2019

Vous l’attendiez tous avec impatience ? Le voici, le voilà : le dernier numéro du cercle de lecture Katulu ? affilié au Cercle Progressiste Carnussien vous fera découvrir de nouvelles œuvres lues et partagées en avril et en juin 2019.

Retrouvez l’intégralité des notes de lecture de ces livres (Katulu n°60). Si vous aussi vous avez envie d’échanger en toute convivialité autour de vos derniers coups de cœur de lecteur, venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence !

 

Dans la maison de la liberté

Interventions

David Grossman

Ce livre est la compilation de onze interventions de l’auteur entre 2008 et 2018, en Allemagne (Berlin, Munich, Francfort), en Italie (Florence), en France (publications dans Libération), à l’Université de Harvard, et à l’Université Hébraïque de Jérusalem.

De nombreux thèmes y sont abordés, de manière récurrente : la recherche de la paix entre Israël et les Palestiniens, les effets dévastateurs de la guerre sur la société israélienne, la Shoah et son empreinte persistante sur l’âme juive. Et aussi une réflexion sur la littérature (qu’est-ce écrire ?), sur la liberté (quand suis-je libre ?).

L’auteur aborde son œuvre littéraire qui se nourrit du quotidien et de la « situation », euphémisme israélien pour désigner le conflit au Proche-Orient et comment le deuil (la mort de son fils tué pendant la guerre du Liban), l’angoisse existentielle et la violence l’incitent à écrire.

« Au cœur de la réflexion, une métaphore […] : la maison – et l’urgence, pour chacun de retrouver le sens d’un foyer commun, dont les murs seraient synonymes, non plus de séparation, mais de rapprochement, d’harmonie, d’échange et de fraternité. »

Quatre thèmes majeurs sont ainsi abordés : la légitimité de l’État Israélien, la Shoah et son empreinte persistante sur l’âme juive, le conflit israélo-palestinien, et enfin la politique du gouvernement actuel, avec la loi sur l’État-nation du peuple juif (19 juillet 2018). Et l’auteur de conclure : cette loi représente l’abandon d’une chance quelconque de clore un jour le conflit avec les Palestiniens. AVEC CETTE LOI ISRAËL A SOMBRÉ. « Nous avons mal à Israël et nous avons mal à sa falsification. »

Un livre très riche, impossible à résumer, très intéressant sur sa vision d’Israël, sur le conflit Israélo-palestinien. A lire… absolument !

                                                                                               Marie-Antoinette

 

L’opticien de Lampedusa

Emma-Jane Kirby

En octobre 2013, après le naufrage d’une embarcation, à 1 km des côtes de Lampedusa, qui fait 366 morts, l’auteure se rend sur l’île de Lampedusa pour enquêter sur le drame. Elle témoigne alors du sauvetage de 47 migrants par l’opticien de la ville.

Ce dernier est un homme d’une cinquantaine d’années, attentif à sa femme, soucieux de ses enfants. En somme, « monsieur tout le monde ». Ses amis tiennent une boutique l’été, ensuite, ils rentrent chez eux, à Naples. Ils déplorent la baisse de la fréquentation touristique de l’île à cause de la présence des migrants. L’opticien en a entendu parler : lui dont le métier est d’éclaircir la vision de ceux qui ne voient pas très bien, ne voit pas grand-chose de ce qui l’entoure.

Emma-Jane Kirby (photo © SDP)

A la fin de la saison estivale, l’opticien, sa femme Teresa et leurs amis ont prévu une balade en mer Ils embarquent un matin, la mer est calme, les mouettes crient. Mais ces cris incessants, étranges les intriguent, s’agit-il de mouettes ? Scrutant des points noirs à l’horizon, ils s’approchent … Des centaines de cadavres flottent autour du bateau, par centaines encore des naufragés se débattent en appelant au-secours dans une langue qu’ils ne connaissent pas.

Les huit amis lancent l’unique bouée de sauvetage de leur embarcation, tendent leurs mains pour extirper sans relâche des hommes à demi nus, à bout de force, qui s’agrippent au bord. Ils sauveront ainsi quarante-sept personnes.

Les jours suivant le drame, ils tenteront de revoir « leurs naufragés » prendre de leurs nouvelles, ils se verront éjectés faute d’accréditation. Ce n’est que de loin, brièvement, qu’ils pourront les apercevoir et se faire voir d’eux à travers le grillage. C’est un séisme qui a ébranlé leur esprit et leur corps. Entre crises d’angoisse, cauchemars, insomnies, dépression, asthme ou diverses maladies de peau ou de la nutrition, ils sont tous profondément marqués et peinent à retrouver leur équilibre.

C’est un récit court, saisissant, affolant, émouvant dans un style direct au présent. L’immigration est une tragédie humaine gérée par l’Europe de façon techniciste avec une profonde indifférence !

                                                                                               Antoinette

 

SALINA

Laurent Gaudé

Salina, cela vient de « sel ». Salina est la mère (du narrateur) au nom et aux larmes de sel. Cette femme a d’abord été l’enfant jetée par un cavalier solitaire dans la tribu Djamba quelque part dans un pays de caravaniers et de vaillants guerriers.

Ce conte colporte une histoire, une légende qui se transmet à l’infini des temps et des contrées. Rien ne sera dévoilé de l’origine de Salina ni de son mystère. Le destin de Salina nous plonge dans le merveilleux, la magie. Venue de nulle part, vivante contre toute attente. Résistante à des épreuves surréalistes. Les hyènes épargneront sa vie réduite aux cris.

Le cri parcourt ce récit. Il raconte la force sauvage. Il raconte la vie avec ses lots de douleurs, d’injustices, de violences. Le cri est violence. Il vient des entrailles. Il n’a pas de mots. Le cri est rauque, épais, lourd sans soulagement.

Laurent Gaudé (photo © Leonardo Cendamo / Leemage)

Ce conte fascine parce qu’il rapproche de ce qui nous caractérise, l’immuabilité de notre destin. Qui que nous soyons à travers des siècles et des siècles, il se noue entre nous des chaînes invisibles de destinées communes. Salina est sans doute une part de nous-mêmes avec sa voix fêlée, brisée par les épreuves de la vie et les exils qu’elle subit.

L’auteur nous entraîne surtout sur le chemin du Passage. Il nous plonge dans les rites de l’embaumement du fleuve à traverser pour atteindre l’île du cimetière du repos. Il nous délivre les valeurs de la transmission filiale, des devoirs, du respect de la mort et du poids de l’héritage.

Salina, c’est aussi une leçon de résistance, d’espérance, de transmission. Elle nous apprend que l’amour n’est pas un dû, qu’être mère reste un choix et que vivre dans la haine ou la vengeance apporte le malheur. Violences et rédemptions se côtoient et se disputent infiniment. Des rites mystérieux et ancestraux nous accompagnent de la vie à la mort et nous sont transmis à travers les siècles par la pierre, le papier, le chant, le conte.

                                                                                                          Nicole

 

Transparence

Marc Dugain

Avec Transparence, l’auteur aborde le roman d’anticipation, faisant ainsi penser à Jules Verne qui un siècle avant lui imagine des progrès scientifiques, pour certains justifiés par l’histoire. Il place son roman vers l’année 2068 c’est-à-dire cent ans après la révolution sociale de mai 68 qui, pour lui, marque la fin de l’ère scientifique pour entrer dans l’ère numérique.

En Islande, moins sensible au réchauffement climatique, son héroïne, après avoir quitté un poste de cadre chez Google, crée une société de contact pour couple, la société « Endless ».

Un jour, elle est dénoncée pour un geste apparemment criminel : on l’a vu pousser une femme du haut d’une falaise, au-dessus de l’océan glacial. Elle promet à la police expliquer son geste sous cinq jours et, au regard de sa position sociale, obtient ce sursis.

L’auteur, Marc Dugain (source : Gallimard)

Avec « Endless » l’héroïne est aussi en possession de milliards de données informatiques très secrètement stockées. Elle a également mis au point un processus permettant de rappeler une âme humaine dans un exosquelette, enveloppe perpétuellement regénérable, et de créer des êtres immortels sélectionnés pour leur haute moralité. Pour ces êtres d’exception, plus de nécessité d’alimentation, de sommeil ni d’adaptation à la température etc… Ceux qui ne sont pas éligibles sur le Net, ou ne le désirent pas, pourront se reproduire et quitter ce monde suivant le procédé classique libérant l’âme immortelle du corps périssable.

On comprend alors qu’elle a envoyé son double à la mer après un transfert vital dans un corps recréé. Voilà pour la trame romanesque. Mais l’intérêt se porte aussi sur le monde actuel avec une analyse des crises politiques, scientifiques et morales durant les cent dernières années. La planète risque-t-elle, à court terme, la double explosion volcanique qui va la ramener à l’état d’origine ? Peut-on sauver le « Savoir » en embarquant vers d’autres galaxies ? A vous de le découvrir…

« Nous aurions aimé en savoir plus sur cette jeune femme, mais apparemment, elle a laissé derrière elle très peu de données susceptibles de dire qui elle était vraiment. »

                                                                                               Roselyne

 

L’inconsolé

Kazuo Ishiguro

De cette œuvre se dégage surtout le thème du couple aux relations tourmentées. Elle suscite aussi des réflexions sur le spatial–temporel en nous plongeant dans un brouillage inquiétant, époques éloignées, décors étranges, fiction et réalités confondues, et le retour du Temps qui triomphe toujours à nos dépens. Ainsi de ce roman se dégage une souffrance discrète mais lancinante, un effort et une lutte têtus de ses héros, tous pétris de désespoirs, espoirs et finalement d’acceptation mélancolique d’un sort inévitable.

Le héros M. Ryder est un pianiste international célèbre qui arrive pour un concert dans une ville qui est « obséquieuse, ou étrange…». Dès l’entrée en matière, le livre fascine, le mystère plane. La ville est un personnage. De plus cette ville est-elle inconnue du héros ? Les hommes et les femmes rencontrés lui sont-ils réellement étrangers ?

Kazuo Ishiguro, Prix Nobel de Littérature (photo © Jeff Cottenden)

Le roman semble emprunter les codes du roman policier. Il aiguise l’intérêt et la curiosité du lecteur. Il nous entraîne dans une enquête où il s’agira de reconstituer les liens entre ces personnages, apprivoiser cette ville labyrinthe aux époques emmêlées et espérer le fameux concert !!

L’auteur ne cesse de nous plonger en effet dans un désordre temporel et un vertige spatial à couper le souffle. Nous sommes confrontés à la terrible question : rêve ou réalité ? ou cauchemar ? Toutes ces pages à lire, l’auteur à les écrire, nous à les vivre par procuration.  Les histoires se répètent inlassablement sans trouver solution ni consolation. Ainsi un indéfinissable chagrin parcourt ce roman où il semble que le succès de l’artiste n’efface ni la solitude ni n’étouffe son sanglot. Il parle avec pudeur de ces blessures invisibles liés à l’enfance. La rupture ou l’éloignement ne paraissent pas guérir une âme à jamais blessée. La souffrance reste sous-jacente même dans les silences, dans les séparations consenties ou les exils.

En conclusion cette lecture est usante, essoufflée, déchirante, accablante… mais inoubliable pour sa puissance évocatoire, la reconstitution des sentiments vécus dans nos rêves par exemple et son réalisme tragique sur nos pauvres destins humains.

                                                                                                          Nicole

 

Montedidio

Erri De Luca

Montedidio est l’histoire d’un gamin de Naples de treize ans à qui son père offre pour son anniversaire un « boumeran » qu’il garde toujours près de lui. Il le fait tourner, mais il ne veut pas le lancer il a trop peur de le perdre. Il est mis en apprentissage chez Mast’Errico, un menuisier de leur quartier, un brave homme qui héberge dans sa boutique un cordonnier roux et bossu, Rafaniello. Le jeune garçon esseulé par l’hospitalisation de sa mère trouvera un réconfort auprès de ce cordonnier qui répare les chaussures des pauvres de Montedidio sans se faire payer et qui lui raconte le temps où il s’appelait Rav Daniel et où il étudiait « les choses de la foi » ainsi que « le métier des souliers » dans le Talmud. Il lui raconte aussi son pays dont les habitants ont disparu dans la guerre et lui révèle qu’il possède une paire d’ailes dans l’étui de sa bosse pour voler jusqu’à Jérusalem.

L’auteur, Erri De Luca (source : Wikipédia)

Tout ce que lui dit Rafaniello, le jeune garçon le consigne par écrit avec soin sur un rouleau de papier que lui a donné l’imprimeur de son quartier. Si pour Mast’Errico, le menuisier, la journée est une bouchée et qu’il faut travailler vite, pour notre jeune héros son enfance sera également une bouchée, il devra mûrir rapidement : « Au printemps, j’étais encore un enfant et maintenant je suis en plein dans les choses sérieuses que je ne comprends même pas.» Montedidio est présenté sous la forme du journal intime de son jeune héros qui découvre peu à peu la bonté et la bienveillance comme les dangers du monde des adultes, la force de l’amour comme une alliance contre le monde extérieur et également en lui « une force amère capable d’attaquer ».

Une écriture poétique extrêmement légère : un beau livre !!!

                                                                                                          Cécile

 

Gabriële

Anne et Claire Berest

Ce sont les arrières-petites filles de l’héroïne qui ont écrit à quatre mains, en 2018, la biographie, passionnante, de Gabriële Buffet-Picabia.

Gabriële est née en 1881 dans une famille aisée, mais conservatrice. Elle se passionne rapidement pour la musique en tant que théoricienne, elle rêve d’être créatrice. Après ses études musicales à la Schola Cantorum, « lieu de l’Avant Garde musicale à Paris où elle rencontre Claude Debussy et Vincent d’Indy, pédagogue adoré qui « ouvre les fenêtres vers d’autres arts » elle part à Berlin en 1906.

Mais « la carrière musicale de Gabriële prit fin avec la rencontre de Francis Picabia». Il ne reste rien de son goût pour la musique, « pas une œuvre, aucune partition, pas même le titre d’un poème musical ». Tout de suite il va l’accaparer… Ils se marient le 27 janvier 1909 à Versailles.

Anne et Claire Berest (photo © Rebekka Deubner / Les Inrockuptibles)

Au contact de Gabriële, l’art de Picabia évoluera : « je veux peindre des formes et des couleurs délivrées de leurs attributions sensorielles … une peinture située dans l’invention pure qui recrée le monde des formes suivant son propre désir et sa propre imagination ». Gabriële poursuit donc la mission qu’elle s’est donnée : apporter à son mari les éléments de pensée qui vont lui permettre de changer sa façon de peindre ; elle se plonge dans l’histoire de la musique et de la peinture, travaille sur des livres et des catalogues, conceptualise et trouve dans Hegel une idée qui la séduit : « l’art ne doit pas imiter la nature aussi parfaite que soit son imitation, rival de la nature, comme elle et mieux qu’elle, il représente des idées ; il se sert de ses formes comme des symboles pour les exprimer » « Francis, tu dois peindre les sons ! ». La couleur est vibration, de même que la musique, c’est l’intuition de Gabrielle.

C’est là que naît l’œuvre maîtresse de Picabia « Caoutchouc » ; on est en juin 1909, pour la première fois, un peintre peint quelque chose qui ne présente rien. Avant Kandinsky et avant Picasso. Caoutchouc est « le fruit de la pensée musicienne de Gabrielle » Picabia peint l’une des premières peintures abstraites de l’histoire de l’Art. Il y eut des doutes pour certains sur la paternité de l’art abstrait car celui-ci jaillit un peu partout à ce moment-là, mais Picabia fut le précurseur !

Un livre fascinant sur la vie d’une femme et d’un couple au début du 20éme siècle, la place injuste donnée aux femmes à l’époque, destinées surtout au ménage et à la maternité. Gabrielle a su occuper une place primordiale dans l’Art dont elle fut ardente théoricienne !

Josette J.

 

Dix-sept ans

Éric Fottorino

« Un dimanche de décembre, ma mère nous a invités à déjeuner chez elle ses trois fils nos compagnes et notre ribambelle d’enfants ». Elle va leur révéler un douloureux secret (« ce repas c’était Waterloo »), préambule à la confession qu’elle va leur faire ce jour-là : « le 10 janvier 1963 j’ai mis au monde une petite fille, on me l’a enlevé aussitôt je n’ai pas pu la serrer contre moi, je ne me souviens même pas de l’avoir vu, d’avoir vu le moindre détail, elle n’est pas entrée dans mes yeux. »

Elle qui était déjà « fille mère » se retrouve enceinte. C’était plus ce que pouvait supporter sa propre mère qui a organisé l’abandon avec la complicité de l’Église sans la consulter bien sûr : « honte sociale » se taire et oublier sans laisser le choix à la jeune fille mineure qui n’a pas droit au chapitre.

Éric Fottorino (photo © Joel Saget / AFP)

Alors que ses frères sont sous le choc et émus, Éric reste de marbre et rentre chez lui, persuadé que tout va bien. Il reprend ses cours à la fac mais en véritable automate. La semaine qui suit, il part à Nice, la ville où il est né, où il va tenter de percer le mystère de cette mère de 17 ans.

Cette recherche de la mère pour laquelle il n’a jamais pu témoigner de l’affection : ils ne se sont rien dit durant des années. Il va découvrir Lina jeune et jolie jeune fille, niée par les siens depuis son adolescence, entourée d’hommes qui lui donnaient un semblant d’amour qu’elle recherchait tant. A Nice, Lina va goûter à la liberté, à la chaleur et la lumière méditerranéenne.

A mesure qu’il reconstitue la vie de Lina, il se promène dans Nice, se familiarise avec les lieux qu’elle a connus, fait des rencontres improbables qui l’aident à se rapprocher d’elle. Plus tard au gré d’une rencontre, une femme lui dira « avec une kippa vous feriez un bon juif à la synagogue, il y a du juif en vous. Quel jour êtes-vous né ? 26 août c’est le nombre parfait des juifs ». Son père naturel, il le retrouvera à 17 ans, c’est un médecin juif.

Des retrouvailles apaisées entre une mère et son fils, cet amour filial entravé par un lourd passé : c’est cela que je retiendrai de ce roman. Les blessures et les secrets ne pèsent plus le même poids « l’amour de ma mère, je ne l’ai pas senti. Il a manqué une étincelle ».

Un style facile, des mots superbes, beaucoup d’émotion.

                                                                                               Suzon

 

Chien-Loup

Serge Joncour

Le roman se présente de façon originale. Deux périodes : juillet 1914 et août 2017. A chaque chapitre l’auteur change de période. On y découvre deux histoires à un siècle de distance. C’est surprenant parfois gênant !

Année 1914 : C’est le début de la guerre, les hommes sont partis. Nous sommes dans un petit village du Lot, les femmes gèrent les travaux des fermes. Le mont d’Orcières c’était des terres à vignes opulentes et gaies mais dévastées par le phylloxera à la fin du 19e siècle. L’angoisse et la peur pèsent lourdement ! On parle de hurlements, hourvari… aboiements heurtés et déchirants. Un dompteur, « un boche » arrive dans le village avec son cirque et ses fauves ! « cet Allemand là avec son armada de tigres et de lions tonitruants était travaillé par le mal ». Le maire lui propose d’occuper la maison inhabitée sur le Mont d’Orcières, lieu sauvage et inhospitalier. « Avant le boche, jamais Orcières n’avait reçu autant de colère et d’eau… tout foutait le camp désormais ».

L’auteur, Serge Joncour (source : Babelio)

Année 2017 : Un couple de parisiens, Frank et Lise, louent pour les vacances dans le Lot une maison « absente de toutes les cartes et privée de réseau, perdue au milieu des collines, de calme et de paix ! ». Éblouis par la beauté des lieux ils ignoraient que cette colline avait pendant la guerre de 14 abrité un dompteur allemand et ses fauves ! Une découverte étrange à leur arrivée : un chien loup, sans collier attiré irrésistiblement par eux semblant chercher un maître.

Franck contrarié par le fait que son smartphone ne capte pas de réseau s’adapte peu à peu, il s’attache au chien qu’il appellera Alpha ! Il découvre la nature environnante et surtout une espèce de fosse où il apprend qu’en 1914 des fauves ont été enfermés ! Franck va devenir, dans cette nature hostile « charognard », bourreau insensible qui n’hésite pas à emprisonner toute une nuit dans une cage ses jeunes collaborateurs qu’il a fait venir, à les perdre dans la forêt afin qu’ils signent l’avenant au contrat qui le protégera d’un monde de « requins » ….

L’auteur à travers ces deux histoires montre la violence du monde, par les guerres tragiques, mais aussi révèle la brutalité du monde contemporain, où on ne se fait pas de cadeau ! Il met en évidence aussi l’importance grandissante de l’écologie dans notre société actuelle, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les risques de manger trop de viande : « la barbaque » qui a provoqué le cancer dont Lise fut frappée !

Peinture d’une grande nature sauvage, images multiples des animaux : « dans l’animal le plus tendre dort toute une forêt d’instinct » dit l’auteur qui questionne la cohabitation hommes-animaux dans la nature.

                                                                                                          Josette J.

 

Lady Mary

Danielle Digne

Lors d’une exposition de peintres de l’époque victorienne à Londres, l’auteure est attirée par un tableau représentant une petite fille richement vêtue et qui dégage une indifférence à tout ce qui l’entoure. « Intriguée, mes recherches me mettent sur la piste de cette aristocrate érudite réputée pour sa beauté ». Son père, Evelyn Pierrepont, comte de Kingston, appartenait à la haute ligné, héritier d’une grande fortune. Avant de mourir sa femme lui avait donné 3 enfants : Mary née en 1689 en France, un an plus tard Evelyn en 1691 et William en 1692. Mary est élevée par sa grand-mère qui lui donnera le goût de la lecture.

Son père possède une bibliothèque où il lui est interdit d’entrer. Avec la complicité de son frère elle va pouvoir y accéder. Elle étudie 5 à 6 heures par jour, apprend le latin. Elle écrit dans son journal « je suis une femme je n’ai aucun avantage d’éducation j’ai 14 ans ».

Elle va rencontrer l’homme qui sera son mari Edward Worthley. Son père s’oppose à ce mariage, elle fugue avec son amant. Elle ne reverra jamais son père. Elle est présentée à la Cour : Mary est resplendissante, le roi Georges 1ere lui dit : « vous serez le joyau de notre cour » mais elle préfère s’ouvrir au monde littéraire et artistique.

Danielle Digne à La Ciotat (source : son blog)

Malheureusement en 1715 elle contracte la variole. Cette maladie fit des ravages sur son visage mais loin de se lamenter elle apprit à se maquiller pour surmonter la disgrâce.

Son époux est nommé ambassadeur extraordinaire en Turquie et ils partirent découvrir le monde. Les turkish embassy letters : au terme de ce périple Mary commence à écrire « terme d’un voyage qu’aucun chrétien avait entrepris depuis le temps des empereurs grecs ». Elle pense que ses lettres feront date : « je dois la vérité aux femmes des générations futures pour qu’elles s’inspirent de ma liberté ».

Mary entend parler d’un vaccin contre la variole. Elle veut protéger son fils de ce fléau qui avait abîmé son beau visage et emporté son frère. En cachette de son mari, elle fait pratiquer l’injection à son fils.

Le 24 juin 1718 les Wortley embarquent pour le voyage de retour. Rentrée en Angleterre Mary continua à briller par son esprit et ses reparties piquantes. Voltaire exprimera toute son admiration pour ses qualités littéraires. Elle tint parole en popularisant le vaccin de la variole en Angleterre.

Sa vie bascula en 1736, à 47 ans : elle rencontra Francesco Algarotti un italien de Venise. Elle quitte l’Angleterre pour Venise et passe les dernières années de sa vie en Italie et dans le sud de la France sans revoir le bel italien. Elle meurt à l’âge de 73 ans d’un cancer

Ses lettres furent publiées sans l’autorisation de sa famille, le succès fut immédiat. « J’ai tout sacrifié pour conquérir mon indépendance aliénée par le despotisme de la coutume. J’ai rompu avec toutes les attaches du cœur. Malgré cela je n’ai point trouvé l’indépendance et à cause de cela même je ne crois pas qu’on puisse la rencontrer ».

C’était un esprit libre, une personnalité unique par son caractère sa culture et l’éclat de son esprit. A une époque où les femmes étaient prisonnières des conventions familiales et sociales elle a démontré qu’elles avaient le droit de vivre leur propre vie et ne pas être l’esclave de leurs maris.

                                                                                                          Suzon

La finance au secours du climat ?

11 juillet 2019

Pierre Larroutorou (extrait vidéo © ThinkerView)

Parmi les 74 députés français élus le 26 mais 2019 au Parlement européen, figure un ardent défenseur de la lutte contre le changement climatique. Placé en cinquième position sur la liste justement intitulée Envie d’Europe écologique et sociale, dirigée par Raphaël Glucksmann, il a été élu de justesse puisque le score de 6,19 % obtenu par la liste pourtant soutenue par le Parti socialiste, ne lui a permis d’avoir que 5 élus. Voilà donc que Pierre Larrouturou accède à 54 ans à son deuxième mandat électif, après avoir été un temps conseiller régional d’Ile de France, entre 2010 et 2015, sous l’étiquette des Verts.

Agronome de formation, cet économiste est un disciple de René Dumont, persuadé depuis toujours que le Monde ne peut se développer de manière harmonieuse sans davantage de justice sociale. Longtemps militant au PS, il avait créé en mars 2012 le Collectif Roosevelt aux côtés de nombreuses personnalités parmi lesquelles Edgard Morin, Michel Rocard ou encore Stéphane Hessel, dont il était très proche.

Pierre Larroutorou et Stéphane Hessel présentent une motion au congrès du Parti socialiste à Toulouse en 2012 (source © Daily Motion)

Ayant claqué à trois reprises la porte du PS qu’il juge trop timide dans ses volontés réformatrices, Pierre Larrouturou a toujours milité pour la réduction du temps de travail, un meilleur partage des richesse, une Europe plus démocratique et qui fut dès 2005 un des rares économistes à prédire la survenance de la crise économique majeure de 2008, s’attirant les moqueries acerbes d’un Dominique Strauss-Kahn alors au sommet de sa gloire.

Son aventure à la tête de son propre parti, Nouvelle Donne, créé fin 2013, ne lui a pas attiré que des amitiés comme il le raconte lui-même dans une longue interview qu’il a accordé en juin 2018 au média internet Thinkerview, qui fait un tabac d’audience sur YouTube.

En novembre 2017, Pierre Larrouturou publie un livre intitulé en toute modestie Pour éviter le chaos climatique et financier, un ouvrage coécrit avec Jean Jouzel, ancien vice-président du GIEC, et dont les recherches en tant que glaciologue ont contribué à mettre en évidence, dès les années 1980, l’impact du réchauffement climatique mondial.

Depuis lors, l’économiste Pierre Larrouturou a un peu mis de côté son combat contre le chômage pour se concentrer sur ce nouveau cheval de bataille qui, de son propre aveu, l’empêche de dormir. L’association qu’il a créée avec l’ex-glaciologue climatologue Jean Jouzel et dont il a été un temps le salarié, s’appelle Pacte Finance Climat.

L’économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel (photo © Stéphane Geufroi / Ouest-France)

Tout un programme que cet économiste passionné expose avec infiniment de pédagogie, partant d’un constat largement partagé et que les projections du GIEC résument de manière très visuelle : même en supposant que les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris lors de la COP 21 soient scrupuleusement respectés (ce qui est loin d’être le cas, surtout depuis que ces mêmes accords ont été piétinés par Donald Trump, pourtant à la tête d’un des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre), le réchauffement climatique atteindrait plus de 3 °C d’ici la fin du siècle, avec sans doute des effets irréversibles et des emballements incontrôlables perceptibles dans les quelques années à venir. On est vraiment très proches désormais du point de rupture et seules des politiques ambitieuses et coordonnées de réduction des émissions de gaz à effet de serre pourraient peut-être encore permettre d’éviter le chaos généralisé.

Les trajectoires du probable : quel scénario pour le futur (source © Pacte Climat)

L’objectif visé est clair : faire en sorte que l’Europe joue un rôle moteur en démontrant, par une politique volontariste, qu’il est possible de diviser par quatre d’ici 2050 ses émissions de gaz à effet de serre tout en créant des millions d’emplois, grâce à des investissements massifs notamment dans l’isolation des bâtiments, dans le développement des énergies renouvelables, dans des transports publics propres et dans des politiques d’économie d’énergie à grande échelle.

Un dessin signé Wingz (source © CFDT)

Les études montrent que le pari vaut la peine d’être tenté avec 6 millions de nouveaux emplois à la clé et une réduction significative des dépenses d’énergie, mais aussi une diminution des dommages liés aux catastrophes naturelles voire à terme aux tensions politiques provoquées par l’inévitable immigration de réfugiés climatiques.

Comment amorcer la pompe pour financer un chantier aussi colossal ? En fait la réponse est simple et les outils pour y arriver existent déjà : les banques centrales, américaines comme européennes, ont créé massivement de la monnaie lors de la crise de 2008 pour sauver les banques commerciales menacées de faillite, et la Banque centrale européenne continue à le faire discrètement mais à grande échelle. Depuis 2015, ce sont pas moins de 2500 milliards d’euros qui ont ainsi été injectés par la BCE auprès des banques commerciales, l’essentiel de cette masse monétaire servant uniquement à la spéculation financière puisqu’on estime que seulement 300 millions d’euros ont été prêtés au secteur privé pour des investissements productifs, une misère !

Un dessin signé Nawaq (source © Jolyday)

Dans ces conditions, même le FMI en fait le constat : ces énormes sommes d’argent créées de manière totalement artificielle ne font qu’alimenter la bulle spéculative et nous rapprochent chaque jour davantage d’une nouvelle crise économique que le journal Les Échos prédit déjà comme 10 fois plus grave que celle de 20008 : « l’économie mondiale est comme le Titanic, elle accélère avant le choc »…

La proposition est donc évidente : il suffirait d’affecter cette création monétaire à des investissements en faveur de la transition énergétique. Pour cela, pas besoin de créer de nouvelles usines à gaz. Il suffit de s’appuyer sur la Banque européenne d’investissement (BEI) en lui adossant une nouvelle filiale, une Banque du développement durable, qui, dans le cadre d’un nouveau Traité européen à négocier entre les États les plus engagés, attribuerait à chacun d’entre eux un droit de tirage correspondant à 2 % de son PIB. De quoi investir 45 milliards en France sous forme de prêt à taux zéro pour financement massivement l’isolation des logements et le développement de transports publics propres.

Pierre Larroutorou sur ThinkerView

A cela s’ajoutent bien sûr d’autres leviers à actionner sous la forme d’une taxe sur les transactions financière et une taxe sur les émissions de CO2, mais surtout une contribution climat sous forme d’une taxe à hauteur de 5 % sur les bénéfices des entreprises, bien entendu dégressive en fonction du bilan carbone de chacun. Cette taxe, susceptible de rapporter 100 millions d’euros par an, alimenterait un Fonds européen pour le climat et le développement permettant de soutenir l’effort de recherche, les investissements pour la transition énergétique et l’aide au développement en faveur de nos voisins africains les plus exposés aux effets du dérèglement climatique. Une taxation évidemment peu populaire auprès des milieux d’affaire mais qui permettrait de compenser la chute régulière observée depuis le milieu des années 1990, avec un taux moyen d’imposition sur les bénéfices proche de 20 % en Europe alors qu’il est resté autour de 35 % aux États-Unis, jusqu’aux décision récentes de Donald Trump.

Reste à savoir désormais si ce pacte finance-climat a une chance d’être mis en œuvre, ce qui suppose que les chefs d’États européens, Emmanuel Macron et Angela Merkel en tête, s’en emparent de manière volontariste. Nombreux sont en tout cas les élus locaux de tous bords qui soutiennent la démarche : c’est peut-être le moment ou jamais pour nos responsables politiques, nouvellement élus à la tête des instances européennes, de faire preuve de clairvoyance et de courage, avant qu’il ne soit trop tard…

L. V.

Le transport maritime sur la sellette

9 juillet 2019

La transition écologique est-elle compatible avec l’économie libérale mondialisée qui domine nos modes de pensées depuis des décennies ? Vaste question qui divise nos responsables politiques. La grande majorité d’entre eux, Emmanuel Macron et son premier ministre Édouard Philippe en tête, restent persuadés qu’on peut s’engager sans dommage dans des politiques de transition écologique rendues nécessaires par l’urgence climatique et environnementale tout en restant profondément productivistes, en prônant la recherche de la croissance à tout prix et l’enrichissement des plus entreprenants.

Le premier ministre Edouard Philippe, avec à ses côtés Nicolas Hulot alors ministre de la transition écologique et solidaire, en janvier 2018 (photo © AFP / Sud Radio)

Ce dernier expliquait ainsi au lendemain des dernières élections européennes, pour annoncer  le virage vert de sa politique : « J’ai mis du temps à considérer que ces enjeux écologiques sont aussi importants que la défense de l’emploi ou la sécurité. (..) Toutefois, je ne me ferai pas passer pour un autre. Je ne suis pas un défenseur de la décroissance, j’aime l’industrie et je l’assume. » Pour un ancien lobbyiste du groupe nucléaire AREVA, il serait en effet difficile de prétendre le contraire…

Une approche que ne partagent pas du tout, bien évidemment, les militants d’une écologie politique, considérant que l’ampleur des mutations à envisager pour s’adapter au changement climatique et tenter d’enrayer la perte brutale de biodiversité et de qualité des écosystèmes qui nous entourent est telle que seule une modification assez radicale de nos modes de vie pourra permettre d’y parvenir. Même le pourtant conciliant Nicolas Hulot en est arrivé à cette conclusion après avoir tenté en vain de faire infléchir les politiques en entrant au gouvernement. Il s’élevait ainsi avec vigueur il y a quelques jours dans Le Monde en jugeant inadmissible qu’on puisse signer l’accord économique avec le Mercosur, estimant que « le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologiques. L’amplifier ne fait qu’aggraver la situation ».

Campagne de sensisibilisation lancée par France Nature Environnement alertant sur l’impact sanitaire des bateaux de croisière (source © FNE)

Cette contradiction est particulièrement évidente dans le domaine du transport maritime. Celui des croisières en est un bon exemple, un secteur en très forte croissance et qui attire un tourisme de masse, avec des navires de plus en plus monstrueux et dont l’impact sur les sites visités devient de plus en plus évident. Une étude de l’association européenne T&E (Transport et environnement) indiquait ainsi en juin 2019 que les 47 navires de croisière du groupe Carnival (qui comprend notamment les croisières Costa) ont rejeté à eux seuls 10 fois plus d’oxydes de soufre au dessus des eaux européennes que les 260 millions d’automobilistes circulant dans l’Union européenne ! A Marseille, malgré quelques mesures en cours d’aménagement, les bateaux de croisière rejettent ainsi dans l’atmosphère 3,7 fois plus de soufre que les 340 000 voitures qui circulent dans l’agglomération.

Paquebot dans le port de Marseille (photo © Sandy Dauphin / Radio France)

Le fioul lourd bon marché restant le carburant le plus utilisé tant par les bateaux de croisière que par la marine marchande, les émissions d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote et de particules fines par la marine commerciale qui sillonne la planète en tous sens deviennent un vrai problème non seulement pour leurs effets sur le réchauffement climatique et la pollution des océans, mais aussi en matière de santé publique. Pour ce qui est des émissions de CO2, la contribution du secteur reste relativement modeste à l’échelle mondiale, mais elle a doublé depuis 1990.

Le transport maritime et ses impacts sur la qualité de l’air : peut mieux faire… (photo © Eric Houri / Le Marin Ouest France)

Des solutions techniques existent, la plus simple étant de réduire la vitesse des navires ! Selon un article récent d’Alternatives économiques, un pétrolier qui diminuerait sa vitesse de croisière de 12 à 11 nœuds, économiserait ainsi 18 %  de sa consommation de carburant et même 30 % en passant à 10 nœuds. Un ralentissement qui ne mettrait guère en péril l’économie mondiale pour le trafic de matériaux pondéreux mais qui suppose un accord de l’Organisation maritime international et ce n’est pas gagné…

Un navire de la CMA-CGM (photo © France 3 Normandie)

Une amélioration de la conception des navires pour les rendre moins émissifs et plus sobres en énergie est aussi une voie à explorer, mais cela ne s’applique par nature qu’aux seuls bateaux neufs alors que la durée de vie d’un navire est au minimum de 20 à 30 ans. Quant à l’évolution des motorisations vers des dispositifs moins impactant, outre l’éolien  (comme rôle d’appoint), deux pistes existent, qui relèvent jusqu’à présent de la prospective.

La première serait celle du gaz naturel liquéfié (GNL), autrement dit le méthane, d’origine fossile mais qui pourrait à terme être remplacé par du biogaz (dont la production ne serait pas nécessairement un progrès, s’il est produit au détriment des cultures pour l’alimentation humaine…). L’alternative, qui présente l’avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre, serait celle du moteur à hydrogène, produit par hydrolyse en utilisant de l’électricité issue de panneaux photovoltaïques. L’inconvénient majeur d’une telle approche, outre son coût jugé actuellement prohibitif, vient de la faible densité énergétique de l’hydrogène (il faudrait en stocker de gros volumes à bord pour assurer l’autonomie des bateaux), ce qui incitent certains à envisager d’autres voies dont celle consistant à remplacer l’hydrogène par de l’ammoniac dont la température de liquéfaction est très supérieure (- 33 °C au lieu de – 253 °C), ce qui permet un stockage sous forme liquide qui prend beaucoup moins de place.

Porte-container chargé à bloc (photo © Pixabey / Novethic)

Reste que malgré ces évolutions technologiques envisageables et malgré les réglementations internationales qui obligent progressivement les 90 000 navires sillonnant la planète à s’équiper d’ici 2020 d’unité de traitement des gaz d’échappement, cette activité va continuer de rester une des sources majeures de pollution de la planète, 90 % du transport de marchandises lié à la mondialisation se faisant par voie maritime, selon un article du Financial Times repris dans le Courrier International.

Couverture du Courrier International n°1496 du 4 juillet 2019

D’où les interrogations légitimes quant à l’intérêt d’une relocalisation pour produire plus près de nous ce dont nous avons besoin, dans des conditions sociales et environnementale sans doute bien préférables, mais au prix d’un surcoût assuré : en tant que consommateurs, sommes-nous prêts à accepter de payer plus cher ce qui pourrait être produit plus près de nous, de manière plus durable et avec un impact écologique moindre ? La question mérite en tout cas d’être posée…

L. V.

Bataille de guêpes chinoises dans les châtaigniers ardéchois

7 juillet 2019

En Ardèche, on ne plaisante pas avec la châtaigne dont la production locale, qui bénéficie depuis 2006 d’une appellation d’origine contrôlée est même appuyée par un Syndicat de défense de la châtaigne d’Ardèche.

Aire d’extension de l’Appellation d’origine protégée qui s’étend sur 197 communes, pour l’essentiel dans le département de l’Ardèche (source : Châtaigne d’Ardèche)

Présent à l’état naturel sur le territoire ardéchois, le châtaigner d’Europe, Castanea sativa, est cultivé depuis sans doute le XIIIe siècle lorsque les paysans ont appris à le greffer. Vers 1860, la production de châtaignes ardéchoises atteignait son âge d’or avec pas moins de 60 000 hectares exploités et 40 000 tonnes de châtaignes récoltées !

L’exode rural  et les vicissitudes de la vie économique ont conduit à un très net déclin de cette activité économique qui connait néanmoins un regain sensible depuis les années 1960. L’Ardèche fournit désormais de l’ordre de la moitié de la production nationale de châtaigne avec une récolte annuelle de l’ordre de 5 000 tonnes les bonnes années (mais moins de 2 000 tonnes en 2017, à cause de la sécheresse…)

Mais voilà qu’en 2005, une petite guêpe d’origine chinoise, la cynips du châtaigner, Dryocosmus kuriphilus, présente depuis 2002 en Italie où elle parasite les châtaigniers, se permet de franchir la frontière française et s’implante dans les Alpes-Maritimes. Repéré dès 2010 dans les châtaigneraies ardéchoises, ce ravageur mondialement connu inquiète au plus haut point les castanéiculteurs ardéchois.

Galles de cynips sur un châtaigner (source : ADIV environnement)

L’insecte pond ses œufs au printemps dans les bourgeons. Les larves y passent tout l’hiver bien au chaud sans que leur présence ne puisse être détectée. Au printemps, les larves se développent et libèrent des toxines qui provoquent l’atrophie de la pousse tandis que des galles apparaissent sur les feuilles. Les cynips adultes quittent les galles au début de l’été et vont pondre sur d’autres arbres, entretenant leur cycle. Les arbres infestés voient leur production décliner de 60 à 80 % et finissent même par mourir, d’autant que les galles abandonnées constituent des lieux favorables pour le développement d’un champignon parasite. En 2013, la perte de production sur le seul département de l’Ardèche était ainsi évaluée à plus de 300 tonnes.

Cycle de vie du cynips (photos © N. Borowiec et J.-C. Malausa. Infographie : V. Gavalda / source © INRA)

Face à des perspectives aussi sombres, la filière a sollicité les chercheurs de l’INRA (Institut de recherche agronomique) et du CTIFL (Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes) pour chercher des solutions à ce fléau menaçant. Au vu de l’expérience de leurs collègues italiens, les Ardéchois se sont orientés vers la lutte biologique en s’appuyant sur une autre guêpe d’origine chinoise, prédateur naturel de la première, Torymus sinensis. Celle-ci pond ses œufs dans les galles du châtaignier, et ses propres larves se développent en se nourrissant des larves de cynips.

Torymus sinensis en train de pondre (source : Institut Sophia Agrobiotech)

Grâce à la mobilisation de dons privés et de subventions publiques, des Torymus ont donc été achetés à l’étranger et lâchés dans des vergers isolés pour leur permettre de se développer rapidement sans trop se disséminer. Comme on ne sait pas encore multiplier en laboratoire cet insecte exotique, les galles de cynips parasitées par les nouveaux arrivants doivent ensuite être récoltées pour récupérer les Torymus qui sont soigneusement séparés en mâles et femelles avant d’être relâchés sur d’autres parcelles. Un travail titanesque piloté par la Chambre d’agriculture et qui s’appuie sur le réseau de producteurs eux-mêmes, mobilisant plusieurs centaines de personnes chaque année.

Plus de 2 000 lâchers ont ainsi été opérés en 2 ans à partir de 2015 sur les châtaigneraies ardéchoises. Et ça marche ! Le résultat est variable selon les secteurs mais pour ceux qui sont les plus proches de la vallée du Rhône, là où les premiers lâchers ont été réalisés, le résultat est très prometteur. Le cynips est toujours présent et le restera, mais son activité est fortement contenue du fait de la présence de son prédateur naturel, désormais bien implanté avec en moyenne plus de 2,5 Torymus dans chaque galle de cynips.

Un résultat très spectaculaire également dans les Alpes-Maritimes où, grâce à ce duel de guêpes asiatiques orchestré par les spécialistes de la lutte biologique de l’Institut Sophia Agrobiotech, la proportion de bourgeons infestés est passé en quelques années d’environ 70 % à 2 ou 3 % seulement. Comme quoi, le salut en matière de lutte contre les parasites agricoles ne passe pas nécessairement par le développement de nouvelles molécules chimiques dont on ne maîtrise pas forcément très bien l’impact à long terme sur le milieu naturel voire la santé humaine…

L. V.

Chaux-Bouilland : on a raté la marche…

5 juillet 2019

La lycéenne suédoise Greta Thunberg à la marche pour le climat du 22 février 2019 à Paris (photo © François Mori / AP / Le Monde)

Attention : chaud devant ! Le réchauffement climatique s’emballe, les épisodes de canicule se succèdent, notre maison brûle, et on regarde ailleurs… Pas tous, heureusement. Et pas seulement la jeunesse, notamment suédoise, qui organise manifestation sur manifestation pour attirer l’attention des responsables politiques sur ce dérèglement planétaire dont l’homme est responsable et sur lequel il est encore temps d’agir, mais dont les effets sont d’ores et déjà pour la plupart irréversibles.

Tous les militants que compte l’Europe enchainent campagnes de sensibilisation, démarches médiatiques, procédures juridiques et marches pour le climat, histoire de rappeler que tous ne se résignent pas et qu’il existe peut-être d’autres solutions que celle prônée par la mairie de Paris qui, face au réchauffement climatique, ambitionne de doubler l’offre parisienne en matière de climatisation…

Une bande dessinée Birds publiée dans Ouest France le 20 juin 2019

Et lorsqu’il s’agit de militer pour sauver, sinon la planète, qui elle n’est pas en danger, mais les espèces végétales et animales qui l’occupent (dont l’espèce humaine qui risque de payer un lourd tribu face aux conséquences attendues du dérèglement climatique global), les citoyens ne manquent pas d’imagination. En l’espèce, la palme revient peut-être à l’association Les Amis de la Terre de Nuits-Saint-Georges, en Côte-d’Or, qui appelaient mercredi 19 juin 2019 sur leur site Facebook à une marche festive pour le climat, prévue le dernier week-end de juin entre deux villages bourguignons au nom évocateur : Chaux et Bouilland !

Les organisateurs de la marche Chaux – Bouilland (photo © Le Bien public)

Les 13 km qui séparent ces deux villages des Hautes-Côtes, un terroir viticole béni des Dieux, étaient de fait un beau parcours à offrir à tous les militants soucieux de préserver l’avenir de notre écosystème et désireux d’appeler à des politiques publiques plus ambitieuses en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout en contemplant de magnifiques paysages ruraux largement préservés.

Oui, mais voilà… La réalité est venue confirmer, s’il en était besoin, que l’urgence climatique n’est pas un simple canular comme Donald Trump persiste à le croire. Suite à la vague de chaleur qui sévit en France depuis le 24 juin, des records datant de la canicule de 2003 ont été battus : on a ainsi enregistré la température extrême de 45,9 °C dans la commune de Gaillargues-le-Montueux, dans le Gard, vendredi 28 juin à 16h20, du jamais vu !

La Bourgogne n’a pas atteint de tels sommets, mais le mercure est quand même monté très haut. Des records de chaleur ont été enregistrés dès le jeudi 27 juin avec 37,3 °C à Dijon, 38,5 °C à Montbard et même 38,9 °C à Nicey. Les prévisions météorologiques annonçant une nouvelle hausse des températures pour le week-end et le niveau 3 du Plan canicule ayant été déclenché, le Préfet de Côte d’Or n’a eu d’autre choix que d’annoncer, vendredi 28 juin, qu’il annulait un certain nombre de manifestations sportives prévues dans le département, dont la fameuse marche pour le climat Chaux-Bouilland, programmée pour le samedi 29…

Au-delà de Chaux, la canicule… (photo © GoogleStreet / France Bleu)

Une marche contre le réchauffement climatique annulée pour cause de température caniculaire, voilà qui ne peut que conforter ses organisateurs dans leur conviction qu’il serait grand temps de se préoccuper du problème. Ces derniers ne s’en sont d’ailleurs pas cachés et à défaut d’une marche un peu trop chaude au goût du Préfet, ils ont appelé à un simple rassemblement lundi 1er juillet à 19h30 devant le panneau d’entrée de la commune de Bouillant. Un choix largement justifié par les circonstances, celui de Chaux aurait été à juste titre considéré comme très en deçà de la réalité !

L. V.

Hécatombe sur le Bolmon…

3 juillet 2019

Le maire de Marignane commentant la mortalité piscicole en bordure du Bolmon à l’Estéou (source © extrait vidéo Maritima media)

Très mauvaise surprise pour le maire de Marignane, Eric Le Dissès, dimanche 30 juin 2019, vers 7 h du matin, lorsqu’il apprend que des milliers de poissons morts flottent le ventre en l’air sur l’étang de Bolmon, alors que la canicule règne depuis plusieurs jours et que le mercure était monté à 39,6 °C l’avant-veille. Le spectacle, filmé notamment par Maritima médias n’est effectivement pas très ragoûtant et les témoignages recueillis auprès des riverains confirment que l’odeur est à l’avenant…

Le maire s’inquiète surtout pour les cygnes qui s’ébattent au bord de l’étang pour la plus grande joie des enfants, pour lesquels la commune a aménagé une aire de jeu dans ce secteur autrefois naturel de l’Estéou, où la Cadière vient se jeter dans l’étang de Bolmon.

Un tas de cadavres de poissons sur le bord de l’étang du Bolmon (photo © Adrien Max / 20 Minutes)

Des lances à incendies sont mises en place pour tenter d’apporter aux cygnes un peu d’eau pure tandis que les employés municipaux s’affairent, toute la journée du 1er juillet à ramasser les cadavres d’anguilles, carpes et autres muges qui sont entassés sur la berge en attendant d’être évacués pour l’équarrissage : près de 3  tonnes de poissons morts à éliminer selon un témoignage recueilli auprès du guide nature Jean-François Lion par Sciences et Avenir.

Ce n’est certes pas la première fois qu’une telle mortalité piscicole se produit sur cet étang. C’est même un phénomène quasi récurrent même si cet épisode surprend par sa précocité dans la saison. Le Bolmon est en réalité une lagune, séparée de l’étang de Berre par le cordon littoral du Jaï. Le site est complexe et largement transformé par la main de l’Homme, à commencer peut-être par celle des Romains qui auraient déjà aménagé le chenal naturel entre l’étang de Berre et la mer Méditerranée. En 1847, le chenal est creusé à 3 m puis approfondi à 9 m à partir de 1863, avant d’être de nouveau élargi et rectifié au tout début du XXe siècle puis encore en 1925.

Carte montrant la configuration des étangs de Berre, de Vaïne et de Bolmon (source © GIPREB)

A la même époque, en 1926 est creusé le tunnel du Rove, qui relie sous le massif de la Nerthe, le port de Marseille à l’étang de Berre en longeant la rive sud du Bolmon. Sous l’effet de cette circulation marine intense, ces étangs qui étaient jusque là principalement alimentés en eau douce car réceptacles des eaux de la Cadière mais aussi de l’Arc et de la Touloubre, se sont transformés en lagunes marines salées. Mais l’effondrement brutal du tunnel du Rove en 1963 suivi en 1966 de l’arrivée du déversement des eaux douces de la Durance, via le canal usinier EDF et l’usine hydroélectrique de Saint-Chamas, ont profondément transformé le milieu.

Usine hydroélectrique de Saint-Chamas qui déverse depuis 1966 ses eaux douces limoneuses dans l’étang de Berre

L’arrivée massive de cette eau douce chargée de sédiments, à raison de 3,3 milliards de m3 chaque année jusqu’en 1994, et de 680 000 t de limon par an, a par ailleurs coïncidé avec le développement d’activités industrielles particulièrement polluantes, combinée à une urbanisation mal maîtrisée du secteur : les rejets d’eau usées domestiques et industrielles ainsi que le ruissellement et le lessivage des berges ne tardent pas à transformer ce milieu naturel en un gigantesque égout à ciel ouvert. Dès 1957, la pêche doit y être interdite pour des raisons sanitaires, ce qui n’empêche pas le braconnage.

A partir de 1994, une timide reconquête de ce milieu écologique dégradé s’est amorcée avec la réouverture de la pêche en même temps que se faisaient les premières restrictions de rejets d’eau douce en provenance de l’usine de Saint-Chamas. Alors qu’on y recensait en 1949 101 espèces benthiques et que les fonds de l’étang étaient couverts sur environ 6000 ha d’herbiers, on ne compte plus depuis 1995 qu’une quinzaine d’espèces benthiques et les herbiers ne s’étendent pas au-delà de 1,5 ha sur quelques poches résiduelles. Même les tentatives de recolonisation des fonds par des herbiers à zostères, menées par le GIPREB (Groupement d’intérêt public pour la réhabilitation de l’étang de Berre, créé en 2000) ont échoué et la qualité de ces milieux aquatiques reste désespéramment mauvaise.

Herbier à zostères dans l’étang de Berre (source © vidéo YouTube)

Au-delà de l’héritage industriel particulièrement lourd qui se traduit par des sédiments très largement chargés en métaux lourds, PCB et autres joyeusetés, ces milieux lagunaires méditerranéens sont en réalité d’une grande fragilité. Les eaux de lessivage et celles charriées par les petits fleuves côtiers sont riches en nitrates et phosphates malgré les efforts récents pour traiter les effluents domestiques. Un phytoplancton abondant se développe donc en surface, selon le phénomène classique de l’eutrophisation, se traduisant périodiquement par des accumulations d’algues vertes nauséabondes sur les rives.

L’étang de Berre, un milieu naturel menacé par l’urbanisation et les industries polluantes (source © blog Monique Cisello)

Faute de faune adaptée pour consommer le phytoplancton, ce dernier empêche le développement de plantes aptes à la photosynthèse, donc à l’oxygénation de l’eau, tandis que sa décomposition consomme l’oxygène dissous disponible. L’eau salée ayant une densité supérieure, tend à à se concentrer à la base de la colonne d’eau, ce qui se traduit par une stratification des eaux, également nuisible à la qualité du milieu, et qui explique ces crises fréquentes d’anoxie : les poissons n’ayant plus assez d’oxygène dissous dans l’eau meurent…

Pour le maire de Marignane, la solution est évidente. Il est vrai qu’on en parle depuis une bonne vingtaine d’années et que sa mise en œuvre a reçu un aval du Ministère de l’environnement dès 2003. Elle consisterait à rouvrir le canal du Rove en provoquant par pompage un apport permanent d’eau de mer propre et riche en oxygène qui, par brassage, redonnerait toute sa vitalité à l’étang de Bolmon. Les études scientifiques se succèdent depuis des années pour étudier les impacts potentiels d’une telle solution et un rapport spécifique a même été commandé au Conseil général de l’environnement et du développement durable en février 2017 par Ségolène Royal pour tenter de faire le point sur ce dossier complexe pour lequel les acteurs s’écharpent depuis des années sans arriver à trouver de solution viable.

Vue de l’intérieur du tunnel du Rove (photo © Thibaut Vergoz/Zeppelin Network / Chasse marée)

L’affaire est d’autant moins simple que c’est le Conservatoire du Littoral qui est propriétaire de l’étang de Bolmon et des milieux humides associés, et que ce dernier s’oppose farouchement à la réouverture du canal du Rove, estimant notamment que le brassage occasionné pourrait remettre en suspension les polluants accumulés depuis des années dans les sédiments. Quant aux études techniques pilotées par le Service annexe des voies navigables, rattaché au Grand port maritime de Marseille et gestionnaire du canal du Rove, elles ont surtout mis en évidence l’ampleur des investissements nécessaires pour remettre en circulation l’eau de mer via une galerie qui contourne la partie effondrée du tunnel.

Mortalité piscicole à l’étang de Bolmon le 1er juillet 2019

Il faudrait pour cela mobiliser des débits de pompage très élevés, non seulement pour assurer un courant suffisant dans le canal lui-même mais aussi entre le canal et l’étang de Bolmon, afin de permettre une réoxygénation significative de ce dernier. Inutile d’y songer en revanche pour l’étang de Berre lui-même car les volumes en jeu sont bien trop conséquents pour espérer un résultat visible. Et en cas de crue de la Cadière, déversant en quelques heures de gros volumes d’eau douce dans l’étang de Bolmon, ce serait rapidement l’hécatombe pour les espèces développées dans un milieu nettement plus salé que dans son état actuel. Au point que certains songent plutôt à d’autres alternatives telles que l’injection d’oxygène dans le milieu, comme le fait le SIAAP dans la Seine en aval de Paris en insufflant localement de l’oxygène dans l’eau pour constituer des îlots de survie pour la faune piscicole lorsque les conditions physico-chimiques du milieu deviennent critique.

Nul ne sait quand on arrivera enfin à trouver les bonnes solutions pour que les étangs de Berre et de Bolmon redeviennent des milieux naturels de qualité dans lesquels les poissons pourront évoluer sans risquer à tout moment l’asphyxie ou l’intoxication. Le maire de Marignane n’a sans doute pas fini de se mettre en colère devant les caméras…

L. V.

Energy Observer : la marine sans voile ni vapeur…

1 juillet 2019

Le commandant Jacques-Yves Cousteau devant la Calypso (photo © Marka – Getty)

Chacun se souvient de la Calypso, le célèbre navire océanographique du commandant Cousteau, véritable plate-forme médiatique qui a sillonné les mers du globe pour en rapporter de multiples images destinées à faire connaitre au grand public le fameux « Monde du silence » des abysses océaniques mais aussi toute la richesse et la fragilité de la biodiversité marine.

Voilà que la Calypso s’est trouvé un nouvel héritier, du nom bien français d’Energy Observer, un ancien maxi-catamaran de course, construit au Canada en 1983 sous la supervision du navigateur Mike Birch, premier voilier à avoir franchi la barre symbolique des 500 milles en 24 heures, ce qui représente une vitesse moyenne de près de 40 km/h. Mais ce voilier de compétition s’est beaucoup transformé depuis, rallongé à plusieurs reprises pour atteindre désormais un peu plus de 30 m de long.

Energy Observer vue de haut dans sa configuration actuelle (source © site Energy Observer)

Et surtout, il a été radicalement transformé pour devenir un véritable laboratoire flottant, reconditionné en « navire du futur à propulsion électrique fonctionnant grâce à un mix d’énergies renouvelables et un système de production d’hydrogène décarbonée à partir de l’eau de mer », devenant ainsi « le premier navire hydrogène visant l’autonomie énergétique, sans émission de gaz à effet de serre ni particules fines ».

Présentation de la maquette d’Energy Observer par son capitaine, Victorien Erussard, en présence de Nicolas Hulot et Emmanuel Macron lors de la COP 23 en 2017 à Bonn (source © site Energy Observer)

Son porte-parole et capitaine, le très médiatique Victorien Erussard, ancien coureur au large et officier de marine marchande, en a fait par ailleurs un support de communication particulièrement performant qui permet de drainer de multiples sponsors parmi lesquels le groupe Accor, Engie, Air Liquide, les assureurs Thelem Assurance ou encore la Caisse centrale de réassurance, mais aussi de nombreux partenariats officiels avec l’UNESCO ou avec le Ministère de la transition écologique et solidaire.

Pour assurer cette couverture médiatique maximale, les promoteurs du projet ont entrepris leur propre odyssée autour du monde après un tour de France engagé le 26 juin 2017 au départ de Saint-Malo, le port d’attache d’Energy Observer et qui l’a notamment conduit à Marseille en décembre 2017. Sous la direction du chef d’expédition, le réalisateur Jérôme Delafosse, cette « Odyssée du Futur » qui devrait durer au moins jusqu’en 2022, permettra au bateau et à son équipage de 6 à 10 personnes, se relayant pour permettre d’être opérationnel 7 jours sur 7, de visiter 50 pays avec 101 escales programmées. Passé en juin 2019 à Saint-Petersbourg, le navire est actuellement en route vers le Spitzberg, dans l’Océan Arctique, un nouveau défi pour un bateau qui fonctionne principalement à l’énergie solaire.

Panneaux solaires biface (source © site Energy Observer)

Car c’est bien la particularité de ce voilier hors-norme, qui d’ailleurs n’a pas de voile : il s’agit d’un catamaran à propulsion électrique qui produit sa propre énergie en exploitant son environnement. L’essentiel de cette électricité est produite par des panneaux solaires photovoltaïques qui couvrent une bonne partie de sa surface : 168 m2 au total, avec plusieurs technologies différentes dont des dispositifs souples antidérapant sur lesquels on peut marcher et même des panneaux biface, installés sur les ailes solaires latérales et arrière, qui permettent de produire 30 % d’énergie supplémentaires en exploitant la réverbération sur la mer et les surfaces blanches des flotteurs.

Energy Observer à Amsterdam en avril 2019 (source © site Energy Observer)

Deux éoliennes à axe vertical ont aussi été installées sur le bateau afin de produire de l’électricité complémentaire la nuit et lorsque l’ensoleillement est insuffisant, tandis que les moteurs électriques sont réversibles et peuvent fonctionner également pour la production d’électricité à la manière d’hydroliennes lorsque le bateau se fait tracter par une voile de kitsurf ou est amarré dans une zone de fort courant. Ces derniers dispositifs se sont néanmoins révélés peu efficaces à l’usage et ont désormais été remplacé par deux ailes verticales latérales constituée de volets réglables ajustés de manière automatique et qu ressemblent plus à des ailes d’avion qu’à une voilure de bateau.

La particularité de ce navire précurseur, bourré d’électronique et pourvu d’environ 6 km de câblage électrique, est qu’il permet de stocker l’électricité produite afin de pouvoir l’utiliser à tout moment pour assurer sa propulsion en toute autonomie quel que soit la météo. Pour cela, il faut des batteries bien sûr mais les batteries pèsent lourd. Elles contribuent d’ailleurs de manière non négligeable au poids total du navire qui est de 30 tonnes.

Il a donc été nécessaire de compléter cette capacité de stockage par une autre technique, celle de l’hydrogène. Celui-ci est produit directement à bord par électrolyse d’eau de mer qui est d’abord désalinisée puis purifiée, via une véritable petite usine intéressée dans les entrailles du bateau. L’hydrogène ainsi produit est comprimé à 350 bars et stocké dans des réservoirs dont la capacité totale est de 62 kg. Un concentré d’énergie qui permet, via un encombrement réduit, d’alimenter les moteurs électriques grâce à une pile à combustible qui retransforme en électricité cet hydrogène.

Energy Observer à Marseille en décembre 2017 (source © site Energy Observer)

Comme d’autres projets tels que celui de la goélette Tara qui parcourt les océans depuis 2007, les catamarans PlanetSolar (le premier à avoir réalisé un tour du monde uniquement à l’énergie solaire en 2012) ou Nomade des Mers (un laboratoire flottant consacré à la recherche et à l’expérimentation, qui parcours le globe depuis 2016) ou encore l’avion solaire Solar Impulse, le projet Odyssée du Futur porté par l’équipe d’Energy Observer, n’est pas seulement un démonstrateur et un développeur de procédés innovants, mais aussi un pilote pédagogique destiné à porter un message planétaire en faveur de la transition énergétique.

D’où la volonté de ses promoteurs à embarquer à bord de nombreux reporters et autres personnalités politiques. Nicolas Hulot fait notamment partie du cercle des partenaires et est d’ailleurs l’un des parrains du projet. Une plateforme de média, Energy Observer Solutions, a d’ailleurs été lancée spécifiquement destinée à promouvoir les différentes initiatives qui sont prises à travers le monde pour préparer un futur plus propre et sensibiliser le grand public aux 17 Objectifs de développement durable fixés par l’ONU à l’agenda 2030, dont Energy Observer est le premier ambassadeur français. Beau programme en perspective, qui va se traduire notamment par la production d’un millier de courtes vidéos mettant en valeur des réalisations concrètes exemplaires. Un pas de plus vers une planète plus vivable ?

L. V.