Quand on évoque le risque volcanique à Naples, on pense inévitablement au Vésuve dont l’éruption historique du 25 octobre de l’an 79 après J.-C. avait totalement détruit les villes romaines d’alors, notamment Herculanum et Pompéi, qui s’étalaient en contrebas, le long du golfe qui abrite désormais la mégapole de Naples dont l’agglomération comporte plus de 4,4 millions d’habitants. Mais le Vésuve, situé au Sud-Est de l’agglomération et dont la dernière éruption à ce jour, le 17 mars 1944, avait fait 26 morts et 12 000 sans-abris, n’est pas le seul risque volcanique qui pèse sur les habitants de la troisième ville italienne.
De l’autre côté de la ville, le golfe de Pouzzoles, qui fait suite à la baie de Naples côté ouest, et qui se trouve lui-même en pleine zone urbanisé, abrite un autre complexe volcanique dont le regain d’activité actuel inquiète plus particulièrement les volcanologues… Cette zone, qui constitue une immense cuvette volcanique de 13 km de diamètre est connue depuis l’Antiquité. Le lac volcanique Averne, avec sa forme de puits profond d’où se dégagent des vapeurs méphitiques, et qui se situé dans la caldeira, était réputée être l’une des portes des Enfers, citée notamment par Virgile racontant les pérégrinations d’Orphée de retour des Enfers. La prêtresse d’Apollon, la Sybille, qui apparaît dans la légende d’Enée, y avait son antre près de la ville de Cumes située à proximité, une ancienne colonie grecque devenue romaine en 338 avant J.-C./
Le nom de Champs Phlégréens que l’on donne à cet immense complexe volcanique est d’ailleurs directement dérivé du Grec ancien et signifie « champs brûlants », en référence non pas à une activité volcanique, absente en ces temps antiques, mais à l’existence de nombreuses fumerolles et sources chaudes dont les Romains raffolaient. Et pourtant, il s’agit bien d’un volcan, lié à la subduction de la plaque adriatique sous la péninsule italienne et qui a connu deux éruptions paroxystiques majeures dont la première, datée d’il y a environ 36 000 ans, rattache ce site à la liste des super-volcans.
Cette notion n’est pas forcément très rigoureusement définie aux yeux des volcanologues mais l’US Geological Survey la limite aux volcans qui rejettent plus de 1 000 km³ de pierre ponce et de cendre en une seule explosion, soit cinquante fois le volume de l’éruption de 1883 du Krakatoa, en Indonésie, qui tua plus de 36 000 personnes : « Les volcans forment des montagnes ; les super-volcans les détruisent. Les volcans tuent plantes et animaux à des kilomètres à la ronde ; les super-volcans menacent d’extinction des espèces entières en provoquant des changements climatiques à l’échelle planétaire. » Certains pensent d’ailleurs que cette gigantesque éruption à l’origine de la caldeira des Champs Phlégréens et dont les cendres se retrouvent sur tout l’Ouest de l’Europe et une partie du Proche-Orient, a contribué à la formation d’un hiver volcanique qui pourrait expliquer la disparition de l’Homme de Néandertal, rien de moins !
Une seconde série d’explosions ont ravagé le site il y a environ 15 000 ans, se traduisant par des émissions de grosses quantités de tuf jaune. La dernière éruption explosive est datée entre 4500 et 3700 ans et s’est traduite par des éruptions phréatiques et la formation de dômes de lave. Une seule éruption a été bien documentée durant le période historique. Elle a débuté le 29 septembre 1538 sur la rive Est du lac Averne et a abouti à la formation en quelques jours seulement, d’un monticule de cendre et de ponce de 130 m de hauteur, le monte Nuovo. Le 6 octobre, l’éruption s’est achevée par un dernier paroxysme, tuant les 24 curieux qui s’aventuraient sur ses pentes pour entreprendre l’ascension de ce tout nouveau monticule en formation…
Contrairement au Vésuve avec sa forme de cône volcanique typique et son panache de fumée intermittent, les Champs Phlégréens ne correspondent pas à un édifice volcanique classique tel qu’on se l’imagine habituellement. La caldeira elle-même disparaît partiellement sous la mer dans toute sa partie sud et elle comporte pas moins de 24 cratères dispersés mais une seule structure conique, le fameux monte Nuovo, d’apparence bien modeste. Mais surtout, toute cette zone, d’apparence vallonnée et sans relief spectaculaire, est totalement urbanisée. On compte en effet 360 000 habitants installés à l’intérieur même de la caldeira et de l’ordre de 2,3 millions qui vivent à proximité immédiate du site !
La présence de nombreuses fissures dans le sol, notamment dans l’immense cratère de la Solfatare, avec ses émanations de gaz et ses nombreuses sources hydrothermales qui ont fait longtemps l’attraction touristique des lieux, rappellent sans conteste l’activité volcanique intense du site, mais sans pourtant arriver à inquiéter les habitants qui se pressent dans cette zone côtière de la banlieue napolitaine. Pourtant, au début des années 1980, les volcanologues qui surveillent attentivement le secteur ont noté un soulèvement très significatif du sol et de nombreux signes avant-coureurs annonçant une possible remontée du magma. Un séisme de magnitude 4,2 a même eu lieu en octobre 1983, conduisant les autorités à évacuer environ 40 000 personnes de la ville de Pouzzoles entre 1982 et 1984.
Depuis le début des mesures en 1969 et jusqu’en 1985, le soulèvement du sol a atteint 3,20 m… L’origine de ces mouvements, que les scientifiques désignent sous le nom de bradyséisme, serait lié à une augmentation de température dans la chambre magmatique qui se déforme sous l’effet des transformations de l’état liquide à l’état gazeux. On observe d’ailleurs, des alternances historiques de subsidence et de gonflement du sol dans la caldeira des Champs Phlégréens, avec un paroxysme très marqué au XVe siècle, ayant conduit à l’éruption du monte Nuovo, puis deux phases récentes de soulèvement de 1,70 m en 1970-72 et 1,80 m en 1982-84. L’observation des ruines de l’ancien marché romain de Pouzolles, connu sous le nom de temple de Sérapis, permet d’ailleurs de suivre avec précision les mouvements successifs de subsidence et de réhaussement du sol sur de longue périodes, la base des colonnes se retrouvant par moment sous le niveau de la mer.
Et voilà que le phénomène recommence ! Après une période d’affaissement continu, le sol recommence à gonfler depuis 2004, et les choses semblent s’accélérer… Depuis le début de l’année 2023, plus de 3000 séismes localisés ont été enregistrés, dont un de magnitude 4,2 le 27 septembre dernier. Le sol s’est soulevé de plus d’un mètre depuis 2011 dont 25 cm depuis janvier 2022. Le 5 octobre 2023, le gouvernement italien a signé un décret spécifique donnant 3 mois pour élaborer un nouveau plan d’évacuation des quartiers à risques de l’agglomération napolitaine.
Il faut dire qu’une étude effectuée en 2022 par le Conseil national de la Recherche avait évalué à 30 milliards d’euros par an le coût de l’évacuation des habitants proches des Champs Phlégréens selon les plans d’urgence actuellement en vigueur mais dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont totalement irréalisables. Il suffit de voir la configuration des ruelles étroites des petites localités alentours pour constater à quelle point les conditions logistiques d’une telle évacuation seraient difficiles en cas d’urgence.
Sans compter le facteur psychologique qui fait qu’en cas de catastrophe naturelle, surtout aussi atypique, une large partie des habitants refuse purement et simplement de quitter sa maison, comme on l’a encore constaté en 2009 lors du tremblement de terre qui avait ravagé le centre-ville d’Aquila, en pleine nuit, faisant 309 morts dont de nombreuses victimes qui avaient préféré retourner se coucher malgré deux premières secousses fortes. C’est tout l’enjeu de la prévention des risques naturels, dont la prédiction reste largement impossible dans l’état actuel des connaissances scientifiques. Il ne suffit pas aux scientifiques d’établir un diagnostic fiable, encore faut-il le faire accepter par les autorités politiques, souvent peu à l’aise avec les notions mathématiques de risque probabiliste, et ensuite par la population, qui montre souvent une profonde défiance envers ses responsables élus comme vis-à-vis des experts techniques…
L. V.