Archive for octobre 2023

Champs Phlégréens : la nouvelle menace ?

30 octobre 2023

Quand on évoque le risque volcanique à Naples, on pense inévitablement au Vésuve dont l’éruption historique du 25 octobre de l’an 79 après J.-C. avait totalement détruit les villes romaines d’alors, notamment Herculanum et Pompéi, qui s’étalaient en contrebas, le long du golfe qui abrite désormais la mégapole de Naples dont l’agglomération comporte plus de 4,4 millions d’habitants. Mais le Vésuve, situé au Sud-Est de l’agglomération et dont la dernière éruption à ce jour, le 17 mars 1944, avait fait 26 morts et 12 000 sans-abris, n’est pas le seul risque volcanique qui pèse sur les habitants de la troisième ville italienne.

La dernière éruption du Vésuve au-dessus de la ville de Naples en 1944… (source © Geologically / Bernard Duyck / Earth of Fire)

De l’autre côté de la ville, le golfe de Pouzzoles, qui fait suite à la baie de Naples côté ouest, et qui se trouve lui-même en pleine zone urbanisé, abrite un autre complexe volcanique dont le regain d’activité actuel inquiète plus particulièrement les volcanologues… Cette zone, qui constitue une immense cuvette volcanique de 13 km de diamètre est connue depuis l’Antiquité. Le lac volcanique Averne, avec sa forme de puits profond d’où se dégagent des vapeurs méphitiques, et qui se situé dans la caldeira, était réputée être l’une des portes des Enfers, citée notamment par Virgile racontant les pérégrinations d’Orphée de retour des Enfers. La prêtresse d’Apollon, la Sybille, qui apparaît dans la légende d’Enée, y avait son antre près de la ville de Cumes située à proximité, une ancienne colonie grecque devenue romaine en 338 avant J.-C./

Accès à l’antre de la sybille de Cumes, en réalité un ancien tunnel de fortification sous l’acropole de l’antique cité grecque (source © Nature et voyage)

Le nom de Champs Phlégréens que l’on donne à cet immense complexe volcanique est d’ailleurs directement dérivé du Grec ancien et signifie « champs brûlants », en référence non pas à une activité volcanique, absente en ces temps antiques, mais à l’existence de nombreuses fumerolles et sources chaudes dont les Romains raffolaient. Et pourtant, il s’agit bien d’un volcan, lié à la subduction de la plaque adriatique sous la péninsule italienne et qui a connu deux éruptions paroxystiques majeures dont la première, datée d’il y a environ 36 000 ans, rattache ce site à la liste des super-volcans.

Fumerolle en activité dans les Champs Phlégréens (photo © Donar Reiskoffer  / RadioFrance)

Cette notion n’est pas forcément très rigoureusement définie aux yeux des volcanologues mais l’US Geological Survey la limite aux volcans qui rejettent plus de 1 000 km³ de pierre ponce et de cendre en une seule explosion, soit cinquante fois le volume de l’éruption de 1883 du Krakatoa, en Indonésie, qui tua plus de 36 000 personnes : « Les volcans forment des montagnes ; les super-volcans les détruisent. Les volcans tuent plantes et animaux à des kilomètres à la ronde ; les super-volcans menacent d’extinction des espèces entières en provoquant des changements climatiques à l’échelle planétaire. » Certains pensent d’ailleurs que cette gigantesque éruption à l’origine de la caldeira des Champs Phlégréens et dont les cendres se retrouvent sur tout l’Ouest de l’Europe et une partie du Proche-Orient, a contribué à la formation d’un hiver volcanique qui pourrait expliquer la disparition de l’Homme de Néandertal, rien de moins !

Une seconde série d’explosions ont ravagé le site il y a environ 15 000 ans, se traduisant par des émissions de grosses quantités de tuf jaune. La dernière éruption explosive est datée entre 4500 et 3700 ans et s’est traduite par des éruptions phréatiques et la formation de dômes de lave. Une seule éruption a été bien documentée durant le période historique. Elle a débuté le 29 septembre 1538 sur la rive Est du lac Averne et a abouti à la formation en quelques jours seulement, d’un monticule de cendre et de ponce de 130 m de hauteur, le monte Nuovo. Le 6 octobre, l’éruption s’est achevée par un dernier paroxysme, tuant les 24 curieux qui s’aventuraient sur ses pentes pour entreprendre l’ascension de ce tout nouveau monticule en formation…

Vue aérienne de la caldeira des Champs Phlégréens en bordure du golfe de Pouzzoles (source © CBS News)

Contrairement au Vésuve avec sa forme de cône volcanique typique et son panache de fumée intermittent, les Champs Phlégréens ne correspondent pas à un édifice volcanique classique tel qu’on se l’imagine habituellement. La caldeira elle-même disparaît partiellement sous la mer dans toute sa partie sud et elle comporte pas moins de 24 cratères dispersés mais une seule structure conique, le fameux monte Nuovo, d’apparence bien modeste. Mais surtout, toute cette zone, d’apparence vallonnée et sans relief spectaculaire, est totalement urbanisée. On compte en effet 360 000 habitants installés à l’intérieur même de la caldeira et de l’ordre de 2,3 millions qui vivent à proximité immédiate du site !   

Cratère de la Solfatare à Pouzzoles en 2016 (photo © Classe Latin-Grec – Lycée Jean-Pierre Vernant)

La présence de nombreuses fissures dans le sol, notamment dans l’immense cratère de la Solfatare, avec ses émanations de gaz et ses nombreuses sources hydrothermales qui ont fait longtemps l’attraction touristique des lieux, rappellent sans conteste l’activité volcanique intense du site, mais sans pourtant arriver à inquiéter les habitants qui se pressent dans cette zone côtière de la banlieue napolitaine. Pourtant, au début des années 1980, les volcanologues qui surveillent attentivement le secteur ont noté un soulèvement très significatif du sol et de nombreux signes avant-coureurs annonçant une possible remontée du magma. Un séisme de magnitude 4,2 a même eu lieu en octobre 1983, conduisant les autorités à évacuer environ 40 000 personnes de la ville de Pouzzoles entre 1982 et 1984.

Depuis le début des mesures en 1969 et jusqu’en 1985, le soulèvement du sol a atteint 3,20 m… L’origine de ces mouvements, que les scientifiques désignent sous le nom de bradyséisme, serait lié à une augmentation de température dans la chambre magmatique qui se déforme sous l’effet des transformations de l’état liquide à l’état gazeux. On observe d’ailleurs, des alternances historiques de subsidence et de gonflement du sol dans la caldeira des Champs Phlégréens, avec un paroxysme très marqué au XVe siècle, ayant conduit à l’éruption du monte Nuovo, puis deux phases récentes de soulèvement de 1,70 m en 1970-72 et 1,80 m en 1982-84. L’observation des ruines de l’ancien marché romain de Pouzolles, connu sous le nom de temple de Sérapis, permet d’ailleurs de suivre avec précision les mouvements successifs de subsidence et de réhaussement du sol sur de longue périodes, la base des colonnes se retrouvant par moment sous le niveau de la mer.

Ruines du temple de Sérapis à Pouzzoles (photo © Claude Grandpey)

Et voilà que le phénomène recommence ! Après une période d’affaissement continu, le sol recommence à gonfler depuis 2004, et les choses semblent s’accélérer… Depuis le début de l’année 2023, plus de 3000 séismes localisés ont été enregistrés, dont un de magnitude 4,2 le 27 septembre dernier. Le sol s’est soulevé de plus d’un mètre depuis 2011 dont 25 cm depuis janvier 2022. Le 5 octobre 2023, le gouvernement italien a signé un décret spécifique donnant 3 mois pour élaborer un nouveau plan d’évacuation des quartiers à risques de l’agglomération napolitaine.

Il faut dire qu’une étude effectuée en 2022 par le Conseil national de la Recherche avait évalué à 30 milliards d’euros par an le coût de l’évacuation des habitants proches des Champs Phlégréens selon les plans d’urgence actuellement en vigueur mais dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont totalement irréalisables. Il suffit de voir la configuration des ruelles étroites des petites localités alentours pour constater à quelle point les conditions logistiques d’une telle évacuation seraient difficiles en cas d’urgence.

Vue aérienne de la Solfatare avec la petite ville portuaire de Pouzzoles à proximité (photo © Roberto Salomone / Guardian / Eyevine / National Geographic)

Sans compter le facteur psychologique qui fait qu’en cas de catastrophe naturelle, surtout aussi atypique, une large partie des habitants refuse purement et simplement de quitter sa maison, comme on l’a encore constaté en 2009 lors du tremblement de terre qui avait ravagé le centre-ville d’Aquila, en pleine nuit, faisant 309 morts dont de nombreuses victimes qui avaient préféré retourner se coucher malgré deux premières secousses fortes. C’est tout l’enjeu de la prévention des risques naturels, dont la prédiction reste largement impossible dans l’état actuel des connaissances scientifiques. Il ne suffit pas aux scientifiques d’établir un diagnostic fiable, encore faut-il le faire accepter par les autorités politiques, souvent peu à l’aise avec les notions mathématiques de risque probabiliste, et ensuite par la population, qui montre souvent une profonde défiance envers ses responsables élus comme vis-à-vis des experts techniques…

L. V.

Brebis contre pelleteuse sur la route à Wauquiez

25 octobre 2023

Les militants écologistes qui s’opposent assez fréquemment aux grands projets d’infrastructure se retrouvent souvent confrontés à ce terrible paradoxe. Rester dans la légalité et se contenter de recours administratifs en espérant que la raison finira par l’emporter, ou déclencher des actions spectaculaires de blocage, voire de destruction, pour se faire entendre en partant du principe que quand on se heurte à un mur, on n’a pas d’autre choix que de sortir la masse pour tenter de le démolir… Au risque cependant d’y perdre son âme, voire la vie, comme l’ont montrées à plusieurs reprises les affrontements avec les forces de l’ordre qui dégénèrent dans la violence. Les images de heurts brutaux, encore récemment sur le chantier des retenues d’eau agricoles en Poitou-Charentes, ne servent pas nécessairement la cause des militants écologistes et peuvent même amener une large partie de l’opinion publique à y voir un comportement extrémiste indéfendable.

Une religieuse de la congrégation fait un placage magistral à un militant écologique le 16 octobre 2023 sur le chantier de Saint-Pierre de Colombier (source France Bleu © capture vidéo Nicolas Ferero / France 3 régions)

On en a vu encore un exemple sur le chantier du complexe religieux dans le petit village ardéchois de Saint-Pierre de Colombier où une vidéo virale a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit sœur Benoîte, de la congrégation de la Famille missionnaire de Notre-Dame, courser un écolo chevelu et le plaquer magistralement dans la boue. En plein mondial de rugby, la scène ne pouvait évidemment pas passer inaperçu, mais elle interroge néanmoins sur le degré de tension nécessaire pour en arriver à de telles batailles de chiffonniers sous l’œil des caméras.

En l’occurrence, la tension ne date pas d’hier dans ce village de 440 habitants perdu à 30 mn d’Aubenas, où la congrégation est installée depuis 1946 et y a fait édifier la statue de Notre-Dame des Neiges, devenu un important lieu de pèlerinage qui surplombe les gorges de la Bourges. En 2001, le village avait déjà failli en arriver aux mains suite aux élections municipales remportées par une liste favorable aux projets d’extension de la congrégation, un habitant ayant été jusqu’à déposer un recours devant le tribunal pour contester la légalité de l’inscription sur les listes électorales des 98 bonnes-sœurs qui avaient permis de faire basculer le scrutin !

Face à face des religieuses et des militants écologistes devant les pelleteuses immobilisées, sous le regard des forces de l’ordre, le 17 octobre 2023 (photo © Stéphane Marc / Le Dauphiné)

La congrégation s’attelle dès lors à son ambitieux projet immobilier visant à construire un vaste sanctuaire de 50 m de haut, capable d’accueillir 3500 personnes, assorti d’annexes, d’une aire de retournement pour autocars et d’une passerelle franchissant la rivière. Le permis de construire est accordé en 2018 mais suscite la désapprobation tant de la population que du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, et même de l’évêque de Viviers et du Vatican qui jugent démesuré ce projet à 18 millions d’euros ! Le préfet bloque le projet en octobre 2020 mais est contraint de lever son arrêté fin 2022. Le tribunal administratif rejette, quant à lui, le 16 mars 2023, la demande d’annulation du permis de construire.

Les écologistes locaux, réunis au sein d’une association au nom quelque peu étrange des Amis de la Bourges, mettent en avant le risque de destruction d’une espèce menacée, le Réséda de Jacquin mais perdent leur pourvoi devant la Cour administrative d’appel. De fil en aiguille, la tension monte. Des militants écologistes tentent de s’enchaîner aux pelleteuses pour bloquer le chantier. Ni une ni deux, les bonnes sœurs en habit accourent sur le chantier et se mettent à monter la garde sur les engins de BTP en chantant des cantiques, jusqu’à cet affrontement et ce « placage cathédrale » de « Sœur Chabal » dont les images ont fait le tour du monde…Depuis, les services de la Préfecture tentent de faire retomber la tension, mais les esprits sont bien échauffés.

Travaux de terrassement en cours sur le chantier de l’A69 à Soual (Tarn), le 11 octobre 2023 (photo © JC Milhet / Hans Lucas / AFP / France TV infos)

Une tension que l’on retrouve désormais sur quasiment tous les gros chantiers d’infrastructures, de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, désormais abandonné, au projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Sur ce chantier de 53 km, qui permettra aux automobilistes de gagner 15 mn à peine sur leur temps de trajet, au prix de centaines d’hectares de terres et de bois bitumés, même les experts du Conseil national de la protection de la nature ont émis un avis défavorable, jugeant le projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif de zéro artificialisation nette (…) ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat ». 200 scientifiques toulousains se sont élevés contre ce projet jugé absurde et injustifié, dont le coût est chiffré à 450 millions d’euros. De nombreux militants écologistes, réunis au sein du collectif La voie est libre, manifestent régulièrement contre, et certains d’entre eux sont allés jusqu’à entamer une grève de la faim, mais manifestement rien ne fera plier l’État qui reste droit dans ses bottes et soutient mordicus le projet…

Les travaux titanesques de « la route à Wauquiez »… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Un autre projet routier fait l’objet actuellement d’une opposition écologiste, plus discrète mais pas forcément moins efficace. Il s’agit des 10 km de construction d’une route à 2 x 2 voies destinée à contourner les villages de Saint-Hostien et Le Pertuis, en Haute-Loire, dans ces paysages verdoyants des Sucs d’Auvergne, sur le tracée de la RN 88 qui relie Lyon à Toulouse en passant par Saint-Étienne et Albi. La nationale appartient à l’État mais celui-ci à délégué la maîtrise d’ouvrage du projet à la Région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez, dont c’est justement le fief électoral, d’où ce sobriquet de « route à Wauquiez ».

Laurent Wauquiez et quelques élus locaux lors de la pose de la première pierre pour la déviation d’Yssingeaux par la RN 88, le 28 février 2020 (photo © Nicolas Defay / Zoom d’ici)

Or, dans ce paysage très vallonné et entrecoupé de nombreuses sources et petits cours d’eau, tailler une telle infrastructure à gabarit quasi autoroutier, ne permet guère de faire dans la dentelle. Il faut défricher à tour de bras, terrasser des millions de m3, creuser des bassins de rétention, construire des ouvrages d’art, canaliser les écoulements naturels, le tout pour une ardoise plutôt salée puisqu’il en coûtera la bagatelle d’au moins 226 millions d’euros au contribuable, tout ça pour permettre à l’automobiliste pressé de gagner, montre en main, 3 mn sur son temps de parcours… Les entreprises de BTP se frottent les mains mais même l’Autorité environnementale a rendu un avis sévère, déplorant un intérêt public « insuffisamment étayé » et déplorant la parte de 60 km de haies, 60 ha de forêt, 25 ha de zones humides et 105 ha de terres agricoles, sans compter les murets et les abris traditionnels de bergers, irrémédiablement détruits… Cela n’a pas empêché le Préfet de donner son feu vert, pas plus que la mobilisation de près d’un millier de personnes en mai 2021, farouchement opposés à ce projet quelque peu décalé.

Les travaux sont donc lancés, mais un petit groupe d’opposants déterminés, regroupés au sein du mouvement local La lutte des Sucs, a posé sa caravane près du chantier et suit au jour le jour les impacts environnementaux des terrassements, notant les destructions de murets sans débroussaillage préalable par un écologue, les passages d’engins au travers de parcelles privées ou encore l’absence de dispositifs pour permettre à la petite faune de traverser. Des observations soigneusement consignées qui font l’objet de réclamations en bonne et due forme et sont remontées en réunion de chantier.

En cas d’irrégularité, les bergers amènent leurs brebis pour bloquer le chantier… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Et quand les observateurs n’arrivent pas à se faire entendre, ils font appel à l’armée de réserve, à savoir deux troupeaux de brebis mobilisées spécifiquement pour aller faire face aux engins de chantier et bloquer l’avancement des travaux, le temps que leurs revendications soient effectivement prises en compte. Par deux fois déjà depuis cet été, les brebis, dont les meneurs s’appellent Victoire, Zadinette et Bêêricade, ont fait courageusement face aux pelotons de CRS venus en renfort mais qui n’ont pas osé charger dans le tas, au grand dam de Laurent Wauquiez qui s’étrangle en évoquant les dérives extrémistes de dangereux terroristes environnementaux. Un dialogue au jour le jour qui reste compliqué entre aménageurs du territoire et défenseurs de l’environnement…

L. V.

Un fontis à Cassis aussi ?

23 octobre 2023

La galerie noyée du Bestouan fait partie, avec celle qui débouche en mer dans la calanque de Port-Miou, de ces rivières souterraines de Cassis qui en font rêver plus d’un, même si les ingénieurs de la Société des eaux de Marseille, qui imaginaient les exploiter dans les années 1960, pour l’alimentation en eau potable de la métropole marseillaise, et y ont même édifié un barrage souterrain, en 1977, sont depuis longtemps passés à autre chose. Ce qui n’empêche pas la commune de Cassis de réfléchir très sérieusement à implanter un forage sur le tracé de cette rivière souterraine du Bestouan, au niveau de la caserne des pompiers, pour y puiser une eau gratuite et presque douce puisque le niveau de salinité à cet endroit n’est que de quelques grammes de sel par litre, 10 fois moins donc que dans l’eau de mer, de quoi permettre, après désalinisation légère, de l’utiliser pour la défense contre l’incendie voire l’arrosage des espaces verts communaux.

Sommet du barrage souterrain édifié à la fin des années 1970 près de l’exutoire de la rivière souterraine de Port-Miou (photo © Florian Launette / Parc national des Calanques)

Le travail patient et obstiné de générations de plongeurs souterrains a permis de déterminer avec précision le tracé de cette galerie naturelle ennoyée du Bestouan, en la remontant depuis la mer, à contre-courant. Le site de l’association Cassis Rivières Mystérieuses, rappelle l’épopée de ces premières explorations qui datent de 1965. En 1978, Claude Touloumdjian atteint la distance de 1300 m dans ces méandres piégeux et où le courant est localement très fort et la visibilité faible, à l’origine de quelques accidents dramatiques. Il dépasse les 2000 m en 1983 et Francis Leguen atteint 2290 m en 1989, avant que Marc Douchet, l’actuel président de l’association CRM n’explore les parties terminales du réseau, butant à 2950 m dans la galerie principale et à 3000 m dans la galerie du flou qu’il a découverte, à une profondeur respective de 30 et 33 m sous le niveau de la mer.

L’exploration des rivières souterraines de Cassis, une activité qui exige un équipement très spécifique (photo © Hervé Chauvez / CD 13)

Mais c’est en octobre 2005, grâce à l’usage des recycleurs, que le plongeur britannique John Volanthen finit par trouver, à travers les éboulis qui obturent l’extrémité de la galerie du flou, un passage qui lui permet de remonter jusqu’à une vaste salle terminale d’une trentaine de mètres de largeur et d’au moins 35 m de hauteur, encombrée par un cône d’éboulis.

Plongée dans les rivières mystérieuses de Cassis (photo © Florian Launette / La Provence)

Dès 2004, des balises électro-magnétiques posées au niveau des cloches intermédiaires avaient permis de repérer de manière assez précise le tracé de la galerie et d’en reporter la projection en surface. Mais il avait fallu attendre mai 2019 pour que le plongeur Alexander Fox arrive à poser une telle balise sur un bloc émergé, au pied des éboulis de la salle terminale, désormais dénommée salle Volanthen. Des mesures de repérage en surface ont alors permis de détecter avec une bonne précision l’aplomb de cette salle qui se trouve dans les vignobles, près de la Ferme Blanche, à proximité du rond-point du Mussuguet. Une topo très précise effectuées par console électronique embarquée par le plongeur Xavier Meniscus permet désormais de disposer d’un relevé fiable du réseau entre la mer et cette salle terminale.

Eboulis de la salle Volanthen, terminus amont de la rivière souterraine du Bestouan, à 3 km en amont de l’exutoire en mer (photo © Maxime et Patrice Cabanel / source Facebook EFPS)

Une nouvelle plongée effectuée tout dernièrement, le 15 octobre 2023, par les frères Patrice et Maxime Cabanel a permis d’atteindre de nouveau cette fameuse salle Volanthen, au prix de plusieurs heures d’efforts intenses à lutter contre le courant tout en restant concentré sur le fil d’Ariane, vade mecum du spéléonaute. Et pour la première fois, les plongeurs ont pris le temps de prendre quelques photos de cette salle sur laquelle s’arrête (pour l’instant) le réseau. Des photos totalement exceptionnelles, et, qui plus est d’une grande qualité, mises en ligne par Patrice Cabanel sur le site Facebook de l’École française de plongée souterraine.

La cloche de fontis et les éboulis tombés du toit dans la salle Volanthen (photo © Maxime et Patrice Cabanel / source Facebook EFPS)

Comme John Volanthen avant eux, ils décrivent une salle d’effondrement, de 25 à 30 m de diamètre, surmontée d’une immense cloche de fontis dont ils estiment la hauteur à environ 40 m. Les photos montent une fracturation assez intense de la voûte avec des bancs de toit qui sont tombés les uns après les autres, faisant remonter progressivement la voûte de toit selon cette forme de cloche très caractéristiques des effondrements souterrains localisés.

La base des éboulis se situant dans l’eau, cela signifie que le sommet actuel de la voûte serait grosso modo à l’altitude 40 m NGF. Dans la mesure où les cartes topographiques indiquent en surface une altitude d’environ 93 m à l’aplomb de ce point, cela signifie qu’il reste une épaisseur de recouvrement d’une cinquantaine de mètres au-dessus de cette cavité souterraine en cours d’effondrement. Au vu des dimensions de la salle, c’est en théorie suffisant pour que, même si le phénomène de chute des bancs de toit se poursuit, cela ne se traduise pas par un effondrement en surface, grâce à l’effet de voûte qui est mobilisé.

Chute des premiers bancs de toit dans le calcaire Urgonien fracturé au niveau de la voûte de la salle Volanthen (photo © Maxime et Patrice Cabanel / source Facebook EFPS)

Mais les incertitudes dans ce domaine sont fortes car cela dépend beaucoup du degré de fracturation et d’altération des bancs supérieur de calcaire, mais aussi de la nature du recouvrement superficiel, au-dessus des bancs de calcaire massif d’âge Barrémien à faciès Urgonien. Il se trouve d’ailleurs qu’un travail de thèse de Carole Romey, en 2013, avait mis en évidence les vestiges d’un paléolac d’âge Pléistocène avec ses dépôts sédimentaires fins, justement à cet endroit, à l’aplomb de la salle d’effondrement tel qu’on le connait actuellement…

La prudence s’impose donc en la matière. Il n’y a pas forcément à craindre un effondrement brutal avec apparition d’un cratère en surface comme on le voit parfois dans des environnements karstiques de ce type, ou en lien simplement à la présence de cavités souterraines naturelles ou creusées de la main de l’homme. Mais une telle éventualité ne peut pas être totalement exclue non plus, tant les précédents de ce type sont nombreux, à l’exemple de ces affaissements miniers ou de ces effondrements de marnières ou de carrières souterraines abandonnées qui surviennent soudainement au milieu d’un champ ou près d’une maison….

Effondrement d’anciennes carrières souterraines dans les vignes de Saint-Emilion, survenu en 1997  (source © Rapport BRGM R40635 / Infoterre)

Rappelons notamment les quelques 4000 et quelques effondrements d’anciennes cavités souterraines de toutes sortes, pour la plupart vestiges des tranchées de la guerre de 1914-18, qui s’étaient produits en quelques semaines sur le plateau picard en 2001, à la suite d’une forte inondation par remontée de nappe dans le bassin de la Somme, et d’un très violent orage survenu début juillet. Une manière, brutale mais efficace, pour la nature géologique de notre sous-sol de se rappeler au bon souvenir de l’homme insouciant qui vit en surface…

L. V.

A Konya, l’agriculture intensive creuse sa tombe…

21 octobre 2023

C’est semble-t-il en Mésopotamie que les hommes du Néolithique, il y a quelques 11 000 ans de cela, se sont mis à développer la culture céréalière. Une pratique qui a conduit peu à peu les tribus de chasseurs-cueilleurs à se sédentariser pour surveiller les champs et à développer la sélection des variétés culturales, ce qui permet de suivre la progression de ces techniques au gré des déplacements de populations. Sur le plateau anatolien, en Turquie, les céréales sont présentes depuis au moins 2 millions d’années mais les premières traces de mise en culture dateraient d’environ 10 000 ans, sans doute à l’origine de la propagation de ces techniques vers l’Occident. L’Anatolie peut donc se targuer d’une longue expérience agricole et reste d’ailleurs considérée traditionnellement comme le grenier à blé de la Turquie.

Récolte d’un champ de maïs en Anatolie centrale (photo © Esin Denitz / Freepik)

Une agriculture qui s’est incontestablement modernisée, même si, comparativement à ses voisins européens elle reste globalement l’une des moins mécanisées et les moins consommatrices d’intrants. Son développement est pourtant spectaculaire, en lien avec l’évolution démographique exponentielle de ce pays qui comptait seulement 13 millions d’habitants lors du premier recensement de 1927, 27 millions en 1960 et a désormais dépassé les 85 millions. En Turquie, plus de 18 % de la population active reste encore occupée dans les champs, ce qui constitue un ratio très supérieur à nos économies occidentales. La Turquie se targue ainsi d’être le premier exportateur mondial de farine mais aussi de noisettes, d’abricots, de figues, de raisins secs ou encore de cerises et elle se place dans les 5 ou 10 premiers pays exportateurs en matière de melons, pastèques ou concombres, mais aussi pour les lentilles, les pois chiches. Quant aux céréales, la Turquie était en 2022 le 8e principal exportateur mondial de blé, loin derrière la Russie ou l’Union européenne, mais devant l’Argentine par exemple.

Sur le plateau d’Anatolie centrale, les étés peuvent être très chauds avec des températures atteignant 40 °C et de longues périodes sans pluie… (source © Duvar english)

Pourtant dans ce grenier à blé que constitue le plateau d’Anatolie centrale, autour de la ville de Konya, les conditions climatiques ne sont pas des plus favorables. Le cumul mensuel de précipitations, sur la base d’une quarantaine d’années d’observations fiables, ne dépasse pas 438 mm par an, ce qui est sensiblement inférieur au climat marseillais où ce cumul annuel est plutôt de 515 mm sur cette période. Mais surtout, cette pluie, qui tombe principalement en hiver, est tout sauf régulière. Si l’on excepte les années exceptionnelles comme 2000 ou 2013, le cumul annuel dépasse en fait exceptionnellement les 250 à 300 mm par an, ce qui est très faible.

La question de l’accès aux ressources en eau est donc cruciale dans une telle région. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette gestion est loin d’être optimale… Déjà en 2007, un article du Monde alertait sur les difficultés rencontrées après un été particulièrement sec. Pour tenter de sauver leurs récoltes, les agriculteurs de la région étaient amenés à multiplier les forages, de plus en plus profond, tandis que le niveau des nappes souterraines baissait à vue d’œil et que les grands lacs qui parsèment le paysage d’Anatolie centrale disparaissaient les uns après les autres. Le grand lac Hotamis, sur lequel les habitants avaient l’habitude de pêcher était alors totalement à sec, largement remplacé par des champs de betterave à sucre !

Lac Tuz, dans la province d’Aksaray, en Anatolie centrale, presque entièrement asséché à l’issue de l’été, ici le 25 octobre 2021 (photo © Emrah Gurel / The Associated Press / The Globe and mail)

A l’époque, l’administration reconnaissait avoir laissé s’installer une anarchie totale dans la gestion des puits et forages d’irrigation dont moins de 30 000 sont déclarés alors que leur nombre était alors estimé à plus de 60 000 et à plus de 100 000 désormais. Une situation qui n’a donc fait que s’aggraver depuis, alors même que les cultures traditionnelles de blé et d’orge cèdent de plus en plus la place à d’autres cultures comme le maïs et surtout la betterave à sucre, plus lucratives et mieux subventionnées, mais nettement plus gourmandes en eau et qui exigent une irrigation continue.

La Turquie s’est lancée dans des travaux pharaoniques pour détourner l’eau des zones plus montagneuses et venir alimenter des retenues à usage agricole, mais nombre d’agriculteurs préfèrent forer leur propre puits, parfois jusqu’à  300 ou 400 m de profondeur et venir pomper comme bon leur semble, sans la moindre gestion d’ensemble des ressources en eau et de leur capacité de renouvellement. Dans la région de Konya, plus de 90 % de l’eau captée, dont la moitié provient de réservoirs souterrains, est destinée à l’agriculture. Certaines années, on y observe désormais une baisse du niveau des nappes souterraines qui peut atteindre une vingtaine de mètres en période estivale !

Agriculteur de la région de Konya devant le gouffre apparu brutalement sur ses terres, il y a une dizaine d’années et qui fait plus de 30 m de diamètre (photo © Raphaël Boukandoura / Ouest France)

Du fait de ces variations brutales du niveau d’eau, un nouveau phénomène naturel est apparu, de plus en plus fréquent et particulièrement inquiétant : la formation d’effondrements en surface, du fait du soutirage en profondeur liée aux pompages agricoles. Certains de ces cratères qui s’ouvrent brutalement en plein champ et s’agrandissent ensuite d’année en année font jusqu’à 30 voire 50 m de diamètre avec des profondeurs variables mais qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres !

Cratère dans un champ dans la région de Karapınar, en Turquie, le 27 septembre 2022 (photo © Abdullah Dogan / Anadolu Agency / AFP / Reporterre)

Ces trous béants qui se forment ainsi font perdre de la surface agricole mais ils peuvent aussi parfois endommager des lignes électriques voire des routes ou des maisons d’habitation, tout en constituant un véritable danger pour la population, même si jusqu’à présent aucune victime n’est à déplorer. Dans le district de Karapinar, une famille a dû ainsi abandonner en catastrophe sa maison et une mosquée a été rendue inutilisable. Un phénomène qui a tendance à se multiplier et que l’ou retrouve dans toute la région de Konya, mais aussi dans celle de Karaman, plus au Sud, et celle de Niğde, plus à l’Est ou encore dans celle d’Aksaray, en Cappadoce.

Ces formations de dolines du fait d’effondrements souterrains de calcaire plus ou moins fracturé et karstifié qui constituent le plateau d’Anatolie centrale sont un phénomène naturel et qui a toujours existé. Mais la multiplication soudaine de ces effondrements, à raison d’une trentaine par an, interroge sur les pratiques liées à une exploitation anarchique des ressources en eau souterraine dans une région au climat semi-désertique, autrefois plutôt recouverte de prairies à moutons et de champs de blé et d’orge de printemps. Le développement d’une agriculture plus intensive centrée sur des variétés plus exigeantes en eau ne se fait pas impunément, même dans le traditionnel grenier à blé de la Turquie et quoi qu’en pense son leader, Recep Tayyip Erdoğan, adapte d’un productivisme agricole forcené et qui rappelait encore, début janvier 2023 : « celui qui néglige la terre néglige son avenir ». Une belle sentence qui mériterait presque d’être appliquée à la lettre…

L. V.

L’agriculture néerlandaise au pied du mur ?

18 octobre 2023

La France et les Pays-Bas ont au moins un point commun : la part de l’agriculture dans le Produit intérieur brut, autrement la richesse produite par le pays, y est comparable, de l’ordre de 1,6 % ! Un niveau ridiculement bas qui montre à quel point ces deux nations où l’agriculture et l’élevage occupaient l’essentiel de la population il y a encore quelques siècles, ont totalement délaissé ces pratiques nourricières au profit d’autres activités plus lucratives. On compte en France désormais de l’ordre de 29 millions d’hectares agricoles (alors que ce chiffre atteignait encore les 40 millions dans les années 1950, soit près des trois-quarts du territoire national !) dont environ 18 millions de terres cultivées. Au Pays-Bas, dont la superficie est 13 fois plus faible, on ne compte plus que 1,8 millions de terres agricoles dont 1 million de terres arables, ce qui paraît ridicule, surtout pour un pays de 17,5 millions d’habitants qui possède une densité de peuplement très élevée.

Paysage traditionnel de polder hollandais : les moulins de Zaanse Schans  (source © OK voyage)

Et pourtant, les Pays-Bas sont le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, juste derrière les États-Unis dont la superficie est 270 fois supérieure ! En 2019 l’agriculture néerlandaise a exporté pour 96 milliards d’euros de produits agricoles quand sa voisine française se limitait à 64 milliards, pour un niveau d’importation assez comparable entre les deux pays. Les échanges bilatéraux de produits agricoles entre la France et le Pays-Bas sont d’ailleurs deux fois plus élevés, en faveur de nos voisins néerlandais…

De tout temps, les Néerlandais ont façonné le sol de leur pays, dont un quart se situe sous le niveau de la mer, grignotant peu à peu de nouvelles terres arables au prix d’un travail colossal d’endiguement et de drainage, au point qu’un dicton local prétend que « Dieu a créé la Terre, sauf les Pays-Bas, puisque les Néerlandais s’en sont chargés eux-mêmes ». Après la guerre et l’épisode terrible de l’hiver 1944-45, durant lequel 22 000 néerlandais sont morts de famine sous le joug de l’occupation allemande, le pays s’est lancé dans une modernisation extrême de son secteur agricole, à grands renforts d’engrais, de pesticides, de mécanisation poussée et de serres ultra sophistiquées, poussant au maximum tous les curseurs de l’agriculture industrielle hors-sol, totalement déconnectée des cycles naturels.

Dans la région de Westland, d’immenses serres en verre à perte de vue (source © Hortimedia)

On trouve désormais aux Pays-Bas les serres les plus modernes du monde où tout est réglé par ordinateur. L’éclairage et la température sont programmés pour reproduire les conditions climatiques idéales permettant d’y faire pousser aussi bien du basilic, des tomates ou des poivrons que des bananes ou des ananas. Pas besoin même de terre dans la plupart de ces serres où le substrat utilisé est une solution hydroponique ou un substrat organique mitonné aux petits oignons pour obtenir des rendements que le paysan moyen n’ose même pas imaginer. Les Pays-Bas détiennent les records mondiaux de rendements pour la culture de tomates, de poivrons ou de concombres, alors que leur climat est loin d’y être particulièrement favorable !

Les serres néerlandaises ultra modernes en verre éclairées par Led et régulées de manière automatique (photo © Luca Locatelli / Institut for National Geographic)

Avec de telles pratiques, pas étonnant que ce pays minuscule inonde la planète avec ses fruits et légumes. Les Pays-Bas se placent ainsi en tête des pays européens pour la production d’oignons. Ils fournissent aussi la moitié des semences mondiales. Mais le pays se caractérise également par un élevage très développé puisque l’on compte un cheptel total d’environ 100 millions de têtes de bétail, dont 23 millions de porcs, un ratio par habitant rarement rencontré ailleurs dans le monde ! Un élevage hyper intensif et de plus en plus concentré : les élevages actuels de porcs ne sont plus que 3000 environ alors qu’on en comptait 25 000 dans les années 1980, mais ils sont devenus de véritables usines, un tiers d’entre aux comptant plus de 1000 têtes de bétail.

Élevage hors-sol de 320 000 poulets de chair sur étagères aux Pays-Bas, sans le moindre éclairage naturel (photo © Julien Goldstein / Le Monde)

Ces élevages industriels produisent des quantités d’azote et de phosphore que l’environnement n’est plus en capacité d’intégrer. Les éleveurs néerlandais en sont d’ailleurs à exporter une grosse partie de leur lisier en Allemagne où le coût du traitement est moindre… Le gouvernement a ainsi été amené à contingenter les élevages depuis déjà une trentaine d’années. Ce qui n’empêche pas les algues vertes de pulluler sur tout le littoral et l’opinion publique de s’émouvoir à la fois du mal-être animal dans ces élevages intensifs et de l’impact environnemental sur la pollution des sols et surtout des cours d’eau, en voie d’eutrophisation massive. Le pays produit depuis 2010 plus de 250 kg d’azote par hectare, très au-dessus de la moyenne des terroirs agricoles européens qui se situe autour de 170.

Une situation explosive qui a obligé la Justice à intervenir. Dès 2015 un tribunal a demandé au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, en grande partie liés à l’activité agricole dans ce pays. Une décision confirmée en appel en 2018 puis renforcée en 2019 par une décision de la Cour suprême qui oblige alors le gouvernement à engager une réforme ambitieuse visant notamment à réduire le cheptel de vaches laitières dont les émissions de méthane sont redoutables en matière de production de gaz à effet de serre. Sauf que le gouvernement a été rapidement obligé de céder face aux manifestations d’agriculteurs en colère, un millier d’entre eux s’étant mobilisés en octobre 2019 pour bloquer les routes avec leurs tracteurs.

Blocus d’agriculteurs en colère sur l’autoroute A1 près de Rijssen, aux Pays-Bas, le 29 juin 2022 (photo © Vincent Jannink / ANP / AFP / Le Monde)

Un ressentiment des gros éleveurs industriels et des milieux de l’agro-industrie qui pourrait bien peser lourd lors des prochaines élections législatives qui se profilent pour novembre 2023, dans un climat politique assez incertain. Ces élections, qui n’étaient prévues que dans 2 ans, ont été convoquées de manière anticipée suite à la chute du gouvernement dirigé par Mark Rutte, premier ministre depuis maintenant 12 ans mais qui a dû démissionner en juillet dernier. Son parti, d’obédience libéral-conservateur, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie, souhaitait imposer des mesures nettement plus restrictives pour empêcher l’arrivée de nouveaux migrants, ce qui faisait tousser ses alliés démocrates et l’a donc conduit à jeter l’éponge.

Bien malin à ce stade qui pourrait dire ce qu’il ressortira de ce scrutin national, d’autant que plusieurs ténors de la vie politique néerlandaise en profitent pour passer la main et que les gouvernements dans ce pays sont toujours le fruit de coalitions plus ou moins hétéroclites. Une chose est sûre : la crise environnementale des excédents d’azote à résorber à tout prix pour respecter enfin les normes européennes en matière de préservation des milieux aquatiques sera l’un des enjeux majeurs de cette campagne !

Caroline van der Plas (au centre avec le collier) célébrant la victoire du BBB lors des élections régionales de mars 2023 (source © Le Grand Continent)

Les efforts entrepris par le gouvernement depuis 2019, pour tenter de réduire les concentrations de cheptel ont en effet fait naître dans le pays une opposition déterminée, incarnée notamment par le Mouvement agricole-citoyen (BBB pour Boer Burger Beweging), créé fin 2019 par Caroline van der Plas, élue au Parlement dès 2021 sous cette étiquette et dont le parti a fait un tabac aux dernières élections régionales de mars 2023, arrivant largement en tête dans toutes les provinces : une première dans le pays ! Ce raz de marée électoral, dont beaucoup redoutent la réédition le mois prochain à l’occasion des législatives, traduit un véritable sursaut de l’électorat rural. Ce dernier est vent debout contre les réformes à visée environnementale que tentent vainement de mettre en place les élites urbaines confrontées à une véritable impasse du système productiviste agricole néerlandais poussé à son extrême. Voilà qui promet un beau débat de société en perspective !

L. V.

Construction en pierres sèches : un savoir ancestral reconnu

16 octobre 2023

Construire en pierres sèches, voilà bien un point commun à la plupart des civilisations qui ont la chance d’habiter dans des zones où la pierre est abondante. Empiler des pierres les unes sur les autres, cela paraît simple mais très tôt les hommes ont su raffiner les techniques et tirer le meilleur parti de cette technique de construction. L’appareillage particulièrement soigné et la taille gigantesque des blocs parfaitement ajustés que l’on retrouve dans les constructions incas de Machu Pichu ou de la forteresse de Sacsayhuaman édifiée au XVe siècle sur les hauteurs de Cuzco montrent quel niveau de perfection certains artisans étaient capables d’atteindre.

Mur en pierres soigneusement appareillées des ruines incas de Sacsayhuaman, au Pérou (source © Histoire à sac à dos)

Mais l’on retrouve de telles constructions cyclopéennes aux pierres soigneusement ajustées bien avant, notamment dans les ruines de la ville grecque de Mycènes. De nombreuses techniques différentes y coexistent d’ailleurs, entre les murailles de la porte aux lions, les blocs parallélépipédiques taillées et les linteaux énormes des tholos, les grandes dalles dressées et les murs en petit appareillage plus classique, que l’on retrouve notamment dans le cercle A de tombes royales qui aurait été édifié vers 1600 avant notre ère.

A Mycènes, vestiges du cercle A de tombes royales, découvertes par Schliemann et datées entre 1600 et 1500 ans avant J.-C. (source © Antik for ever)

C’est sans doute ce qui fait la particularité de cette technique de construction, très ancienne et que d’innombrables civilisations se sont appropriées à travers le monde, chacune avec son style spécifique, pour construire des abris de cantonniers ou des murets de clôture comme des forteresses défensives majestueuses ou des tours énigmatiques, à l’image des nuraghes, ces vestiges édifiés en Sardaigne, vers 1500 avant J.-C. sous forme de milliers de tours en pierres à cône tronqué, dont on ne sait toujours pas très bien expliquer l’usage mais qui s’imposent dans le paysage.

Nuraghe Losa, près de la ville d’Abbasanta, dans le centre-ouest de la Sardaigne, construit vers 1600 avant notre ère (photo © Istock / Histoire et civilisation)

Une telle technique valait bien une reconnaissance internationale. C’est chose faite depuis que l’UNESCO l’a inscrite en 2018 sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité ! Dès 2011, le ministère français de l’écologie l’inscrivait dans les filières vertes de construction et reconnaissait les bienfaits de ce type de construction dont l’empreinte carbone est très faible du fait de l’absence de liant, de type chaux ou mortier de ciment, et de l‘utilisation de matériaux généralement prélevés sur place et assemblés manuellement.

Restanque en pierres sèches et cabanon dans le Gard, au lieu-dit Combe de Bourguignon, à Marguerittes (photo © Claire Cornu / Patrimoine UNESCO)

Les murs de soutènement en pierre sèche, qui jalonnent tout le pourtour méditerranéen mais que l’on retrouve un peu partout dans le monde, des campagnes irlandaises jusqu’aux pentes du Valais suisse, présentent de multiples avantages dont celui de laisser passer l’eau tout en retenant la terre. La Ligue de protection des oiseaux d’Alsace a aussi démontré que les murs en pierres sèches constituaient des abris naturels pour les espèces prédatrices d’insectes ravageurs des cultures, ce qui est d’ailleurs à la base du système agroécologique des vignobles italiens des Cinque Terre…

Murs en pierres sèches dans les vignobles en terrasse des Cinque Terre (source © CERVIM)

Rien d’étonnant donc que cette technique ancestrale de construction revienne à la mode. Dès 1998, des acteurs d’une vingtaine de pays se regroupent au sein de la Société internationale pour l’étude pluridisciplinaire de la pierre sèche qui organisent désormais tous les deux ans son congrès. Et voilà que la XVIIIe édition de ce congrès international de la pierre sèche vient de se dérouler en région PACA, dans le petit village de Goult, dans le Lubéron, justement connu mondialement pour la beauté de ses murs en pierres sèches et ses bories majestueuses.

Le village des bories près de Gordes, restauré à la fin des années 1970 (source © Fréquence Sud)

Les participants, venus du monde entier ont pu participer à 4 jours de chantier participatif au niveau du moulin de Jérusalem qui surplombe le ville, animé par des stagiaires du CFPA Provence-Ventoux de Carpentras et des spécialistes de l’association Les Muraillers de Provence. Ils ont ensuite enchaîné sur 2 jours de congrès avec des conférences portant aussi bien sur « l’économie de la pierre sèche en France en 2023 » que sur « le rôle de l’âne catalan dans la reconquête des terrasses viticoles de Catalogne » en passant par un atelier consacré spécifiquement à la gestion de l’eau dans les aménagements en pierres sèches, dans lequel ont été évoqués galeries drainantes du Luberon et autres mines à eau…

Chantier participatif de construction d’un mur en pierres sèches à l’occasion du congrès international de Goult (source © Facebook Société scientifique internationale Pierres Sèches)

Au-delà du côté un peu folklorique de ce renouveau des techniques artisanales qui ont permis à nos ancêtres de forger ces paysages ruraux traditionnels avec leurs restanques, leurs murs et leurs abris de toutes formes en pierres sèches, on assiste à un véritable regain d’intérêt pour ces techniques qui ont fait leurs preuves et qui présentent bien des avantages dans une optique de transition écologique. Dès 2018, un Guide des bonnes pratiques des murs de soutènement en pierres sèches était édité, avec l’aide des études scientifiques lancées depuis quelques années déjà par des acteurs comme l’ENTPE ou le CEREMA.

Construction d’un mur de soutènement en pierres sèches dans la Creuse, par l’association Bâti et savoir-faire en Limousin (source © La Montagne)

Dans les Cévennes, une école de formation professionnelle fonctionne depuis 2010, gérée par l’association Artisans bâtisseurs en pierres sèches. De nombreuses autres ont vu le jour depuis et il est désormais question de créer un diplôme de murailler-caladeur, reconnu nationalement. Après être un peu tombé en désuétude, tout indique que la construction en pierres sèches a de nouveau le vent en poupe…

L. V.

Entre fanatisme religieux et arrogance nationaliste, la guerre promise…

14 octobre 2023

Les événements qui se déroulent depuis le 7 octobre 2023 à la frontière entre Israël et la bande de Gaza n’en finissent pas de frapper les esprits, tant la barbarie la plus ignoble est à l’œuvre, fruit d’une haine tenace de part et d’autre et d’une volonté aveugle d’anéantir l’autre. Après l’invasion russe en Ukraine, dans une logique purement impérialiste de montrer ses muscles et d’annexer des territoires, on a vraiment l’impression d’en revenir aux pires moments de notre Histoire, quand nos ancêtres s’étripaient avec ardeur pour permettre à leur monarque d’afficher sa puissance et d’agrandir son royaume, quand ce n’était pas pour d’obscures querelles de doctrine religieuse.

Combattants du Hamas fonçant vers la frontière israélienne depuis la bande de Gaza (photo © AFP / BBC Afrique)

A l’heure où chacun s’inquiète de l’avenir même de l’humanité sur une planète dévastée, en proie à un bouleversement climatique irréversible et alors que jamais les inégalités sociales n’ont été aussi fortes tandis que chacun sait exactement et en temps réel ce qu’il se passe à l’autre bout du monde, on pourrait plutôt craindre des révoltes de la part des moins défavorisés, désireux de profiter d’un gâteau menacé de disparition et dont certains continuent de s’empiffrer comme si de rien n’était.

Mais non, nous voilà revenus au temps des conflits territoriaux, comme si tous les mécanismes juridiques et les outils de la collaboration internationale, de la Société des Nations à l’Organisation des Nations-Unies, ne servaient à rien. Pourtant, on ne peut pas dire que le conflit israélo-palestinien, qui dure depuis au moins 1947, date à laquelle l’ONU a voté le plan de partage de la Palestine à l’issue du mandat britannique, n’ait pas fait l’objet, depuis tant d’années, de toutes les attentions du monde entier. Un conflit qui a dégénéré à plusieurs reprises en guerres, dès 1948, puis en 1967 (guerre des Six Jours), en 1973 (guerre du Kippour), en 1982 (invasion du Liban), en 1987 (première Intifada) et de nouveau en 2000 et jusqu’en 2012 (seconde Intifada).

Poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat le 13 septembre 1993, à l’occasion de la négociation des accords d’Oslo sous l’égide de Bill Clinton (photo © Ron Edmonds / AP / SIPA / Nouvel Obs)

Plus d’une centaine de résolutions ont été adoptées à l’ONU et des dizaines de plans de paix ont été proposés, mais tous ont été sabotés. Des torts malheureusement largement partagés des deux côtés avec une mauvaise volonté aussi flagrante de la part du gouvernement israélien actuel que des dirigeants palestiniens du Fatah et du Hamas.

Il faut remonter à 1993 et aux accords d’Oslo, il y a donc 30 ans, pour retrouver une véritable promesse de résolution de ce conflit via une reconnaissance mutuelle des deux États, avec en ligne de mire la création de l’État palestinien annoncée pour le 1er janvier 1998. En mars 2002, l’ONU entérine cette création et même le président américain Georges Bush ne s’y oppose pas. Sauf que, depuis les élections de 2006, les islamistes du Hamas ont pris le contrôle de la bande de Gaza, ce confetti de 360 km2, plus petit donc que l’île de Mayotte, coincé entre le sud d’Israël et l’Égypte et où s’entassent plus de 2 millions d’habitants dans un dénuement total, tout échange économique vers le voisin israélien étant entravé par un blocus économique, tandis que l’essentiel de l’approvisionnement en eau potable est à la main des Israéliens.

A Gaza, un approvisionnement en eau très précaire (photo © Ahmad Dalloul / Palestinian Water Authority / Banque Mondiale)

Le taux de pauvreté y est de 60 % et la bande de Gaza dépend à 80 % de l’aide humanitaire internationale et de l’aide financière massive du Qatar notamment. Issu des Frères musulmans et adepte d’un régime théocratique islamiste, le mouvement du Hamas, créé en 1988, refuse de reconnaître l’État d’Israël, rejette en bloc les différents traités de paix, organise des attentats terroristes et prône la lutte armée pour détruire Israël. Une position extrémiste, largement renforcée par la brutalité inouïe avec laquelle l’armée israélienne avait réprimé la seconde Intifada, et encouragée par son allié iranien, qui l’a donc conduit à lancer, le 7 octobre dernier, ces attaques sanglantes contre les populations civiles du sud israélien.

Poste de police de Sdérot, détruit suite à l’attaque du Hamas, ici le 8 octobre 2023 (photo © Ronaldo Schemidt / AFP / Libération)

Israël avait pourtant dépensé, paraît-il, plus d’un milliard de dollars pour construire, le long de la frontière gazaouie, une barrière de sécurité hautement sophistiquée. Mais les combattants du Hamas l’ont franchie sans difficulté à l’aide de simples bulldozers, de pick-up et de parapentes, se livrant par surprise à des actes de violence barbares contre leurs voisins, au moins 1300 Israéliens ayant été assassinés ou pris en otage. Il faut dire que si Tsahal n’a rien vu venir, c’est parce que, après avoir parqué les Gazaouis dans leur chaudron barricadé, les services de renseignement et l’armée avaient reporté toute leur attention sur les territoires occupés de Cisjordanie où la colonisation israélienne se poursuit à un rythme jamais vu.

Palestiniens célébrant la prise d’un char israélien près de la barrière qui encercle Gaza, près de Khan Younès, le 7 octobre 2023 (source © Keystones / TDG)

Depuis son retour au pouvoir fin 2022, Benyamin Netanyahou, surtout préoccupé de se prémunir contre les multiples affaires judiciaires qui lui sont reprochées, au risque de mettre en péril les institutions démocratiques de son pays, s’est allié avec des représentants de la pire espèce, de l’extrême droite nationaliste comme des ultraorthodoxes fanatisés, ce qui n’a fait qu’ajouter des tombereaux d’huile sur le feu qui couve dans les territoires occupés palestiniens.

Tour d’habitation pulvérisée par une frappe aérienne de l’armée israélienne au centre-ville de Gaza dès le 7 octobre 2023 (photo © Adel Hana / AP / Le Monde)

Sa réaction au coup de force du Hamas est d’ailleurs à l’image de ce redoutable opportuniste sans scrupule qui a immédiatement ordonné en représailles le bombardement massif des villes de Gaza, causant déjà plus de 2 200 morts dont 724 enfants en quelques jours, n’hésitant pas à frapper des écoles et des hôpitaux. Un blocus total a été immédiatement instauré privant la totalité des habitants de Gaza de tout approvisionnement en eau et en électricité, en violation totale des lois internationales, le ministre de la Défense israélien n’hésitant pas à déclarer le 9 octobre : « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence »…

Habitant de Gaza devant un immeuble détruit par une frappe israélienne le 11 octobre 2023 (photo © Mohamed Abed / BFM TV)

Israël menace maintenant la bande de Gaza d’une invasion terrestre massive et a demandé aux populations de Gaza de s’enfuir, comme si elles avaient ailleurs où se replier. Plus de 400 000 habitants de la bande de Gaza avaient déjà quitté en catastrophe leur foyer ce samedi 14 octobre, en attendant le déferlement des chars de Tsahal qui ne sont pas réputés faire dans la dentelle.

Une situation cataclysmique, qui montre jusqu’à quel niveau d’horreur l’irresponsabilité totale du Hamas comme du gouvernement israélien et de leurs alliés respectifs est capable de conduire les populations de cette région. A se demander si certains ont bien retenu les leçons les plus élémentaires de milliers d’années de guerres aussi sanglantes qu’absurdes…

L. V.

Le Mont-Blanc a encore perdu 2 mètres…

11 octobre 2023

Chaque Français l’a appris à l’école : le Mont-Blanc, situé en France, est le plus haut sommet d’Europe et culmine à 4 807 m d’altitude. Des affirmations qui néanmoins méritent quelques précisions…

Le Mont-Blanc, plus haut sommet français (photo © Sergueï Novikov / Adobe Stock / Futura Sciences)

Une chose est sûre, ce sommet, situé à égale distance des villes de Chamonix, en Haute-Savoie, et de Courmayeur, dans le Val d’Aoste italien, est bien le point culminant des Alpes, et de l’Union européenne dans sa configuration actuelle. De là à dire que c’est le sommet le plus élevé d’Europe, tout dépend de ce que cette notion géographique recoupe… Car si l’on considère que la chaîne du Caucase fait partir du continent européen, force est de constater qu’on y trouve une bonne dizaine de montagnes sensiblement plus élevées que notre Mont-Blanc. La plus haute d’entre elles est le mont Elbrouz, situé dans le nord du Caucase, en territoire russe, et qui culmine à 5 642 m d’altitude. Mais on dénombre au moins 6 autres sommets caucasiens qui dépassent les 5 000 m, dont le Dykh Tau, situé en Kabardino-Balkarie, tout comme le Kochtan-Taou, tandis que le Chkhara, le Djanghi-Taou, le Kazbek ou encore le pic Pouchkine sont du côté georgien.

Le mont Elbrouz en Russie et ses 5 642 m d’altitude… (source © Outwild)

Quant à affirmer que le Mont-Blanc est bien sur le territoire français, c’est un point qui n’est pas définitivement tranché… Bien sûr, jusqu’en 1860 la question ne se posait pas puisqu’il faisait incontestablement partie du duché de Savoie alors rattaché au Royaume de Sardaigne. Mais en 1858, le premier ministre sarde, Camillo Cavour rencontre Napoléon III à Plombières et il est question de permettre le rattachement à la France de la Savoie et du comté de Nice, moyennant une aide militaire française pour aider la Sardaigne à unifier l’Italie contre la volonté autrichienne.

La France participe ainsi aux victoires sardes de Montebello, puis de Magenta et de Solférino, mais au prix de tant de pertes humaines que Napoléon III préfère signer un armistice et se retirer. Ce qui n’empêchera pas la diplomatie de faire son œuvre et d’aboutir, via le traité de Turin, signé le 24 mars 1860, au rattachement à la France de la Savoie toute entière, à l’issue d’un plébiscite largement contesté d’ailleurs. Toujours est-il que le traité se garde bien de définir précisément les frontières, laissant ce soin à une future commission mixte…

Extrait de la carte d’état-major dressée en 1865 par Jean-Joseph Mieulet, avec le tracé de la frontière franco-italienne déporté au niveau du Mont-Blanc de Courmayeur (source © Gallica / BNF)

En toute logique, la frontière finalement délimitée passe par le sommet du Mont-Blanc, qui se trouve donc franco-italien. Un tracé que l’on retrouve encore de nos jours sur les cartes italiennes, mais pas sur les françaises… Dès 1865, la carte d’état-major levée par le capitaine Mieulet repousse le tracé de la frontière plus au sud, au niveau du Mont-Blanc de Courmayeur. Une version qui sera confirmée en 1946, à l’occasion d’un arrêté ministériel pris juste après la guerre, qui confirme ce tracé frontalier et répartit le territoire ainsi indument annexé entre les communes de Chamonix et de Saint-Gervais. Les Italiens protestent à maintes reprises contre ce coup de force et adressent même en 1995 un mémoire aux autorités françaises pour demander de réexaminer ce litige. Mais la France s’abstient purement et simplement d’y répondre et les choses en sont là, pour l’instant !

Le massif du Mont-Blanc vu depuis Combloux, le 15 février 2019 (photo © Christophe Suarez / Biosphoto / AFP / France TV info)

Quant à savoir quelle est l’altitude précise du Mont-Blanc, les scientifiques les plus au fait du sujet auraient tendance à répondre comme l’humoriste Fernand Reynaud jadis au sujet du temps que met le fût du canon à refroidir : « ça dépend… ». A leur décharge, l’exercice n’est pas si facile qu’il n’y paraît. Le premier à s’y colle est le Britannique George Shuckburgh-Evelyn, qui grimpe en 1775 avec le naturaliste genevois Horace Benedict de Saussure au sommet du Môle, au-dessus de Bonneville, ce qui lui permet d’estimer la hauteur du Mont-Blanc à 4 787 m. Après correction de la planimétrie puis intégration d’un coefficient de réfraction, cette mesure sera ajustée en 1840 à 4 806,5 m. Une mesure qui sera affinée entre 1892 et 1894 par les cousins Vallot à 4 807,2 m, laquelle restera longtemps la valeur de référence, confirmée d’ailleurs en 1980 par une campagne photogrammétrique de l’IGN.

Depuis, les techniques de mesure altimétrique ont beaucoup évolué et se font désormais par satellite. Les premières visées de 1986 aboutissent d’ailleurs à une valeur assez proche mais légèrement supérieure de 4 808,4 m. Depuis 2001, dans le cadre d’un partenariat entre la chambre départementale des géomètres-experts de Haute-Savoie et la société Leica Geosystems, des campagnes de mesures sont réalisées tous les deux ans pour tenter de suivre l’évolution de l’altitude du Mont-Blanc. Car contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, celle-ci est loin d’être intangible. De fait, alors que la première mesure en 2001 aboutit à 4810,4 m, la suivante, réalisée en septembre 2003 après une année de forte canicule, montre que le sommet a baissé de près de 2 m ! A cette occasion, un relevé très fin de toute la calotte neigeuse au-dessus de 4000 m est effectué pour servir de référence.

La calotte neigeuse au sommet du Mont-Blanc, en perpétuel mouvement (source © Les exploratrices)

Car le Mont-Blanc, comme son nom l’indique, est recouvert d’une épaisse couche de neige, de 15 à 20 m d’épaisseur. Son sommet rocheux se situe donc plus bas, à 4 792 m d’altitude et est décalé d’une quarantaine de mètres plus à l’ouest par rapport au sommet neigeux. Ce dernier évolue donc au fil du temps, en fonction des cycles de précipitation et des déplacements de la couche de neige sous l’effet du vent. En septembre 2005, le sommet a ainsi regagné 30 cm puis carrément 2,15 m supplémentaire en 2007, date à laquelle le volume du manteau neigeux sommital avait presque doublé de volume par rapport à 2003. En septembre 2011, les mesures indiquaient ainsi un sommet culminant à 4 810,4 m.

Mais depuis, les campagnes les plus récentes ont tendance à montrer une perte progressive d’altitude. En 2019, le sommet était ainsi retombé à 4 806 m. Il est remonté d’un mètre en 2021 et la dernière campagne, réalisée entre le 14 et le 16 septembre 2023 indique une altitude encore inférieure, évaluée à 4 805,59 m. Il ne faut pas nécessairement en conclure pour autant que les 2,20 m de manteau neigeux perdus depuis 2021 et même 4,50 m depuis 2013, sont une résultante directe du changement climatique. Il est en effet trop tôt pour tirer ce type de conclusion sur la base d’une série de mesures aussi brève, alors que la partie sommitale du Mont-Blanc reste en permanence en dessous de 0 °C. Les mesures désormais disponibles montrent que la configuration du manteau neigeux au sommet du Mont-Blanc change très rapidement sous l’effet du vent qui déplace en permanence la neige et remodèle à sa guise le sommet.

État du glacier de la Mer de Glace, ici le 3 février 2021 (photo © Marco Bertorello / AFP / Actu)

En revanche, le réchauffement climatique se fait sans conteste sentir sur les glaciers des Alpes et notamment dans le massif du Mont-Blanc, à l’image de la Mer de Glace qui fond à vue d’œil. En 2022, la fonte mesurée avait atteint 4 m entre fin mai et début juillet, un phénomène qui s’est fortement accéléré depuis le débit des années 1990 et un recul qui devrait atteindre plusieurs kilomètres d’ici 30 ou 40 ans. Dans les Alpes, la disparition des glaciers est déjà considérée comme un phénomène programmé et irréversible…

L. V.

Martine Vassal s’attaque à un mur…

9 octobre 2023

La présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, en tee-shirt et les cheveux en bataille, s’attaquant devant les caméras à un mur en briques à grands coups de masse vengeurs, voilà une image qui interroge.

Martine Vassal s’attaquant à grands coups de masse à un mur en polystyrène lors de l’inauguration du tunnel Schloesing, le 3 octobre 2023 (source © Made in Marseille)

Un peu d’abord sur le degré de réflexion de ses conseillers en communication qui ont imaginé un tel scénario, d’autant plus déroutant que le mur en question, bâti en polystyrène et peint de fausses briques, s’est révélé nettement plus résistant que prévu, obligeant la présidente de la Métropole à s’y reprendre à plusieurs fois avant d’arriver à percer enfin la muraille. Il a fallu qu’elle y mette toute sa force et une hargne décuplée par l’échec de ses premiers coups pour arriver enfin à bout de ce décor clinquant, s’arrêtant à bout de souffle dès l’apparition d’un minuscule trou de souris dans lequel les automobilistes marseillais auraient bien du mal à s’engouffrer.

Les exploits de Martine Vassal, marteau de Thor en main, déversant toute sa hargne contre ce mur en briques qui empêche encore les automobilistes marseillais de verser leur obole aux Dieux de la Finance, Eiffage et Vinci (source © La Provence / You Tube)

La scène a beaucoup amusé sur les réseaux sociaux où certains y ont vu le symbole de la Métropole s’attaquant sans vergogne et avec une rage redoublée aux transports publics. Il faut dire que cette inauguration d’un nouvel aspirateur à voitures coïncide avec l’annonce de la fermeture pendant 2 ans des lignes de métro à 21h30, ce qui ne manque pas d’interroger sur le sens des priorités de la Métropole qui se gargarise en permanence de développer les modes doux de déplacement mais qui dépense en réalité l’essentiel de son énergie à développer des autoroutes urbaines plutôt que des pistes cyclables et des transports en commun.

Les deux lignes de métro marseillaise fermées à 21h30 en semaine à partir du 23 octobre 2023, une décision unilatérale de la Métropole qui passe mal… (photo © Nicolas Vallauri / MaxPPP / La Provence / Le Monde)

La mise en scène d’une responsable politique s’attaquant à grands coups de masse à une infrastructure publique n’était probablement pas du meilleur goût à quelques mois des plus terribles émeutes urbaines que la France ait connues depuis longtemps. Entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, ce sont pas moins de 12 000 voitures qui ont été incendiées sur la voie publique et plus de 2500 bâtiments qui ont été détruits ou endommagés dont 168 écoles et 105 mairies mais aussi des magasins, des bibliothèques et même des commissariats. Promouvoir ainsi, quelques semaines plus tard ces gestes d’une responsable politique défonçant un mur à grands coups de masse n’était donc peut-être pas des plus appropriés…

D’autant que la scène ne grandit pas la présidente de notre Métropole, chacun ne pouvant s’empêcher de penser, en voyant son marteau démesuré, à la gigantesque masse qui ne quitte jamais Cétautomatix, le personnage des Aventures d’Astérix le Gaulois, d’autant que tout dans l’accoutrement choisi ce jour-là par Martine Vassal, des larges braies jusqu’à la ceinture ventrale et même les chaussures, a un petit quelque chose du forgeron gaulois. A moins que la référence ne soit plutôt celle de son épouse qui sait parfois aussi se montrer hargneuse lorsqu’il s’agit de frapper ?

Cétautomatix, le forgeron du village d’Astérix, avec son énorme masse, et son épouse qui sait aussi se montrer hargneuse (source © Editions Albert & René)

Toujours est-il que cette séquence, qui a beaucoup fait rire sur le coup, vient clôturer un dossier qui a vu s’opposer deux visions stratégiques quant à la place de la voiture en ville. Cette nouvelle bretelle de 485 m de longueur, qui traverse en tranchée le parc du XXVIe centenaire et que vient d’inaugurer à grands fracas la présidente de la Métropole fait en effet partie de ces projets que l’actuelle municipalité de Marseille a toujours combattus. Les élus de la Ville n’étaient d’ailleurs pas présents lors de cette inauguration pour admirer le joli coup de marteau de Martine Vassal, l’adjointe au maire en charge de la mobilité, Audrey Gatian, se contentant de ce commentaire : « c’est malheureusement un coup parti qui pour nous ne correspond pas à la ville d’aujourd’hui ni de demain ».

Construction en cours de la tranchée couverte de la future bretelle Scloesing au travers du parc du XXVIe centenaire, ici en mars 2023 (photo © Jérôme Cabanel / Vinci construction)

Bien sûr, cela n’empêchera pas les automobilistes marseillais de s’engouffrer, à partir du samedi 7 octobre dans cette nouvelle voie qui part du boulevard Schloesing puis longe l’avenue Jules Cantini dans le parc du XXVIe centenaire avant de rejoindre, via un tronçon de 360 m du tunnel Prado sud, soit l’autoroute A50 vers Aubagne, soit le tunnel Prado Carénage pour traverser la ville vers le nord. Ce nouvel aménagement était de fait justifié par la démolition des passerelles qui permettaient jusque-là aux voitures de traverser au-dessus de la place du général Ferrié, surplombant les boulevards Rabatau et Schloesing. Ces passerelles empêchaient en effet le passage du tramway T3 en cours de prolongation depuis la place Castellane vers le pôle d’échange Sainte-Marguerite Dromel.

Démontage de la passerelle au-dessus de la place du général Ferrié (source © Tunnel Prado Schloesing)

Il n’en demeure pas moins que ce projet est surtout une excellente affaire pour les deux entreprises de BTP Eiffage et Vinci qui se partagent la majeure partie des bénéfices juteux de la Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage (SMTPC), mis en service en 1993. Pour l’année 2022, ces bénéfices se sont ainsi élevés à près de 13 millions d’euros dont 11 millions versés directement dans la poche des heureux actionnaires, le reste servant à grossir encore un report à nouveau colossal de 33,5 millions d’euros ! Une véritable poule aux œufs d’or que cette concession qui devait cependant être remise en concurrence à partir de 2025. Le but véritable de ce projet de nouvelle bretelle Schloesing était donc de permettre, moyennant quelques menus travaux de BTP, dont c’est justement la spécialité d’Eiffage et Vinci, de prolonger de quelques années la concession source de revenus confortables, et ceci tout en récupérant au passage la concession de la partie nord du tunnel Prado sud, déjà en réalité détenue par Eiffage et Vinci mais via une autre société…

Chantier de construction de la tranchée couverte de la future bretelle Schloesing au travers du parc du XXVIe centenaire, ici en mai 2023 (source © Tunnel Prado Schloesing)

Le projet, initié en 2016, prévoyait, pour un coût de travaux estimé à 47 M€, une rallonge de 11 ans de la concession, ce qui avait quelque peu interrogé les services de l’État, car le cadeau de la collectivité aux entreprises de BTP était quand même un peu excessif. Le Préfet avait donc demandé de limiter à 7 ans et 4 mois le report de la concession, ce qui reste très généreux. La Commission européenne ayant donné son blanc-seing à l’opération le 21 novembre 2019, les travaux ont démarré en mai 2020 et la SMTC se réjouit aujourd’hui de cette excellente opération, ses dirigeants affichant un grand sourire tandis que Martine Vassal s’acharnait à grands coups de masse contre ce mur de résistance qui avait quelque peu retardé l’opération…

L. V.

La dernière carrière de pierre de Cassis

7 octobre 2023

Les journées du patrimoine peuvent réserver de belles surprises… surtout si elles vous permettent de découvrir une propriété privée… Un lieu devant lequel vous passez tous les jours, vous étonnant de cette enclave verdoyante sauvegardée parmi les immeubles et vous permettant d’admirer le Cap Canaille sans contrainte visuelle.

Vous êtes bien à Cassis, avenue des Carriers, la bien nommée ! Car elle permet d’accéder à la dernière carrière de « pierre de Cassis » : la carrière du Picouveau. Celle-ci est le témoin du passé industriel de la commune, le miroir de l’histoire des anciens carriers Cassidens et l’histoire d’une population d’origine italienne fortement représentée : JERMINI, BORILLO, TIERNO, GAMBI…

Exploitation de la carrière du Picouveau par Louis Sauveur Gambi, l’arrière grand-père du propriétaire actuel (source © Paul Gambi / Le Gabian déchaîné)

Et c’est à la famille Gambi que l’on doit aujourd’hui de pouvoir admirer ce dernier et unique site d’exploitation resté dans un très bon état de conservation ; tous les autres ont disparu. Les Gambi en ont assuré l’exploitation à compter de la fin du XIXe siècle, et sont devenus « maîtres carriers » (propriétaires) en 1927 jusqu’à la fermeture au début des années 90.

Paul Gambi propriétaire actuel, descendant des « maîtres carriers » a toujours résisté à la pression des promoteurs immobiliers pour qui ce site en pleine ville était une superbe aubaine. Chapeau Monsieur Gambi, vous auriez pu faire fortune !

Chargement de blocs sur un camion à plateau à la carrière du Picouveau (source © Paul Gambi / Le Gabian déchaîné)

Depuis plusieurs années et avec le soutien des associations patrimoniales, la préservation du site est demandée car il est en zone constructible. Paul Gambi, avec l’appui de la municipalité, souhaiterait dans un premier temps qu’il soit déclaré inconstructible, afin de pouvoir envisager à l’avenir de restaurer outillages et constructions, et de créer un musée à ciel ouvert.

Un peu d’histoire

La pierre de Cassis (en réalité présente dans le massif s’étendant de Marseille à Roquefort-la-Bédoule) est une roche calcaire constituée de couches successives de sédiments marins. Elle est exploitée depuis l’Antiquité, mais surtout depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Front de taille de la carrière du Picouveau avec les traces de forage pour la découpe des blocs (photo © CPC)

En raison de ses qualités (faible porosité, dureté, densité) elle a été utilisée notamment pour des travaux de soubassements, l’arsenal de Toulon, les phares du Planier et de Cassis, ou encore la construction de quais comme ceux du Pirée à Athènes ou ceux d’Alexandrie. Malgré une légende persistante la pierre de Cassis n’a pas été utilisée pour le socle de la statue de la Liberté à New York.

Ce fut un débouché important pour les artisans locaux avec la fabrication des « piles » (éviers) que l’on trouve encore dans de nombreuses habitations cassidennes, les encadrements des portes, « les buto rodo » ou chasse roues, les marches d’escaliers, les éléments de décors de façade… Elle a aussi été travaillée et sculptée en marbrerie (monuments funéraires). Tous ces éléments construits en pierre de Cassis sont encore présents dans le centre ancien et sont des éléments patrimoniaux.

L’exploitation, toujours à ciel ouvert, se faisait initialement de façon manuelle, en gradins, à l’aide de barres à mine, puis de coins en bois sur lesquelles on tapait pour détacher les blocs de pierre. Avec l’industrialisation est apparue la mécanisation des tâches de perçage, découpage, concassage des chutes, etc…

Ancien wagonnet abandonné sur le site de la carrière du Picouveau (photo © CPC)

Les sites d’exploitation étaient alors éloignés du village, et les carriers devaient donc organiser leur vie sur place, et également y façonner et réparer leur outillage (présence de forge sur site).

Ce qui est remarquable sur le site de la carrière Gambi, c’est que toutes les installations utilisées entre les années 1930 et 1980 pour extraire la pierre et la transformer ont été sauvegardées, de la machinerie au petit outillage. On y trouve du gros matériel : concasseur avec chaîne à godets, cylindre de tamisage, machinerie diesel d’origine, 2 wagonnets Decauville à tombereaux, un chemin de fer à voie étroite ainsi que les bâtiments, silos de chargement, forge artisanale, et même deux constructions en pierre de type cyclopéens destinés à recueillir l’eau de pluie pour répondre aux besoins des carriers. On y voit aussi du matériel plus courant destiné aux différentes étapes de l’extraction et de la transformation : crics, coin, diables, outils de taille et de gravure, matériel de manutention, etc.

Le site aujourd’hui

La visite du site, facile d’accès pour tout un chacun, permet de connaître la pierre de Cassis, au sens géologique, mais aussi de comprendre la chronologie des phases de l’exploitation ainsi que l’évolution des techniques d’extraction au fil du temps par la simple observation des fronts de taille présents sur le site.

Le site est un refuge et un lieu de vie pour de nombreuses espèces d’oiseaux, de mammifères, d’insectes et autres espèces qui ont fait de cet espace un lieu de vie protégé. Les fronts de taille constituent notamment un habitat propice à l’installation de chauves-souris dont le vol de plusieurs sujets est régulièrement observé sur place.

La démarche engagée par Paul Gambi et la municipalité de Cassis, vise à sauvegarder la mémoire d’un patrimoine original pour les générations futures, les autres carrières ayant disparues, mais aussi à sauvegarder la mémoire de la taille de la pierre de Cassis et de son rayonnement autour de la Méditerranée, sauvegarder la mémoire des activités artisanales de nos ancêtres et de leur savoir-faire, et enfin préserver et réhabiliter les installations d’extraction d’origine toujours sur le site

Dispositif de fil pour scier les blocs de pierre (photo © CPC)

Une procédure de classement du site au titre des monuments historiques a été engagée par la Direction Régionale des Affaires Culturelles. Un premier avis favorable a été formulé par la délégation permanente de la Commission Régionale. Danielle Milon, maire de Cassis, qui a donné son feu vert à la construction d’un complexe hôtelier de luxe sur le site d’une autre ancienne carrière de Cassis, a demandé à la Métropole la modification du PLUI afin de déclarer le site inconstructible désirant « dans un avenir proche ouvrir ce site au public. »

Une enquête publique est en cours. Vous pouvez appuyer ce projet en remplissant un formulaire en ligne avant le 3 novembre 2023.

M.-A. Ricard

Senans boucle son cercle

5 octobre 2023

La saline royale d’Arc-et-Senans, achevée en 1779 fait partie de ces œuvres architecturales grandioses qui parsèment le riche patrimoine national, ce qui lui a valu d’être classée au titre des Monuments historiques en date du 20 février 1940. Conçue par l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, son architecture singulière de bâtiment industriel d’un classicisme imposant, témoins des débuts de l’industrialisation européenne au XVIIIe siècle et d’un courant de pensée à la fois rationaliste et utopiste qui caractérisa le Siècle des Lumières, l’a aussi conduite à être inscrite dès 1982 sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Vue aérienne du site de la saline royale d’Arc-et Senans (photo © Conseil départemental du Doubs / Le Progrès)

A l’époque de sa construction, le sel était considéré comme une denrée rare, indispensable à la conservation des aliments et les fermiers généraux percevait sur son commerce un impôt important, la gabelle. La Franche-Comté faisait partie de ces régions dont le sous-sol était relativement riche en eau saumâtre. Les eaux qui lessivent les marnes à sel gemme du Keuper, près de la ville de Salins-les-Bains, au nord-est du Jura, alimentent des résurgences d’eaux salées connues depuis le IIIe siècle et largement exploitées depuis le Moyen-Age. La ville est intégrée au XVIIe siècle au royaume de France et devient manufacture royale. Des roues hydrauliques y remplacent alors les norias pour actionner les pompes qui extraient l’eau saumâtre.

Noria pour le pompage dans la grande saline de Salins-les-Bains (photo © Autoroutes APRR)

Mais les forêts dont le bois sert à évaporer l’eau pour en extraire le sel finissent par s’épuiser alors que la demande en sel augmente, ce qui conduit, en 1773, l’administration de la Ferme générale à envisager de construire une nouvelle saline plus au nord, près de l’immense forêt de Chaux, entre les petits villages d’Arc et de Senans. Un saumoduc, constitués de troncs de sapin évidés et emboîtés les uns dans les autres sur plus de 21 km, servira à acheminer jusqu’à la nouvelle manufacture la précieuse saumure liquide, surveillée comme la prunelle de leurs yeux par des patrouilles de gabelous.

La maison du directeur de la saline royale d’Arc-et-Senans (photo © Antonio Martinelli / Point de vue)

Nommé en 1771 commissaire aux salines de Lorraine et de Franche-Comté, Ledoux présente en 1774 un premier projet audacieux de bâtiments industriels organisés autour d’une cour carrée mais est contraint de revoir sa copie et opte cette fois pour un demi-cercle de 370 m de diamètre dont le centre est occupé par l’imposante maison du Directeur avec son fronton et son péristyle. De part et d’autre, les bernes sont d’immenses bâtiments servant à faire chauffer l’eau dans des poêles, après que la saumure ait déjà subi une évaporation préalable dans le bâtiment de graduation, situé un peu à l’écart et détruit en 1920. En tout, 11 bâtiments sont alignés dans le demi-cercle protégé d’une enceinte, les logements des commis étant situés aux extrémités de l’alignement.

Projet de Cercle de Chaux élaboré par Ledoux (source © Ma Commune)

Pendant la Révolution, Ledoux est emprisonné et il rêve alors d’achever son « cercle de Chaux » en édifiant, dans le demi-cercle manquant les jardins et les logements des ouvriers, pour en faire une véritable cité utopique où chacun habite près de son lieu de travail, le rêve de tout banlieusard…

Une utopie qui est devenue partiellement réalité puisqu’est né en 2019 le projet baptisé « Un Cercle immense » qui consiste à achever enfin le cercle imaginé par Ledoux, en y adjoignant au nord des bâtiments un nouvel espace semi-circulaire de même taille que l’existant, destiné à servir d’îlot de valorisation de la biodiversité et du végétal. Achevé en juin 2022, ce nouveau demi-cercle paysager de 13 hectares, conçu par l’agence Mayot et Toussaint associée au jardinier et écrivain Gilles Clément, est constitué de 10 jardins permanents et accueille chaque année le festival des jardins éphémères.

Le cercle de la saline d’Arc-et-Senans complété avec un aménagement paysager au nord des bâtiments (source © Saline royale)

Dès 1895, la saline d’Arc-et-Senans avait arrêté ses activités, l’extraction du sel gemme franc-comtois devant alors faire face à la concurrence du sel marin acheminé par voie ferrée et le puits du bourg ayant été contaminé par les fuites de saumures. Racheté en 1927 par le Département du Doubs, le site est alors restauré et transformé en haras avant d’abriter en 1939 un camp de réfugiés républicains espagnols, puis un centre de rassemblement tsiganes sous l’occupation allemande.

Il aura donc fallu attendre deux siècles et demi pour que le cercle géométrique imaginé par Claude-Nicolas Ledoux vienne enfin se refermer autour des bâtiments d’origine, témoins d’un passé industriel révolu qui aspirait alors à une utopie sociale jamais atteinte et qui a laissé la place à une vision plus environnementaliste : à chaque époque ses utopies…

L. V.

Des complotistes à Carnoux-en-Provence ?

3 octobre 2023

Certains Carnussiens ont eu la surprise de trouver récemment dans leur boîte aux lettres un tract étrange, intitulé « Macron prépare la guerre ». Un tract étrange, parfaitement anonyme et dont l’origine reste un mystère. Les deux illustrations qui figurent en tête de ce document, à l’allure artisanale, proviennent manifestement d’internet, l’une d’un visage cloîtré derrière plusieurs rangées de barbelés, siglée du fournisseur britannique d’illustrations Alamy, et l’autre représentant un individu assis dont le cerveau est branché en direct sur un maelström de données numériques issues d’un écran géant.

Un tract au contenu assez intriguant, distribué à Carnoux-en-Provence le 29 septembre 2023 (photo © CPC)

Des images chocs destinées à alerter contre « des mesures liberticides très dangereuses pour l’avenir de notre pays » !  Le ton du message est dramatique à souhait et vise à mettre en garde chacun de nos concitoyens, pardon « compatriotes », contre un complot qui se trame, animé par le Président de la République en personne, avec bien entendu la complicité des médias et qui concerne des risques de nature à détruire irrévocablement « la liberté d’expression du peuple », rien de moins.

La principale de ces menaces, illustrée par deux extraits encadrés du projet, concernerait la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030, adoptée la veille du 14 juillet par un large consensus national puisque 313 députés ont voté en faveur de ce texte et seulement 17 contre, les autres ayant préféré s’abstenir ou se faire porter pâle. Cette nouvelle loi d’orientation, qui a fait l’objet d’un gros effort de communication, adoptée dans le contexte de la guerre en Ukraine et du regain de tensions internationales auxquelles on assiste, prévoit une forte augmentation du budget national consacré aux armées, qui passerait à plus de 400 milliards en 7 ans, sous réserve néanmoins d’une confirmation à l’occasion de l’adoption de chacun des prochains budgets annuels.

Emmanuel Macron, aux côtés du ministre des Armées, Sébastien Lecornu : deux comploteurs ? (photo © SIPA / L’Opinion)

Mais ce n’est manifestement pas cela qui inquiète les auteurs, lesquels focalisent sur l’article 29 de cette loi qui en comporte 71, article qui apporte quelques modifications à des dispositions du Code de la Défense, concernant les modalités de réquisition « en cas de menace actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, sur la protection de la population, sur l’intégrité du territoire ou sur la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense ».

En période de tension internationale, c’est le moment d’évoquer une augmentation des budgets militaires : un dessin signé Michel Heffe (source © Unité et Diversité)

Cette nouvelle disposition est présentée comme une atteinte grave à la liberté des citoyens, laissant entendre qu’un coup d’État se prépare et que tous les citoyens réquisitionnés d’office se verront immédiatement jetés en prison s’ils refusent de suivre les injonctions gouvernementales. La vérité oblige à dire que le texte est quand même nettement plus restrictif puisqu’il ne concerne que le domaine de la Défense et pas celui du maintien de l’ordre public. Autrement dit, il ne peut s’appliquer qu’en cas de menace de guerre et vise simplement à adapter le régime des réquisitions qui n’avait pas été revu depuis 1959 et qui ne permettait plus de répondre aux caractéristiques des conflits actuels. Il est d’ailleurs curieux de constater que ce sont plutôt des milieux complotistes d’extrême droite qui ont le plus fortement réagi à ce texte alors que la Rassemblement national a voté comme un seul homme la loi de programmation militaire qui, inversement, a été unanimement rejetée par les députés LFI…

L’étendue des libertés individuelles en société, une question d’équilibre ? Une maxime du Chat de Philippe Geluck  (source © Pinterest)

Le tract évoque aussi « de nouvelles lois numériques permettant à l’État d’avoir le contrôle total des données personnelles, mais aussi la censure immédiate de tout message considéré comme haineux ou incitant à une quelconque révolte ». Encore une attaque contre les libertés individuelles digne de Big Brother ! Il s’agit cette fois du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, adopté à l’unanimité par le Sénat le 5 juillet 2023 puis en commission à l’Assemblée nationale le 21 septembre.

En fait le risque évoqué ici de maîtrise par le gouvernement des données personnelles de chaque individu n’a pas de rapport avec ce projet. Au contraire, la loi Informatique et liberté, en vigueur depuis 1978 a été actualisée en 2018 par de nouvelles dispositions destinées à transposer une directive européenne de 2016 qui vise justement à généraliser cette protection des citoyens contre la diffusion de données personnelles les concernant. Tout l’inverse en réalité des approches en vigueur dans le monde libéral des GAFAM américaines qui cherchent à exploiter au maximum, y compris sur le plan commercial, ces données individuelles…

Voiture et poubelles incendiées lors des émeutes urbaines, ici le 28 juin 2023 dans le quartier du Mirail à Toulouse (photo © Nathalie Saint-Affre / DDM / La Dépêche)

En revanche, il est bien exact que le texte de loi en cours d’adoption et qui découle lui aussi d’une volonté européenne, le Digital Service Acts adopté dès le 25 août 2023, vise à mieux protéger les internautes des dérives des plateformes numériques gérés notamment par les GAFAM. Le principe est d’y interdire la mise en ligne de tout ce qui est considéré comme illicite dans le monde réel, et notamment les appels à la violence. Une réaction directe au constat fait durant les émeutes de juin 2023 lorsque les réseaux sociaux ont bruissé d’appels à piller les magasins, s’attaquer aux commissariats et brûler les voitures. Le projet de loi vise ainsi à responsabiliser davantage les fournisseurs d’accès en ligne pour limiter certaines dérives qui ne concernent d’ailleurs pas uniquement les appels au meurtre ou à la violence mais aussi la pédopornographie, l’incitation des jeunes aux jeux en ligne, les cyberharceleurs et même les locations de meublés de tourisme !

Les réseaux sociaux, outil indispensable à la vie moderne en société ou menace ? (photo © Pinterest / Être parents)

On a d’ailleurs un peu de mal à croire que des militants d’extrême droite puissent se montrer aussi soucieux de préserver les libertés individuelles de ceux qui, via les réseaux sociaux, appellent au pillage et à la chienlit… Pourtant, l’encadré qui figure sur ce tract et qui relaye les critiques contre l’ouvrage de Klaus Schwab, intitulé The Great Reset, ne laisse guère de doute sur la mouvance de ses auteurs.

Rappelons au passage que l’auteur de cet essai paru en juillet 2020, en pleine pandémie de covid, n’est autre que le directeur du Forum économique de Davos, qu’il avait créé en 1971 pour tenter de rapprocher les dirigeants d’entreprises des préoccupations de la société civile mais qui est devenu, au fil du temps, une opération commerciale où le monde économique débat en circuit fermé.

Klaus Schwab, fondateur et directeur du Forum économique mondial de Davos, et coauteur du livre The Great Reset  (photo © Markus Schreiber / AP / SIPA / Marianne)

Dans son ouvrage, Schwab explique que la mise à l’arrêt de l’économie mondiale du fait du confinement peut être l’occasion de remettre à plat les objectifs du capitalisme et de le réorienter vers un mode de fonctionnement plus équitable et davantage tourné vers le développement durable, incitant notamment à instaurer une taxe carbone pour favoriser le financement de la transition écologique. Pas de quoi fouetter un chat donc, et même de quoi séduire plus d’un écologiste.

Mais nos complotistes l’interprètent très différemment et y voient la main d’une conspiration mondialisée qui aurait créé de toutes pièces cette pseudo-pandémie mondiale, histoire de conditionner les esprits pour les amener à accepter docilement des mesures nécessairement privatives des libertés individuelles. Dans leur délire, ils imaginent que les solutions vaccinales apportées à cette crise sanitaire font partie du complot et qu’elles visent ni plus ni moins qu’à injecter à chaque citoyen et à son insu une puce électronique en vue de la prise de contrôle numérique des populations.

Efficacité économique, justice sociale et liberté politique, ou la quête éternelle d’un équilibre délicat… (source © QQ Citations / Le vide poche)

Nous en serions là de ce plan bien organisé et l’étape suivante qui se dessine via ces quelques projets de loi bien anodin, consisterait donc à instaurer ni plus ni moins que la loi martiale et la terreur pour annihiler toute velléité de révolte. Quant à l’objectif suivant de ce complot mondial, il viserait purement et simplement à supprimer l’épargne et la propriété individuelle tout en dématérialisant l’argent : où l’on reconnaît que les complotistes à l’origine de ce gloubi-boulga craignent avant tout une socialisation de la société au détriment de la liberté individuelle de s’enrichir sans devoir rendre de compte à personne. Une idée force de la droite la plus libérale qui a toujours accordé plus d’importance à la liberté individuelle qu’à la justice sociale : c’est même à ça qu’on la reconnaît diraient certains…

L. V.

Nachtigal : EDF investit au Cameroun

1 octobre 2023

Depuis sa création en 1946, fruit de la volonté du Conseil national de la Résistance, de reprendre le contrôle par l’État des 1450 compagnies privées qui se partageait alors, dans un esprit purement mercantile et à courte vue, le marché juteux de la production et de la distribution locale de l’énergie électrique, EDF s’est transformée en société anonyme, même si l’État français en reste le principal actionnaire. Ce qui ne l’a pas empêché de se développer considérablement à l’international. En novembre 2015, un rapport de la Cour des Comptes précisait ainsi que 40 % du chiffre d’affaires de l’entreprise se faisait à l’étranger, pour l’essentiel au Royaume-Uni et en Italie. EDF a ainsi racheté l’Américain Constellation dans l’objectif de construire des EPR aux États-Unis, puis British Energy pour exploiter le parc nucléaire britannique et construire deux nouveaux réacteurs à Hinkley Point. Une opération qui s’est soldée par un endettement inquiétant en 2009, au point de l’obliger à se désengager progressivement de ses investissements les plus hasardeux.

Chantier de construction du réacteur nucléaire d’Hinkley Point (photo © EDF Energy / Framatome)

Le bilan de cette tentative de développement à l’international reste mitigé. L’expérience chinoise avec une participation d’EDF à hauteur de 30 % dans la joint-venture chargée de construire les deux réacteurs nucléaires chinois de Taishan, s’est surtout traduite par un transfert de technologie qui a permis à la Chine de mettre en service dès 2018 le premier EPR opérationnel alors qu’Areva patinait avec celui d’Olkiluoto en Finlande et accusait une dérive lamentable sur celui de Flamanville. Un autre rapport de la Cour des Comptes, publié en 2020 laisse néanmoins planer des doutes quant à la rentabilité financière de l’opération pour EDF, tout en pointant les très gros risques financiers pris par EDF sur le chantier d’Hinkley Point qui affiche lui aussi de fortes dérives de calendrier et de coûts.

Les deux réacteurs EPR chinois de Taishan mis en service en 2018 et 2019 (photo © EDF / Société française d’énergie nucléaire)

Cela n’empêche cependant pas EDF de tenter désormais de s’implanter sur le marché indien pour y participer à la construction des 6 réacteurs de ce qui pourrait devenir la plus grande centrale nucléaire du Monde que l’Inde envisage de construire sur le site de Jaitapur, dans l’État du Maharashtra. Les ambitions d’EDF à l’international restent néanmoins limitées par sa situation financière peu florissante avec un résultat négatif record de 12,7 milliards d’euros en 2022 et une dette qui est passée de 43 milliards fin 2021 à 64,5 milliards un an plus tard, alors même qu’EDF doit faire face à des investissements colossaux pour l’entretien et la remise à niveau de son parc électronucléaire vieillissant en France, qui a montré de lourdes défaillances durant le dernier hiver…

Maquette de la future centrale nucléaire indienne de Jaitapur avec ses 6 réacteurs EPR, pour lesquels EDF a remis son offre en 2021 pour les études d’ingénierie et la fourniture de la technologie EPR (photo © EDF / SFEN)

Saluons donc, dans ce contexte plutôt morose, une des rares réussites d’EDF à l’international avec la mise en service prochaine, prévue en 2024, du barrage hydroélectrique de Nachtigal, au Cameroun, dont la centrale hydroélectrique, de 420 MW (soit davantage que celle de Serre-Ponçon, pourtant la plus puissante de la région PACA), devrait fournir 30 % des besoins en électricité du pays.

Vue depuis l’aval de l’usine hydroélectrique de Nachtigal avec ses conduites forcées alimentée par le canal d’amenée, et le lit naturel de la Sanaga à gauche (photo © NGE / Le Moniteur)

Nachtigal est un petit village de 800 habitants, situé à 65 km au nord-est de Yaoundé, la capitale du Cameroun, au bord du fleuve Sanaga. Son nom, à consonance germanique est celui d’un explorateur allemand, Gustav Nachtigal, parti en 1969 de Tripoli et qui a gagné la ville de Khartoum en 1874, avant d’être nommé en 1884 par Bismarck comme envoyé spécial en Afrique centrale où il négocie les annexions territoriales du Togo et du Cameroun au nez et à la barbe des Britanniques dont l’envoyé, dépêché en hâte du Nigeria, recevra à cette occasion le sobriquet de « Too late consul »…

A l’issue de la défaite militaire des Allemands en 1918, le Cameroun est placé par la Société des Nations sous protectorat français à l’Est et anglais à l’Ouest. Une situation qui se renouvellera en 1946, sous l’égide des Nations-Unies, jusqu’à l’indépendance de la zone française qui intervient dès le 1er janvier 1960. La même année, la partie britannique est scindée : le Nord est rattaché au Nigeria voisin tandis que la partie méridionale, où se trouve le mont Cameroun, un volcan qui culmine à 4100 m d’altitude, se réunifie en 1961 au nouveau Cameroun. C’est un ancien fonctionnaire des PTT, Ahmadou Ahidjo, que la France place à la tête du pays et dont elle aide à assoir le pouvoir via une répression féroce contre les forces indépendantistes de l’Armée nationale de libération du Kamerun.

A gauche, Paul Biya, alors premier ministre depuis 1975, aux côtés de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, premier Président de la République du Cameroun (source © Actu Cameroun)

En 1982, c’est son Premier ministre, Paul Biya, qui le remplace comme Président à la suite de sa démission surprise. Plus de 40 ans après, Paul Biya est toujours à la tête du pays, après avoir remporté pas moins de 7 élections présidentielles, toutes largement entachées d’irrégularités. A 90 ans, il est le dirigeant au monde le plus âgé et le plus ancien en poste, en dehors de quelques monarques au pouvoir symbolique, le Cameroun étant souvent décrit comme une « démocrature », autrement dit une démocratie officielle mais aux allures de dictature officieuse.

Emmanuel Macron en visite officielle à Yaoundé le 26 juillet 2022, aux côtés de l’inamovible Paul Biya (photo © Ludovic Marin / AFP / RFI)

Le règne de Paul Biya avait commencé par une répression impitoyable dans le nord du pays suite à une tentative avortée de coup d’État en 1984. Il se poursuit par une cure d’ajustement structurel à la fin des années 1980 avec privatisations à outrance et coupe drastique des salaires des fonctionnaires amputés de 60 %. Paul Biya brade l’exploitation des richesses minières de son pays aux compagnies canadiennes tandis qu’il achète de l’armement en France pour mater les émeutes de la faim et tentatives séparatistes successives auxquelles il doit faire face. Pays producteur de pétrole depuis 1977, les revenus de cette exploitation sont placés hors budget et alimentent des circuits opaques dans un pays où la corruption est élevée au rang de culture nationale. 75 % de l’économie y est informelle et le taux officiel de chômage a atteint jusqu’à 30 % de la population active en 2003.

Le Cameroun possède des ressources en eau plus que satisfaisantes avec 5 bassins hydrographiques dont celui de la Sanaga et trois grands réservoirs aquifères souterrains, mais 43 % de la population rurale n’a pas accès à l’eau potable et le pays ne compte toujours aucune station de traitement des eaux usées. Dans la capitale politique, Yaoundé, la Camwater, société nationale de distribution d’eau, reconnait de grosses difficultés dans le traitement de la potabilisation de l’eau distribuée qui est de qualité très médiocre, tandis qu’à Douala, l’essentiel des eaux usées se déverse directement dans la rivière et qu’une part importante de la population s’approvisionne directement dans des puits et forage sans aucun dispositif de potabilisation.

Difficultés quotidiennes d’approvisionnement en eau potable dans le quartier d’Ekounou, à Yaoundé, où la Camwater peine à délivrer plus de 2 fois par semaines une eau, souvent impropre à la consommation (source © Actu Cameroun)

Quant à la production électrique, elle est également très insuffisante pour satisfaire les besoins, la consommation par habitant y étant de 3,6 % de celle d’un Français ! En 1974, la Société nationale d’électricité du Cameroun (SONEL) est créée par fusion d’entités préexistantes, dont ENELCAM qui gérait l’usine hydroélectrique d’Edéa, déjà implantée depuis les années 1950 sur la Sanaga. En 1981 est mis en service le barrage hydroélectrique de Song Loulou, toujours sur la Sanaga, avec son usine de 388 MW désormais vieillissante car mal entretenue.

La mise en service de la nouvelle centrale de Nachtigal est donc attendue avec impatience par la population camerounaise, d’autant que le projet, qui date des années 1970 a été maintes fois reporté. Le chantier lui-même a duré 4 ans, EDF intervenant comme assistant au maître d’ouvrage, la Nachtigal Hydro Power Company, dont EDF détient 40 % du capital, avec jusqu’à 4000 personnes présentes sur le chantier, le génie civil étant assuré par l’entreprise française NGE, créée en 2002 par association de Guintoli, EHTP et GTS.

Mise en eau du barrage de Nachtigal en juillet 2023, vue depuis l’amont avec le canal de fuite à gauche et le lit de la Sanaga à droite où ne transite plus que 10 % du débit naturel (photo © NGE / Le Moniteur)

Le barrage lui-même a été construit au fil de l’eau sous forme d’une digue de 1,5 km de long et 14 m de haut en rive droite, constituée de 120 000 m3 de béton compacté au rouleau et surmontée en tête d’une lame mince serpentiforme. En rive gauche, le barrage de fermeture mesure 500 m de long, l’ensemble délimitant une retenue de 28 millions de m3. Entre les deux, l’ouvrage hydraulique est constitué de 2 évacuateurs de crue qui ne laissent passer, en dehors des périodes de crue, que 10 % du débit de la Sanaga, le reste s’engouffrant via 3 pertuis dans le canal d’amenée de 3,3 km de long qui alimente lui-même la centrale hydroélectrique située en aval. Sept conduites forcées en acier de 6 m de diamètre y sont installées, avec une hauteur de chute de 50 m, permettant d’alimenter les turbines qui produiront l’électricité tant attendue par les Camerounais !

L. V.