Posts Tagged ‘Démocratie’

CETA : c’est à n’y rien comprendre…

25 mars 2024

A trois mois des prochaines élections au Parlement européen, le rejet par le Sénat du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, constitue un véritable camouflet pour le gouvernement. Il faut dire que ces accords commerciaux, négociés en catimini par la Commission européenne, ont tendance à focaliser les critiques de tous les acteurs démocratiques ! Le sort du TAFTA, ce fameux traité de libre-échange transatlantique, pour lequel les négociations ont repris en 2019 après avoir été gelées fin 2016 suite à l’élection de Donald Trump, illustre à quel point ce type d’accord peut susciter un rejet viscéral. D’ailleurs, la France continue à s’opposer officiellement au projet pour lequel les discussions se poursuivent néanmoins, mais en excluant désormais les marchés publics et surtout l’agriculture qui focalise le plus d’inquiétudes.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur, potentiel accélérateur de la déforestation en Amazonie ? Un dessin signé Plantu, datant de juillet 2019

Le gouvernement français est également officiellement opposé à l’accord de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Mercosur, ce marché commun qui regroupe la plupart des pays d’Amérique du Sud. Lancées en 2000 et interrompues en 2004, les négociations avaient repris en 2014 et abouti à un accord en 2019, mais le Parlement européen avait rejeté le projet en octobre 2020, suite au désaccord exprimé ouvertement par la France et du fait des réticences de l’Allemagne, toutes les deux inquiètes des impacts environnementaux d’un tel accord.

Un dessin signé Marc R., publié en 2017 sur son site Marker

Avec le Canada, l’accord économique et commercial global, CETA selon son acronyme anglais (Comprehensive Economic and Trade Agrement), a été négocié à partir de 2009 et conclu dès 2014. Il a suscité alors tant de débats qu’il a fallu attendre 2 ans avant que la Commission européenne ne finisse par l’adopter en juillet 2016 avant de demander aux 27 pays membres (qui étaient alors encore 28, avant le Brexit) de le ratifier. Les pays membres l’ont signé le 30 octobre 2016, après un premier cafouillage car la Wallonie avait formellement refusé de donner son accord pour que l’État fédéral de Belgique puisse signer le document ! Le Parlement européen s’était à son tour prononcé en faveur de ce texte le 15 janvier 2017, mais en excluant le volet lié au dispositif chargé de régler les différents entre États et investisseurs, qui ne relève pas de la compétence de l’UE mais des États.

Ces mécanismes d’arbitrage par lesquels les multinationales arrivent à attaquer les législations en vigueur dans certains pays et jugées défavorables à leurs intérêts propres constituent de fait un des points de cristallisation des critiques majeures contre ces traités de libre-échange. Les exemples sont en effet désormais nombreux de multinationales, principalement américaines, qui arrivent ainsi à remettre en cause des dispositions législatives pourtant démocratiquement décidées, en matière de protection de l’environnement, de la santé ou des droits des travailleurs…

Des agriculteurs bloquent l’autoroute près de Mulhouse le 8 octobre 2019 et protestent notamment contre les traités CETA et Mercosur (photo © Sébastien Bozon / AFP / Le Monde)

Depuis 2017, l’accord CETA est considéré comme signé et il a été ratifié par 17 des États membres de l’UE, ainsi que par l’ensemble des parlements fédéraux et régionaux du Canada, lesquels se sont empressés de le faire dès 2017. La Grande-Bretagne elle-même, toujours friande de plus de libéralisme économique, l’avait ratifié avant de claquer la porte de l’Union Européenne ! De fait, le traité est désormais officiellement en vigueur depuis le 21 septembre 2017, à la seule exception des clauses, finalement assez marginales, qui concernent les investissements et le règlement des différends entre des entreprises européennes et canadiennes (tribunaux d’arbitrage) qui relèvent d’une compétence partagée entre l’UE et ses États membres. 

En revanche, si un seul des pays membres refuse de ratifier le texte et le notifie à l’UE, c’est l’ensemble du dispositif qui s’écroule puisque le texte est présenté comme un accord global. C’est déjà le cas puisque le parlement chypriote a rejeté l’accord le 1er août 2020, mais Chypre n’a pas notifié officiellement cette décision à l’UE et chacun fait donc comme si de rien n’était…

Le 23 juillet 2019, les députés français avaient voté en faveur de la ratification du CETA, malgré les exhortations de l’activiste suédoise, Greta Thunberg, venue leur parler le matin même… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

En France, où les oppositions contre cet accord de libre-échange sont nombreuses, Emmanuel Macron a tenté de faire passer le vote en catimini, en pleine trêve estivale, le 23 juillet 2019. A l’époque, il disposait pourtant d’une large majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, mais le texte avait suscité une véritable fronde de la part de certains des députés de son propre camp et n’avait alors été adopté qu’à une assez faible majorité de 266 députés alors que 213 d’entre eux se prononçaient contre. Le projet aurait dû être présenté au Sénat dans la foulée mais depuis, le gouvernement procrastine, craignant un rejet qui mettrait à mal tout l’édifice, et attendant que d’autres pays se prononcent à leur tour, dont l’Italie, où l’opinion n’est pas non plus très favorable.

Résultat du vote au Sénat le 21 mars 2024 aboutissant au rejet de la ratification du CETA : le centre mou était manifestement aux abonnés absents… (source © Sénat / La France agricole)

Mais cette course de lenteur a fini par prendre fin à l’initiative du groupe communiste au Sénat qui a profité de sa niche parlementaire pour remettre le dossier sur la table et obliger les sénateurs à sortir de leur ambiguïté. Et le résultat a confirmé que les craintes du gouvernement étaient bien fondées puisque le 21 mars 2024, le Sénat a très largement rejeté toute idée de ratification de cet accord par 211 voix contre 44. Une véritable claque pour le gouvernement ! Certes, c’est l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot mais on voit mal comment une majorité pourrait s’y dessiner désormais en faveur de la ratification de ce texte dès lors qu’il sera soumis à l’ordre du jour…

Il faut dire que cette affaire était bien mal emmanchée dès le début. Avant même l’entrée en vigueur de cet accord, le Canada était déjà un partenaire commercial de premier plan pour les pays européens, au 11e rang des exportations européennes et en 16e position pour nos importations, tandis que l’Europe constituait le 2e partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis. La Commission européenne imaginait que le CETA allait faire progresser de 25 % les échanges commerciaux avec le Canada. Elle brandit d’ailleurs des chiffres tendant à montrer que ces échanges ont bondi de 37 % depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2017. Sauf que cette augmentation s’explique en presque totalité par l’inflation des prix ! En volume, l’augmentation ne représente que 9 % et elle bénéficie surtout au Canada, les exportations européennes ayant, quant à elles, plutôt diminué depuis !

Évolution des échanges avec le Canada en volume (source © Eurostat / Le Monde)

Objectivement, les éleveurs européens ont plutôt profité jusqu’à présent de cet accord puisque les exportations européennes vers le Canada de viande bovine et surtout de fromages ont fortement augmenté depuis. Mais leur crainte est que les éleveurs canadiens ne profitent de ce cadre favorable pour investir en masse le marché européen avec leur bœuf aux hormones produit selon des normes environnementales et sanitaires nettement moins contraignantes qu’en Europe.

C’est là tout l’enjeu de ces accords de libre-échange qui profitent surtout aux grosses multinationales implantées dans des pays où les normes sanitaires et environnementales sont les plus laxistes, et qui ont donc pour effet une moindre protection des consommateurs, une concurrence accrue au détriment des petits producteurs locaux et une augmentation des flux internationaux de marchandises, ce qui va à l’encontre des efforts entrepris pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre et notre impact sur la biodiversité. C’est bien pour cette raison que la Convention citoyenne pour le climat s’était exprimé contre cet accord en juin 2020. Emmanuel Macron ne l’a pas entendu alors que même les sénateurs, pourtant réputés comme peu progressistes, ont fini par le comprendre…

L. V.

Vers des pôles et réseaux innovants plus en phase avec les Français ? (3ème partie)

20 mars 2024

Cette chronique a été publiée le 10 mars 2024 par GoMet, un média numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment en matière d’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Rédigée par Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, et président de 2010 à 2018 du fond régional d’investissement Paca Investissement, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, cette chronique est le troisième et dernier chapitre d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des structures créées localement pour favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité…

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

Depuis 2022, par exemple, les nuages s’amoncellent au-dessus de la Silicon Valley. Les licenciements s’enchaînent : 12 000 chez Alphabet (Google), 11 000 chez Meta (Facebook, Instagram), 10 000 pour Microsoft, 18 000 pour Amazon, 8 000 chez Salesforce, 4 000 chez Cisco, 3 700 chez X-Twitter… En mars 2023, la faillite retentissante de la Silicon Valley Bank, un établissement bancaire qui finançait les start-up’s, inquiète les milieux américains de l’innovation.

La Silicon Valley est aujourd’hui un peu prise à son propre piège. Attirant par son modèle ouvert l’intelligence mondiale jusqu’en 2020, elle a favorisé l’émergence d’un monde hyperconnecté qui rend moins essentiel la proximité physique de l’échange créatif. Les nouveaux “hubs” se développent à grande vitesse à Bangalore, São Paulo, Tel-Aviv, … « Ensemble, ils redessinent la carte de l’innovation mondiale, en créant une carte plus dispersée, diversifiée et compétitive », soulignait récemment The Economist.

Au pied de la tour Saleforces à San Francisco, cœur de la Silicon Valley américaine ((photo © JFE / GoMet)

Le défi des technopôles français est donc double. D’une part résister à ce chamboulement mondial dans lequel l’Europe peine à trouver sa place et qui draine une part croissante d’investissements du capital-risque vers des pays en développement. D’autre part, être capables de générer beaucoup plus d’emplois et de richesses à partir des compétences acquises et des échanges mutualisés.

La fuite en avant de l’État

Cette tâche sera d’autant moins facile que le ministre Bruno Le Maire a annoncé à plusieurs reprises son souhait de voir l’État se désengager à terme du soutien aux pôles de compétitivité et que le plan France 2030 prévoit un rétrécissement de son action puisque la moitié des aides seraient ciblées sur les seuls acteurs émergents, c’est-à-dire des entreprises jeunes et innovantes. Dans un certain sens, c’est une forme de fuite en avant que le ministre résume par la formule « Détecter et accompagner les champions de demain ».

A la fois, c’est un changement par rapport à la politique menée depuis 20 ans qui visait à structurer et favoriser les échanges de compétences existants pour créer de nouvelles activités. Mais il n’est pas sûr également que cela permettra d’être plus efficace dans la création d’emplois productifs induits par l’innovation. On rappellera, avec un peu d’acidité, qu’en France, 14 % des emplois relèvent du secteur industriel contre 24 % en Allemagne et que cela se traduit par un gros écart sur les balances commerciale

Bruno Le Maire (à gauche) aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence (source © archives / GoMet)

L’instantanéité planétaire induite par le développement des communications bouleverse la notion de localisation des activités. Un chirurgien peut opérer à distance. Le télétravail (qui va bien au-delà du travail à domicile) réduit l’échange social et favorise la compétition plus que la solidarité au travail. Les flux tendus sont optimisés

L’accès permanent à une information sans limite couplée à l’intelligence artificielle contraint l’invention et la recherche plus qu’elle ne les favorise. Car les moteurs même de la créativité que sont l’échange contradictoire, le hasard, l’analogie ou le simple recul, échappent à ces logiques d’accumulation ou de croisement massifs supposés universels.

L’instantanéité planétaire bouleverse la notion de localisation des activités

Il y a sans doute place à des processus d’innovation plus proches des besoins humains, des habitudes, des contraintes géographiques et des ressources naturelles. Le changement climatique n’est pas perçu de la même manière à Paris, aux Maldives, en Islande ou sur une île grecque.

La bibliothèque Oodi d’Helsinki en Islande (photo © JFE / GoMet)

L’innovation va devoir s’adapter. Si, depuis 150 ans, les inventions ont profondément changé le mode de vie des habitants de la planète, l’innovation a parfois été vécue comme subie. Nous sommes entrés dans une autre ère, celle où nous souhaitons préserver notre mode de vie face aux changements climatiques et sommes en attente d’innovations de rupture en ce sens. Rien n’est gagné. Selon une étude de l’Académie des technologies, 56 % des Français se disent inquiets vis-à-vis des nouvelles technologies, en hausse de 18 points par rapport à 2018. En tête des craintes, l’alimentation, l’environnement, l’intelligence artificielle. Or l’essor des pôles de compétitivité est fortement dépendant des politiques publiques qui elles-mêmes sont de plus en plus contraintes par l’opinion publique.

L’opinion publique arbitre…

Ces suspicions à l’égard de l’innovation vont aussi de pair avec la montée de l’obscurantisme. Une étude de l’IFOP, fin 2022, montre un effritement de l’opinion sur les bénéfices du progrès scientifique et technologique. Cette situation renforce les exigences en matière d’éducation, de communication et d’éthique de l’innovation. Le débat public n’est possible que si les citoyens sont informés, sensibilisés, éclairés. Il n’y aura pas d’innovation positive si elle est refusée par la société. Il n’y aura pas non plus d’innovation positive si sa mise en œuvre amplifie les inégalités sociales.

Étudiants sur le campus Saint-Charles d’Aix Marseille Université (photo © JYD / Gomet)

Les pôles de compétitivité (ou les structures qui leur succèderont) doivent donc être beaucoup plus proches de la population, capables de l’impliquer, de l’écouter, de susciter des vocations et des rêves et mener des actions en ce sens.  Il convient sans aucun doute de développer réellement l’information scientifique et technologique, de créer des organismes d’évaluation locaux, indépendants et transparents, ouverts aux citoyens, notamment aux jeunes. C’est à ce prix seulement qu’il est possible de transformer l’innovation en réel développement économique, c’est-à-dire en emplois industriels et de service, allant de pair avec une amélioration ambitieuse du bien être individuel et social.

Bref, l’heure est à l’ouverture des pôles…

J. Bx.

Des élus hors-la-loi et qui le revendiquent

24 février 2024

La fonction de maire d’une commune confère à celui qui l’occupe des pouvoirs de police très étendus et, par conséquent, de lourdes responsabilités. En tant qu’officier de police judiciaire, il se doit notamment de dénoncer au Procureur de la République tout délit dont il aurait connaissance et se doit, comme premier magistrat de sa ville, de veiller scrupuleusement au respect de la loi par tous, et d’abord par lui-même.

C’est pourquoi la démarche que viennent de faire une quarantaine de maires à l’initiative de Martine Vassal, présidente du Département des Bouches-du-Rhône et de la Métropole Aix-Marseille-Provence, ne manque pas de surprendre. Alors que le nouveau ministre du logement, l’ultra libéral Guillaume Kasbarian venait tout juste d’être nommé à son poste et n’avait sans doute pas encore eu le temps de mettre son nom sur la porte de son nouveau bureau, une lettre ouverte signée par 113 élus, pour la plupart originaires de la région PACA, dont une quarantaine de maires de l’aire métropolitaine marseillaise, lui était déjà adressée, comme Marsactu l’a signalé dès le 21 février 2024.

Guillaume Kasbarian, nouveau ministre du logement, ici le 27 mars 2023 à Matignon (photo © Ludovic Marin / AFP / Le Monde)

Publiée notamment dans le JDD, cette tribune est un véritable pousse-au-crime qui dénonce ouvertement une loi pourtant adoptée il y a maintenant près de 24 ans, le 13 décembre 2000, sous le nom de loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, à l’époque où Lionel Jospin était Premier ministre. L’article 55 de cette loi que remettent en cause ces élus impose un taux minimum 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants en agglomération de plus de 50 000 habitants. Une proportion minimale qui a même été augmentée à 25 % à l’occasion de la loi Dufflot adoptée en janvier 2013.

La construction de logements sociaux, déjà un casse-tête pour Cécile Duflot, ministre du logement en 2014 : un dessin signé Rodho pour la Lettre hebdomadaire HCL inventaires

Cette disposition législative qui s’impose aux élus locaux et qui est l’aboutissement d’un vaste débat national lancé dès 1999, relève pourtant du bon sens quand on constate que 68 % des Français sont éligibles au parc social mais qu’ils ont de plus en plus de mal à y accéder, faute d’avoir construit suffisamment de nouveaux logements sociaux. Les taux de rotation dans le parc social sont de plus en plus faibles et les listes d’attente s’allongent. A Marseille, ce sont ainsi 48 000 familles qui sont en attente d’un logement social, parfois depuis plus de 10 ans, et qui, en attendant, s’entassent dans des logements souvent inadaptés, parfois vétustes voire insalubres, et se retrouvent bien souvent à la merci de marchands de sommeil peu scrupuleux…

Faire en sorte que les communes proches des grandes agglomérations, là où la demande est la plus forte, disposent d’un parc social plus développé pour répondre aux besoins de la population, est donc une mesure de bon sens qui relève d’une politique publique cohérente. En Île-de-France, de nombreuses communes présentent plus de 50 voire 60 % de logements sociaux. Même dans des secteurs plus ruraux, on trouve des communes dont près de 50 % des résidences sont des logements sociaux, comme par exemple à Lucé (15 000 habitants) dans l’Eure ou Mourenx (6 000 habitants) dans les Pyrénées-Atlantiques. Des villes comme Soissons, Charleville-Mézières ou Oyonnax possèdent plus de 40 % de logements sociaux et ne sont pas spécialement connues pour être confrontés à des situations sociales explosives. Une ville comme Reims, qui compte plus de 180 000 habitants présente un taux de logements sociaux supérieur à 38 %.

Logement social en forme de maisons individuelles avec patio dans le quartier de la Maille à Miramas (source © Huit et demi)

Dans les Bouches-du-Rhône, quelques communes comme Berre-l’Étang, Port-de-Bouc ou Miramas possèdent plus de 30 % de logements sociaux, mais la région PACA demeure globalement celle de France où le taux de logements sociaux est le plus faible : 14,2 % en moyenne contre un peu plus de 17 % à l’échelle nationale. A Marseille, cette proportion dépasse 21 % mais le parc est mal réparti, concentré surtout dans les grands ensembles des quartiers nord alors qu’il est quasi inexistant dans le centre ancien et les quartiers sud. En 2023, 95 communes de la région PACA ont été considérées comme carencées pour n’avoir pas atteint leurs objectifs de rattrapage, parmi lesquelles pas moins de 40 communes des Bouches-du-Rhône : un record ! Des villes comme Nice et Toulon se sont aussi fait rattrapées par la patrouille et sont désormais pointées du doigt pour leurs efforts insuffisants.

Le port de Carry-le-Rouet, où il est plus facile de trouver une location de tourisme qu’un logement social (source © Locacarry)

Dans l’aire métropolitaine, certaines communes se distinguent tout particulièrement à l’instar de Carry-le-Rouet et ses 46 logements sociaux pour 6 000 habitants ! Mais d’autres ne font guère mieux comme Peypin où le taux de logements sociaux est de 3,5 % tandis qu’il atteint péniblement 4,5 % à Mimet, 5 % à Gémenos et 6 % à Allauch. Une démarche parfaitement assumée et même revendiquée par ces maires qui s’assoient ouvertement sur la loi SRU, préférant payer, année après année, des compensations financières, d’ailleurs bien modestes, plutôt que de faire le moindre effort pour construire des logements sociaux, afin de ne pas heurter la sensibilité de leur riche électorat qui préfère l’entre-soi dans de belles villas individuelles avec piscines.

Georges Cristiani, maire de Mimet et président de l’Union des maires des Bouches-du-Rhône (source © France Bleu Provence / Daily motion)

Et comme par hasard, ce sont justement les élus de ces communes multi-carencées qui sont les premiers signataires de cette tribune adressée au nouveau ministre du logement pour lui demander d’abandonner une fois pour toutes cette obligation légale de prévoir un minimum de logements sociaux ! Outre Martine Vassal ou encore Renaud Muselier, pourtant pas directement concernés par cette mesure, on trouve ainsi, parmi les signataires de cette lettre ouverte, le maire de Nice (Christian Estrosi), la maire d’Aix-en-Provence (Sophie Joissains) mais aussi ceux d’Arles (Patrick de Carolis), de Salon-de-Provence (Nicolas Isnard), d’Aubagne (Gérard Gazay), de La Ciotat (Alexandre Doriol), de Cassis (Danielle Milon) et bien sûr ceux de Mimet (Georges Cristiani) et d’Allauch (Lionel de Cala). On y trouve même, ce qui est plus surprenant, Nora Preciozi, la présidente de 13 Habitat, le principal office HLM du département, ce qui interroge pour le moins sur la cohérence de la démarche…

Et voilà que l’adoption du Programme local de l’habitat en conseil métropolitain, jeudi 22 février 2024, a donné lieu, de la part de ces mêmes élus locaux très décomplexés, menés par le maire de Mimet, Georges Cristiani, à une véritable attaque en règle contre la loi SRU, comme l’a notamment rapporté le Figaro. Martine Vassal a ainsi fait adopter, malgré les protestations de la gauche marseillaise, une délibération qui demande purement et simplement l’annulation de cette loi jugée trop contraignante et difficilement applicable !

Martine Vassal avec son DGS à la tribune lors du Conseil métropolitain du 22 février 2024 (source © MAMP / Bati Actu)

Une démarche dont elle est coutumière, elle qui n’avait pas hésité à menacer de ne plus prendre en charge l’accompagnement social des mineurs isolés, une obligation légale pourtant qui incombe au Département qu’elle préside, avant de refuser carrément de mettre en œuvre la régulation de la circulation dans les zones à faibles émissions, là aussi prévue par la loi. Certains de nos élus locaux, qui se réclament pourtant ouvertement de la majorité présidentielle, n’hésitent plus désormais, pour des raisons de clientélisme électoral, à s’assoir ainsi ouvertement sur la loi républicaine, quitte à s’offusquer ensuite du manque de civisme de la part de certains de leurs concitoyens, et à réclamer à cor et à cris un « réarmement civique » : un peu de cohérence et de respect des règles communes d’intérêt général ne serait peut-être pas superfétatoire !

L. V.

Donald Trump de nouveau à la Maison Blanche ?

17 février 2024

Aux États-Unis, les prochaines élections présidentielles, les soixantièmes depuis que le pays existe, ne sont prévues que dans près de 9 mois, le 5 novembre 2024 et d’ici-là tout peut arriver. Pourtant, on croit déjà savoir, avec un degré élevé de certitude, qui seront les deux prétendants à cette fonction qui n’a rien d’anodin, les USA restant à ce jour la première puissance militaire et économique mondiale, même si la Chine commence à la talonner mais avec un PIB par habitant qui reste trois à quatre fois plus faible que celui des Américains.

Côté Républicains, la qualification de Donald Trump, qui a annoncé sa candidature pour un second mandat dès novembre 2022, ne fait plus guère de doute même si les primaires sont loin d’être terminées. Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, qui semblait avoir le plus de chance de le contrer, a jeté l’éponge dès le 21 janvier et les candidats encore en lice face à Donald Trump ne font manifestement plus le poids. Seule une décision de la Justice pourrait encore l’arrêter sachant que les condamnations successives qui l’ont frappé récemment ne font s’accroître encore sa popularité auprès d’un électorat populaire et antisystème qui le plébiscite.

2024 : un duel au sommet entre un Trump imprévisible et un Biden incohérent ? Un dessin signé Oli

Le 19 décembre 2023, la Cour Suprême du Colorado, suivi depuis par celle du Maine, avait décidé qu’il ne pouvait concourir à la primaire dans cet État, une inéligibilité qui découle de son rôle actif de soutien aux milliers de sympathisants qui avaient pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, deux mois après les élections présidentielles qui avaient mis fin à son mandat en consacrant la victoire de son adversaire Démocrate, Joe Biden.

Une victoire que Donald Trump avait eu bien du mal à reconnaître, faisant même vaciller la démocratie américaine lors de cette folle journée qui avait vu ses partisans se déchaîner contre les symboles du pouvoir fédéral. C’est la Cour Suprême des États-Unis qui devra trancher ce sujet sensible mais on voit mal comment elle pourrait empêcher le très populaire Donald Trump de concourir pour un nouveau mandat alors que tous les sondages le donnent actuellement en tête face à un président sortant vieillissant et affaibli.

Kamala Harris et Joe Biden à la Maison Blanche (source © Monmouth University)

Lors des précédentes élections, en 2020, le Démocrate Joe Biden s’était beaucoup appuyé sur sa colistière, Kamala Harris, devenue Vice-Présidente des États-Unis et on aurait pu penser que cette dernière reprenne le flambeau à l’occasion de l’échéance de 2024 pour laquelle Joe Biden aura atteint l’âge plus que respectable de 82 ans. Mais Kamala Harris n’a manifestement pas réussi à s’imposer et soutient donc de nouveau la candidature de Joe Biden qui n’a pas de vrai adversaire dans le camp démocrate, même si Robert Kennedy Junior s’est lancé dans la course, sans grandes chances de succès.

Pour autant, beaucoup s’interrogent sur les réelles capacités du président sortant à assumer pleinement la fonction pendant encore quatre longues années, lui dont les bourdes et les absences défrayent la chronique. Déjà lors de la campagne de 2020, son air souvent éteint et ses multiples incohérences avaient fait l’objet de nombreuses spéculations sur son état de santé, alors qu’il avait déjà subi deux attaques cérébrales, une embolie pulmonaire et une thrombose veineuse profonde. Donald Trump, pourtant aujourd’hui âgé de 77 ans, s’était moqué à moult reprises du manque de dynamisme de son adversaire qu’il surnomme cruellement « Sleepy Joe ».

Joe Biden, ici en juillet 2022, prononçant un discours sur le droit à l’avortement (photo © SIPA / Shutterstock / Est Républicain)

Le fait est que la situation ne s’est pas arrangée depuis, Joe Biden multipliant les faux pas et les pertes de mémoire en public. On l’a vu trébucher à de nombreuses reprises, s’étalant lamentablement en montant la passerelle de l’avion présidentiel Air Force One et racontant des inepties, évoquant par exemple ses entretiens, au début de son mandat, avec le président de l’Allemagne, un certain Mitterrand… De quoi laisser ses interlocuteurs abasourdis, comme lors de cette conférence de presse en septembre 2023, à l’occasion d’un voyage officiel au Vietnam, au cours de laquelle il a tenu des propos totalement décousus, évoquant un film de John Wayne et des histoires d’indiens Apache alors qu’on le questionnait sur le réchauffement climatique, avant d’annoncer qu’il allait se coucher, obligeant son attaché de presse à interrompre la séance en catastrophe…

Blanchi dans l’affaire de la mauvaise gestion de documents classifiés par un rapport plutôt bienveillant du procureur spécial qui évoque comme excuses sa « mauvaise mémoire », Joe Biden a réagi vertement en convoquant illico une conférence de presse en pleine nuit, ce jeudi 8 février 2024, mais sans se montrer très convaincant avec sa démarché hésitante, son air éteint et accumulant encore les gaffes en évoquant le nom du maréchal al-Sissi pour parler du Président mexicain !

Un dessin signé Patrick Chappatte, publié le 10 février 2024 dans Le Temps de Genève

Du pain béni pour son futur adversaire Donald Trump dont on connait certes les multiples incohérences et approximations, mais dont personne ne semble s’offusquer. Le bilan économique de Joe Biden est pourtant plutôt favorable et le plan de relance qu’il a impulsé après la pandémie de Covid a permis à l’économie américaine de repartir avec un taux de croissance de 2 % dès 2022 et un taux de chômage très faible à 4 %, mais au mépris d’un retour de l’inflation et d’une augmentation des inégalités sociales. De fait, les sondages montrent qu’une large majorité des Américains font davantage confiance à Donald Trump pour redresser l’économie du pays. Sur le plan international, le retrait piteux par Joe Biden des troupes américaines d’Afghanistan a marqué défavorablement les esprits même si l’isolationnisme semble faire un large consensus chez les Américains. De fait, le soutien apporté par les USA aux alliés ukrainiens suite à l’invasion russe s’essouffle et Joe Biden a désormais bien du mal à masquer que ce n’est plus une priorité américaine.

Donald Trump en campagne pour les Primaires dans l’Iowa (source © AFP / Ouest-France)

Si Donald Trump devait remporter les prochaines présidentielles américaines, cet isolationnisme américain risque de se renforcer encore davantage. Lors de son premier mandat, il avait été fortement freiné dans ses élans par les scrupules et l’inertie de la haute administration et du commandement militaire américain. Mais il a retenu la leçon et saura en cas de réélection faire rapidement le ménage.

C’est d’ailleurs sans doute ainsi qu’il faut comprendre sa récente répartie à un journaliste lui demandant : « Promettez-vous à l’Amérique ce soir, que vous n’abuserez jamais de votre pouvoir pour vous venger de qui que ce soit ? », ce à quoi Donald Trump a répondu tout à trac : « Sauf le premier jour… Je veux fermer la frontière et je veux forer, forer, forer ». On ne serait être plus clair et au moins les Américains savent à quoi s’attendre, et les Européens aussi car ce sont manifestement ce que veulent entendre la majorité de nos alliés outre Atlantique…

L. V.

Élections européennes en vue…

13 février 2024

2024, année électorale ! C’est même du jamais vu depuis l’instauration du suffrage universel (pour les hommes uniquement !) par la Convention nationale en 1792 et son application effective surtout à partie de 1848 : en 2024, plus de la moitié de la population planétaire est appelée aux urnes ! Selon Le Monde, des scrutins de nature diverse, élections municipales, régionales, législatives ou présidentielles, sont prévus cette année dans pas moins de 68 pays dont 8 des 10 États les plus peuplés du monde…

Européennes : des élections en vue (source © Europe direct Strasbourg)

En Europe, et pour la dixième fois depuis les premières élections au Parlement européen le 10 juin 1979, les ressortissants des 27 pays membres de l’Union européenne seront appelés à élire leurs députés européens. En France, le vote se tiendra le 9 juin 2024 et cette année, le nombre de représentants français à Strasbourg sera porté à 81, soit deux de plus que lors du dernier scrutin de 2019, Brexit oblige.

En 2019, plus de 400 millions d’électeurs étaient inscrits sur les listes pour ces élections européennes et un peu plus de la moitié d’entre eux s’étaient déplacés pour élire leurs 751 représentants au Parlement européen, retombés à 705 après le départ de la Grande Bretagne. Sans surprise, le groupe dominant issu de ces élections est le PPE (Parti populaire européen) qui détient désormais 177 sièges et qui regroupe les partis de la droite traditionnelle dont LR en France ou la CDU en Allemagne. il est suivi par les sociaux-démocrates auxquels se rallie notamment le PS français.

Répartition actuelle des parlementaires européens par groupe (source © Parlement européen / Toute l’Europe)

Puis vient le groupe désormais dénommé Renew Europe où l’on retrouve sans surprise les 23 élus macronistes alors En marche, devenus Renaissance. Les écologistes et les régionalistes, forment le quatrième groupe avec, notamment 12 représentants français, suivi de près par le groupe des conservateurs et réformistes européens où les Polonais dominent. Vient ensuite le groupe Identité et démocratie où se retrouvent les 18 élus français du Rassemblement national avec leurs homologues issus notamment de la Ligue italienne et de l’AFD allemande. Le groupe le plus restreint, en dehors des 50 députés non-inscrits, est celui de La Gauche, où figurent notamment les 6 députés LFI.

A quatre mois du prochain scrutin, les sondages sont déjà nombreux qui permettent de se faire une petite idée des intentions de vote, même si des surprises sont toujours possibles. En France, les tendances qui se dessinent depuis plusieurs mois déjà montrent que la liste du RN, menée par Jordan Bardella, actuel président du parti et eurodéputé sortant, a le vent en poupe avec des intentions de vote évaluées actuellement autour de 30 % et plutôt en hausse. Derrière, le parti macroniste, qui n’a toujours pas désigné officiellement sa tête de liste, est à la peine, autour de 20 % des intentions de vote et avec une tendance marquée à la baisse. Viennent ensuite les trois listes concurrentes de gauche, désunies comme à leur habitude, et toutes les trois créditées de 8 à 10 % chacune, avec a priori un léger avantage pour celle des socialistes, probablement menée par Raphaël Glucksmann comme en 2019, suivi de celle des écologistes, dirigée par Marie Toussaint, et par celle de LFI, conduite par Manon Aubry, en léger décrochage.

Séance plénière au Parlement européen à Strasbourg (source © blog droit européen)

On ignore encore à ce stade le nombre de listes qui seront présentes, sans doute au moins 20 ou 30 comme en 2019, mais parmi celles qui semblent avoir une chance de dépasser le seuil fatidique de 5 % pour avoir un élu, figurent a priori uniquement les listes LR (conduite par François-Xavier Bellamy), Reconquête (Marion Maréchal-Le Pen) et PCF (Léon Deffontaines).

Reste que l’on peut s’interroger sur les raisons de ce score fleuve que les Français s’apprêtent à donner au RN pour les représenter au Parlement européen. Le groupe Identité et démocratie de l’extrême droite, actuellement composée de 58 députés pourrait en effet gagner une quarantaine de membres supplémentaires au vu des projections actuelles de la poussée du RN en France et de l’AFD en Allemagne. Une situation qui traduit une exaspération croissante contre le libéralisme européen et son ouverture des frontières puisque tels sont les principaux thèmes mis en avant par ces partis.

L’eurodéputé RN, Jordan Bardella, en session plénière au Parlement européen, à Strasbourg le 18 octobre 2023 (photo © Sathiri Kelp / Anadolu / France TV info)

Dans son programme européen, le RN fustige en effet l’ouverture excessive et le laxisme dont ferait preuve l’Europe, notamment en matière d’immigration, insistant sur la nécessité de renforcer les aides au développement dans les pays du Sud pour limiter les flux migratoires, tout en mettant en œuvre une politique de contrôle plus strict aux frontières. Sur le plan économique, le RN propose d’abroger la directive sur les travailleurs détachés et de renforcer les tarifications douanières pour favoriser les circuits courts et la préférence nationale. Des orientations qui se heurtent de plein fouet aux choix suivi par l’Union européenne depuis sa création, chantre d’un libéralisme se traduisant par la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, et adepte d’une « concurrence libre et non faussée ».

Face à ce rouleau compresseur des idées simples du RN qui trouvent manifestement un écho dans l’opinion publique, la gauche aura sans doute fort à faire pour convaincre qu’on peut encore croire en une Europe des peuples, ouverte et solidaire, tout en tournant le dos aux excès du libéralisme qui semble consubstantielle à son évolution. C’est ce à quoi s’attachent les leaders de listes de gauche tout en pointant les incohérences entre le discours lénifiant du RN actuel et ses actes au Parlement européen où les députés, à l’instar de Jordan Bardella, sont très peu présents et ne participent guère au travail en commission.

Alors qu’à l’Assemblée nationale Marine Le Pen veille à donner une image de respectabilité et de responsabilité, ses élus au Parlement européen sont plutôt dans l’opposition systématique et de principe. Comme le soulève notamment Pascal Canfin, le bilan du RN à Strasbourg « c’est d’avoir voté contre le plan de relance qui a sauvé des centaines de milliers d’emplois, d’entreprises et d’artisans en France et partout en Europe. Le Rassemblement national a voté contre le soutien financier à l’Ukraine. Il n’a pas voté la taxe carbone aux frontières qui permet de faire payer les importations chinoises pour nous protéger de nos concurrents ».

Pascal Canfin, eurodéputé Renew (photo © SIPA Press / L’Opinion)

Ce à quoi Raphaël Glucksmann renchérit en mettant en avant la posture récente du RN qui propose que le Parlement européen décerne cette année le prix Sakharov destinés aux défenseurs des droits de l’homme au milliardaire Elon Musk pour avoir repris en main l’ex Twitter en permettant à Donald Trump de s’y exprimer de nouveau : un véritable pas en avant pour la liberté d’expression et la démocratie directe ! Espérons que la campagne qui s’ouvre en vue de ces prochaines échéances permettra un vrai débat de fond pour un vote éclairé de nos concitoyens le 9 juin prochain…

L. V.

Des législatives mouvementées au Pakistan

11 février 2024

On votait au Pakistan ce jeudi 8 février 2024, pour élire les 336 membres de l’Assemblée nationale de cette république islamique, coincée entre l’Inde, la Chine, l’Iran et l’Afghanistan. Créé en 1947 d’une partition de l’Inde, suivie d’émeutes sanglantes qui ont fait plusieurs centaines de milliers de morts, avant d’être amputé en 1971 de sa partie occidentale devenue le Bengladesh, le Pakistan fait partie de ces pays à la vie politique mouvementée. Les épisodes démocratiques qu’il a connus ont été marqués par une forte instabilité politique avec, par exemple, 7 Premiers ministres qui se succèdent entre 1947 et 1958, et ont été entrecoupés par trois coups d’État militaires, avec une armée toute puissante qui fait et défait les gouvernements.

Le général Pervez Musharraf, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1999 (source © AFP / la Tribune de Genève)

Le dernier putsch militaire en date est celui conduit par le général Pervez Musharraf en 1999, qui destitue le Premier ministre d’alors, Nawaz Sharif. L’armée reste au pouvoir jusqu’en 2008, confrontée à des insurrections violentes des talibans dans le Nord-Ouest du pays, puis à un mouvement de contestation populaire animé par des avocats et des juges. L’ancienne Première ministre Benazir Bhutto ayant été assassinée en 2007, son mari accède à la Présidence de la République en 2008 mais en 2013 c’est son rival de la Ligue musulmane, Nawaz Sharif, qui revient au pouvoir pour la troisième fois. Inculpé par la Cour suprême pour corruption et évasion fiscale, il doit quitter le gouvernement en 2017…

L’ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan, désormais en prison, ici en juin 2021 (photo © Saiyna Bashir / Reuters / Paris Match)

A l’issue des dernières législatives en 2018, c’est un ancien joueur international de cricket, Imran Khan, fondateur et président du PTI, le Mouvement du Pakistan pour la Justice, qui accède au poste de Premier ministre. Mais il est renversé dès 2022 et remplacé à son poste par Shehbaz Sharif, le propre frère de son prédécesseur ! Des centaines de cadres de son parti sont arrêtés par la police et plus de 100 procédures judiciaires sont lancées à son encontre pour le neutraliser. Il échappe le 3 novembre 2022 à une tentative d’assassinat par balles puis à plusieurs tentatives d’arrestations, avant d’être enlevé violemment par des paramilitaires en pleine salle d’audience du tribunal, le 9 mai 2023. Il croupit depuis en prison et a été encore condamné le 30 janvier 2024 à 10 ans de prison et 5 ans d’inéligibilité, puis, le lendemain, à 14 ans de prison ferme supplémentaires !

Partisans de l’ancien Premier ministre Imran Khan à Islamabad le 8 février 2024 (photo © Charlotte Greenfield / Reuters / Le Monde)

Non seulement Imran Khan n’avait pas la possibilité de se présenter lors de ces élections législatives du 8 février 2024, mais son parti n’était pas autorisé non plus à concourir, ce qui obligeait ses candidats à se présenter comme indépendants. L’un d’entre eux a par ailleurs été assassiné en pleine campagne électorale, au cours de laquelle la police a attaqué certains meetings du PTI, procédant à de multiples arrestations arbitraires.

Une ambiance délétère qui s’explique en partie par l’état alarmant du pays, exposé au risque d’un défaut de paiement de la dette extérieure et qui a subi entre juin et octobre 2022 des inondations catastrophiques ayant affecté plus de 33 millions d’habitants et causé au moins 1700 morts et la destruction de plus de 250 000 maisons. Dans ce pays très jeune, où 50 % de la population a moins de 22 ans, les perspectives économiques ne sont guère encourageantes avec un taux d’inflation qui dépasse les 40 % et des difficultés d’approvisionnement en céréales du fait de la guerre en Ukraine.

Policiers pakistanais en faction devant un bureau de vote à Peshawar le 8 février 2024 (photo © Fayaz Aziz / Reuters / Le Monde)

Pas étonnant, dans ce contexte, que les élections du 8 février 2024 aient été émaillées de multiples incidents. Plusieurs attentats à la bombe et des fusillades ont éclaté près de bureaux de vote. Des membres des forces de l’ordre ont été tués et les irrégularités du scrutin semblent particulièrement nombreuses. Surtout, le scrutin a été marqué par une absence totale de réseau de téléphone mobile et d’internet, officiellement pour cause de panne, mais en tout cas de nature à perturber fortement les opérations de contrôle.

Sous prétexte de cette panne de réseau, il a fallu attendre longuement pour connaître les premiers résultats du vote, dont la sincérité est jugée douteuse par de nombreux observateurs. Alors que le parti de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, opportunément rentré de son exile londonien en octobre 2022, était donné comme largement vainqueur, ses partisans ne remportent que 71 sièges contre 100 aux candidats du PTI d’Imran Khan. Mais ceux-ci ne pourront prétendre à diriger le gouvernement puisqu’ils se présentaient de fait comme indépendants. Leurs résultats ne sont pas non plus pris en compte pour l’attribution, à la proportionnelle, des 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités, encore une spécificité du mode de scrutin pakistanais…

Nawaz Sharif, qui pourrait bien être, de nouveau et pour la quatrième fois, Premier ministre du Pakistan à l’issue de ces élections (photo © AFP / NDTV)

L’inoxydable et très libéral Nawaz Sharif a donc d’ores et déjà prononcé son discours de victoire, avant même la proclamation définitive des résultats électoraux, tendant la main à d’autres partis, y compris le Parti du Peuple Pakistanais de Benazir Bhutto, qui a fait un score très honorable avec au moins 53 élus. Le Pakistan risque donc d’être gouverné par une alliance un peu contre nature, destinée à barrer le chemin à l’ancien joueur de cricket qui risque fort de finir ses jours en prison. La politique au Pakistan est loin d’être un long fleuve tranquille…

L. V.

Du pain ou des jeux, il faut choisir

30 janvier 2024

Panem et circenses : c’est le poète latin Juvénal qui a employé l’expression dans ses Satires, qui datent du début du IIe siècle de notre ère et qui dépeignent une société romaine décadente et individualiste où chacun se préoccupe uniquement de ses intérêts propres et de son plaisir personnel, se désintéressant ostensiblement de la conduite des affaires publiques. Une analyse que l’on pourrait traduire ainsi en Français : « le peuple qui faisait autrefois les empereurs, les consuls, les tribuns, est trop heureux aujourd’hui d’avoir du pain, et il ne désire tout au plus que des jeux du cirque ». Un constat désabusé que bien des analystes sont tentés d’appliquer à notre société actuelle où beaucoup se détournent de leurs devoirs civiques, se désintéressant ouvertement de la vie démocratique locale comme nationale, et n’aspirent rien d’autre qu’à s’amuser et consommer, le foot, la presse people et le shopping ayant néanmoins pris la place du pain et des combats de gladiateurs, un peu datés…

Du pain et des jeux, une recette infaillible pour gouverner : un dessin signé Erix

A l’approche des Jeux olympiques qui se dérouleront à Paris (et à Marseille pour les épreuves de voile et certains matchs de foot), tout semble fait pour concentrer l’attention du public sur cet événement sportif majeur et le détourner des problèmes de société, au risque même d’en oublier l’approvisionnement en pain, pourtant vital. C’est en effet le constat que font certains céréaliers du Bassin parisien qui tentent en vain d’alerter, depuis des mois, les pouvoirs publics via leur référent logistique au sein de l’interprofession céréalière. La parade nautique qui marquera la cérémonie d’ouverture de ces jeux mais aussi certaines épreuves olympiques telles que la nage en eaux libres ou le triathlon sont prévues directement dans la Seine à Paris, ce qui suppose une interruption de toute circulation des bateaux pendant de larges périodes.

Présentation des mascottes des JO 2024 sur la Seine où se déroulera la cérémonie d’ouverture des jeux (photo © Bertrand Guay / AFP / Marianne)

Or la Seine représente 40 % du transport fluvial total en France. Véritable autoroute à péniches, navigable principalement à partir de Nogent-sur-Seine et jusqu’à son embouchure, la Seine dessert des ports fluviaux majeurs comme celui de Gennevilliers, de Rouen ou du Havre. Outre les 110 bateaux-mouches qui font visiter Paris à des centaines de milliers de visiteurs chaque année, ce sont pas moins de 21 millions de tonnes de marchandises qui transitent annuellement sur les eaux de la Seine, en légère croissance d’ailleurs, ce qui offre une alternative à la fois économique et écologique au transport ferroviaire et surtout routiers, largement saturés.

Une part importante, de l’ordre de 40 %, de ce trafic fluvial sur la Seine est lié au transport de matériaux de construction et notamment de granulats, mais les marchandises à haute valeur ajoutée y prennent une part grandissante, à l’exemple d’Ikéa qui réalise depuis fin 2022 une partie de ses livraisons parisiennes par bateau. A ceci s’ajoute de l’ordre de 3 millions de tonnes de céréales qui, chaque année, sont transportées par péniche depuis le bassin céréalier de la Brie jusqu’au port de Rouen pour y être exportées. En plein été, ce transit représente entre 600 et 700 000 tonnes qu’il convient d’évacuer rapidement, dès la moisson, faute de capacité de stockage, mobilisant une dizaine de péniches qui chaque jour transportent 12 à 15 000 tonnes de grains sous les ponts de Paris.

Péniche chargée de céréales sur la Seine à Paris (photo © Karen Hermann / Adobe Stock / Terre.net)

Un flux qui risque d’être fortement perturbé entre le 24 juillet et le 11 août 2024, date des JO de Paris et qui coïncide justement avec la date des moissons, ce que n’avaient manifestement pas anticipé les organisateurs. « Et on ne pourrait pas décaler la date des récoltes ? » a d’ailleurs suggéré candidement un énarque, dans le cadre de ces discussions, au bien nommé Jean-François Lépy, secrétaire général d’Intercéréales et directeur général de Soufflet Négoce. On sait déjà que des arrangements sont en passe d’être trouvés pour permettre aux péniches chargées de céréales de pouvoir faire transiter leur précieuse cargaison vers le port céréalier de Rouen où elles sont exportées dans le monde entier. En 2022, ce sont ainsi 8,6 millions de tonnes de céréales qui ont été exportées depuis Rouen, principalement vers le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest, le Proche Orient et la Chine, et vers bien d’autres pays, surtout depuis le conflit en Ukraine qui fait les affaires ces céréaliers français, la Russie et l’Ukraine étant traditionnellement ces principaux concurrents sur le marché mondial.

Épreuves test de triathlon dans la Seine depuis le pied du pont Alexandre III en août 2023 (photo © Bertrand Guay / AFP / Huffington Post)

On n’est donc pas trop inquiet pour l’avenir des gros céréaliers du Bassin parisien et de l’énorme machine de guerre que constitue Soufflet Négoce, qui vient d’ailleurs de fusionner, début 2023, avec son principal concurrent In Vivo Trading, pour former un géant du commerce de céréales mais aussi oléagineux et protéagineux, avec un chiffre d’affaires qui atteignait 2,4 milliards d’euros en 2016 et encore près d’un milliard en 2021. Cette céréaliculture industrielle est d’ailleurs fortement tournée vers l’exportation puisque France AgriMer estimait en 2023 le potentiel d’exportation de blé tendre français à 17 millions de tonnes, soit grosso modo la moitié de sa production annuelle. La France est en effet le premier producteur européen de blé tendre et le cinquième mondial, même s’il lui arrive aussi d’importer, comme cela a été le cas en 2014 où la France a été forcée d’importer 34 000 tonnes de blé de Grande-Bretagne et de Lituanie, souvent pour des raisons de qualité.

Chargement d’un bateau de céréales au port de Rouen (photo © P. Boulen / HAROPA / 76 actu)

Curieusement, la filière céréalière française si performante à l’exportation est en effet toujours incapable de répondre aux propres besoins intérieurs du pays en matière de production biologique dont la demande ne cesse d’augmenter. La part des surfaces agricoles cultivées en agriculture biologique a atteint le chiffre de 10,7 % en 2022, alors qu’il était inférieur à 2 % en 2002, ce qui reflète une évolution très significative. Mais cette proportion place la France en 13e position des pays européens même si en 2022, pour la première fois, la France est devenue le pays d’Europe possédant la plus grande superficie agricole cultivée en bio, devant l’Espagne et l’Italie.

Champ de blé en agriculture biologique, une part en forte croissance mais encore insuffisante (source © Ingrebio / Natexbio)

Actuellement, 70 % des produits bio consommés en France (et même 83 % si l’on exclut les produits tropicaux) sont produits sur le sol national, ce qui prouve que les agriculteurs français ont déjà fait de gros efforts en vue d’une reconversion de leurs pratiques. Il reste encore beaucoup à faire pour que les gros céréaliers des riches terres à blé du Bassin parisien se convertissent à leur tour et se préoccupent un peu moins de la demande mondiale à l’exportation et des problèmes de logistique qui en découlent, et s’intéressent davantage à la durabilité de leur activité et de son impact sur la planète…

L. V.

Canal de Marseille : la Métropole boit la tasse

3 janvier 2024

Pour assurer une protection minimale des points de captage destinés à l’alimentation en eau potable pour la consommation humaine, la loi prévoit l’instauration de périmètre de protection délimités par un hydrogéologue agréé et inscrit dans les documents d’urbanisme après avoir fait l’objet d’une enquête publique en bonne et due forme.

L’agglomération marseillaise, comme une partie importante des Bouches-du-Rhône et même de certains départements voisins est alimentée en eau potable par le canal de Marseille et le canal de Provence qui acheminent sur de longues distance l’eau prélevée dans le Verdon et la Durance. Ces ouvrages ne datent pas d’hier. Le réseau du canal de Provence, désormais propriété de la Région PACA et géré par la Société du Canal de Provence (SCP), a été pour l’essentiel aménagé entre 1964 et 1986, à la suite de la construction des différents ouvrages de régulation hydraulique du Verdon et est alimenté à partir de la prise d’eau de Boutre, à Vinon-sur-Verdon.

Le canal de Marseille, au-dessus de Coudoux (photo © Alain Amblard)

Quant au Canal de Marseille, sa construction est bien plus ancienne puisqu’elle a débuté en 1839 et s’est achevée pour l’essentiel en novembre 1949, date de l’arrivée dans le nouveau bassin du palais Longchamps, de l’eau captée plus de 80 km en amont, dans la Durance sur la commune de Pertuis. Après la réalisation du barrage de Serre-Ponçon, mis en eau en 1961, un canal usinier a été aménagé par EDF en rive gauche de la Durance pour alimenter une série d’usines hydroélectriques jusqu’à la dernière d’entre elle, située à Saint-Chamas, où l’eau résiduelle se déverse dans l’étang de Berre, participant largement à la dégradation de la qualité biologique de cette lagune naturelle. C’est en tout cas désormais sur ce canal EDF que se fait l’alimentation en eau du Canal de Marseille, sur la commune de Saint-Estève-Janson. Les ouvrages de ce réseau sont concédés à la SEMM, une société du groupe Véolia, qui en est donc le gestionnaire, mais c’est désormais la Métropole Aix-Marseille-Provence qui en est la propriétaire.

Ces ouvrages de transport d’eau brute prélevée dans la Durance ou dans le Verdon sont en partie de simples canaux à ciel ouvert qui traversent parfois des milieux très urbanisés, notamment dans le nord de Marseille. La protection de cette ressource précieuse constitue donc un enjeu majeur et il est étonnant qu’il ait fallu si longtemps pour enfin initier la procédure visant à instaurer des périmètres de protection autour des ouvrages.

Vue aérienne du canal de Provence près de la Sainte-Victoire (photo © SCP / La Tribune)

Pour ce qui est du Canal de Provence, la SCP a lancé la démarche dès 2011 mais le Conseil Régional a attendu octobre 2020 pour enfin engager la procédure visant à la mise en place de périmètres de protection autour du canal et de ses ouvrages annexes. L’hydrogéologue agréé a rendu son avis fin 2021, proposant la mise en place de 76 périmètres de protection immédiate autour des ouvrages les plus sensibles, déjà globalement bien protégés mais où la SCP a encore besoin d’acquérir certaines parcelles supplémentaires, et des périmètres de protection rapprochée, de part et d’autre du canal. Ces derniers sont constitués d’une bande de protection renforcée de 8 à 10 m de large à partir des hauts de berge, et d’une bande plus distante, également de 8 à 10 m de largeur. Sur chacun de ces espaces, des interdictions sont prévues, pour limiter tout risque d’activité polluante.

Comme le prévoit la procédure, plusieurs enquêtes publiques ont été lancées conjointement, qui se sont déroulées du 13 mars au 14 avril, concernant pas moins de 36 communes des Bouches-du-Rhône, dont celles d’Aix-en-Provence et de Marseille, avec pour enjeu de permettre la poursuite de l’autorisation délivrée à la Société du Canal de Provence, d’alimenter plus de 2 millions d’habitants en eau potable à partir de ces ouvrages. Une enquête parcellaire concernant pas moins de 1678 propriétaires, tous consultés au préalable par courrier, fait partie intégrante de la procédure afin d’avertir chacun des propriétaires concernés des impacts potentiels sur sa parcelle, certaines de ces parcelles étant destinées à être rachetées par la collectivité pour les besoins des périmètres de protection immédiat, à l’amiable ou, au besoin, dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique (DUP). La SCP a indiqué avoir provisionné pas moins de 4 millions d’euros pour indemniser les propriétaires concernés.

Berges du canal de Provence (photo © SCP / Registre d’enquête publique)

L’avis donné par les commissaires enquêteurs à l’issue de ce gros travail de concertation est favorable, tant pour l’enquête parcellaire, que pour la DUP et pour la poursuite de l’autorisation d’exploitation pour la consommation humaine. Un avis motivé résumé dans un épais rapport de 95 pages, accessible sur le site de la Préfecture, et qui a permis au Préfet de signer, en date du 5 décembre 2023, un arrêté autorisant la poursuite de la procédure.

Le canal de Marseille, ici avenue d’Albret dans le 13e arrondissement de Marseille (photo © Valérie Vrel / La Provence)

Mais il n’en a pas été de même pour la Métropole qui avait à faire exactement le même exercice pour la mise en place des périmètres de protection du Canal de Marseille. Elle a elle-aussi adressé, à l’été 2023, un courrier aux multiples propriétaires des parcelles situées le long du tracé du canal et de ses différentes branches, dont celle qui part d’Aubagne et traverse Carnoux vers Cassis et La Ciotat. Mais le courrier était rédigé en termes abscons et n’a fait qu’attirer la méfiance des propriétaires concernés, qui se sont persuadés que la Métropole cherchait à les exproprier. L’enquête publique elle-même s’est déroulée du 4 septembre au 6 octobre 2023 et a porté, comme pour le Canal de Marseille à la fois sur l’enquête parcellaire proprement dite, sur la DUP et sur l’autorisation d’exploitation pour la consommation humaine, non seulement sur le réseau du canal, mais aussi sur le bassin du Réaltor, sur les hauteurs de Vitrolles.

Le bassin du Réaltor, réserve d’eau brute située sur le plateau de l’Arbois et alimentée par le Canal de Marseille (source © Voyagez chez nous)

Une enquête assez lourde également puisqu’elle portait sur 21 communes au total, dont celle de Carnoux-en-Provence, mais surtout qui a mis en lumière une impréparation évidente de la part de la Métropole, laquelle a notamment reconnu n’avoir strictement rien budgété pour procéder à l’indemnisation des plus de 7000 propriétaires concernés, comme la loi le prévoit pourtant ! Un amateurisme qui a conduit les commissaires enquêteurs à délivrer un avis défavorable. Seuls les maires de 7 des communes concernées se sont exprimés, généralement pour émettre de fortes réserves et les enquêteurs ont regretté l’absence d’implication des élus métropolitains qui n’ont même pas daigné les rencontrer dans ce cadre, ainsi que le déficit total de communication de la part de la Métropole qui n’a diffusé aucune information et n’a même pas organisé de réunion publique pour expliquer les tenants et aboutissants de la démarche ainsi que ses implications concrètes.

Un véritable fiasco démocratique donc pour la Métropole qui s’est finalement résolue, dans un communiqué piteux, diffusé en toute discrétion entre Noël et le Jour de l’An, à annoncer qu’elle renonçait à son projet et allait revoir sa copie, prenant acte du rapport accablant des commissaires enquêteurs qui pointent cruellement tous les manquements du dossier.  

La concertation publique, un exercice difficile, indispensable à l’exercice d’une démocratie vivante, un dessin signé Ucciani (source © Blog Noisy-le-Grand)

Promis, juré, la Métropole annonce qu’elle va revoir sa copie et qu’elle lancera une nouvelle procédure pour laquelle « une attention toute particulière sera portée à la possibilité d’adapter les mesures de protection fixées par les experts hydrogéologues, et à l’information du public, des institutions et des acteurs économiques, préalablement à l’ouverture d’une nouvelle enquête publique ». Le B-A-BA d’une démarche de concertation publique en somme, si l’on veut avoir une chance de recueillir l’assentiment général… Une approche que la Métropole semble avoir pour le moins négligé dans ce dossier, estimant sans doute que ces enquêtes publiques n’intéressent plus personne et que cela ne vaut vraiment pas le coup de faire des efforts pour communiquer sur un sujet aussi technique et peu médiatisé. Une petite erreur d’appréciation qui risque de coûter cher à la collectivité…

L. V.

Centre culturel de Carnoux : qui veut gagner 1 million ?

10 Mai 2023

Le Centre culturel est une véritable institution pour les 6500 habitants de Carnoux-en-Provence. Rares sont en effet les communes de cette taille qui peuvent s’enorgueillir de posséder un établissement culturel de cette qualité, en plus de la médiathèque toute récente et de l’Artea, une magnifique salle de spectacle de 308 places assises doublée d’un théâtre de verdure équivalent en plein air.

Situé à l’entrée de la Ville en face du Panorama, le Centre culturel a fait l’objet d’une belle rénovation architecturale il y a une quinzaine d’années avant de se voir adjoindre en 2016 une salle de musique dernier cri conçue par le cabinet d’architecture Plò pour un montant de 163 000 € qui donne un cadre particulièrement chaleureux et adapté aux cours de musique instrumentale.

Les bâtiments du Centre culturel de Carnoux-en-Provence (source © Centre culturel)

Cet écrin remarquable qui a permis à des générations de Carnussiens de s’initier au chant, à la musique, au théâtre et à bien d’autres activités créatrices et artistiques, a été longtemps géré par une structure associative, proche de la municipalité et à qui cette dernière mettait à disposition les locaux dont elle assurait l’entretien tout en versant une subvention d’équilibre. Les bénévoles de l’association se chargeaient de la gestion du centre et les usagers payaient directement les intervenants, en fonction des activités pratiquées, selon un schéma classique dans ce type d’établissement. En 2018, le montant de cette subvention annuelle s’élevait ainsi à 79 000 € pour 650 adhérents recensés.

Cette année-là cependant, suite à un rapport critique de la Chambre régionale des Comptes qui pointait l’opacité de la gestion de cette association et sa trop grande proximité avec l’exécutif municipal, la commune avait brusquement décidé de confier la gestion de cet équipement culturel public à une société privée, dans le cadre d’un contrat de délégation publique (DSP), en l’occurrence à la société ALG qui gère déjà depuis sa création en 2000, la salle de spectacle de l’Artea.

Cette DSP, attribuée pour une durée de 5 ans et arrivant à son terme le 31 août 2023, le Conseil municipal de Carnoux avait délibéré le 2 mars dernier la reconduction de cette DSP. Une simple formalité d’ailleurs car le maire avait déjà retenu un prestataire pour rédiger les documents d’appel d’offre en vue de la consultation et n’a pas souhaité ouvrir le débat. Il existe pourtant de multiples possibilités pour gérer un tel équipement public culturel, depuis la régie directe avec du personnel municipal comme c’est le cas pour la médiathèque jusqu’à la délégation de service public confiée à une structure privée ou associative comme c’est le cas du Centre culturel de Cassis, en passant par des dispositifs de type régie autonome, dotée d’une autonomie financière…

Toujours est-il que la consultation en question a été lancée le 20 avril 2023, les candidats ayant jusqu’au 26 mai à midi pour remettre leurs offres. Une consultation assez discrète, il faut bien le reconnaître, dont on cherchera vainement la moindre trace sur le site officiel de la ville de Carnoux-en-Provence, pourtant régulièrement tenu à jour et pas avare d’informations détaillées sur la moindre réunion locale d’anciens combattants. Mais curieusement, la rubrique intitulée Marchés publics ne donne pas la moindre information sur les consultations publiques en cours. Il faut pour cela aller fouiller sur une plateforme d’achat ultra spécialisée, en l’occurrence Klekoon, pour accéder aux pièces du marché.

Page de garde du règlement de la consultation pour le renouvellement de la gestion du Centre culturel (source © Klekoon)

On y apprend ainsi que le futur délégataire du Centre culturel municipal devra gérer le site « pour le compte de la Ville » en assumant ses frais d’exploitation, qu’il « sera responsable de la reprise du personnel en poste, du recrutement et de la rémunération de l’ensemble des personnels nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement » et qu’il « s’engage à exploiter les installations et les activités qui en découlent, au mieux des intérêts des usagers prioritairement les enfants carnussiens et en garantissant le caractère laïc et éducatif de l’action menée et en respectant les obligations légales en matière d’hygiène et de sécurité ».

La valeur annoncée pour le montant global du contrat est estimée à 1 million d’euros HT tout rond et correspond au chiffre d’affaires prévisionnel cumulé sur 5 ans. De fait, les seuls bilans financiers communiqués aux candidats pour les exercices 2021 et 2022 font en effet état de produits d’exploitation qui s’élèvent à 157 632 € HT en 2021 et 209 091 € HT en 2022. Le million d’euros annoncé parait donc réaliste puisqu’il suppose un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 200 k€.

Tarifs 2022-2023 des activités offertes par le Centre culturel de Carnoux (source © Centre culturel)

Les pièces fournies aux candidats sont néanmoins très succinctes en la matière, indiquant seulement les tarifs pratiqués depuis la rentrée 2022 mais sans aucune mention du nombre d’adhérents alors qu’il s’agit d’une notion importante pour évaluer le taux de fréquentation du site et son dynamisme. Ces données ne figurent ni dans ce dossier de consultation des entreprises ni même sur le site de la mairie et encore moins sur celui du Centre culturel où la dernière lettre d’information disponible date de septembre 2016 ! On les trouve uniquement sur le site Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire, alimenté par 2 élus d’opposition car ils ont été communiqués en conseil municipal le 26 janvier 2023… On y constate ainsi qu’à la rentrée 2021 le nombre d’adhérents était tombé à 272, après une année de fermeture lors de la période de confinement, alors qu’il était encore de 371 en 2019. Depuis, ce chiffre est remonté à 304 à la rentrée 2022, mais on reste loin du potentiel de 650 adhérents que revendiquait l’association en 2018, ce qui laisse une belle marge de progression au futur délégataire.

Quant au montant de la subvention versée par la commune pour combler les pertes d’exploitation, elle constitue un élément essentiel de l’économie du projet, par essence déficitaire. En théorie, cette subvention n’est versée que pour compenser les contraintes d’exploitation imposées par la municipalité, lesquelles sont précisées dans la délibération du 2 mars 2023 et s’avèrent assez légères puisqu’elles consistent simplement à la mise à disposition gratuite de la salle de spectacle 5 fois par an, pour l’arbre de Noël et le spectacle des enfants. Mais cette prestation est on ne peut mieux valorisée puisqu’elle l’a été à hauteur de 120 000 € en 2022 et même 131 026 € en 2021, exercice pour lequel cette somme a représenté 83 % du chiffre d’affaires annuel, uniquement pour mettre à disposition de la mairie 3 soirs par an une salle dont elle est propriétaire !

On est certes assez éloigné ici du cadre réglementaire d’une délégation de service public pour laquelle il est prévu normalement que « le délégataire se rémunère se rémunère substantiellement des recettes de l’exploitation, augmentées d’une participation communale en compensation des contraintes imposées par la collectivité ». Mais on ne chipotera pas pour si peu ! L’essentiel est que cette nouvelle consultation, bien que peu disserte sur les conditions réelles d’exploitation de ce bel outil qu’est le Centre culturel de Carnoux, suscite de nombreuses candidatures et fasse émerger un nouvel exploitant pour redynamiser cette structure, si utile pour animer la vie associative et le développement culturel et artistiques des Carnussiens, jeunes et moins jeunes…

L. V.

Israël : Netanyahou s’en prend à la démocratie

5 avril 2023

Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou serait-il devenu une menace contre la démocratie dans son propre pays ? C’est en effet ce que beaucoup affirment, et non sans de sérieuses raisons ! Même son homologue américain, pourtant allié indéfectible de l’État israélien depuis toujours, s’est ému des dernières attaques ouvertes du gouvernement de Netanyahou, le plus à droite que le pays ait jamais connu, contre l’État de droit et les libertés individuelles. Fin mars, Joe Bident a ainsi déclaré sans ambages : Israël « ne [peut] pas continuer sur cette voie et je pense que je me suis fait comprendre » avant de préciserque les États-Unis ne prévoyaient pas « à court terme » de visite de Benyamin Netanyahou, persona non grata, à la Maison Blanche…

Benyamin Netanyahou, président du Likoud depuis 1993 et Premier ministre d’Israël pour la sixième fois de sa carrière depuis 1996 (photo © Ronen Zvulun / AFP / le JDD)

Alors que les Français en sont en leur dixième manifestation contre le projet de report de 2 ans de l’âge minimum de départ en retraite, les Israéliens viennent de manifester samedi 1er avril 2023 pour la treizième semaine consécutive, contre le projet de réforme constitutionnelle du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Un projet qui vise, ni plus ni moins, qu’à annihiler le contrôle qu’exerce encore la Cour suprême israélienne sur les décisions de l’exécutif.

Des milliers de manifestants se rassemblent chaque samedi depuis 13 semaines désormais, dans les grandes villes d’Israël pour protester contre le projet de réforme constitutionnelle (photo © Jack Guez / AFP / Sud Ouest)

Un véritable coup d’État judiciaire dans un pays qui ne possède pas de constitution, ni de droit de véto présidentiel, ni de chambre haute permettant de jouer les contre-pouvoirs. En Israël, le gouvernement est directement issu du Parlement, la Knesset, et décide donc en accord avec les députés. Dans un tel système, le seul contre-pouvoir institutionnel qui existe est donc celui de la Cour suprême, chargée de veiller à ce que les textes législatifs respectent les lois fondamentales de l’État, assurant ainsi de fait et en dernière instance, un contrôle sur les principales décisions administratives et judiciaires.

Or Benyamin Netanyahou s’est mis en tête de contourner ce pouvoir en permettant à la Knesset d’annuler à la majorité simple toute décision de la Cour suprême qui ne lui conviendrait pas. En parallèle, il souhaite limiter l’indépendance de ce pouvoir judiciaire en nommant lui-même certains de ses membres, jusqu’à présents élus par des juges.

La Knesset, le parlement israélien (source © Torah box)

Les raisons d’un tel projet sont évidentes et le gouvernement ne s’en cache guère. Il s’agit même pour Benyamin Netanyahou, sous le coup de multiples accusations pour corruption, d’une question de survie politique, ce qui explique son acharnement à ne rien lâcher sur ce projet qui rencontre pourtant une forte hostilité. Outre les milliers de manifestants qui défilent régulièrement dans les rues, même l’armée commence à tousser. Mi-mars 2023, des centaines de réservistes et membres des unités d’élites ont menacé de se retirer si la réforme était adoptée. Une menace si sérieuse que le 26 mars, le ministre de la Défense a cru bon d’annoncer une suspension temporaire du projet. Mais il a été aussitôt désavoué par le chef du gouvernement qui l’a limogé dans la foulée !

Les membres de l’actuel gouvernement de Benyamin Netanyahou, lors de leur investiture le 29 décembre 2022 (photo © Yonatan Sindel / Flash 90 / The Times of Israel)

Même le secteur économique, très dépendant des investisseurs étrangers commence à trouver que la plaisanterie a assez duré en constatant que cette réforme anti-démocratique fait jaser auprès des partenaires et notamment des fonds d’investissements de plus en plus sensibles aux critères de bonne gouvernance… Fin mars, le principal syndicat du pays a appelé à la grève générale et on a vu plusieurs entreprises fermer et encourager leurs salariés à aller manifester contre le gouvernement ! Du jamais vu en Israël alors que la monnaie est à son cours le plus bas depuis 3 ans.

Le ministre des finances israélien ultranationaliste, Bezalel Smotrich, ici à Sderot en octobre 2022 (photo © Gil Cohen-Magen / AFP / BFM TV)

De quoi inquiéter le pouvoir en place qui se heurte à une opposition de plus en plus massive d’une partie de la population, inquiète des dérives du gouvernement Netanyahou contre la démocratie mais aussi contre la laïcité et le droit des minorités. Les ultraorthodoxes fondamentalistes et les ultranationalistes avec qui Netanyahou s’est allié pour constitué son gouvernement, ne cachent en effet pas leurs intentions, estimant qu’Israël est d’abord et avant tout un État juif et que la démocratie n’en est pas une composante essentielle. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ouvertement raciste et qui appelle régulièrement à raser des villages palestiniens gênant la colonisation juive, affirmait ainsi encore récemment que « le peuple palestinien est une invention » tandis que ses collègues ultraorthodoxes ne cachent pas qu’à leurs yeux, les femmes n’ont pas vocation à bénéficier des mêmes droits que les hommes : c’est dit…

Contre la Justice, tous les moyens sont bons quand on est au pouvoir : un dessin signé Chappatte, publié le 7 juin 2021 dans NZZ am Sonntag, Zurich

Voilà en tout cas une dérive qui fait désordre mais jusqu’à présent Benyamin Netanyahou s’accroche à son projet de réforme car il sait que c’est le seul moyen pour lui d’échapper à la Justice qui le poursuit pour corruption, fraude et abus de confiance. Il est notamment accusé de corruption depuis 2016 pour avoir reçu des cadeaux pour une valeur de 1 millions de shekels, mais aussi, pour avoir tenté à plusieurs reprises de négocier des accords secrets avec des médias pour s’assurer une couverture favorable. Un homme d’affaire franco-israélien lui aurait aussi versé un don de 1 million d’euros en 2016 pour payer sa campagne électorale en infraction avec la loi. Il est inculpé depuis 2019 alors même qu’il était déjà premier ministre, fonction qu’il a exercé pour la première fois en 1996 et à laquelle il s’agrippe désespérément, pour ne pas tomber.  Un exemple de plus de ces dirigeants politiques peu scrupuleux mais capables de tout pour se maintenir au pouvoir, n’hésitant pas à tripatouiller les fondements juridiques de leur pays pour assurer leur propre immunité. Toute ressemblance avec un certain Nicolas Sarkozy serait naturellement purement fortuite…

L. V.

Pour l’armée birmane, la démocratie n’est pas une option

23 mars 2023

Deux ans maintenant après le coup d’État militaire qui a permis à la junte de reprendre le pouvoir après avoir procédé, le 1er février 2021à l’arrestation musclée du Président de la République, Win Myint, et de sa célèbre conseillère spéciale, Aung San Suu Kyi, la Birmanie semble s’enfoncer dans le chaos et voir reculer toute perspective de retour à la démocratie.

Soldats de l’armée birmane dans une rue de Naypyidaw, le jour du dernier coup d’État militaire en date, le 1er février 2021 (photo © AFP / Atalayar)

Il faut dire que ce pays de 56 millions d’habitants, du Sud-Est asiatique, frontalier du Laos, de la Thaïlande, du Bangladesh mais aussi de l’Inde et de la Chine, ancienne possession des Indes britannique devenue indépendante en 1948, n’en finit pas d’enchaîner les dictatures militaires depuis 1962, date à laquelle le général Ne Win a pris le pouvoir à l’issue d’un putsch, n’hésitant pas à dynamiter un bâtiment universitaire pour tuer dans l’œuf  la contestation étudiante, et causant de l’ordre de 3000 morts selon les estimations.

Manifestations étudiantes réclamant la démocratie dans les rues de Rangoon le 8 août 1988 (source © Info Birmanie)

Après 26 ans de dictature militaire, c’est une autre révolte étudiante qui commence à fissurer le régime militaire, débouchant sur un véritable soulèvement général. Le 18 septembre 1988, un autre général organise un nouveau coup d’État qui permet à la junte militaire de se maintenir encore 2 ans au pouvoir.

Cette même année 1988 voit le retour en Birmanie d’Aung San Suu Kyi, dont le père avait négocié l’indépendance de la Birmanie avant d’être assassiné en juillet 1947. Elle se lance en politique et crée en 1988 un nouveau parti, la Ligue nationale pour la démocratie. Son activisme lui vaut d’être arrêté par le gouvernement militaire dès 1989 et assignée à résidence pour 6 ans. En mai 1990, sous la pression populaire, les militaires finissent par organiser des élections qui sont largement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, mais les députés élus ne sont pas autorisés à siéger. S’ensuit une période de répression tandis qu’Aung San Suu Kyi est de nouveau placée en résidence surveillée malgré le prix Nobel de la paix qui lui est attribué en 1991.

Aung San Suu Kyi haranguant ses partisans à Rangoon en 1989 (photo © AP / The Guardian)

Emprisonnée en septembre 2000, elle est libérée en mai 2002 mais son convoi est attaqué peu après par un groupe paramilitaire et elle ne doit son salut qu’au dévouement de son chauffeur, ce qui ne l’empêche pas d’être de nouveau jetée en prison puis assignée à résidence et de nouveau condamnée à 18 mois de détention en septembre 2009. En 2010, l’armée au pouvoir va jusqu’à changer le nom du pays qui devient alors officiellement la République de l’union du Myamar, même si l’on peine à assimiler ce régime militaire à une véritable république. A cette période, la junte militaire finit néanmoins par accepter la tenue d’élections, considérées comme largement truquées, qui voient l’un de ses piliers, le général Thein Sein, passer du poste de premier ministre à celui de Président de la République.

Aung San Suu Kyi faisant son entrée à la chambre basse du Parlement birman en mai 2012 sous l’œil goguenard des militaires qui détiennent le pouvoir (photo © AP / The Guardian)

Le 1er avril 2012 enfin, Aung San Suu Kyi est élue députée à l’occasion des élections législatives et en novembre 2015 son parti remporte la majorité absolue. Mais les règles fixées par la junte birmane lui interdisent de se porter candidate à l’élection présidentielle, au prétexte qu’elle avait été mariée à un Britannique, décédé en 1999. C’est donc l’un de ses proches, Htin Kyaw, qui devient Président en mars 2016, le premier élu démocratiquement dans ce pays depuis 1957 !

Aung San Suu Kyi, quant à elle, cumule plusieurs postes de ministres, mais son gouvernement reste fortement inféodé à l’armée qui détient de droit les ministères de la Défense, de l’Intérieur et des Frontières, tout en conservant, de par la constitution, une minorité de blocage au Parlement. Et la junte militaire, pour préserver ses propres intérêts économiques, s’oppose frontalement à de nombreuses réformes, tandis que le pays doit gérer la crise des Rohingyas, une minorité ethnique que l’armée considère comme des réfugiés du Bengladesh et à l’égard de qui elle exerce une répression inhumaine.

Réfugiés Rohingyas fuyant la Birmanie et ses exactions militaires pour accoster au Bangladesh, le 10 septembre 2017 (photo © Danish Siddiqui / Reuters / Radio Canada)

Le 8 novembre 2020, le parti d’Aung San Suu Kyi remporte une victoire éclatante à l’occasion des nouvelles élections législatives mais le 1er février suivant, les militaires arrêtent les principaux dirigeants politiques du pays et instaurent l’état d’urgence pour au moins un an. En réalité, l’armée birmane n’avait fait que tolérer ce pouvoir civil pendant quelques années, lui laissant un pouvoir réduit qui lui permettait de conserver le contrôle et préserver ses intérêts. La large victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, lui permettant de remporter 82 % des sièges au Parlement, ouvrait la voie à une réforme constitutionnelle qui aurait pu réduire le pouvoir de l’armée, d’où ce nouveau putsch militaire…

Depuis, la situation est bloquée et Aung San Suu Kyi est de nouveau derrière les barreaux, condamnée depuis le 30 décembre 2022 à 33 ans d’emprisonnement ! Des manifestations populaires de grande ampleur ont bien eu lieu, à l’initiative des fonctionnaires d’abord de la santé, puis de l’éducation, rassemblant plusieurs centaines de milliers de manifestants le 22 février 2021, mais la répression exercée par l’armée est féroce.

Manifestation dans les rues de Rangoon en avril 2021 réclamant la libération d’Aung Sann Suu Kyi de nouveau emprisonnée après le dernier coup d’État militaire (photo © AP / SIPA / Paris Match)

De nombreux jeunes gens ont pris les armes et rejoint dans les zones rurales les différentes rebellions ethniques dont celle des Karens qui dure depuis des années près de la frontière thaïlandaise. L’armée envisageait de nouvelles élections pour l’été prochain, sous son contrôle comme à son habitude, mais l’état de désorganisation du pays est tel qu’elle risque fort de devoir y renoncer, incapable d’assurer la sécurité de l’ensemble des bureaux de vote. Le retour de la démocratie en Birmanie n’est peut-être pas pour demain…

L. V.

Mali : les imams et la laïcité

16 mars 2023

Le 27 février 2023, la version finale du projet de nouvelle constitution du Mali a été remise solennellement au colonel Assimi Goïta, un militaire putschiste qui dirige la « Transition » dans ce vaste pays sahélien de près de 22 millions d’habitants, qui s’étend de l’Algérie jusqu’en Côte d’Ivoire. Une constitution dont l’adoption par référendum était initialement prévue le 19 mars, première étape vers un retour du pouvoir aux civils, avec des élections envisagées en 2024 si tout va bien.

Remise officielle du projet de constitution par la commission de finalisation au colonel Assimi Goïta le 27 février 2023 (source © a Bamako)

Sauf que ce projet de constitution n’est pas du goût de tout le monde. La Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, une structure très influente qui représente les autorités religieuses musulmanes du pays, a purement et simplement appelé à voter non à ce projet à l’occasion d’un point de presse soigneusement orchestré, le 7 mars 2023. La raison de ce rejet ? La ligue des imams avait demandé le 10 janvier dernier que le terme de « laïcité » ne figure pas dans ce texte constitutionnel, lui préférant celui d’« État multiconfessionnel »…

Pour des religieux, le terme de laïcité fait horreur car il présuppose que les citoyens pourraient conduire les affaires publiques de la Nation sans se préoccuper de leurs convictions religieuses, voire même sans avoir du tout de telles conviction, ce qui est proprement inconcevable pour nombre de personnes, persuadées que seuls les préceptes religieux sont à même de régir le monde et, en l’occurrence, que la charia, la loi de Dieu, s’impose à tous bien au-dessus des règles des hommes.

Prière du vendredi dans une rue de Bamako en janvier 2013 (photo © Sia Kambou / Le Point)

La commission chargée de finaliser le projet n’ayant pas accédé à cette demande, les imams affirment donc sans ambages leur opposition frontale et appellent l’ensemble des Musulmans du pays à voter contre ce projet qui ne les satisfait pas. Sachant qu’environ 95 % des habitants du pays se réclament de l’Islam, le pouvoir a quelque souci à se faire quant à l’adoption de son projet…

D’autant que ce n’est pas la première fois que cette ligue d’imams défie ainsi le pouvoir politique. En août 2009 déjà, elle avait rassemblé plus de 50.000 manifestants dans un stade de Bamako pour protester énergiquement contre le nouveau code de la famille adopté par les députés, considérant qu’il s’éloignait trop des préceptes de l’Islam traditionnel, accordant trop de droits aux femmes et pas assez de valeur au mariage religieux. Même un simple article prévoyant d’autoriser une femme à faire du commerce sans l’autorisation de son mari déclenchait les foudres des imams conservateurs !

L’imam Mahmoud Dicko, proche des milieux rigoristes wahhabites et alors président du Haut conseil isamique, à l’occasion d’un de ses meetings à Bamako, le 12 août 2012 (photo © Habibou Kouyaté / AFP / France TV info)

Le président Amadou Toumani Touré, directement menacé par les imams, avait alors été contraint de faire machine arrière et de renoncer à promulguer le nouveau texte, finalement adopté en décembre 2011 après une refonte complète. La nouvelle mouture marquait un net recul des droits des femmes en particulier, reconnaissant juridiquement le mariage religieux et affirmant que « la femme doit obéissance à son mari ». Cela n’avait pas empêcher le président malien d’être renversé quelques mois plus tard, en mars 2012, par un coup d’État militaire.

A l’époque, le Mali est en proie à des troubles majeurs dans le nord du pays qui passe progressivement dans les mains de mouvements armés djihadistes. En janvier 2013, les rebelles islamistes menacent directement Bamako et la France doit intervenir pour empêcher qu’ils ne s’emparent du pouvoir. Mais la présence militaire française dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane finit par générer du ressentiment, soigneusement attisé par certains. En avril 2020, les élections législatives, plusieurs fois reportées du fait du contexte d’insécurité persistant, se tiennent dans un climat de violence qui se matérialise par de nombreux enlèvements dont celui du chef du principal parti d’opposition, Soumaïla Cissé, qui ne sera libéré que 6 mois plus tard.

Militaires putschistes dans les rues de Bamako le 18 août 2020 (photo © Moussa Kalapo / EPA-EFE / Le Temps)

Entre temps, un groupe de militaires putschistes procède à l’arrestation musclée du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, contraint à la démission le 19 août 2020. Le colonel Assimi Goïta, qui fait partie des 5 gradés mutins, prend le dessus sur ses petits camarades à l’occasion d’un second coup d’État, le 24 mai 2021. Il promet alors d’organiser rapidement des élections, en février 2022 au plus tard, mais cette promesse ne sera pas tenue. Son rapprochement avec les forces mercenaires russes du groupe Wagner, celui-là même qui combat en ce moment contre l’armée ukrainienne, finit par obliger la France à replier ses troupes encore engagées dans l’opération Barkhane de maintien de l’ordre.

Le colonel Assimi Goïta, chef de la Transition au Mali, le 21 juin 2022 (source © Présidence du Mali / Jeune Afrique)

Toujours est-il que le colonel Assimi Goïta vient de tomber sur un os avec son projet de constitution qui prônait l’« attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’État » et dans lequel il était prudemment précisé que « la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle ». Mais ces termes ont été jugés outrageants par la très chatouilleuse Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, pour qui la laïcité « est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions ».

La transition du Mali vers une société démocratique et moderne ne semble donc pas être pour demain, d’autant que les protestations énergiques des imams reçoivent bien évidemment un écho très favorable de la part des mouvements djihadistes désormais bien implantés dans le nord du pays où l’un des proches du chef de la Katiba du Macina vient de diffuser une vidéo qui exhorte la population malienne à se dresser contre l’adoption de cette constitution d’inspiration trop occidentale à son goût. La laïcité à la française a décidément bien du mal à s’exporter hors de nos frontières…

L. V.

Narendra Modi, nouvel empereur des Indes ?

11 mars 2023

On a coutume de dire que l’Inde est la plus grande démocratie du Monde. C’est en tout cas très bientôt le pays le plus peuplé du monde avec plus de 1,4 milliards d’habitants, un tout petit peu moins que la Chine aux dernières estimations mais plus pour longtemps car sa démographie est nettement plus dynamique que son voisin chinois qu’elle ne devrait pas tarder à dépasser. Quant à son caractère démocratique, il l’est incontestablement davantage que la Chine dont le président tout puissant, Xi Jinping vient d’être réélu ce vendredi 10 mars 2023 à l’unanimité par ses pairs du Parti communiste chinois pour son troisième mandat d’affilée à la tête du pays. En 2018, Xi Jinping n’avait pas hésité à faire sauter la disposition constitutionnelle interdisant au président de la République populaire de Chine de faire plus de deux mandats, tout en développant un culte de la personnalité de plus en plus marqué.

Le premier ministre indien Narendra Modi et son homologue australien Anthony Albanese faisant un tour de piste dans leur char le 9 mars 2023 dans le stade Marendra Modi à Ahmedabad (photo © Robert Cianflone / Getty Images / The West Australian)

Une dérive qui semble tenter également son homologue indien, le premier ministre Narendra Modi que le monde entier a pu voir le 9 mars 2023 faisant un tour de piste triomphal perché sur un char tel un empereur romain, saluant du bras tendu la foule en délire dans les tribunes de ce qui est considéré comme l’un des plus grands cirques du monde, le stade Narendra Modi, à Ahmedabad, rebaptisé ainsi en 2021 en l’honneur du Premier ministre.

On a connu attitude plus modeste de la part d’un chef de l’État, même aussi puissant que l’Inde. Pas sûr d’ailleurs que l’exercice ait été très apprécié par son homologue australien, le premier ministre Anthony Albanes, embarqué malgré lui dans ce tour de piste assez surprenant, en ouverture du quatrième test match de cricket qui opposait les deux équipes nationales. Déjà le fait d’avoir donné son nom, de son vivant, à un stade aussi emblématique est assez révélateur du culte de la personnalité dans lequel se complait le dirigeant indien. Bien sûr, d’autres l’avaient fait avant lui, tels Benito Mussolini ou Saddam Hussein, mais qui ne sont pas restés dans l’histoire comme des modèles de vertu démocratique.

Le premier ministre indien Narendra Modi recevant un portrait de lui-même avant le test match de cricket contre l’Australie le 9 mars 2023 (photo © Sportzpics for BCCI / PTI Photo / Rediff)

Et, comble de narcissisme, le dirigeant indien s’est vu offrir un portrait de lui-même, issu de collage de photos de joueurs de crickets, avant de monter dans son char doré pour son tour d’honneur du stade devant une foule estimée à environ 80.000 spectateurs. Certes, l’enjeu est de taille pour l’Inde de Modi, dans un pays où le cricket est le sport national et qui s’apprête d’ailleurs à accueillir en octobre prochain la coupe du monde de cricket. L’audience télévisées s’annonce colossale et le premier ministre indien envisage bien évidemment de capitaliser au maximum sur cette ferveur populaire pour s’assurer une réélection triomphale dans la foulée, en 2024, pour son troisième mandat !

Narendra Modi est en effet à la tête de l’Inde depuis mai 2014. Son parti, le BJP, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party, était alors arrivé largement en tête de ces élections générales pour lesquelles 814,5 millions d’Indiens étaient inscrits sur les listes électorales ! Narendra Modi, en tant que directeur de la campagne du BJP était le candidat naturel pour ce poste, lui qui avait fait son ascension politique dans l’État du Gujarat où il avait été nommé ministre en chef en octobre 2001. De condition plutôt modeste, Modi s’était engagé comme propagandiste professionnel au RSS, un groupe nationaliste paramilitaire hindou d’extrême droite, avant de rejoindre le BJP où il a pris des responsabilités nationales dès les années 1990.

Train en feu à Godhra le 27 février 2002 (source © The Indian Express)

Le 27 février 2002, un train transportant des pèlerins hindous a pris feu à Godhra, causant une cinquantaine de victimes et provoquant des émeutes d’une rare violence, attisées par Narendra Modi et ses amis du BJP, persuadés que l’incendie a été provoqué délibérément par des musulmans. Il s’en est ensuivie une vague de violence qui a embrasé tout le Gujarat, largement encouragée par les nationalistes hindous et qui fera près de 2000 victimes selon certaines estimations. Un tribunal de New York a d’ailleurs tenté ultérieurement de traduire Modi en justice pour « tentative de génocide » mais cela ne l’a pas empêché d’être confortablement réélu à la tête du Gujarat en tenant un discours de haine contre la communauté musulmane.

Il fera ainsi 4 mandats comme gouverneur de cet État dont il vante le dynamisme économique tandis que les analystes notent que la situation se dégrade sur le front de la lutte contre la pauvreté et la malnutrition ainsi qu’en matière d’éducation. Mais Narendra Modi s’avère expert en communication, organisant des chats sur les réseaux sociaux dont il maîtrise parfaitement les codes, à la manière de son ami Donald Trump, tandis qu’il multiplie le recours aux hologrammes pour se démultiplier dans les campagnes tant pour sa quatrième élection à la tête du Gujarat en 2012 que lors de sa campagne nationale en 2014.

Narendra Modi aux côtés de Donald Trump lors d’un meeting à Houston, au Texas, le 22 septembre 2019 (photo © Saul Loeb / Getty Images / Foreign Policy)

Depuis qu’il est à la tête de l’Inde, Narendra Modi a résolument tourné le dos à la tradition socialiste et laïque soutenue pendant des décennies par le Congrès national indien, le parti de Jawaharlal Nehru et du Mahatma Ghandi. Il prône un capitalisme débridé dans lequel les privatisations jouent un grand rôle, et un nationalisme religieux hindou qui ne fait qu’attiser les tensions avec la communauté musulmane, surtout après l’attentat islamiste de Pulwama, dans le Cachemire en février 2019. Depuis le début de son deuxième mandat, en mai 2019, Modi mise tout sur l’exaltation du nationalisme indien et joue à fond sur le culte de sa personnalité, s’érigeant en protecteur de l’Inde face aux menaces extérieures de la Chine, du Pakistan et des islamistes, ce qui englobe à ses yeux les musulmans du Cachemire.

Une vision politique qu’on pourrait qualifier somme toute de nationale-populiste, pas forcément très rassurante pour la plus grande démocratie du Monde…

L. V.

Mauritanie : un procès hors normes…

2 mars 2023

La Mauritanie, ce pays de 4,5 millions d’habitants, pauvre et largement désertique, qui s’étend au sud du Maroc et de l’Algérie, limitrophe du Sénégal et du Mali, fait partie de ces nations où la justice et la démocratie peinent encore à s’exprimer. L’ONG Transparency International le classe d’ailleurs en 140e position parmi 180 pays, avec un indice de perception de la corruption de 28, équivalent à celui du Pakistan ou de l’Ouzbékistan, bien loin derrière la Nouvelle-Zélande ou le Danemark qui plastronnent avec un indice de 88…

Et pourtant, un événement assez inattendu vient de s’y produire. Mercredi 25 janvier 2023, s’est ouvert, à la Cour criminelle de la capitale, Nouakchott, le procès pour corruption de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui n’est autre que l’ancien chef de l’État, au pouvoir de 2008 à 2019. Il est accompagné dans le box des accusés en forme de cage par deux anciens Premiers ministres, Yahya Ould Hademine et Mohamed Salem Ould El-Béchir, ainsi que 7 autres personnalités de haut rang, anciens ministres ou ex directeurs de sociétés nationales prestigieuses.

Rassemblement le 25 janvier 2023 devant la Cour criminelle à Nouakchott, où s’est ouvert le procès de l’ancien Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz (photo © Mohamed Lemine Rajel / AFP / Jeune Afrique)

Le procès s’est interrompu le 13 février pour au moins 15 jours, à la demande des avocats de l’ex Président de la République islamique de Mauritanie, poursuivi pour corruption, trafic d’influence et enrichissement illicite. Ces derniers plaident en effet le caractère anticonstitutionnel de la procédure, estimant que le dossier est biaisé par le fait que, selon la loi mauritanienne, les autorités qui enquêtent sur un dossier de corruption sont directement intéressées en se récompensant sur les biens confisqués, ce qui ouvre en effet la voie à bien des tentations…

En réalité, l’ex président semble surtout victime d’un règlement de compte politique de la part de son ancien ami et ex ministre de la Défense, le général Mohamed Ould Ghazouani, qui lui a succédé à la tête de l’État le 1er août 2019, élu dès le premier tour avec 52 % des suffrages.

L’actuel Président de la République islamique de Mauritanie, Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, à Charm el-Cheikh, le 7 novembre 2022 (photo © Bandar al-Jaloud / AFP / Jeune Afrique)

Le président sortant d’alors, Mohamed Ould Abdel Aziz, ne pouvait se représenter après avoir accompli deux mandats présidentiels et il avait tout fait pour que ces élections soient remportées par son fidèle ministre Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, tout en laissant entendre qu’il ne comptait pas se retirer de la vie politique et que rien ne l’empêcherait de revenir au pouvoir à l’occasion de l’échéance présidentielle suivante, comme Vladimir Poutine l’avait fait en 2012 après avoir laissé Medvedev dirigé le pays le temps d’un mandat : un simple petit arrangement temporaire entre amis, en somme…

Il faut dire que Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même, n’était pas arrivé au pouvoir de manière très démocratique. Militaire de formation, il fut l’aide de camp du colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya lequel avait renversé en 1978 le président Moktar Ould Daddah, puis en 1984 son successeur Mohamed Khouna Ould Haidalla avant de diriger le pays d’une main de fer pendant plus de 20 ans jusqu’en 2005. En 2003, Ould Abdel Aziz devenu entre-temps colonel à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle avait déjoué un putsch militaire visant à renverser le chef de l’État, mais 2 ans plus tard il s’associe avec son cousin, le colonel Ely Ould Mohamed Vall pour mener un nouveau coup d’État en profitant de l’absence du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, alors aux obsèques du roi Fahd d’Arabie.

L’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz à Nouakchott le 1er août 2019 (photo © Seylou / AFP / RFI)

Élevé en janvier 2008 au grade de général par le nouveau président élu en 2007, Sidi Ould Cheikh Habdallahi, Mohamed Ould Abdel Aziz s’empare du pouvoir dès le mois d’août 2008 par un nouveau putsch militaire, avant de se faire élire à la présidence le 18 juillet 2009 puis de rempiler pour un second mandat de 5 ans en juin 2014, ce qui lui permet de présider pendant un an l’Union Africaine. Très actif dans la création du G5 Sahel, il remporte de francs succès dans la lutte contre le terrorisme islamiste dont les attaques sur le sol mauritanien ont quasiment cessé depuis 2011.

Pour autant, son bilan économique et social, lorsqu’il laisse le pouvoir en 2019 à un autre général, Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, alors son ministre de la Défense, n’est pas des plus brillants. La dette du pays atteint des sommets à plus de 100 % du PIB et l’extrême pauvreté touche les trois-quarts de la population tandis que la Mauritanie se place en 129e position sur 130 pays pour la qualité de son système éducatif et que les inégalités sociales entre populations maures et noires explosent.

Habitat informel en Mauritanie, un pays où la pauvreté touche au moins les trois-quarts de la population (source © Chez Vlane)

Toujours est-il que le nouveau président Ould Cheikh el-Ghazouani, sitôt dans le fauteuil présidentiel en profite pour raffermir sa main mise sur le parti et lance dès 2020 une commission parlementaire chargée de passer au crible la gestion de son prédécesseur. En août 2020, six anciens ministres sont placés sous contrôle judiciaire après avoir été auditionnés dans le cadre de juteux contrats, et le 17 août Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même est arrêté, accusé de corruption et de détournement de biens publics. Interdit de quitter le territoire depuis septembre 2020, l’ancien président a été inculpé en mars 2021 puis de nouveau arrêté en septembre 2021 après que les enquêteurs aient démoli sa maison de Beni Chab, à la recherche d’or caché…

L’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz alors en exercice, entouré de sa garde présidentielle en novembre 2015 (photo © Bruno Fanucchi / Paris Match / Mozaikrim)

Victime d’un AVC et opéré du cœur en décembre 2021, Mohamed Ould Abdel Aziz purge sa détention à domicile en attendant son procès annoncé depuis juin 2022 et qui vient donc de commencer. Selon son dossier judiciaire, les sommes qu’il est accusé d’avoir détournées s’élèvent à 90 millions de dollars et son patrimoine est composé de 17 maisons, 468 terrains et plusieurs troupeaux, dont il n’explique pas réellement l’origine. Il lui est surtout reproché l’attribution de marchés douteux concernant notamment la vente de domaines nationaux mais aussi la gestion de droits de pêche attribués à une société chinoise qui transbordait illégalement en haute mer le produit de plusieurs chalutiers sur un bateau collecteur. La commission d’enquête estime à 24 millions de dollars les fonds détournés pendant des années et placées frauduleusement sur des comptes à l’étranger.

Le chef de l’État mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz sur son lit d’hôpital à Nouakchott le 14 octobre 2012 avant son évacuation sanitaire vers Paris pour être opéré après avoir reçu plusieurs balles pour avoir forcé imprudemment un barrage militaire (photo © AMI / Jeune Afrique)

L’avenir de l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz paraît décidément bien sombre, à moins qu’un nouveau coup d’État ne vienne opportunément changer la donne : la Mauritanie n’en est plus à un putsch militaire près, dans ce pays où l’armée est plus que jamais omniprésente, au point que le Président déchu Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même, alors qu’il était chef de l’État tout puissant, s’était fait tirer dessus par une patrouille militaire, le 13 octobre 2012 en regagnant Nouakchott à la nuit tombante au volant de son puissant Toyota V8. Une simple erreur d’un lieutenant zélé à qui on avait donné l’ordre de tirer sur tout véhicule suspect refusant d’obtempérer : en Mauritanie, mieux vaut se méfier du pouvoir des militaires, habitués à une certaine impunité…

L. V.

Brésil : la démocratie menacée

14 janvier 2023

Quasiment deux ans, jour pour jour, après l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, par des partisans déchaînés de Donald Trump, incapables de reconnaître la défait électorale de ce dernier aux élections présidentielles américaines, voilà que ce mauvais scénario s’est répété, quasi à l’identique, le 8 janvier 2023, à l’instigation de l’ex-président brésilien, Jair Bolsonaro, très proche de Donald Trump, y compris physiquement puisqu’il se trouvait justement en Floride lors de ces événements dramatiques…

Les affrontements violents qui se sont produits à Brasilia, ce dimanche 8 janvier, une semaine seulement après l’investiture officielle du président Luiz Inácio Lula da Silva, élu avec 50,9 % des suffrages à l’issue d’un second tour très mouvementé le 20 octobre dernier, ressemblent en effet fort à une tentative de coup d’État dans ce pays qui a connu plus de 20 ans de dictature militaire entre 1964 et 1985. Des milliers de supporters de Jair Bolsonaro, revêtus du maillot jaune de la Seleção et arborant des drapeaux brésiliens, ont en effet délibérément pris d’assaut les lieux symboliques du pouvoir, sous les yeux assez passifs d’une police militaire débordée voire complice.

Le 8 janvier 2023 à Brasilia, la foule des manifestants bolsonaristes envahit les bâtiments du Congrès (photo © Sergio Lima / AFP / Le Monde)

Le monde entier a ainsi pu voir, comme il y a deux ans à Washington, ces militants acquis aux valeurs de l’extrême-droite, s’en prendre ouvertement aux institutions républicaines de leur pays, rassemblées ici sur la place des Trois-Pouvoirs, imaginée et conçue par le grand architecte brésilien Oscar Niemeyer : le Congrès qui rassemble le Sénat et la Chambre des députés, avec son immense rampe et ses coupoles de béton, le Tribunal suprême fédéral sous forme d’un cube de verre symbolisant la transparence de la Justice, et le parallélépipède de marbre ocre du Planalto, lieu de travail du Chef de l’État. Pendant plusieurs heures, les manifestants survoltés ont littéralement envahi les lieux, brisant les vitres pour pénétrer dans les bâtiments officiels où ils ont commis de nombreux saccages.

Des partisans de Jair Bolsonaro s’attaquent aux vitres du Tribunal suprême fédéral à Brasilia le 8 janvier 2023 (photo © Ton Molina / AFP / France TV info)

Chauffés à blanc par les discours complotistes de leur mentor, ces manifestants avaient au préalable fait le siège du quartier général de l’armée où ils tentaient depuis des semaines de faire adhérer à leur cause les forces militaires réputées proches de l’ancien capitaine d’artillerie devenu Président de la République, Jair Bolsonaro. Mais contrairement à la police militaire aux ordres du gouverneur de l’État de Brasilia, un proche de Bolsonaro qui a d’ailleurs été depuis suspendu de ses fonctions, l’armée a jusqu’à présent conservé son rôle constitutionnel et n’est pas intervenue, ce qui a permis à la police de reprendre rapidement le contrôle des lieux et de procéder à plusieurs centaines d’arrestations.

Le Président Lula, qui était en déplacement au moment de l’attaque, est rapidement revenu sur place, rappelant que « la démocratie garantit la liberté d’expression, mais elle exige aussi que les institutions soient respectées » et considérant que « ce qu’ont fait ces vandales, ces fascistes fanatiques […] est sans précédent dans l’histoire de notre pays ». Des paroles fortes qui seront sans doute suivies de condamnations fermes de ces débordements bien peu démocratiques, car la situation reste fragile pour le nouveau Président, revenu au pouvoir après avoir été condamné à 12 ans de prison en 2018 pour l’empêcher de se représenter aux élections présidentielles où il était pourtant donné largement favori. Libéré en 2019, il est finalement blanchi en 2021 par le Tribunal suprême fédéral qui reconnait la partialité du juge Sergio Moro qui l’avait fait condamner.

Le président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva, en chemin vers le Congrès afin d’y prêter serment avant d’être investi, à Brasilia, le 1er janvier 2023 (photo © André Penner / AP / Le Monde)

Lors de ses deux premiers mandats présidentiels, entre 2003 et 2010, Lula avait pourtant réussi à faire sortir le Brésil de la politique d’austérité imposée jusque-là par le FMI et à engager son pays sur la voie de la croissance économique tout en permettant à plus de 30 millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté grâce à ses politiques sociales ambitieuses. Il quitte d’ailleurs le pouvoir avec une popularité record et n’a aucun mal à faire élire à sa place sa chef de cabinet Dilma Rousseff.

Mais les nombreux scandales financiers et la corruption persistante qui gangrène le monde politique brésilien, y compris au sein de l’appareil judiciaire, ont largement fissuré depuis cette belle réussite. Dilma Rousseff est destituée par le Parlement en août 2016, lors de son second mandat, ce qui permet l’arrivée au pouvoir du populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro, élu fin 2018 et qui se singularise par une gestion catastrophique de la crise de Covid-19 qui fait plus de 700.000 morts au Brésil tandis que la déforestation de l’Amazonie repart en flèche sous la pression du lobby de l’agro-alimentaire.

L’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, proche des milieux militaires et du lobby des armes (photo © Clauber Caetano / Présidence de la République / AFP / BFM TV)

Rien d’étonnant dans un tel contexte de retrouver un climat aussi tendu à l’occasion du retour dans l’arène politique de l’ex-syndicaliste Lula qui participait en 2022, à 77 ans, à sa sixième élection présidentielle face à un Jair Bolsonaro tout puissant et dont le parti arrive d’ailleurs largement en tête lors des élections au Sénat comme à la Chambre des députés. Jamais le Brésil n’a connu un scrutin présidentiel aussi serré dans un pays totalement polarisé et où la campagne politique s’est soldée par plusieurs assassinats de militants de gauche.

Le jour même du scrutin, de vastes opérations de contrôle routier orchestrées par la police militaire de plusieurs États bloquent des milliers d’électeurs sur les routes, les empêchant de se rendre à temps dans les bureaux de vote, tandis que plusieurs églises évangéliques accusent Lula de satanisme, rien de moins ! Bolsonaro lui-même refuse de reconnaître sa défaite à l’issue du scrutin et s’enferme dans le mutisme tandis que ses partisans bloquent les routes pendant plusieurs semaines et font le siège des casernes pour appeler l’armée à « sauver le Brésil »…

Un militaire brésilien bolsonariste en transe à Rio de Janeiro en novembre 2022… (photo © Bruna Prado / AP / Le Grand Continent)

Un climat de tension qui explique donc largement les débordements que l’on a vu à Brasilia une semaine seulement après l’investiture du nouveau Président. Celui-ci aura certainement fort à faire pour gouverner le pays, au sein d’une coalition pour le moins hétéroclite dans laquelle le Parti des Travailleurs est finalement très minoritaire et où beaucoup sont prêts à se vendre au plus offrant tandis que les principaux États du pays sont aux mains de gouverneurs proches de Bolsonaro. L’avenir du Brésil risque de ne pas être un long fleuve tranquille et on souhaite bien du courage au nouveau Président élu…

L. V.

Métropole : vers plus de solidarité ?

22 décembre 2022

Depuis sa création en janvier 2016, accouchée au forceps sous la pression de l’État et malgré l’opposition frontale de la plupart des élus locaux des communes périphériques, la Métropole Aix-Marseille-Provence soufrait dès sa naissance de malformations congénitales. Pour apaiser les susceptibilités des 91 autres maires de l’aire métropolitaine, tous vent debout contre l’idée même d’une solidarité avec la ville centre, qui regroupe pourtant à elle seule près de la moitié des habitants de la Métropole, son premier président, l’inoubliable Jean-Claude Gaudin, avait dû faire profil bas et accepter un montage très acrobatique laissant une grande latitude aux maires des autres communes, tous représentés au sein d’un Conseil métropolitain pléthorique et faisant la pluie et le beau temps via des Conseils de territoires, vestiges des anciennes intercommunalités toujours actives.

Manifestation d’élus locaux contre le projet de métropole Aix-Marseille, ici en 2012 : une volonté bien théorique de solidarité… (source © Marsactu)

Tout ceci était supposé transitoire, mais comme souvent le provisoire dure et ce n’est pas celle qui lui a succédé, Martine Vassal, qui allait tenter d’apporter un peu de cohérence dans cette institution de plus en plus bancale. Il a donc fallu que l’État, une fois de plus, vienne mettre son nez dans l’usine à gaz, à la suite de moult rapports saignants de la Chambre régionale des Comptes. Mais il a surtout fallu une alternance politique en 2020, à la tête de la cité phocéenne, pour enfin commencer à faire bouger les lignes.

Via une évolution législative, les parlementaires ont fini par imposer la disparition des fameux Conseils de territoires, totalement anachroniques, et ceci depuis le 1er juillet dernier, laissant jusqu’au 31 décembre 2022 aux élus métropolitains pour revoir la répartition des compétences entre communes et métropole, dans le nouveau cadre réglementaire. Et forcément, malgré toutes ces alertes et ces rappels à l’ordre, il s’en est fallu d’un cheveu pour que les maires des communes périphériques fassent capoter le dispositif en s’arque boutant sur leurs acquis.

Benoit Payan et Martine Vassal côte à côte lors de la cérémonie commémorative le 8 mai 2022 (photo © David Rossi / La Provence)

Il a carrément fallu que le Maire de Marseille, Benoit Payan, sorte l’arme de dissuasion massive en menaçant de reprendre à son compte les compétences liées à l’entretien et au nettoyage des rues, ainsi qu’au ramassage des ordures, ce qui aurait obligé les autres communes de l’ancienne communauté urbaine, dont Carnoux, d’en faire autant, ce dont elles ne voulaient bien évidemment à aucun prix… Avec de tels arguments, la Métropole a fini par céder in extremis et les deux institutions sont enfin parvenues à un accord historique entériné jeudi 15 décembre 2022 en Conseil métropolitain, et le lendemain, vendredi 16 décembre au Conseil municipal de Marseille.

Réunion du Conseil métropolitain au Pharo (source © Marsactu)

Le ramassage des ordures mais aussi l’entretien de la voirie y compris la propreté des trottoirs, l’aménagement des pistes cyclables, les arbres d’alignement ou encore l’éclairage public resteront donc bien des compétences métropolitaines comme la loi le prévoit et comme le bon sens le suggère. Mais la Métropole s’est engagée à investir 200 millions d’euros en 4 ans, hors gros chantiers structurant, pour améliorer l’état des rues de Marseille. Et surtout, la Métropole accepte le principe que deux élus marseillais soient délégués pour suivre d’une part les dossiers liés à la propreté (rôle qui pourrait être dévolu à Christine Juste, adjointe à l’environnement) et d’autre part ceux liés à la voirie, à l’espace public et à l’éclairage (probablement destiné à Perrine Prigent, en charge de la valorisation du patrimoine et des espaces publics).

Travaux de voirie à Marseille : toujours de compétence métropolitaine mais avec un droit de regard de la Ville… (photo © Laura Botella / TPBM)

Une décision de bon sens qui ne pourra qu’être bénéfique pour la propreté des rues marseillaises, jusqu’à présent sous la houlette du maire de Châteauneuf-les Martigues, comprenne qui pourra ! « Je suis un maire qui ne peut pas changer une ampoule » a ainsi coutume de dire Benoit Payan, « mais maintenant je peux rentrer dans le magasin et voir où elles sont… ». Une évolution d’autant plus notable qu’elle s’accompagne d’une véritable ambition désormais affichée par la Métropole dans son rapport d’orientations budgétaires présenté le 15 décembre avec un objectif de 700 millions d’euros d’investissement en 2023 dont 300 millions pour les seuls transports en commun, enfin ciblés comme une vraie priorité métropolitaine.

L’autre grande avancée de ce nouveau pacte financier entre la Ville de Marseille et la Métropole est l’élargissement de la dotation de solidarité communautaire qui jusqu’à cette année se réduisait à la somme ridicule de 100.000 € dont 50.000 € seulement pour la ville de Marseille, pourtant de loin la plus exposée à la pauvreté de ses habitants. Comme l’avait pointé la Chambre régionale des Comptes, l’essentiel de ces transferts entre la Métropole et les communes se fait via les attributions de compensation, jugés largement indues par les magistrats de la CRC.

Maquette de la future place Castellane à Marseille, actuellement en travaux pour l’extension du tramway (source © Nostram / Pixxim / Métropole AMP / Made in Marseille)

Dès 2023, cette dotation de solidarité sera portée à 22,5 millions d’euros dont 15 M€ destinés à la ville de Marseille, championne toute catégorie en matière de pauvreté d’une large part de ses habitants et en nombre de quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville. Cet effet sera porté à 30 M€ en 2024 et 45 en 2025, ce qui n’empêchera pas Marseille de rester le parent pauvre de ce dispositif, qui pointera alors à la 70e place des 92 communes métropolitaines. Le rééquilibrage était donc bien indispensable ! A titre d’exemple, la commune de Carnoux, dont le budget communal est chroniquement excédentaire, devrait percevoir en 2023 plus de 61 k€ de dotation de solidarité, soit quasiment 10 € par habitant contre un peu plus de 15 € par habitant sur Marseille : on a connu solidarité plus marquée…

Il n’en reste pas moins que chacun s’inquiète déjà de savoir comment va être payée cette solidarité si nouvelle au sein de l’aire métropolitaine et qui heurte profondément les maires des communes périphériques les plus riches. Une des premières pistes évoquées, avant même le rééquilibrage des fameuses attributions de compensation pourtant pointées par la CRC, sera l’augmentation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, un service métropolitain qui coûte de plus en plus cher et qui va se traduire par une hausse de 20 à 120 € par foyer selon les communes. Décidément, la gestion des ordures reste un des talons d’Achille de notre Métropole encore en chantier…

L.V.

Le Conseil départemental épinglé par la CRC

31 octobre 2022

La Chambre régionale des Comptes (CRC PACA) vient de rendre public, lundi 24 octobre 2022, un rapport sur la gestion du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône entre 2013 et 2020, et les magistrats régionaux ne sont pas particulièrement tendres avec cette administration mastodonte qui compte près de 8000 agents en équivalents temps plein pour administrer le troisième département le plus peuplé de France.

La période d’analyse est intéressante si l’on se souvient que lors des élections départementales de mars 2015, le Département des Bouches-du-Rhône, majoritairement à gauche depuis 60 ans et présidé depuis 1998 par Jean-Noël Guérini, avait alors basculé à droite et est depuis cette date présidée par Martine Vassal, réélue d’ailleurs à ce poste en juin 2021 tout en cumulant depuis septembre 2118 cette présidence avec celle de la Métropole Aix-Marseille-Provence après avoir échoué en 2020 à remporter de surcroît la mairie de Marseille.

L’analyse détaillée de la CRC figure dans deux cahiers distincts dont la lecture est très instructive pour un citoyen attentif à la bonne utilisation des deniers publics et au bon fonctionnement de la démocratie locale. Le premier traite des compétences prises en charge par le Département, de sa gestion financière et de sa gestion des ressources humaines. Le second est axé sur la gestion de son patrimoine immobilier, sur ses pratiques en matière de marchés publics et sur les subventions octroyées aux associations.

Martine Vassal annonçant que le Département des Bouches-du-Rhône est candidat pour expérimenter le RSA conditionné à des heures de travail (photo © Franck Pennant / La Provence)

Et le moins qu’on puisse dire est que, sur chacun de ces points, l’analyse des magistrats de la CRC, n’est pas très élogieuse ! Rien que le périmètre de compétences réellement assumées pose problème, la CRC relevant que le Département, qui a pourtant réglementairement perdu sa clause de compétence générale, continue allègrement d’exercer des compétences, notamment en matière de transport public et d’aide au développement économique, qui relève désormais d’autres collectivités, Métropole ou Région notamment. Ainsi, alors que la création de la Métropole en janvier 2016, aurait dû entraîner un transfert automatique de la totalité des 1959 km de routes départementales situées sur son périmètre, seuls 53 km de ce réseau a effectivement été transféré à la Métropole en 2017 et 61 km sont toujours en cours de transfert depuis 2018 !

Les relations entre Département et Métropole font d’ailleurs l’objet d’interrogations de la part de la CRC, du fait de la forte interaction entre ces deux structures, sachant que 90 des 119 communes des Bouches-du-Rhône, représentant près de 92 % de la population départementale sont désormais dans le giron métropolitain. Curieusement, alors que les rumeurs de fusion entre les deux structures semblent s’éloigner, jamais les deux collectivités n’ont été aussi proches avec de multiples groupements d’achats, une politique de communication commune (au service de leur présidente unique) et un transfert financier massif du Département en faveur de la Métropole dont les subventions d’investissement ont été multipliées par 3 entre 2016 et 2020. La Métropole reçoit à elle-seule près de 30 % des aides du Département à l’investissement !

Le Bateau bleu, le siège du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône qui ne passe pas inaperçu (source © Structurae)

Cette question des aides massives accordées par le Conseil départemental aux communes et intercommunalités, n’en finit d’ailleurs pas d’étonner la CRC. Celle-ci constate ainsi une augmentation de 25 % des dépenses d’investissement du Département entre 2028 et 2020, liée non pas à ses propres investissements (dans la voirie et les collèges principalement) mais à des subventions aux autres collectivités qui représentent en 2020 plus des deux-tiers du total ! Certes, la loi autorise le Département à participer ainsi à l’aide aux projets des communes mais à un tel niveau, c’est du jamais vu…

D’autant que les critères de distribution de cette manne départementale semblent bien opaques, conduisant à des déséquilibres territoriaux qui intriguent la CRC : sur la période analysée, de 2013 à 2020, la Ville de Marseille a ainsi reçu un total de 170 € par habitant tandis que se voisine de Gignac-la-Nerthe a empoché 2611 € par tête de pipe. On n’ose imaginer le montant pour la ville de Carnoux où le moindre investissement est subventionné à plus de 60 % par le Département…

Alors que la situation budgétaire du Conseil départemental se dégrade d’année en année avec un endettement multiplié quasiment par 4 sur la période d’observation, la CRC s’étonne de cette générosité inhabituelle en faveur des communes, notant de manière feutrée et très diplomatique que « cette politique, davantage distributive que redistributive, ne répond que partiellement à un objectif de solidarité territoriale ». Une critique déguisée de clientélisme qui avait d’ailleurs fait l’objet d’échanges peu amènes lors du débat sur le rapport de la CRC qui avait eu lieu vendredi 21 octobre en séance publique du Conseil départemental. Danielle Milon, maire LR de Cassis et bombardée 1ère Vice-Présidente du Département déléguée au tourisme (tout un symbole qui en dit long sur les priorités de Martine Vassal), a tenté de justifier ce choix en expliquant, de manière aussi maladroite que malheureuse : « Martine Vassal a rétabli les inégalités qui existaient avant son élection en 2015 » : on ne saurait mieux dire en effet…

Le rapport de la CRC a été présenté et débattu lors de la séance du Conseil départemental du 21 octobre 2022 (source © CD 13)

On passera pudiquement sur les critiques acerbes de la CRC concernant une gestion budgétaire assez approximative, une méconnaissance du patrimoine publique, l’absence de stratégie pour la maintenance des collèges comme pour celle des espaces naturels sensibles, ou encore une politique de commande publique erratique et peu optimisée. Et encore, le rapport n’évoque même pas les déboires récents de certains de ses agents dont un ancien chef de service, Renaud Chervet, jugé au tribunal depuis le 24 octobre pour corruption après avoir été filmé en train de recevoir 10.000 € en liquide de la main d’un entrepreneur en échange d’un coup de main pour obtenir une grosse commande publique de la part du Département.

On passera aussi sur la question des subventions départementales aux quelques 48.000 associations recensées dans les Bouches-du-Rhone et dont 3.500 en moyenne bénéficient chaque année d’un coup de pouce financier qui représente quand même au total pas loin de 100 millions d’euros par an, partagé en 2020 entre 3.049 associations seulement alors que 7.300 dossiers de demande avaient été déposés. Là encore, la CRC s’étonne des disparités territoriales criantes dans la répartition de ces financements…

Renaud Chervet, ancien cadre du CD 13, lors de son procès pour corruption, avec, à droite, l’entrepreneur qui avait filmé la remise de billets en mains propres (photo © Jean-François Giorgetti / France 3)

En matière de gestion des ressources humaines, les magistrats de la CRC tombent de leur chaise en constatant que sur les près de 8000 agents que compte l’institution, seuls 11 d’entre eux relèvent d’un cycle de travail qui respecte effectivement la durée légale de 1607 heures annuelles, fixée par un décret datant quand même de juillet 2001. On ne saura pas qui sont ces valeureux héros qui sauvent l’honneur de la fonction publique territoriale, mais la CRC relève que tous leurs collègues bénéficient de congés supplémentaires indus qui, mis bout à bout, représentent plus de 200 postes à temps plein.

Sur ce sujet, la CRC se montre, pour une fois, assez sévère en écrivant sans détours : « la collectivité est invitée à régulariser cette situation au plus tard pour le 1er janvier 2023, ainsi qu’à renforcer son dispositif de contrôle des heures supplémentaires réalisées et payées aux agents ». A un mois seulement des élections professionnelles prévues début décembre et qui verront les différents syndicats se livrer à la surenchère habituelle, voila une belle pierre dans le jardin de Martine Vassal : il serait fort étonnant que la CRC constate la moindre évolution dans ce domaine d’ici le 1er janvier prochain…

L. V.

PLUi d’Aubagne : une urbanisation toujours galopante…

16 octobre 2022

Le Pays d’Aubagne et de l’Étoile n’a plus vraiment d’existence légale en tant qu’entité administrative autonome et le Conseil de territoire qui constituait le dernier vestige de cette ancienne communauté d’agglomération a disparu au 1er juillet 2022. Et pourtant, la Métropole Aix-Marseille-Métropole n’a pas encore vraiment tiré les conclusions de cette intégration métropolitaine, continuant à élaborer son PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) par petits morceaux, en se calant sur le périmètre des anciennes intercommunalités désormais disparues.

Et c’est ainsi qu’elle vient d’ouvrir, le 21 septembre 2021 et pour une durée d’un mois, l’enquête publique concernant l’élaboration du premier PLUi couvrant les 12 communes de l’ex Pays d’Aubagne et de l’Étoile, largement développé autour de la partie amont de la vallée de l’Huveaune, depuis Saint-Zacharie (dans le Var) jusqu’à la Penne-sur-Huveaune, en passant bien sûr par Aubagne. Une configuration d’autant plus curieuse que ce périmètre englobe la commune de Cuges-les-Pins qui n’est pourtant limitrophe d’aucune des autres communes concernées, mais pas Gémenos qui figure néanmoins en plein cœur du territoire, occupant l’essentiel de la riche zone des Paluds. Une incohérence telle que la photo choisie par la Métropole pour illustrer ce futur PLUI est justement centrée sur ce secteur hors PLUi !

La plaine agricole des Paluds, largement occupée désormais par la zone industrielle et commerciale malgré son caractère inondable (source © Métropole AMP)

Comme pour le PLUi adopté fin 2019 sur le territoire adjacent de l’ex communauté urbaine MPM, englobant Carnoux, celui qui est ainsi soumis à consultation sur le Pays d’Aubagne et de l’Étoile n’est bien entendu qu’une simple agrégation, après actualisation, des anciens PLU élaborés à l’échelle communale et qui restent applicables jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau document réglementaire, prévue pour 2023 si tout va bien, avec seulement quelques années de retard.

Plan d’assemblage des planches du PLUI d’Aubagne accessible via une carte interactive (source © Métropole AMP)

Force est cependant de reconnaître que rien n’est acquis concernant l’adoption de ce précieux document destiné à servir de cadre réglementaire, pour les années à venir, pour tous les projets d’urbanisation et plus généralement d’aménagement du territoire sur ce périmètre. Avant même le début de l’enquête publique, pour laquelle les services de la Métropole ont mis à disposition un site dédié avec un registre numérique d’enquête et même une carte interactive, les critiques pleuvent en effet sur ce projet que beaucoup considèrent comme totalement anachronique.

Le préfet lui-même, Christophe Mirmand, a sorti la grosse artillerie pour tirer à boulets rouges en écrivant à Martine Vassal en personne, dès le 9 septembre 2022, pour lui faire part de ses plus extrêmes réserves quant à la régularité de ce projet de PLUI, pointant du doigt de graves manquements en matière de prise en compte des risques naturels, notamment dans la vallée de l’Huveaune largement inondable, de préservation des paysages et de l’environnement, de production insuffisante de logements et surtout de consommation excessive des espaces agricoles. Le PLUi prévoit en effet de consommer pas moins de 275 hectares pour les urbaniser, ce qui n’est pas autorisé par la législation actuelle, la loi Climat exigeant de diviser par deux la consommation de nouveaux espaces au cours de la prochaine décennie 2022-2031.

Les lotissements de maisons individuels perdues dans la pinède, fortement consommatrices d’espace, coûteuses à desservir en infrastructures et fortement exposés aux feux de forêt : un modèle à oublier ? (source © Novelisimmo)

Et paradoxalement, il ne prévoit pas assez de nouveaux logements, préférant continuer à s’étaler par la construction de nouveaux lotissements sur les riches terres agricoles (et irriguées) de la vallée alluviale de l’Huveaune, plutôt que de densifier les zones déjà urbanisées des centres-villes, en voie de paupérisation et de désertification. L’heure n’est plus à la disparition des précieuses terres maraîchères autour desquelles pourrait se redévelopper une agriculture de proximité et des circuits courts d’approvisionnement. Elle n’est plus non plus à l’étalement urbain avec des villas individuelles de plus en plus éloignées des lieux de vie et des espaces de travail, de plus en plus coûteuses en infrastructures et impossible à desservir en transports en commun. Il est temps désormais de sanctuariser espaces naturels et terrains agricoles tout en densifiant les centres urbains plus faciles à relier aux transports publics, notamment près des prochaines gares du Val’Tram, ce qui suppose de construire des logements à la place des friches industrielles et des hangars commerciaux en voie de délaissement.

Terres agricole et espaces naturels destinés à être inexorablement grignotés au profit de nouveaux lotissements via le PLUi d’Aubagne… (photo © Clémentine Veysse / Marsactu)

Bref, tout l’inverse de ce que prévoit la Métropole avec ce PLUi hors du temps qui, du coup, déclenche des critiques tous azimuts avant même son adoption. La Chambre d’agriculture tire elle-même la sonnette d’alarme depuis des mois sans être entendue, regrettant que l’on puisse ainsi ouvrir à lotissement les terres agricoles les plus riches et les mieux aménagées, à proximité des marchés de distribution. L’Agence régionale de santé pointe de son côté de graves défaillances de ce projet d’aménagement du territoire qui ne tient pas compte, pour la délimitation des zones à urbaniser, des nuisances sonores, de la pollution de l’air ou encore des réseaux d’assainissement inadaptés.

Quant à France Nature Environnement, la FNE 13 pointe les incohérences de fond de ce PLUi qui ne prend pas assez en compte les risques naturels, y compris celui lié aux feux de forêt, de plus en plus inquiétants, et qui prévoit d’aggraver encore l’étalement urbain alors que celui-ci a déjà consommé, au cours des 10 dernières années 160 ha de zones agricoles et 192 ha d’espaces naturels, pour accueillir au total 3000 habitants supplémentaires. Or, le diagnostic préalable au PLUi identifie pas moins de 420 ha de potentiel constructible au sein des zones urbaines, ce qui offre la possibilité de construire 7000 nouveaux logements et même plus de 12 000 en densifiant un peu, selon les recommandations des services de l’État.

Le projet de Val’Tram, une opportunité pour densifier les centres urbains près des accès aux transports en commun tout en restaurant la place de la nature en ville (source © Gautier Conquet Architectes / Made in Marseille)

Bref, la Métropole peut d’ores et déjà s’attendre, avant même la fin de l’enquête publique ouverte jusqu’au 20 octobre, à devoir revoir entièrement sa copie. Un comble pour un processus de longue haleine engagé en février 2019 et qui a fait l’objet de multiples concertations et réunions publiques en amont. En démocratie, il ne suffit pas de consulter, encore faut-il aussi écouter et prendre en compte les avis des intéressés, une règle que Martine Vassal et ses équipes, préoccupées avant tout de faire plaisir aux élus locaux, ont peut-être un peu tendance à oublier…

L. V.

Cercles de Provence : on recycle !

12 octobre 2022

La Salle du Clos Blancheton accueillait le public, ce samedi 8 octobre 2022, pour une conférence intitulée « les Cercles, une sociabilité en Provence », animée par Pierre Chabert, enseignant chercheur et docteur en ethnologie.

En introduction, le Président du Cercle progressiste carnussien, Michel Motré, rappelle : « Notre association est jeune si on la compare aux autres cercles des communes voisines. Ainsi Le Cercle Républicain de Gémenos a fêté ses 150 ans et celui de Roquefort la Bédoule ses 140 ans ! Tous ces cercles constituent des espaces de sociabilité riches d’initiatives citoyennes, de culture et de solidarité. Aujourd’hui, nous vous proposons une conférence qui traite des Cercles et de leur évolution au travers des années.

Pierre Chabert, spécialiste de l’histoire des Cercles de Provence (photo © CPC)

Pour cela, nous avons fait appel à Pierre Chabert qui a retracé l’histoire des cercles en Provence dans un ouvrage publié au Presses Universitaires de Provence paru en 2006. Très récemment, avec l’appui de Pauline Mayer, chargée de mission inventaire du patrimoine immatériel, il a effectué une recherche sur l’évolution de ces chambrettes devenues cercles au travers d’une étude qui privilégie une pratique vivante (humaine). L’enquête se fonde sur des entretiens qui concernent le sud de la région : les Bouches du Rhône, le Var et les Alpes Maritimes. Le diaporama qui recense les différents cercles du territoire Provence verte et Verdon a été réalisé par Pauline Mayer qui nous l’a aimablement transmis pour la conférence. »

Cercle de Brue Auriac dans le Var (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

L’étude des cercles comporte plusieurs facettes : géographique, historique, ethnologique et politique. Pierre Chabert s’attache à développer ces différents aspects en insistant surtout sur les trois premiers points, l’aspect politique diffusant dans les trois.

Les cercles dans l’espace géographique

L’exposé s’interroge sur les raisons pour lesquelles les Cercles se sont développés, en particulier dans notre région entre l’Est du Rhône et l’Ouest du fleuve Var, comment ils ont évolué dans le temps et pourquoi ils se sont implantés dans certains territoires plutôt que sur d’autres. En dehors de ce territoire provençal, les cercles ont quasiment disparu sauf dans les Landes où ce sont essentiellement des assemblées de chasseurs, et en Alsace où l’orientation est plus religieuse.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, au début du XXe siècle (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

C’est en Europe, à partir de l’Italie qui comportait de nombreuses confréries de pénitents, conférant un caractère religieux à ces associations, que les émigrés introduisirent ces structures en France, dans le Sud-Est en particulier. La spécificité religieuse de ces cercles évolua selon des critères liés à l’activité professionnelle, aux intérêts culturels ou aux engagements sociaux comme politiques des populations concernées. Ces Cercles revêtent aussi localement un caractère corporatiste, regroupant des chasseurs, des pêcheurs, ou des employés et ouvriers de l’industrie et du commerce, cela sans oublier les cercles philharmoniques avec leur fanfare traditionnelle.

Les cercles dans l’histoire

Historiquement, les cercles se sont développés dans le cadre de la loi de 1901 sur les Associations, conquête de la politique sociale instituée par la IIIème République qui encadre le mouvement associatif. C’est ainsi que ces cercles se structurent de différentes manières, regroupant notamment des sympathisants de partis politiques de droite ou de gauche, dont les membres étaient soit plutôt des bourgeois, soit plutôt des ouvriers.

Chaque cercle possédait sa marque spécifique, conservant un fond religieux (pratique de la charité) ou optant pour une démarche plus progressiste (création de caisses de solidarité, de coopératives). La vocation restait cependant la même :  créer dans la ville, dans le village ou le quartier, un espace de sociabilité.

Cercle républicain des travailleurs de Roquefort la Bédoule (photo © CPC)

En continuant de remonter dans le temps, notre conférencier, situe avec l’avènement de la IIIème République les clivages constatés, parfois, entre les cercles d’une même localité, tels ceux de notre commune voisine de Roquefort-la-Bédoule avec le cercle dit « blanc » regroupant les notables et grands propriétaires terriens d’une part et d’autre part le Cercle Républicain des Travailleurs dit « rouge », celui des ouvriers et employés des fours à chaux.

Des liens souvent étroits entre coopératives agricoles et cercles : affiche à la Coopérative de Brignoles (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Cette ouverture constituait un progrès à cette époque si on se réfère à la situation précédente car au Second Empire, Napoléon III voyait dans ces assemblées un caractère dangereux pour le pouvoir, au point qu’il en interdit la création. Précédemment existaient en effet des structures de sociabilité informelles appelées « chambrettes ». Elles réunissaient une vingtaine de personnes dans un petit local (chambre, grange…) et avaient un caractère plus ou moins secret. C’est dans ce type d’assemblée que le mouvement de « la libre pensée » s’exprimait notamment au cours du Premier Empire, puis durant la restauration et la monarchie de juillet.

Dans la région, c’est en 1791 que l’on voit apparaître les premiers cercles à Saint Zacharie et au Beausset. Suivront notamment après 1870 la création de cercles républicains dont le nom est marqué par l’histoire : Cercles du 4 septembre 1870, en commémoration de la proclamation de la IIIème République. Auparavant, donc avant la Révolution, les « chambrettes » avaient plutôt une vocation religieuse et étaient tenues par des congrégations soucieuses de développer la pratique de la charité.

Sans remonter à l’époque romaine où existaient déjà des assemblées citoyennes, notons que c’est à la date de 1212 que l’on enregistre la création de la première « commune » par la confrérie du « Saint Esprit », avec pour objectif d’administrer la ville de Marseille. L’importance de cette filiation continue jusqu’à aujourd’hui, en effet de célèbres édiles de la ville de Marseille furent issue du « Cercle catholique de Mazargues » ou de celui de « la Renaissance de Sainte-Marguerite ».

Les cercles, quelques approches ethnologiques

Pour revenir à la période de prospérité des cercles que fut celle de la IIIème République et jusqu’au début de la seconde partie du XXème siècle, ces cercles ont eu pour vocation de regrouper essentiellement des hommes, cela dans l’esprit de l’époque, peu ouverte à l’émancipation des femmes. Ils regroupaient principalement des salariés autour des emplois fournis par les industries locales des tuileries, des chantiers navals à La Ciotat ou des mines de lignite autour de Gardanne. Initialement, pour y être admis il fallait être parrainé et les demandes d’adhésion faisaient l’objet d’un examen où la valeur de la moralité du candidat était prise en compte. Cela donnait droit à une carte de membre, qui pouvait se transmettre au sein d’une même famille.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, actuellement (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Ces cercles étaient le reflet de la société en modèle réduit, parfois politisés, mais recherchant essentiellement à développer la convivialité entre ses membres, proposer des activités culturelles (bibliothèque, fanfare musicale), gérer une coopérative ou une épicerie solidaire.

Les cercles pouvaient être propriétaires (par souscription) ou locataires des locaux qu’ils aménageaient souvent comme un second « chez soi » en les décorant avec des tableaux, des photos et autres objets dont une Marianne dans les cercles républicains. Les cercles étaient souvent « l’antichambre » de la mairie pour les prétendants à la fonction de premier magistrat de la commune. La réussite de l’organisation de fêtes et autres banquets républicains étaient le gage d’un succès d’estime auprès des populations. Cela suscitait aussi la rivalité entre cercles de tendances politiques différentes ou entre communes voisines avec des identités marquées.

Conclusion débat sur l’avenir des cercles

Au terme de son exposé et au cours des échanges qui suivirent avec le public Pierre Chabert a montré que le mode de vie actuel, l’organisation de la société, les comportements individuels ont entraîné un déclin de l’activité des cercles, voire leur disparition à l’exception de la partie Est de la Provence. La distance entre le domicile et le lieu de travail s’est considérablement allongée et les liens de voisinage s’affaiblissent. De plus, la concurrence des réseaux sociaux ne fait qu’accentuer l’individualisme au profit d’autres modes de communications et d’accès à la culture.

Une assistance passionnée pour cette conférence de Pierre Chabert (photo © CPC)

A ce bilan s’ajoute que parfois ces lieux ne sont pas reconnus pour leur apport à la culture populaire voire qu’ils sont soupçonnés d’être trop « politisés », alors même que le terme politique renvoie justement à la vie de la cité. Aujourd’hui subsistent des cercles qui doivent leur survie à l’engagement de leurs membres et de leurs dirigeants, souvent retraités, dont la composition se féminise, ouvrant de nouvelles voies de renouveau pour perpétuer et développer ces lieux d’échanges participatifs.

C’est le cas du Cercle Progressiste Carnussien qui en plus de ses réunions mensuelles, édite un journal distribué à toute la population et publie des articles sur un blog, propose un club de lecture (« Katulu ? ») et participe à des actions caritatives. Sans se comparer aux cercles centenaires de communes voisines, nous souhaitons qu’il perdure au profit de cette sociabilité locale provençale héritière de la « romanité » antique.

C’est autour d’un verre d’apéritif, offert par le Cercle, que la conférence prit fin tout en continuant les échanges entre le public et notre brillant conférencier auquel nous adressons nos plus vifs remerciements.

C.M.

Suède : l’extrême droite au gouvernement

20 septembre 2022

La Suède fait partie de ces pays scandinaves longtemps considérés comme les modèles les plus aboutis de la social-démocratie européenne, dotés d’un État très protecteur, d’une vie politique plutôt apaisée et consensuelle, et d’un niveau de prélèvement fiscal élevé. La réforme du système de retraite, dont les principes avaient été fixés dès 1991 par un gouvernement social-démocrate et qui a finalement été adoptée en 1999 à l’issue d’un très long processus de dialogue social est l’exemple même de cette capacité de certains pays à dégager des compromis politiques solides et relativement équilibrés qui évitent le conflit.

A partir des années 2010, la Suède s’est montrée très accueillante envers les mouvements migratoires, bénéficiant de sa bonne réputation de pays ouvert, au système de protection social généreux et à l’activité économique plutôt florissante. En 2014, 80 000 réfugiés ont ainsi été accueillis, venant principalement de Syrie et en 2016, ce nombre s’est élevé à 120 000 environ. Entre 2000 et 2022, le nombre de résidents nés à l’étranger a doublé en Suède, atteignant 2 millions, ce qui représente un cinquième de la population.

Manifestation en septembre 2015 à Stockholm en faveur de l’accueil des réfugiés politiques… (photo © Jonathan Nackstrand / AFP / L’Express)

Dès 2010, des émeutes survenues dans la banlieue de Stockholm attisent une amorce de discours xénophobe, permettant à un nouveau parti de faire son entrée au Parlement : les Démocrates de Suède, qui comme son nom ne l’indique pas est clairement marqué à l’extrême droite et est même, à l’origine ouvertement néofasciste. Élection après élection, ce parti ouvertement xénophobe a grignoté du terrain, passant de 5,7 % des suffrages exprimés en 2010 à 20,5 % lors des dernières législatives qui avaient lieu le 11 septembre 2022, le jour anniversaire de l’attaque islamiste contre le World Trade Center, comme par un fait exprès, faisant ainsi entrer au Parlement pas moins de 73 députés sur les 349 sièges du Riksdag, le Parlement suédois…

Jimmie Åkesson, le leader du parti d’extrême droite les Démocrates Suédois (photo © Maja Suslin / TT News Agency / Reuters / Yahoo)

Un petit séisme politique et une incontestable victoire pour son porte-parole, Jimmie Åkesson, qui est à la tête des Démocrates de Suède depuis 17 ans maintenant et qui a progressivement amené ce parti néo-nazi vers la normalisation, allant jusqu’à refuser de siéger au Parlement européen dans le même groupe que Marine Le Pen et ses élus frontistes, c’est dire ! Ce résultat électoral place de fait ce parti d’extrême droite en deuxième position, derrière le Parti social-démocrate du Premier ministre sortant, Magdalena Andersson, crédité de 30,3 % des voix.

Cette dernière avait accédé à ce poste, occupé pour la première fois en Suède par une femme, le 29 novembre 2021, il y a moins d’un an donc, à la faveur d’une crise qui confirme, s’il en était besoin, que la vie politique, même en Suède, n’est jamais un long fleuve tranquille ! En 2018, le premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, avait été reconduit dans ses fonctions, grâce à une coalition (minoritaire) de centre gauche dans laquelle il s’appuyait aussi sur les Verts et le Parti de gauche. En juin 2021, ce dernier avait retiré sa confiance et fait chuter le gouvernement, non pas sur la gestion du la crise du Covid, pour laquelle le pays s’était singularisé par un confinement a minima, mais sur une question d’encadrement des loyers pour les logements neufs. Revenu malgré tout à la barre en juillet, Stefan Löfven avait néanmoins démissionné quelques mois plus tard, en novembre 2021 après qu’une élection interne du Parti social-démocrate a choisi de le remplacer à sa tête par Magdalena Andersson.

 
Magdalena Andersson, Premier ministre socio-démocrate sortant de Suède (source © Terra Femina)

Celle-ci n’est pas une débutante, elle qui était déjà ministre des finances dans le premier gouvernement de Stefan Löfven dès 2014, avant d’être élue, en 2020 présidente du comité monétaire et financier du Fonds monétaire international. Son élection comme Premier ministre, le 24 novembre 2021 se fait in extremis, après un ralliement de dernière minute du Parti de gauche. Mais elle est contrainte à la démission avant même de se présenter au roi, suite à la défection des Verts, qui refusent toute alliance avec le Parti du centre, pourtant appoint indispensable pour adopter le budget… Qu’à cela ne tienne, elle s’accroche et se fait réélire Premier ministre le 29 novembre : toute comparaison avec Borgen, la série qui se déroule au Danemark, serait bien entendu purement fortuite, est-il besoin de le préciser ?

Depuis son accession au pouvoir, Magdalena Andersson est obsédée par les effets de l’invasion russe en Ukraine et a conduit un changement majeur en matière de politique étrangère, tournant le dos à des décennies de neutralité pour demander l’adhésion de son pays à l’OTAN. Mais c’est à un autre sujet qu’elle doit sa défaite (relative) aux dernières législatives, à savoir la question de l’immigration. Le pays a en effet dû faire face, en avril 2022 à de violentes émeutes dans plusieurs villes du pays, en réponse à des provocations organisées par Rasmus Paludan, leader du parti d’extrême droite Stram Kurs (« ligne dure ») qui s’amuse à brûler des exemplaires du coran en public dans des quartiers à forte proportion d’immigrés de confession musulman. L’effet est garanti et les émeutes qui en ont résulté ont fait pas moins de 40 blessés dont 26 policiers, provoquant un débat houleux à travers le pays et faisant le jeu de la droite qui a axé toute la campagne des législatives sur la question sécuritaire et la place des immigrés dans la société suédoise.

Émeutes à l’issue d’une manifestation contre l’extrême droite, le 15 avril 2022, à Örebro, en Suède (photo © Kicki Nilsson / AFP / L’Express)

Les partis traditionnels de droite, Modérés, Chrétiens-démocrates et Libéraux, ont donc largement emboité le pas des Démocrates de Suède de Jimmie Åkesson, ce qui explique finalement le bon score de ce dernier qui a pu surfer sur ses thèmes de campagne de prédilection, la question de l’Ukraine ou du changement climatique étant quasiment passées à la trappe… Globalement, les partis de droite ont perdu du terrain à l’issue de ces élections, contrairement aux sociaux-démocrates qui en ont plutôt gagné. Mais pas suffisamment pour que la coalition sortante de gauche puisse se maintenir au pouvoir, elle qui finit avec 173 députés alors que la majorité est fixée à 175… Magdalena Andersson a donc été contrainte de démissionner bien que son parti finisse en tête de ces élections et c’est le chef des Modérés, Ulf Kristersson, dont le parti finit à la troisième place et perd deux sièges avec à peine 19,10 % des suffrages exprimés, qui pourrait former le prochain gouvernement en s’appuyant sur une coalition de droite dans laquelle l’extrême droite des Démocrates de Suède sera le parti dominant… Une situation explosive mais qui vient couronner les efforts de Jimmie Åkesson qui a tout fait pour banaliser l’image de son part et se rapprocher de la droite classique tandis que celle-ci dérivait de plus en plus vers ses thèses sécuritaires et nationalistes.

Le chef des Modérés, Ulf Kristersson, fêtant la victoire de la coalition de droite et d’extrême-droite, le soir des élections du 11 septembre 2022 (photo © Fredrik Sandberg / TT News Agency / AFP / RTL)

Un schéma qui n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe en Italie où les élections générales sont justement prévue cette semaine, le 25 septembre 2022 : le centre-droit de Forza Italia pourrait ainsi revenir au pouvoir à la faveur d’une alliance avec les forces de droite voire d’extrême droite de la Ligue et de Frères d’Italie. Et la situation française n’est pas non plus très éloignée de cette configuration au vu de la stratégie portée par Éric Ciotti qui brigue la présidence des Républicains (LR) afin d’opérer un rapprochement avec l’extrême droite et espérer ainsi faire accéder en 2027 son champion, Laurent Wauquiez, à la Présidence de la République. En politique comme ailleurs, le pire n’est jamais sûr mais il est parfois bon de regarder ce qui se passe chez nos voisins pour s’en prémunir…

L. V.