Plus de vingt ans que ça dure ! Voilà plus de vingt ans que l’Artea, la salle de spectacle municipale de Carnoux-en-Provence, un écrin de culture magnifique composé d’une salle de spectacle remarquable avec sa jauge de 308 places assises et 450 debout et sa scène toute équipée assortie d’un vaste hall de 200 m2 et d’un théâtre de verdure en forme d’amphithéâtre doté de 300 places assises supplémentaires, ce bel équipement que bien des communes nous envient, vivote dans les mains d’une société privée chargée de son exploitation, largement subventionnée par la collectivité.

C’est en effet en 2000 que la gestion de cette salle de spectacle municipale a été confiée en délégation de service public à la société Arts et loisirs gestion (ALG), une SARL créée pour l’occasion et dont le siège social est d’ailleurs domicilié dans les locaux même de l’Artea. Le directeur de cette société, Gérard Pressoir, ancien conseiller financier à la Barclay’s Bank et ex directeur d’antenne de Fun Radio à Aix-en-Provence, s’était fait la main en gérant à partir de 1994, déjà en délégation de service publique (DSP), le Stadium de Vitrolles, une salle polyvalente de 4500 places conçue en 1990 par l’architecte Rudy Ricciotti pour la modique somme d’un peu plus de 7 millions d’euros, sous forme d’un gros cube de béton brut égaré en pleine campagne sur les remblais toxiques d’un ancien terril de boues rouges issues de la fabrication locale d’alumine.

Mauvais pioche pour Gérard Pressoir car après quelques années de succès relatif, assuré surtout grâce aux matchs de handball de l’équipe montée par Jean-Claude Tapie, le frère de Bernard, la polémique fait rage autour de cette salle de spectacle excentrée et atypique. Dès 1997, l’élection de la candidate Front National Catherine Mégret à la mairie de Vitrolles attise les tensions. A la suite de l’échec d’un concert de rock identitaire français prévu le 7 novembre 1997, le Stadium, déjà fragilisé par le dépôt de bilan de l’OM Handball en 1996, ferme ses portes en 1998, la municipalité refusant de renouveler la DSP. Il faut dire qu’un attentat à la bombe avait eu lieu une semaine avant pour empêcher le déroulement de ce spectacle de rock, donnant à la municipalité Front national le prétexte rêvé pour tirer le rideau, les installations techniques ayant été gravement endommagées.
Depuis, le Stadium est à l’abandon, victime des pillards et autres squatteurs. Récupéré en 2003 par la Communauté d’agglomération du Pays d’Aix, cette dernière a préféré y stocker des ordures ménagères et construire une autre salle de spectacle à Luynes, comprenne qui pourra… Reprise en 2015 par la commune de Vitrolles désormais dirigée par le socialiste Loïc Gachon, il a fallu attendre fin 2021 pour que le Festival lyrique d’Aix-en-Provence envisage de rouvrir la salle mais rien n’est encore fait tant le coût des travaux de remise en état est effrayant !

Toujours est-il que c’est fort de cette expérience quelque peu mitigée que la SARL ALG, dans laquelle Gérard Pressoir est associé à parts égales avec la société Delta Conseil de Dominique Cordier, a remporté le marché de l’exploitation de l’Artea, dans le cadre d’une DSP par voie d’affermage. Un marché renouvelé à de multiples reprises depuis, étendu en 2018 à la gestion du Centre culturel de Carnoux, et qui vient encore d’être attribué, pour la n-ième fois à la société ALG et pour une durée de 5 ans jusqu’en septembre 2027, à l’issue d’une commission d’appel d’offre qui s’est déroulée en toute discrétion le 22 juillet 2022. Comme à l’accoutumée, aucune autre offre que celle de la société ALG n’avait été déposée, ce qui limite de fait grandement les aléas de la concurrence et a donc permis à Gérard Pressoir, dont la propre fille siège désormais au conseil municipal de Carnoux, de convaincre aisément et sans beaucoup d’arguments, qu’il était le mieux placé pour se succéder une nouvelle fois à lui-même dans la gestion de cet équipement culturel public : « il faut que tout change pour que rien ne change »…

Pourtant, le bilan de cette exploitation, jusqu’à présent soigneusement tenu à l’abri de la curiosité des habitants de Carnoux, bien que propriétaires et principaux bénéficiaires de l’Artea, n’est pas des plus brillants si l’on s’en réfère aux quelques feuillets assez indigents qui tiennent lieu de bilan annuel pour les trois dernières années d’exploitation. En 2019, la société ALG se targuait d’ouvrir 150 jours par an, principalement pour la diffusion de films, et d’accueillir plus de 20 000 spectateurs dans l’année, tout en louant la salle 30 jours par an à des écoles de danse. Avec le confinement, en mars 2020, la salle est restée fermée pendant quasiment un an, jusqu’en avril 2021. Et pour la saison 2021-2022, le nombre de jours d’ouverture par an ne dépasse pas 105, avec de nombreux spectacles annulés ou reportés faute de spectateurs, une baisse du nombre de location de la salle et une faible fréquentation du cinéma avec moins de 15 spectateurs par séance en moyenne.

Ces bilans posent une fois de plus la question de la manière dont un équipement culturel aussi ambitieux que l’Artea pour une petite commune de 7000 habitants peut être exploité de manière optimale. Le principe même de la DSP pour un tel équipement culturel est de décharger la commune de l’exploitation de la salle en la confiant à un professionnel jugé mieux à même de la rentabiliser au maximum, sachant que l’activité est par nature déficitaire. De fait, le coût annuel d’exploitation d’une telle salle en année normale est de l’ordre de 430 000 € qui se partage, grosso modo à parts égales, entre les frais de personnel (4 salariés déclarés dont le gérant lui-même et des techniciens souvent payés à la prestation) et les charges liées à la commande et l’organisation des spectacles. Les recettes en année normale tournent autour de 200 000 € et la commune verse donc au délégataire une subvention d’équilibre qui était de 258 000 € en 2018 et de 244 000 € en 2019, considérées comme années de référence avant le confinement.

Les équipements sont mis gratuitement à disposition de l’exploitant par la commune qui se charge par ailleurs du gros entretien et qui subventionne donc le prestataire pour lui permettre de se rémunérer tout en assurant l’exploitation du site. Celle-ci pourrait donc très bien être confiée directement à des agents municipaux spécialisés, comme choisissent de le faire bon nombre de communes dans la même configuration. Cela permettrait une gestion beaucoup plus souple, moyennant davantage d’implication dans le choix de la programmation, en partenariat direct avec les associations locales. Une gestion mutualisée, assurée à l’échelle métropolitaine, du réseau de salles municipales implantées dans quasiment chacune des communes, pourrait sans doute aussi contribuer à en rationaliser la gestion et à optimiser l’exploitation de ces équipement qui nécessitent de lourds investissements et des frais d’entretien élevés.
On est en tout cas, dans ce cas de figure de l’Artea, très éloigné de la notion même d’affermage qui est pourtant officiellement le mode de dévolution retenu pour cette DSP et qui suppose que « le délégataire se rémunère substantiellement des recettes de l’exploitation, augmentées d’une participation communale en compensation des contraintes imposées par la collectivité ». En l’occurrence, les contraintes imposées par la commune sont très faibles puisqu’elles se limitent à la fourniture de places gratuites (120 par an dont 8 au maximum par spectacle, ce qui n’est guère une contrainte pour une salle qui peine généralement à se remplir) et à la mise à disposition de la salle pour 8 manifestations par an. La salle peut aussi être utilisée par des associations mais dans ce cas la location est facturée par l’exploitant…
Dans la nouvelle version de la DSP renouvelée en 2022, la subvention d’équilibre a été fixée à 195 000 € par an, ce qui reste très généreux et devrait encore excéder largement les recettes escomptées, celles-ci se limitant à 76 000 € pour l’exercice 2020-21 et même à 26 000 € seulement cette année ! De quoi fragiliser juridiquement la validité de cette nouvelle DSP puisque la subvention sera vraisemblablement la principale source de rémunération de l’exploitant : espérons que la Chambre régionale des Comptes ne viendra pas y fourrer son nez, comme elle l’avait fait dans la gestion du Centre culturel, et que personne ne s’avisera de déposer un recours contre cette attribution, comme cela a été le cas avec la DSP du Zénith de Toulon, également attribué à ALG en juillet 2020 mais suspendu trois mois plus tard sur ordonnance du Tribunal administratif…
L. V.
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9 janvier 2023 à 6:11
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