Centrafrique : la guerre de la bière

25 mars 2023 by

Appréciée depuis des millénaires, déjà chez les Sumériens puis dans l’Égypte antique, la bière est considérée dans beaucoup de pays comme un l’ingrédient indispensable d’une bonne qualité de vie, marqueur fort de l’identité locale. Au point que le compositeur américain un peu fantasque, Franck Zappa, avait coutume de dire : « Un pays n’existe pas s’il ne possède pas sa bière et une compagnie aérienne. Eventuellement, il est bien qu’il possède également une équipe de football et l’arme nucléaire mais ce qui compte surtout c’est la bière ». Ce qui permet de constater que la France, tout compte fait, avec ses 2300 brasseries artisanales, sans même compter son arsenal nucléaire et ses exploits au Mondial de foot, tient finalement bien son rang…

Et ceci d’autant plus que la bière française s’exporte, voire se brasse à l’extérieur, en Afrique tout particulièrement, sous la houlette d’un géant industriel du pinard, le groupe Castel, fondé en 1949 par les 9 frères et sœurs de la famille du même nom. Brassant un chiffre d’affaires annuel de 2,6 milliards d’euros, Castel a fait fortune dans la commercialisation du vin via ses marques telles Listel, Vieux Papes ou encore La Villageoise, ainsi que les cavistes Nicolas rachetés en 1980.

Pierre Castel, cofondateur et président du groupe industriel Castel, par ailleurs réfugié fiscal en Suisse (photo © C. Petit / MaxPPP / Challenges)

Mais la bière fait aussi partie de son fonds de commerce depuis que Castel a racheté en 1990 les Brasseries et glacières internationales, présent dans 27 pays africains et leader dans plusieurs d’entre eux dont l’Algérie avec sa marque Beaufort, ou l’Angola avec la Cuca brassée dans 7 usines nationales. En 1994, Castel engloutit également la SOLIBRA qui domine le marché de la bière en Côte d’Ivoire et dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest avec sa Flag, puis en 2003 les Brasseries du Maroc et en 2011 les brasseries Star à Madagascar.

En Centrafrique, ce pays d’Afrique centrale de 4,5 millions d’habitants, enclavé entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan et le Congo, le groupe Castel détient le quasi-monopole de la bière grâce à sa filiale Mocaf, créée en 1951 et rachetée en 1993 pour fusionner avec la Société centrafricaine de boissons, fondée en 1982 par Pierre Castel. Sa brasserie emploie près de 300 personnes et produit 300 000 bouteilles de bière par an !

La gamme de bières Mocaf brassées en Centrafrique (photo © MOCAFRCA)

Mais voilà que le climat centrafricain n’est plus aussi serein pour le géant français des boissons alcoolisées. Les Russes sont en train de s’implanter en force sur ce territoire via le groupe Wagner du sulfureux Evgueni Prigojine, un ancien délinquant devenu homme d’affaire, très proche de Vladimir Poutine, et qui a fait fortune dans la restauration avant de créer en 2014 un groupe paramilitaire privé, très actif actuellement sur le front ukrainien mais aussi dans plusieurs pays africains.

Mercenaires russes du groupe Wagner en Centrafrique (source © Corbeau News Centrafrique)

Présents en Centrafrique depuis 2018, les mercenaires du groupe Wagner participent à l’instruction des forces armées nationales et assurent la garde rapprochée du Président de la République, Faustin-Archange Touadéra. Mais ils font aussi du business très juteux, en particulier dans les mines diamantifères et ils se sont lancés en 2021 dans la production locale de vodka, vendue en ville dans de petits sachets en plastique sous le nom de Wa na wa, et à qui la rumeur publique attribue toutes sortes de bienfaits sanitaires, remède souverain, paraît-il contre les problèmes digestif ou le Covid.

Africa Ti l’Or, la bière blonde russe produite par le groupe Wagner à Bangui et vendue dans des bouteilles en plastique (source © Centrafrica)

Le succès commercial de la vodka russe en Centrafrique n’est pas flagrant mais cela n’a pas empêché Wagner de poursuivre l’aventure en lançant, en janvier 2023, sa propre marque de bière, l’Africa Ti l’Or. Non sans avoir au préalable inondé les réseaux sociaux et les rues de Bangui avec une campagne de dénigrement au vitriol de la bière Castel. Il faut dire que le groupe industriel est déjà fragilisé par une enquête de la justice française pour complicité de crime de guerre suite aux accusations lancées en 2021 par l’ONG The Sentry, accusant une autre de ses filiale, la sucrerie Sucaf, d’avoir versé des pots de vins à l’Unité pour la paix en Centrafrique pour pouvoir continuer sa production dans la province de la Ouaka, alors sous contrôle de ce mouvement rebelle.

On a vu alors fleurir des campagnes de communications montrant des chargeurs de kalachnikov remplis de bouteilles de bière Mocaf avec des slogans du style : « À chaque achat de Castel, tu finances la guerre et tu te tues ». Une campagne de dénigrement soigneusement orchestrée visant à déconsidérer l’industriel français pour le forcer à quitter le pays et libérer la place pour les nouveaux investisseurs russes.

Le site de stockage de la brasserie Mocaf à Bangui après l’incendie provoqué par le jet de cocktails Molotov dans la nuit du 5 au 6 mars 2023 (source © Nouvelles +)

Et pour accélérer un peu la manœuvre, Wagner n’a pas hésité à joindre le geste à la parole. Le 30 janvier, trois Russes ont tenté de pénétrer sur le site de la brasserie Mocaf avec une échelle avant d’être mis en fuite par les services de sécurité. C’est ensuite un drone qui a survolé longuement le site puis, dans la nuit du 5 au 6 mars 2023, les caméras de surveillance de la brasserie ont filmé quatre individus masqués et armés de kalachnikov, lançant des cocktails Molotov qui ont provoqué un début d’incendie de l’usine. Nombre d’indices convergent pour incriminer les mercenaires du groupe Wagner dans cet incendie volontaire, aggravant encore la tension déjà très forte entre Français et Russes dans ce pays en proie à la guerre civile depuis 2004 et dont le pouvoir central ne contrôle plus qu’une partie du territoire. La France y a été pourtant durablement implantée depuis la fin du XIXe siècle, organisant administrativement le territoire à partir de 1905 sous le nom d’Oubangui-Chari. Devenu indépendant en 1960, le pays se confronte dès 1965 au coup d’État de Jean-Bedel Bokassa qui se fait couronner empereur en 1977 avant d’être renversé en 1979 par une opération militaire française.

Jean-Bedel Bokassa auto-proclamé empereur de Centrafrique  le 4 décembre 1977 (photo © Pierre Guillaud / AFP / RFI)

De nouveaux coups d’État militaires se succèdent en 1981 puis en 2003, permettant au général François Bozizé d’accéder au pouvoir mais l’élection de ce dernier à la Présidence de la République en 2005 déclenche une première guerre civile jusqu’en 2007, puis une seconde à partir de 2012 qui se termine par la prise de Bangui en mars 2013 par des groupes rebelles de la coalition Seleka. Face au chaos qui s’ensuit, l’ONU vote une résolution autorisant l’envoi de soldats français pour rétablir le calme, dans le cadre de l’opération Sangaris qui comptera jusqu’à 1600 hommes.

L’élection présidentielle de janvier 2016 permet au nouveau président élu, Faustin-Archange Touadéra, de lancer un ambitieux programme de réconciliation nationale qui débouche en février 2019 sur la signature d’un accord de paix avec les 14 principaux groupes armés rebelles. Mais la situation reste très chaotique et les exactions se poursuivent, la capitale étant directement menacée fin 2020 par les attaques de la Coalition des patriotes pour le changement, que l’armée finit par repousser avec l’aide des soldats russes, dont les mercenaires du groupe Wagner.

Manifestation de soutien au groupe Wagner à Bangui le 22 mars 2023 après l’assassinat de 9 mineurs chinois dans le pays (source © Afrique Média)

L’implantation durable de ces derniers pousse les derniers soldats français à quitter le pays en décembre 2022 et le régime actuel semble se rapprocher de plus en plus des nouveaux investisseurs russes et chinois, très présent dans ce pays riche en ressources minérales, au point que l’on a vu, le 22 mars 2023, quelques centaines de manifestants défiler dans les rues de Bangui avec des banderoles en soutien à la Russie et à la Chine, après l’assassinat de neuf Chinois du Gold Coast group sur le site minier de Chnigbolo, à 25 km de Bangui. Un climat de tension qui n’augure rien de bon pour les intérêts industriels du groupe Castel et, au-delà, pour l’avenir des liens entre la France et la Centrafrique…

L. V.

Pour l’armée birmane, la démocratie n’est pas une option

23 mars 2023 by

Deux ans maintenant après le coup d’État militaire qui a permis à la junte de reprendre le pouvoir après avoir procédé, le 1er février 2021à l’arrestation musclée du Président de la République, Win Myint, et de sa célèbre conseillère spéciale, Aung San Suu Kyi, la Birmanie semble s’enfoncer dans le chaos et voir reculer toute perspective de retour à la démocratie.

Soldats de l’armée birmane dans une rue de Naypyidaw, le jour du dernier coup d’État militaire en date, le 1er février 2021 (photo © AFP / Atalayar)

Il faut dire que ce pays de 56 millions d’habitants, du Sud-Est asiatique, frontalier du Laos, de la Thaïlande, du Bangladesh mais aussi de l’Inde et de la Chine, ancienne possession des Indes britannique devenue indépendante en 1948, n’en finit pas d’enchaîner les dictatures militaires depuis 1962, date à laquelle le général Ne Win a pris le pouvoir à l’issue d’un putsch, n’hésitant pas à dynamiter un bâtiment universitaire pour tuer dans l’œuf  la contestation étudiante, et causant de l’ordre de 3000 morts selon les estimations.

Manifestations étudiantes réclamant la démocratie dans les rues de Rangoon le 8 août 1988 (source © Info Birmanie)

Après 26 ans de dictature militaire, c’est une autre révolte étudiante qui commence à fissurer le régime militaire, débouchant sur un véritable soulèvement général. Le 18 septembre 1988, un autre général organise un nouveau coup d’État qui permet à la junte militaire de se maintenir encore 2 ans au pouvoir.

Cette même année 1988 voit le retour en Birmanie d’Aung San Suu Kyi, dont le père avait négocié l’indépendance de la Birmanie avant d’être assassiné en juillet 1947. Elle se lance en politique et crée en 1988 un nouveau parti, la Ligue nationale pour la démocratie. Son activisme lui vaut d’être arrêté par le gouvernement militaire dès 1989 et assignée à résidence pour 6 ans. En mai 1990, sous la pression populaire, les militaires finissent par organiser des élections qui sont largement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, mais les députés élus ne sont pas autorisés à siéger. S’ensuit une période de répression tandis qu’Aung San Suu Kyi est de nouveau placée en résidence surveillée malgré le prix Nobel de la paix qui lui est attribué en 1991.

Aung San Suu Kyi haranguant ses partisans à Rangoon en 1989 (photo © AP / The Guardian)

Emprisonnée en septembre 2000, elle est libérée en mai 2002 mais son convoi est attaqué peu après par un groupe paramilitaire et elle ne doit son salut qu’au dévouement de son chauffeur, ce qui ne l’empêche pas d’être de nouveau jetée en prison puis assignée à résidence et de nouveau condamnée à 18 mois de détention en septembre 2009. En 2010, l’armée au pouvoir va jusqu’à changer le nom du pays qui devient alors officiellement la République de l’union du Myamar, même si l’on peine à assimiler ce régime militaire à une véritable république. A cette période, la junte militaire finit néanmoins par accepter la tenue d’élections, considérées comme largement truquées, qui voient l’un de ses piliers, le général Thein Sein, passer du poste de premier ministre à celui de Président de la République.

Aung San Suu Kyi faisant son entrée à la chambre basse du Parlement birman en mai 2012 sous l’œil goguenard des militaires qui détiennent le pouvoir (photo © AP / The Guardian)

Le 1er avril 2012 enfin, Aung San Suu Kyi est élue députée à l’occasion des élections législatives et en novembre 2015 son parti remporte la majorité absolue. Mais les règles fixées par la junte birmane lui interdisent de se porter candidate à l’élection présidentielle, au prétexte qu’elle avait été mariée à un Britannique, décédé en 1999. C’est donc l’un de ses proches, Htin Kyaw, qui devient Président en mars 2016, le premier élu démocratiquement dans ce pays depuis 1957 !

Aung San Suu Kyi, quant à elle, cumule plusieurs postes de ministres, mais son gouvernement reste fortement inféodé à l’armée qui détient de droit les ministères de la Défense, de l’Intérieur et des Frontières, tout en conservant, de par la constitution, une minorité de blocage au Parlement. Et la junte militaire, pour préserver ses propres intérêts économiques, s’oppose frontalement à de nombreuses réformes, tandis que le pays doit gérer la crise des Rohingyas, une minorité ethnique que l’armée considère comme des réfugiés du Bengladesh et à l’égard de qui elle exerce une répression inhumaine.

Réfugiés Rohingyas fuyant la Birmanie et ses exactions militaires pour accoster au Bangladesh, le 10 septembre 2017 (photo © Danish Siddiqui / Reuters / Radio Canada)

Le 8 novembre 2020, le parti d’Aung San Suu Kyi remporte une victoire éclatante à l’occasion des nouvelles élections législatives mais le 1er février suivant, les militaires arrêtent les principaux dirigeants politiques du pays et instaurent l’état d’urgence pour au moins un an. En réalité, l’armée birmane n’avait fait que tolérer ce pouvoir civil pendant quelques années, lui laissant un pouvoir réduit qui lui permettait de conserver le contrôle et préserver ses intérêts. La large victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, lui permettant de remporter 82 % des sièges au Parlement, ouvrait la voie à une réforme constitutionnelle qui aurait pu réduire le pouvoir de l’armée, d’où ce nouveau putsch militaire…

Depuis, la situation est bloquée et Aung San Suu Kyi est de nouveau derrière les barreaux, condamnée depuis le 30 décembre 2022 à 33 ans d’emprisonnement ! Des manifestations populaires de grande ampleur ont bien eu lieu, à l’initiative des fonctionnaires d’abord de la santé, puis de l’éducation, rassemblant plusieurs centaines de milliers de manifestants le 22 février 2021, mais la répression exercée par l’armée est féroce.

Manifestation dans les rues de Rangoon en avril 2021 réclamant la libération d’Aung Sann Suu Kyi de nouveau emprisonnée après le dernier coup d’État militaire (photo © AP / SIPA / Paris Match)

De nombreux jeunes gens ont pris les armes et rejoint dans les zones rurales les différentes rebellions ethniques dont celle des Karens qui dure depuis des années près de la frontière thaïlandaise. L’armée envisageait de nouvelles élections pour l’été prochain, sous son contrôle comme à son habitude, mais l’état de désorganisation du pays est tel qu’elle risque fort de devoir y renoncer, incapable d’assurer la sécurité de l’ensemble des bureaux de vote. Le retour de la démocratie en Birmanie n’est peut-être pas pour demain…

L. V.

Réserve des Monts d’Azur : la source aux bisons

21 mars 2023 by

Patrice Longour fait partie de ces amoureux de la nature qui consacrent leur vie à tenter de défendre la biodiversité, de plus en plus menacée par l’explosion de l’activité humaine et qui est victime d’une extinction massive comme la Terre en a rarement connues. Une menace qui pèse sur les cigales de notre environnement quotidien comme sur les éléphants du Mozambique lointain ! C’est justement auprès de cette faune africaine que Patrice Longour, alors jeune diplômé de l’école vétérinaire de Lyon a choisi de s’investir, au sein de l’association Préserve, dans delta de l’Okavango au Botswana.

Éléphants dans le delta de l’Okavango au Botswana (source © Terre d’aventure)

Cet immense delta intérieur alimenté par les eaux qui ruissellent des hauteurs de l’Angola va ensuite se perdre dans les sables du désert du Kalahari, mais il constitue un habitat naturel relativement préservé, très favorable au développement d’une faune et d’une flore diversifiée. On y dénombre plus de 400 espèces d’oiseaux et l’on peut y observer éléphants, rhinocéros, buffles, impalas, guépards, crocodiles, hyènes, hippopotames et on en passe…

Au début des années 2000, Ian Khama, chef de la tribu des Bamangwatos et futur président de la République du Botswana qu’il dirigea pendant 10 ans à partir d’avril 2008, fait observer au jeune vétérinaire français que les Européens ne sont pas forcément les mieux placés pour donner des leçons de préservation de la faune, et qu’ils feraient mieux de s’investir dans leur propre pays pour sauver ce qui peut encore l’être.

Patrice et Alena Longour sur le site de la réserve des Monts d’Azur au début de l’aventure il y a 20 ans (source © Wikipedia)

Un message reçu 5 sur 5 par Patrice Longour qui finit par abandonner son cabinet vétérinaire et rachète avec son épouse Aléna le vaste domaine de 700 ha du Haut-Thorenc, sur la commune d’Andon dans les Alpes-Maritimes, perdu sur les hauteurs de Grasse à plus de 1000 m d’altitude, constitué de forêts et de friches au pied d’une grande barre rocheuse. Un ancien manoir jadis transformé en école mais abandonné depuis 30 ans trône au milieu du plateau. Une villa bioclimatique et des écolodges sont construits à proximité pour y accueillir des touristes.

Patrice Longour, le créateur de la réserve biologique des Monts d’Azur, devant les bisons réintroduits par ses soins (photo © Ian Hanning / REA / Le Point)

Une source, qui débite toute l’année, traverse le domaine lorsque Patrice Longour le rachète en 2003. Cette source des Termes, qui se perd sur la plateau calcaire est alors captée depuis 1965 par Suez pour le compte du Syndicat des Trois Vallées, basé dans le village voisin de Caille, qui alimente en eau potable 6 communes des environs. Sauf que le syndicat en question n’a jamais racheté les terres autour de la source comme il s’y était engagé dans le cadre de la déclaration d’utilité publique et s’était contenté d’une convention avec la Caisse d’assurance maladie, alors propriétaire de la source elle-même. Lorsque cette dernière a vendu son terrain à Patrice Longour pour y créer ce qui est devenue la réserve biologique des Monts d’Azur, celui-ci a donc engagé un véritable bras de fer avec Suez afin de récupérer, au profit de la biodiversité locale et des zones humides du plateau, cette source qui est principalement captée pour alimenter les canons à neige de la station de ski de Gréolières-les-Neiges, située un peu plus haut.

La source des Termes, convoitée par Suez pour les canons à neige de Gréolières-les-Neiges (photo © Frédéric Lewino / Le Point)

Le bras de fer juridique n’est probablement pas terminé malgré deux arrêts de la Cour de cassation, mais cela n’a pas empêché la réserve biologique d’aménager deux plans d’eau, ce qui a permis à Patrice Longour de réintroduire sur le site de Thorenc, entre 2005 et 2006, deux espèces disparues d’Europe occidentale : le bison d’Europe et le cheval de Przewalski.

Les bisons d’Europe prenant leur bain dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Océane Sailorin / Côte d’Azur)

Les bisons d’Europe, que Charlemagne s’amusait encore à chasser dans les forêts d’Aix-la-Chapelle, ont disparu depuis la Première guerre mondiale et seule quelques individus survivaient encore en captivité jusqu’aux premières tentatives de réintroduction dans les années 1950. Quant au cheval de Przewalski que nos ancêtres du Néolithique avaient coutume de représenter sur des parois des grottes ornées, il n’a été redécouvert qu’en 1879, en Dzoungarie, dans les Monts Altaï qui bordent le désert de Gobi, mais plusieurs sites ont récemment permis sa réintroduction, à l’instar de celui de la réserve des Monts d’Azur qui renferme aussi des élans d’Europe, des cerfs élaphes ou encore des daims et totalise plus de 800 espèces naturelles dans son site entièrement clôturé.

Harde de cerfs élaphes dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Rv Dols / Œil PACA)

La réserve biologique des Monts d’Azur fête cette année ses 20 ans d’existence et s’enorgueillit de recevoir près de 40 000 visiteurs par ans, dont beaucoup de scolaires mais aussi de simples curieux venus voir de près ces animaux en semi-liberté, dans le cadre de visites guidées, à pied mais aussi en calèche voire en traineau pendant la saison hivernale. Certains y voient une activité un peu trop commerciale tournée avant tout vers l’accueil touristique dans un cadre naturel attractif. Mais on ne peut dénier à Patrice Longour d’avoir eu le courage de prendre au mot les conseils du chef bantou Ian Khama et d’avoir fait de gros efforts pour créer sur ce plateau de Thorenc un véritable havre de biodiversité, quitte à détourner, au profit de la nature, le débit tant convoité de la petite source des Termes…

L. V.

Corrélations statistiques et conclusions hâtives…

19 mars 2023 by

L’humoriste Coluche, jamais avare de conseils frappés au coin du bon sens, nous avait bien mis en garde : « Quand on est malade, il ne faut surtout pas aller à l’hôpital : la probabilité de mourir dans un lit d’hôpital est 10 fois plus grande que dans son lit à la maison ». Une conclusion imparable : il suffit en effet de voir les chiffres pour s’en convaincre !

Coluche, toujours de bon conseil, même en matière de statistiques (source © Melody)

En France, on dénombrait en 2020, selon les données du Ministère de la Santé, 2 983 établissements hospitaliers (dont 1 342 hôpitaux publics, soit moins de la moitié) totalisant 387 000 lits d’hôpitaux. Un chiffre en baisse constante puisqu’il y a 10 ans on disposait encore de près de 415 000 lits d’hôpital. En supposant même qu’ils soient tous pleins, cela indique que, sur 1000 Français, seuls 6 sont hospitalisés, une infime minorité donc. Or 57 % des décès enregistrés en France ont lieu à l’hôpital…

Bien évidemment, et indépendamment du risque d’attraper une maladie nosocomiale, ce risque particulièrement élevé de mourir quand on est admis dans un hôpital ne signifie pas qu’il ne faut surtout pas y mettre les pieds quand on est malade ! Ce n’est pas l’hôpital en soi qui est dangereux, au contraire, mais si on y meurt davantage, c’est parce qu’on y entre quand on est malade, parfois gravement, et que c’est dans ce contexte qu’on a le plus de risque de décéder…

Attention donc aux conclusions hâtives quand on se mêle de parler statistiques… On peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres : tout est question d’interprétation, et souvent même de simple présentation. Tyler Vigen, un jeune scientifique travaillant pour l’armée américaine s’est ainsi fait une spécialité de ces courbes montrant des corrélations étonnantes entre des séries de données pourtant sans aucune relation apparente entre elles. Il publie une courbe par jour sur son site, à l’instar de la suivante qui montre un taux de corrélation presque parfait sur la période 1999-2009 entre les dépenses annuelles américaines pour la recherche scientifique et le nombre de suicides par pendaison dans ce même pays.

Corrélation apparente mais sans aucun fondement entre les dépenses annuelles des USA en recherche scientifique entre 1999 et 2009 et le nombre de suicides par pendaison sur la même période (source © Tyler Vigen)

Bien évidemment, il n’y a aucun lien entre ces deux entités même si, représentées avec une échelle adéquate, elles semblent évoluer de manière étroitement corrélée d’une année à l’autre, ce qui incite à examiner avec la plus grande prudence ce type de graphiques où l’on compare des choux et des carottes en cherchant à tout prix à établir des relations de corrélation qui paraissent graphiquement évidentes alors qu’il ne s’agit que de pures coïncidences sans la moindre signification physique.

Le journal Le Monde met lui aussi en garde ses lecteurs, dans sa rubrique Les décodeurs, sur ce type d’analyses un peu hâtives donnant l’impression qu’il existe un lien de causalité entre certains paramètres qui semblent corrélés entre eux.  Il a ainsi créé un générateur de cartes qui met en évidence des corrélations spatiales entre des données qui n’ont pourtant aucun rapport entre elles.

Corrélation apparente (et sans aucun fondement) entre le taux de mortalité des cancers du sein et la production de pommes de terre par département (source © Le Monde)

Ce n’est pas parce que la Bretagne est la région où la densité de ronds-points est la plus nombreuse et en même temps celle où l’on consomme le plus de beurre salé qu’il faut forcément imaginer un lien de cause à effet entre ces deux paramètres… C’est pourtant ce que l’on a tendance à faire intuitivement et c’est même l’une des bases du déterminisme géographique très en vogue jusque dans les années 1930, qui tendait à expliquer les modes de vie voire de comportement humain par les caractéristiques physiques et climatiques du milieu naturel. L’historien romain Tacite expliquait ainsi déjà la rudesse de mœurs des Germains par la rigueur des hivers auxquels ils étaient soumis et la période coloniale a largement glosé sur les effets du climat tropical qui rendrait les hommes paresseux !

Toute corrélation apparente n’implique pas nécessairement un lien de cause à effet… (source © Geluck / Belin manuel d’économie)

En fait, ce type d’analyse met souvent en évidence des corrélations manifestes entre deux données et en déduit un lien de causalité entre elles, alors qu’en réalité cette corrélation apparente vient simplement du fait que ces données dépendent d’un facteur commun. Par exemple, si l’on représente le chiffre d’affaires quotidien d’un marchand de glaces dans une station balnéaire, on constate qu’il est étroitement corrélé avec celui des ventes de crèmes solaires de son voisin pharmacien. Quand le soleil tape en plein mois d’août, c’est là que les deux commerçants font leurs meilleures ventes. Pour autant, il n’y a aucun lien entre les deux : ce n’est pas parce qu’on a attrapé un coup de soleil qu’on va aller manger une glace à la pistache et ce n’est pas parce qu’on a dégusté une bonne crème glacée qu’on a aussi besoin de s’enduire de crème solaire…

Kenneth Rogoff, ancien directeur de recherche au FMI et professeur à Harvard, et Carmen Reinhart, professeur d’économie à l’université du Maryand, en 2010 (photo © Mary F. Calvert / The New York Times)

Ce biais classique dans le raisonnement statistique est tellement répandu qu’il a pu altérer le jugement même de grands économistes renommés. C’est ainsi que dans les années 2010, un article de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, deux économistes reconnus pour leurs travaux en macroéconomie internationale, faisait état d’une corrélation négative entre le niveau de la dette publique d’un pays et sa croissance économique. Selon leurs observations, la croissance était significativement plus faible dans les pays dont le taux d’endettement est supérieur à 90 % du PIB. Par conséquent et puisque ce niveau d’endettement était source de ralentissement de la croissance, ils préconisaient de mettre en œuvre des politiques d’austérité afin de contenir le niveau de dette en dessous de ce seuil fatidique.

Sauf que ces deux éminents économistes avaient allégrement confondu corrélation et lien de causalité ! De nouvelles études plus approfondies ont même démontré depuis que la relation de cause à effet est inverse : c’est lorsque la croissance ralentit que le taux d’endettement a tendance à augmenter, jusqu’à dépasser ce seuil… Appliquer des politiques d’austérité dans ce contexte ne fait donc qu’aggraver la situation ! Il serait grand temps que certains économistes révisent leurs bases en matière d’études statistiques élémentaires…

L. V.

Mali : les imams et la laïcité

16 mars 2023 by

Le 27 février 2023, la version finale du projet de nouvelle constitution du Mali a été remise solennellement au colonel Assimi Goïta, un militaire putschiste qui dirige la « Transition » dans ce vaste pays sahélien de près de 22 millions d’habitants, qui s’étend de l’Algérie jusqu’en Côte d’Ivoire. Une constitution dont l’adoption par référendum était initialement prévue de 19 mars, première étape vers un retour du pouvoir aux civils, avec des élections envisagées en 2024 si tout va bien.

Remise officielle du projet de constitution par la commission de finalisation au colonel Assimi Goïta le 27 février 2023 (source © a Bamako)

Sauf que ce projet de constitution n’est pas du goût de tout le monde. La Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, une structure très influente qui représente les autorités religieuses musulmanes du pays, a purement et simplement appelé à voter non à ce projet à l’occasion d’un point de presse soigneusement orchestré, le 7 mars 2023. La raison de ce rejet ? La ligue des imams avait demandé le 10 janvier dernier que le terme de « laïcité » ne figure pas dans ce texte constitutionnel, lui préférant celui d’« État multiconfessionnel »…

Pour des religieux, le terme de laïcité fait horreur car il présuppose que les citoyens pourraient conduire les affaires publiques de la Nation sans se préoccuper de leurs convictions religieuses, voire même sans avoir du tout de telles conviction, ce qui est proprement inconcevable pour nombre de personnes, persuadées que seuls les préceptes religieux sont à même de régir le monde et, en l’occurrence, que la charia, la loi de Dieu, s’impose à tous bien au-dessus des règles des hommes.

Prière du vendredi dans une rue de Bamako en janvier 2013 (photo © Sia Kambou / Le Point)

La commission chargée de finaliser le projet n’ayant pas accédé à cette demande, les imams affirment donc sans ambages leur opposition frontale et appellent l’ensemble des Musulmans du pays à voter contre ce projet qui ne les satisfait pas. Sachant qu’environ 95 % des habitants du pays se réclament de l’Islam, le pouvoir a quelque souci à se faire quant à l’adoption de son projet…

D’autant que ce n’est pas la première fois que cette ligue d’imams défie ainsi le pouvoir politique. En août 2009 déjà, elle avait rassemblé plus de 50.000 manifestants dans un stade de Bamako pour protester énergiquement contre le nouveau code de la famille adopté par les députés, considérant qu’il s’éloignait trop des préceptes de l’Islam traditionnel, accordant trop de droits aux femmes et pas assez de valeur au mariage religieux. Même un simple article prévoyant d’autoriser une femme à faire du commerce sans l’autorisation de son mari déclenchait les foudres des imams conservateurs !

L’imam Mahmoud Dicko, proche des milieux rigoristes wahhabites et alors président du Haut conseil isamique, à l’occasion d’un de ses meetings à Bamako, le 12 août 2012 (photo © Habibou Kouyaté / AFP / France TV info)

Le président Amadou Toumani Touré, directement menacé par les imams, avait alors été contraint de faire machine arrière et de renoncer à promulguer le nouveau texte, finalement adopté en décembre 2011 après une refonte complète. La nouvelle mouture marquait un net recul des droits des femmes en particulier, reconnaissant juridiquement le mariage religieux et affirmant que « la femme doit obéissance à son mari ». Cela n’avait pas empêcher le président malien d’être renversé quelques mois plus tard, en mars 2012, par un coup d’État militaire.

A l’époque, le Mali est en proie à des troubles majeurs dans le nord du pays qui passe progressivement dans les mains de mouvements armés djihadistes. En janvier 2013, les rebelles islamistes menacent directement Bamako et la France doit intervenir pour empêcher qu’ils ne s’emparent du pouvoir. Mais la présence militaire française dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane finit par générer du ressentiment, soigneusement attisé par certains. En avril 2020, les élections législatives, plusieurs fois reportées du fait du contexte d’insécurité persistant, se tiennent dans un climat de violence qui se matérialise par de nombreux enlèvements dont celui du chef du principal parti d’opposition, Soumaïla Cissé, qui ne sera libéré que 6 mois plus tard.

Militaires putschistes dans les rues de Bamako le 18 août 2020 (photo © Moussa Kalapo / EPA-EFE / Le Temps)

Entre temps, un groupe de militaires putschistes procède à l’arrestation musclée du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, contraint à la démission le 19 août 2020. Le colonel Assimi Goïta, qui fait partie des 5 gradés mutins, prend le dessus sur ses petits camarades à l’occasion d’un second coup d’État, le 24 mai 2021. Il promet alors d’organiser rapidement des élections, en février 2022 au plus tard, mais cette promesse ne sera pas tenue. Son rapprochement avec les forces mercenaires russes du groupe Wagner, celui-là même qui combat en ce moment contre l’armée ukrainienne, finit par obliger la France à replier ses troupes encore engagées dans l’opération Barkhane de maintien de l’ordre.

Le colonel Assimi Goïta, chef de la Transition au Mali, le 21 juin 2022 (source © Présidence du Mali / Jeune Afrique)

Toujours est-il que le colonel Assimi Goïta vient de tomber sur un os avec son projet de constitution qui prônait l’« attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’État » et dans lequel il était prudemment précisé que « la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle ». Mais ces termes ont été jugés outrageants par la très chatouilleuse Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, pour qui la laïcité « est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions ».

La transition du Mali vers une société démocratique et moderne ne semble donc pas être pour demain, d’autant que les protestations énergiques des imams reçoivent bien évidemment un écho très favorable de la part des mouvements djihadistes désormais bien implantés dans le nord du pays où l’un des proches du chef de la Katiba du Macina vient de diffuser une vidéo qui exhorte la population malienne à se dresser contre l’adoption de cette constitution d’inspiration trop occidentale à son goût. La laïcité à la française a décidément bien du mal à s’exporter hors de nos frontières…

L. V.

Affichage publicitaire illégal à Carnoux ?

13 mars 2023 by

Le 24 février 2022, il y a déjà un peu plus d’un an, le conseil municipal de Carnoux-en-Provence délibérait à l’unanimité pour donner un avis favorable à l’adoption du Règlement local de publicité intercommunal (RLPi). Ce document, instaurée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national sur l’environnement, n’existait pas jusqu’alors sur notre territoire alors qu’il permet de donner un cadre pour réglementer la taille et le positionnement des enseignes commerciales et des panneaux publicitaires qui ont tendance à défigurer toutes les entrées de ville.

Zone commerciale de Plan-de-Campagne à Marseille : une jungle de panneaux publicitaires… (source © Marianne)

La Métropole ayant souhaité, comme à son habitude, l’élaborer dans le cadre des ex-conseils de territoires, vestiges des anciennes intercommunalités, Carnoux est donc concerné par un règlement qui couvre 18 communes dont celle de Marseille, mais pas celle d’Aubagne, pourtant limitrophe. Lancé en 2017, le processus d’élaboration concerté de ce règlement intercommunal s’est poursuivi jusqu’en 2021, date à laquelle le projet a été arrêté avant d’être soumis à l’avis des communes concernées et à une enquête publique auprès des citoyens. La version définitive a finalement été adoptée par délibération du conseil de la Métropole le 5 mai 2022 et est pleinement exécutoire depuis le 17 juin 2022.

Ce document est constitué d’un rapport de présentation qui définit les grandes orientations ayant présidé à son élaboration et qui présente en annexe les cartes de zonage réglementaire par commune. Il contient également un règlement qui précise, pour chacune des zones ainsi délimitées, les modalités de mise en œuvre des panneaux publicitaires et des enseignes commerciales, au-delà des dispositions nationales déjà prévues dans le code de l’environnement.

En l’occurrence, le RLPi de notre territoire délimite 7 zones distinctes dont 2 seulement concernent Carnoux. Toute la zone bâtie de notre commune est placée en zone ZP6a, tout comme d’ailleurs l’agglomération voisine de Roquefort-la-Bédoule. La publicité n’y est strictement réglementée, de taille inférieure à 4 m2 et principalement réservée au mobilier urbain tandis que la publicité lumineuse y est interdite.

Extrait du zonage en annexe du rapport de présentation du RLPi (source © Métropole Aix-Marseille-Provence)

Quant aux zones boisées situées sur les hauteurs de Carnoux et notamment à l’entrée de la commune du côté des Barles, elles sont classées en zone 7b où toute publicité, de quelque nature qu’elle soit, y compris sur le mobilier urbain, est rigoureusement interdite. Une mesure tout à fait salutaire pour éviter de défigurer inutilement les zones naturelles de notre territoire en dehors de l’agglomération urbaine proprement dite !

Extrait du règlement local de publicité intercommunal sur les zones 7 (source © Métropole Aix-Marseille-Provence)

Sauf que, plus d’un an après avoir approuvé à l’unanimité ce règlement et alors que celui-ci est supposé s’appliquer depuis le mois de juin 2022, rien n’a bougé et on compte toujours autant de panneaux publicitaires gigantesques, en particulier à l’entrée de Carnoux, lorsqu’on arrive d’Aubagne, dans un secteur pourtant supposé totalement dénué de tout support publicitaire et ceci jusqu’aux premières maisons de la commune, après le garage des Barles…

Le long de la RD 41 E, à l’entrée de Carnoux, dans le tronçon où tout affichage publicitaire est désormais interdit… (photo © CPC)

On aurait pu penser que le renouvellement au cours de cette même année 2022 du marché public de mobilier urbain passé par la Métropole aurait été l’occasion de revoir entièrement l’emplacement de ces panneaux publicitaires pour les mettre en conformité avec le règlement local. Mais le groupe Jean-Claude Decaux a fièrement annoncé le 21 juillet 2022 avoir de nouveau remporté le marché passé par la Métropole et en reste donc le titulaire pour les 16 ans à venir, ce qui concerne pas moins de 1331 abribus avec leurs panneaux publicitaires, mais aussi 579 panneaux d’information de 2 m2 (les fameuses « sucettes Decaux ») et de 8 m2, sans compter les nombreux mobiliers urbains à prévoir dans le cadre de l’extension du réseau de tramways et de métro. Un marché colossal dont la Métropole s’est bien gardé de dévoiler le montant et qui est entré en application le 1er janvier 2023.

Aux Barles, des affichages publicitaires en zone naturelle normalement interdite à la publicité (photo © CPC)

Toujours est-il qu’à ce jour, rien n’a changé et que ce beau règlement local que la Métropole a mis 5 ans à élaborer est resté lettre morte, comme si personne ne se préoccupait de le mettre en œuvre maintenant qu’il est approuvé officiellement… A Carnoux, les panneaux publicitaires de 2 m2 et de 8 m2 sont toujours en place le long de la route départementale dans le secteur où ils sont pourtant désormais interdits par le RLPi. On en dénombre pas moins de 5 sur ce seul petit tronçon de quelques centaines de mètres en zone boisée, dont 2 gigantesques panneaux de 3,20 m x 2,40 m !

Des panneaux Decaux qui servent quasi exclusivement à la communication de l’exécutif municipal (photo © CPC)

Qui plus est, ils servent essentiellement, comme à l’accoutumée, de support de communication à la seule commune de Carnoux. Plus de la moitié de ces espaces publicitaires sont en effet occupés du 1er janvier au 31 décembre par des affiches mises en place par la municipalité elle-même, sur fonds publics donc. On ne peut donc même pas justifier de leur maintien pour des raisons économiques puisque les seuls messages qu’ils véhiculent sont destinés à vanter les mérites de la commune et de son exécutif municipal, sans être porteur d’un véritable message, en dehors de celui qui incite à s’approvisionner chez les commerçants locaux. On pourrait donc aisément se passer de ces panneaux hideux qui défigurent le paysage sans le moindre objet.

Un affichage municipal sans réel objet mais qui défigure inutilement le paysage… (photo © CPC)

A l’heure de la sobriété énergétique et d’une attention plus soutenue envers notre cadre de vie menacé, il est peut-être temps de respecter enfin les bonnes résolutions prises collectivement au travers de ce règlement local de la publicité… Il revient certes à la Présidente de la Métropole d’assurer cette police de la publicité et donc de veiller à la bonne application du règlement qu’elle a élaboré, mais ceci ne peut se faire qu’en concertation avec les maires des communes concernées. A quand le démontage de ces panneaux d’affichage désormais illégaux ?

L. V.

Narendra Modi, nouvel empereur des Indes ?

11 mars 2023 by

On a coutume de dire que l’Inde est la plus grande démocratie du Monde. C’est en tout cas très bientôt le pays le plus peuplé du monde avec plus de 1,4 milliards d’habitants, un tout petit peu moins que la Chine aux dernières estimations mais plus pour longtemps car sa démographie est nettement plus dynamique que son voisin chinois qu’elle ne devrait pas tarder à dépasser. Quant à son caractère démocratique, il l’est incontestablement davantage que la Chine dont le président tout puissant, Xi Jinping vient d’être réélu ce vendredi 10 mars 2023 à l’unanimité par ses pairs du Parti communiste chinois pour son troisième mandat d’affilée à la tête du pays. En 2018, Xi Jinping n’avait pas hésité à faire sauter la disposition constitutionnelle interdisant au président de la République populaire de Chine de faire plus de deux mandats, tout en développant un culte de la personnalité de plus en plus marqué.

Le premier ministre indien Narendra Modi et son homologue australien Anthony Albanese faisant un tour de piste dans leur char le 9 mars 2023 dans le stade Marendra Modi à Ahmedabad (photo © Robert Cianflone / Getty Images / The West Australian)

Une dérive qui semble tenter également son homologue indien, le premier ministre Narendra Modi que le monde entier a pu voir le 9 mars 2023 faisant un tour de piste triomphal perché sur un char tel un empereur romain, saluant du bras tendu la foule en délire dans les tribunes de ce qui est considéré comme l’un des plus grands cirques du monde, le stade Narendra Modi, à Ahmedabad, rebaptisé ainsi en 2021 en l’honneur du Premier ministre.

On a connu attitude plus modeste de la part d’un chef de l’État, même aussi puissant que l’Inde. Pas sûr d’ailleurs que l’exercice ait été très apprécié par son homologue australien, le premier ministre Anthony Albanes, embarqué malgré lui dans ce tour de piste assez surprenant, en ouverture du quatrième test match de cricket qui opposait les deux équipes nationales. Déjà le fait d’avoir donné son nom, de son vivant, à un stade aussi emblématique est assez révélateur du culte de la personnalité dans lequel se complait le dirigeant indien. Bien sûr, d’autres l’avaient fait avant lui, tels Benito Mussolini ou Saddam Hussein, mais qui ne sont pas restés dans l’histoire comme des modèles de vertu démocratique.

Le premier ministre indien Narendra Modi recevant un portrait de lui-même avant le test match de cricket contre l’Australie le 9 mars 2023 (photo © Sportzpics for BCCI / PTI Photo / Rediff)

Et, comble de narcissisme, le dirigeant indien s’est vu offrir un portrait de lui-même, issu de collage de photos de joueurs de crickets, avant de monter dans son char doré pour son tour d’honneur du stade devant une foule estimée à environ 80.000 spectateurs. Certes, l’enjeu est de taille pour l’Inde de Modi, dans un pays où le cricket est le sport national et qui s’apprête d’ailleurs à accueillir en octobre prochain la coupe du monde de cricket. L’audience télévisées s’annonce colossale et le premier ministre indien envisage bien évidemment de capitaliser au maximum sur cette ferveur populaire pour s’assurer une réélection triomphale dans la foulée, en 2024, pour son troisième mandat !

Narendra Modi est en effet à la tête de l’Inde depuis mai 2014. Son parti, le BJP, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party, était alors arrivé largement en tête de ces élections générales pour lesquelles 814,5 millions d’Indiens étaient inscrits sur les listes électorales ! Narendra Modi, en tant que directeur de la campagne du BJP était le candidat naturel pour ce poste, lui qui avait fait son ascension politique dans l’État du Gujarat où il avait été nommé ministre en chef en octobre 2001. De condition plutôt modeste, Modi s’était engagé comme propagandiste professionnel au RSS, un groupe nationaliste paramilitaire hindou d’extrême droite, avant de rejoindre le BJP où il a pris des responsabilités nationales dès les années 1990.

Train en feu à Godhra le 27 février 2002 (source © The Indian Express)

Le 27 février 2002, un train transportant des pèlerins hindous a pris feu à Godhra, causant une cinquantaine de victimes et provoquant des émeutes d’une rare violence, attisées par Narendra Modi et ses amis du BJP, persuadés que l’incendie a été provoqué délibérément par des musulmans. Il s’en est ensuivie une vague de violence qui a embrasé tout le Gujarat, largement encouragée par les nationalistes hindous et qui fera près de 2000 victimes selon certaines estimations. Un tribunal de New York a d’ailleurs tenté ultérieurement de traduire Modi en justice pour « tentative de génocide » mais cela ne l’a pas empêché d’être confortablement réélu à la tête du Gujarat en tenant un discours de haine contre la communauté musulmane.

Il fera ainsi 4 mandats comme gouverneur de cet État dont il vante le dynamisme économique tandis que les analystes notent que la situation se dégrade sur le front de la lutte contre la pauvreté et la malnutrition ainsi qu’en matière d’éducation. Mais Narendra Modi s’avère expert en communication, organisant des chats sur les réseaux sociaux dont il maîtrise parfaitement les codes, à la manière de son ami Donald Trump, tandis qu’il multiplie le recours aux hologrammes pour se démultiplier dans les campagnes tant pour sa quatrième élection à la tête du Gujarat en 2012 que lors de sa campagne nationale en 2014.

Narendra Modi aux côtés de Donald Trump lors d’un meeting à Houston, au Texas, le 22 septembre 2019 (photo © Saul Loeb / Getty Images / Foreign Policy)

Depuis qu’il est à la tête de l’Inde, Narendra Modi a résolument tourné le dos à la tradition socialiste et laïque soutenue pendant des décennies par le Congrès national indien, le parti de Jawaharlal Nehru et du Mahatma Ghandi. Il prône un capitalisme débridé dans lequel les privatisations jouent un grand rôle, et un nationalisme religieux hindou qui ne fait qu’attiser les tensions avec la communauté musulmane, surtout après l’attentat islamiste de Pulwama, dans le Cachemire en février 2019. Depuis le début de son deuxième mandat, en mai 2019, Modi mise tout sur l’exaltation du nationalisme indien et joue à fond sur le culte de sa personnalité, s’érigeant en protecteur de l’Inde face aux menaces extérieures de la Chine, du Pakistan et des islamistes, ce qui englobe à ses yeux les musulmans du Cachemire.

Une vision politique qu’on pourrait qualifier somme toute de nationale-populiste, pas forcément très rassurante pour la plus grande démocratie du Monde…

L. V.

Icair : un nouvel indice de suivi de la pollution

6 mars 2023 by

Mesurer la pollution de l’air ambiant en région PACA et mettre cette information à disposition d’un large public, telle est la mission que s’est fixée AtmoSud, une structure associative agrée par le ministère de la transition écologique. Regroupant dans sa gouvernance à la fois des collectivités territoriales, des services de l’État et des représentants des industriels mais aussi des associations de protection de l’environnement et des consommateurs, elle est considérée comme un outil de mesure aussi objectif que possible de la pollution atmosphérique à laquelle nous sommes exposés quotidiennement.

Comme tous les membres de la fédération AtmoFrance, elle a pour fonction principale de gérer, sur son territoire, en l’occurrence toute la région PACA, un observatoire de référence permettant de mesurer, analyser et diffuser des données quotidiennes sur la qualité de l’air. Son champ d’action est donc relativement large puisqu’il englobe aussi bien les polluants atmosphériques que les émissions de gaz à effets de serre mais aussi les nuisances (sonores notamment, mais aussi olfactives), les résidus de pesticides ou encore les pollens.

Station de mesure d’AtmoSud pour le suivi de la qualité de l’air (source © AtmoSud)

Regroupant une soixantaine d’agents, AtmoSud a été créé en 2012 par fusion des associations préexistantes AIRFOBEP (fondée en 1972 pour surveiller la qualité de l’air dans l’ouest des Bouches-du-Rhône, surtout autour de l’étang de Berre) et AtmoPACA créée plus tardivement, en 2006, pour couvrir le reste de la région.

Depuis 1996, la législation française impose la publication d’un indice Atmo disponible dans chaque commune et qui représente une moyenne quotidienne d’exposition à la pollution atmosphérique dominante, le plus souvent le taux d’ozone. Mais la réalité est nécessairement plus complexe car cette pollution atmosphérique, liée pour l’essentiel à la circulation automobile, varie d’heure en heure, si bien que les moyennes journalières n’ont pas beaucoup de sens.

Les gaz d’échappement des véhicules, source principale de pollution de l’air en ville (photo © Shutterstock / Kit embrayage)

Elle est par ailleurs la résultante de nombreux facteurs, le niveau d’ozone n’étant que l’un d’entre eux, même s’il est souvent prédominant en site urbain. On sait en effet que les particules fines (surtout inférieures à 2,5 µm) en suspension dans l’air sont aussi particulièrement nocives, de même que les composés organiques volatiles (issus des gaz d’échappement et de l’utilisation de solvants), le dioxyde d’azote (qui résulte surtout de la circulation automobile), le dioxyde de soufre (provenant principalement des systèmes de combustion et chauffage, de même que le monoxyde de carbone) ou encore les métaux lourds (issus de l’activité industrielle et de la combustion).

Il était donc grand temps d’affiner un peu ce suivi de la pollution atmosphérique et c’est ce que vient de faire AtmoSud en rendant public un nouvel indice présenté le 1er mars 2023 dans les locaux de l’observatoire régional. Dénommé Icair, cet indice permet de visualiser heure par heure 4 paramètres principaux qui donnent une bonne idée de la pollution atmosphérique mesurée mais aussi prévisionnelles pour les heures à venir. Ces 4 composantes ainsi détaillées sont l’ozone, l’oxyde d’azote et 2 classes de particules fines (inférieures à 10 µm et à 2,5 µm).

Carte de la qualité de l’air en région PACA le 2 mars 2023 à 20h et zoom sur le secteur de Carnoux (source © AtmoSud)

Le site grand public d’AtmoSud permet donc désormais de suivre en temps réel la pollution de l’air ambiant sur l’ensemble de notre région avec une résolution très précise, selon une maille formée de carrés de 25 m de côté. Bien entendu, cette représentation cartographique repose principalement sur une modélisation car les données de base sont recueillies dans un réseau qui ne comporte au total que 60 stations de mesure réparties sur toute la région PACA. Ainsi, les 2 stations les plus proches de Carnoux se situent respectivement à La Penne-sur-Huveaune (près de la gare SNCF) et à Aubagne (au niveau du cimetière des Passons).

Le mail dans la traversée de Carnoux-en-Provence (source © Google Maps)

Malgré la circulation automobile particulièrement intense qui traverse notre commune, évaluée à près de 20 000 véhicules par jour sur le mail, la ville de Carnoux ne dispose donc d’aucune station de mesure de la qualité de l’air que respirent les habitants dont les fenêtres donnent pourtant directement sur cet axe routier très chargé aux heures de pointe. C’est donc par simple modélisation qu’est évaluée la charge en particules fines et en dioxyde d’azote qui atteint à certains moments des pics inquiétants le long de cet axe de circulation.

Indices mesurés et prévisions pour Carnoux le 3 mars 2023 et variations horaires de l’indice global Icair (source © AtmoSud)

Les taux de pollution varient en effet fortement dans la journée, en fonction du trafic routier mais aussi des conditions météorologiques. Il vaut donc mieux connaître ces fluctuations pour éviter de se promener le long du mail aux pires heures de la journée, le soir notamment, lorsque les taux de pollution sont au maximum.

Encore faudrait-il pour cela disposer de mesures locales plus fines de la pollution en installant un capteur à Carnoux même, afin de mieux informer la population qui y est exposée, d’autant que les norias de camions supplémentaires qui s’annoncent du fait du projet de remblaiement de la carrière Borie vont encore aggraver la situation pour les 3 ans à venir ! Un système d’affichage en temps réel alimenté par les données issues de ces capteurs constituerait un bon outil d’information, ce qui ne paraît pas très difficile à mettre en place en utilisant le panneau lumineux déjà existant.

Il ne manque finalement qu’un minimum de volonté politique car ce n’est évidemment pas un problème financier, des micro-capteurs étant désormais disponibles sur le marché pour quelques centaines d’euros seulement et une station de mesure complète coûte de l’ordre de 15 000 €, c’est-à-dire grosso modo ce que dépense chaque année notre commune pour la maintenance de ses 37 caméras de vidéosurveillance : la santé de nos concitoyens ne mériterait-elle pas un petit effort ?

L. V.

Séismes meurtriers en Turquie et en Syrie : la corruption au cœur du désastre

4 mars 2023 by

Cet article a été rédigé en date du 2 mars 2023 par Pierre Mouroux, éminent spécialiste de la prévention du risque sismique, ingénieur honoraire du BRGM (Bureau de recherches géologique et minières) et membre d’honneur de l’AFPS (Association française du génie parasismique). Pierre Mouroux était intervenu à Carnoux, le 24 septembre 2012, pour une conférence organisée par le Cercle progressiste carnussien, portant sur le risque sismique dans notre région et sur les moyens de prévenir ce risque naturel. Il revient ici sur les récents tremblements de terre de forte intensité qui se sont produits le 6 février 2023 en Turquie et en Syrie, 20 ans après le gros séisme qui avait fait plus de 17 000 morts, le 17 août 1999, dans la région d’Izmit-Gölcük où il s’était rendu dans le cadre d’une mission de retour d’expérience.

Deux séismes majeurs ont touché la Turquie et la Syrie, le 6 février 2023, le premier à 4h17 (locale), de magnitude de moment 7,8, près de Gaziantep, le deuxième à 13h24 (locale), de magnitude de moment 7,5, près de Kahramanmaraş. Le deuxième n’est pas une réplique mais a pu être déclenché par le premier. Les répliques sont très nombreuses. Deux d’entre elles ont eu des magnitudes importantes, de 6,4 et 5,8, et ceci 11 jours après les séismes principaux. Beaucoup d’autres toucheront encore toute la zone concernée pendant de nombreux mois. Voir les cartes ci-après.

Localisation des 2 séismes successifs du 6 février 2023, et de la faille Est-anatolienne (source © Robin Lacassin / Institut de Physique du Globe de Paris / YouTube)

Avec des foyers autour de 20 km de profondeur, les longueurs de rupture sont colossales, plus de 120 km pour le premier, sur la faille Est-anatolienne, limite des plaques arabique et anatolienne et de 100 km pour le deuxième. Voir les photos de traces de failles en surface ci-après.

Les conséquences sont catastrophiques, avec un territoire concerné, en Turquie et en Syrie, de plus de 80 000 km², soit près de 3 fois la Région PACA. Les raisons principales sont les suivantes :

  • Une vulnérabilité très importante des constructions courantes, compte tenu d’une conception erronée et surtout d’une mauvaise qualité évidente des bétons peu confinés et des aciers, conduisant à des ruptures en châteaux de cartes, déjà bien observées lors du séisme d’Izmit-Gölcük en 1999. Voir ci-après. Les pertes humaines sont ainsi colossales : au moins 45 000 morts à la date du 28 février, plus de 150 000 blessés et des dizaines de milliers de sans-abris.
Équipes de secours en train de déblayer les ruines d’un bâtiment à la recherche de survivants dans le quartier d’Al-Aziziyeh à Alep, en Syrie (photo © Hameed Maarouf / UNHCR)

Cette vulnérabilité est le fait d’une corruption à grande échelle, bien mise en évidence dans un article récent du Monde, le 17 février : dans la province de Hatay très touchée par les séismes, la petite ville d’Erzin, 42 000 habitants, n’a eu aucun mort et aucun blessé. Le maire n’a absolument pas voulu accepter les conditions des corrupteurs-constructeurs et un grand nombre de constructions a subi peu de dommages, une grande réussite.

On aurait pu penser qu’après les grands séismes destructeurs de 1999, la Turquie aurait mis en place un plan efficace pour imposer que toutes les constructions soient parasismiques. Cela était tout-à-fait possible car la Turquie possède un règlement parasismique parmi les meilleurs au monde grâce à d’imminents spécialistes que nous avions pu rencontrer en 1999, dont le Professeur Erdik, très connu internationalement.

Cela a pu être réalisé mais seulement jusqu’en 2007, année de nouvelles élections. Une corruption très efficace a alors été mise en place entre le pouvoir existant et toutes les entreprises liées à la construction. Et bien sûr avec un système permettant d’éviter les contraintes parasismiques et générant beaucoup d’argent !!! Cela a conduit malheureusement à un affaiblissement systématique des nouvelles constructions lorsque les autorités locales, derniers remparts, se sont laissées corrompre par la mafia des constructeurs. A Erzin et heureusement pour cette ville, le maire n’a pas permis de telles actions et le résultat a été remarquable, comme signalé par Le Monde.

Immeubles détruits dans la ville turque d’Hatay (photo © Ercin Erturk / Anadolu Agency via AFP / Le JDD)

Les actions liées à cette corruption généralisée ont été par ailleurs bien mises en évidence dans un reportage sur ARTE présenté le 27 février. Une avocate, Madame Bedia Büyükgebiz, a accusé, images à l’appui, les pouvoirs publics de la destruction d’un bâtiment officiel du Ministère de l’Urbanisation situé dans la ville d’Antakya. Ce bâtiment contenait, d’après cette avocate, une quantité incroyable de rapports indiquant les faits de corruption dans la province de Hatay. Ces rapports ne sont donc plus accessibles et les preuves de corruption plus opposables. Madame Büyükgebiz a de plus signalé que ces destructions ont été organisées par le pouvoir seulement six jours après l’occurrence des séismes, alors que les engins déblayeurs auraient pu être utilisés pour sauver des personnes toujours enfouies sous les décombres. Dans ce même reportage, un architecte a dénoncé l’impossibilité du contrôle, effectué seulement à la fin des travaux, et un urbaniste en chef a expliqué comment un bâtiment illégal pouvait devenir légal par simple décision des pouvoirs locaux !!

  • Une organisation des secours très défaillante, bien loin par exemple de celle mise en place par l’Algérie lors du séisme de Boumerdes en 2003, dans le domaine méditerranéen. Beaucoup d’équipes étrangères sont cependant intervenues dont celles de la France, pour sauver des personnes ensevelies sous les décombres parfois jusqu’à 11 jours après le 6 février. Elles ont par ailleurs participé à la mise en place d’hôpitaux de campagne, tout au moins en Turquie, car la situation dans la partie syrienne touchée par les séismes est encore bien plus catastrophique, compte tenu du contexte politique.
Un corps est sorti des décombres d’un immeuble d’Adana au sud-est de la Turquie après le séisme du 6 février 2023 (photo © Can Erok / AFP / Sciences et avenir)

Dans le même reportage d’ARTE, le 27 février, le président Erdogan a certes présenté des excuses à la population, mais essentiellement concernant le retard des interventions turques au début de la catastrophe. Il ne s’est pas lui-même remis en cause.

Que faut-il donc faire en zone sismique ?

La prédiction étant toujours impossible scientifiquement et socialement, il faut mettre en place un     PLAN GLOBAL DE PREVENTION SISMIQUE, comme cela a été analysé et proposé pendant la Décennie Internationale pour la Prévention des Catastrophes Naturelles (DIPCN) à l’échelle mondiale, dans les années 1990-2000. La mise en place d’un tel plan reste néanmoins toujours difficile, pour des raisons diverses, politiques principalement comme en Turquie,  mais aussi techniques et économiques.

Les différents volets d’un tel Plan de Prévention sont les suivants ;

  • En matière d’Aménagement :

Faire appel à un géotechnicien, spécialiste des fondations en zone sismique, pour éviter les phénomènes de résonance, de liquéfaction des sables et limons et les mouvements de terrain déclenchés par les séismes.

  • En matière de Construction :

Appliquer la réglementation parasismique en vigueur, en mettant l’accent sur la conception de base, les calculs parasismiques et surtout la bonne réalisation et les suivis de chantiers avec contrôles permanents.

  • En matière d’Organisation des secours :

Bien s’assurer que la commune est en bonne liaison avec le Plan ORSEC régional, en particulier avec le PCS (Plan Communal de Secours).

  • En matière de Formation et d’Information :

Organiser des cycles de formation au génie parasismique dans les écoles d’ingénieurs et d’architecture, etc., ainsi que des séances d’information sur les séismes et leurs conséquences au plan local.

Un développement de ces quatre volets sera proposé dans un nouvel article, à paraitre prochainement.

Pierre Mouroux

Quelques compléments illustrés pour en savoir plus…

  • Les plaques, les failles et les séismes :
Carte administrative de la Turquie et localisation de la zone touchée par les séismes du 6 février 2023 (source © The Conversation)
Carte des failles principales et mouvements de plaques concernés par les séismes du 6 février 2023 (source © Romain Jolivet / ENS sur fond de carte GoogleEarth / Fourni par l’auteur / The Conversation)

La micro-plaque Anatolienne est poussée vers l’ouest par la remontée de la plaque Arabie vers le nord, et tractée à l’ouest. Ce mouvement vers l’ouest est accommodé par deux grandes failles tectoniques : la faille nord-anatolienne (2 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Anatolie et Eurasie) et la faille est-anatolienne (entre 5 mm et 1 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Arabie et Anatolie). Nous savons bien comment et pourquoi l’Anatolie bouge, mais cette connaissance est encore trop parcellaire pour prévoir les séismes.

Carte montrant la localisation de la séquence de séismes récents survenus en Turquie (source © Romain Jolivet / ENS sur fond de carte GoogleEarth / Fourni par l’auteur / The Conversation)

Une séquence historique de séismes s’est produite au XXᵉ siècle : initiée à l’est avec le séisme de Erzincan en 1939 (7,8), elle a continué avec des séismes en 1943, 1944, 1967 et enfin en 1999 avec les deux séismes d’Izmit (7,6) et Duzce (7,3), séparés d’à peine quelques mois.

Essaims de répliques des deux séismes ayant eu lieu à la frontière entre Turquie et Syrie le 6 février 2023 (source © Romain Jolivet / ENS sur fond de carte GoogleEarth / Fourni par l’auteur / The Conversation)
Localisation de l’épicentre des séismes du 6 février 2023 et des répliques (source © Koeri / Institut de radioprotection et de sureté nucléaire)
Localisation de l’épicentre des séismes du 6 février 2023 et des répliques (source © Centre sismologique euro-méditerranéen)

Les failles :

Failles en surface, conséquence des séismes du 6 février 2023 (source © IPGP : Pascal Bernard sur France 2)
  • Les conséquences sur les constructions, les infrastructures, les humains, … :

Un très grand nombre de rupture en châteaux de cartes, à cause d’une conception malheureusement encore en cours dans de nombreux pays, de type poteaux-poutres, avec des poteaux très mal calculés et surtout mal réalisés avec une mauvaise qualité des bétons et de mauvaises liaisons avec les aciers.

Quelques exemples de bâtiments endommagés ou effondrés suite aux séismes du 6 février 2023 (sources © Franceinfo et AFP).

Le site du CSEM (Centre sismologique euro-méditerranéen), présenté ci-dessus, contient également un très grand nombre de photos et vidéos sur les dommages provoqués par ces séismes.

Le site récent de Wikipedia en français a présenté aussi de nombreux documents sur ce type de dommage.

Les constructions qui ne se sont pas effondrées complètement seront très certainement détruites par la suite, après une analyse plus complète de leur tenue par des équipes de spécialistes. Elles ont cependant pu éviter un plus grand nombre de victimes, ce qui doit être le but recherché en zone sismique.

Tous les noms de ville cités peuvent être retrouvés simplement sur GoogleMaps.

Cas spécial de la ville d’Erzin :

Comme cela a été évoqué ci-dessus, cette ville a subi très peu de dommages grâce à son maire, Monsieur Ökkes Elmasoğlu. Dans un article du Monde du 2 mars, celui-ci a néanmoins subi beaucoup de pression, compte tenu de son étiquette politique et même de la part de ses concitoyens : « Depuis son élection en mars 2019, sous la bannière du Parti républicain du peuple, le CHP, la principale formation d’opposition de Turquie, Ökkes Elmasoğlu, le jeune maire courage juste quadragénaire, s’en est tenu à la stricte légalité dans le domaine du bâti, a refusé les travaux d’agrandissement non contrôlés, l’élévation hasardeuse des habitations, les projets non sécurisés. Il n’a pas cillé, mais il s’est mis à dos une grande partie de ses électeurs. Même une requête d’un membre de sa propre famille, on murmure ici qu’il s’agit de son père, ne l’a pas fait plier. C’est dire… ».

Dommages divers infrastructures : Un énorme incendie s’est propagé à des dizaines de conteneurs dans le port turc d’İskenderun, suite aux séismes.

Incendie de containers suite au séisme, dans le port turc d’İskenderun (photo © Demiroren News Agency via Agence France-Presse / Le Devoir)

Des situations de ce type doivent évidemment être analysées bien avant l’occurrence possible d’un séisme, dans les ports et sur les sites industriels des régions potentiellement sismiques.

Mauritanie : un procès hors normes…

2 mars 2023 by

La Mauritanie, ce pays de 4,5 millions d’habitants, pauvre et largement désertique, qui s’étend au sud du Maroc et de l’Algérie, limitrophe du Sénégal et du Mali, fait partie de ces nations où la justice et la démocratie peinent encore à s’exprimer. L’ONG Transparency International le classe d’ailleurs en 140e position parmi 180 pays, avec un indice de perception de la corruption de 28, équivalent à celui du Pakistan ou de l’Ouzbékistan, bien loin derrière la Nouvelle-Zélande ou le Danemark qui plastronnent avec un indice de 88…

Et pourtant, un événement assez inattendu vient de s’y produire. Mercredi 25 janvier 2023, s’est ouvert, à la Cour criminelle de la capitale, Nouakchott, le procès pour corruption de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui n’est autre que l’ancien chef de l’État, au pouvoir de 2008 à 2019. Il est accompagné dans le box des accusés en forme de cage par deux anciens Premiers ministres, Yahya Ould Hademine et Mohamed Salem Ould El-Béchir, ainsi que 7 autres personnalités de haut rang, anciens ministres ou ex directeurs de sociétés nationales prestigieuses.

Rassemblement le 25 janvier 2023 devant la Cour criminelle à Nouakchott, où s’est ouvert le procès de l’ancien Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz (photo © Mohamed Lemine Rajel / AFP / Jeune Afrique)

Le procès s’est interrompu le 13 février pour au moins 15 jours, à la demande des avocats de l’ex Président de la République islamique de Mauritanie, poursuivi pour corruption, trafic d’influence et enrichissement illicite. Ces derniers plaident en effet le caractère anticonstitutionnel de la procédure, estimant que le dossier est biaisé par le fait que, selon la loi mauritanienne, les autorités qui enquêtent sur un dossier de corruption sont directement intéressées en se récompensant sur les biens confisqués, ce qui ouvre en effet la voie à bien des tentations…

En réalité, l’ex président semble surtout victime d’un règlement de compte politique de la part de son ancien ami et ex ministre de la Défense, le général Mohamed Ould Ghazouani, qui lui a succédé à la tête de l’État le 1er août 2019, élu dès le premier tour avec 52 % des suffrages.

L’actuel Président de la République islamique de Mauritanie, Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, à Charm el-Cheikh, le 7 novembre 2022 (photo © Bandar al-Jaloud / AFP / Jeune Afrique)

Le président sortant d’alors, Mohamed Ould Abdel Aziz, ne pouvait se représenter après avoir accompli deux mandats présidentiels et il avait tout fait pour que ces élections soient remportées par son fidèle ministre Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, tout en laissant entendre qu’il ne comptait pas se retirer de la vie politique et que rien ne l’empêcherait de revenir au pouvoir à l’occasion de l’échéance présidentielle suivante, comme Vladimir Poutine l’avait fait en 2012 après avoir laissé Medvedev dirigé le pays le temps d’un mandat : un simple petit arrangement temporaire entre amis, en somme…

Il faut dire que Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même, n’était pas arrivé au pouvoir de manière très démocratique. Militaire de formation, il fut l’aide de camp du colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya lequel avait renversé en 1978 le président Moktar Ould Daddah, puis en 1984 son successeur Mohamed Khouna Ould Haidalla avant de diriger le pays d’une main de fer pendant plus de 20 ans jusqu’en 2005. En 2003, Ould Abdel Aziz devenu entre-temps colonel à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle avait déjoué un putsch militaire visant à renverser le chef de l’État, mais 2 ans plus tard il s’associe avec son cousin, le colonel Ely Ould Mohamed Vall pour mener un nouveau coup d’État en profitant de l’absence du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, alors aux obsèques du roi Fahd d’Arabie.

L’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz à Nouakchott le 1er août 2019 (photo © Seylou / AFP / RFI)

Élevé en janvier 2008 au grade de général par le nouveau président élu en 2007, Sidi Ould Cheikh Habdallahi, Mohamed Ould Abdel Aziz s’empare du pouvoir dès le mois d’août 2008 par un nouveau putsch militaire, avant de se faire élire à la présidence le 18 juillet 2009 puis de rempiler pour un second mandat de 5 ans en juin 2014, ce qui lui permet de présider pendant un an l’Union Africaine. Très actif dans la création du G5 Sahel, il remporte de francs succès dans la lutte contre le terrorisme islamiste dont les attaques sur le sol mauritanien ont quasiment cessé depuis 2011.

Pour autant, son bilan économique et social, lorsqu’il laisse le pouvoir en 2019 à un autre général, Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, alors son ministre de la Défense, n’est pas des plus brillants. La dette du pays atteint des sommets à plus de 100 % du PIB et l’extrême pauvreté touche les trois-quarts de la population tandis que la Mauritanie se place en 129e position sur 130 pays pour la qualité de son système éducatif et que les inégalités sociales entre populations maures et noires explosent.

Habitat informel en Mauritanie, un pays où la pauvreté touche au moins les trois-quarts de la population (source © Chez Vlane)

Toujours est-il que le nouveau président Ould Cheikh el-Ghazouani, sitôt dans le fauteuil présidentiel en profite pour raffermir sa main mise sur le parti et lance dès 2020 une commission parlementaire chargée de passer au crible la gestion de son prédécesseur. En août 2020, six anciens ministres sont placés sous contrôle judiciaire après avoir été auditionnés dans le cadre de juteux contrats, et le 17 août Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même est arrêté, accusé de corruption et de détournement de biens publics. Interdit de quitter le territoire depuis septembre 2020, l’ancien président a été inculpé en mars 2021 puis de nouveau arrêté en septembre 2021 après que les enquêteurs aient démoli sa maison de Beni Chab, à la recherche d’or caché…

L’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz alors en exercice, entouré de sa garde présidentielle en novembre 2015 (photo © Bruno Fanucchi / Paris Match / Mozaikrim)

Victime d’un AVC et opéré du cœur en décembre 2021, Mohamed Ould Abdel Aziz purge sa détention à domicile en attendant son procès annoncé depuis juin 2022 et qui vient donc de commencer. Selon son dossier judiciaire, les sommes qu’il est accusé d’avoir détournées s’élèvent à 90 millions de dollars et son patrimoine est composé de 17 maisons, 468 terrains et plusieurs troupeaux, dont il n’explique pas réellement l’origine. Il lui est surtout reproché l’attribution de marchés douteux concernant notamment la vente de domaines nationaux mais aussi la gestion de droits de pêche attribués à une société chinoise qui transbordait illégalement en haute mer le produit de plusieurs chalutiers sur un bateau collecteur. La commission d’enquête estime à 24 millions de dollars les fonds détournés pendant des années et placées frauduleusement sur des comptes à l’étranger.

Le chef de l’État mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz sur son lit d’hôpital à Nouakchott le 14 octobre 2012 avant son évacuation sanitaire vers Paris pour être opéré après avoir reçu plusieurs balles pour avoir forcé imprudemment un barrage militaire (photo © AMI / Jeune Afrique)

L’avenir de l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz paraît décidément bien sombre, à moins qu’un nouveau coup d’État ne vienne opportunément changer la donne : la Mauritanie n’en est plus à un putsch militaire près, dans ce pays où l’armée est plus que jamais omniprésente, au point que le Président déchu Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même, alors qu’il était chef de l’État tout puissant, s’était fait tirer dessus par une patrouille militaire, le 13 octobre 2012 en regagnant Nouakchott à la nuit tombante au volant de son puissant Toyota V8. Une simple erreur d’un lieutenant zélé à qui on avait donné l’ordre de tirer sur tout véhicule suspect refusant d’obtempérer : en Mauritanie, mieux vaut se méfier du pouvoir des militaires, habitués à une certaine impunité…

L. V.

La Chine adepte de la langue de bœuf piquante…

28 février 2023 by

On aurait presque tendance à l’oublier, depuis un an que le monde entier a les yeux braqués sur l’Ukraine qui tente tant bien que mal de résister aux assauts offensifs de l’armée russe. Pourtant, depuis une dizaine d’années, c’était un tout autre théâtre d’opération qui semblait focaliser l’attention, en l’occurrence la Mer de Chine, où les tensions militaires ne cessaient de croître.

Démonstration de force de centaines de navires de la milice maritime chinoise près des côtes philippines en mars 2021 (source © France TV info)

En mars 2021, ce sont pas moins de 180 vaisseaux de la milice maritime chinoise fermement amarrés sur le récif de Whitson qui avaient été repérés par les gardes côte philippins, dans un secteur pourtant situé dans la zone économique exclusive de 200 miles marins revendiquée par les Philippines et confirmée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il s’en était suivie une confrontation tendue, suivie en août 2021 par des discours assez fermes de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, à l’occasion d’une visite officielle au Vietnam où elle a affirmé vouloir « trouver des moyens de faire pression franchement, sur Pékin (…) pour qu’il remette en cause ses revendications maritimes abusives et excessives ».

Un discours peu diplomatique et qui est loin de faire retomber la pression dans cette Mer de Chine dont plusieurs nations revendiquent la propriété exclusive du fait de son grand intérêt stratégique mais aussi économique, pas seulement en raison de ses eaux poissonneuses mais surtout à cause des abondantes ressources en hydrocarbures explorées depuis les années 1970.

Plateforme chinoise de la CNOCC en Mer de Chine méridionale pour l’exploitation d’un gaz naturel par 1500 m de fond, installée en 2012 (source © CNTV)

Le 14 mars 1988, un violent accrochage avait déjà eu lieu sur un autre atoll du même archipel des Spratleys, où 3 frégates de la marine chinoise avaient été empêchées de débarquer par un groupe de jeunes soldats du génie vietnamiens occupés à sceller des bornes topographiques. La marine chinoise n’avait alors pas hésité à tirer au canon anti-aérien sur la soixantaine de militaires vietnamiens désarmés, faisant au moins 6 morts. Depuis, les incidents n’arrêtent pas de se multiplier, chacune des nations riveraines cherchant à annexer les milliers d’atolls déserts et pour la plupart semi immergés qui parsèment cette immense étendue maritime de 3,5 millions de km2.  

Soldats de l’armée chinoise en patrouille sur l’îlot désert de Woody dans l’archipel des Paracels en Mer de Chine (source © China Stringer Network / Le Temps)

La Chine considère en fait que la quasi-totalité de cet espace lui appartient exclusivement, y compris donc ces ilots jamais habités et couverts de guano qui constituent l’archipel des Spartleys, situé à plus de 2000 km de ses côtes les plus méridionales et à proximité des Philippines, de Brunei et de l’Indonésie à l’est, de la Malaisie au sud et du Vietnam à l’ouest. Elle s’oppose donc frontalement au découpage proposé en application du droit maritime international, qui prévoit des zones économiques exclusives selon une bande côtière de 200 miles comptée à partir des rivages habités.

Pour ce découpage, la loi internationale ne tient évidemment pas compte des rochers et récifs perdus en mer et jamais occupés par l’homme. Mais selon l’interprétation chinoise, tous ces atolls perdus en Mer de Chine, même les plus proches des côtes philippines ou vietnamiennes lui appartiennent car ses pêcheurs ont l’habitude d’y accoster. Sur cette base, la Chine revendique donc la quasi-totalité de cet immense espace maritime, à l’intérieur d’une ligne qui dessine une « langue de bœuf » s’insinuant très au sud, en limite des côtes philippines et vietnamiennes.

Carte de la Mer de Chine avec, en rouge, la ligne en 9 traits en forme de langue de bœuf englobant les territoires revendiqués par la Chine (source © éditions Belin)

Cette carte dite « à neufs traits » délimite ainsi une superficie de plus de 2 millions de km2 revendiquée par la Chine depuis 1947 et qui englobe quasiment toute la Mer de Chine à l’exception des zones côtières de faible profondeur. La superficie de terres émergées intégrées dans cet immense espace est minuscule, englobant notamment les îles Paracels, le récif de Scarborough, les îles Spratleys, le banc Macclesfield et le banc de James, des zones perpétuellement immergées respectivement à 22 et 11 m sur la surface de la mer mais dont la Chine dispute âprement la souveraineté face à ces voisins.

Et pour appuyer sa démonstration, elle n’hésite pas à remblayer massivement ces atolls pour les transformer en plateformes émergées sur lesquelles elle construit des infrastructures militaires. Une méthode d’ailleurs utilisée aussi par d’autres pays, si bien qu’on assiste à une course à l’annexion de ces îlots considérés comme autant de points d’appui pour justifier ses revendications territoriales, dans une ambiance de plus en plus militarisée.

Le président chinois Xi Jinping participant à une manœuvre militaire en Mer de Chine méridionale le 12 juillet 2018 (source © Xinhua / Reuters / Le Figaro)

La Chine a notamment installé une base sous-marine au large de l’île de Hainan située en limite méridionale de ses côtes, au sud-ouest de Taïwan. Cette île qui héberge plus de 9 millions d’habitants et est réputée pour l’attrait touristique de ses plages de sable fin, abrite aussi un site de lancement spatial et un chantier de construction de sous-marins nucléaires d’attaque dont la production, sur ce seul site, se fait au rythme accéléré d’un par an ! De quoi donner du poids à la force de dissuasion chinoise qui entend bien contrôler par l’intimidation l’ensemble de cet espace maritime donnant accès au détroit de Malacca situé au sud et qui permet le passage vers l’océan indien.

Edification d’une plateforme sur un des hauts-fonds des îles Spratleys par d’immenses dragueuses chinoise en vue de l’aménagement d’infrastructures militaires et portuaires (source © alter Quebec)

Depuis 2014, les Chinois ont ainsi édifié de multiples remblais dans les îles Paracels pour y installer des batteries de missiles et ils ont entrepris la réalisation de 7 îles artificielles sur des îlots des Spratleys, formant ce que certains appellent ironiquement « la grande barrière de sable ». En quelques années et au prix de terrassements gigantesques, les Chinois ont ainsi dragué d’énormes quantités de sables pour les déverser sur ces récifs coralliens et les recouvrir de béton, gagnant sur la mer pas moins de 13 km2 sur lesquels ils ont aménagé des infrastructures militaires avec radars, pistes d’atterrissage et base de lancements de missiles, ce qui leur permet de menacer les bateaux passant à leur portée.

L’impact environnemental de tels travaux est évidemment catastrophique mais on se doute que c’est bien le dernier des soucis de l’armée chinoise et de son gouvernement dont les visées impérialistes sont de moins en moins masquées…

L. V.

Les PFAS, ces « polluants éternels » omniprésents…

26 février 2023 by

Le génie inventif de l’homme est sans limite ! Il a même mis au point des « polluants éternels », très largement utilisés dans l’industrie et dont on comprend aujourd’hui qu’ils sont quasiment omniprésents comme le révèle Le Monde qui vient de diffuser, le 23 février 2023, sa « carte de la pollution éternelle » établie dans le cadre d’un vaste partenariat avec 16 autres grands médias européens et l’aide de scientifiques spécialistes du sujet.

Carte des sites européens de contamination détectée ou potentielle aux PFAS (source © Le Monde)

Cette carte montre la localisation de plus de 17 000 sites où la présence de ces composés chimiques ultra toxiques, constitués de substances per- et polyfluoroalkylées, PFAS de leur petit nom, a été enregistrée à des taux très supérieurs aux normes admissibles, ainsi que la vingtaine de sites industriels produisant ces substances et plus de 20 000 endroits potentiellement pollués du fait de leur activité industrielle en lien avec l’utilisation de ces composés chimiques : pas très rassurant…

On estime qu’il existe plus de 4700 composés chimiques différents se rapportant à cette famille des PFAS. Tous ont en commun de ne pas exister à l’état naturel mais d’être le résultat exclusif du génie chimique créatif humain, qui, comme chacun le sait, est sans limite. Leur invention date des années 1940, lorsqu’a été synthétisée pour la première fois la molécule d’acide perfluorooctanoïque (PFOA en anglais), dans le cadre du projet militaire Manhattan qui a conduit à la fabrication de la bombe atomique.

La poêle Téfal, à base de teflon et d’aluminium, inventée en 1951 par Marc Grégoire et commercialisée à partir de 1956 (source © Téfal / Deco)

Ce produit miracle, caractérisé par une liaison carbone-fluor extrêmement stable, présente de fait de multiples propriétés très recherchées puisqu’il résiste à tous les liquides, y compris l’huile et les graisses et est particulièrement résistant à la chaleur. Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains l’ont donc utilisé pour étanchéifier leurs chars d’assaut et, en 1949, DuPont de Nemours a introduit ce composé chimique dans ses chaînes de fabrication industrielles de poêles à frire miraculeuses vendues sous le nom de Téflon. Ce sont d’ailleurs les multiples contaminations des populations vivant à proximité des sites de production de DuPont, à Dordrecht aux Pays-Bas et à Parkesburg, en Virginie, qui ont contribué à mieux connaître les effets sanitaires de ces molécules.

Usine DuPont, désormais Chemours, à Dordrecht (source © Trouw)

Il faut dire que depuis, les PFAS ont connu un succès fou. On les retrouve désormais un peu partout, non seulement dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs, mais dans de nombreux emballages alimentaires, dans certains vêtements textiles imperméables, dans les moquettes résistant aux tâches, dans les peintures anti-corrosives, dans les revêtements de fils électriques, comme matériau permettant de réduire l’usure mécanique ou encore dans la composition des mousses utilisées par les pompiers pour combattre les feux de liquides inflammables dangereux.

De qui expliquer pourquoi on retrouve désormais des résidus de ces composés chimiques ultrastables et quasi indestructibles dans les sols et l’eau, un peu partout et pour des millénaires. On mesure ainsi des concentrations importantes de ces PFAS dans plusieurs cours d’eau du secteur, dans le ruisseau des Aygalades comme dans l’Huveaune ou l’Arc, mais aussi dans l’étang de Berre du fait des exercices répétés des services d’incendie sur les pistes de l’aéroport de Marignane.

Exercice d’extinction de feu à Marignane par les pompiers, à l’aide d’une mousse enrichie en PFAS (photo © Christian Valverde / BMPM / Pompiers sans frontières)

Le hic, c’est que ces composés chimiques indestructibles pénètrent facilement dans le corps des organismes vivant, si bien qu’on le retrouve aisément dans le sang humain un peu partout dans le monde. Et cette présence n’est malheureusement pas anodine car de nombreuses études ont permis de mettre en évidence les impacts sanitaires non négligeables de ces substances qui provoquent, entre autres, une augmentation du taux de cholestérol, une modification des enzymes du foie et du système thyroïdien, des risques d’hypertension artérielle, une réduction de la réponse aux vaccinations et des risques accrus de cancer du rein et des testicules notamment…

Le risque a d’ailleurs été jugé tel que l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) a drastiquement réduit en septembre 2020 la dose maximale admissible de PFAS de 270 à 0,63 ng/kg de masse corporelle, ce qui en dit long sur la dangerosité estimée de cette famille de produits chimiques. Le PFOA est lui-même désormais interdit depuis juillet 2020. En parallèle, la Directive européenne adoptée le 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine impose désormais que les PFAS soient systématiquement recherchés et que la somme de leurs différents composés ne dépasse pas 500 ng/l.

Affiche du film Dark waters sorti en 2020 en France, avec Mark Ruffalo dans le rôle de l’avocat de Cincinnati qui enquête sur une pollution massive aux PFAS (source © Réseau environnement)

Il faut dire que plusieurs alertes sanitaires sérieuses ont attiré l’attention sur l’impact sanitaire et environnemental désastreux de ces produits. Le film américain Dark waters, sorti en 2019, relate des faits réels qui se sont produits en 1999 sur à Parkersburg où le bétail a été décimé et au moins 70 000 personnes contaminées par la présence massive de PFOA dans la nappe du fait de l’activité industrielle d’un site de production de DuPont qui avait stocké 7100 tonnes de PFOA dans le centre d’enfouissement de Dry Run.

Action de Greenpeace devant l’usine Mitanie en Vénétie en octobre 2018 (photo © L. Moscia / Greenpeace / Libération)

En Vénétie italienne, ce sont pas moins de 350 000 personnes qui ont été plus ou moins intoxiquées par une pollution massive et durable de la nappe phréatique au PFOA entre Vérone, Vicence et Padoue, du fait de l’activité industrielle de l’usine chimique Miteni, implantée à Tressino dans les années 1960 jusqu’à sa faillite en novembre 2018 et qui rejetait allégrement des quantités colossales de PFAS dans la petite rivière voisine.

En février 2021, le chantier de construction d’un tunnel sous la zone estuarienne de Middle Harbour à Sydney en Australie, a dû être interrompu pendant plus d’un an, suite à la découverte d’une pollution massive aux PFAS et aux métaux lourds des sédiments, créant des risques excessifs de contamination du chantier en cas d’infiltrations d’eau. On n’a pas fini d’entendre parler des PFAS…

L. V.

Béziers plus vieille que Marseille ?

24 février 2023 by

Comme chacun le sait, surtout à Marseille, la cité phocéenne est la plus ancienne ville française fondée en 600 avant Jésus Christ, par une troupe de colons grecs issus de la région de Phocée, l’actuelle Foça, située en Turquie près d’Izmir. Nommée à l’époque Massalia, la cité antique s’est développée à partir d’un petit comptoir commercial bâti par les marins grecs qui ratissaient alors le littoral méditerranéen à bord de leurs navires rapides à 50 rameurs, les pentécontères et ont été séduits par la calanque du Lacydon, devenue depuis le Vieux-Port, formant un beau point de mouillage, profond et bien orienté, largement abrité du vent dominant, le mistral.

Ils n’étaient bien entendu pas les premiers à s’installer sur ces côtes dont les éminences étaient alors couvertes d’oppida habitées par des populations celto-ligures. La légende, née bien plus tardivement, enjolive sans doute un peu les choses en racontant la belle histoire de Gyptis, la fille du roi des Ségobriges, qui à l’issue du banquet donné en l’honneur des visiteurs grecs, choisit comme mari le beau Protis, l’un des commandants de la flotte ionnienne.

Les Noces de Protis et Gyptis, tableau peint en 1874 par Joanny Rave, exposé au Grand Palais à Paris (source © RMN-Grand Palais / Educsol)

Toujours est-il que la petite colonie grecque se développe rapidement sur la butte des Carmes, au point d’inquiéter son rival carthaginois avec qui les Grecs se disputaient alors le leadership en Méditerranée. A l’issue d’une bataille navale en 540 avant J.-C., au large de l’actuelle Aléria en Corse, la ville de Massalia obtient, grâce à une alliance avec les Étrusques, le contrôle de la côte ligure à l’Est de son territoire, ce qui facilite son expansion malgré des heurts croissants avec ses voisins celto-ligures qui se regroupent au sein d’une fédération salyenne.

Mais voila que l’on commence à douter que Marseille soit vraiment la plus ancienne ville française encore habitée. Certes, Marseille n’a été rattachée que très tardivement au Royaume de France, en 1481 lorsque le Comté de Provence dont elle faisait partie, est définitivement devenu province française, à la fin du règne de Louis XI qui le récupère en héritage du bon roi René, par ailleurs duc d’Anjou et roi de Naples et de Jérusalem, décédé à Aix-en-Provence le 10 juillet 1480. Mais ce n’est pas pour cette raison que l’antériorité de Marseille est désormais contestée, au bénéfice d’une autre ancienne colonie grecque, qui aurait été fondée au moins 25 ans avant sa voisine Massalia.

La cathédrale Saint-Nazaire sur les berges de l’Orb à Béziers au niveau du Pont Vieux (source © Office de tourisme de Béziers)

C’est en effet ce qui découle de fouilles archéologiques menées entre 2017 et 2018 dans le centre-ville de Béziers, sur la colline Saint Jacques, conjointement par le service archéologique municipal de Béziers et l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP). Comme à Marseille, l’implantation humaine sur les collines qui surplombent la vallée de l’Orb est ancienne et un oppidum y avait déjà été aménagé par des Elisyques, une peuplade locale d’agriculteurs et de pêcheurs, auprès de qui les colons grecs venaient commercer et s’approvisionner en minerai d’étain pour la fabrication du bronze.

Vue des vestiges de la cité antique grecque sur la colline Saint-Jacques à Béziers en mars 2018 (source © Le Petit Journal)

Les vestiges de fossés défensifs découverts en 2018 à Béziers et qui ont permis de dater à 625 avant J.-C. l’implantation grecque sur cet îlot Saint-Jacques, montrent que la cité grecque antique probablement alors dénommée Rhòde, s’étendait déjà sur une douzaine d’hectares, avec ses rues à angles droits et ses maisons aux toits couverts de tuiles corinthiennes en terre cuite, un matériau alors inconnu en Gaule et qui n’y sera popularisé que plus tard avec l’implantation romaine.

Vestiges d’un four de potier grec daté de la fin du Ve siècle avant J.-C., exhumé lors des fouilles de l’îlot des Chaudronniers à Béziers en 2014 (source © Midi Libre)

La cité biterroise connait un développement rapide au cours du Vie siècle avant notre ère et double bientôt de surface. On y retrouve de nombreux vestiges d’une industrie céramique sophistiquée avec ses poteries tournées ornées de motifs hellénistiques. Pourtant, le site semble connaître un net déclin voire un abandon aux alentours du IIIe siècle avant J.-C., date à laquelle la tribu celtique des Volques s’installe sur les ruines de la cité délaissée.

Il faut ensuite attendre l’an 36 avant J.-C. sous le second triumvirat d’Octave, futur premier empereur romain passé à la postérité sous le nom d’Auguste, pour voir fonder une nouvelle colonie romaine sur les bords du fleuve Orb, à l’emplacement de l’antique colonie grecque. Cette nouvelle Colonia Urbs Julia Septimanorum Baeterra, où s’installent des colons romains, vétérans de la septième légion de Jules César, est alors traversée par la Via Domitia qui relie l’Italie à l’Espagne en passant notamment par les villes romaines de Narbonne, plus au sud, et de Nîmes (alors Nemausus) puis Beaucaire (Ugernum) avant d’atteindre Glanum (Saint-Rémy de Provence) puis Cavaillon et Apt.

Monnaies archaïques de Massalia du Ve siècle avant J.-C. (source © Jean-Albert Chevillon / UNTL)

Par comparaison la ville de Massalia a connu une expansion économique plus durable durant sa période phocéenne, devenant rapidement un important port commercial et une ville de 30 à 40 000 habitants, soit la plus grosse agglomération urbaine de l’époque en Gaule. Commerçant avec l’Asie mineure, la Grèce, Rome et l’Égypte, Massalia est aussi à la croisée de routes commerciales alors importantes par où transitent l’ambre et l’étain qui descendent par le Rhône tandis que remontent vers le nord les produits manufacturés et le vin. C’est d’ailleurs là qu’on a retrouvé, lors des fouilles de 2006-2007 sur la colline Saint-Charles les vignobles les plus anciens de France et c’est aussi à Massalia qu’ont été émises les premières monnaies utilisées pour le commerce local, dès 490 avant J.-C. puis des oboles d’argent quelques dizaines d’années plus tard. De quoi se consoler de céder le pas à l’antique Baeterrae quant à l’antériorité de son implantation urbaine sur le sol gaulois…

L. V.

Les Chinois aussi s’inquiètent pour la retraite

20 février 2023 by

En Chine, les manifestations sont excessivement rares. Celles de la place Tiananmen lors du « printemps de Pékin » en 1989 avaient fait forte impression mais s’étaient soldées par une répression féroce de la part des autorités. Le 27 novembre dernier, de nouvelles manifestations ont éclaté à Shangaï, suite à l’incendie d’un immeuble qui a fait 10 morts à Urumqi, dans le Xinjiang, provoquant l’exaspération des populations confrontées à un confinement des plus stricts, destiné à enrayer l’épidémie de Covid-19, au point d’enfermer les habitants à domicile, quitte à restreindre dramatiquement l’arrivée des secours en cas d’incendie…

Manifestation à Pékin en hommage aux victimes de l’incendie d’Urumqi, le 27 novembre 2022 (photo © Thomas Peter / Reuters / Le Monde)

Une réaction populaire assez intense, au point d’entendre sur les quelques vidéos relayées par les réseaux sociaux, des citoyens exaspérés hurler leur mécontentement à l’encontre du Parti communiste chinois et crier des slogans comme : « Xi Jinping, démission ! ». Une première dans un pays où l’opinion publique reste fortement muselée.

Rien de tel bien sûr pour les récentes manifestations dont la presse s’est faite l’écho, le 8 et le 15 février 2023, qui ont rassemblé quelques centaines de personnes seulement, dans les villes de Dalian et de Wuhan. Dans cette dernière, une métropole de 11 millions d’habitants, qui s’est rendue mondialement célèbre pour être le point de départ de l’épidémie planétaire de Covid-19, quelques vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent une poignée de retraités pacifiques bien qu’un peu excités faire face à un cordon d’agents de sécurité devant l’entrée du parc Zhongshan, un lieu populaire de promenade de la ville. La semaine précédente, ils avaient déjà exprimé leur mécontentement et certains d’entre eux avaient été reçus en délégation par les autorités.

Manifestation de retraités à Wuhan contre la baisse des allocations santé, le 15 février 2023 (source © Twitter Pearlher / 20 minutes)

Ces retraités manifestent contre une mesure récente du gouvernement chinois qui vise à réduire le montant des remboursements de prestations d’assurance maladie pour ces retraités, anciens actifs de la fonction publique ou ex-ouvriers d’entreprises d’État. Ces derniers estiment en effet s’être contentés de salaires modestes en espérant une couverture maladie plus généreuse à la retraite et se voient donc floués par ces mesures d’économie du gouvernement chinois qui taille dans les dépenses pour réduire ses déficits sociaux.

Car la question de l’équilibre des retraites ne donne pas seulement des maux de tête à nos dirigeants occidentaux. C’est aussi un casse-tête chinois, dans un pays qui vieillit rapidement et dont les générations ne se renouvellent pas. Avec la politique de l’enfant unique, entrée en vigueur en 1979, la Chine a réussi à réduire drastiquement sa croissance démographique, ce qui lui a permis de mieux nourrir sa population et de l’entraîner dans une spirale de croissance économique spectaculaire, au point de devenir la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis.

La famille nucléaire chinoise après 40 ans de politique de l’enfant unique… (photo © XiXinXing / Getty Images / Chinoistips)

Mais la chute de la natalité qui s’en est suivie à conduit les autorités à assouplir leur position. Depuis le 1er janvier 2016, tous les couples chinois sont désormais officiellement autorisés à avoir deux enfants, et même trois depuis le 20 août 2022. Sauf que la croissance démographique ne se décrète pas et que les Chinois sont devenus une société très matérialiste qui considère désormais que les enfants sont une charge qui coûte cher et peut entraver le déroulement de carrière des parents…

Si bien que le taux de fécondité qui été supérieur à 6 enfants par femme dans les années 1970 est désormais l’un des plus bas du monde avec 1,28 enfants par femme, très en dessous de ce qui est nécessaire pour permettre le renouvellement des générations. La Chine a ainsi perdu 850 000 habitants en 2022 ! Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie, la part des actifs ne cesse de diminuer et la Chine devrait perdre pas moins de 3 millions d’actifs par an dans les années à venir : une véritable catastrophe pour maintenir un régime de retraite équilibré !

Évolution du taux de fécondité en Chine comparé à ceux du Japon et des États-Unis (source ©  Banque mondiale)

En réalité, nombreux sont les Chinois qui ne bénéficient pas d’une pension de retraite, surtout dans les campagnes. Mais paradoxalement, pour ceux qui jouissent d’une retraite, l’âge de départ à la retraite est resté relativement bas comparativement aux pays occidentaux puisqu’il est de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Assurer un équilibre durable des caisses de retraites dans de telles conditions est une gageure et le gouvernement commence à se faire des cheveux blancs, songeant déjà à augmenter progressivement le départ de l’âge de départ en retraite et à introduire des systèmes de retraite complémentaire par capitalisation.

Vieilles femmes chinoises assises sur un banc de Chongqing, en Chine (photo © Tim Graham / Robert Harding Heritage / France TV Info)

Toute ressemblance avec une situation vécue en France serait bien entendu purement fortuite mais force est de constater que la question de l’équilibre des régimes de retraite constitue finalement un sujet assez universel…

L. V.

Carnoux : une table d’orientation mal placée…

18 février 2023 by

Les amateurs de marche dans la colline sur le chemin qui mène de Carnoux à Roquefort la Bédoule via le passage par la croix, avaient constaté que la plaque de l’ancienne table d’orientation était fort dégradée et par conséquent illisible, l’émail étant écaillé par endroits.

Par ailleurs, et depuis l’érection de la nouvelle croix sur un haut socle pyramidal, après un acte de vandalisme qui avait affecté l’ancienne, la table d’orientation située à son pied ne permettait plus d’admirer la totalité du vaste panorama qui s’étend des collines de Carpiagne jusqu’au massif de la Sainte Baume.

L’ancienne table d’orientation de Carnoux avant intervention
(photo © CPC)

La page 4 du numéro 67 de la revue municipale Le Messager d’octobre 2022 a annoncé « la réhabilitation du panorama de la croix », information confirmée dans le numéro 68 de janvier 2023 qui évoque son installation par l’ONF ainsi que le réaménagement et le nettoyage des abords.

Les marcheurs ont pu suivre les différentes opérations de restauration et quelques-uns ont interrogé les ouvriers de l’ONF quand ils étaient occupés à sceller le cercle de métal destiné à recevoir la nouvelle plaque émaillée d’orientation. Ils leur ont suggéré que son socle soit déplacé de quelques mètres sur la droite de la croix aux abords du surplomb afin d’offrir une meilleure efficacité de la table d’orientation. Il leur a été répondu que seuls les ordres du responsable de l’ONF pouvaient les conduire à opérer le déplacement du socle de la table.

La nouvelle table d’orientation restaurée mais dont le panorama est masqué derrière un ouvrage en pierres : une incitation à imaginer le paysage, à défaut de pouvoir l’observer…(photo © CPC)

Quelques jours plus tard, ils constatèrent que leur requête de bon sens n’avait pas été suivie d’effets et que la nouvelle table était scellée avec pour conséquence l’impossibilité de situer, par exemple, le Garlaban cher à Marcel Pagnol.

Cette opération de réhabilitation, au coût non négligeable, financée par la commune de Carnoux et par le département des Bouches du Rhône, aurait mérité une étude préalable afin d’offrir aux promeneurs, une lecture du panorama plus complète. Notons aussi que le point de vue sur les collines qui surplombent Roquefort la Bédoule est occulté par des pins qui ont été préservés.

Table d’orientation de la Cadière d’Azur, avec sa vue dégagée à 360°

Il existe pourtant dans notre région des exemples d’aménagements qui offrent au large panorama sur le paysage environnant. Ainsi, à la Cadière d’Azur, dans le Var, c’est une vision à 360° qui est permise comme le montre la photographie. Dans d’autres régions, comme à Rosenwiller en Alsace, la table d’orientation est semi-circulaire et cible ainsi le seul panorama visible.

A Carnoux, il faut une vision surnaturelle pour observer le paysage depuis le panorama de la croix… (source © Tuxboard)

Les marcheurs qui visitent les collines de Carnoux ne possédant pas les yeux laser des super-héros comme ceux de Superman, il leur faudra attendre que la science les dote de lunettes capables de voir au travers de la matière pour repérer les différents massifs mentionnés sur la table d’orientation de Carnoux, mais cela relève encore de la science-fiction.

Maroiller

Mayotte : le casse-tête français

16 février 2023 by

L’ancien président des Comores avait coutume de dire que « la ville de Marseille est la cinquième île des Comores », ce qui en dit long sur l’importance de la diaspora issue de ce petit archipel de l’océan Indien. Il n’existe évidemment pas de recensement officiel mais les estimations les plus fiables évaluent entre 40 000 et 80 000 le nombre de Comoriens d’origine installés à Marseille ! Un quart du PIB des Comores serait d’ailleurs issu des apports directs de la diaspora installée principalement à Marseille mais présente également dans d’autres métropoles françaises, en région parisienne et à Lyon notamment.

Manifestation de Franco-Comoriens à Marseille suite au crash du vol Yemenia 626 dans l’océan Indien le 30 juin 2009 (photo © Jean-Paul Pélissier / Reuters / Slate Afrique)

En juin 2020, un rapport de la Cour des Comptes dressait un tableau assez cataclysmique de l’état de Mayotte, l’une des 4 îles de l’archipel, devenue département français en 2009, à l’issue d’un référendum organisé dans l’indifférence générale par Nicolas Sarkozy. Dès 2011, de violentes émeutes éclataient sur l’île, opposant la jeunesse de Mayotte aux forces de l’ordre venues de métropole et depuis, l’île s’enfonce dans l’insécurité tandis que les services publics, totalement submergés, sont en pleine dérive.

Mayotte comptait, selon le dernier recensement de 2017, 256 000 habitants, sans doute près de 300 000 désormais. Mais paradoxalement, environ la moitié d’entre eux n’a pas la nationalité française. Chaque année, l’île voit en effet arriver au moins 7 000 immigrés supplémentaires. Elle connait un taux de croissance démographique de 3,8 %, totalement incontrôlable et sans aucun rapport avec ses capacités de développement économique et de prise en charge sociale.

Programmes de constructions neuve sur la commune de Koungou à Mayotte, confrontée à l’explosion démographique (photo © Gween Le Bigot / La 1ère France TV info)

Les jeunes Mahorais fuient l’île en masse pour venir grossir les rangs de la diaspora marseillaise tandis que l’île fait face à une immigration massive et partiellement encouragée par le gouvernement comorien qui laisse des milliers de ses ressortissants embarquer sur des barques de fortune, les fameux kwassa kwassa, pour franchir de nuit le bras de mer séparant Anjouan de Mayotte et qui est devenu un vaste cimetière marin.

Bateaux de pêche sur l’île de Grande Comore, les fameux kwassa kwassa utilisés pour l’émigration clandestine vers Mayotte (source © wikivoyage)

Malgré les innombrables reconduites à la frontière, cet afflux de migrants désorganise largement l’île de Mayotte dont les structures sanitaires et éducatives sont totalement saturées. 84 % de la population de Mayotte vit en dessous du seuil de pauvreté. En 2017, 40 % des bébés nés à la maternité de Mamoudzou, la capitale, étaient de mère étrangère. De quoi alimenter un fort ressentiment des Mahorais contre ces immigrés issus pour l’essentiel des autres îles de l’archipel, au point que le Rassemblement National y enregistre des scores fleuves (plus de 59 % pour Marine Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles de 2022 !).

Habitat précaire à Mamoudzou, capitale de Mayotte, en octobre 2019 (source © MaxPPP / La Croix)

A se demander comment on a pu en arriver à une telle situation… Il est vrai que l’histoire de cet archipel n’est pas un long fleuve tranquille. Situé entre le Mozambique et le nord-ouest de Madagascar, cet archipel a été peuplé assez tardivement, à partir de peuples swahili, issus des côtes de l’Afrique de l’Est, mais aussi de Madagascar, surtout pour Anjouan et Mayotte, situées plus à l’Est. Ces îles ont ensuite subi de fortes influences arabes et persanes, ce qui a conduit à leur islamisation.

Affrontements de jeunes Mahorais avec les forces de l’ordre en novembre 2022 (photo © Florent Dupuy / SIPA / L’Internaute)

Au XVIIIe siècle, l’archipel, alors assez florissant du fait de sa position sur les routes commerciales maritimes dominantes, se livre à des rivalités incessantes. Pillages, razzias et coups d’État se succèdent, au point qu’en 1841, le sultan de Mayotte préfère céder son île, dépeuplée et sinistrée, à la France de Louis-Philippe, moyennant une rente modeste… En 1869, l’ouverture du canal de Suez signe l’arrêt de mort commercial de l’archipel, désormais à l’écart des grandes voies maritimes. Du coup, la France étend peu à peu son emprise sur l’ensemble de l’archipel qui n’intéresse plus grand monde et en 1946 les 4 îles sont officiellement rattachées à la même entité administrative, une colonie française qui intègre Madagascar et ses dépendances.

Le 22 décembre 1974, la France organise un référendum : sans surprise, 99 % des de la Grande Comore, de Mohély et d’Anjouan votent en faveur de l’indépendance mais 63 % des habitants de Mayotte la refusent ! Curieusement, Jacques Chirac, alors Premier Ministre, décide d’interpréter ces résultats île par île et non globalement, partant du principe que Mayotte est française depuis 1841 alors que le reste de l’archipel n’est sous protectorat que depuis 1886. Une interprétation qui place la France dans une situation très délicate face au droit international lorsque les Comores proclament leur indépendance en 1975, Mayotte étant considéré par l’ONU comme un pays occupé…

Manifestation à Moroni en avril 2018, réclamant le rattachement de l’île de Mayotte à l’État comorien  (photo © Ibrahim Youssouf / La 1ère France TV info)

A partir de là, la situation des Comores connaît bien des vicissitudes. En 1978, le mercenaire français Bob Denard y conduit un coup d’État pour remettre en selle le Président déchu Abdallah Abderamane, celui-là même qui avait proclamé l’indépendance et que Bod Denard avait capturé en 1975 pour l’amener à de meilleurs sentiments. Ils gouverneront ensemble le pays avec l’aide de l’Afrique du Sud jusqu’en 1989, avant une nouvelle tentative de putsch, avortée, en 1995.

Cette instabilité politique, combinée à des rivalités chroniques entre les 3 îles et à une situation économique précaire, explique largement pourquoi les Comoriens cherchent depuis des années à émigrer en masse vers Mayotte dont les ressortissants bénéficient d’une aide généreuse de la part de la France et de conditions sanitaires, éducatives et sociales nettement plus favorables. Au point cependant d’avoir mis en péril l’équilibre déjà bien précaire de cette petite île dont l’avenir paraît bien sombre au vu du climat de violence et d’insécurité qui s’est installé et au vu des projections démographiques qui en font une véritable bombe à retardement…

L. V.

Retraites : une nouvelle manif et après ?…

14 février 2023 by

La réforme n’est pas encore adoptée, mais la mobilisation des Français contre le recul de l’âge légal de départ en retraite ne faiblit pas. Ce samedi 11 février 2023, ils se sont encore mobilisés en masse pour exprimer leur mécontentement. Ils étaient encore près d’un million dans la rue selon les décomptes du ministère de l’Intérieur, davantage que lors de la journée de grève du 7 février et presque autant que lors des deux premières journées de manifestation le 19 puis le 31 janvier, qui avaient vu près de 1,3 millions de personnes dans la rue, exprimant leur désaccord pour cette nouvelle réforme jugée aussi injuste qu’inopportune.

Une manifestante inspirée au Mans le 7 février 2023 dessin (source © Ouest France)
A Lille le 11 février 2023, un dernier effort avant la retraite…  (photo © Hervine Mahaut / Lille actu)

A Marseille, la participation était en baisse ce samedi, à cause peut-être des vacances scolaires ou du beau soleil printanier, même si les syndicats revendiquent sans sourciller 140 000 manifestants dans la seule cité phocéenne ou Jean-Luc Mélenchon en personne avait fait le déplacement.

A Marseille, même Marianne était présente sur le Vieux Port… (photo © CPC)

Mais comme partout, les manifestants ont fait preuve d’humour pour exprimer leur mécontentement, qui, bien souvent, déborde largement du seul cadre de la réforme des retraites !

Un dessin signé Hector (source © L’Opinion)
Un dessin signé Dilem (source © Le Monde)

Un humour que les dessinateurs de presse partagent également, observant avec ironie que, malgré tous ses efforts de pédagogie, le gouvernement d’Élisabeth Borne a bien du mal à convaincre de la nécessité de sa réforme…

L. V.

Carrière Borie : une noria de camions à Carnoux

12 février 2023 by

Quand on arrive à Carnoux par l’autoroute A50 en direction de la Ciotat, on ne peut pas la rater ! La colline autrefois verdoyante qui surplombe l’autoroute côté Est, juste au-dessus de l’ancienne route qui reliait autrefois Cassis à Aubagne en longeant le petit ruisseau du Merlançon, est désormais totalement éventrée par une immense carrière à ciel ouvert, la seule encore en activité sur le territoire d’Aubagne.

La carrière exploitée par la société Carrières et bétons Bronzo-Perasso sur le site du vallon de l’Escargot, à Aubagne (source © Justacote)

Désormais exploitée par la société Carrières et bétons Bronzo-Perasso, cette carrière dit « du vallon de l’Escargot », qui s’étend sur pas moins de 150 ha, appartient à la famille Bronzo qui l’exploite depuis 2009 et détient une autorisation d’exploiter régulièrement renouvelée. Cette autorisation porte sur une quantité de 1,6 million de tonnes de calcaire par an, ce qui est colossal puisque la production annuelle totale de granulats calcaires de tout le département des Bouches-du-Rhône s’élevait en 2016 à 8,9 millions de tonnes seulement et à 20 millions de tonnes environ pour toute la région PACA, tout juste de quoi couvrir les besoins locaux du BTP dans le cadre d’un marché très tendu.

Rares sont en effet les localités qui acceptent l’ouverture d’une carrière de ce type à proximité, alors même que les besoins en matériaux de construction ne diminuent pas. Force est de reconnaître que les tirs d’explosifs qui ponctuent chaque semaine l’exploitation de la carrière Bronzo à proximité immédiate du quartier des Barles, à l’entrée de Carnoux, ne sont pas de nature à rassurer quant à l’impact environnemental d’une telle exploitation. Pas plus d’ailleurs que les envols de poussières qui suivent les énormes camions qui déboulent régulièrement de la carrière, chargés à ras bord de granulats concassés, et qui s’engagent à une vitesse folle sur la route départementale en contrebas, au mépris total de la circulation locale.

Une centrale à béton fonctionne sur le site et une centrale à enrobés bitumineux à chaud y avait même été implantée en 2015 par la société Colas (groupe auquel est rattaché Perasso) pour alimenter notamment le chantier de la L2. De quoi créer de multiples nuisances pour le voisinage, sans compter l’aspect esthétique puisque la colline boisée est en train d’être grignotée à grande vitesse par l’exploitation, se transformant en un paysage purement minéral constitué de fronts de taille verticaux en gradins.

Installations de tri et recyclage sur le site de Bronzo Perasso à l’Escargot (source © Bronzo / Google maps)

C’est justement pour pallier ces nuisances environnementales liées à l’exploitation des carrières que les entreprises du BTP cherchent au maximum à valoriser les déchets issus des chantiers de démolition. Après concassage et tri, on peut en effet en recycler une partie sous forme de granulats directement utilisables pour refaire du béton, tandis que le reste et notamment les fractions les plus fines, dépourvues en principe d’éléments putrescibles ou polluants, est considéré comme déchet inerte pouvant servir au remblaiement des anciennes carrières. Ces dernières sont en effet désormais tenues de provisionner des fonds pour assurer leur comblement et leur renaturation en fin d’exploitation.

La carrière Bronzo de l’Escargot a justement installé depuis 2015 une telle plateforme de récupération et recyclage des déchets du BTP, issus de chantiers de terrassement ou de démolition, ce qui permet aux entreprises les plus vertueuses de ne pas se contenter de benner ces déchets dans des lieux un peu reculés le long des routes, ni vu ni connu, voire en pleine nature, comme on le constate encore trop fréquemment. Mais il est prévu de poursuivre l’exploitation de la carrière de l’Escargot pendant encore 2 ou 3 ans et Bronzo considère que l’utilisation de ces déchets inertes, issus de cette activité de recyclage, ne pourra pas se faire sur ce site avant l’arrêt complet de l’exploitation.

Vue aérienne de l’ancienne carrière Borie à Aubagne (source © géoportail)

En attendant, il faut bien s’en débarrasser et Bronzo a eu l’idée pour cela d’utiliser la carrière Borie, une ancienne exploitation de calcaire à ciel ouvert située sur La Pérussonne, à Aubagne, à l’abandon depuis 1965. Depuis cette date, le site, désormais propriété de la commune d’Aubagne, a été laissé en friche, avec ses fronts de taille en l’état, qui s’éboulent peu à peu. La zone est ouverte au public et sert de lieu de promenade aux habitats du quartier.

L’ancienne carrière Borie à la Pérussonne, sur Aubagne (photo © François Rasteau / La Provence)

Une convention a donc été négociée entre la commune et le carrier qui souhaite y entreposer 225 000 m3 de déchets inertes moyennant le versement à la Ville d’une redevance de 180 000 €. Une bonne opération pour la société Bronzo qui se débarrasse ainsi à bon compte de ces matériaux dont elle ne sait que faire, tout en permettant à la commune d’argumenter que cela permettra de combler cette ancienne carrière devenue dangereuse avec ses front de taille instables et non sécurisés dans une zone pavillonnaire très fréquentée.

L’intérêt du site est bien entendu sa proximité avec la plateforme de tri, ce qui permet de minimiser les transports par camion, mais pour autant, le bilan environnemental de l’opération est loin d’être neutre ! Ce sont en effet 29 camions par jour en moyenne, soit près de 1000 par mois (sauf pendant les mois d’été, en pleine période touristique) qui relieront le vallon de l’Escargot à l’ancienne carrière Borie. Et comme ils ne pourront pas traverser les zones pavillonnaires de la Pérussonne aux voiries étroites et inadaptées à un tel trafic, Bronzo propose de faire transiter cette noria de gros camions par la commune de Carnoux-en-Provence !

Visite de l’ancienne carrière Borie le 27 janvier 2023 par la députée européenne Marina Mesure (source © Collectif Carrière Borie / Facebook)

Notre ville va donc prochainement être parcourue quotidiennement par plusieurs dizaines de poids-lourds chargés de déchets inertes qui la traverseront de part en part depuis les Barles jusqu’à l’entrée du camp militaire de Carpiagne où ils bifurqueront pour traverser tout le camp et redescendre ensuite vers Aubagne par l’ancien chemin de Cassis puis une piste DFCI qui devra être élargie au gabarit des camions. Une opération qui va durer pendant 3 ans jusqu’au remblaiement complet du site qui fera ensuite l’objet de travaux d’aménagements paysagers pendant 2 années supplémentaires.

Sauf que les riverains ont vu rouge en prenant connaissance d’un tel projet et que le conseil municipal qui s’est tenu à Aubagne le 15 novembre 2022 et au cours duquel a été délibérée la mise à disposition du site par la commune a tourné à la foire d’empoigne. Les habitants du quartier de la Pérussonne sont vent debout contre un tel projet, estimant que l’ancienne carrière a retrouvé un nouvel équilibre écologique et qu’elle est devenu un lieu de ballade très fréquenté, point de ralliement du GR 2013, qu’elle n’a nul besoin d’un tel projet de comblement et qu’aucune garantie n’est apportée quant au contrôle effectif de la nature des matériaux qui y seront enfouis par Bronzo. C’est en tout cas ce que dénonce avec force le collectif Carrière Borie qui s’est créé dans la foulée et a déjà obtenu 40 000 signatures pour sa pétition en ligne destinée à fédérer les oppositions au projet.

Extrait d’un article de presse publié par La Marseillaise le 15 novembre 2022 (source © Collectif Carrière Borie / Facebook)

Il faut bien reconnaître que le discours des autorités n’est pas très rassurant quant à la nature des matériaux que Bronzo prévoit de déverser sur ce site. Seul un autocontrôle est prévu, à charge exclusive de l’exploitant donc, les inspecteurs des installations classées de la DREAL se contentant de quelques contrôles inopinés épisodiques, sous réserve que leurs effectifs le permettent…

On comprend dans ces conditions les inquiétudes des riverains même si les plus impactés seront en réalité les habitants de Carnoux qui vont voir défiler pendant 3 ans de suite un millier de camions supplémentaires lourdement chargés de déchets qui traverseront à vive allure notre commune de part en part, semant au passage une nuée de poussières et ajoutant encore à la pollution routière liée aux 6 millions de véhicules qui transitent annuellement à travers Carnoux, en faisant un des points noirs de la circulation routière dûment répertoriés dans le département. C’est peut-être enfin le moment d’y implanter, comme cela avait été largement évoqué lors de la dernière campagne municipale mais toujours pas mis en œuvre depuis, des capteurs de suivi de la qualité de l’air pour surveiller ce que cette circulation exceptionnellement intense fait respirer chaque jour aux riverains du Mail…

L. V.

La bastide de Paul Cézanne bientôt restaurée

9 février 2023 by

Considéré, dit-on, par Picasso comme « le père de l’art moderne », Paul Cézanne fait partie de ces peintres français du XIXe siècle qui ont fortement marqué de leur empreinte l’évolution de la peinture en introduisant des lignes géométriques modernes dans ses portraits, natures-mortes et paysages. Né à Aix-en-Provence en 1839, et malgré de très nombreuses incursions en région parisienne, où il a résidé, tant à Paris que près d’Auvers-sur-Oise, Cézanne est resté très attaché à sa ville natale où il est décédé le 22 octobre 1906, emporté par une pneumonie contractée alors qu’il peignait en extérieur dans le massif de la Sainte-Victoire sous un violent orage…

La montagne Saint-Victoire au grand pin, huile sur toile peinte par Paul Cézanne vers 1887 (source © Courtauld Institute Gallery / Cézanne en Provence)

Ami intime d’un autre Aixois, Emile Zola, avec qui il avait partagé les bancs du collège, Paul Cézanne a fait toute sa scolarité à Aix où il a entamé ses études de droit, sans trop d’enthousiasme et surtout pour répondre aux injonctions de son père banquier. Il travailla d’ailleurs brièvement en 1861 dans la banque paternelle avant de s’orienter définitivement vers sa carrière de peintre.

Les Grandes Baigneuses, huile sur toile peinte par Paul Cézanne en 1906 (source © Museum of Art of Philadelphie / Cézanne en Provence)

En 1901, il se fait construire un atelier au nord d’Aix, sur la colline des Lauves, où il peindra jusqu’à sa mort tout en louant l’été un petit cabanon aux carrières de Bibémus, au pied de la Montagne Sainte-Victoire, afin d’y entreposer son matériel de peinture et être au plus près de ces paysages dont il ne se lasse pas, laissant près de 80 toiles qui représentent ce fameux promontoire. L’atelier des Lauves, dans lequel Cézanne a notamment peint ses dernières toiles des Grandes Baigneuses est ouvert au public et chacun peut y observer son ambiance de travail quotidienne dans un environnement particulièrement lumineux.

Atelier des Lauves à Aix-en-Provence, où Cézanne a peint nombre de ses dernières œuvres (source © DRAC / Ministère de la Culture)

Pour autant, le lieu qui a sans doute le plus marqué la vie de Paul Cézanne dans sa ville natale est plutôt la bastide du Jas de Bouffan, une maison de maître datant du XVIIIe siècle, nichée au milieu d’un ancien domaine agricole de 5 ha, alors à portée de calèche du centre-ville d’Aix, et  que son père avait racheté en 1859 pour la transformer en bastide familiale.

La bastide du Jas de Bouffan peinte par Paul Cézanne vers 1882 (photo © Christie’s images/ Coll. Privée / Arts in the City)

Pendant la guerre de 1870, le jeune Cézanne, pour échapper à la conscription, s’installe dans une maison à l’Estaque mais il revient alors régulièrement dans la bastide paternelle du Jas de Bouffan où, à partir de 1881, son père accepte de lui aménager son propre atelier. En 1886, au décès de son père, Paul Cézanne, qui réside alors à Gardanne avec son épouse, Hortense, et son fils, hérite avec ses sœurs d’une somme rondelette mais préfère en 1890 installer sa famille dans un appartement situé 23 rue Boulegon, au cœur d’Aix, plutôt qu’au Jas de Bouffan, pour éviter les heurts entre sa mère et Hortense.

Pour Paul Cézanne qui a connu bien des déménagements tout au long de sa vie, cette bastide familiale est restée un point d’ancrage où il est revenu régulièrement. Il y a produit ses premières œuvres de jeunesse et, entre 1860 et 1870, il y a peint directement sur les murs 12 grandes compositions qui seront ultérieurement détachées après sa mort. Une trentaine de ses tableaux, désormais accrochés dans les plus grands musées du monde, y ont vu le jour. Autant de raison pour la ville d’Aix-en-Provence de réhabiliter ce site et de l’ouvrir au public sous forme d’un espace muséal entièrement consacré au grand peintre.

Photographie de Paul Cézanne vers 1877, avec son attirail de peintre (source © akg-image / World History Archives / Arts in the City)

Il faut dire que le domaine en question, vendu aux enchères en 1889 par la famille Cézanne, a connu bien des vicissitudes depuis. C’est à l’époque Louis Granet, un ingénieur agronome originaire de Carcassonne, qui avait racheté la bastide et son parc qu’il avait magnifiquement aménagé, plantant notamment une belle orangeraie et y érigeant plusieurs statues. A sa mort en 1917, le domaine reste pendant des décennies en jachère avant d’être réoccupé par sa fille puis son petit-fils, André Corsy. Ce dernier cède une partie du domaine à la commune en 1994, tout en conservant l’usufruit de la maison et la ferme.

Mais entre-temps, la vaste domaine agricole de jadis a été largement rattrapé par l’urbanisation. Les grands ensemble de la ZAC de l’Encagnane, de la Cité Corsy puis de la ZAC du Jas de Bouffan ont grignoté l’espace et la bastide est désormais coincée entre ces immeubles d’habitation et la bretelle d’accès de l’autoroute. Il a d’ailleurs fallu attendre 2001 pour que la bastide et son parc soient classés monuments historique et 2006 pour qu’ils soient enfin ouverts au public.

La bastide familiale des Cézanne au Jas de Bouffan à Aix-en-Provence (source © Cézanne en Provence)

En 2017, la Ville d’Aix s’est portée acquéreur de la ferme et a entrepris les premiers travaux de restauration d’urgence de la bastide tout en lançant, en collaboration avec la Direction régionale des affaires culturelles et la société Paul Cézanne, les premières études en vue d’une réhabilitation architecturale et paysagère du site, tout en réfléchissant à sa mise en valeur. Et voilà que la commune passe aux travaux pratique en lançant simultanément deux marchés de maîtrise d’œuvre, concernant l’un l’aménagement des espaces extérieurs, dont le parc et l’orangeraie, l’autre la restauration de la ferme, du hangar et de la maison du gardien. L’objectif de ces travaux, dont le coût est estimé à 7 millions d’euros, venant s’ajouter aux 2,8 M€ déjà engagés pour la restauration de la bastide elle-même, est de créer un nouveau centre d’interprétation des œuvres du peintre aixois, ouvert à un large public et tête de pont d’un itinéraire de découverte des principaux sites où Paul Cézanne a exercé son art. La bastide présentera la vie et les œuvres du peintre tandis qu’un auditorium sera aménagé à la place de l’ancien hangar et un espace de restauration légère dans l’orangeraie. Le parc, quant à lui, déjà partiellement restauré, sera entièrement réaménagé en y réintégrant des jardins agricoles et des oliviers en périphérie, et fera l’objet d’un nouveau plan de gestion et d’une mise en lumière.

Une nouvelle renaissance pour cette bastide et son parc quelque peu à l’abandon depuis des années et dont la réouverture au public est programmée pour mi-2025 : patience, patience…

L. V.

Réforme des retraites : une analyse de la CFDT

7 février 2023 by

Et voilà, c’est reparti ! Comme en 2010, des millions de Français sont dans la rue pour protester contre une nouvelle réforme des retraites, toujours dans le même sens, à savoir l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge légal de départ en retraite. Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait pourtant proposé une approche visant une harmonisation des régimes de retraites basée sur une retraite à points, que certains, y compris parmi les syndicats, jugeaient globalement plus équitable pour les salariés.

Manifestation à Paris le 31 janvier 2023 contre la réforme des retraites (photo © Alain Jocard / AFP / TV5 Monde)

Mais sitôt réélu, le voilà qui affirme que l’urgence est désormais de reculer une nouvelle fois l’âge légal de départ en retraite, à 64 ans. De quoi focaliser l’hostilité de la grande majorité des Français et de tous les syndicats unanimes contre ce retour en arrière. Rappelons au passage, que cet âge légal de départ était fixé à 65 ans jusqu’en 1983, date à laquelle François Mitterrand l’avait réduit à 60 ans, en application de sa promesse de campagne. La réforme mise en œuvre par François Fillon à partir de 2011 a reculé progressivement cet âge jusqu’à 62 ans et le gouvernement veut désormais le faire passer à 64 ans au motif que l’espérance de vie des Français s’est accru et que les régimes de retraite s’annoncent déficitaires à court terme.

De quoi susciter la colère et l’incompréhension d’une majorité de Français et de quoi relancer les mêmes débats qu’en 2010 sur un sujet complexe et pour lequel il est parfois difficile de démêler le vrai du faux tant les positions sont divergentes et parfois quelque peu outrancières. C’est pourquoi on ne peut que saluer ceux qui font effort de pédagogie pour permettre à tout un chacun de s’y retrouver.

Un dessin signé Deligne : il y a toujours quelque chose qui cloche… (source © Reddit)

C’est le cas notamment de cet argumentaire synthétique et percutant diffusé par la CFDT qui non seulement décrypte et réfute les analyses du gouvernement, mais surtout propose des pistes concrètes pour des alternatives jugées plus pertinentes : un document à lire pour mieux comprendre les enjeux de cette réforme et se positionner en toute connaissance de cause !

Ce texte explique notamment pourquoi les conclusions diffèrent quant au besoin de financement supplémentaire que le gouvernement met en avant pour justifier son projet. Personne pourtant ne met en doute les calculs du Conseil d’orientation des retraites qui a fait des projections à court, moyen et long terme, selon différentes hypothèses d’évolution du taux de croissance, du chômage et des choix politiques retenus. Évidemment, les conclusions diffèrent selon les hypothèses retenues !

Pour la réforme des retraites vue de l’Elysée, toutes les idées ne sont pas bonnes à prendre : un dessin signé Hub (source © Hublog)

La CFDT retient pour sa part une hypothèse plutôt pessimiste avec un taux de croissance de 1,3 % (il était de 2,6 % en 2022) et un taux de chômage de 7 %, ce qui correspond, peu ou prou aux chiffres du dernier trimestre 2022 (7,4 %), en baisse tendancielle. Sur cette base, le besoin de financement complémentaire pour assurer le maintien  des niveaux de retraite est somme toute modeste et sans commune mesure avec les prévisions alarmantes qui avaient justifié les réformes précédentes de 2010 et 2014. En France, le coût annuel des retraites pèse environ 345 milliards et le besoin de financement pour équilibrer ce budget dans sa phase la plus critique, à l’horizon 2027, ne dépasse pas 7 milliards. Il faut donc bien trouver de nouvelles recettes, mais globalement cela confirme que notre système de retraite par répartition se porte plutôt bien !

Tout augmente, même en Suisse : un dessin de Georges Chappatte publié dans Le Temps le 14 septembre 2021

Sans surprise, le point de désaccord majeur avec les propositions du gouvernement concerne le report de l’âge de départ en retraite. La CFDT reproche en effet à cette mesure d’être socialement injuste. Elle pénalise de fait les salariés les moins rémunérés et ceux qui ont commencé à travailler tôt, c’est-à-dire dans les deux cas les couches sociales les moins favorisées. Au vu des effets de la réforme Fillon, elle se traduira de fait par une diminution des pensions moyennes pour les salariés les moins payés et une augmentation pour les autres…C’est pourquoi la CFDT plaide plutôt pour un maintien du statu quo mais avec des mesures incitatives qui permettent à ceux qui le souhaitent (et le peuvent) de prolonger leur maintien en activité : une hausse de 10 points du taux d’emploi des séniors, de manière choisie et non contrainte, ramènerait la France au niveau moyen des autres pays européens et suffirait quasiment à combler le déficit de notre régime de retraite !

Un dessin signé Charmag (source © L’Anticapitaliste)

Les autres pistes évoquées comme complémentaires dans ce document de la CFDT pour atteindre cet équilibre budgétaire indispensable au maintien de notre régime de retraite auquel les Français sont si attachés sont de trois ordres et la CFDT suggère de les actionner simultanément. Le premier consiste à faire évoluer les cotisations en redirigeant vers le système de retraite une partie des augmentations salariales à venir et en rétablissant des cotisations patronales pour une meilleure prise en compte de la pénibilité du travail, voire pour compenser l’absence d’effort sur le travail des séniors.

Le second levier concerne le maintien de la participation financière de l’État alors que ce dernier souhaite la réduire drastiquement via notamment une augmentation de la part indemnitaire des fonctionnaires. Ceux-ci perçoivent une rémunération basée d’une part sur une grille indiciaire et d’autre part sur un régime indemnitaire constitué de primes qui peuvent atteindre plus de 40 % de la rémunération globale selon les catégories, mais ne compte pas pour le calcul de la pension de retraite : plus cette part augmente, plus les pensions des fonctionnaires baissent mécaniquement…

Un dessin de Kak, publié dans l’Opinion le 10 janvier 2023

Enfin, le troisième levier évoqué consiste à mobiliser des recettes supplémentaires notamment en supprimant certaines niches fiscales jugées inefficaces voire contre-productives. La CFDT évoque notamment pour cela certaines exonérations sur les heures supplémentaires ou sur les cotisations patronales.

Bref, les alternatives à la réforme proposée par le gouvernement ne manquent pas et il est peut-être encore temps de les explorer avant de mettre le pays entier à feu et à sang en s’arque boutant sur des principes réformistes socialement peu acceptables : espérons que nos responsables politiques auront la sagesse de s’en saisir…

L. V.