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Créances : les carottes sont cuites…

8 Mai 2024

La petite commune de Créances, qui compte à peine plus de 2000 habitants, située sur le littoral ouest du Cotentin, n’est pas seulement connue pour sa belle plage de sable fin bordée de dunes sauvages et, objectivement assez peu fréquentée car battue par les vents… Du sable omniprésent sur cette côte très plate et tournée vers le large où l’on pratique surtout la pêche à pied, mais que certains ont eu l’idée de valoriser pour le maraîchage. Il se raconte localement que c’est un cadet de Normandie qui, privé d’héritage terrien par son aîné, a eu l’idée, il y a déjà quelques siècles, d’exploiter ces terres sableuses littorales en les enrichissant avec force d’apport de varech et goémon.


La belle plage de sable blond de Créances (source © Comité départemental de tourisme de la Manche)

Les terres légères et sableuses sont de fait propices à la culture de certains légumes à racines profondes comme les céleris-raves, les navets, les radis noirs, les topinambours ou les carottes. Tant et si bien que de nombreux maraîchers se sont mis à cultiver ces « mielles », une appellation locale qui désigne de petites parcelles sableuses gagnées sur les dunes et où prolifèrent désormais poireaux et carottes. Ces dernières, arrachées à la main dans la terre sableuse entre juillet et avril, présentent un goût légèrement iodé et une belle couleur orangée qui a assuré leur réputation commerciale, au point de créer en 1960 une appellation d’origine contrôlée, tandis que, chaque année, se déroule désormais une fête de la carotte à Créances !


La fête de la carotte, à Créances, haut-lieu de l’exploitation maraîchère (source © Ville de Créances)

Une société dénommée Jardins de Créances a même été créée en 1991, rattachée au GPLM, un groupe coopératif producteur de légumes, qui commercialise les productions maraîchères issues de Créances, dont sa fameuses carotte des sables, et de deux autres sites, à Roz-sur-Couesnon, près du Mont-Saint-Michel, et dans le val de Saire, à l’extrémité nord-est du Cotentin. Disposant dune station de lavage et de sites de conditionnement, cette société alimente principalement la grande distribution avec sa gamme de légumes variés, intégrant même des variétés anciennes comme le panais ou le rutabaga.


Les carottes de Créances, cultivées dans les terres sableuses des mielles (photo © Pierre Coquelin / Radio France)

Mais voilà qu’en juin 2020 la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires qui relève de la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, fait un signalement au Parquet de Coutances, après avoir procédé à des analyses qui confirment l’importation illicite et l’épandage massif par plusieurs maraîchers producteurs de carottes des sables de Créances, d’un pesticide interdit à la vente depuis 2018, le dichloropropène, déclenchant l’ouverture d’une enquête de gendarmerie.

Ce dérivé chloré toxique du propène, considéré comme cancérigène et très préjudiciable à l’environnement, a été développé et commercialisé comme nématicide, pour tuer les vers nématodes qui ont tendance à creuser leurs galeries dans les racines de carottes. Ce composé chimique est interdit d’utilisation depuis 2009 par une directive européenne datant de 2007. Jusqu’en 2017, le gouvernement français a néanmoins accordé une dérogation permettant aux producteurs de Créances de continuer à utiliser ce produit, au prétexte qu’il n’existe pas d’alternative économique pour poursuivre leur production agricole.


Récolte de carottes de Créances (source © Ouest-France)

Mais en 2018, le ministère a finalement décidé de mettre fin à cette dérogation pour « urgence phytosanitaire », alors que 4 pays européens (Espagne, Portugal, Italie et Chypre) continuent à y avoir recours jusqu’à aujourd’hui : il ne suffit pas de voter à Bruxelles des réglementations protectrices de l’environnement, encore faut-il ensuite les faire appliquer par les États membres ! En avril 2018, les maraîchers normands ont tenté d’user de leur fort pouvoir de lobbying pour faire céder le ministère et obtenir une n-ième dérogation. Faute d’obtenir satisfaction, ils se sont tournés vers la contrebande et ont importé en toute illégalité et via un intermédiaire, 132 tonnes de dicholoropropène d’Espagne.

Selon les investigations menées en 2020, ce sont près de 100 tonnes de ce produit qui ont ainsi été épandus sur une dizaine d’exploitations maraîchères de carottes de Créances et les enquêteurs ont retrouvé 23 tonnes encore stockées. Cinq des exploitations incriminées ont fait l’objet d’une destruction des récoltes, ce qui a déclenché la fureur des agriculteurs concernés pourtant pris la main dans le sac. Les maraîchers incriminés ont alors déposé un recours en référé auprès du tribunal administratif, qui l’a rejeté. Ils reprochent en effet à l’État « une analyse très incomplète voire erronée du risque », l’absence d’indemnisation du préjudice et l’exposition à une « rupture d’égalité au sein du marché européen et donc à une concurrence déloyale ».


Des carottes des sables vendues avec la terre…et le pesticide (photo © Sixtine Lys / Radio France)

Le procès des maraîchers a eu lieu en mai 2021. Leurs avocats ne leur ont pas permis de s’exprimer et ont tout mis en œuvre pour tenter de discréditer à la fois les enquêteurs de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, mais aussi les nombreuses associations de défense de l’environnement et même la Confédération paysanne, qui s’étaient portées partie civile, cette dernière estimant que l’affaire porte atteinte à l’image et à la crédibilité de toute la filière agricole dans ses efforts en vue d’une agriculture plus vertueuse.

En l’occurrence, les seules justifications des maraîchers de Créances pour continuer à utiliser ainsi un produit toxique interdit, sont exclusivement économiques. L’alternative est en effet parfaitement identifiée : il suffit d’alterner les cultures, comme des générations de paysans ont appris à le faire, les vers nématodes ne se développant que sur des parcelles exclusivement cultivées en carottes d’une année sur l’autre. Mais cela implique une légère baisse de rentabilité et un peu plus de technicité, que les maraîchers poursuivis ont préféré éviter par un traitement phytosanitaire, même avec un produit nocif et illégal…

En première instance, 13 exploitant avaient écopé d’amendes allant de 10 000 à 30 000 €, en partie avec sursis tandis que le commerçant ayant servi d’intermédiaire écopait de 80 000 € d’amende et l’entreprise ayant procédé aux épandage, de nuit et en toute discrétion, était condamnée à 20 000 € d’amende. Ayant fait appel de ce jugement, les maraîchers ont vu leur condamnation confirmée et même alourdie pour l’intermédiaire par la Cour d’appel de Caen qui avait prononcé son verdict le 10 février 2023.

Malgré ces peines plutôt clémentes, les avocats des exploitants ont voulu porter l’affaire devant la plus haute juridiction de l’État. Mais voilà que le 23 avril 2024, la Cour de cassation vient de rejeter leur pourvoi, rendant ainsi définitives les condamnation antérieures. Les carottes sont donc cuites pour les maraîchers tricheurs de Créances, une commune dont l’étymologie serait pourtant en relation avec la racine latine qui désigne la confiance et qui a donner le mots français « créance ». Un signal plutôt positif en tout cas pour ces milliers de maraîchers qui font l’effort de conduire leur exploitation de manière rationnelle en tenant compte des impacts de leur activité sur l’environnement et en veillant à la pérennité des sols, sans recours à ces pesticides dont on connaît désormais les effets délétères tant pour la santé humaine que pour la biodiversité.

L. V.

L’Europe pour les nuls…et les jeunes

2 Mai 2024

Dans un peu plus d’un mois seulement aura lieu la prochaine élection au Parlement européen, le dimanche 9 juin 2024. Rappelons d’ailleurs au passage, pour ceux qui l’auraient oublié, bien qu’il s’agisse quand même de la dixième édition de ces élections qui se tiennent tous les 5 ans depuis 1979, que ce suffrage se fait à un seul tour à la proportionnelle.

Les modalités diffèrent d’ailleurs d’un pays à l’autre. En France, il a été choisi de fixer un seuil minimal de 5 % pour qu’une liste puisse disposer d’un représentant élu, ce qui n’est pas forcément le cas chez certaines de nos voisins. Ainsi, lors du dernier suffrage qui s’était tenu en 2019, et pour lequel pas moins de 34 listes avaient été constituées et validées, parfois in extremis après recours devant le Conseil d’État, seules 6 d’entre elles avaient pu obtenir au moins un représentant au Parlement européen. Les voix qui s’étaient portées sur les 27 autres listes en pure perte représentaient quand même 19,7 % des suffrages exprimées !

Pour les dernières élections européennes en 2019, un nombre record de listes en compétition : un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 23 mai 2019

On ne sait pas encore combien de listes seront retenues pour concourir lors de la prochaine échéance du 9 juin puisque la date limite pour le dépôt des listes est fixée au 17 mai à 18h, mais il y a fort à parier qu’elles seront au moins aussi nombreuses qu’en 2019 ! A l’époque, le nombre de sièges d’eurodéputés avait été fixé à 705 dont 79 pour la France. Pour la prochaine échéance, inflation oblige et malgré le retrait devenu effectif de la Grande-Bretagne, il y aura 720 sièges en jeu, dont 81 pour notre pays.

La représentation nationale actuelle au Parlement européen compte 23 représentants du Front national, 23 de la République en marche, 13 écologistes, 8 LR, 6 socialistes et 6 représentants de la France insoumise. Au vu des nombreux sondages actuels déjà publiés et qui vont se multiplier dans les semaines à venir, tout laisse penser que la liste du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella, arrivera largement en tête, donné actuellement autour de 30 %, ce qui pourrait l’amener à augmenter encore son nombre de représentants au Parlement européen. Viendrait ensuite, au vu des tendances observées jusqu’à présent, la liste macroniste dirigée par l’eurodéputée sortante, Valérie Hayer, qui peine à atteindre la barre des 20 % et pourrai perdre 6 à 7 sièges…

L’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg, cœur de la démocratie européenne (photo © Vincent Kessler / Reuters / La Tribune)

Le troisième homme de cette campagne est pour l’instant l’eurodéputé sortant Raphaël Glucksmann qui mène, comme en 2019, la liste du parti socialiste et que les sondages placent actuellement autour de 12 à 13 %, ce qui pourrait lui permettre de faire élire une douzaine de représentants. Quatre autres listes sont à ce jour données à plus de 5 % avec la perspective pour chacune d’elles de remporter 6 à 7 sièges chacune. C’est le cas de la liste écologiste, pilotée par Marie Toussaint, qui verrait ainsi sa représentation fortement amputée, tandis que la France insoumise, dont la tête de liste est, comme en 2019, Manon Aubry, paraît stable par rapport à 2019. A droite, la liste LR, menée par le très conservateur François-Xavier Bellamy, comme en 2019 également, est pour l’instant crédité d’un score assez comparable à celui obtenu alors, autour de 8 %. Pourrait aussi figurer dans ce dernier carré l’autre liste d’extrême-droite, menée par Marion Maréchal, sous l’étiquette Reconquête, et qui pourrait aussi peut-être se hisser au-dessus de la barre fatidique des 5 %.

Comme en 2019, la grosse inconnue de cette séquence électorale reste le taux de participation qui avait tout juste atteint 50 % lors de ce dernier suffrage. Tout laisse malheureusement à penser que cette année encore un Français sur deux ne prendra même pas la peine de se déplacer le 9 juin prochain pour aller exercer son droit de vote, alors même que l’Europe est au cœur de notre vie quotidienne et que la majorité de notre législation actuelle est directement dérivée des directives européennes. Jamais la France n’a été autant intégrée à l’Union européenne, dans un monde désormais multipolaire où même un bloc aussi important que l’Europe peine à exister face aux appétits de puissance des États-Unis, de la Chine, de la Russie mais aussi de nombreux pays émergents en pleine expansion. Et pourtant, les Français ont du mal à s’intéresser aux débats qui agitent le Parlement européen…

Peut-on encore croire à l’Europe ? Un dessin signé Plantu, publié dans Le Monde à l’occasion de la visite du pape au Parlement européen de Strasbourg le 25 novembre 2014…

Ce n’est pourtant pas faute d’efforts de communication et de pédagogie pour rendre accessibles à tous les arcanes de ce lieu de démocratie. Saluons à ce sujet la série remarquable intitulée sobrement Parlement, écrite par Noé Noblet et produite par Cinétévé, Artemis Productions et CineCentrum, dont les 20 épisodes des saisons 1 et 2 ont été diffusés sur France TV en avril 2020, suivi d’une saison 3 tournée en 2022 et diffusée en septembre 2023.

Samy, jeune attaché parlementaire au Parlement européen… (source © Parlement 2024)

On y voit les premiers pas au Parlement européen d’un jeune assistant parlementaire français, Samy, joué par le comédien Xavier Lacaille, qui débarque à Bruxelles au lendemain du vote du Brexit, et découvre les rouages de la démocratie européenne aux côté de son eurodéputé fainéant, Michel Specklin, de l’anglaise Rose, de l’italien Guido, de l’allemand Martin Kraft, ou encore du fonctionnaire européen ultra-compétent et incorruptible, l’impénétrable Eamon. Un bijou d’humour et d’autodérision, sans prétention mais plein d’esprit et qui a le mérite de faire pénétrer au cœur des arcanes complexes du Parlement européen mais aussi de la Commission européenne, où l’on découvre le fonctionnement au jour le jour de nos institutions européennes avec les enjeux auxquels est confrontée la construction européenne, les rivalités entre états membres, le rôle des lobbyistes et la manière dont s’élabore un consensus politique dans un tel bazar. De quoi donne au citoyen européen une vision plus humaine et terriblement incarnée de ces froides institutions qui paraissent si loin de nos préoccupations mais dont les décisions pèsent si fortement sur notre vie quotidienne.

Et voilà que Cinétévé, le producteur de cette série à succès, vient de s’allier avec l’Institut Jean Monet, une fondation attachée à promouvoir l’idéal d’union et de paix qui animait les pères fondateurs de l’Union européenne, pour produire une série de clips inspirés directement de la série télévisée Parlement et destinés à inciter les jeunes (notamment) à voter en masse lors de la prochaine échéance électorale du 9 juin 2024. Sur les 8 clips de campagne prévus, 2 sont déjà accessibles en ligne sur le site dédié. On y retrouve l’humour grinçant et décalé propre à la série télévisée, et ses messages pédagogiques qui font mouche…

Un des clips de campagne inspirés de la série télévisée Parlement (source © Parlement 2024)

Espérons que les Français, et notamment les plus jeunes d’entre eux qui s’étaient largement abstenus en 2019, seul un tiers des 18-39 ans ayant alors fait l’effort de glisser un bulletin dans l’urne, soient sensibles à cette campagne. D’autant qu’elle est loin d’être la seule, les initiatives se multipliant actuellement pour inciter le maximum de jeunes européens à aller voter et à s’intéresser de plus près au fonctionnement démocratique de nos institutions. C’est notamment le cas de la plateforme Ensemble, mais aussi du Parlement européen lui-même qui met à disposition une boîte à outils pédagogique dans ce but, tandis que la Commission européenne s’efforce, via son site Les décodeurs de l’Europe, de combattre certaines idées reçues sur les dysfonctionnements de l’Europe.

Visuels élaborés par l’agence de communication I&S pour inciter à se mobiliser lors des prochaines élections européennes (source © Image et Stratégie)

Même des agences de communication s’y mettent et lancent des campagnes d’affichage pour diffuser des messages incitant chacun à se mobiliser pour cette échéance électorale, à l’instar de l’agence Image & Stratégie, qui insiste sur l’idée que chaque citoyen est acteur du choix des politiques publiques, même celles décidées dans des institution qui nous paraissent trop souvent lointaines, opaques et éloignées de nos préoccupations quotidiennes. C’est l’esprit même de la démocratie dans laquelle chaque voix compte, sauf celles qui décident de ne pas participer au scrutin…

L. V.

Le CNRS s’intéresse à Marseille

30 avril 2024

Bien que plutôt réputée pour ses problèmes d’inégalité sociale, de retard économique et d’insécurité chronique, la ville de Marseille fait aussi partie de ces lieux d’excellence de la recherche scientifique. De fait, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) y possède une forte implantation. Sa délégation Provence et Corse, qui regroupe, outre la Corse, 4 départements de la région Paca (hors Var et Alpes-Maritimes), compte pas moins de 83 implantations, principalement concentrées sur le territoire d’Aix-Marseille et regroupe plus de 2200 agents.

Locaux du CNRS PACA-Corse rue Joseph Aiguier à Marseille, près de Sainte-Marguerite (source © GoMet)

C’est d’ailleurs à Marseille que le CNRS, créé en 1939, a ouvert son tout premier laboratoire de recherche en province, consacré en l’occurrence à la mécanique et à l’acoustique. Et les découvertes scientifiques faites localement ne sont pas négligeables, de la participation à la découverte de l’australopithèque Lucy en 1974 jusqu’à celle du boson de Higgs en 2012, en passant par l’observation de la première exoplanète qui valu le prix Nobel à Michel Mayor.

Et voilà que le CNRS annonce l’ouverture d’une nouvelle structure de recherche à Marseille, un laboratoire totalement inédit, dénommé « Territoires habitables », sous forme de laboratoire associé entre le CNRS et des collectivités territoriales, selon une idée innovante visant à faire dialoguer chercheurs et acteurs du territoire. L’objectif est d’imaginer à quoi ressemblera le territoire métropolitain dans le futur en y étudiant un certain nombre de données en lien avec l’évolution climatique, l’urbanisme, l’environnement, l’activité économique… Autant de sujets qui rassemblent des enjeux stratégiques pour la résilience des territoires.

Programme du colloque prospectif organisé en novembre 2022 à Marseille (source © CNRS)

L’idée de cette nouvelle implantation a germé à l’issue d’un colloque prospectif scientifique organisé en novembre 2022 à Marseille. Intitulé Territoires du futur, il était spécifiquement axé sur l’aire métropolitaine marseillaise et ses enjeux, notamment pour imaginer les révolutions nécessaires en matière de transport, d’alimentation, d’énergie, d’habitation, autant de domaines dans lesquels nos modes de vies sont à repenser pour tenter de nous adapter aux défis qui nous attendent, du fait du changement climatique, de la perte de biodiversité mais aussi des évolutions technologiques et numériques.

Des problématiques dans lesquels les acteurs de l’action territoriale sont au premier plan pour impulser et mettre en œuvre au quotidien les évolutions nécessaires, surtout dans cette aire métropolitaine marseillaise particulièrement exposée aux effets du réchauffement climatique global et qui cumule déjà de multiples handicaps dont une pollution atmosphérique préoccupante, une place de la voiture toujours prépondérante, un littoral urbanisé à outrance et des inégalités sociales et territoriales extrêmes. Bref, un véritable défi à relever pour les chercheurs du CNRS !

Dégradation de l’habitat collectif dans les quartiers nord de Marseille : une barre de la cité Kalliste (photo © Boris Horvat / La Depêche)

Un défi que les scientifiques souhaitent partager avec les collectivités territoriales, au premier rang desquelles la Ville et la Métropole, pour tenter de construire ensemble ce territoire métropolitain du futur, résilient face aux enjeux stratégiques du changement climatique, du développement économique, de la révolution numérique et de l’évolution des formes urbaines.

L’agglomération marseillaise : des transports encore dominés par la voiture (photo © Anne-Christine Poujoulat / AFP / Ouest-France)

Si le CNRS a choisi ainsi l’aire métropolitaine marseillaise pour cette expérience inédite, c’est parce qu’il compte sur ses nombreux chercheurs et laboratoires déjà bien implantés, ainsi que sur les relations étroites déjà nouées avec les collectivités en matière de recueil et d’échanges de données, mais aussi parce que Marseille cumule bien des handicaps qui rendent encore plus stimulant cette recherche pour tenter de bâtir un territoire résilient en surmontant les innombrables obstacles actuels bien identifiés : inégalités sociales extrêmes, urbanisme inadapté, érosion du littoral, îlots de chaleur, réseaux de transports en commun insuffisants, dépendance vis-à-vis des ressources en eau et en énergie, sans compter les chicayas politiques entre strates administratives.

Nul doute que les chercheurs du CNRS, qui recrute actuellement ses premiers thésards pour défricher ce laboratoire territorial du futur vont devoir faire preuve de beaucoup de diplomatie pour arriver à faire travailler ensemble la Ville de Marseille, la Métropole voire le Département et la Région, en vue de concevoir ce territoire résilient de demain que certains imaginent. Il est d’ailleurs déjà question de dupliquer l’expérience dans une autre agglomération, en l’occurrence celle de Clermont-Ferrand, probablement jugée moins problématique, même pour les grands esprits scientifiques du CNRS…

L. V.

Le futur hôpital d’Aubagne aux Gargues…

24 avril 2024

La zone des Gargues, c’est ce dernier carré de verdure coincé entre l’autoroute A52 et la zone commerciale des Paluds, à l’entrée d’Aubagne, en venant de Carnoux. Plusieurs vieilles fermes provençales perdues au milieu de vastes prairies où paissent encore régulièrement des moutons à l’abri d’un pin parasol tutélaire et des champs de blés encore ensemencés chaque année, le tout en surplomb de la plaine inondable et marécageuse des Paluds, désormais couverte de hangars industriels et de grands magasins hideux, avec en toile de fond le massif de la Sainte-Baume.

Le site des Gargues, avec la Sainte-Baume en toile de fond (photo © François Rasteau / La Provence)

C’est pourtant sur ces terres agricoles résiduelles, également occupées par la jardinerie Tirand, que l’ancienne municipalité de gauche d’Aubagne, aux manettes de la ville comme de l’agglomération jusqu’en 2014, avait prévu une ZAC. Il était alors question de bétonner 42 hectares sur lesquels auraient été construits pas moins de 850 logements ainsi qu’une crèche, une école, des installations sportives, des bureaux et surtout un nouveau centre commercial luxueux et un immense complexe cinématographique, le tout desservi par de nouvelles infrastructures routières, un boulevard central et même une nouvelle ligne de tramway dans le prolongement de l’avenue de la République.

Validé en 2012, malgré un avis négatif de l’autorité environnementale, ce projet ambitieux avait été confié en 2013 à un opérateur privé, la SAPAG, une société constituée spécifiquement et rassemblant alors l’entreprise de BTP Guintoli, le bailleur social Grand Delta Avignon et Immochan, la société foncière du groupe Auchan qui avait patiemment et depuis des années, acquis l’essentiel de ce foncier, à proximité de son hypermarché, l’un des plus vastes et des plus profitables de France. Le contrat de concession qui prévoyait près de 500 millions d’investissement privé et 19 millions pour les aménagements publics, avait été signé en bonne et due forme le 24 février 2014, quelques jours avant le premier tour des élections municipales.

Sage précaution de la part de la SAPAG car le basculement à droite de la ville et de son agglomération d’alors, a largement rebattu les cartes, Gérard Gazay, le nouveau maire, ayant justement fait campagne contre le projet de tramway et de création de ce centre commercial qui aurait nécessairement porté préjudice aux commerces du centre-ville. La SAPAG a continué pourtant à avancer comme si de rien n’était, présentant en novembre 2016 son nouveau projet, rebaptisé écoquartier Bonne nouvelle, du nom de la rue qui en marque la limite nord. Un aménagement dont une bonne partie des logements initialement prévus a disparu, laissant la place à un vaste projet de centre commercial et d’espace de loisir.

Le projet ambitieux d’écoquartier Bonne nouvelle, imaginé et porté par la SAPAG sur la ZAC des Gargues (source © Made in Marseille)

Mais la ville d’Aubagne avait d’ores et déjà donné un avis négatif sur ce projet en septembre 2015 et la communauté d’agglomération l’a purement et simplement rejeté, fin 2016, juste avant de disparaître pour céder le pas à la nouvelle Métropole. En parallèle, et pour bien enfoncer le clou, la commune d’Aubagne a adopté en 2016 son PLU dans lequel les règles d’urbanisme imposées sur le périmètre de la ZAC des Gargues devenaient incompatibles avec le projet envisagé. Une véritable déclaration de guerre pour la SAPAG qui a aussitôt enclenché la bataille juridique et obtenu, en mars 2018, l’annulation du PLU pour vice de procédure. En parallèle, elle attaque la Métropole, désormais en charge de la patate chaude, lui réclamant pas moins de 289 millions d’euros de dédommagement si elle s’obstine à bloquer la mise en œuvre de la concession pourtant dûment validée.

Le 20 décembre 2022, le Tribunal administratif a fini par trancher ce différent en condamnant la Métropole à verser la bagatelle de 5,6 millions d’euros aux sociétés concessionnaires qui s’estiment lésées par ce revirement. Une belle somme qui aurait sans doute mieux trouver à s’employer pour développer les services publics que pour engraisser encore les actionnaires de la grande distribution et du BTP, mais qui reste néanmoins très en deçà du montant délirant réclamé par le groupe privé qui, entre temps, s’était rebaptisé Nhood…

Vue aérienne du terrain des Gargues (source © Géoportail)

La métropole ayant repris la compétence a fini par produire un nouveau PLU, désormais intercommunal, entré en application le 6 juillet 2022, malgré de fortes oppositions locales. Et voilà que le 17 janvier 2024, la Métropole a engagé la concertation publique en vue de procéder à la deuxième modification de ce PLUI pourtant tout récemment adopté. En réalité, ce sont deux modifications qui sont soumises en parallèle à la concertation. La première devrait permettre de mieux intégrer la prise en compte des risques naturels liés notamment à l’inondation par ruissellement pluvial, jamais considéré jusqu’à présent sur ce territoire pourtant fortement exposé en cas de gros orage

La seconde, quant à elle, concerne précisément le devenir de cette fameuse zone des Gargues qu’il est désormais question d’ouvrir de nouveau à l’urbanisation après l’épisode du précédent PLU et de la bataille juridique qui s’en est suivie. Mais plus question désormais d’un implanter un centre commercial et un complexe de loisir à faire pâlir d’envie nos amis californiens. L’objectif visé est désormais d’utiliser ce terrain agricole idéalement situé aux portes d’Aubagne pour y reconstruire l’hôpital Edmond Garcin vieillissant et jugé inadapté. Baptisé en 2002 du nom de cet ancien député communiste décédé en 1999, instituteur engagé dans la Résistance, devenu maire d’Aubagne en 1965 et qui l’est resté sans interruption jusqu’en 1987, cet hôpital d’Aubagne avait été inauguré en 1971. Desservant une aire de près de 140 000 habitants de l’est du département et de l’ouest du Var, ce centre hospitalier remplit des missions de service public avec son service d’urgence ouvert H24, ses différents services de médecine, son bloc opératoire de 6 salles, sa maternité tout juste rénovée, son centre de gérontologie et son laboratoire de biologie médicale partagé avec l’hôpital de La Ciotat.

L’actuel hôpital Edmond Garcin à Aubagne (source © Centre hospitalier d’Aubagne)

Mais malgré de lourdes rénovations et extensions, menées justement à l’initiative d’Edmond Garcin, le centre hospitalier d’Aubagne, menacé à plusieurs reprises de fermeture, face à la concurrence des cliniques privées et dans une optique à courte vue de réduction des dépenses publiques, est un peu à l’étroit sur sa parcelle de 2 hectares en plein site urbain. Une fois ce constat partagé et avec l’accord de l’ARS, la directrice du centre hospitalier, Stéphanie Luquet, à la tête de l’établissement depuis mai 2020, a orienté le projet vers une reconstruction totale sur un autre site plus vaste.

Mohamed Salem, président de la commission médicale de l’hôpital Edmond Garcin et Stéphanie Luquet, directrice, aux côtés du maire d’Aubagne, Gérard Gazay, en juin 2023 (photo © Catherine Vingtrinier / La Marseillaise)

Arrêté mi-2023, le projet de nouvel hôpital aura une capacité d’accueil augmentée de 20 % avec des lits et des blocs opératoires supplémentaires, ainsi qu’une maternité agrandie pour répondre au besoin des 1300 accouchements réalisés chaque année. Le projet a été décrié par plusieurs acteurs qui le trouvent insuffisamment ambitieux par rapport à l’offre de soins actuelles. Toujours est-il que le début de la construction est prévu à partir de 2027 pour une entrée en service espérée en 2030, et c’est donc le site des Gargues qui a été retenu pour sa future implantation. L’emprise des bâtiments devrait atteindre 26 000 m2, sur un terrain de 7 à 9 hectares, bordé à l’ouest par l’A52 et au sud par la RDN8, englobant donc l’actuelle jardinerie Tirand jusqu’au chemin des Gallègues, avec encore des possibilités d’extension future, au nord ou à l’est.

Plan schématique de l’emplacement du futur hôpital d’Aubagne (source © Made in Marseille)

Le coût du projet est estimé à au moins 130 millions d’euros et l’État a d’ores et déjà promis depuis décembre 2021 d’y injecteur 92 millions dans le cadre du Ségur de la Santé, tandis que Martine Vassal s’est engagée en septembre 2023 à hauteur de 10 millions pour la Métropole et 6 millions pour le Département. La commune d’Aubagne devrait se charger de fournir le terrain et la Région pourrait abonder à hauteur de 3 millions.

Martine Vassal annonçant l’engagement financier de la Métropole et du Département en faveur du projet de reconstruction de l’hôpital d’Aubagne, le 8 septembre 2023 (photo © François Rasteau / La Provence)

L’établissement lui-même, étant structurellement déficitaire avec un déficit de l’ordre de 10 millions par an pour un budget hospitalier annuel de 78 millions, n’est pas en capacité d’apporter de l’autofinancement. Le tour de table n’étant pas complètement encore bouclé, il faudra probablement que l’Agence régionale de santé (ARS) mette aussi la main à la poche et que l’établissement emprunte pour le reste. Un projet de longue haleine donc mais qui permettra peut-être de doter le secteur d’un centre hospitalier flambant neuf et plus performant, d’ici quelques années…

L. V.

IHU : le caprice de Renaud Muselier

15 avril 2024

Créé en 2011, l’Institut hospitalo-universitaire en maladie infectieuses de Marseille, plus connu sous son abréviation IHU-MI, a ouvert ses portes en 2018. Ce concept d’IHU, relativement récent dans le spectre de la recherche médicale française, résulte de la mise en œuvre des programmes d’investissement d’avenir lancés en 2009 par Nicolas Sarkozy pour favoriser la relance économique après la crise des subprimes. Ces instituts ont alors pour vocation de constituer des pôles d’excellence pour la recherche médicale en attirant et en formant des spécialistes dans leur domaine de compétence. Le but est d’obtenir des retombées économiques via « le développement de produits de santé innovants » et « d’accroître l’attractivité de la France pour les industries de santé ».

Les locaux majestueux de l’IHU de Marseille à la Timone (photo © Gérard Julien / AP / Le Monde)

Sur les 19 projets qui sont alors présentés, seuls 6 ont été retenus par un jury international constitué en 2010, un septième projet y étant ajouté en 2018. Les trois premiers d’entre eux sont ceux présentés par les hôpitaux de Paris et de Strasbourg, et justement celui de Marseille, défendu par le professeur Didier Raoult, au nom de l’Université Aix Marseille et de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille).

L’IHU est organisé sous forme de fondation, pour permettre de bénéficier des fonds provenant à la fois du public et du privé, histoire de manger à tous les râteliers. Celui de Marseille regroupe également parmi ses membres fondateurs l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service français des Armées, BioMérieux et l’Établissement français du sang. Mais l’essentiel de ses financements initiaux, qui s’élèvent au total à 160 millions d’euros et qui lui ont permis de se construire un immense bâtiment bien en vue, juste à côté de l’hôpital de la Timone, provient d’une subvention colossale de 72,4 millions, la plus grosse jamais accordée par l’Agence nationale de la recherche et de la technologie, dont 48,8 millions pour la seule édification du bâtiment.

Inauguration des locaux de l’IHU en mars 2018, en présence de l’incontournable Renaud Muselier, de Jean-Claude Gaudin et de Martine Vassal, tous inconditionnels de Didier Raoult (photo © Benoît Gilles / Marsactu)

Pourtant, dès 2015, une mission de l’Inspection générale de l’action sociale s’inquiète des dérives autoritaires du professeur Raoult, ce médecin tonitruant aux faux airs de Gandalph qui aurait mis en place un système de décision ultra-centralisé dans lequel il décide de tout et en toute opacité. En 2017, un nouveau rapport du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dénonce à son tour « un management autocratique » et « un mode de gouvernance vertical [qui] a facilité l’expression de comportements hautement condamnables : harcèlement moral mais également sexuel, mépris des personnes, ignorance des réglementations, hostilité à l’égard des regards extérieurs, défaut de concertation avec les tutelles ».

L’accusation n’est pas bénigne et conduit en 2018 le CNRS et l’INSERM, les deux autorités de tutelles, à se désengager du projet pour cause de « désaccord stratégique » et « d’évaluation scientifique défavorable ». Le coup est rude mais le bon professeur Raoult s’en moque comme d’une guigne, affichant le plus profond mépris pour ces instances nationales de la recherche scientifique, et n’hésitant pas à déclarer haut et fort : « l’INSERM, aujourd’hui je m’en fous » : on ne saurait être plus clair !

Didier Raoult et Renaud Muselier, deux anciens copains de fac inséparables, ici en septembre 2020 (source © compte Facebook Renaud Muselier)

D’autant que Didier Raoult connaît début 2020 son heure de gloire lorsque l’IHU lance un dispositif de dépistage du Covid-19 alors que toute la France panique face au développement de la pandémie, et que tous les responsables politiques locaux viennent se faire soigner à l’IHU où ils se font administrer la fameuse hydroxychloroquine du bon docteur Raoult. Un traitement qui n’a jamais fait ses preuves et qui peut être à l’origine de graves effets secondaires pour certains patients. Mais cette position assure au président de l’IHU de Marseille une position médiatique sans précédent. Il se répand dans tous les médias où son franc-parler fait merveille, lui qui fustige à longueur de journée les décisions technocratiques visant à confiner la population pour limiter la propagation du virus. Les Marseillais passés par l’IHU le vénèrent comme un dieu, arborent des tee-shirts à son effigie de druide celte réincarné, et applaudissent à chacune de ses sorties cinglantes contre les élites parisiennes.

Le professeur Didier Raoult, mis en cause pour ses méthodes quelques peu cavalières (photo © Christophe Simon / AFP / France 3)

Pourtant, dès 2020, des voix s’élèvent pour s’inquiéter d’essais cliniques humains effectués sans autorisation tandis que les procédures pour diffamation s’enchaînent et que des enquêtes sont diligentés pour fraude à la Sécurité sociale en lien avec des hospitalisations de jour facturées pour permettre d’administrer le fameux traitement anti Covid. De son côté, l’Agence française anti-corruption dénonce un conflit d’intérêt de la part du président de l’IRD, Jean-Paul Moatti, qui avait signé avec sa propre épouse, Yolande Obadia, alors directrice de l’IHU, une convention accordant une subvention aussi généreuse que peu justifiée.

En août 2021, l’AP-HM et l’Université Aix Marseille annoncent enfin le renouvellement de la présidence et la mise à la retraite de Didier Raoult de plus en plus controversé. Il est remplacé en septembre par un de ses proches, Pierre-Edouard Fournier, tandis qu’en septembre 2022, la directrice de l’IHU cède sa place à Emmanuelle Prada-Bordenave.

Mais il n’est pas si aisé de tourner la page de l’ère Raoult. Le journal La Provence s’est ainsi fait l’écho, vendredi 12 avril d’un épisode assez surréaliste survenu la veille, à l’occasion de la réunion du conseil d’administration de l’IHU, au cours duquel devait notamment être validée la composition du nouveau conseil scientifique de l’établissement. Il était prévu de nommer à sa tête l’immunologiste réputé, Eric Vivier, un scientifique mondialement reconnu, fondateur du cluster Marseille Immunopôle et par ailleurs président du Paris Saclay Cancer Cluster. Une nomination qui faisait l’unanimité parmi la communauté scientifique, désireuse de redonner plus de crédibilité à l’IHU de Marseille, empêtré dans les affaires judiciaires.

Le professeur Eric Vivier aux côtés du Président de Région Renaud Muselier, ici à l’occasion d’une visite ministérielle en 2022 (photo © Franck Pennant / La Provence)

Mais c’était sans compter sans le président de la Région PACA, l’imprévisible Renaud Muselier, qui, une fois n’est pas coutume, s’est invité en personne à ce conseil d’administration où il n’avait pas mis les pieds depuis plus de 2 ans. Ce dernier n’a jamais caché sa grande admiration pour le professeur Raoult, un ancien copain de fac dont il est resté très proche. En septembre 2021, alors qu’il sortait d’une affection de Covid, justement soignée à l’hydroxychloroquine dans les locaux de l’IHU, Renaud Muselier évoquait au micro de France bleu sa confiance aveugle en Didier Raoult, précisant : « Oui, j’ai toujours tout suivi chez Raoult. J’ai confiance en lui donc je fais confiance à mon médecin ». Et d’insister : « Moi, je l’ai toujours soutenu. Et il a eu des résultats : quand on a eu notre cluster avec un tiers de la région contaminée, on a fermé, on a envoyé tout le monde chez Raoult se faire tester, on a soigné ceux qui le voulaient et on a envoyé personne en réanimation. J’ai confiance en Raoult ».

Une confiance qui ne faiblit pas et qui a donc conduit le président de la Région PACA à s’opposer frontalement, lors de ce conseil d’administration mémorable du 11 avril 2024, à la nomination au sein du conseil scientifique de l’IHU, du professeur Vivier, ainsi qu’à celle de deux autres éminents scientifiques, Diane Descamps et Aude Bernheim. Selon les autres participants à cette réunion, Renaud Muselier a mis son veto sans discussion possible, arguant que ces nominations relèvent d’un pur parisianisme et menaçant de couper le robinet des subventions s’il n’était pas suivi.

Un dessin signé Deligne, publié dans Var Matin en août 2021 : 4 ans plus tard, le professeur Raoult tire toujours les ficelles !

Un argument qui a manifestement porté, d’autant que la Région finance grassement l’IHU, y compris via les fonds européens qui sont instruits par ses propres services. En comptant les subventions régionales qui transitent par l’AP-HP, cela représenterait plusieurs dizaines de millions par an. De quoi donner à Renaud Muselier une force de conviction très dissuasive, au point que personne n’a osé le contredire et lui rappeler que le « parisien », Eric Vivier, vit à Marseille depuis 31 ans, où il a fondé le centre d’immunologie de Luminy et où il exerce en tant que professeur d’immunologie à l’université Aix Marseille et médecin hospitalier à la Timone.

Il semble donc que l’IHU de Marseille ne soit pas encore prêt à tourner la page Raoult et que ce dernier puisse encore compter sur le soutien aveugle de son ami Muselier, quitte à ruiner la crédibilité scientifique de cet institut. La Provence se fait ainsi l’échos d’un chercheur, désespéré de voir que « l’IHU fait beaucoup d’efforts pour redresser la barre. C’est catastrophique de voir tout cela ruiné par des comportements qui relèvent du fait du prince », estimant, désabusé : « il s’agit surtout d’une lutte de pouvoir. A Marseille, certains veulent rester dans leur entre-soi ». Un travers décidément très développé localement

L. V.

Corée du Sud : des législatives aux petits oignons

12 avril 2024

On votait, ce mercredi 10 avril 2024, en Corée du Sud, pour renouveler les 300 membres de l’Assemblée nationale. Une élection dont les résultats ne font manifestement pas les affaires du Président de la République, l’ancien procureur et très conservateur Yoon Suk-yeol, qui avait été élu de justesse à ce poste, il y a tout juste 2 ans, en mai 2022, sort nettement affaiblie de ces élections. Alors que son parti « Pouvoir au Peuple » détenait 103 sièges dans le parlement sortant, il n’en détient plus que 90 tandis que le bloc progressiste, déjà largement majoritaire, se retrouve avec 176 députés, manquant de peu la majorité des deux-tiers qui lui aurait permis de concrétiser la menace de destitution qui pèse désormais sur le président.

Le président de la République de Corée du Sud, Yoon Suk-yeol (photo © Reuters / Firstpost)

Il faut dire que celui-ci est arrivé au pouvoir dans un contexte de crise économique et sociale, même si la Corée du Sud reste la quatrième puissance économique mondiale. L’accès au logement est notamment devenu un vrai souci pour les Sud-Coréens. Alors qu’en 2017 un jeune Coréen achetant un appartement arrivait à rembourser son emprunt immobilier en 20 ans, il lui faut désormais 40 ans pour y arriver !

Et la politique menée par le président Yoon Suk-yeol depuis son arrivée au pouvoir ne fait qu’exacerber ces difficultés sociales. Se positionnant d’emblée du côté du patronat, il a ainsi affirmé que maintenir la semaine de travail à 52 heures lui paraissait intenable et plaidant pour le passage à 69 heures de travail hebdomadaire, bien loin des 35 heures en vigueur en France…

En juillet 2023, des syndicalistes sud-coréens protestent contre la répression syndicale du gouvernement (source © Industriall Global Union)

Faisant face en novembre 2022 à une grève des camionneurs, il a été jusqu’à menacé les grévistes de peines de prison ferme et d’amendes records de dizaines de milliers d’euros pour entrave à la vie économique du pays, tandis qu’il accordait sa grâce présidentielle à plusieurs hommes d’affaires condamnés pour corruption, dont le président du groupe Samsung. Yoon Suk-yeol n’avait pas hésité à déclarer publiquement que, selon lui, « les gens qui font grève sont aussi dangereux que les ogives nucléaires nord-coréennes ». Un discours tout en nuance que les syndicats n’avaient guère apprécié…

En quelques mois, sa cote de popularité s’était effondrée, d’autant qu’il faisait montre en parallèle d’une position extrêmement rigide et belliqueuse envers le voisin nord-coréen, se rapprochant des États-Unis et rompant tout dialogue, estimant même nécessaire d’envisager des frappes préventives en cas de menace, avivant ainsi la tension entre les deux Corées.

Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et son entourage faisant mine de découvrir des bottes d’oignons verts à un prix défiant toute concurrence (photo © AFP / Huffington post)

Et voila que le Président, alors en pleine campagne des législatives, le 18 mars dernier se rend dans un magasin de fruits et légumes à Séoul, pour y constater le prix des denrées alimentaires et tordre le cou à l’idée largement partagée que la population fait face à une forte inflation du coût des produits de base. Avisant une botte d’oignons verts, un légume particulièrement prisé dans la cuisine coréenne, le président fanfaronne devant les caméras en affirmant que pour 875 wons, le prix est très accessible. De fait, cette somme représente à peine 60 centimes d’euros… Sauf que les Coréens sont tombés des nues car eux paient quotidiennement trois à quatre fois plus cher leur botte d’oignons !

Après enquête, les journalistes se sont ainsi rendus compte que tout ceci n’était en réalité qu’une mise en scène, le commerçant, prévenu à l’avance, ayant volontairement affiché pour les besoins de la cause, des étiquettes avec des prix défiant toute concurrence… De quoi alimenter les sarcasmes envers un président totalement déconnecté des réalités et qui prend vraiment ses concitoyens pour des imbéciles. Il n’en fallait pas davantage pour doper l’opposition qui dès lors s’est mis à brandir des oignons verts à chacun de ses meetings. La cébette est ainsi devenue le symbole de l’opposition au président conservateur !

Des militants brandissant leur botte d’oignons en signe de protestation contre la morgue du président, Yoon Suk-yeol, à Sejong, le 25 mars 2024 (photo © Yonhap / AFP / BFMTV)

Au point que la commission nationale électorale s’en est inquiété et a décrété, deux jours avant les élections, l’interdiction de se promener avec des oignons verts à proximité des bureaux de vote, considérant gravement, dans un communiqué officiel, que « détourner une certaine chose de sa fonction initiale pour en faire un moyen d’expression est susceptible d’affecter le scrutin ». De quoi déclencher l’hilarité générale et mettre en verve tout ce que la Corée du sud compte d’esprits espiègles qui se sont dés lors mis à rivaliser d’imagination pour détourner cette loi anti-oignons. Et l’on a vu ainsi fleurir les bandeaux et les écharpes couleur vert oignon ainsi que les porte-clés en forme de ciboulette.

Une ambiance plutôt bon enfant mais qui a du coup suscité un fort engouement pour cette échéance électorale qui a fortement mobilisé, avec un taux de participation record de 67 % et un score peu amène pour les partisans de Yoon Suk-yeol qui, pour avoir mal évalué l’oignon, en a gros sur la patate : quand on raconte des salades, il arrive qu’on fasse chou blanc…

L. V.

Un financement public pour des écoles privées

9 avril 2024

En France, la question scolaire a toujours été objet de vifs débats. Essentiellement confessionnel jusqu’à la Révolution française, l’enseignement primaire s’est peu à peu organisé autour de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, généralisée à l’initiative de Jules Ferry à partir de 1881. Une cohabitation entre école dite libre et école publique parfois conflictuelle mais qui relève pour l’essentiel d’un choix personnel des parents avec de fortes disparités régionales. Dans bien des départements, comme en Lorraine ou dans le Massif Central, moins de 5 % des élèves sont scolarisés dans le privé, alors que cette proportion dépasse 50 % dans le Morbihan ou en Vendée.

Le collège privé Stanislas à Paris, un établissement élitiste où l’ex ministre de l’Éducation nationale scolarise ses enfants (photo © Thomas Samson/ AFP / Le Parisien)

A Paris, un élève sur trois fréquente une école primaire privée et la polémique récente qui a concernée les enfants de l’éphémère ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a montré à quel point la plupart de nos responsables politiques utilise des stratégies d’évitement pour épargner à sa progéniture de fréquenter l’école de la République. A Marseille, Marsactu estimait en 2016 que plus de 13 600 élèves fréquentaient des écoles privées, principalement liées à l’enseignement catholique, contre 74 000 seulement dans le public, soit une proportion de 15 % en forte hausse depuis les 20 dernières années.

A Marseille, Jean-Claude Gaudin s’est montré particulièrement favorable à l’enseignement privé catholique, faisant passer le forfait élève à 900 € en 2019 tout en laissant se dégrader les écoles publiques : un dessin signé Ysope (source © Le Ravi)

A l’échelle nationale, un rapport récent de la Cour des Comptes, rendu public en juin 2023, évaluait à plus de 2 millions le nombre d’élèves fréquentant l’un des 7 500 établissements privés de l’Hexagone, soit 17,6 % des effectifs scolaires, lesquels sont en baisse constante depuis une dizaine d’années. Ce même rapport s’interrogeait sur l’importance du financement public de cet enseignement privé, en regard d’une ségrégation croissante des élèves qui en bénéficient. Une interrogation récurrente qui fait également l’objet d’un rapport de mission parlementaire qui vient tout juste d’être remis par les députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance) après 6 mois d’investigations et plusieurs déplacements, dont un à Marseille précisément.

Les députés Christophe Weissberg et Pauk Vannier lors de la discussion de leur rapport en commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée Nationale (source © Banque des Territoires)

Pendant longtemps, la République française a considéré que l’enseignement privé confessionnel avait parfaitement droit de cité mais qu’il lui revenait de s’organiser avec ses propres moyens. Ce n’est finalement qu’en 1959 que la loi Debré a instauré le système de contrat qui permet à un établissement privé sous contrat (la très grande majorité d’entre eux), de bénéficier désormais d’un financement public, quasi à parité des écoles publiques. A l’époque, cette décision était largement motivée par le contexte d’après-guerre et de baby-boom qui voyait l’État peiner à scolariser tous les élèves et souhaitait par cette mesure encourager le privé à prendre sa part du fardeau. Un choix dicté par le contexte et à vocation temporaire donc, mais qui est toujours en vigueur 85 ans plus tard, s’étant même renforcé au fil du temps, notamment avec le développement des lois de décentralisation.

Désormais, l’enseignement privé français sous contrat est donc financé à 75 % par l’argent public, principalement par l’État qui, de la même manière que dans le public, prend entièrement à sa charge le coût des personnels enseignants, même si ces derniers sont contractuels dans le privé, auquel il ajoute un forfait d’externat, supposé couvrir les frais de personnel d’administration, de gestion, de direction, de santé, etc. Le reste est payé par les collectivités territoriales, chacune pour ce qui relève de ses compétences et de manière relativement discrétionnaire.

Pour les écoles maternelles et primaires, les communes versent ainsi pour chaque élève scolarisé dans le privé une somme forfaitaire annuelle qui correspond à ce que lui coûterait la scolarité de cet élève dans son école publique. Un avantage incontestable puisque cette somme n’est pas calculée en fonction du besoin de l’établissement privé pour équilibrer son budget, mais selon les dépenses effectives de l’école publique, alors que celle-ci est soumise à bien d’autres contraintes. Quand l’école publique est obligée d’accueillir tous les élèves qui s’inscrivent et de mettre en place des dispositifs de soutien spécifiques pour les accompagner au mieux, le privé est libre de sélectionner ses élèves, ce qui lui permet de faire des classes plus chargées avec des coûts par élèves moindres mais une subvention généreusement allouée par le public sur la base de ses propres coûts.

L’école et le collège privés Saint-Augustin, à Carnoux (source © École Saint-Augustin)

Un montant qui est par ailleurs calculé de manière totalement opaque, selon des règles imprécises et qui font l’objet de larges interprétations par les municipalités. Ainsi, à Carnoux, la commune a décidé d’attribuer un montant de 720 € pour chaque élève scolarisé à l’école Saint-Augustin, déjà largement subventionnée lors de sa construction, et qui vient encore de recevoir une nouvelle subvention de 11 000 € cette année pour l’utilisation de ses locaux par le Centre aéré. Un montant théoriquement calculé sur la base des coûts réels de scolarisation d’un élève à l’école Frédéric Mistral. Sauf que cette même prestation n’est facturée que 667 € lorsqu’il s’agit d’y scolariser un ressortissant d’Aubagne, et même 547 € s’il vient de Cassis : comprenne qui pourra…

Cette manne d’argent publique, estimée en 2022 à près de 14 milliards d’euros par an, qui permet à l’enseignement privé, principalement catholique, de développer son réseau pendant que les écoles publiques ferment, suscite d’autant plus d’interrogations que les obligations et les contrôles qui pèsent sur l’enseignement privé en France sont quasi inexistants. Selon le rapport de Paul Vannier et Christophe Weissberg, les contrôles pédagogiques y sont très rares et les vérifications comptables quasi inexistantes : moins de 5 établissements privés feraient ainsi l’objet d’un contrôle comptable chaque année, ce qui leur laisse entrevoir un contrôle tous les 1 500 ans en moyenne…

L’école publique est en train de craquer : un dessin signé Zaïtchick (source © Blagues et dessin)

Une situation d’autant plus inquiétante que toutes les études confirment une ségrégation scolaire croissante. Les élèves des classes aisées et ceux qui présentent les meilleurs résultats scolaires s’orientent de plus en plus vers les établissements privés qui les trient sur le volet, à tel point que le taux de mixité sociale dans les écoles privées est en chute libre. Selon les observations de la Cour des Comptes, les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021. Les élèves de milieux favorisés à très favorisés y sont désormais majoritaires alors qu’ils ne représentent que 32,3 % des élèves dans le public. À l’inverse, la part des élèves boursiers y représente moins de 12 % contre plus de 29 % dans le public.

Dans le passé, toute réforme visant à rééquilibrer les relations entre école publique et privée a montré à quel point le sujet pouvait être source de tension dans la société française. Pourtant, le sujet a quitté depuis bien longtemps le terrain de la croyance individuelle, dans une société où le poids des confessions religieuses s’est considérablement allégé. Il est désormais au cœur d’un choix de société, au même titre d’ailleurs que la santé publique. Deux domaines dans lesquels les intérêts privés ont réussi à capter à leur profit la manne des financement publics pour créer une société à deux vitesses : aux riches les meilleures écoles et les soins de qualité, largement subventionnés, et aux pauvres un système public qui peine à faire face, avec des contraintes toujours croissantes et des moyens financiers en berne…

L. V.

Un 1er avril tout feu tout flamme

7 avril 2024

En ces temps de crise et d’austérité, la tradition potache du poisson d’avril aurait presque tendance à disparaître, comme si rire était devenu incongru dans un monde où l’on ne parle plus que conflits sanglants, menaces sur la démocratie, crise économique, perte massive de biodiversité et risque climatique majeur. Il faut dire aussi que certains sont devenus particulièrement chatouilleux et n’hésitent pas à porter plainte pour un simple gag de poisson d’avril ou, pire, à dégainer la kalachnikov pour se venger d’un dessinateur de presse trop incisif…

Le poisson d’avril, source d’inspiration d’innombrables cartes postales (source © Carte postale ancienne / Delcampe)

Et pourtant, certains restent fidèles à la tradition qui remonterait, dit-on, à l’époque de Charles IX qui décida, en 1564, de fixer définitivement le 1er jour de l’année au 1er janvier, ce qui donna l’occasion de se moquer de ceux qui continuaient de la fêter le 1er avril. En réalité, ce rite du poisson d’avril que l’on accroche dans le dos du voisin et des autres blagues potaches que l’on se permet de faire à cette date est, comme souvent, le fruit de traditions multiples qui se télescopent et ont fini par se cristalliser, y compris, peut-être depuis la plus lointaine Antiquité puisque les Grecs dédiait le 1er avril, 12 jours après l’équinoxe de printemps, au dieu du rire, ce qui leur donnait l’occasion de se faire quelques petites farces bien troussées… Une tradition d’ailleurs reprise par nos ancêtres les Romains qui avaient instauré la fête des Hilaria, plutôt le 25 mars, en l’honneur de Cybèle et du retour du printemps, et se permettaient ce jour-là quelques plaisanteries plus ou moins satiriques.

Toujours est-il que cette année encore les médias se sont fait l’écho de nombreuses fausses informations plus ou moins saugrenues publiées à l’occasion du 1er avril, à l’image de celle-ci repérée par France 3 sur le site Facebook de l’office de tourisme Esterel-Côte d’Azur qui annonce sans rire l’implantation d’une nouvelle espèce animale sur les rochers rouges de l’Esterel, en l’occurrence un petit macaque asiatique que l’on voit, sur plusieurs photos, se balader tranquillement dans les pins qui surplombe les rivages de la Côte d’Azur. De quoi susciter quelques commentaires sarcastiques de la part de visiteurs qui observent que de tels spécimens pullulent déjà sur le littoral varois en période estivale…

La biodiversité se renforce sur les pentes de l’Esterel : une nouvelle espèce est arrivée en ce 1er avril… (source © Facebook Office tourisme Esterel Côte d’Azur)

Marsactu n’est pas en reste, lui qui s’est fait l’écho d’un supposé rapport confidentiel que l’amiral Lionel Mathieu, commandant le bataillon des marins-pompiers de Marseille, aurait remis à Benoît Payan, à l’aube de l’inauguration de la marina du Prado, destinée à accueillir les prochains jeux olympiques. Un rapport explosif puisque l’amiral y évoquerait le risque excessif lié à l’arrivée par bateau de la flamme olympique, à bord du fameux Belem, le 8 mai prochain. Il est bien connu que les marins se méfient comme la peste du feu à bord des navires et l’avertissement ne manque pas de crédibilité dans une ville encore marquée par l’incendie dramatique des Nouvelles Galeries, sur la Canebière, le 28 octobre 1938, qui fit au moins 73 victimes et conduisit le gouvernement à placer la ville sous tutelle…

La flamme olympique, jugée trop inflammable par les experts des marins-pompiers de Marseille ? (source © Marsactu)

Selon Marsactu, l’adjoint au maire en charge de la sécurité, Yannick Ohanessian, qui, comme de bien entendu, ne mégote pas avec les risques d’incendie, sitôt alerté par les craintes des marins-pompiers, plancherait déjà sur une solution de repli et imagine proposer au Comité olympique de remplacer le flambeau traditionnel par une version numérique, déclarant au journaliste de Marsactu : « J’ai installé chez moi une fausse cheminée murale, tous mes amis me disent qu’on n’y voit que du feu ». Voilà un sujet qui risque en tout cas d’enflammer les esprits et de mettre de l’huile sur le feu dans un contexte politique local déjà brûlant…

Alors que la bataille fait déjà rage entre les ténors politiques marseillais, Martine Vassal et Renaud Muselier tirant quotidiennement à boulet rouges et pour le moindre prétexte contre le maire en exercice, Benoît Payan, tandis que la Secrétaire d’État en charge de la ville et de la citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, qui se présente comme « ministre de Marseille » ne rate pas une occasion de rappeler qu’elle a de hautes ambitions pour les prochaines municipales de 2026, voilà que ce 1er avril 2024 a fait surgir de nouvelles affiches électorales pour cette même échéance…

Nicolas Pagnol, déjà en lice pour les prochaines municipales à Marseille ? (source © La Provence)

Des affiches en bonne et due forme, sur fond de Vieux-Port avec l’hôtel de ville en ligne de mire, en faveur de Nicolas Pagnol, le petit fils de l’écrivain et cinéaste provençal. De fait, celui-ci ne décolère pas depuis qu’il a été évincé de la délégation de service publique pour la gestion du château de la Buzine. Ses propos acerbes à l’encontre de la municipalité marseillaise rendent de fait assez crédible un tel engagement de sa part sous une bannière elle-même très offensive puisque le slogan « Nous tous Marseille » est directement inspiré du nom du groupe de rap de Joeytstarr, NTM, et l’on sent bien que cette insulte des quartiers populaires est bien présente à l’esprit de Nicolas Pagnol lorsque ce dernier évoque le maire actuel de Marseille…  

Dans un tout autre registre, La Provence évoque également, parmi les canulars du 1er avril 2024, une annonce assez extraordinaire de la RTM qui indique, sur son compte Instagram : « Ce soir, un phénomène d’une importance rare est annoncé ! ». De quoi faire jaser la journaliste du quotidien régional qui grince : « Une rame de métro qui arrive à l’heure ? N’exagérons pas. Il s’agit d’un événement bien plus habituel : l’observation d’aurores boréales dans le ciel marseillais… ».

Réchauffement climatique ou pas, la RTM annonce des aurores boréales dans le ciel de Marseille (source © compte Instagram RTM)

Avec le dérèglement climatique global auquel on assiste, personne ne sera bientôt plus étonné de voir de tels phénomènes au-dessus de Notre-Dame de la Garde. C’est d’ailleurs précisément pour sensibiliser aux effets du changement climatique que l’artiste suisse Dan Acher avait créé en septembre 2022 une simulation d’aurore boréale dans le ciel marseillais, au-dessus des jardins du palais Longchamp. Une installation artistique impressionnante et qui a manifestement marqué les esprits des chargés de communication de la RTM, manifestement plus à l’aise pour inventer des canulars que pour répondre aux plaintes des usagers de son réseau de transport en commun exposé à des dysfonctionnements quotidiens !

L. V.

Le Parc des Calanques, à Carnoux ce soir…

4 avril 2024

Plus de 10 ans déjà se sont passés depuis la création officielle du Parc National des Calanques en 2012. Dix années au cours desquelles ce Parc National original, créé aux portes de la deuxième ville de France, dans un environnement naturel mêlant massif rocheux méditerranéen et fonds marins, s’est structuré et a mené de multiples actions souvent méconnues.

C’est pourquoi il a paru opportun d’inviter Alain Vincent, directeur de l’action territoriale du Parc National des Calanques, pour évoquer ces 10 ans d’actions et ces nombreux projets d’avenir qui se bousculent, pour mieux préserver cet espace naturel exceptionnel qui s’étend à deux pas de notre commune de Carnoux-en-Provence et favoriser les bonnes pratiques qui permettent de maintenir les usages sans menacer la biodiversité. Un subtil équilibre pour lequel il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie, et parfois d’un peu de fermeté…

Cette conférence organisée par le Cercle progressiste carnussien se tiendra ce soir, jeudi 4 avril 2024, à Carnoux dans la salle municipale du Clos Blancheton à partir de 18h30. L’accès est gratuit et ouvert à tous : profitez-en !

La Disparition menacée de disparition ?

2 avril 2024

Encore une disparition inquiétante ? Il ne s’agit cette fois ni d’un individu ni même d’une espèce biologique menacée d’extinction ou d’une cité antique perdue, mais bien d’un média. Une fois de plus pourrait-on dire, au vu des difficultés extrêmes que rencontre la presse à vivre durablement dans un environnement où chacun est saturé d’informations se télescopant en temps réel sur l’écran de notre smartphone.

La Disparition, un média épistolaire reçu dans la boîte aux lettres (source © La Disparition)

En l’occurrence, le média en question est conçu à Marseille et se présente lui-même comme un « long-courrier journalistique et littéraire », une belle formule pour décrire cet objet médiatique étrange, 100 % indépendant, sans aucune publicité, imprimé en France et adressé tous les 15 jours, sous enveloppe timbrée, à des abonnés. Une aventure singulière, lancée en janvier 2022, fruit de l’imagination et de la ténacité de deux journalistes, Annabelle Perrin et François de Monès.

Annabelle Perrin et François de Monès, les deux journalistes à l’origine de cette lettre singulière (source © La Disparition)

Elle est rédactrice en chef, choisit les sujets et se charge des relations avec les pigistes et les auteurs, tout en gérant la correspondance avec les lecteurs et les réseaux sociaux. Elle tient également une chronique chaque lundi matin sur Radio Nova, et anime le cinéclub de La Baleine, un cinéma-bistrot situé sur le cours Julien à Marseille. Lui s’occupe notamment de la relecture des articles, de la rédaction du Nota Bene, des illustrations, de la revue de presse de l’Infolettre, et accessoirement de la gestion administrative et financière.

A eux deux, ils ont d’ailleurs publié un ouvrage qui rassemble 10 de ces lettres tournant autour du terme de la disparition qui leur est chère. Un recueil éclectique où il est notamment question de ces bateaux de croisière de plus en plus gigantesques et en pleine croissance alors même que chacun dénonce l’impact écologique désastreux de ce mode de tourisme de masse, au point que certains considèrent qu’il ne s’agit que d’un anachronisme voué à disparaître mais qui a la vie dure…

Il y évoqué aussi le sort du terrain de football de Montcabrier, une petite commune du Lot, qui a vu se succéder sur sa pelouse jaunie, des générations d’amoureux du ballon rond et qui est voué à disparaître pour permettre le passage d’une autoroute.

Mohamed M’Bougar Sarr, écrivain sénégalais, recevant le prix Goncourt le 3 novembre 2021 (photo © Bertrand Guay / AFP / le Monde)

Y figure aussi le récit inédit signé de Mohamed Mbougar Sarr, romancier sénégalais lauréat du prix Goncourt 2021 pour La Plus Secrète Mémoire des hommes, qui relate une expérience qu’il a vécu au Mexique en 2022, lorsqu’il s’est retrouvé enfermé dans une ZAPI, une « zone d’enfermement pour personnes en instance », faute d’avoir pu attester de manière indubitable d’un visa en bonne en due forme. Un espace parallèle dont les occupants sont littéralement soustraits au monde de droit commun, n’ayant plus aucune possibilité de communiquer avec l’extérieur, ayant disparu du regard de leurs proches et relégués ainsi dans un lieu improbable pour une durée indéterminée, dans l’attente d’une issue incertaine sur laquelle ils n’ont aucune prise…

Le dragonnier de Socotra, une île au large du Yémen, devenue difficile d’accès (source © Globe trotting)

Plus de 40 lettres et quelques hors-séries de La Disparition sont ainsi déjà parues, traitant de sujets tout aussi éclectiques. Il y est question de la disparition de l’arbre dragon, une essence millénaire qui ne pousse que sur l’île de Socotra, au Yémen, un pays où enquêter sur les particularités botaniques relève du grand reportage de guerre. On y trouve aussi une passionnante histoire sur la disparition de la malade du sommeil, qui relate les efforts ayant permis de lutter peu à peu contre les ravages de la mouche Tsé-Tsé en République démocratique du Congo. Mais il y est aussi question de la disparition des petits pêcheurs de Guadeloupe, de celle des chauffeurs routiers aux USA ou encore de celle des Juifs en Afrique du Nord. Des enquêtes fouillées qui nous entrainent sur des sujets peu connus mais qui disent beaucoup de notre humanité et des dangers qui la guettent. Que l’on parle de la disparition des chiens du Groenland ou de celle des marais de Mésopotamie, c’est souvent le lien de l’homme à son environnement qui est en cause, mais aussi nos relations sociales et nos choix économiques, si déterminants par exemple pour cette lettre axée sur la disparition de la psychiatrie publique.

Les marais de Mésopotamie, en voie de disparition ?  (photo © Aline Deschamps / l’Humanité)

Un univers motivé par une réflexion quelque peu angoissante sur cette propension de l’humanité à vouloir faire tout disparaître, la biodiversité mondiale comme les usines françaises. Une démarche qui renvoie inéluctablement à l’exercice littéraire de Georges Pérec, dans son roman intitulé lui aussi « La disparition », écrit sans le moindre recours à la lettre « e » pourtant la plus usitée du vocabulaire français, en référence, dit-on, à la disparition si traumatisante d’« eux », ses propres parents. C’est justement d’« eux » que veut parler cette lettre bi-hebdomadaire si attachante, eux les victimes de ce monde déréglé, qui souffrent de la disparition de leurs repères comme de leurs soutiens, qui souffrent mais qui ont la force de lutter et inventent des stratégies pour rester debout malgré tout.

Une entreprise ambitieuse et qui mérite d’être saluée donc, mais qui se heurte, comme bien d’autres avant elle, à la dure réalité économique et à l’indifférence. C’est pourquoi ses promoteurs lancent un appel pour recruter de nouveaux abonnés afin de poursuivre son aventure menacée à son tour de disparition. Ils recherchent 300 abonnés supplémentaires d’ici le 15 avril pour passer le prochain cap et ne pas faire naufrage, « pour faire face à l’augmentation du prix du timbre et du papier, ainsi qu’à l’érosion du lectorat ». Tout passe, tout lasse, tout casse, c’est bien connu et « Tout doit disparaître » ; hormis peut-être cette « Disparition » si singulière et si inspirante, qui mérite vraiment de ne pas disparaître corps et biens : avis aux amateurs !..  

L. V.

CETA : c’est à n’y rien comprendre…

25 mars 2024

A trois mois des prochaines élections au Parlement européen, le rejet par le Sénat du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, constitue un véritable camouflet pour le gouvernement. Il faut dire que ces accords commerciaux, négociés en catimini par la Commission européenne, ont tendance à focaliser les critiques de tous les acteurs démocratiques ! Le sort du TAFTA, ce fameux traité de libre-échange transatlantique, pour lequel les négociations ont repris en 2019 après avoir été gelées fin 2016 suite à l’élection de Donald Trump, illustre à quel point ce type d’accord peut susciter un rejet viscéral. D’ailleurs, la France continue à s’opposer officiellement au projet pour lequel les discussions se poursuivent néanmoins, mais en excluant désormais les marchés publics et surtout l’agriculture qui focalise le plus d’inquiétudes.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur, potentiel accélérateur de la déforestation en Amazonie ? Un dessin signé Plantu, datant de juillet 2019

Le gouvernement français est également officiellement opposé à l’accord de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Mercosur, ce marché commun qui regroupe la plupart des pays d’Amérique du Sud. Lancées en 2000 et interrompues en 2004, les négociations avaient repris en 2014 et abouti à un accord en 2019, mais le Parlement européen avait rejeté le projet en octobre 2020, suite au désaccord exprimé ouvertement par la France et du fait des réticences de l’Allemagne, toutes les deux inquiètes des impacts environnementaux d’un tel accord.

Un dessin signé Marc R., publié en 2017 sur son site Marker

Avec le Canada, l’accord économique et commercial global, CETA selon son acronyme anglais (Comprehensive Economic and Trade Agrement), a été négocié à partir de 2009 et conclu dès 2014. Il a suscité alors tant de débats qu’il a fallu attendre 2 ans avant que la Commission européenne ne finisse par l’adopter en juillet 2016 avant de demander aux 27 pays membres (qui étaient alors encore 28, avant le Brexit) de le ratifier. Les pays membres l’ont signé le 30 octobre 2016, après un premier cafouillage car la Wallonie avait formellement refusé de donner son accord pour que l’État fédéral de Belgique puisse signer le document ! Le Parlement européen s’était à son tour prononcé en faveur de ce texte le 15 janvier 2017, mais en excluant le volet lié au dispositif chargé de régler les différents entre États et investisseurs, qui ne relève pas de la compétence de l’UE mais des États.

Ces mécanismes d’arbitrage par lesquels les multinationales arrivent à attaquer les législations en vigueur dans certains pays et jugées défavorables à leurs intérêts propres constituent de fait un des points de cristallisation des critiques majeures contre ces traités de libre-échange. Les exemples sont en effet désormais nombreux de multinationales, principalement américaines, qui arrivent ainsi à remettre en cause des dispositions législatives pourtant démocratiquement décidées, en matière de protection de l’environnement, de la santé ou des droits des travailleurs…

Des agriculteurs bloquent l’autoroute près de Mulhouse le 8 octobre 2019 et protestent notamment contre les traités CETA et Mercosur (photo © Sébastien Bozon / AFP / Le Monde)

Depuis 2017, l’accord CETA est considéré comme signé et il a été ratifié par 17 des États membres de l’UE, ainsi que par l’ensemble des parlements fédéraux et régionaux du Canada, lesquels se sont empressés de le faire dès 2017. La Grande-Bretagne elle-même, toujours friande de plus de libéralisme économique, l’avait ratifié avant de claquer la porte de l’Union Européenne ! De fait, le traité est désormais officiellement en vigueur depuis le 21 septembre 2017, à la seule exception des clauses, finalement assez marginales, qui concernent les investissements et le règlement des différends entre des entreprises européennes et canadiennes (tribunaux d’arbitrage) qui relèvent d’une compétence partagée entre l’UE et ses États membres. 

En revanche, si un seul des pays membres refuse de ratifier le texte et le notifie à l’UE, c’est l’ensemble du dispositif qui s’écroule puisque le texte est présenté comme un accord global. C’est déjà le cas puisque le parlement chypriote a rejeté l’accord le 1er août 2020, mais Chypre n’a pas notifié officiellement cette décision à l’UE et chacun fait donc comme si de rien n’était…

Le 23 juillet 2019, les députés français avaient voté en faveur de la ratification du CETA, malgré les exhortations de l’activiste suédoise, Greta Thunberg, venue leur parler le matin même… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

En France, où les oppositions contre cet accord de libre-échange sont nombreuses, Emmanuel Macron a tenté de faire passer le vote en catimini, en pleine trêve estivale, le 23 juillet 2019. A l’époque, il disposait pourtant d’une large majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, mais le texte avait suscité une véritable fronde de la part de certains des députés de son propre camp et n’avait alors été adopté qu’à une assez faible majorité de 266 députés alors que 213 d’entre eux se prononçaient contre. Le projet aurait dû être présenté au Sénat dans la foulée mais depuis, le gouvernement procrastine, craignant un rejet qui mettrait à mal tout l’édifice, et attendant que d’autres pays se prononcent à leur tour, dont l’Italie, où l’opinion n’est pas non plus très favorable.

Résultat du vote au Sénat le 21 mars 2024 aboutissant au rejet de la ratification du CETA : le centre mou était manifestement aux abonnés absents… (source © Sénat / La France agricole)

Mais cette course de lenteur a fini par prendre fin à l’initiative du groupe communiste au Sénat qui a profité de sa niche parlementaire pour remettre le dossier sur la table et obliger les sénateurs à sortir de leur ambiguïté. Et le résultat a confirmé que les craintes du gouvernement étaient bien fondées puisque le 21 mars 2024, le Sénat a très largement rejeté toute idée de ratification de cet accord par 211 voix contre 44. Une véritable claque pour le gouvernement ! Certes, c’est l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot mais on voit mal comment une majorité pourrait s’y dessiner désormais en faveur de la ratification de ce texte dès lors qu’il sera soumis à l’ordre du jour…

Il faut dire que cette affaire était bien mal emmanchée dès le début. Avant même l’entrée en vigueur de cet accord, le Canada était déjà un partenaire commercial de premier plan pour les pays européens, au 11e rang des exportations européennes et en 16e position pour nos importations, tandis que l’Europe constituait le 2e partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis. La Commission européenne imaginait que le CETA allait faire progresser de 25 % les échanges commerciaux avec le Canada. Elle brandit d’ailleurs des chiffres tendant à montrer que ces échanges ont bondi de 37 % depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2017. Sauf que cette augmentation s’explique en presque totalité par l’inflation des prix ! En volume, l’augmentation ne représente que 9 % et elle bénéficie surtout au Canada, les exportations européennes ayant, quant à elles, plutôt diminué depuis !

Évolution des échanges avec le Canada en volume (source © Eurostat / Le Monde)

Objectivement, les éleveurs européens ont plutôt profité jusqu’à présent de cet accord puisque les exportations européennes vers le Canada de viande bovine et surtout de fromages ont fortement augmenté depuis. Mais leur crainte est que les éleveurs canadiens ne profitent de ce cadre favorable pour investir en masse le marché européen avec leur bœuf aux hormones produit selon des normes environnementales et sanitaires nettement moins contraignantes qu’en Europe.

C’est là tout l’enjeu de ces accords de libre-échange qui profitent surtout aux grosses multinationales implantées dans des pays où les normes sanitaires et environnementales sont les plus laxistes, et qui ont donc pour effet une moindre protection des consommateurs, une concurrence accrue au détriment des petits producteurs locaux et une augmentation des flux internationaux de marchandises, ce qui va à l’encontre des efforts entrepris pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre et notre impact sur la biodiversité. C’est bien pour cette raison que la Convention citoyenne pour le climat s’était exprimé contre cet accord en juin 2020. Emmanuel Macron ne l’a pas entendu alors que même les sénateurs, pourtant réputés comme peu progressistes, ont fini par le comprendre…

L. V.

Le Parc des Calanques s’invite à Carnoux

22 mars 2024

Le Parc National des Calanques s’étend aux portes de notre commune de Carnoux-en-Provence. On en parle beaucoup mais la plupart des gens le voient rarement, un peu à l’image de ces meutes de loups, désormais bien implantées dans le massif des Calanques mais tellement discrets que personne ne les voit jamais, sauf à l’occasion d’un drame de la circulation comme celui qui a coûté la vie à un jeune sujet, venu mourir aux portes de la ville.

Ecogardes du Parc National des Calanques en patrouille (source © Parc National des Calanques)

Et pourtant, voila un projet qui a fait couler beaucoup d’encre et alimenté bien des conversations lorsqu’a débuté en 2009 la concertation qui a débouché sur sa création officielle en 2012. Le Cercle progressiste carnussien lui a d’ailleurs déjà consacré deux conférences, en 2003 et justement en 2009, en pleine phase de concertation, alors que la commune de Carnoux avait la possibilité de faire partie de l’aire d’adhésion du futur Parc en gestation. Une adhésion rejetée par le conseil municipal dans une belle unanimité le 29 septembre 2011 !

Au-dessus de la calanque d’En Vau, dans le massif des Calanques (photo © CPC)

Il faut dire qu’à l’époque, la création de ce Parc National aux portes de la deuxième plus grande ville de France, dans un environnement naturel certes protégé de longue date mais où les activités humaines étaient particulièrement développées, avec une forte emprise de la chasse et de la pêche, de loisir mais aussi professionnelle, sans compter une affluence touristique estivale intense avec des spots de baignades très fréquentés, suscitaient bien des réticences.

Belvédère de Sugiton (photo © Maxime Béranger / Parc national des Calanques)

Il a fallu ferrailler longuement pour trouver des terrains d’entente avec tous les acteurs locaux. Les cabanonniers de Morgiou ne voulaient pas subir de contraintes d’accès tandis que les viticulteurs de Cassis cherchaient à étendre leur vignoble et que les écologistes s’alarmaient de la présence persistante, en plein cœur de parc, des rejets de boues rouges et des eaux de la stations d’épuration marseillaise.

Et malgré tous ces obstacles et ces craintes, le Parc a vu le jour. Une dizaine d’années plus tard, le Cercle progressiste a voulu savoir comment le projet avait évolué, même si la presse se fait régulièrement l’écho de ses activités pédagogiques multiples, mais aussi de ses tentatives de mieux gérer les amoncellements de déchets, de réguler la pression touristique ou le braconnage, toujours très présent. Nous avons donc invité son directeur de l’action territoriales, Alain VINCENT, pour dresser un bilan de ces 10 années d’actions au service de la biodiversité des territoires marins et terrestres qui couvrent le Parc National des Calanques. L’occasion également de passer en revue les innombrables projets qui fourmillent et qui ouvrent de belles perspectives pour cet établissement si emblématique que nous avons la chance d’avoir à notre porte, au service d’un environnement naturel exceptionnel, qu’il revient à chacun de préserver.

Cette conférence du CPC aura lieu le jeudi 4 avril dans la salle municipale du Clos Blancheton à 18h30. L’accès est gratuit et ouvert à tous : n’hésitez-pas à venir nombreux !

Après les cagoles, les perruches de Marseille

18 mars 2024

Les cagoles, à Marseille, ce sont ces jeunes femmes que l’on ne peut que remarquer. Outrageusement maquillées, habillées de manière extravagante et souvent un peu provocante, elles se déplacent en groupe en piaillant fort, et ne passent pas inaperçu. L’humoriste Yves Pujol les a même comparées à du tuning, ces voitures que l’on personnalise pour mieux se faire remarquer dans la rue : « la cagole est à la femme ce que le tuning est à la voiture de série : un festival de couleurs, d’accessoires, de chromes aux oreilles, au cou, aux bras et bien sûr de pièces non d’origine pour une ligne toujours plus profilée, de jantes toujours plus larges et de pare-chocs toujours plus imposants ».

La cagole marseillaise, décryptée dans le documentaire « Cagole forever » diffusé en 2017 sur Canal + (source © Le Bonbon)

On ne sait même pas très bien d’où vient ce nom de cagole, si typiquement marseillais. Certains font le rapprochement hasardeux avec le verbe provençal « caguer », ce qui laisse penser une certaine filiation avec celle que le poète disparu, Georges Brassens, toute « misogynie à part », avait qualifiée de « véritable prodige / emmerdante, emmerdeuse, emmerderesse itou ». Mais d’autres évoquent plutôt un lien étymologique avec le terme provençal « cagoulo » qui désignait le tablier des femmes qui travaillaient dans les nombreuses usines d’ensachement de dattes, jadis florissantes à Marseille.

C’est notamment le cas de la société Micasar, fondée en 1948 et initialement implantée cours Julien avant de déménager boulevard Michelet, puis d’aménager en 1964 un autre atelier dans une ancienne savonnerie de la rue Roger Salengro, suivi en 1977 d’un troisième au 3 boulevard Louis Villecroze, dans des locaux autrefois occupés par les Pastis Berger. Cette dernière usine, rachetée en 2002 par la coopérative France-Prune, a fermé en 2007 seulement, faisant tomber dans l’oubli cette expression courante que bien des petites Marseillaises ont entendu dans leur enfance : « si tu ne travailles pas bien à l’école, tu iras travailler aux dattes ! ».

La cagole de Marseille, une figure qui sert même la bière locale… (source © La Cagole)

Il faut dire que le travail d’ensachage à l’usine était particulièrement pénible et très mal payé, au point que nombre de ces jeunes femmes arrondissaient leurs fins de mois en allant vendre leurs charmes dans le voisinage, d’où sans doute cette expression de « cagoles », tellement typique du patrimoine marseillais qu’une marque locale de bière, créée en 2003 par Yves Darnaud, certes désormais brassée à Douai mais avec un site de distribution basé à Gémenos, lui a même empruntée son nom.

Mais dans les rues de Marseille désormais, l’attention n’est plus attirée seulement par ces cagoles haut perchées en tenue léopard, mais aussi par les plumages criards et les piaillements tout aussi stridents de milliers de perruches qui envahissent par place le ciel de la cité phocéenne. Relâchées dans le parc Borély en 1990, les perruches à collier, Psittacula krameri, pour les intimes, pourtant originaires non pas des Calanques mais plutôt de la péninsule indienne ou de l’Afrique de l’Ouest, s’y sont acclimatées depuis des années, raffolant de cet endroit bruyant et fortement éclairé la nuit, où les rapaces, leurs plus dangereux prédateurs, n’oseraient jamais s’aventurer.

Une perruche à collier femelle, photographiée ici en Allemagne (photo © Andreas Eichler / CC BY-SA 4.0 / Wikipedia)

Cette invasion de perruches n’est pas propre à Marseille, loin s’en faut. A Bruxelles, où une quarantaine de perruches s’étaient fait la belle du zoo en 1973, on en dénombrait pas moins de 8000 quarante ans plus tard et sans doute autour de 20 000 à Londres… En Île-de-France, leur nombre atteignait un millier en 2008 et avait été évalué à 5000 en 2016 ! En 2019, France 3 se faisait l’écho des recensements réalisés à Marseille, deux fois par an par une docteur en écologie, Marie Le Louarn, près des trois principaux dortoirs où les perruches se rassemblent chaque soir pour passer la nuit en groupe dans les platanes de la place Rabatau notamment, mais aussi à Aubagne. On comptait alors près de 1500 individus et un nouveau reportage de BFM TV début mars 2024 indiquait que ce chiffre avait plus que doublé depuis et qu’on atteindrait désormais les 3500 individus dans le ciel de Marseille et sa proche banlieue !

Une conure veuve, photographiée ici dans le Mato Grosso, au Brésil (photo © Bernard Dupont / CC BY-SA 2.0 / Wikipedia)

Et voilà qu’une autre espèce de perruches les a désormais rejoints et a établi ses quartiers dans le secteur de la passerelle de Plombière, sur la place Burrel, en limite sud du 14e arrondissement. Il s’agit cette fois de perruches-souris, dites aussi conures veuves, ou Myiopsitta monachus de leur nom scientifique. Originaire d’Amérique du Sud, cette espèce de perruche, particulièrement colorée, a déjà colonisée une bonne partie des USA et est désormais présente dans les jardins publics d’un grand nombre de villes européennes. On en voir aussi en liberté à Montpellier ou à Toulon, mais aussi à Barcelone, Rome, Athènes ou Bruxelles.

La particularité de cette dernière espèce est son habitude de construire d’énormes nids collectifs à plusieurs entrées, constitués d’un incroyable enchevêtrement de brandilles et petits branchages, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre et peser jusqu’à 200 kg. De quoi inquiéter vaguement les riverains qui voient ces énormes amas faire ployer au-dessus de leur tête les branches de platanes déjà envahies de tigres.

Perruches près de leur nid à Marseille (photo © Gilles Bader / La Provence)

L’espèce vit en couple et les femelles pondent deux fois par an en moyenne 5 à 6 œufs, de quoi expliquer la forte croissance de l’espèce qui s’installe durablement dans le paysage marseillais, aux côtés des perruches à collier, plus nombreuses, qui vivent aussi en colonies mais font plutôt leur nid dans les anfractuosités des troncs de platanes, et de quelques perruches mitrées que l’on reconnait à leur tête tachetée de rouge qui dénote franchement de leur plumage d’un vert éclatant. Chez ces oiseaux-là, on aime se faire remarquer, ce qui explique peut-être pourquoi ils se sont aussi facilement acclimatés à l’ambiance marseillaise. Au point d’ailleurs que certains considèrent ces espèces parfaitement exotiques comme vaguement envahissantes, sources de nuisances sonores lorsqu’elles piaillent en chœur en regagnant leur dortoir chaque soir, mais aussi génératrices de nombreuses fientes sur l’espace public, et volontiers chapardeuses des baies, petits fruits, graines et jeunes pousses dont elles se nourrissent.

Perruche à collier confortablement installée dans un arbre creux pour nicher (photo © Franck Vassen / Flickr / Reporterre)

Considérées comme nuisibles pour les cultures en certains endroits de la planète, ce n’est pour l’instant pas le cas en France, surtout dans l’environnement urbain marseillais. Une vaste étude menée en 2019 a d’ailleurs conclu que cette augmentation spectaculaire des perruches en Europe ne pose pour l’instant pas de problème spécifique de concurrence avec les espèces locales, même si l’on subodore une certaine concurrence sur l’accès aux cavités arboricoles favorables pour nicher, en particulier avec une espèce de chauve-souris, la Grande Noctule. Mais pour la nourriture, les perruches, bien que plus imposantes que nombre d’espèces locales, tel le moineau, la mésange ou le rouge-gorge, ne semblent pas constituer une menace, pas plus en tout cas que les pies ou les tourterelles déjà bien implantées dans le paysage.

L’implantation de ces oiseaux exotiques dans les platanes de la cité phocéenne est donc probablement partie pour durer et tout laisse penser que désormais la perruche, comme la cagole, fait partie du paysage urbain marseillais…

L. V.

La sécheresse s’installe en Catalogne

9 mars 2024

« La Catalogne souffre de sa pire sécheresse depuis un siècle » a annoncé le 1er février 2024 Pere Aragonès, président du gouvernement régional catalan, avant de déclencher l’état d’urgence pour Barcelone et sa périphérie, soit plus de 6 millions d’habitants directement concernés. Depuis 3 ans, le littoral catalan, tant en France qu’en Espagne, connait en effet un déficit pluviométrique majeur, le plus important jamais observé depuis le début des observations météorologiques locales en 1916. A Barcelone, les pelouses des jardins publics, qui ne sont plus arrosées depuis des mois, sont totalement desséchées, de même que les voies enherbées des tramways. Plus de 500 arbres d’alignement sont morts l’an dernier du fait de la sécheresse et on déplore même la mort d’une jeune femme tuée par la chute brutale d’un palmier à bout de souffle…

Le lac réservoir de Sau, partiellement asséché en février 2024, avec son église du XIe siècle actuellement émergée (photo © Lluis Gene / AFP / Sud Ouest)

L’approvisionnement en eau potable de la métropole catalane, située dans une zone de plus en plus aride, sans ressources hydrographique majeure, a toujours été problématique, mais il devient un véritable casse-tête pour les autorités. La principale source d’approvisionnement est le lac-réservoir de Sau, planifié dès 1931 mais mis en service en 1963 seulement, sur le fleuve Ter, avec deux autres aménagements, ceux de Susqueda, en aval, et celui de Pasteral, destinés à alimenter notamment Barcelone, Gerone et la Costa Brava.

Long de 17 km, le lac de Sau contient un volume total de 177 millions de m3. Mais début février, le réservoir ne contenait plus que 16 % de sa capacité, ce qui a entraîné le déclenchement du seuil d’alerte. Et depuis, la situation ne fait que s’aggraver malgré les quelques pluies de ces derniers jours, le seuil de remplissage étant descendu sous la barre des 10 % début mars. Le 7 mars 2024, la commission sécheresse de la Generalitat de Catalogne s’est donc de nouveau réunie pour décider du passage à la phase 2 de l’état d’urgence du plan sécheresse, qui se traduit par un net durcissement des restrictions, concernant pour l’instant uniquement 12 communes du nord-est de la Catalogne.

Le lac réservoir de Darnius-Boadella en temps normal (source © M2lux) et fin février 2024… (photo © generalitat de Catalunya / France TV info)

Celles-ci dépendent d’un autre barrage-réservoir, celui de Darnius-Boadella, un ouvrage de 63 m de haut, achevé en 1969 sur la rivière Muga et qui ne contient plus que 7 millions de m3, soit à peine 11 % de sa capacité totale de stockage ! En phase 2 de l’état d’urgence du plan sécheresse, la consommation maximale d’eau autorisée par habitant est réduite à 180 litres par jour et il est totalement interdit d’arroser les jardins ou les espaces verts. Même les douches des installations sportives sont désormais interdites d’utilisation !

Pour les 227 autres communes qui restent au niveau 1, les restrictions sont déjà très conséquentes. L’agriculture doit réduire sa consommation habituelle d’eau de 80 %, les éleveurs de 50 % et l’industrie de 25 %, tandis que le plafond maximum autorisé est de 200 litres par jour et par habitant. Cette dernière valeur reste d’ailleurs plutôt confortable, la consommation moyenne quotidienne des Barcelonais se situant autour de 106 litres alors qu’elle est de l’ordre de 150 litres en France mais qu’elle dépasse allègrement les 250 litres dans les zones touristiques…

Piscine de l’hôtel GHT à Tossa de Mar sur la Costa Brava (source © Trip advisor)

C’est justement la question des piscines qui fait débat. Dès le niveau 1 du plan sécheresse, il est en principe interdit de remplir et même d’ajuster le niveau des piscines. Mais des assouplissements ont d’ores et déjà été accordés face à la bronca des hôteliers qui s’alarment de ces mesures de restriction à quelques semaines du démarrage de la saison touristique.

Le syndicat des hôteliers de Lloret de Mar, une station balnéaire très fréquentée de la Costa Brava qui accueille chaque année près d’un million de touristes, a ainsi annoncé son intention d’investir dans l’achat d’une station de dessalement de l’eau de mer. Installée à même la plage et alimentée par un puits creusé dans le sable, l’usine permettra de produire 50 m3 d’eau douce à l’heure, de quoi alimenter les 40 000 piscines des établissements hôteliers concernés, pour la modique somme de 1,5 million d’euros… Un tel projet fait débat mais les hôteliers ont prévu de reverser leurs surplus d’eau dessalinisée dans le réseau d’eau potable de la ville, ce qui devrait achever de convaincre les autorités de leur donner le feu vert malgré les réticences de l’Agence de l’Eau catalane.

En 2008 déjà, Barcelone avait dû être alimentée en eau potable par bateaux-citernes (photo © Joseph Lago / AFP / Sud Ouest)

Déjà en 2008, la Catalogne avait dû faire face à une sécheresse intense et avait alors fait venir de l’eau par bateaux-citernes depuis Tarragone et même depuis Marseille : de l’eau prélevée dans le Verdon par la Société du Canal de Provence et revendue ainsi pour alimenter les piscines et les golfs de la Costa Brava alors que les éleveurs des Alpes de Haute-Provence restreignaient leur consommation. Pourtant, en 2008, le niveau de remplissage des 6 principaux barrages-réservoirs de Catalogne n’était pas descendu en dessous de 21 % de leur capacité maximale alors qu’il est désormais en dessous du seuil critique de 16 % !

Usine de dessalinisation de l’eau de mer près de Barcelone (source © France TV info)

Une usine de dessalinisation de l’eau de mer avait d’ailleurs été construite dans la banlieue sud de Barcelone, à la suite de cette sécheresse de 2008. Elle produit 200 000 m3 d’eau douce par jour grâce à la technique de l’osmose inverse, mais ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux immenses besoins de la métropole catalane et de son littoral touristique surfréquenté. Il est d’ailleurs question désormais de faire venir par bateau de l’eau douce issue d’une autre usine de dessalinisation située à Sagunto près de Valence.

Une solution prônée en dernier ressort par le ministère espagnol de la transition écologique qui doit faire face en parallèle à un épisode de sécheresse et de pénurie d’eau tout aussi inquiétant dans le sud du pays, en Andalousie et qui n’a pas trouvé d’autre solution que d’organiser des transferts d’eau douce par bateaux citernes probablement depuis l’usine de dessalinisation d’Escombreras, près de Carthagène.

La culture intensive sous serres en Andalousie, près d’Alméria, dans une région soumise à une forte tension des ressources en eau (source © Mr Mondialisation)

C’est le ministère central qui assumera les coûts de dessalinisation tandis que l’exécutif régional se chargera de régler la facture du transport maritime vers les ports d’Alméria, de Malaga, de Cadix, et d’Algésiras, pour un coût de l’ordre de 60 à 70 centimes par m3 d’eau ainsi transporté. Une facture qui devrait s’élever à plus de 20 millions d’euros pour cet été, de quoi faire réfléchir le gouvernement régional andalou à la nécessité d’adapter son agriculture pour réduire sa consommation d’eau dans un secteur en voie de désertification avancé mais qui continue d’inonder toute l’Europe avec ses fruits et légumes produits sous serres…

L. V.

Aux grands hommes, Carcassonne reconnaissante…

4 mars 2024

Il n’y a pas qu’à Carnoux que les voisins sont vigilants. A Carcassonne, un riverain s’est étonné de la pose récente par la municipalité de deux nouvelles plaques orgueilleusement signées du logo prestigieux « Carcassonne – Patrimoine mondial » pour indiquer le nom de l’avenue Pierre Curie, une perpendiculaire à la RN 113, laquelle traverse la ville de part en part. L’un de ces deux nouveaux panneaux a d’ailleurs été mis en place pour remplacer l’ancien, jugé trop vétuste. Sauf que sur ces deux nouveaux panneaux installés par des agents municipaux, le nom du grand physicien français est orthographié de manière assez exotique « Pierre Curry ».

Une plaque de rue manifestement mal orthographiée à Carcassonne (source © Capture d’écran Facebook – Thierry Raynaud)

Notre voisin vigilant s’en est étonné et a signalé l’erreur sur son compte Facebook, déclenchant immédiatement une bronca des journalistes locaux toujours à l’affut d’une belle boulette. Contacté le samedi 24 février dans l’après-midi, le cabinet du maire indiquait ne pas être au courant. Mais dès 16h30, des agents des services techniques communaux étaient mobilisés, en dehors même des heures ouvrées, pour s’empresser de démonter les deux panneaux litigieux. Ce qui n’a cependant pas empêché la commune d’être la risée de tous les médias qui font depuis leurs gorges chaudes de ce petit loupé administratif.

Sans compter les réseaux sociaux qui s’en donnent à cœur joie, telle cette internaute qui réagit ainsi à la photo publiée sur Facebook : « C’est épicé : ça pique les yeux ! », tandis qu’un autre s’amuse : « Et Marie Basmati, alors ? »

Le curry, un mélange d’épices inventé par les colons britanniques de la Compagnie des Indes et qui agrémente largement la cuisine du sous-continent indien et très au-delà… (photo © Divya Kudua / Flickr)

Les services techniques de la Ville de Carcassonne ne sortent certes pas grandis de ce petit loupé peu glorieux qui laisse entendre que le recrutement de ses agents gagnerait à être plus exigeant en matière de maîtrise de la culture générale. Il est vrai que le physicien Pierre Curie, pas plus d’ailleurs que son homonyme culinaire qui désigne de multiples préparations épicées issues plutôt du sous-continent indien, n’est pas connu pour ses attaches locales dans le Carcassonnais. Né à Paris en 1859, il est décédé dans la même ville en 1906, d’un banal accident de la circulation, heurté malencontreusement par un camion hippomobile en voulant traverser la rue Dauphine.

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire à l’EMPCI, vers 1898 (source © Musée Curie coll. ACJC / Cote MCP80.02 / Université Paris sciences et lettres)

Alors responsable du laboratoire de physique de l’École municipale de physique et de chimie industrielle de la Ville de Paris, il épouse en 1895 une jeune thésarde polonaise qui ne s’appelait pas Marie Basmati mais Maria Sklodowska. Il abandonne alors ses brillantes recherches sur le magnétisme et travaille dès lors avec son épouse sur la radioactivité, l’aidant à traiter un stock d’une tonne de pechblende issu de Bohème, ce qui leur permet d’annoncer en 1898 la découverte de deux nouveaux éléments radioactifs, le polonium et le radium. Pierre Curie sera ainsi le premier à découvrir les potentialités de l’énergie nucléaire et à caractériser les différents rayonnements nucléaires.

En 1903, Pierre et Marie Curie reçoivent conjointement et avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique pour avoir réussi à déterminer la masse atomique du radium. Sa disparition tragique et brutale, alors qu’il venait d’être élu membre de l’Académie des Sciences en 1905, n’empêchera pas son épouse de poursuivre leurs recherches et de recevoir en 1911 un second prix Nobel, en chimie cette fois, pour sa découverte du polonium et du radium.

Marie Curie dans le laboratoire de la rue Cuvier vers 1913 (source © Henri Manuel / Musée Curie – coll. ACJC / Le journal du CNRS)

Elle codirige le nouvel institut du radium qui ouvre ses portes en 1914 rue d’Ulm et qui porte depuis son nom, et se mobilise avec toute son équipe durant la Première guerre mondiale en concevant des unités chirurgicales mobiles passées à la postérité sous le nom de « petites Curies ». Après la guerre, la découverte des vertus thérapeutiques du radium dans le traitement contre le cancer vaut à son institut une renommée mondiale. Atteinte de leucémie, elle meurt en 1934 mais sa fille, Irène Joliot-Curie reprend le flambeau et recevra en 1935 à son tour le prix Nobel de physique avec son mari, Frédéric Joliot, pour leurs travaux sur la radioactivité. Pierre et Marie Curie reposent depuis 1995 au Panthéon.

Une renommée mondiale incontestable donc, mais qui n’est manifestement pas arrivée aux oreilles de certains employés municipaux de la bonne ville de Carcassonne, probablement plus portés sur les vertus gustatives de la cuisine orientale : chacun ses centres d’intérêt !

L. V.

Département : Martine Vassal rechigne à aider Marseille

2 mars 2024

C’est un véritable psychodrame qui s’est joué cette semaine entre le maire de Marseille, Benoît Payan, et celle qui espérait bien le devenir à sa place mais s’était fait battre à plates coutures aux dernières élections municipales, tout en restant présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône. C’est à ce dernier titre que Martine Vassal avait proposé de rencontrer le maire de Marseille, une commune qui concentre à elle-seule plus de 42 % de la population de tout le département.

L’enjeu de ces échanges qui se sont déroulés le jeudi 29 février 2024 était de discuter des subventions du Conseil départemental à la Ville de Marseille. Contrairement à ce qu’on pourrait croire en effet, le Département des Bouches-du-Rhône dépense plus d’argent en subventions accordées aux 119 communes de son territoire que pour assurer ses propres investissements destinés à remplir les missions obligatoires qui lui sont confiées. Le pli avait déjà été pris par Jean-Noël Guérini qui avait dirigé le Département de 1998 à 2015. A l’époque, le montant annuel des subventions aux communes atteignait en moyenne 103 millions d’euros par an. Lorsque Martine Vassal a pris la tête de l’institution, en 2015, elle a encore renforcé ce volet d’aide aux communes qui a atteint en moyenne un peu plus de 155 M€ par an !

Le Bateau bleu, siège du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône à Marseille (source © Conseil départemental 13)

Le Département est désormais fortement endetté et ses finances sont dans le rouge comme le reconnait bien volontiers Yves Moraine, son vice-président délégué aux finances, qui évoque « un contexte apocalyptique » pour présenter le projet de budget 2024 avec pas moins de 155 M€ prévus en 2024 uniquement pour payer les annuités de la dette en cours ! Mais cela n’empêche pas cette institution de prévoir encore 148 M€, soit 21,7 % de son budget total d’investissement, uniquement en subvention aux communes. C’est bien davantage que les 120 M€ destinés aux collèges ou les 63 M€ consacrés aux routes départementales, lesquels constituent pourtant ses compétences principales !

Mais ces subventions colossales versées par le Département aux communes constituent une arme redoutable pour s’attacher la fidélité des maires qui sont totalement dépendants de cette manne pour boucler leur propre budget d’investissement et mettre en œuvre leurs projet. C’est notamment le cas de la ville de Carnoux qui a signé un contrat départemental de développement et d’aménagement pour la période 2020-2022, pour un montant de travaux de près de 8 M€, et qui arrive depuis des années à se faire financer par le Département de l’ordre de 60 % de ses dépenses annuelles d’investissement pourtant élevées pour une commune de cette taille.

Martine Vassal présente lors de l’inauguration de l’hôtel de ville de Carnoux, largement cofinancé par le Département et par la Métropole (photo © CPC)

La plupart des villes dirigées par la droite bénéficient ainsi de plantureuses subventions de la part du Conseil départemental, mais l’aide n’est pas équitablement répartie. Même la Chambre régionale des Comptes s’en était étonnée dans son rapport d’observation émis en octobre 2022 qui évoquait « des dépenses d’investissement orientées vers une politique de redistribution ».

Sur la période 2013-2020, elle avait ainsi calculé que la ville de Marseille avait perçu du Département un montant total d’aides cumulées évalué à 147 M€, ce qui représente environ 170 € par habitant sur cette période de 8 ans. Dans le même temps, une commune comme Gignac-la-Nerthe recevait du Département plus de 2600 € par habitant ! A Carnoux, où le budget prévoit chaque année de l’ordre de 2 M€ de subvention du Département, le ratio atteint 320 € par habitant et par an, ce qui revient à 2 500 € par habitant sur ce même laps de temps !

C’est d’ailleurs fort de ces éléments que le nouveau maire de Marseille avait interpellé son homologue du Conseil départemental sachant que le dernier contrat avait été signé en 2016 entre Martine Vassal, fraîchement élue à la tête du Département, et Jean-Claude Gaudin, toujours maire de Marseille, pour un montant de 200 M€ qui ne serait toujours pas dépensé en totalité. Lors du dernier conseil municipal, le 16 février 2024, Martine Vassal avait proposé de renouveler ce contrat, pour le même montant de 200 M€, sur la base d’une liste de projet qu’elle avait elle-même dressée en décembre dernier, choisissant ses propres priorités comme si elle était elle-même aux commandes de la commune, décidant d’investir en priorité dans le déploiement de nouvelles caméras de surveillance et l’installation de nouveaux commissariats de police, ainsi que dans la rénovation de la piscine de Luminy, d’une médiathèque et de cuisines scolaires.

Martine Vassal met la priorité sur la sécurité, ici avec des représentants de la police et des pompiers (photo © CD 13 / La Marseillaise)

C’était donc l’objectif de cette réunion du 29 février au cours de laquelle Martine Vassal avait invité le maire de Marseille au siège du Conseil départemental en prenant bien soin de préciser au préalable : « nous allons choisir ensemble les projets que le Département financera. Je soutiendrai les projets en accord avec ma vision, le Département n’est pas un tiroir-caisse ! ». Une main tendue que Benoît Payan a volontiers acceptée. Il s’est donc déplacé à la date convenue avec une liste de projets à financer, pour un montant global de 371 M€, arguant justement d’une nécessité de rééquilibrage de l’aide départementale en faveur des Marseillais jusqu’à présent plutôt lésés par ce dispositif.

Entre Martine Vassal et Benoît Payan, le torchon brûle (photo © Philippe Laurenson / La Provence)

Sauf que la main tendue s’est plutôt transformée en bras de fer, voire en doigt d’honneur entre les deux élus. Alors que la réunion s’était plutôt bien passée et qu’un communiqué commun était même envisagé avec une réunion technique prévue dans la foulée, Martine Vassal publie illico un communiqué affirmant que Benoît Payan est dans la surenchère et a refusé son chèque de 200 M€, l’accusant d’amateurisme et d’irresponsabilité. Une position immédiatement suivie par tout son camp politique, Renaud Muselier en tête qui tacle le maire de Marseille sur X : « il ne travaille pas, ne sait pas travailler. Un amateur qui tue Marseille », ambiance, ambiance…

Au Département des Bouches-du-Rhône, Martine célèbre l’armistice mais n’est pas encore prête à signer la paix avec Benoît… (source © Accents février 2018 – magasine du CD 13)

Une réaction qui laisse le maire de Marseille pantois et l’oblige à une mise au point, pour expliquer qu’il avait effectivement demandé une aide plus substantielle, sur la base d’une liste de projets précise, comme l’ont fait les autres communes du Département, mais qu’il ne refuse en aucun cas les 200 M€ proposés, se contentant même de 50 M€ si le Département n’est pas en capacité de faire plus, tout en regrettant ce traitement inéquitable qui défavorise les Marseillais. Une nouvelle réunion est programmée prochainement entre la maire de Marseille et la même Martine Vassal, cette fois en tant que présidente de la Métropole, mais on peut d’ores et déjà présager que le climat n’y sera probablement pas des plus cordial…

L. V.

Russie : Poutine réécrit l’Histoire et tend les frontières

26 février 2024

Le président russe Vladimir Poutine, ancien officier du KGB au pouvoir depuis le 31 décembre 1999, il y a donc bientôt un quart de siècle, s’apprête à se faire réélire pour un nouveau mandat présidentiel lors des prochaines élections prévues du 15 au 17 mars 2024. Une simple formalité, jouée d’avance, surtout après le décès suspect au goulag, de son seul opposant politique déclaré, Alexei Navalny, déclaré mort par les autorités russes le 16 février 2024, un mois avant l’échéance électorale.

Pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, il y a tout juste 2 ans, Vladimir Poutine vient de se livrer à un exercice peu fréquent en acceptant de se faire interviewer, au Kremlin, le 6 février dernier, par un journaliste occidental, en l’occurrence l’Américain Tucker Carlson, ex-animateur de Fox News et proche de Donald Trump. Une interview qui a en réalité tourné au monologue, le journaliste laissant le président russe déployer sa propagande, avec notamment un argumentaire de 23 minutes sans interruptions, au cours duquel Poutine a largement réécrit l’histoire de l’Ukraine, présentée comme le berceau de l’empire russe et un État totalement artificiel, manipulé par les volontés expansionnistes de l’OTAN et que la Russie s’emploie actuellement à dénazifier.

Le président russe Vladimir Poutine face au journaliste américain Tucker Carlson, au Kremlin, le 6 février 2024 (photo © President of Russia Office / Apaimages / SIPA / 20 minutes)

Vladimir Poutine n’a pas hésité pour cela à remonter jusqu’au IXe siècle, à l’époque où se met en place l’État de la Rus’, qui englobe le nord de l’Ukraine actuelle, la Biélorussie, et une petite partie occidentale de la Russie. Sa démonstration pseudo historique lui a d’ailleurs attiré un petit rappel à l’ordre de la part de l’ancien président de la Mongolie, Tsakhia Elbegdorj, qui s’est permis de lui rappeler, cartes à l’appui, que ses ancêtres Mongols, à la suite d’ailleurs des Tatars, envahirent au XIIIe siècle l’essentiel de ce territoire et fondèrent un des plus vastes empires du monde.

L’expansion de l’empire russe et son extension maximale en 1914 (source © L’Histoire)

Il fallut alors aux Russes attendre 1462 pour reconquérir Moscou et sa région, et finalement l’avènement de Pierre-le-Grand, au XVIIIe siècle pour que l’empire russe débute son expansion territoriale qui a marqué son apogée à la veille de la Première guerre mondiale. Le fait que la Russie ait alors fortement perdu de son emprise territoriale à la suite de la révolution bolchévique de 1917 et de la guerre civile qui s’en est suivie, est de fait soigneusement occultée par le pouvoir actuel qui a une fâcheuse tendance à vouloir réécrire l’Histoire.

Une scène de la guerre du Caucase, peinte par Franz Roubaud, une guerre coloniale menée par l’Empire russe entre 1775 et 1864 (source © Areion24)

La démarche n’est pas nouvelle et Staline avant Poutine l’a pratiqué à grande échelle. Mais elle est désormais institutionnalisée depuis la réforme constitutionnelle de 2020 qui a permis, outre le maintien au pouvoir de Vladimir Poutine jusqu’en 2036, d’acter le devoir impérieux de « défendre la vérité historique » et de « protéger la mémoire de la Grande Guerre Patriotique » qui désigne pour les Russes la Seconde guerre mondiale. Selon le discours officiel, ceux qui s’écartent du narratif officiel sont « les équivalents modernes des collaborateurs nazis ». Sous le régime de Poutine, on ne fait pas dans la dentelle et on ne s’encombre guère des nuances qui font toute la richesse de l’analyse historique… Pour le Kremlin évoquer le pacte germano-soviétique de 1939, le massacre de Katyn auquel se sont livrés les Russes contre des officiers polonais en avril-mai 1940, ou encore la présence de hauts dignitaires nazis sur la place Rouge pour le défilé militaire du 1er mai 1941, et surtout l’occupation brutale des pays d’Europe de l’Est par les forces armées soviétiques après 1945, relève de la provocation et du révisionnisme antipatriotique.

Parade militaire sur la place Rouge à Moscou le 7 novembre 2019, en souvenir du départ des troupes russes en novembre 1941 pour contrer l’invasion allemande suite à la rupture du pacte germano-soviétique (photo © Dimitar Dilkoff / AFP / L’Express)

Une position qui répond manifestement à l’attente d’une majorité de la population qui cherche à renouer avec la grandeur passée de l’Empire Russe, et que le pouvoir de Vladimir Poutine entretient consciencieusement. En 2009 a ainsi été créée la Commission présidentielle de la Fédération de Russie de lutte contre les tentatives de falsifier l’histoire, puis en 2012 la Société historique militaire russe, destinées à entretenir au sein de la population une vision historique glorieuse et quelque peu biaisée de l’histoire du pays, dans l’optique d’accréditer l’idée que les Russes ont besoin d’un pouvoir fort, héritier d’une tradition militaire conquérante.

De nouvelles lois mémorielles ont été promulguées qui pénalisent non seulement l’apologie du nazisme mais simplement « l’irrévérence envers les symboles de la gloire militaire russe, le fait de répandre des informations qui manquent de respect envers les jours fériés liés à la défense du pays, ou le fait de diffuser consciemment des fausses informations sur les activités de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ». Un arsenal législatif qui a été notamment utilisé pour condamner des internautes qui s’émouvaient des interventions militaires russes en Syrie ou en Crimée.

Soldats russes en répétition avant le défilé militaire prévu le 9 mai 2022 sur la place Rouge à Moscou (photo © Maxim Shipenkof / EPA-EFE / Ouest France)

La guerre de conquête et d’annexion que mène actuellement la Russie en Ukraine s’inscrit assez clairement dans cette volonté expansionniste que Catherine II elle-même avait exprimée dès la fin du XVIIIe siècle, déclarant alors « je n’ai d’autres moyens de défendre mes frontières que de les étendre ». Une analyse qui s’appuie sur une réalité géographique, faute de frontières naturelles à l’ancien Empire Russe, mais que ne renierait pas Vladimir Poutine, lui qui, en 2016, alors qu’il remettait des prix dans les locaux de la Société russe de géographie, reprenait un écolier qui énumérait avec brio les frontières actuelles du pays, le reprenait en ces termes : « Non, non les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ! ».

Etat actuel des relations frontalières de la Russie avec ses 14 voisins (source © Le Monde)

De fait, une infographie publiée récemment dans Le Monde et analysée notamment sur France Culture, met en évidence que sur les 20 000 km de frontières de la Russie actuelle, avec pas moins de 14 pays, une bonne partie fait l’objet de relations tendues. Seules la Chine, la Corée du Nord, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie (par où les troupes russes ont pénétré en Ukraine) entretiennent de bonnes relations stratégiques avec leur voisin russe. A l’ouest en revanche, et sans même parler de l’Ukraine en guerre, la frontière est désormais totalement fermée avec les pays baltes mais aussi avec la Pologne et même avec la Finlande depuis que cette dernière a pris peur et cherche la protection de l’OTAN. Même la Géorgie, qui dispose pourtant depuis 2022 d’un gouvernement ouvertement prorusse, s’inquiète du bellicisme de son voisin qui a purement et simplement annexé les deux enclaves d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il ne fait pas bon vivre trop près de la tanière de l’ours russe quand il sort de sa torpeur…

L. V.

Des élus hors-la-loi et qui le revendiquent

24 février 2024

La fonction de maire d’une commune confère à celui qui l’occupe des pouvoirs de police très étendus et, par conséquent, de lourdes responsabilités. En tant qu’officier de police judiciaire, il se doit notamment de dénoncer au Procureur de la République tout délit dont il aurait connaissance et se doit, comme premier magistrat de sa ville, de veiller scrupuleusement au respect de la loi par tous, et d’abord par lui-même.

C’est pourquoi la démarche que viennent de faire une quarantaine de maires à l’initiative de Martine Vassal, présidente du Département des Bouches-du-Rhône et de la Métropole Aix-Marseille-Provence, ne manque pas de surprendre. Alors que le nouveau ministre du logement, l’ultra libéral Guillaume Kasbarian venait tout juste d’être nommé à son poste et n’avait sans doute pas encore eu le temps de mettre son nom sur la porte de son nouveau bureau, une lettre ouverte signée par 113 élus, pour la plupart originaires de la région PACA, dont une quarantaine de maires de l’aire métropolitaine marseillaise, lui était déjà adressée, comme Marsactu l’a signalé dès le 21 février 2024.

Guillaume Kasbarian, nouveau ministre du logement, ici le 27 mars 2023 à Matignon (photo © Ludovic Marin / AFP / Le Monde)

Publiée notamment dans le JDD, cette tribune est un véritable pousse-au-crime qui dénonce ouvertement une loi pourtant adoptée il y a maintenant près de 24 ans, le 13 décembre 2000, sous le nom de loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, à l’époque où Lionel Jospin était Premier ministre. L’article 55 de cette loi que remettent en cause ces élus impose un taux minimum 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants en agglomération de plus de 50 000 habitants. Une proportion minimale qui a même été augmentée à 25 % à l’occasion de la loi Dufflot adoptée en janvier 2013.

La construction de logements sociaux, déjà un casse-tête pour Cécile Duflot, ministre du logement en 2014 : un dessin signé Rodho pour la Lettre hebdomadaire HCL inventaires

Cette disposition législative qui s’impose aux élus locaux et qui est l’aboutissement d’un vaste débat national lancé dès 1999, relève pourtant du bon sens quand on constate que 68 % des Français sont éligibles au parc social mais qu’ils ont de plus en plus de mal à y accéder, faute d’avoir construit suffisamment de nouveaux logements sociaux. Les taux de rotation dans le parc social sont de plus en plus faibles et les listes d’attente s’allongent. A Marseille, ce sont ainsi 48 000 familles qui sont en attente d’un logement social, parfois depuis plus de 10 ans, et qui, en attendant, s’entassent dans des logements souvent inadaptés, parfois vétustes voire insalubres, et se retrouvent bien souvent à la merci de marchands de sommeil peu scrupuleux…

Faire en sorte que les communes proches des grandes agglomérations, là où la demande est la plus forte, disposent d’un parc social plus développé pour répondre aux besoins de la population, est donc une mesure de bon sens qui relève d’une politique publique cohérente. En Île-de-France, de nombreuses communes présentent plus de 50 voire 60 % de logements sociaux. Même dans des secteurs plus ruraux, on trouve des communes dont près de 50 % des résidences sont des logements sociaux, comme par exemple à Lucé (15 000 habitants) dans l’Eure ou Mourenx (6 000 habitants) dans les Pyrénées-Atlantiques. Des villes comme Soissons, Charleville-Mézières ou Oyonnax possèdent plus de 40 % de logements sociaux et ne sont pas spécialement connues pour être confrontés à des situations sociales explosives. Une ville comme Reims, qui compte plus de 180 000 habitants présente un taux de logements sociaux supérieur à 38 %.

Logement social en forme de maisons individuelles avec patio dans le quartier de la Maille à Miramas (source © Huit et demi)

Dans les Bouches-du-Rhône, quelques communes comme Berre-l’Étang, Port-de-Bouc ou Miramas possèdent plus de 30 % de logements sociaux, mais la région PACA demeure globalement celle de France où le taux de logements sociaux est le plus faible : 14,2 % en moyenne contre un peu plus de 17 % à l’échelle nationale. A Marseille, cette proportion dépasse 21 % mais le parc est mal réparti, concentré surtout dans les grands ensembles des quartiers nord alors qu’il est quasi inexistant dans le centre ancien et les quartiers sud. En 2023, 95 communes de la région PACA ont été considérées comme carencées pour n’avoir pas atteint leurs objectifs de rattrapage, parmi lesquelles pas moins de 40 communes des Bouches-du-Rhône : un record ! Des villes comme Nice et Toulon se sont aussi fait rattrapées par la patrouille et sont désormais pointées du doigt pour leurs efforts insuffisants.

Le port de Carry-le-Rouet, où il est plus facile de trouver une location de tourisme qu’un logement social (source © Locacarry)

Dans l’aire métropolitaine, certaines communes se distinguent tout particulièrement à l’instar de Carry-le-Rouet et ses 46 logements sociaux pour 6 000 habitants ! Mais d’autres ne font guère mieux comme Peypin où le taux de logements sociaux est de 3,5 % tandis qu’il atteint péniblement 4,5 % à Mimet, 5 % à Gémenos et 6 % à Allauch. Une démarche parfaitement assumée et même revendiquée par ces maires qui s’assoient ouvertement sur la loi SRU, préférant payer, année après année, des compensations financières, d’ailleurs bien modestes, plutôt que de faire le moindre effort pour construire des logements sociaux, afin de ne pas heurter la sensibilité de leur riche électorat qui préfère l’entre-soi dans de belles villas individuelles avec piscines.

Georges Cristiani, maire de Mimet et président de l’Union des maires des Bouches-du-Rhône (source © France Bleu Provence / Daily motion)

Et comme par hasard, ce sont justement les élus de ces communes multi-carencées qui sont les premiers signataires de cette tribune adressée au nouveau ministre du logement pour lui demander d’abandonner une fois pour toutes cette obligation légale de prévoir un minimum de logements sociaux ! Outre Martine Vassal ou encore Renaud Muselier, pourtant pas directement concernés par cette mesure, on trouve ainsi, parmi les signataires de cette lettre ouverte, le maire de Nice (Christian Estrosi), la maire d’Aix-en-Provence (Sophie Joissains) mais aussi ceux d’Arles (Patrick de Carolis), de Salon-de-Provence (Nicolas Isnard), d’Aubagne (Gérard Gazay), de La Ciotat (Alexandre Doriol), de Cassis (Danielle Milon) et bien sûr ceux de Mimet (Georges Cristiani) et d’Allauch (Lionel de Cala). On y trouve même, ce qui est plus surprenant, Nora Preciozi, la présidente de 13 Habitat, le principal office HLM du département, ce qui interroge pour le moins sur la cohérence de la démarche…

Et voilà que l’adoption du Programme local de l’habitat en conseil métropolitain, jeudi 22 février 2024, a donné lieu, de la part de ces mêmes élus locaux très décomplexés, menés par le maire de Mimet, Georges Cristiani, à une véritable attaque en règle contre la loi SRU, comme l’a notamment rapporté le Figaro. Martine Vassal a ainsi fait adopter, malgré les protestations de la gauche marseillaise, une délibération qui demande purement et simplement l’annulation de cette loi jugée trop contraignante et difficilement applicable !

Martine Vassal avec son DGS à la tribune lors du Conseil métropolitain du 22 février 2024 (source © MAMP / Bati Actu)

Une démarche dont elle est coutumière, elle qui n’avait pas hésité à menacer de ne plus prendre en charge l’accompagnement social des mineurs isolés, une obligation légale pourtant qui incombe au Département qu’elle préside, avant de refuser carrément de mettre en œuvre la régulation de la circulation dans les zones à faibles émissions, là aussi prévue par la loi. Certains de nos élus locaux, qui se réclament pourtant ouvertement de la majorité présidentielle, n’hésitent plus désormais, pour des raisons de clientélisme électoral, à s’assoir ainsi ouvertement sur la loi républicaine, quitte à s’offusquer ensuite du manque de civisme de la part de certains de leurs concitoyens, et à réclamer à cor et à cris un « réarmement civique » : un peu de cohérence et de respect des règles communes d’intérêt général ne serait peut-être pas superfétatoire !

L. V.

Renaissance du RPR : et de deux !

19 février 2024

Décidément, les hommes politiques français de droite ont la tête dans le rétroviseur et cherchent continuellement dans le passé des références plus ou moins glorieuses pour attirer le chaland. On a vu ainsi le parti présidentiel pourtant « en marche » depuis sa création en avril 2016 par Emmanuel Macron, décider brusquement de changer de nom en avril 2022 pour devenir le parti « Renaissance », une référence directe à une période historique un peu datée puisqu’elle a été initiée en Italie au XVe siècle et est classiquement considérée comme la fin du Moyen-Âge. Son nouveau président d’honneur, toujours le même Emmanuel Macron en expliquait d’ailleurs ainsi l’ambition à l’occasion du congrès fondateur de ce nouveau parti, le 17 septembre 2022 : « Nous allons reconquérir ces terres qui ont abandonné la politique après qu’elle les a abandonnées ».

Des membres éminents du parti Renaissance lors de sa soirée de lancement, le 17 septembre 2022 (photo © Julien de Rosa / AFP / Challenges)

Une ambition qui évoque donc implicitement la Reconquista, cette reconquête militaire qui s’est étalée sur plusieurs siècles en Espagne et qui a abouti en 1492 à la chute du royaume de Grenade, dernier bastion aux mains des occupants issus du monde arabo-musulman qui, au VIIIe siècle, administraient la quasi-totalité de la péninsule ibérique. « Reconquête ! », tel est d’ailleurs le nom choisi par Éric Zemmour pour son nouveau parti créé fin 2021 et qui fait clairement référence à ce mouvement de la reconquête du territoire espagnol par les royaumes chrétiens du nord, principalement au cours du XIIIe siècle, bien avant donc l’épisode des rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.

Jacques Chirac transforme en 1976 l’UDR en Rassemblement pour la République, pour en faire une machine de guerre électorale à son profit (source © AFP / La Dépêche)

Et voilà qu’une partie de la droite politique française se met à avoir la nostalgie du RPR, le Rassemblement pour la République, ce mouvement que Jacques Chirac avait créé en 1976 après avoir brusquement démissionné de son poste de Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et après avoir pris la tête, deux ans plus tôt, de l’UDR, cet ancien parti gaulliste. Devenue une formidable machine de guerre électorale, le RPR avait servi les intérêts de Jacques Chirac et de bien des barons locaux du chiraquisme jusqu’à sa transformation, en 2002, en UMP, l’Union pour la majorité présidentielle, pour les besoins de la campagne présidentielle du même Jacques Chirac, après le choc qu’avait constitué la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles.

Mais le RPR a remporté tellement de succès politiques que nombreux à droite sont nostalgiques de cette étiquette. A commencer par Marine Le Pen qui, en 2017 avait chargé un de ses amis de racheter la marque, avec dans l’idée de l’utiliser pour tourner la page du Front national hérité de son père, avant de préférer finalement opter pour le Rassemblement national. L’acronyme n’est pas perdu pour autant et il a été repris en 2022 par Franck Allisio qui se targue donc depuis cette date d’être le nouveau président du RPR, issu lui-même des rangs LR, Les Républicains, le nouveau nom que Nicolas Sarkozy avait voulu donner à l’UMP en 2015, lors de sa tentative de come-back, pour faire oublier son échec à la présidentielle de 2012 et surtout le naufrage de l’affaire Bygmalion et de son trucage délibéré de ses comptes de campagne qui lui valent d’ailleurs une nouvelle condamnation en appel à 6 mois de prison ferme.

Éric Le Dissès et Franck Allisio annoncent en juin 2023 la création de leur nouvelle association dénommée RPR (photo © A. L. / La Provence)

Élu député en juin 2022 dans la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône sous l’étiquette du RN, Franck Allisio a donc annoncé en grandes pompes, le 23 juin 2023, aux côtés du maire LR de Marignane, Éric le Dissès, la transformation du RPR en une nouvelle association d’élus de droite (très à droite !) dont la charte graphique et le logo en forme de croix de Lorraine rappellent furieusement les référence de l’ex RPR gaulliste de Chirac et Pasqua…

Une tentative de récupération qui n’a pas beaucoup plus à droite, dans les rangs de ceux qui se réclament du chiraquisme… Renaud Muselier, toujours aussi excessif, a immédiatement hurlé à l’imposture, accusant les deux compères de crime de lèse-majesté, eux qui ont osé reprendre comme symbole la croix de Lorraine du Général de Gaulle qui, à l’entendre serai un don de son propre grand-père à la France. Il est vrai que le vice-amiral Émile Muselier, déjà à la retraite, avait rejoint le Général de Gaulle à Londres dès le 30 juin 1940 et avait alors été chargé de créer les Forces françaises navales libres qu’il dirigea jusqu’en 1942 avant de démissionner du Comité national de libération national puis de rejoindre le général Giraud à Alger en 1943 où il est relevé de ses fonctions quelques mois plus tard.

Renaud Muselier, ici dans l’émission Les quatre vérités sur France 2 Télématin le 30 juin 2023 (source © France TV)

Le président de la région PACA ne perd naturellement jamais une occasion de rappeler ce brillant passé de son grand-père, laissant entendre que cela fait nécessairement de lui-même le premier des gaullistes et le dernier rempart de la nation contre les errements du Rassemblement national. Une posture qui ne l’a pourtant pas empêché de claquer violemment la porte des LR pour rejoindre le parti d’Emmanuel Macron qui n’a pourtant rien de gaullien mais qui a l’avantage d’être au pouvoir.

Toujours est-il que ce même Renaud Muselier vient de publier un manifeste signé par 77 élus locaux de son entourage qui acte la création du RPR sud, comme l’a relayé le Figaro le 14 février 2024. Ce tout nouveau RPR vient donc faire concurrence à celui relancé en juin 2023 par Franck Allisio et qui vient tout juste d’ouvrir une antenne dans le Vaucluse, coordonnée par Marc Jaume, un conseiller municipal LR de Carpentras et qui avait invité pour l’occasion la député RN d’Avignon, Catherine Jaouen. C’est donc en réaction que Muselier et ses amis, parmi lesquels Martine Vassal, Christian Estrosi ou encore le député Lionel Royer-Perreaut, viennent de (re)créer leur propre RPR, le Rassemblement pour la Région et de déposer à leur tour la marque RPR.

Renaud Muselier à l’occasion d’une réunion de son micro parti Cap sur l’Avenir, le 18 janvier 2023 (photo © Julie Rampal-Guiducci / GoMet)

Ce n’est pas un parti puisque Renaud Muselier a déjà le sien, intitulé Cap sur l’Avenir, et d’ailleurs personne ne sait très bien à quoi sert ce RPR bis sinon à contrer l’initiative du RN qui s’est ainsi approprié un sigle depuis longtemps tombé en désuétude mais qui d’un seul coup reprend un attrait inattendu auprès de ces nostalgiques de Jacques Chirac. C’est d’ailleurs ainsi que le présente le manifeste qui affirme, de manière quelque peu grandiloquente : « Nous sommes entièrement déterminés à défendre le sens historique, remarquable, de ce sigle ancré dans l’histoire de notre pays (…), qui ne faisait aucune concession à l’extrême droite ». Un bien noble combat pour des valeurs tellement profondes que l’initiative risque de laisser pantois le citoyen lambda qui se souvient peut-être qu’en 1986 le RPR n’avait pas ces pudeurs de violette pour s’allier ouvertement avec le Front national d’alors et s’octroyer ainsi la présidence de plusieurs conseils régionaux dont celui de PACA.

Un épisode que Renaud Muselier a sans doute oublié, n’étant pas encore élu à cette époque, lui qui vise simplement avec ce RPR bis dont il se vante d’avoir acquis la propriété intellectuelle, les prochaines élections régionales, prévues en 2028 seulement, mais pour lesquelles il a déjà choisi le nom de sa future liste qui s’appellera donc RPR Sud. A défaut de programme, voilà qui devrait séduire son électorat…

L. V.

Cerexagri, l’usine qui enfume les voisins

8 février 2024

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le passé industriel très actif de Marseille n’est pas complètement mort, lui qui a laissé de multiples stigmates avec ses innombrables terrils riches en métaux lourds qui jonchent encore le littoral en bordure du Parc national des Calanques et dont la dépollution reste un casse-tête. La production d’alumine, à partir de la bauxite locale, a contribué à la richesse locale avec un site majeur de production à Saint-Louis des Aygalades mais aussi de multiples dépôts de boues rouges, résidus de cette production industrielle et dont on ne sait plus très bien que faire désormais.

Mais il subsiste encore sur le territoire de Marseille quelques sites industriels majeurs toujours en activité, parmi lesquels l’usine Arkema à Saint-Menet, toujours en activité depuis 1954 et classée site Seveso seuil haut, dont le plan particulier d’intervention, révisé récemment, s’étend désormais jusqu’à la commune de Carnoux qui pourrait être sérieusement touché en cas de fuite massive de chlore par temps de Mistral.

Usine Arkema à Saint-Menet, source de risque industriel majeur pour l’Est marseillais (photo © Georges Robert / La Provence)

Un autre site industriel majeur, implanté depuis 1983 dans le quartier de Saint-Louis des Aygalades, fait aussi parler de lui pour ses nuisances environnementales. Il s’agit de l’usine Protec Métaux Arenc, rachetée récemment par Satys, et spécialisée dans la fabrication de peintures spéciales pour l’aéronautique. En 2013, des fuites de chrome VI, une substance toxique fortement cancérigène et mutagène, ont été repérées fortuitement dans le tunnel ferroviaire de Soulat situé en contrebas, à 400 m de là. Les investigations, qui n’ont été rendue publiques qu’en 2019, ont révélé que le produit avait provoqué une pollution majeure du ruisseau des Aygalades et persistait encore dans la nappe, ce qui a obligé les autorités à prendre des mesures drastiques d’interdiction d’utilisation des puits domestiques du secteur.

Entrée de l’usine PMA désormais Satys, implantée dans le quartier de Saint-Louis, à l’origine d’une grave pollution au chrome VI de la nappe et du ruisseau des Aygalades (source © Google Maps / Marsactu)

A ce jour, les travaux de dépollution, que l’industriel est mis en demeure d’engager depuis 2018, ne sont toujours pas réalisés même si des tests in situ ont bien été effectués en 2021 après le rachat du site par Satys. Il était question que l’usine déménage en 2023, pour s’installer dans une zone d’activité dédiée à Marignane, mais les riverains du secteur s’y sont bruyamment opposé et l’industriel a dû battre en retraite. L’usine et ses installations vieillissantes en pleine zone urbaine reste donc toujours en place à ce jour, freinant les travaux de dépollution qui peuvent difficilement être réalisés tant que l’activité de production se poursuit…

Portail de l’antenne marseillaise de Cerexagri au Canet (photo © Etienne Bonnot / Marsactu)

Et voilà qu’une autre usine marseillaise, défraie à son tour la chronique et fait les choux gras de Marsactu. Installée au Canet, entre l’autoroute A7 et la L2, à proximité immédiate des grandes tours de la cité Jean Jaurès, l’usine existe depuis 1909. A l’époque, les bâtiments, immenses cathédrales de béton armé aux toits voûtés, étaient exploités par les Raffineries Internationales de Soufre. Peu à peu, l’usine s’est retrouvée en pleine ville, encerclé d’immeubles d’habitations, de pavillons et même d’écoles. La production quant à elle s’est toujours poursuivie mais l’usine a changé de main et a été intégrée à Cerexagri, une filiale d’Arkema qui regroupe les activités agrochimiques issues de Total. L’usine continue à fabriquer du soufre destiné à être utilisé comme fongicide dans l’agriculture.

Les vastes salles voûtées du site marseillais de Cerexagri (source © AGAM)

Fin 2006, Arkema a cédé sa filiale Cerexagri dont le chiffre d’affaires était alors estimé à 200 millions d’euros avec ses trois usines de production situées, outre Marseille, à Bassens près de Bordeaux, et à Mourenz dans les Landes. L’heureux repreneur est le géant indien de l’agrochimie, le groupe UPL (United Phosphorus Ltd), l’un des cinq géants mondiaux des pesticides, présent dans 130 pays avec plus de 10 000 salariés dans le monde.

En mars 2010, un incendie s’était déjà produit dans les locaux de l’usine marseillaise de Cerexagri. Rapidement maîtrisé par les marins-pompiers, le feu avait néanmoins provoqué la formation d’un spectaculaire nuage de soufre qui s’était lentement dirigé vers les barres d’immeubles de la cite Jean Jaurès dont les habitants étaient aux premières loges pour bénéficier gratuitement d’une inhalation soufrée qui, semble-t-il n’avait pas fait de victime directe.

Site de l’usine Cerexagri (toitures blanches), entre l’autoroute A7 et la L2, en bordure de la cité Jean Jaurès et à côté de l’école Canet Jean Jaurès (source © Google Maps)

A l’époque, l’usine était classée site Seveso seuil haut, mais en 2021, les services de l’État ont accepté de le déclasser, actant le fait que les volumes de produits toxiques stockés sur place étaient désormais en dessous des seuils. La même année pourtant, un autre site de l’indien UPL faisait parler de lui en Afrique du Sud. Suite à des émeutes urbaines, un hangar de stockage de produits chimiques situé dans la zone portuaire de Durban avait été incendié, provoquant une grave contamination des plages voisines où les autorités ont dû interdire la pêche et la baignade. Selon France Info, l’enquête avait montré que la multinationale indienne n’avait pas les autorisations environnementales pour cette activité et il avait fallu retirer 13 000 tonnes de déchets toxiques et 24 000 m3 de liquides contaminés pour les enfouir en décharge contrôlée.

Incendie du site de stockage UPL près de Durban en juillet 2021 : une véritable catastrophe écologique (source © IOL)

C’est pourtant cette même année 2021, comme l’indiquent les révélations récentes de Marsactu, que la direction marseillaise de Cerexagri, profitant de l’assouplissement des exigences environnementales à son encontre, décide de modifier son procédé de convoyage de la poudre de soufre vers la chaine d’ensachage, en remplaçant son ancien dispositif mécanique par un système plus performant à air comprimé, qui permet de meilleurs rendements. Le seul (petit) inconvénient du nouveau process est qu’il rejette dans l’atmosphère un gaz éminemment toxique, mortel à fortes concentrations, l’hydrogène sulfuré H2S. Selon le Code du Travail, dès que la concentration de ce gaz dans l’air dépasse 5 ppm dans un espace confiné, la production doit être immédiatement stoppée. Or le nouveau dispositif génère des concentrations 30 fois supérieures !

Qu’à cela ne tienne : la direction fait installer en toute discrétion une seconde ligne d’échappement qui permet d’évacuer l’essentiel du gaz toxique à l’extérieur, juste au-dessus d’une porte par laquelle transitent les salariés du site. Cette installation n’étant pas déclarée, les services de contrôle mesurent les rejets à la sortie de l’échappement principal tandis que l’essentiel des rejets passe par l’échappement secondaire, ni vu ni connu…

Banderole sur l’usine Cerexagri de Bassens en 2021 à l’occasion d’un mouvement social (photo © Ezéquiel Fernandez / Radio France)

N’ayant pas été informés du stratagème, les salariés ne se doutent de rien sauf qu’ils sont régulièrement incommodés en passant près de l’endroit sensible, au point de finir par faire des mesures à l’aide de capteurs individuels, découvrant avec effarement que leur capacité de mesure est allègrement dépassée ! Une fois le pot aux roses découvert, les salariés déclenchent une alerte pour danger grave et imminent et décident de l’arrêt de l’activité. Cinq jours plus tard, des inspecteurs du travail se rendent sur place avec un expert et mettent en demeure la direction du site de mettre son installation en conformité, ce qui est fait une semaine plus tard, sans que l’on sache à ce jour si les rejets récurrents d’H2S à forte concentration ont pu avoir un impact sur les habitants des logements voisins dont les fenêtres donnent directement sur l’usine.

On apprend d’ailleurs à cette occasion qu’en 2023 déjà le même site industriel s’était fait rappeler à l’ordre par les services de l’État qui s’était rendu compte que l’usine rejetait directement dans le réseau pluvial, sans le moindre traitement, ses eaux de purges des chaudières, provoquant une atteinte grave à l’environnement. De quoi écorner quelque peu la réputation de la multinationale indienne dont la communication institutionnelle est portant fortement axée sur la sécurité et le bien-être de ses employés ainsi que sur le respect de l’environnement, un thème récurrent dans la bouche de bien des pollueurs !

L. V.