Archive for décembre 2020

Eaux usées : ça gaze à Sormiou…

30 décembre 2020

A Marseille la gestion de l’eau a toujours été un sujet sensible dans lequel il ne vaut mieux ne pas se montrer trop curieux. Le renouvellement de la délégation de service public en 2013 pour la distribution de l’eau potable et la gestion des eaux usées a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs mises en examen, dont celle de Martine Vassal, excusez du peu. Mais bizarrement, l’affaire n’a jamais été jugée jusqu’à présent. Toujours est-il que depuis cette date, c’est le SERAMM, Service d’assainissement Marseille Métropole, une filiale du groupe Suez créée spécifiquement pour gérer ce marché, qui a en charge la gestion des eaux usées et des eaux pluviales sur la commune de Marseille mais aussi sur celles de Carnoux-en-Provence, d’Allauch, du Rove, de Septèmes-les-Vallons et sur la zone industrielle de Gémenos.

La géode de 13 m de diamètre qui marque l’entrée de la station d’épuration enterrée Geolide (photo © Suez / Science et avenir)

C’est donc le SERAMM qui exploite la station de traitement des eaux usées construite en 1987 sous le stade Delort, à proximité du stade Vélodrome. Équipée en 2008 d’un étage de traitement biologique pour respecter (avec un léger retard) la réglementation européenne de 1991, cette centrale enterrée, dénommée désormais Geolide, présente une capacité de traitement de 1,86 millions d’équivalents habitants. Chaque année, de l’ordre de 80 millions de m³ d’eaux usées transitent ainsi par cette usine pour être débarrassées de leurs polluants, les eaux traitées étant rejetées directement en mer par l’émissaire de Cortiou située en plein cœur du Parc national des Calanques.

Plan schématique du principal réseau d’émissaires d’eaux usées et emplacement des usines de traitement de Marseille (source ©
Chroniques souterraines / Paul Courbon)

Les boues qui se déposent dans les décanteurs du circuit de traitement physico-chimique et à l’issue du traitement biologique sont quant à elles pompées pour être acheminées vers l’usine de traitement des boues, également gérée par le SERAMM et qui se situe dans une ancienne carrière de La Cayolle, près de Sormiou. Les boues fluides y sont traitées mécaniquement dans des épaississeurs où elles décantent par gravité tandis que l’eau excédentaire est renvoyée à la station de traitement en amont. Une fois épaissies, les boues sont acheminées dans un digesteur qui permet de produire du biogaz à partir de déchets organiques, selon un processus qui équipe désormais la plupart des stations d’épuration.

Vue générale de l’usine de traitement des boues de La Cayolle (source ©
CIQ Hauts de Mazargues)

Dans un digesteur, réservoir étanche maintenu à une température optimale de 35 à 55 °C et en l’absence d’oxygène, la matière organique présente dans les boues subit naturellement plusieurs transformations successives sous l’effet de souches bactériennes spécifiques. Le substrat est d’abord transformé en acides aminées, sucres et acides gras par hydrolyse. Puis ces produits sont eux-mêmes décomposés en acides organiques qui se transforment ensuite en acétate, tout en produisant du CO2 et du dihydrogène H2. Enfin, l’acétate évolue à son tour en méthane tandis que CO2 et H2 se combinent également pour former aussi du méthane CH4. On obtient finalement un biogaz constitué en partie (de l’ordre de 60 %) de méthane et en partie de gaz carbonique CO2 ainsi que de différents sous-produits dont du H2 S.

A l’issue de ce processus de méthanisation, il subsiste du digestat qui peut être valorisé en épandage agricole tandis que le biogaz produit peut être utilisé sous différentes formes. A l’usine de Sormiou et jusqu’à très récemment, il était simplement brûlé sur place pour participer au processus industriel. En 2017 enfin, il a été décidé d’investir dans un dispositif de valorisation plus poussé du biogaz afin de l’injecter directement dans le réseau de distribution du gaz naturel, selon un système désormais bien rôdé, plutôt que de brûler l’excédent via des torchères comme on le faisait jusque-là.

La nouvelle installation de production de biométhane de Sormiou disposée dans des containers (photo ©
Suez / L’Usine nouvelle)

Un investissement important de près de 9,2 millions d’euros dans lequel Suez n’apporte finalement qu’un peu moins de 2,4 millions, moins que l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse qui verse plus de 2,5 millions, presque autant que la Métropole Aix-Marseille-Provence à qui appartient l’installation. Le reste a été subventionné largement par la Région PACA (à hauteur de 800 000 €) et par l’ADEME (pour 640 000 €). Une belle opération donc pour le SERAMM qui se vante de mettre ainsi en œuvre « le projet de production de biométhane le plus important en France ».

La construction s’est étalée sur un peu plus de 18 mois, pour créer une unité de transformation permettant de produire environ 3,8 millions de Nm3 de biogaz par an (normo mètre cube, correspondant à 1 m³ de gaz dans des conditions normales de pression et de température) tout en développant de nouveaux échangeurs thermiques pour augmenter l’efficacité énergétique du processus de digestion des boues. A terme, le méthane qui sera ainsi injecté directement dans le réseau devrait couvrir la consommation énergétique de 8 000 foyers ou, au choix, l’approvisionnement annuel de 150 bus de la RTM.

Inauguration de l’usine de production de biogaz à Sormiou le 2 avril 2019 (photo © Richard Michel / GoMet)

Une belle opération pour Suez qui se rémunérera sur la vente du biogaz ainsi injecté dans le réseau tout en prenant à sa charge les coûts de fonctionnement (évalués quand même à 900 000 € par an) et en reversant pendant 10 ans une redevance annuelle de 265 000 €. Mais surtout une belle action de communication pour la région PACA qui se gargarise d’avoir investi pour une « initiative exemplaire » dans ce projet « qui rentre pleinement dans les objectifs de notre plan climat régional. Cette nouvelle usine va permettre de mieux exploiter les ressources énergétiques locales pour accélérer la transition écologique et améliorer nos performances environnementales », comme l’a exprimé la mine réjouie, un Renaud Muselier qu’on voit hilare aux côtés de Jean-Claude Gaudin lors de l’inauguration des installations qui a eu lieu le 2 avril 2019.

Reste à savoir si l’opération est véritablement rentable, ce dont on peut douter au vu du rapport sur « le verdissement du gaz » remis en juillet 2019 au comité de prospective de la Commission de régulation de l’énergie. Il y est notamment rappelé que la loi de transition énergétique de 2015 prévoyait que 10 % du gaz utilisé en 2030 devrait être issu de la méthanisation de biodéchets alors qu’on est très loin de cet objectif avec seulement 700 unités de méthanisation en France contre 10 000 en Allemagne. Mais le rapport note aussi que le coût de production de ce biogaz est évalué entre 90 et 120 € le MWh alors que celui du gaz naturel importé se situe autour de 25 €. A ce tarif, on comprend mieux pourquoi Suez s’est fait autant subventionner par des fonds publics son installation de Sormiou dont elle est si fière…

L. V.

Covid-19 : Mauricette s’est fait vacciner…

28 décembre 2020

On attendait la nouvelle avec impatience depuis le début de cette pandémie virale : quand allait-on enfin disposer d’une solution vaccinale pour éviter le confinement généralisé qui paralyse la moitié de la planète et ravage l’activité mondiale depuis bientôt un an ? Rarement pourtant les équipes de recherche médicale ont œuvré avec autant de rapidité et d’efficacité pour arriver à mettre au point un vaccin contre ce fameux coronavirus SARS-CoV-2 dont on ignorait tout l’an dernier à la même période et pour lequel tous les spécialistes s’accordaient à dire que la recherche d’un vaccin serait particulièrement ardue.

Modélisation du coronavirus SARS-CoV-2 avec ses protéines proéminentes (source © Science et Vie)

Et pourtant, force est de constater que la mise au point de vaccins contre ce virus mondialisé s’est faite au pas de charge. Dès le 17 mars 2020, la société pharmaceutique américaine Pfizer annonçait un partenariat avec la firme allemande BioNTech pour développer un vaccin révolutionnaire à base d’ARN messager. Les tests de phase III, initiés en avril 2020 sur un échantillon de 44 000 personnes font l’objet de publications dès le mois de juillet et le vaccin est autorisé le 2 décembre 2020 au Royaume-Uni, le 11 aux États-Unis et le 21 décembre en Europe qui avait déjà précommandé des millions de doses, sans compter les nombreux autres vaccins en phase de test ou déjà autorisés pour certains d’entre eux.

C’est dimanche 27 décembre donc que les premiers Français ont commencé à être vaccinés selon un protocole établi à l’avance et qui cible en priorité et en toute logique les personnes âgées vivant en EHPAD ainsi que le personnel soignant qui y travaille. Les deux premiers établissements retenus sont l’unité de soins de longue durée de l’hôpital René Muret à Sevran en Seine-Saint-Denis et l’EHPAD de Champmaillot à Dijon. Dans les deux cas, les médias étaient présents pour donner un retentissement maximum à ces premières vaccinations.

C’est donc une dame de 78 ans, prénommée Mauricette, ancienne aide ménagère de son état, qui a ainsi reçu la première dose de vaccin délivrée sur le territoire national, dans l’établissement de Sevran où elle réside, devant les caméras et en présence du patron de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, l’ancien ministre Martin Hirsch, qui n’a pas pu s’empêcher de commenter l’évènement en lâchant sur Twitter : «  Une petite piqûre pour l’infirmière, un grand pas pour l’immunité, nous espérons ». Une déclaration historique à la hauteur de l’évènement, suivi, juste après, par la vaccination d’un cardiologue de Sevran, âgé de 65 ans qui, au moment de recevoir l’injection salvatrice a déclaré avoir « une pensée pour tous ceux qui ont laissé leur peau dans ce truc-là ».

Mauricette vaccinée contre le Covid-19 devant les caméras le 21 décembre 2020 (photo © Thomas Samson / AFP / Le Parisien)

Trente minutes après la première vaccination, et alors que la campagne se poursuivait pour une vingtaine de résidents et soignants de l’hôpital de Sevran, le chef du service de gériatrie de l’établissement faisait savoir urbi et orbi, que Mauricette se portait comme un charme. De quoi peut-être rassurer les innombrables complotistes et sceptiques, persuadés que le vaccin injecté n’est que du liquide physiologique vendu à prix d’or par des laboratoires pharmaceutiques assoiffés de bénéfices pour leurs actionnaires, avec la complicité active des responsables politiques.

Au point que le Chef de l’État français, Emmanuel Macron s’est cru obligé de le marteler : « Je l’ai dit, je le répète : le vaccin ne sera pas obligatoire. Ayons confiance en nos chercheurs et médecins. Nous sommes le pays des Lumières et de Pasteur, la raison et la science doivent nous guider ». Un message qui n’est sans doute pas inutile en effet tant est forte la défiance des Français envers leurs élites, qu’elles soient scientifiques ou encore plus politiques. Un sondage réalisé par Ipsos en octobre 2020 indiquait que seuls 54 % d’entre eux se disaient prêts à se faire vacciner contre le SARS-CoV-2, alors que cette proportion s’élevait à 73 % dans l’ensemble du panel testé, issu de 15 pays différents et dépassait largement les 80 % dans des pays aussi différents que le Royaume-Uni, l’Australie, le Brésil ou la Chine !

Le vaccin sans danger, en principe… Dessin d’actualité de Karim (source © Blagues et dessins)

Chacun a encore en mémoire le fiasco de la vaccination contre la grippe A (H1N1). Comme pour le Covid-19, la coopération internationale avait permis de mettre très rapidement au point plusieurs vaccins, une bonne douzaine au total. Trois d’entre eux, produits respectivement par Sanofi-Pasteur, GlaxoSmithKline et Novartis, ont reçu une autorisation de mise en vente par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

La ministre de la santé de l’époque, une certaine Roselyne Bachelot, se démène alors pour faire savoir que la France a commandé pas moins de 94 millions de doses, pour un montant colossal de 712 millions d’euros, avec une commande optionnelle de 34 millions de doses supplémentaires pour 2010. Les centres de vaccination sont ouverts à compter du 12 novembre 2009 un peu partout, accessibles à tous mais avec une priorité pour les professionnels de la santé, des secours et de la sécurité. Un dispositif dimensionné pour permettre de vacciner 6 millions de personnes par mois !

Roselyne Bachelot vaccinée contre la grippe A devant les caméras en 2009 (photo © SIPA / Challenges)

Sauf que la campagne de vaccination de 2009 a été un flop total. A peine plus de 5 millions de Français se sont fait vacciner jusqu’en juin 2010, date à laquelle les centres de vaccination totalement désertés ont fini par fermer leurs portes. En janvier 2010, Roselyne Bachelot confirme d’ailleurs qu’elle est obligée de renoncer à se faire livrer 50 millions de doses commandées mais pas encore fournies tandis qu’il en reste encore autour de 40 millions en stock dont on ne sait pas que faire… Quelques uns seront revendues au Qatar et en Égypte, mais globalement l’affaire se solde par un fiasco financier retentissant. Un rapport d’enquête du Sénat fustige d’ailleurs le rôle des lobbies et les relations déséquilibrées qui ont conduit les responsables politiques à accepter de la part des laboratoires pharmaceutiques des contrats commerciaux trop contraignants.

Que faire des vaccins inutilisés ? Un dessin de Chaunu dans Ouest-France

Une chose est sûre : même si Roselyne Bachelot a réussi à rebondir après cet échec cuisant, l’affaire a laissé des traces et on sent que les autorités sanitaires marchent sur des œufs pour tenter d’aborder cette nouvelle campagne vaccinale dans un climat plus favorable. Pas question donc de rendre cette vaccination obligatoire pour ne pas exacerber les méfiances. Transparence absolue sur les conditions commerciales négociées à l’échelle européenne. Et un rôle majeur accordé aux médecins généralistes qui en 2009 avaient mené la charge contre la campagne de vaccination dont ils s’étaient sentis exclus. Cette fois, ils sont mis en avant pour essayer de convaincre leurs patients que le vaccin n’est pas seulement une pompe à fric pour les lobbies pharmaceutiques ou, pire, une arme d’infection massive comme en sont persuadés de nombreux complotistes : bon courage quand même…

L. V.

2020 : Noël masqué…

25 décembre 2020

Pas de Noël au balcon cette année, quelle que soit la météo du jour et malgré la tendance inéluctable au réchauffement climatique. Après une année 2020 marqué par une pandémie mondiale et une crise économique et sociale qui laissera des traces, l’ambiance est plutôt fraîche pour ces fêtes de fin d’année…

Pas plus de six à table, embrassades et accolades strictement interdites, un couvre-feu à 21 h, sauf pour le réveillon de Noël et le port du masque recommandé même en famille, sauf le temps de partager la dinde aux marrons, et encore en prenant bien soin de dresser une table à part pour Papi et Mamie, histoire de ne pas contaminer les plus vulnérables. La magie de Noël en prend un coup !

Mais malgré la morosité ambiante, les dessinateurs de presse gardent le sourire. Leur talent et leur humour sont des armes contre la dépression qui nous guette ! Confiné ou pas, masqué ou pas, solitaire ou en famille, joyeux Noël à tous !

Sauver Noël à tout prix… Un dessin signé Plantu (source © Le Monde)
Encore que, certains s’en passeraient volontiers… Un dessin signé Soulcié (source © Télérama)
La recette d’un Noël convivial réussi où chacun apporte sa part : un dessin signé André-Philippe Côté (source © Twitter)
Fini les autorisations de déplacement ? Un dessin signé Chapatte
Des contraintes assouplies ? Un dessin signé Alex
Des conditions qui dépendront du comportement de chacun : Noël au mérite ? Un dessin signé Yelch (source © Blagues et dessins)
Un dessin signé Rémy Cattelain : l’humour noir de Noël… (source © Bretzel liquide)
Une nouvelle décoration pour le sapin de Noël : un dessin signé Na !

William Saurin : les commissaires aux comptes pédalent dans la choucroute

23 décembre 2020

La marque William Saurin était jusque-là surtout connue pour ses choucroutes en boîtes et ses cassoulets peu gastronomiques mais rapides à réchauffer. C’est un épicier de Saint-Mandé qui avait créé la marque en 1898 en se basant sur l’essor alors tout récent de la boite de conserve alimentaire, un procédé que l’inventeur français, Nicolas Appert avait mis au point peu après la Révolution française et rendu public en 1810. La fabrique de plats cuisinés et de confitures William Saurin reste une entreprise familiale jusqu’en 1979, date à laquelle Vincent Saurin la revend à Lesieur avant qu’elle ne tombe entre les mains des géants de l’agroalimentaire Saint-Louis puis Danone, lequel la cède en 1997 au fonds d’investissement Paribas Affaires industrielles, puis, en 2001, au groupe Financière Turenne Lafayette.

Publicité des années 1960 pour les conserves William Saurin (source © Pinterest)

Un parcours industriel et financier un peu chaotique et qui, depuis cette date, est associé à une figure un peu mythique du business de l’agroalimentaire, une certaine Monique Piffaut, allias « Mamie Cassoulet ». Issue d’une riche famille autrichienne qui fournissait en chocolats haut-de-gamme les magasins Prisunic et Monoprix, Monique Piffaut a commencé à édifier son propre empire sur le tard en rachetant en 1991 la chocolaterie de Périgueux « Les délices du Palais ». Multipliant dès lors les acquisitions et restructurations d’entreprises de l’agroalimentaire, à la manière d’un Bernard Tapie, elle crée en 2001 la Financière Turenne Lafayette et rachète donc à cette date William Saurin. Lors de son décès en 2016, à l’âge de 78 ans, une tranche de jambon sur trois produite en France, sort des usines de celle qui est devenue la reine de la charcuterie. Son empire, qui détient aussi les raviolis Panzani, le couscous Garbit ou encore les quenelles Petitjean sans compter la production pour les marques distributeur, réalise 900 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel, emploie 4 000 personnes et dégage un bénéfice net de 17 millions d’euros.

Mamie Cassoulet » et son caniche Gaëtan (photo © W. Beaucardet / Libération)

Une reine qui se fait cependant très discrète et refuse obstinément de rencontrer les médias. Ses proches la décrivent comme une femme à poigne, incapable de déléguer et qui régnait en maître absolu sur son empire. Toujours accompagnée de son caniche nain, jusque dans les réunions de négociation avec les syndicats ou les banquiers, « Mamie Cassoulet » s’était en tout cas hissée à la place de 166e fortune de France selon les estimations du magazine Challenge en 2016.

Montagne de saucisses avant la mise en boîte dans l’usine William Saurin de Saint-Thibault-des-Vignes (photo © Lionel Bonaventure / AFP / Le Parisien)

On savait que son empire avait connu quelques diversifications hasardeuses, mais c’est quand même la stupéfaction générale lorsque le monde feutré des affaires apprend, le 14 décembre 2016, deux semaines seulement après sa disparition, que les comptes de la société avaient été profondément maquillés à coup de fausses factures et de faux en écriture. Le but de l’opération était uniquement de gonfler artificiellement les comptes de l’entreprise pour dissimuler les difficultés financières et garder la confiance des banques. Pas d’enrichissement personnel donc pour la vielle dame indigne qui n’avait pas d’héritier et qui a transféré sa société dans les mains d’une fondation avant que la marque ne revienne en 2018 dans le giron du groupe Cofigeo après que la société ait été déclarée en faillite en 2017.

William Saurin, une gamme complète de produits cuisinés en boîte, désormais dans le giron du groupe Cofigeo (source © LSA)

Sauf que l’ampleur de la fraude financière est colossale : le chiffre d’affaire annuel avait ainsi été gonflé frauduleusement de plus de 300 millions d’euros, soit un tiers de sa valeur réelle ! Et chacun de s’interroger depuis cette date sur le rôle qu’ont bien pu jouer dans cette affaire les deux cabinets de commissaires aux comptes, en l’occurrence Mazars et PwC Audit, qui étaient justement chargés, et ceci depuis des années, de vérifier la sincérité des comptes de l’entreprise.

Une question bien embarrassante en effet et qui interroge sur l’utilité de cette profession qui a justement pour objectif d’assurer aux actionnaires d’une société que les comptes sont fiables, et ceci après avoir soigneusement contrôler les factures, les stocks et les soldes bancaires pour attester que les bilans publiés correspondent bien à la réalité financière. Seules les entreprises dont le bilan dépasse les 4 millions d’euros, ou les chiffre d’affaire annuel les 8 M€ ou qui emploient plus de 50 salariés, sont tenues de faire appel à un commissaire aux comptes, lequel est rémunéré par l’entreprise elle-même.

Commissaire aux comptes, un métier de proximité, à haut risque de collusion… (source © Les Échos)

La profession est très réglementée et soumise à l’autorité du Haut-Conseil du commissariat aux comptes (H3C), mais la tentation est forte, pour un cabinet de se montrer complaisant envers la société qui l’emploie et le paye. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la France se montre particulièrement vigilante en imposant, depuis 1966 le recours à deux commissaires aux comptes distincts pour toute entreprise possédant des filiales et qui doit donc publier un bilan consolidé. Elle interdit aussi, contrairement à d’autres pays, à un commissaire aux comptes de vendre des prestations de conseil stratégique ou juridique à une société dont il certifie les comptes, histoire de ne pas être juge et partie.

Sauf que manifestement ces garde-fous n’ont pas suffi pour empêcher une fraude aussi massive pour laquelle deux cabinets de commissaires aux comptes se sont donc fait prendre la main dans le sac, alors même que PwC fait partie des quatre plus gros experts en la matière, aux côtés de EY, KPMG et Deloitte. D’autant qu’il est apparu que l’un des commissaires aux comptes du cabinet Mazars n’avait pas hésité à réaliser de prestations de conseil patrimoniaux pour Monique Piffaut, ce qui était strictement incompatible avec sa mission et explique sans doute la proximité voire la complicité dont il a fait preuve envers sa cliente.

Une situation particulièrement embarrassante pour la profession et qui vient de faire l’objet d’une procédure disciplinaire à l’initiative du H3C. Lors de ce procès qui s’est tenu en octobre 2020, le rapporteur général a requis contre les deux cabinets négligents des sanctions particulièrement lourdes de un million d’euros pour chacun, assorties d’une interdiction temporaire d’exercer (avec sursis). Les deux commissaires aux comptes incriminés se voient eux aussi réclamer une amende de 250 000 € chacun, assortie d’une radiation disciplinaire. De lourdes peines mais qui paraissent largement justifiées au vu d’une affaire qui met aussi clairement en évidence l’inutilité même d’une telle profession si elle n’est pas en mesure d’agir avec toute la probité et l’objectivité nécessaires…

L. V.

Dans le Pacifique, les affaires se portent bien…

21 décembre 2020

L’annonce est passée quasiment inaperçue. Le dimanche 15 novembre 2020, alors que venait enfin de prendre fin le suspens insoutenable qui tenait le monde entier en haleine en attendant la confirmation de la victoire électorale de Joe Biden, tous les médias français étaient focalisés sur les morts de la seconde vague de Covid-19, chacun guettant une amorce de décroissance des chiffres macabres égrenés jour après jour tandis que l’économie du pays était en berne.

Un accord signé à l’issue du sommet virtuel de l’ASEAN, le 15 novembre 2020 (source © french-china.org)

Pendant ce temps-là, quinze pays de la zone Asie-Pacifique, réunis depuis 4 jours en visioconférence pour un sommet virtuel de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), annonçaient tranquillement la signature du plus important accord commercial jamais conclu dans le monde en termes de produit intérieur brut, concernant pas moins de 2 milliards d’habitants : une broutille à l’échelle planétaire !

Ce « Partenariat régional économique global » ainsi que les Asiatiques l’ont dénommés (RCEP dans sa version anglaise qui est devenue celle de la communication mondiale), vise ni plus ni moins qu’à instaurer une gigantesque zone de libre-échange entre les 10 pays membres de l’ASEAN (parmi lesquels la Birmanie, le Cambodge, l’Indonésie, Singapour, la Thaïlande ou encore le Vietnam qui était justement l’hôte de ce sommet) et 5 puissances économiques régionales majeures disposant déjà d’un accord de libre-échange bilatéral avec l’ASEAN : la Chine bien sûr, mais aussi le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Un ensemble de pays qui représentent à eux quinze pas moins de 30 % du PIB mondial, soit bien davantage que les États-Unis (24 %) ou que l’Europe (22 %).

L’isolationnisme de Trump a finalement favorisé l’expansionnisme chinois dans le Pacifique : un dessin de Françoise Ménager publié en 2016 dans Les Échos

Cet accord n’est bien entendu pas tombé du ciel puisque les négociations ont débuté en novembre 2012. Mais sa forme actuelle résulte de l’abandon de l’Accord de partenariat transpacifique signé en 2016 en vue d’une meilleure intégration des économies américaines et de la zone Asie-Pacifique. Donald Trump ayant décidé en janvier 2017, immédiatement après son accession à la présidence américaine, de retirer son pays du dispositif, un nouvel accord avait été signé en mars 2018. Entré en vigueur fin 2018 sous le nom de Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership, il concerne un abaissement global des droits de douanes mais seuls 8 pays l’ont ratifié à ce jour.

En Chine, l’activité d’import-export de nouveau florissante, ici le port de Qingdao le 13 septembre 2020 (photo © STR / AFP / Le Monde)

Le RCEP a donc bien été conçu comme une alternative à cette initiative et intéresse exclusivement les pays de la zone Asie-Pacifique, à l’exception notable de l’Inde qui a choisi de se retirer des négociations en 2019, craignant de subir un afflux des importations en provenance de son rival historique qu’est la Chine. C’est donc cette dernière qui est le leader incontestable et le grand vainqueur de cet accord hors-norme qui constitue le premier traité de libre-échange jamais signé entre l’Empire du Milieu et ses voisins japonais et sud-coréens.

Dans son état actuel, l’accord vise principalement à réduire les droits de douane et les formalités administratives pour faciliter les échanges commerciaux entre les pays signataires. Plus de 90 % des biens sont concernés par l’accord qui n‘intègre cependant pas les services ni les produits agricoles. Son impact est difficile à prévoir mais il y a fort à parier que la Chine en sera le principal bénéficiaire avec un niveau de salaire de ses ouvriers qui reste trois fois plus faible que ceux de leurs homologues sud-coréens ou japonais et quatre fois plus faibles que ceux des Australiens.

La Chine a rapidement retrouvé dès le troisième trimestre 2020 son niveau de croissance d’avant la crise sanitaire (source © Bureau national de statistiques / Les Échos)

Déjà que la Chine devrait être pour l’année 2020 le seul des pays du G20 à afficher une croissance économique positive, estimée pour l’heure à + 1,8 % alors qu’elle est en moyenne de – 4,1 % pour l’ensemble des autres pays du groupe, nul doute que cet accord historique va encore doper ses ventes à l’export dans un marché asiatique particulièrement dynamique. Les projections annoncent d’ores et déjà une croissance chinoise de 8 % pour 2021 tandis que les pays européens s’enfoncent dans la récession : le retour des jours heureux n’est peut-être pas pour tout de suite…

L. V.

Un PAPI pour l’Huveaune et les Aygalades

19 décembre 2020

Le projet était en gestation depuis des années mais il est en train de se concrétiser. Le 9 décembre 2020, la Commission Mixte Inondation, réunie en visioconférence, crise sanitaire oblige, a labellisé sans réserve le Programme d’actions de prévention des inondations (PAPI) sur le bassin versant de l’Huveaune et, pendant qu’on y est, sur celui adjacent des Aygalades.

Carte du périmètre retenu pour les PAPI de l’Huveaune et des Aygalades (source : Résumé non technique du dossier PAPI)

Pour le Syndicat mixte du bassin versant de l’Huveaune, qui porte ce dossier depuis 2016 et qui vient d’être lui-même labellisé comme établissement public d’aménagement et de gestion des eaux (EPAGE), cette reconnaissance est l’aboutissement d’un long processus. Créé en 1963, après la crue dévastatrice du 6 octobre 1960, sous forme de syndicat intercommunal, il ne regroupe alors que les trois communes situées à l’aval du fleuve côtier, à savoir Marseille, Aubagne et la Penne-sur-Huveaune. Son objectif est alors des plus limités puisqu’il se contente d’assurer l’élagage et le débroussaillage sporadique des berges du cours d’eau afin d’éviter la formation de trop gros embâcles en cas de crue. Ce qui n’empêchera pas l’Huveaune de faire de gros dégâts lors de l’inondation des 16 et 17 janvier 1978 : après six jours consécutifs de pluie, le fleuve sort de son lit, envahit les quartiers les plus proches, submerge l’autoroute toute neuve entre Aubagne et Marseille, menace le pont de chemin de fer de Saint-Marcel et laisse une ardoise considérable.

En 1978, l’Huveaune sort de son lit, ici à Aubagne au pont de la Planque (source : Ville d’Aubagne)

Mais le syndicat de l’Huveaune, dont la gestion financière était alors assurée par la mairie d’Aubagne, continuera jusqu’en 2007 à se contenter de confier à un agent détaché de la DDE le soin de couper les arbres morts menaçant d’obstruer le lit du fleuve. Un fonctionnement a minima et très artisanal qui a nettement évolué depuis. En 2006, trois autres communes du bassin versant (Roquevaire, Auriol et Saint-Zacharie) ont rejoint le syndicat qui a recruté son propre technicien de rivière en 2007. Un premier Contrat de rivière a été initié en 2012 et adopté en octobre 2015, permettant l’engagement d’une approche plus globale de la gestion de l’eau à l’échelle du bassin versant.

La structure compte désormais six salariés et son évolution institutionnelle récente relève d’une bizarrerie administrative inconcevable pour le citoyen lambda. La création par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (ça ne s’invente pas !), adoptée le 27 janvier 2014, a créé une nouvelle compétence dite GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), obligatoirement affectée, à compter du 1er janvier 2018, à la structure intercommunale. Sur notre territoire, cette date a coïncidé avec la création de la métropole Aix-Marseille-Provence dont le périmètre englobe la quasi totalité du bassin versant de l’Huveaune, y compris la commune de Saint-Zacharie, pourtant située dans le Var, comprenne qui pourra… La logique aurait donc voulu que le syndicat soit purement et simplement dissout comme l’ont été ceux qui géraient d’autres cours d’eau du territoire métropolitain, tels que la Cadière ou la Touloubre, dont la gestion relève désormais de la Métropole.

Berges érodées de l’Huveaune à Auriol avant travaux de restauration morphologique (source : Compagnie des Forestiers)

Sauf que le syndicat a fait valoir que deux autres communes du Var voisin, rattachés à la Communauté de communes Provence Verte, Plan d’Aups et Nans-les-Pins, situées à l’extrémité amont du bassin versant, voyaient une partie de leurs eaux s’écouler, vers l’Huveaune, y compris par des cheminements souterrains encore mal connus. Un bon prétexte pour ne pas laisser la Métropole prendre totalement les rênes de la structure qui s’est donc transformée en syndicat mixte et a adopté, le 22 février 2019, de nouveaux statuts avec désormais deux membres : la Métropole Aix-Marseille-Provence (qui couvre l’essentiel du périmètre de compétence) et la Communauté de communes Provence Verte qui est concernée de manière très marginale. Curieusement, les quelques communes varoises situées également en limite amont du bassin versant hydrogéologique, au-delà de Cuges-les-Pins, et qui sont rattachées à la Communauté d’agglomération Sud Sainte-Baume n’ont pas été intégrées dans la gouvernance du syndicat comme la logique l’aurait exigé…

L’Huveaune en crue en décembre 2008 entre Auriol et Roquevaire (source SIBVH)

Toujours est-il que c’est ce syndicat qui a été retenu pour porter, aux côtés de la Métropole, le nouveau PAPI, alors même qu’il n’a aucune compétence sur le bassin versant des Aygalades. Mais tout cela n’a pas beaucoup d’importance car des conventions de prestation en quasi-régie et de délégations de compétences ont été signées entre la Métropole et le syndicat : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? L’important est que puisse être mis en œuvre ce nouveau programme d’actions, qui débutera en 2021 pour une durée de 6 ans, dès que les conventions cadres auront été signées entre les différents partenaires que sont l’État, la Métropole, le Syndicat de l’Huveaune, le Département des Bouches-du-Rhône (toujours présent quand il s’agit de financer), l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, mais aussi l’EPA Euroméditerranée et le BRGM.

Pas moins de 50 actions, réparties selon les différents axes de la prévention du risque inondation, sont prévues, pour un montant prévisionnel global qui frise les 15 millions d’euros. Une belle somme dont la moitié devrait être apportée par le Fonds de prévention des risques majeurs, le fameux Fonds Barnier, qui est alimenté par un prélèvement sur l’ensemble de nos polices d’assurance. Trois opérations de travaux sont d’ores et déjà inscrites dans ce programme, l’une sur le ruisseau de la Bédoule, à Septèmes-les-Vallons et les deux autres pour limiter les débordements de l’Huveaune à Marseille (avenue du docteur Heckel) et entre Aubagne et La Penne-sur-Huveaune.

Emprise des zones inondables et estimation des hauteurs d’eau en cas de crue centennale de l’Huveaune en aval de l’avenue Manouchian à Aubagne (source : dossier PAPI Huveaune / SIBVH)

Sur ce dernier secteur, en aval de la Tourtelle, l’objectif est d’élargir le lit de l’Huveaune sur un linéaire de 4 km pour limiter les risques de débordement, en particulier sur la zone d’activité Alpha, et ceci au moins pour les crues modestes, les plus fréquentes, jusqu’à une période de retour de 10 ans. D’autres études sont prévues dans le cadre de ce programme, en particulier en vue de mieux maîtriser les problèmes de ruissellements urbains, ainsi que de multiples actions visant à mieux connaître le fonctionnement de ces deux bassins versants mais aussi à réduire la vulnérabilité des enjeux exposés et à faire davantage prendre conscience aux riverains de la réalité du risque inondation.

Rappeler à chacun qu’il peut se retrouver un jour exposé à une inondation, en particulier du fait de la violence des orages d’été et des pluies d’automne dont la fréquence et l’intensité pourraient être augmentées avec le changement climatique global, voilà en effet une action qui mérite d’être poursuivie sans relâche tant la mémoire humaine est courte en la matière, surtout sur un territoire aussi urbanisé et avec autant d’enjeux en zone inondable…

L. V.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’hydrogène sans jamais oser le demander…

16 décembre 2020

Tout le monde s’intéresse à l’hydrogène souvent présenté comme un des éléments de la transition énergétique vers une société décarbonée, capable de se passer des énergies fossiles et de maîtriser ses émissions de gaz à effet de serre. On n’y est pas encore et les tergiversations récentes de notre Président de la République qui hésite fortement à mettre en œuvre les propositions issues de la Convention citoyenne sur le Climat, qu’il a pourtant lui-même constituée, confirme, s’il en était besoin, que le chemin sera encore long et parsemé d’embûches…

Un dessin d’actualité signé Ysope

Pour ceux en tout cas qui s’interrogent sur le potentiel que représente d’hydrogène pour contribuer à cette révolution énergétique que beaucoup appellent de leurs vœux, on recommandera la lecture d’une note de synthèse rédigée par l’astrophysicien Jacques Boulesteix, par ailleurs conseiller municipal de Carnoux. Une synthèse claire et pédagogique qui permet de mieux appréhender les formidables atouts que représente l’hydrogène, ce gaz très répandu dans notre environnement et qui peut servir aussi bien de combustible sans émission de CO2 dans une chaudière ou un moteur, que de source d’électricité dans une pile à combustible dont le rendement est très supérieur à celui d’un groupe électrogène classique.

Graphique extrait de la note de Jacques Boulesteix sur l’hydrogène

Mais pour autant, l’hydrogène n’est pas la panacée miraculeuse que certains imaginent. Sa production, en dehors de cas très favorables où on arrive à l’extraire de manière native, passe pour l’essentiel par des opérations lourdes de vaporeformage à partir de gaz naturel, un procédé peu coûteux mais catastrophique en termes d’émission de gaz à effet de serre. Quant à l’alternative bien connue qui consiste à réaliser une hydrolyse de l’eau, son bilan énergétique n’est guère reluisant…

Certes, les chercheurs et les industriels du monde entier s’échinent à contourner ces obstacles physico-chimiques pour trouver le Graal qui permettra demain (peut-être) de produire de l’hydrogène bon marché, en grosses quantités, sans impact environnemental et avec un bilan énergétique favorable. De multiples pistes sont pour cela explorées allant de la valorisation de la biomasse à partir de déchets plus ou moins fermentescibles jusqu’à la production par photosynthèse à partir de micro algues.

Structure moléculaire d’une hydrogénase modifiée (source © Labo BIP CNRS)

Il est d’ailleurs à noter que cette dernière voie est notamment explorée par une équipe marseillaise du Laboratoire de bioénergétique et ingénierie des protéines. Celle-ci travaille sur des micro-algues vertes et des cyanobactéries qui produisent de l’hydrogène lors de la photosynthèse, sous l’effet d’enzymes appelées hydrogénases. Mais ce processus est très transitoire car les hydrogénases sont inhibées par l’oxygène qui est également produit pendant la photolyse de l’eau. L’équipe de chercheurs a donc testé (et breveté) des mutations bien spécifiques des hydrogénases afin de permettre à l’hydrogène formé de diffuser vers l’extérieur afin d’orienter ainsi la photosynthèse vers la production d’hydrogène plutôt que d’oxygène.

L’avenir dira si ces recherches permettront d’ouvrir la voie vers un nouveau mode de production plus propre de l’hydrogène. Mais ce n’est pas le seul obstacle qui reste à lever pour une large exploitation de l’hydrogène, loin s’en faut. Celui du stockage et du transport de l’hydrogène n’est pas simple non plus, comme le précise Jacques Boulesteix dans sa note. Mais là aussi des équipes locales sont à pied d’œuvre pour chercher des solutions.

Hysilabs, la start-up qui cherche à révolutionner le transport de l’hydrogène (photo © G. Vanlede / La Provence)

C’est en particulier le cas de la société Hysilabs, une start-up initiée par deux chercheurs qui se sont rendus compte qu’il était possible de combiner l’hydrogène gazeux avec des hydrures pour le transporter sous forme liquide en s’affranchissant des inconvénients du transport et du stockage sous forme de gaz fortement comprimé. La petite start-up basée à Aix-en-Provence a levé pour plus de 2 millions d’euros de fonds en 2018 pour poursuivre ses développements et proposer des solutions industrielles clé en main telles que l’alimentation d’une tour de télécommunication sur le plateau de l’Arbois par un générateur électrique à l’hydrogène.

Démonstrateur Jupiter 1000 à Fos-sur-mer d’injection de gaz dans le réseau (photo © Jérôme Cabanel / GRT gaz / actu-environnement)

Et l’on pourrait citer aussi le projet Jupiter 1000, un démonstrateur industriel piloté par GRT gaz et d’autres partenaires à Fos-sur-Mer, permettant de transformer par électrolyse de l’électricité renouvelable en hydrogène mais aussi en méthane grâce au recyclage de CO2 issu de la capture de fumées industrielles du secteur. Une installation qui permet d’injecter dans le réseau jusqu’à 25 m3/h de méthane et 200 m3/h d’hydrogène.

Qui a dit que l’agglomération marseillaise était à la traîne en matière de recherche et développement de pointe ?

L. V.

A la recherche des monolithes perdus

14 décembre 2020

C’est devenu le nouveau sport à la mode en cette période de confinement partiel qui commence à taper sur le système de nombre de nos congénères et pousse certains vers un mysticisme inquiétant : traquer le monolithe le soir au fond des bois… Pour les fêtes de Pâques, la tradition est plutôt à la chasse aux œufs. Mais en cette fin d’année 2020 si particulière et à l’approche de Noël, on en est plutôt à guetter l’apparition d’étranges structures métalliques dressées qui surgissent aux endroits les plus improbables.

Tout à commencé le 18 novembre 2020, alors qu’un groupe de biologistes américains survole en hélicoptère les contrées désertiques qui s’étendent près de la ville de Moab, dans l’Utah, pour dénombrer des hardes de mouflons sauvages qui se cachent dans un décor de rochers rougeâtres digne des meilleurs westerns. Un objet brillant planté dans le sol attire leur attention. Ils repèrent sa position et viennent voir de plus près de quoi il retourne.

Une mystérieuse borne métallique plantée en plein désert de l’Utah… (photo © AFP / La Dépêche)

Surprise ! Il s’agit d’un élément prismatique en métal poli, de 3,50 m de hauteur qui se dresse comme une énigme dans le sol sableux du désert. Une image qui rappelle furieusement à tous les amateurs de science-fiction le mystérieux monolithe qui apparaît soudainement au début du film de Stanley Kubrick, 2001, Odyssée de l’Espace, sorti en 1968. Une référence pour le moins étrange et de nature à attiser les conjectures les plus folles en cette année où même les esprits les moins complotistes ne peuvent s’empêcher de s’interroger sur le climat délétère qui traverse la planète victime de pandémie mondialisée. Faut-il y voir la matérialisation d’un message extraterrestre sous la forme d’un objet provenant du tréfonds de l’Univers et planté ainsi à l’insu de tous dans ce lieu reculé du désert américain pour servir de vecteur de communication à des forces mystérieuses venues d’ailleurs ?

Le fameux monolithe du film de Stanley Kubrick 2001, Odyssée de l’espace (photo © DR / Télérama)

En ce monde où l’information diffuse instantanément via les réseaux sociaux, il a suffi que les biologistes compteurs de mouflons fassent part de leur découverte étrange pour que aussitôt toute la planète se mette en émoi. Alors même qu’ils avaient soigneusement tenu secret le lieu de leur découverte, chacun se précipite sur ses cartes et part en chasse pour aller voir de plus près la mystérieuse borne métallique. De quoi se rendre compte au passage qu’elle était en réalité en place depuis un certain temps déjà puisque certains affirment l’avoir repérée sur des clichés Google Earth de 2016 et d’autres qu’il s’agirait de l’œuvre de l’artiste minimaliste californien John McCracken, qui aurait fait part avant sa mort en 2011 de sa volonté de « laisser des œuvres dans des endroits isolés pour que celles-ci soient découvertes plus tard ».

Toujours est-il que les curieux ont commencé à affluer du monde entier pour venir se rendre compte par eux-même, déboulant par avion ou en 4 x 4 en pleine zone désertique. De quoi faire fuir les derniers mouflons qui auraient pu se réfugier dans ce qui était jusque-là un havre de paix. Et brusquement, le mystérieux monolithe a disparu… Jusqu’à ce qu’on apprenne qu’il avait été purement et simplement démonté, une nuit de pleine lune, le 27 novembre 2020, par un commando de quatre défenseurs de la nature estimant que cette attraction n’avait pas sa place dans un parc naturel où elle ne faisait qu’attirer des hordes de curieux prêts à tout dévaster sur leur passage, sans égard pour la faune sauvage. La scène a d’ailleurs été immortalisée par un photographe qui a assisté, ébahi, à l’évacuation des vestiges de la sculpture métallique, sur une simple brouette à la lueur des lampes frontales…

Un nouveau monolithe orné de spirales, implanté sur les hauteurs de Bâtca Doamnei en Roumanie (photo © Newflash / La Dépêche)

Mais l’histoire ne pouvait bien évidemment pas s’arrêter là. La veille de ce démontage musclé, un autre monolithe comparable, mais dont la surface, au lieu d’être soigneusement polie, est couverte de fines gravures en spirale, est découvert, le 26 novembre 2020, en Moldavie, au nord-ouest de la Roumanie cette fois sur la colline de Bâtca Doamnei, non loin de la forteresse de Petrodava, vestige de la civilisation Dace qui peuplait la région dans l’Antiquité. Le monument planté là ressemble vaguement à celui découvert dans l’Utah et il disparaît mystérieusement à son tour le 1er décembre…

Stèle de 3 m de hauteur plantée au sommet de la montage Pine à Atascadero en Californie (photo © Twitter / CNews)

Dès le lendemain, 2 décembre, un troisième obélisque métallique prismatique de 3 m de haut, similaire à celui de l’Utah, fait son apparition sur la montagne Pine, à Atascadero, en Californie. Une apparition là aussi très éphémère puisque l’objet, simplement planté en terre est très rapidement vandalisé par un groupe de complotistes allumés qui le remplacent par une croix en bois tout en chantant des cantiques et en se livrant à des exorcismes contre d’éventuels extraterrestres malveillant. Un acte qui fait sortir du bois un collectif d’artistes, The Most Famous Artist, lequel revendique la paternité de l’œuvre via des messages sibyllins sur les réseaux sociaux et la propose même à la vente sur son site Instagram au prix d’ami de 45 000 dollars : business is business !

Toujours est-il que le dimanche 6 décembre, ce sont trois nouveaux monolithes du même style qui sont découverts fortuitement par des promeneurs. Le premier se trouve aux Pays-Bas, près d’une mare gelée dans la réserve naturelle du Kriekenberg, dans la province de Frise. Aucune trace de pas n’est visible aux alentours, comme si l’objet était mystérieusement descendu du ciel pour se planter dans le sol. Le second quant à lui a surgi sur une petite plage de l’île de Wight, dans le sud de l’Angleterre et le troisième a été découvert par des promeneurs dans le site sauvage du Puits d’enfer, au cœur de la forêt d’Exireuil près de Saint-Maixent, dans les Deux-Sèvres.

Le monolithe métallique installé dans la forêt d’Exireuil au Puits d’Enfer (photo © Romuald Goudeau / France Info)

Pour ce qui est de ce dernier, on sait en tout cas qui en est l’auteur puisqu’il s’agit d’un chaudronnier local, un certain Ludovic Laigre, artiste à ses heures perdues, et qui voulait témoigner par ce geste que la création artistique, mise à mal en ces temps de confinement, était toujours vivante. Là encore, l’œuvre éphémère, de 3 m de hauteur et de section triangulaire, a été rapidement démontée dans la semaine, d’autant que l’on annonçait de fortes pluies et un risque de débordement de la rivière…

Mais la série ne s’arrête pas pour autant. Dès le mercredi 9 décembre, les joggers matinaux qui déambulent sur les hauteurs du quartier de Pech-David, au dessus de Toulouse, découvrent ébahis une grande borne métallique à la surface soigneusement polie, fichée dans le sol à la faveur de la nuit. Un nouveau monolithe qui disparaît subitement la nuit suivante, non sans que des milliers de curieux ne soient venus défiler en s’interrogeant sur les inscriptions énigmatiques visibles sur le monument.

Monolithe métallique implanté brièvement sur les hauteurs de Toulouse (photo © Simon Olivier / France 3 Régions)

Opération de communication réussie donc pour les instigateurs du canular, à savoir les organisateurs du Bricks Festival, un rendez-vous de musique électronique, désireux de rappeler à tous la date du prochain festival, ainsi que sa localisation, dont les coordonnées GPS ont ainsi été mémorisées par tous ceux qui sont venus inspecter l’étrange objet tombé du ciel.

Le dernier monolithe en date, surgi une rive de la Vistule, à Varsovie (photo © Wojtek Radwanski / AFP via Getty Images / The Epoch Times)

La série ne s’arrêtera certainement pas en si bon chemin et l’on a d’ailleurs déjà signalé, dès le jeudi 10 décembre un nouvel obélisque métallique de 3 m de hauteur fiché sur les berges de la Vistule, en plein centre de Varsovie, en Pologne, après que les Suisses aient eux-mêmes signalé l’implantation d’une stèle très comparable, disposée dans la nuit du 8 au 9 décembre, dans l’enceinte du château Liebegg à Gränichen, lequel abrite un musée de la sorcellerie, ce qui explique sans doute que le mystérieux monument ait subitement disparu dès le lendemain…

Assurément une nouvelle mode est lancée. A quand un monolithe géant en acier poli, planté en pleine nuit sur le rond-point des Barles pour annoncer furtivement la date du prochain conseil municipal de Carnoux ?

L. V.

Métropole Aix-Marseille : la fête est finie…

12 décembre 2020

En période pré-électorale, il est d’usage que l’on lâche un peu la bride budgétaire : c’est le moment ou jamais de dépenser sans compter l’argent du contribuable et d’enchaîner les inaugurations de nouvelles infrastructures pour montrer à quel point la collectivité est efficace. Une règle d’or que Martine Vassal a appliqué à la lettre à la tête de la Métropole Aix-Marseille-Provence, avec un niveau record d’investissement et surtout de transfert de fonds vers les communes en 2019 et début 2020. Ce qui lui a d’ailleurs plutôt bien réussi puisqu’elle a pu être réélue sans difficulté à la tête de l’intercommunalité, malgré sa défaite cuisante aux élections municipales dans son fief marseillais.

Martine Vassal réélue à la tête de la Métropole Aix-Marseille-Provence le 9 juillet 2020 (source © Commune de Peynier)

Mais une fois les élections passées et en attendant les suivantes, il faut bien faire les comptes et resserrer un peu les boulons, quitte à se serrer la ceinture. C’est ce qui a été fait à l’occasion du rapport d’orientations budgétaires qui a été discuté le 19 novembre 2020, en visio-conférence (Covid oblige), en vue de fixer les grandes lignes du prochain budget 2021 de la Métropole. Un exercice particulièrement douloureux comme l’a détaillé à TPBM Gérard Bramoullé, premier adjoint à la maire d’Aix-en-Provence, mais aussi premier Vice-Président de la Métropole, en charge justement de la stratégie budgétaire.

Gérard Bramoullé, premier vice-président de la Métropole Aix-Marseille Provence, en charge de la stratégie budgétaire (photo © Robert Poulain / TPBM)

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le constat est sévère sinon catastrophique. Le rapport au vitriol que la Chambre régionale des comptes avait rendu public le 15 octobre dernier ne pouvait de toute façon guère permettre de masquer la dure réalité : la Métropole fonce droit dans le mur de l’endettement et il commençait à être temps de freiner un peu… Comme l’analyse lui-même celui qui préside désormais aux destinées budgétaires de la Métropole : « En quatre ans, la dette s’est envolée tutoyant les 3 milliards d’euros et l’épargne s’est effondrée. Or, sans épargne, on perd notre capacité d’autofinancement. Dans une situation normale, on devrait être en mesure d’autofinancer à hauteur de 30 % les opérations d’investissement. Aujourd’hui, on est à moins de 10 %, avec un recours massif à l’emprunt. Mais on ne peut pas continuer à vivre à crédit indéfiniment. La réalité nous rattrape. »

Le grand argentier de la Métropole ne cache pas son inquiétude : « On a lancé des projets sans se préoccuper de savoir si nous avions les moyens de les financer. On subit aujourd’hui le retour de bâton de cette folie des grandeurs. La dette en soi n’est pas un problème : c’est la capacité à rembourser les emprunts qui compte. Et dans ce domaine, nous sommes loin d’être exemplaires. La durée de remboursement « normale » d’un emprunt est en moyenne de huit ans. Sur le budget annexe des transports, nous sommes à 18 ans ».

Un constat qui n’a pas échappé à l’agence de notation Fitch Ratings qui, en mai 2020, a jugé « négative » la perspective financière de la collectivité. En 2020, les besoins en fonctionnement ont largement excédé les capacités d’autofinancement du budget alors qu’il n’était pas question de limiter le niveau d’investissement en contexte pré-électoral. Il a donc fallu recourir massivement à l’emprunt pour financer ces investissements, ce qui a fait exploser les objectifs du Pacte de gouvernance financier et fiscal, instauré en 2016 à la création de la Métropole. Ces objectifs visaient à ne pas augmenter la fiscalité et à maîtriser la dette tout en conservant un haut niveau de reversement aux communes, une spécificité locale mainte fois dénoncée…

Le Conseil métropolitain présidé par Martine Vassal, avant qu’il ne passe en visio-conférence… (photo © Antoine Tomaselli / La Provence)

Selon ces objectifs, le recours à l’emprunt ne devait pas dépasser 23 % par an et le niveau d’autofinancement ne devait pas descendre en dessous de 39 %. Or en 2020, la Métropole a emprunté à hauteur de 65 % pour financer ses investissements et sa part d’autofinancement est tombée à 7 % seulement, du jamais vu! L’encours global de la dette métropolitaine approche désormais les 3 milliards d’euros et la capacité de désendettement atteint des durées vertigineuses…

Face à une situation budgétaire aussi effrayante, il a bien fallu faire des choix. Pas question évidemment de tailler dans la masse salariale. Les 7 875 agents que compte la Métropole et qui représentent une masse salariale de près de 400 millions d’euros par an constituent une dépense incompressible, dont le montant augmente même d’année en année sous l’effet des promotions, même si cette progression est contenue à 1 % dans la trajectoire budgétaire envisagée pour 2021, soit en dessous des exigences fixées par le gouvernement pour l’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités. A défaut, ce sont donc les dépenses de fonctionnement reversées par la Métropole aux six Conseils de Territoires, les anciennes intercommunalités que la Métropole n’a toujours réussi à faire disparaître et à qui elle a encore reversé 192 millions en 2020, qui ont été légèrement amputées (de 20 millions) en 2021.

La marge de manœuvre étant extrêmement limitée du côté des dépenses de fonctionnement, ce sont donc les investissements qui vont devoir être considérablement réduits pour éviter que les comptes de la Métropole ne s’enfoncent définitivement dans le rouge. Alors qu’en 2019, le montant global d’investissement de la Métropole avait atteint 566 millions d’euros et devrait se situer aux alentours de 503 millions pour l’exercice 2020, il est prévu de ramener ce chiffre à 350 millions d’euros en 2021, soit une baisse de plus de 25 %, ce qui est colossal.

Evolution du montant annuel des dépenses d’investissement de la Métropole AMP depuis sa création (source ©
Rapport d’orientation budgétaire Métropole AMP)

Tous les projets vont donc devoir être revus à la baisse ou leur réalisation étalée dans le temps. Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle pour les entreprises qui sont très dépendantes des marchés publics mais pas non plus pour les habitants qui attendent justement de la Métropole la mise en œuvre de programmes structurants pour améliorer enfin les réseaux de transport en commun et la mobilité urbaine dans un contexte de transition écologique. Heureusement, cela n’entravera pas les projets de la Ville de Carnoux toujours aussi généreusement servie par la Métropole qui continue à financer les yeux fermés le coûteux programme d’enfouissement des réseaux aériens engagé depuis des années grâce au financement des autres habitants de la Métropole voire du Département…

La question de savoir qui profite le plus des largesses de la Métropole fait d’ailleurs grincer quelques dents et le sujet n’a pas manqué d’être évoqué à l’occasion de ce récent débat sur les orientations budgétaires de l’intercommunalité. Certains se sont en effet étonnés que le territoire Marseille-Provence, qui regroupe 18 communes dont la principale agglomération Marseille, ne bénéficie au final que de 46 % des investissements prévisionnels de la Métropole alors qu’il concentre près de 60 % des habitants. Inversement, le Pays d’Aix, avec à peine plus de 20 % des habitants de la Métropole, se réserve royalement 36 % du budget total d’investissement destiné aux territoires.

Répartition des dépenses d’investissement prévisionnelles de la Métropole AMP pour 2021 (source © Rapport d’orientation budgétaire Métropole AMP / mise en forme CPC )

Une répartition qui reflète parfaitement les rapports de force politiques au sein de la Métropole. Martine Vassal n’a bien évidemment aucun intérêt à favoriser l’investissement sur la ville de Marseille, désormais gérée par une autre majorité, tandis qu’elle ne peut rien refuser à la maire d’Aix et à sa fille, Sophie Joissains, qui avec Gérard Bramoullé, tiennent les postes clés de la Métropole et ont largement contribué à lui permettre de sauver son fauteuil de Présidente. Quant aux habitants de Martigues, toujours aux mains du communiste Gaby Charroux, ils devront se contenter de 1,8 % du budget d’investissement métropolitain, soit deux fois moins que le poids démographique de leur territoire : malheur aux vaincus…

Cette répartition budgétaire pour 2021 confirme en tout cas clairement que la part des investissements gérés à l’échelle métropolitaine et qui correspondent réellement aux besoins structurants du territoire reste portion congrue puisqu’elle ne représente que 12,8 % du budget global d’investissement de la métropole. Ce n’est pas encore en 2021 que les lignes de transports en commun permettant de desservir l’aire métropolitaine et la construction de logements sociaux passeront avant le financement des ronds-points avec le nom du village écrit en lettres de bronze… L’intérêt général devra encore patienter un peu !

L. V.

A Gardanne, les boues rouges, c’est (bientôt) fini…

10 décembre 2020

Voilà décidément un feuilleton qui ne manque pas de rebondissements. Installée depuis 1893 à Gardanne, l’usine créée par Péchiney et qui fut la première en France à exploiter à l’échelle industrielle le procédé Bayer permettant de produire de l’alumine à partir du minerai de bauxite, va donc bientôt tirer le rideau sur ce passé industriel, glorieux en termes d’avancée technologique, un peu moins en termes d’impact environnemental.

Vue aérienne de l’usine Alteo à Gardanne (source © Reporterre)

Rappelons pour ceux qui auraient raté le début de l’histoire que le talon d’Achille de cette industrie qui fournit des alumines de spécialité non plus pour la transformer en vulgaire aluminium mais comme composant essentiel des technologies de pointe (pour les écrans de smartphone et de téléviseurs en particulier), ce sont les énormes quantités de déchets qu’elle produit.

Ces fameuses boues rouges, longtemps cachées sous le tapis, disséminées dans tous les vallons discrets qui bordent l’agglomération marseillaise, au risque de catastrophes industrielles comme encore récemment au Brésil, ont ensuite été tout simplement déversées en mer, en plein cœur du Parc national des Calanques, par une canalisation toujours en activité, même si les effluents qui y sont rejetés sont désormais davantage épurés. Depuis des années, un bras de fer se poursuit entre l’actuel propriétaire du site, le fonds d’investissement américain HIG Capital, qui a rebaptisé le site du doux nom d’Alteo, et les autorités environnementales qui l’obligent à traiter ses déchets industriels en séparant les résidus solides des eaux de process.

Filtre presse permettant d’extraire les résidus solides des boues rouge sur le site de Gardanne (source © Marsactu)

Un bras de fer qui, malgré la mansuétude des autorités préfectorales et les généreuses subventions de l’Agence de l’Eau, a conduit Alteo à se déclarer en faillite fin 2019. Depuis un an, le bal des repreneurs a battu son plein avec pas moins de 8 prétendants qui se sont penchés sur le dossier, avec plus ou moins de bonne volonté.

Le 18 novembre dernier, il ne restait ainsi plus que deux offres en lice. D’un côté le fonds d’investissement américain HIG propose de reprendre l’usine avec l’aide du groupe franco-guinéen de transport et de logistique United mining supply (UMS), représentée par son administrateur Alain Moscatello. UMS qui détient 30 % des actifs du consortium SBM-Winning, lequel exploite, aux côtés de l’État guinéen, du Chinois Shandong Weiqiao et de l’armateur singapourien Winning Shipping Ltd, le plus gros gisement de la République de Guinée, avec une production annuelle de 42 millions de tonnes de bauxite.

Exploitation de bauxite par la Société minière de Boké (source © Afrik)

En face, l’autre repreneur potentiel était représenté par Xavier Perrier, ancien directeur des opérations de l’usine Péchiney, lequel se proposait de reprendre le site via une holding dénommée Alto, en association avec Alain de Krassny, propriétaire de Kem One, deuxième producteur européen de PVC. Arrivé tardivement dans le dossier, ce dernier avait demandé au Tribunal de Commerce un délai pour peaufiner son offre, délai qui lui a été accordé jusqu’au 12 décembre.

Il faut dire que les deux offres s’opposaient sur un point essentiel. Celle des Guinéens proposait d’arrêter purement et simplement la production locale d’alumine brute, à l’origine de la formation des fameuses boues rouges dont l’élimination pose un véritable casse-tête écologique et de ne conserver sur place que la fabrication des alumines de spécialité à partir d’alumine importée. Une solution qui ne peut que satisfaire les défenseurs de l’environnement puisqu’elle met fin à la production de 300 00 tonnes de déchets toxiques qui continuent à s’accumuler bon an mal an sur le vallon de Mange Garri, mais qui laisse sur le carreau 98 des 484 employés que compte le site, malgré l’investissement de 40 millions d’euros promis par le repreneur, destinés pour l’essentiel à remettre en état un four afin d’accroître de 75 000 tonnes par an la capacité de production.

Vue aérienne des bassin de stockage de boues rouges à Mange Garri (source © Analytika)

L’offre d’Alto en revanche souhaitait conserver à Gardanne la production d’alumine par le procédé Bayer traditionnel. Mais cette offre, qui tablait sur un investissement global de 100 millions d’euros, était conditionnée par l’obtention d’un prêt de 50 millions d’euros, garanti par la Région et par l’État, lesquels n’ont pas été en capacité de s’engager à une telle hauteur. Le 12 décembre 2020, lors de l’audience du Tribunal de Commerce, Alto a donc dû se résigner à retirer son offre.

Le verdict final ne sera rendu que le 7 janvier prochain mais, sauf nouveau coup de théâtre, l’issue de ce long feuilleton ne fait maintenant plus guère de doute : c’est l’offre des Guinéens, désormais seule en course, qui l’emportera et l’usine de Gardanne va devoir une fois de plus changer de pavillon tout en tournant le dos à 127 années de fabrication d’alumine par le procédé Bayer.

Chargement de bauxite en Guinée par la société UMS (source © YouTube)

Un tournant historique qui confirme, s’il en était besoin, que la conciliation entre production industrielle lourde et respect de l’environnement est loin d’être aisée, même si chacun se doute bien que le fait de délocaliser en Guinée la production d’hydrate d’alumine ne diminue en rien l’impact environnemental global du processus pour la planète…

L. V.

Au Mali, l’hydrogène coule de source

8 décembre 2020

Depuis quelques années, on entend plus souvent parler du Mali pour la fréquence de ses coups d’État ou pour la violence des accrochages entre les rebelles djihadistes et les forces armées régulières épaulées par de nombreux militaires français, que pour l’excellence de son industrie de haute technologie. Il semble bien loin le temps de l’Empire mandingue du Mali, fondé au XIIIe siècle par Soundiata Keita et dont la renommée internationale était alors considérable. Les chroniqueurs arabes ont en particulier retenu le voyage fastueux que fit l’empereur Kankou Moussa à la Mecque en 1324, accompagné de 60 000 porteurs et d’environ 10 tonnes d’or, généreusement distribuées en route, au point de faire baisser durablement le cour mondial du métal précieux…

Représentation du roi Kankou Moussa sur une carte nautique catalane du XIIIe siècle (source © Atlas catalan d’Abraham Cresques, Majorque, 1375 / Bibliothèque nationale de France / Héritage Images / Leemage / Citeco)

Depuis ces époques fastueuses, et l’indépendance du pays en 1960, le Mali s’est heurté à bien des vicissitudes du fait de son instabilité politique et surtout du climat semi-désertique qui règne sur les deux tiers de son territoire actuel. Le développement de l’exploitation aurifère a certes permis au Mali de devenir le troisième exportateur africain d’or. La production de coton constitue également une importante source de devises, mais depuis 2005 les cours mondiaux de la fibre textile sont en baisse et les agriculteurs produisent trop souvent à perte. Dans un pays où 80 % de la population vit encore de l’agriculture et de l’élevage, qui est confronté depuis des années à des violences interethniques attisées par les mouvements djihadistes et dont l’indice de développement humain est l’un des plus bas de la planète, l’espérance de vie ne dépasse pas 53 ans et le produit intérieur brut par habitant n’excède pas 827 dollars par habitant selon la Banque mondiale, à peine plus qu’en Éthiopie et 5 fois moins qu’en France.

Visite du président de Petroma sur le champ captant de Bourakebougou (source © Maliweb)

Et pourtant, c’est dans ce pays encore largement rural et arriéré par bien des égards, qu’a été développée une technologie unique au monde et qui consiste à exploiter directement de l’hydrogène naturel comme source d’énergie : le graal auquel aspire tout énergéticien en marche vers une transition écologique durable !

Rappelons en effet que l’hydrogène, dans lequel chacun place désormais les espoirs les plus fous pour s’orienter vers l’énergie décarbonée de demain, est classiquement produit selon deux méthodes très différentes. La plus plus couramment utilisée jusqu’à présent consiste à gazéifier du charbon ou à procéder au vaporeformage de gaz naturel (méthane) à haute température et forte pression : une opération gourmande en énergie et qui surtout libère d’énormes quantités de CO2, ce qui n’est guère favorable dans un contexte de réchauffement climatique par effet de serre… L’alternative existante est de procéder à l’électrolyse de l’eau, ce qui diminue l’impact environnemental mais nécessite beaucoup d’électricité avec un rendement très discutable et n’a d’intérêt que si l’on utilise pour cela une source d’énergie renouvelable.

Mais voilà que au Mali, dans le village de Bourakebougou, situé à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale Bamako, un forage réalisé en 2011 pour chercher de l’eau (en vain) est tombé sur une source naturelle d’hydrogène à 110 m de profondeur. Un gaz pur à 98 %, emprisonné dans les interstices d’une roche gréseuse très poreuse, et que la société malienne Petroma, rebaptisée depuis Hydroma, dirigée par l’homme d’affaires Aliou Boubacar Diallo, a décidé d’exploiter directement pour produire de l’électricité qui, depuis 2013, éclaire la mosquée et la place du village tout en alimentant les habitations d’une centaine de famille. Depuis cette trouvaille miraculeuse, ce sont en effet pas moins de 25 puits qui ont été forés sur ce site et tous se sont révélés productifs, sans montrer de baisse de rendement après plusieurs années d’exploitation, ce qui est très encourageant,

Aliou Boubakar Diallo, le dirigeant de la société malienne Petroma (photo © CC BY-SA 3.0 / Actu-Mag)

C’est la première unité au monde qui exploite ainsi une source naturelle d’hydrogène pour produire de l’électricité en alimentant un groupe électrogène. Et la société Petroma est persuadée que ce site n’est pas un cas particulier puisqu’elle a obtenu début 2016 un permis d’exploration sur une vaste zone où s’étend en profondeur cette couche géologique du craton africain, protégée par une couverture imperméable qui permet de piéger le gaz en profondeur.

Deux géologues français issus de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles, Alain Prinzhofer et Eric Deville, ont d’ailleurs publié en mai 2015, un ouvrage à ce sujet qui a fait beaucoup de bruit. Intitulé L’hydrogène naturel, la prochaine révolution énergétique ?, il rappelle que les sources naturelles d’hydrogène sont connues depuis les explorations menées par l’IFREMER dans les années 1970 à 4 000 m de profondeur.

Alain Prinzhofer, le scientifique qui traque les sources d’hydrogène natif (source
© YouTube)

Les scientifiques étaient jusque-là persuadés que de telles émanations n’étaient pas possibles en milieu continental. Jusqu’à ce qu’en 2010, des collègues russes signalent aux deux géologues français qu’ils avaient observé des flux conséquents d’hydrogène s’échappant du sol : un débit estimé à quelques 40 000 m³ par jour sur l’un des sites observés ! Ce gaz serait produit en profondeur par une réaction de réduction de l’eau en hydrogène, l’oxydant en action étant le fer sous forme ferreuse Fe2+, mais pouvant être aussi le magnésium, la réaction étant fortement facilitée lorsque la température augmente, ce qui est le cas en profondeur. Contrairement au pétrole, l’hydrogène gazeux est très volatil et s’échappe rapidement du sous-sol au fur et à mesure de sa formation, sauf lorsqu’il reste emprisonné dans des poches à la configuration favorable comme à Bourakebougou…

De quoi donner des idées à de nombreux géologues à la recherche permanente de l’Eldorado, d’autant que l’hydrogène ainsi produit serait quasi inépuisable puisque ces réactions se produisent en temps réel : il s’agit d’exploiter un flux et non pas un stock fossile comme avec le pétrole… Une compagnie américaine NH2E a ainsi foré un premier puits au Kansas en 2019 en vue d’une exploitation potentielle. Une société française 45-8 Energy recherche de son côté à le fois de l’hydrogène et de l’hélium. Quant à Alain Prinzhofer, il est désormais directeur scientifique de l’entreprise brésilienne GEO4U, qui tente de monter un consortium avec le géant pétrolier brésilien Petrobras pour développer l’exploration, tout en nouant en parallèle des contacts avec Total. Sa lubie actuelle ? Détecter par voie aérienne des formations circulaires où la végétation peine à se développer, des sortes de « ronds de sorcière » géants qui pourraient être la signature de points d’émanation naturelle de l’hydrogène du sous-sol…

« Rond de sorcière » d’environ 800 m de diamètre, d’où s’échappe de l’hydrogène dans le Minas Gerais, au Brésil (photo © A. Prinzhofer / Connaissance des énergies)

Cette découverte d’hydrogène présent à l’état pur dans le sous-sol est peut-être à l’origine d’une véritable révolution. De la même manière qu’on a commencé à extraire le méthane du charbon, dans les fameuses « usines à gaz » dont on peine encore à se débarrasser des vestiges et de leurs sols pollués en profondeur, avant de s’apercevoir qu’il était beaucoup plus simple d’extraire directement le gaz naturel des gisements fossiles présents dans le sous-sol, de même nous sommes peut-être au tournant d’une évolution comparable pour l’hydrogène. Plutôt que de l’extraire du charbon ou de l’eau via des procédés industriels complexes, polluants et/ou à faible rendement énergétique, il sera peut-être possible demain d’aller le chercher directement à la source. Avec un avantage certain par rapport aux gisements fossiles de gaz naturel puisque cette source pourrait bien être renouvelable.

Une telle source d’énergie serait d’autant plus intéressante à exploiter qu’elle ne rejette pas de gaz à effet de serre. Mais elle risque surtout de changer notre rapport à l’énergie, au même titre d’ailleurs que le solaire ou l’éolien. Comme dans le village de Bourakebougou, en pays Mandingue, un tel flux naturel d’énergie est à consommer sur place : nul besoin donc de chercher à la stocker ou à la transporter sur des milliers de kilomètres via d’immenses réseaux interconnectés nécessitant une très lourde gestion centralisée : on n’arrête pas le progrès…

L. V.

VGE et l’IVG : un tournant de société ?

6 décembre 2020

Décédé ce 2 décembre 2020 à 94 ans de la Covid-19, bien qu’immortel depuis son accession à l’Académie française en 2003, Valéry Giscard d’Estaing, VGE comme il fut souvent surnommé, n’aura pas laissé que de bons souvenirs de son septennat. Élu de justesse Président de la République en 1974 face à François Mitterrand, peut-être pour avoir eu le bon goût de lui rappeler devant des millions de téléspectateurs, qu’il n’avait pas « le monopole du cœur », il arriva au pouvoir en pleine crise économique liée au flambement des prix du pétrole.

Valéry Giscard d’Estaing en 1974 (photo © Présidence de la République / Ma Commune)

Après des décennies d’euphorie, les fameuses « trente glorieuses », son septennat est surtout caractérisé par l’amorce d’une désindustrialisation massive de la France. C’est alors la crise de la sidérurgie et la mise en place de la taxe professionnelle qui impose lourdement l’industrie. Attaché à la rigueur budgétaire, Valéry Giscard d’Estaing s’acharne à limiter les déficits publics et l’inflation, ainsi que le montant de la dette (contenue autour de 20 % du PIB, alors que -rappelons-le- le dernier budget rectificatif 2020 la prévoit à un niveau record de 121 % du PIB !).

Mais cette politique d’austérité et de lutte contre l’inflation, menée par son second Premier ministre, Raymond Barre, se traduit par un alourdissement de l’imposition sur les classes moyennes, une forte hausse des prix de l’essence et de l’alcool et surtout une explosion du chômage de masse avec pour la première fois plus de 1 million de chômeurs en France et un ralentissement de la hausse du pouvoir d’achat, de quoi entretenir une grogne tenace contre un tel gouvernement.

Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre, Premier ministre de 1976 à 1981 (photo © archives MAXPPP / Midi Libre)

Les inégalités sociales ne font que croître et la précarité augmente avec la mise en place des premiers contrats à durée déterminée tandis que les choix industriels du pays interrogent, à une période où les chocs pétroliers successifs mettent en avant la nécessité d’une transition énergétique et le développement d’un modèle de développement plus durable. C’est en effet sous la présidence de Giscard que sont lancés le programme TGV et le surrégénérateur Superphénix, à Creys-Malville qui se terminera par un fiasco.

Mais VGE restera incontestablement dans l’Histoire pour certaines de ses actions qui ont marqué durablement la société française. Quelques années après l’explosion sociale de mai 68, la France restait malgré tout corsetée par les politiques très conservatrices menées par le Général de Gaulle puis par Georges Pompidou. Élu Président de la République à 48 ans, Valéry Giscard d’Estaing savait que la jeunesse du pays ne faisait pas partie de son électorat, ce qui ne l’a pas empêché d’abaisser d’entrée l’âge du droit de vote à 18 ans, ce qui était un signal fort en direction de la jeunesse qui devait alors attendre jusqu’à 21 ans son émancipation.

Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des finances en août 1969, avec son secrétaire d’État au budget, Jacques Chirac (photo ©
AP Photo / Info TV5 monde)

La nomination en 1974 au poste de Secrétaire d’État chargée de la Condition féminine, de Françoise Giroud, alors journaliste féministe en vue, engagée clairement à gauche, fait aussi partie de ces choix qui ont contribué à accompagner une forte évolution de la société française encore très patriarcale à cette époque. De nombreuses mesures sont mises en œuvre en faveur de l’émancipation des femmes, depuis l’instauration du divorce par consentement mutuel jusqu’au remboursement de la pilule par la Sécurité sociale en passant par la garantie de l’accès à l’emploi pour les femmes enceintes. C’est en 1975 seulement que la loi Haby impose la mixité à tous les niveaux du système éducatif français, renforçant ainsi la voie vers un accès plus égalitaire des deux sexes à la formation et à l’épanouissement professionnel, une évolution qui ne s’est pas arrêtée depuis cette date.

Valéry Giscard d’Estaing avec Simone Veil (au centre) et Françoise Giroud (à droite) en novembre 1980 (photo © AFP / France Inter)

Le combat en faveur de la dépénalisation de l’avortement et de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est aussi incontestablement à mettre au crédit de ce Président qui eut le courage d’imposer cette réforme contre l’avis unanime de son clan politique et contre la volonté de son Premier ministre d’alors, un certain Jacques Chirac. Ce geste lui vaudra d’ailleurs une crise diplomatique avec le Vatican et la perte d’une partie non négligeable de son électorat naturel catholique et conservateur, ce qui fut probablement à l’origine de sa défaite de 1981, plus sûrement que la fameuse affaire des diamants de Bokassa qui lui colle encore à la peau…

C’est à la Ministre de la Santé, la magistrate Simone Veil, qu’il revient la lourde charge de porter ce texte face à un Parlement hostile, ce qui lui vaut des injures et des menaces de mort de la part de la droite et de l’extrême-droite. Une bonne part des élus de la majorité s’oppose frontalement à ce projet de loi qui n’est adopté que grâce au soutien de la gauche et du centre, confirmant s’il en était besoin que, sur les sujets de société, les notions de clivage politique perdent de leur sens.

Un dessin d’actualité signé KAK (source © L’Opinion)

Le choix de Valéry Giscard d’Estaing de pousser en 1979 Simone Veil vers la présidence du Parlement européen conforte le fait que celui qui restera dans la postérité pour ses côtés aristocrates et calculateurs, mal aimé des Français malgré ses efforts pour faire peuple, n’a pas ménagé sa peine pour donner aux femmes davantage de responsabilités et toute la place qu’elles méritent au sein d’une société qui, dans les années 1970, était loin d’être aussi ouverte qu’actuellement. Cela méritait d’être salué !

L. V.

Le français une langue animale…

4 décembre 2020

Jean d’Ormesson, qui nous a quitté en 2017 à l’âge de 92 ans, quelques heures avant une autre icône de la culture populaire, Johnny Halliday, restera dans les mémoires comme un virtuose de la langue française et de l’art de la conversation. Élu à l’Académie française en 1973, il y siégera pendant plus de 40 ans et s’en fera l’un des porte-paroles les plus appréciés du grand public pour son aisance à s’exprimer dans les médias. Homme de droite et conservateur par nature, se définissant lui-même comme gaulliste, lui qui dirigea pendant quelques années le journal Le Figaro se voyait néanmoins comme un homme de progrès et d’ouverture.

Jean d’Ormesson en 2014 dans le jardin de son hôtel particulier, à Neuilly-sur-Seine (photo © Patrick Lafrate / Valeurs actuelles)

Auteur d’une bonne quarantaine d’ouvrages, des grandes fresques historiques comme des essais philosophiques, il serait aussi à l’origine, dit-on, de ce petit billet d’humour qui resurgit régulièrement, repris un peu partout mais que l’on ne se lasse pas de relire, pour le plaisir des mots…

« Myope comme une taupe », « rusé comme un renard », « serrés comme des sardines » … les termes empruntés au monde animal ne se retrouvent pas seulement dans les fables de La Fontaine, ils sont partout.

La preuve : que vous soyez fier comme un coq, fort comme un bœuf, têtu comme un âne, malin comme un singe ou simplement un chaud lapin, vous êtes tous, un jour ou l’autre, devenu chèvre pour une caille aux yeux de biche.

Vous arrivez à votre premier rendez-vous fier comme un paon et frais comme un gardon et là, … pas un chat ! Vous faites le pied de grue, vous demandant si cette bécasse vous a réellement posé un lapin.

Il y a anguille sous roche et pourtant le bouc émissaire qui vous a obtenu ce rancard, la tête de linotte avec qui vous êtes copain comme cochon, vous l’a certifié : cette poule a du chien, une vraie panthère ! C’est sûr, vous serez un crapaud mort d’amour.

Mais tout de même, elle vous traite comme un chien.

Vous êtes prêt à gueuler comme un putois quand finalement la fine mouche arrive. Bon, vous vous dites que dix minutes de retard, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard.

Sauf que la fameuse souris, malgré son cou de cygne et sa crinière de lion est en fait aussi plate qu’une limande, myope comme une taupe, elle souffle comme un phoque et rit comme une baleine.

Une vraie peau de vache, quoi !

Et vous, vous êtes fait comme un rat.

Vous roulez des yeux de merlan frit, vous êtes rouge comme une écrevisse, mais vous restez muet comme une carpe.

Elle essaie bien de vous tirer les vers du nez, mais vous sautez du coq à l’âne et finissez par noyer le poisson. Vous avez le cafard, l’envie vous prend de pleurer comme un veau (ou de verser des larmes de crocodile, c’est selon). Vous finissez par prendre le taureau par les cornes et vous inventer une fièvre de cheval qui vous permet de filer comme un lièvre.

C’est pas que vous êtes une poule mouillée, vous ne voulez pas être le dindon de la farce.

Vous avez beau être doux comme un agneau sous vos airs d’ours mal léché, faut pas vous prendre pour un pigeon car vous pourriez devenir le loup dans la bergerie.

Et puis, ça aurait servi à quoi de se regarder comme des chiens de faïence.

Après tout, revenons à nos moutons : vous avez maintenant une faim de loup, l’envie de dormir comme un loir et surtout vous avez d’autres chats à fouetter.

Jean d’Ormesson

Marseille : un nouvel audit accablant

2 décembre 2020

A Marseille, les audits se suivent et se ressemblent, malheureusement… Le dernier en date a été réalisé par l’Institut Montaigne, une association d’orientation franchement libérale pour ne pas dire capitaliste, créée il y a une vingtaine d’années par Claude Bébéar, alors PDG d’Axa, financée par de grandes entreprises et qui regroupe des cadres dirigeants du privé, des hauts fonctionnaires, des universitaires et des personnalités de la société civile, tous animés par la volonté d’améliorer la compétitivité de notre économie nationale, d’assainir les finances publiques, d’améliorer l’efficacité des politiques publiques et de renforcer la cohésion sociale.

Rien d’étonnant donc que l’audit réalisé tout récemment par un tel acteur et relayé par certains médias dont Les Échos mais aussi Marsactu, soit aussi sévère pour le territoire métropolitain marseillais qui n’est guère connu pour être un modèle de cohésion sociale, de gouvernance efficace et de compétitivité économique. Pour autant, le constat rendu public par l’Institut Montaigne à l’issue d’une année d’étude, est particulièrement sévère.

Intitulé « Construire la métropole Aix-Marseille-Provence de 2030 », le rapport se veut prospectif et constructif, même si l’on se doute d’emblée qu’il sous entend que ce qui a été fait depuis la mise en place de la métropole en janvier 2016 n’est sans doute pas à la hauteur des attentes. C’est d’ailleurs ce que confirme le rapport dès sa première phrase introductive : « Six fois plus vaste que le Grand Lyon et quatre fois plus étendue que le Grand Paris, rassemblant 92 communes et 1,85 millions d’habitants, la Métropole Aix-Marseille-Provence est la deuxième métropole française. Sa taille, son positionnement stratégique au cœur du bassin méditerranéen, la présence d’un réseau d’infrastructures modernes, et en premier lieu son grand port maritime, confèrent à ce territoire un potentiel hors-normes. Cependant, celui-ci ne trouve pas suffisamment à s’exprimer ».

Vue aérienne de la ville de Marseille prise depuis l’espace par Thomas Pesquet le 19 février 2017 (source © T. Pesquet / ESA / NASA / SIPA / 20 minutes)

En d’autres termes, les experts du think tank, aidés dans leur tâche par le cabinet Stan, mais aussi par la Chambre de commerce et d’industrie, par l’union patronale UPE 13 et par le club d’entrepreneurs Top 20, se demandent comment, avec de tels atouts, on a pu arriver à une situation aussi catastrophique. Le coup est rude pour Jean-Claude Gaudin et son clan qui étaient quand même aux manettes de la ville depuis 25 ans, mais le constat est sans appel. Les auditeurs pointent notamment les inégalités sociales nettement plus élevées qu’ailleurs mais aussi le taux de pauvreté qui atteint 22 % à Marseille où 40 % des ménages vivent des aides sociales. Ils s’attardent aussi sur la ghettoïsation à l’œuvre, pointant la présence de 37 quartiers prioritaires à Marseille, dans lesquels vit 27 % de la population (contre 7 % à Paris!) et 40 000 logements potentiellement indignes (soit plus de 10 % des logements de la ville, un record national !).

Immeuble dégradé de la Cité Corot dans les quartiers nord de Marseille (photo © Ian Hanning / REA / Les Echos)

Le rapport n’est pas tendre non plus sur la qualité des services publics qui n’est manifestement pas à la hauteur des besoins. La métropole ne compte ainsi que 1 130 km de transports en commun (bus, métros et tramways confondus) contre 3 890 pour l’agglomération lyonnaise pourtant nettement moins étendue… Or un quart de la population marseillaise ne dispose pas de voiture, principalement dans les quartiers nord, les plus mal desservis, où il faut parfois plus d’une heure simplement pour rejoindre le pôle d’échange de la gare Saint-Charles. Les 253 zones d’activité que compte la métropole sont donc pour beaucoup d’entre eux tous simplement inaccessibles pour des trajets quotidiens…

Des transports en commun insuffisants et peu fiables dans l’agglomération marseillaise (photo © Gérard Julien / AFP / Orange)

La qualité de l’enseignement proposé est aussi pointée du doigt car les résultats sont désespérants : la proportion des moins de 30 ans sans formation et sans emploi (18 %) y est la plus élevée des métropoles françaises (après Toulon, maigre consolation…) et cette proportion atteint 39 % dans les quartiers nord de Marseille. Pas étonnant donc que, malgré le soleil et la mer, cette métropole soit l’une des moins attractive de France, avec un solde migratoire négatif en faveur d’autres territoires.

Face à un tel constat, l’Institut Montaigne se veut pourtant optimiste pour l’avenir et reste persuadé que cette métropole qui végète peut exploiter ses multiples atouts, à condition de se retrousser les manches. Sans surprise, on retrouve parmi les 40 propositions qui ressortent de ce rapport, des évidences maintes fois ressassées, comme la nécessité d’élire enfin les conseillers communautaires au suffrage direct, de mettre en place des budgets citoyens pour plus de transparence, et de fusionner le Département avec la Métropole dont le périmètre est quasi identique mais dont la principale fonction actuelle est de servir le clientélisme des élus et de financer les ronds-points et autres menus travaux des communes périphériques.

Les dysfonctionnements flagrants de la Métropole, déjà pointés tout récemment par la Chambre régionale des Comptes, sont rappelés, notamment le niveau d’endettement inquiétant (sans même parler de celui de la Ville de Marseille, proprement effarant, à hauteur de 1910 € par habitant, et surtout paralysant…) et le fait que la Métropole reverse 60 % de son budget aux communes : efficace pour acheter la paix politique, pas vraiment pour répondre aux grands défis d’aménagement du territoire métropolitain !

La métropole, une gouvernance à améliorer ? Séance plénière en février 2019 (photo
© Nicolas Vallauri / Maxppp / France 3 Régions)

Mais les propositions du rapport vont bien au-delà. Elles prônent notamment une politique volontariste pour lutter contre le décrochage scolaire, soutenir la mixité sociale et rénover en profondeur les écoles marseillaise qui tombent en ruine après des décennies d’absence d’entretien. Elles insistent aussi sur le développement des infrastructures de transport avec notamment l’accélération des travaux de transformation de la gare Saint-Charles, mais aussi le développement de la gratuité des transports en commun, la multiplication des bornes de recharge pour véhicules électriques ou la mise en place d’une plateforme unique pour organiser le covoiturage. Elles rappellent également l’urgence à rénover les centre-villes en voie de paupérisation, notamment à Marseille, mais surtout de rééquilibrer l’offre de logement social sur le territoire métropolitain et d’augmenter les espaces verts urbains qui se font trop rares.

Au delà de ces propositions, l’originalité de ce rapport est de tracer des pistes pour mieux tirer profit à l’avenir des nombreux atouts que compte malgré tout ce territoire idéalement placé au cœur de l’espace méditerranéen. Il met en avant en particulier l’opportunité à devenir une plaque tournante majeure dans le développement de la filière hydrogène et surtout dans le traitement de la donnée numérique.

Théodora, le projet de campus du numérique envisagé par Jaguar Network près du futur parc des Aygalades (source © cabinet VELG / Nouvelles publications)

En quelques années, les opérateurs de télécommunication ont en effet fait arriver sur les côtes marseillaises pas moins de 14 câbles sous-marins à haut-débit et d’autres sont en cours, ce qui va faire entrer Marseille dans le top 5 des hubs numériques mondiaux. Certains opérateurs dont le groupe néerlandais Interxion exploitent déjà largement ce potentiel avec trois data centers opérationnels dans la cité phocéenne et un quatrième en projet pour 2022, tandis que l’opérateur de télécommunications marseillais Jaguar Network prépare l’ouverture d’un futur campus numérique dans les quartiers nord, pour former les futurs opérateurs de cette révolution numérique en marche qui donnera peut-être un nouveau souffle à la métropole, qui sait ?

L. V.