A Marseille la gestion de l’eau a toujours été un sujet sensible dans lequel il ne vaut mieux ne pas se montrer trop curieux. Le renouvellement de la délégation de service public en 2013 pour la distribution de l’eau potable et la gestion des eaux usées a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs mises en examen, dont celle de Martine Vassal, excusez du peu. Mais bizarrement, l’affaire n’a jamais été jugée jusqu’à présent. Toujours est-il que depuis cette date, c’est le SERAMM, Service d’assainissement Marseille Métropole, une filiale du groupe Suez créée spécifiquement pour gérer ce marché, qui a en charge la gestion des eaux usées et des eaux pluviales sur la commune de Marseille mais aussi sur celles de Carnoux-en-Provence, d’Allauch, du Rove, de Septèmes-les-Vallons et sur la zone industrielle de Gémenos.
C’est donc le SERAMM qui exploite la station de traitement des eaux usées construite en 1987 sous le stade Delort, à proximité du stade Vélodrome. Équipée en 2008 d’un étage de traitement biologique pour respecter (avec un léger retard) la réglementation européenne de 1991, cette centrale enterrée, dénommée désormais Geolide, présente une capacité de traitement de 1,86 millions d’équivalents habitants. Chaque année, de l’ordre de 80 millions de m³ d’eaux usées transitent ainsi par cette usine pour être débarrassées de leurs polluants, les eaux traitées étant rejetées directement en mer par l’émissaire de Cortiou située en plein cœur du Parc national des Calanques.
Les boues qui se déposent dans les décanteurs du circuit de traitement physico-chimique et à l’issue du traitement biologique sont quant à elles pompées pour être acheminées vers l’usine de traitement des boues, également gérée par le SERAMM et qui se situe dans une ancienne carrière de La Cayolle, près de Sormiou. Les boues fluides y sont traitées mécaniquement dans des épaississeurs où elles décantent par gravité tandis que l’eau excédentaire est renvoyée à la station de traitement en amont. Une fois épaissies, les boues sont acheminées dans un digesteur qui permet de produire du biogaz à partir de déchets organiques, selon un processus qui équipe désormais la plupart des stations d’épuration.
Dans un digesteur, réservoir étanche maintenu à une température optimale de 35 à 55 °C et en l’absence d’oxygène, la matière organique présente dans les boues subit naturellement plusieurs transformations successives sous l’effet de souches bactériennes spécifiques. Le substrat est d’abord transformé en acides aminées, sucres et acides gras par hydrolyse. Puis ces produits sont eux-mêmes décomposés en acides organiques qui se transforment ensuite en acétate, tout en produisant du CO2 et du dihydrogène H2. Enfin, l’acétate évolue à son tour en méthane tandis que CO2 et H2 se combinent également pour former aussi du méthane CH4. On obtient finalement un biogaz constitué en partie (de l’ordre de 60 %) de méthane et en partie de gaz carbonique CO2 ainsi que de différents sous-produits dont du H2 S.
A l’issue de ce processus de méthanisation, il subsiste du digestat qui peut être valorisé en épandage agricole tandis que le biogaz produit peut être utilisé sous différentes formes. A l’usine de Sormiou et jusqu’à très récemment, il était simplement brûlé sur place pour participer au processus industriel. En 2017 enfin, il a été décidé d’investir dans un dispositif de valorisation plus poussé du biogaz afin de l’injecter directement dans le réseau de distribution du gaz naturel, selon un système désormais bien rôdé, plutôt que de brûler l’excédent via des torchères comme on le faisait jusque-là.
Un investissement important de près de 9,2 millions d’euros dans lequel Suez n’apporte finalement qu’un peu moins de 2,4 millions, moins que l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse qui verse plus de 2,5 millions, presque autant que la Métropole Aix-Marseille-Provence à qui appartient l’installation. Le reste a été subventionné largement par la Région PACA (à hauteur de 800 000 €) et par l’ADEME (pour 640 000 €). Une belle opération donc pour le SERAMM qui se vante de mettre ainsi en œuvre « le projet de production de biométhane le plus important en France ».
La construction s’est étalée sur un peu plus de 18 mois, pour créer une unité de transformation permettant de produire environ 3,8 millions de Nm3 de biogaz par an (normo mètre cube, correspondant à 1 m³ de gaz dans des conditions normales de pression et de température) tout en développant de nouveaux échangeurs thermiques pour augmenter l’efficacité énergétique du processus de digestion des boues. A terme, le méthane qui sera ainsi injecté directement dans le réseau devrait couvrir la consommation énergétique de 8 000 foyers ou, au choix, l’approvisionnement annuel de 150 bus de la RTM.
Une belle opération pour Suez qui se rémunérera sur la vente du biogaz ainsi injecté dans le réseau tout en prenant à sa charge les coûts de fonctionnement (évalués quand même à 900 000 € par an) et en reversant pendant 10 ans une redevance annuelle de 265 000 €. Mais surtout une belle action de communication pour la région PACA qui se gargarise d’avoir investi pour une « initiative exemplaire » dans ce projet « qui rentre pleinement dans les objectifs de notre plan climat régional. Cette nouvelle usine va permettre de mieux exploiter les ressources énergétiques locales pour accélérer la transition écologique et améliorer nos performances environnementales », comme l’a exprimé la mine réjouie, un Renaud Muselier qu’on voit hilare aux côtés de Jean-Claude Gaudin lors de l’inauguration des installations qui a eu lieu le 2 avril 2019.
Reste à savoir si l’opération est véritablement rentable, ce dont on peut douter au vu du rapport sur « le verdissement du gaz » remis en juillet 2019 au comité de prospective de la Commission de régulation de l’énergie. Il y est notamment rappelé que la loi de transition énergétique de 2015 prévoyait que 10 % du gaz utilisé en 2030 devrait être issu de la méthanisation de biodéchets alors qu’on est très loin de cet objectif avec seulement 700 unités de méthanisation en France contre 10 000 en Allemagne. Mais le rapport note aussi que le coût de production de ce biogaz est évalué entre 90 et 120 € le MWh alors que celui du gaz naturel importé se situe autour de 25 €. A ce tarif, on comprend mieux pourquoi Suez s’est fait autant subventionner par des fonds publics son installation de Sormiou dont elle est si fière…
L. V.