La dernière réunion du cercle de lecture Katulu ? affilié au Cercle Progressiste Carnussien, au cours du premier trimestre 2018, a été encore l’occasion de découvrir ou redécouvrir de nombreux livres coups de cœur ou déceptions, que nos lecteurs se font une joie de vous faire partager. Retrouvez l’intégralité des notes de lecture de ces livres (Katulu_n°56), et venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence, afin d’échanger en toute convivialité autour de vos dernières lectures !
Alabama Song
Gilles Leroy (Prix Goncourt 2007)
Le roman est écrit à la 1ère personne « Je suis Zelda Sayre, fille du juge ». L’auteur incarne donc son héroïne qui n’est autre que l’épouse de Scott Fitzgerald. Pourtant il ne s’agit pas d’une autobiographie, l’auteur dans une note revendique une fiction.
L’action se situe entre 1918 et 1943. A cause de l’époque déjà lointaine, dès les premières pages du livre se dégage une sorte d’air suranné et de photographie sépia qui s’impose à nous, avec cependant et paradoxalement à la suite des dates toujours ponctuées, dans un ordre sans cesse bousculé avec des allers et retour, une impression forte de présence, de vérité et de réalisme et aussi d’actualité.
Ces pages relatent la vie de Zelda. Ses confessions sont parcourues des frissons de l’enfance, d’une jeunesse insolente remuante et à travers ces fulgurances du passé une tentative désespérée de décrypter, d’analyser, de comprendre son propre mystère au fil du temps. Zelda est une héroïne touchante, tragique. Jeune fille brillante, désirée par les hommes, elle épouse finalement Scott Fitzgerald. Il représente, malgré lui l’Amérique du Nord, symbole de ce nouveau monde où l’argent et la réussite priment avant tout. Elle, elle est liée au Sud, à la morale puritaine et aux traditions esclavagistes.
Gilles Leroy (photo DR)
Zelda dénonce combien l’avenir est toujours réservé à l’homme. Écrire est une affaire d’homme, le rôle de chef de famille rarement accordé spontanément à la femme. La vérité ne peut que venir de l’homme. La société a choisi la version de Scott plutôt que celle de Zelda. Ce livre pourrait être ainsi un procès à l’injustice faite aux femmes.
Ce roman est touchant par sa musique nostalgique sur les problèmes du couple portés jusqu’à l’extrême désagrégation, une vision de la société avec l’ombre de la guerre toujours latente : violente injuste raciste machiste sexiste. Nous restons le produit de nos racines natales dont on ne peut se libérer totalement. Nous demeurons tous prisonniers d’un destin que nous ne maîtrisons pas totalement.
Je vous laisse rêver avec Alabama Song et choisir ce qui vous touche le plus : les fractures et mystères du couple, les fractures sociales, l’Amérique du Nord et celle du Sud, ses démons conservateurs, racistes, esclavagistes, les conflits toujours latents qui nous guettent, guerres et intolérances en tout genre, ou encore l’injustice faite aux femmes pouvant aller jusqu’au pillage de leurs œuvres et à leur enfermement (on peut se souvenir de Camille Claudel !).
Nicole
Au gré des jours
Françoise Héritier
« Au gré des jours » succède au « Sel de la Vie », une fantaisie qui déjà évoquait les petits plaisirs qui jalonnent l’existence ! Ce livre est sa dernière œuvre !
« Prenez place s’il vous plaît »
Cette première partie est assez édifiante par sa forme, avec son style très particulier, très rapide, sans point final, des phrases à rallonge, des évocations diverses ; elle saute du coq à l’âne suivant où l’entraîne sa mémoire, avec des virgules pour séparer les évocations très différentes l’une de l’autre ! Des descriptions sans lien entre elles s’étalent sur plusieurs pages ; elle cite des acteurs, des chanteurs, des animaux de compagnie ou non, une information saisie à la télé ! Souvenirs d’enfance ou d’adulte.
Toutes ces évocations foisonnantes, poétiques énoncées sur un rythme échevelé, qui ne permet pas de reprendre sa respiration, traduisent chez Françoise Héritier une prodigieuse culture, cette femme anthropologue, ethnologue qui a remplacé Claude Lévy Strauss au Collège de France, en tant que Professeur. On reconnaît la féministe : elle relate la réflexion de Lévi-Strauss : « Vous avez un esprit d’homme ». Un compliment certes, mais la féministe en elle s’irrite !
« Qu’est-ce savoir, qu’est-ce vieillir ? »
Françoise Héritier, en octobre 2013 (photo © DRFP / Leemage / AFP)
Le rythme de l’écriture change, on n’est plus dans le même registre : on est davantage dans l’autobiographie : « que sais-je ? J’ai conscience que je ne sais rien, à peine savoir vivre » Elle raconte sa vie, poétiquement, de façon réaliste et modeste, ainsi quand elle parle de « peur glaçante devant l’immensité de son ignorance et des champs de savoir où il ne s’est jamais aventuré ».
Évocation douloureuse de la dernière guerre mondiale : « l’exode de 1940, l’écoute mystérieuse de Radio Londres », ses études, ses 1eres règles arrivées sans aucun mot d’explication ! « les femmes de mon âge comprendront ! » Absence d’information sur la sexualité, la procréation, l’accouchement, la mort !
On ressent l’ethnologue par ses analyses d’elle en tant qu’individu qui se construit à travers l’histoire. En 1953 – 1956 elle fit la connaissance de Claude Lévi-Strauss : « ce fut pour moi dit-elle une révolution cognitive de découvrir à la fois la diversité culturelle et l’universalité des processus mentaux interprétatifs ».
Je retiens d’elle une grande intelligence, une curiosité insatiable, la défense des femmes, de la simplicité, de l’humour, le goût de l’amitié et de l’authenticité. « Fermez doucement la porte derrière vous » sont les derniers mots de ce livre !
Josette J.
Colette et les siennes
Dominique Bona
Ce livre est-il un roman ? Déjà, ce n’est pas une fiction ! Les héroïnes ont existé. Et l’époque historique qui s’étire de1914 à1954 est particulièrement bien documentée. Les faits relatés sont tirés du réel, de témoignages épistolaires, de correspondances entre les protagonistes, de références littéraires, d’articles de journaux, d’ouvrages historiques : ainsi s’agit-il d’un ouvrage sérieux, fondé sur une documentation fournie.
Il s’agit bien d’une chronique passionnante sur une époque que l’on pourrait croire très éloignée de la nôtre et dont pourtant la reconstitution nous confond. Le récit est vivant, alerte. Il y souffle un air de liberté, de sensualité, de générosité qui nous rappelle, s’il le fallait, que notre temps, notre Mai 68 n’a rien inventé ! Ces femmes sont étonnantes de modernité, de passions, d’absolu.
Dominique Bona (photo © DR)
L’auteur nous plonge avec finesse dans le parallélisme de leurs créations artistiques, de leur intimité et de leurs expériences vécues. Et il faut bien en convenir, le réel dépasse bien souvent la fiction. Leurs expériences vécues illustrent et nourrissent amplement leurs œuvres. Étrangement, leurs modèles sont des miroirs tendus en résonance exacte avec l’actualité.
Ce récit est une ode à l’audace malgré les épreuves, un hommage à toutes les femmes, une déclaration féministe où les hommes sont aimés même inconstants. Dominique Bona, à travers ce récit, parle de la singularité d’une époque tout en démontrant son universalité. L’humanité est face à ses contradictions, ses paradoxes, ses échecs, ses défis, ses combats.
Ce livre est un vibrant hommage à la femme et à l’humanité et nous apprend combien le « je » est aussi un « nous ».
Nicole
La vie en sourdine
David Lodge
David Lodge est un auteur qu’on n’oublie plus dès qu’on l’a rencontré. Le catholicisme sera l’un des sujets amplement abordés dans ses romans, avec la vieillesse, le sexe, la vie universitaire. Précisons toutefois que, dans sa vieillesse, Lodge se définissait lui-même comme « catholique agnostique » !
Le roman dont je vous parle s’intitule en anglais « Deaf sentence » jeu de mots habile entre deaf (sourd) et death (mort) ces deux mots se prononçant presque de la même façon. En français, le traducteur, assez génial je trouve, a titré « la vie en sourdine ». L’œuvre a été publiée en 2008.
David Lodge en 2015 (photo © Roberto Ricciuti / Getty images)
L’histoire est celle d’un vieux monsieur, professeur à la retraite, qui devient de plus en plus sourd. Cette surdité qui est presque une « sentence de mort » l’isole de ses proches, lui fait commettre des bévues, l’entraîne, à son corps défendant dans une aventure avec une étudiante qui n’a pas froid aux yeux, jusqu’au moment où sa femme, ils sont mariés depuis 40 ans, lui annonce tout à trac, qu’elle le quitte !
Cet effondrement de sa vie privée va le faire revenir sur son adolescence où il avait eu un béguin pour une jeune catholique (encore !) qu’il a ensuite perdue de vue et même oubliée. Une quête pour retrouver son amour d’enfance le mènera sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, et tout se terminera sur une conclusion coquine où les protagonistes laisseront de côté leur catholicisme gênant pour jouir de ce qui leur reste de vie !
Annie
Falaise des fous
Patrick Grainville
J’ai été attiré par ce roman suite à un article de journal où Dominique Bona présentait cette œuvre comme « une puissante bouffée d’oxygène. Etretat, la mer déchaînée, les rafales de vent sur les falaises, je me suis demandée si j’allais résister à ces descriptions baroques qui sont la signature de l’écrivain ».
C’est une fresque historique, artistique, prodigieuse. Le talent de Grainville est incontestable. Effectivement, ça décoiffe ! Et quel manque de réalisme ! C’est vrai j’ai eu du mal à la lecture de ce livre à cause du style ampoulé justement… mais cette écriture flamboyante a été aussi pour moi un régal car Granville écrit superbement bien. Des descriptions magnifiques à propos de tableaux célèbres.
L’histoire est celle d’un homme vivant en Normandie, à Etretat, dans les années 1868 à 1930 environ. En 1868, tous les jours il rencontre Monet, souvent en train de peindre et qu’il admire profondément. Grâce à lui, il va pénétrer dans le monde flamboyant de l’Impressionnisme.
Patrick Grainville (photo © Hermance Triay)
Ce roman est irréaliste par ce côté absolument incroyable des rencontres surprenantes tous les jours au coin de la rue, ou au bord de la falaise, de Monet, de Courbet qu’il met en parallèle très souvent : lui aussi peint la falaise.
Outre la peinture représentant l’essentiel des thèmes, on parle littérature également avec Victor Hugo, Marcel Proust, Maupassant, Flaubert. L’évocation de l’Affaire Dreyfus parcourt le livre et nous fait découvrir cette injustice préfigurant les sévices faits aux juifs au XXème siècle.
Ce livre est une fresque sociale qui déploie tous les mouvements de la société, toutes les formidables évolutions scientifiques, technologiques de ce siècle ! « C’est un peu Labiche au Musée d’Orsay mais c’est surtout du Grainville agité, énergique, plein d’élan, de ciel bleu et de petits nuages blancs. Il prend la vie à pleines pages et la rend plus rose, plus ronde, plus appétissante. Succulent ».
Josette J.
Fugitive parce que reine
Violaine HUISMAN
Ce roman, paru chez Gallimard en 2018, présente une structure très classique en trois parties : introduction, développement et conclusion, mais dans une langue très moderne et rapide, avec un vocabulaire riche et parfaitement adapté à cette terrible narration partiellement ou peut-être entièrement autobiographique.
I -« Le jour de la chute du mur de Berlin »… jour remarquable pour une petite fille de six ans, car ce même jour, sa mère « avait sombré dans une dépression si cataclysmique qu’elle avait dû être internée de longs mois de force… ». Violaine et sa sœur aînée Elsa vont apprendre à vivre avec une personne bi-polaire, leur mère chérie, qu’elles adorent malgré ses sautes d’humeur. Adulte, elle se souvient et dissèque ses souvenirs.
Violaine Huisman en 2017 (photo © Beowulf Sheehan)
II- C’est la recherche de Violaine sur les origines de sa mère. Pour diverses raisons elle changera plusieurs fois de nom jusqu’à sa fuite loin de son milieu de naissance. Sa mère lui a fait faire des études de danse malgré une légère boiterie et les premières atteintes de son mal psychique. Elle débute donc une carrière, éblouit un jeune bourgeois marseillais, l’épouse, en divorce pour épouser un très riche vieil aristocrate parisien qui sera le père de ses deux filles, Elsa et Violaine… Elle aime ses filles de façon extravagante, alternant passion pour les hommes, passion pour une femme et séjour en clinique pour dépression.
III- Ses filles ont réussi leurs études et sont bien établies dans la vie. Leur mère part vivre au Sénégal, elle y rencontre un noir musulman plus jeune. Elle l’épouse selon la coutume africaine… Elle change de nom pour la septième fois ! La dépression guette toujours ! Plus de contrainte ; Catherine peut quitter ce monde et se suicide discrètement dans l’appartement parisien qu’elle a conservé.
Ses obsèques, voulus par ses filles à la hauteur de leur amour filial, sont l’apogée de ce roman.
Roselyne
Que serais-je sans toi ?
Guillaume Musso
Il y a deux auteurs français qui m’intriguent depuis un certain temps, Marc Levy et Guillaume Musso. Je les considère comme les « Delly du 21° siècle ». Je me suis donc décidée à lire un roman de Musso, par hasard, je suis tombée sur « Que serais-je sans toi ? », paru en 2009.
C’est une histoire qui mêle amour, problèmes de santé, séparations, retrouvailles, œuvres d’art, déceptions amoureuses, voyages, qui s’étale sur 15 ans, 20 ans, où des personnages que l’on croyait morts réapparaissent… Plus on s’approche de la fin plus l’histoire se complique, mais rassurez-vous tout, se terminera bien !
Guillaume Musso (photo © Emanuele Scorcelletti)
Quelque part c’est aussi un « road movie », qui démarre à Paris mais se terminera à San Francisco, avec de longs descriptifs du pont, des rues en pente, de la baie avec la prison d’Alcatraz ça a un petit côté publicité agence de voyage…
Qu’est ce qui a pu attirer ces millions de lecteurs vers cette histoire bien tarabiscotée, il faut l’avouer ! C’est pour le savoir que j’ai voulu connaître cet auteur ! D’abord il est manichéen : les bons sont vraiment bons, les méchants, vraiment noirs ! Les filles sont belles, longilignes, cheveux au vent. Les scènes d’amour sont décrites mais sans pornographie, c’est gentillet, quoi !
Pour les gens qui n’ont pas l’occasion de voyager ça dépayse. Ils ont l’impression de connaître San Francisco que Musso leur fait visiter en les tenant par la main… Il y a de l’espoir même quand tout paraît perdu. Les rapports de famille sont mis en avant, rapports, mère-fille, père-fille dans ce roman ci.
J’ai écrit « c’est gentillet » eh bien je crois que c’est vraiment le mot : Guillaume Musso est un auteur gentillet, d’ailleurs je trouve qu’il a un air bien gentil sur les photos de presse.
Pour moi un seul Musso ça va me suffire, mais ça vaut le coup d’essayer et puis ça remonte le moral !
Annie
Le retour du M’Zungu
Janine et Jean-Claude Fourrier
Il s’agit dans ce roman d’un retour du couple, pendant quelques mois à Mayotte, 20 ans après un premier séjour. Il s’agit avant tout de mesurer ce qu’a déclenché la départementalisation de Mayotte une toute petite île des Comores vendue à la France par le sultan malgache Andiantsouli contre une rente viagère personnelle de 1000 piastres en 1841. En mai 1958, l’Assemblée territoriale des Comores vote le transfert de la capitale Dzaoudzi vers Moroni dans la grande Comore ce qui provoque un grand mécontentement des Mahorais. A partir de là va commencer un grand mouvement pour la départementalisation jusqu’au référendum de 2009 où le oui l’emporte à 95,24 %. Le 31 mars 2011 Mayotte devient officiellement le 101ème département français. Recensement en 2012 : 212 645 habitants hors migrants clandestins estimés à plus du quart de la population.
Janine et Jean-Claude Fourrier (photo © DR)
Ce que les auteurs détaillent bien dans leur livre, c’est la différence énorme qu’ils ont vu entre un pays où il faisait bon vivre et une situation aujourd’hui en ébullition. Certaines informations donnent plus de 40 % d’étrangers en particulier venant de l’île toute proche Anjouan, d’où viennent de toutes petites embarcations pas du tout sécurisées. Les femmes comoriennes viennent accoucher à Mayotte et repartent parfois en laissant leur bébé qui a donc la nationalité française…
Le livre pose la question de la départementalisation d’un territoire très envié par ses voisins et lui-même très frustré de ne pas avoir le niveau de vie, la sécurité, ce qui avait été promis et qui semble difficile à assumer par la France. Les auteurs insistent sur le sentiment d’insécurité qui règne maintenant dans l’île et la dégradation des infrastructures.
Leur livre écrit l’an dernier est précurseur de ce qui vient de se passer avec la grève générale qui a duré plusieurs semaines pour demander de l’aide financière pour le développement de l’île et pour la sécurité.
Ce livre est plaisant à lire, mais on ne parlera pas d’une œuvre littéraire. On n’en retiendra essentiellement l’analyse d’un territoire d’outre-mer où la France a des obligations mais n’a-t-on pas passé le temps de la colonisation ou de l’aide privilégiée pour conserver une main mise dans l’Océan Indien ? Quel est pour la France l’intérêt de la départementalisation d’une petite île qui croule aujourd’hui sous l’afflux de l’immigration clandestine ?
Cécile
Ma reine
Jean-Baptiste ANDREA
Un roman facile à lire, avec un style simple qui suscite des images familières à tous ceux qui aiment la Haute Provence.
Un garçon de douze ans, un peu attardé, n’est plus désiré à l’école du village et se sent inutile auprès de son père garagiste, même s’il sait servir l’essence, vêtu d’un beau blouson jaune marqué « Shell ». Il décide de partir à la guerre afin de prouver qu’il est devenu un homme et un jour prend le départ en montant derrière chez lui jusqu’au plateau dominant la vallée de l’Asse.
Jean-Baptiste Andrea (photo © DR)
Un abri dans une borie en ruine, quelques baies, l’eau d’un abreuvoir à mouton, c’est peu pour les premiers jours ! Heureusement une fille à peu près de son âge passe par là et lui révèle qu’elle est une reine venue d’un château voisin. Elle sera sa reine s’il lui jure obéissance. Elle s’appelle Viviane et elle l’appelle « Shell ». Ils se fabriquent des codes. Elle lui apporte de la nourriture ; elle l’aide à se dissimuler des gendarmes investigateurs du lieu, car on le recherche ; elle l’entraîne dans la découverte du plateau ; puis un jour, elle disparaît.
Le berger Matti, appelé « Silenci » parce qu’au village on le croit muet, le secourt en secret. ll le loge, le nourrit et l’embauche pour garder les moutons en compagnie du gros labri blanc. Tout va bien ! Mais un jour, « Shell » découvre la petite maison des parents de Viviane. Viviane n’est pas une reine ! Elle lui a menti ! Il lui fait honte. Elle le récupère ! Alors, ils rentrent tous deux « dans le noir paradis des amours enfantines « , rêvant de partir jusqu’à la mer libératrice dont le chemin passe tout près d’un rocher appelé « Pénitent ».
Réalité ou rêve ? Il est enfin un homme… mais à quel prix. Féerie ou drame mélancolique sur deux enfants dans le mal-être. C’est joli et rugueux comme la Haute-Provence.
Roselyne
Mélancolie de la Résistance
Lazlo Krasznahorkai
Par son atmosphère slave et la force de sa description, ce livre rappelle Gogol et Boukgakov. Il serait à classer dans le genre Thriller. Son sujet nous plonge dans le décor crépusculaire d’une ville au bord de l’apocalypse. Un danger étrange la menace, symbolisé par l’exposition d’une baleine au nom étrange de Blaahval.
Art de la description
L’auteur laisse une large place au décor, personnage à part entière. L’atmosphère qui se dégage est celle dont un des protagoniste, M. Eszter dira « Nous vivons un enfer sans issue et entre un avenir perfide et un passé révolu ». La ville est en effet en décomposition : ordures, rats, chats prolifèrent. La misère slave dégouline à travers la crasse, la misère, le froid. Coup de griffe subliminale de l’auteur aux régimes autoritaires, il dénonce le manque de confort (pas d’électricité), une ville sans distraction mais avec le bruit des bottes en embuscade.
László Krasznahorkai (photo © Nina Subin)
Art des portraits
Les personnages sont le miroir de la désagrégation d’un monde. Ils expriment chacun à leur façon une idée de finitude et de malheur. Ces personnages font la part belle à des dialogues intérieurs qui donnent au lecteur une impression de proximité, de vérité, de réalisme. L’homme nous est décrit selon une illusion toujours démesurée et une détresse toujours injustifiée. Il manifeste le besoin de fuir et ressent le bonheur du renoncement comme ultime sauvetage.
Art de la composition
Beaucoup d’analogie avec la musique. Le récit suit un développement, un élargissement, un crescendo qui accompagne la désagrégation d’un monde, sa finitude, son délabrement. La tension, l’angoisse nous étreignent tandis que s’insinue l’étrange, l’irrationnel et l’irréductible destin en marche avec son cortège de massacres, de sang, de morts.
Ce livre nous plonge dans une mélancolie profonde dans laquelle les résistances relèvent de la course ou de l’immobilité sur un fond musical assez désespéré. Un livre à lire comme un voyage au bout de la nuit, à suivre dans un souffle et à en accepter le vertige dans sa vérité aveuglante sur notre condition.Un tableau d’une lucidité plutôt amère mais aussi une invitation à la résistance chacun suivant sa nature.
Un livre d’une grande puissance, envoûtant !
Nicole
Paname underground
Zarca
Un livre rédigé à la première personne du singulier, en verlan simplifié, dans un style d’jeuns. L’auteur est appelé « l’écrivain » car il a déjà publié un « bouquin ». Il est contacté pour rédiger un guide des quartiers chauds de Paname : « Alors Zarca, quand est-ce que t’écris un livre sur le free fight ? Mais sans les travelos du Bois de Boubou hein… »
Johann Zarca (photo © DR)
Saint- Denis street, Ghetto Belleville, Stalincrack en passant par Bezbar-La Pelcha et jusqu’à la Bastoche, pour n’en citer que quelques chapitres. En Ceumer, en bécane ou en tromé, il trace ou s’arrache avec ses soces ou ses potos ; rencontre des Afghans, des renois, des rebeus et des toubabs.
Il subit une attaque ratée à la kalache, pleure sur Dina qui meurt d’over dose à l’hosto. Boit du sky ou de la Kro, se shoute à n’importe quoi pour supporter l’épreuve : » Trois semaine qu’elle a calanché et je ne le digérerai jamais. Je suis pas du style à me laisser abattre mais là, je plonge quand même dans un sale down, rongé par des idées noires. »
Il approche de la vérité, empli de rage et d’écœurement… le lecteur aussi trouve cela glauque, voir bien dégueu… mais admire la composition et la langue argotique recomposée… plus naturelles et plus modernes que celles de San Antonio.
Cimer, Zarca, pour ce renouvellement.
Roselyne
Portraits Crachés – Un trésor Littéraire de Montaigne à Houellebeck
Claude Arnaud
Ce titre nous situe déjà dans l’éventail du temps à parcourir. Il illustre une chronique de l’histoire de la littérature française à travers un genre littéraire : le Portrait. A travers cette fresque chronologique, l’on retrouve les travers et les qualités du peuple français dont nous sommes ! Il y a donc de l’égocentrisme, de l’individualisme sans exclure, l’ironie, le sarcasme, la cruauté. On se glorifie. On encense autrui par calcul, pragmatisme, on dénonce, on se dénigre soi-même. Bref les méthodes sont classiques, universelles et éternelles.
De ce luxe de pages je vous propose quelques axes d’attention :
Étude du genre :
Le portrait du point de vue historique. Sa chronologie se décompose en trois grandes phases : une apogée une désincarnation, une renaissance. A travers l’Art du portrait c’est aussi l’histoire politique qui défile, notre histoire sociale littéraire qu’il véhicule, les étapes de la science qu’il suit.
Claude Arnaud (photo © Hannah Assouline / Opale / Leemage / Robert Laffont)
Cette étude historique traduite par Claude Arnaud nous conduit à la conviction d’une vérité qui est extrêmement difficile à connaître nous sommes « JE et les circonstances » « JE dans l’histoire », notre MOI est complexe, insaisissable d’où peut-être cette tentation des portraits « collectifs » cet engouement pour les grands types : l’avare, le séducteur, l’ambitieux, le fat, le bigot. Il nous conduit à des généralisations réductrices : saoul comme un polonais, fort comme un Turc, radin comme un Écossais, avide comme un Juif… Et voici Le Nazisme ou l’Absolutisme en marche SUBREPTICEMENT.
L’art du Portrait est protéiforme :
Il se décline en peinture, au cinéma, en photos. Il est gazette, journal, fable, roman, poésie. La littérature invente le « flouté », le vide, l’air, ni raison d’être, ni but, ni fin. Elle reflète aussi les écoles en peinture le divisionnisme, le fauvisme, le cubisme. Mais la littérature reste sans doute supérieure en matière d’images en pénétrant l’abstrait, la mobilité, la durée, les sentiments.
Quel est le sens du portrait. Que dit-il de nous ?
Je retiens les malédictions des freins à notre liberté : hérédité, circonstances, mystère de l’inconscient, de l’irrationnel, notre impermanence douloureuse. De cette galerie de glaces de ces portraits historiques romanesques flattés ou à charge se dégage une leçon de morale, un sens critique qui nous invite à moins d’aveuglement à une ouverture. Elle nous force à regarder nos outrances, nos arrogances, nos cruautés.
En conclusion ce livre de 900 pages m’a éperdue, tentée de picorer ça et là ; ma lucidité a côtoyé passion, aveuglement, fanatisme, tolérance. Cette anthologie a été un voyage époustouflant à travers les siècles ; la pléiade d’auteurs cités m’a replongé dans la gourmandise de très vieux compagnons de route et rappelé mes abîmes d’ignorance… et finalement convaincue « qu’être c’est être perçu, se percevoir, c’est exister doublement »
Nicole
Les mémoires d’une jeune fille rangée
Simone de Beauvoir
C’est est un gros bouquin de 360 pages publié en 1958, Simone a 50 ans. Je trouve que le titre est mal choisi, je dirais plutôt « Mémoires d’une jeune bourgeoise rangée ». En effet, à aucun moment la famille n’oublie qu’elle est de bonne extraction même si elle est fauchée.
L’ouvrage est divisé en 4 parties suivant l’ordre chronologique.
La première partie va de sa naissance à ses 11 ou 12 ans. C’est le temps de l’innocence, du bonheur. On assiste à la naissance de sa sœur, ses parents s’entendent encore bien, ils font du théâtre en amateur. Elle entre au cours Adeline Désir et y rencontre Zaza. La plupart des personnes citées dans le livre le sont sous un nom d’emprunt. Zaza= Elizabeth Mabille, en réalité Elizabeth Lacoin qui restera sa meilleure amie. Plus tard nous rencontrons Pradelle qui n’est autre que Maurice Merleau Ponty. Par contre, Sartre, quand il entrera en scène, gardera son véritable patronyme.
Simone de Beauvoir (photo © DR)
La seconde partie va la suivre jusqu’à ses 17 ans, âge auquel elle passe son bac. On est étonné de la rigueur des mœurs : ni théâtre, ni cinéma, les livres sont souvent caviardés pour éliminer les parties scabreuses (ou jugées telles par les parents). Reçue au bac, elle veut aller à la Sorbonne : refus des parents qui la dirigent vers une faculté catholique. Pour eux, la Sorbonne c’est l’antre du diable !
Le troisième chapitre la voit découvrir avec ivresse les études supérieures, avec l’ouverture d’esprit qui les accompagne, les rencontres avec de jeunes étudiants dont Sartre avec lequel elle va préparer son agrégation de philosophie et qu’elle admire beaucoup.
Enfin dans le dernier chapitre nous la voyons changer : elle fréquente les bars de Montparnasse, elle boit, elle se gorge de cinéma. Elle décide de vivre en intellectuelle, ne se mariera pas et n’aura pas d’enfants. Elle adhère au parti communiste. Ses premiers sentiments féministes se font jour. Elle se lie avec Sartre qui la surnomme « le castor » (Cf Beaver, castor en anglais, pas très loin de Beauvoir). Son plus cher désir : être libre !
Son amie Zaza tombe malade. Un transport au cerveau l’emportera. « Zaza avait-elle succombé à un excès de fatigue et d’angoisse ? Ensemble nous avions lutté contre le destin fangeux qui nous guettait et j’ai pensé longtemps que j’avais payé ma liberté de sa mort ». Tels sont les derniers mots des « Mémoires d’une jeune fille rangée »
Annie
Saint-Marcoux, un auteur pour la jeunesse
Jeanne Saint-Marcoux (photo © DR)
Jeanne (dite Jany) Saint-Marcoux est un auteur français née à Paris en 1920 et décédée en cette même ville en 2002 (82 ans). De 1952 à 1973 elle publie dans la collection Rouge et Or, 27 titres qui présentent chacun une ville ou une région de France (Alsace, Toulouse, Paris, Les Baux de Provence…). Plus d’un million de lecteurs (et lectrices ?) ont lu Saint Marcoux. Elle obtient le prix Montyon pour « Aélys et la cabre d’or ».
Les personnages de Saint-Marcoux : l’héroïne est une jeune fille entre 13 et 15 ans. Elle est sauf exception, de milieu bourgeois, ou noble désargentée. Elle s’intéresse à l’art (la danse dans « les chaussons verts ») mais, le plus souvent, renoncera à sa carrière pour choisir l’amour ! Au cours du roman elle va rencontrer un jeune homme qui vit une existence aventureuse (il est pilote d’hélicoptère, photographe de presse, dessinateur, ingénieur aéronautique… mais il ne connaît pas le bonheur, il lui manque une vie de famille (nombreuse si possible) et, grâce à l’héroïne, il va trouver cet environnement « cocon » qui lui manque.
On rencontre beaucoup de personnages avec un handicap ou bien qui vivent misérablement. La société française de Saint-Marcoux : un pays en plein changement, on invente (la Caravelle, l’hélicoptère…), le catholicisme, toujours présent, se fait plus discret. Les filles ne sont pas soumises, elles innovent elles aussi mais ce sont quand même les garçons qui ont le dernier mot au moment où arrive une catastrophe. Le soir, comme leurs ancêtres, elles brodent ou font du tricot.
Les intrigues : Ces romans commencent toujours par un mystère à résoudre : des bijoux dérobés, un fils disparu, un bateau qui a sombré… Il y aura de nombreux souterrains oubliés, cachettes dans l’épaisseur des murs, lettres jamais reçues par leur destinataire…
Les personnages sont pour la plupart gentils ; le « méchant » se reconnaît tout de suite. Les parents sont peu présents, il faut bien que les jeunes vivent leur aventure ! le père, en particulier, est peu visible. On est dans un matriarcat.
Et tout se terminera bien et la jeune fille aura trouvé l’homme de sa vie !
Annie
SOUVENIRS DORMANTS
Patrick Modiano
Dans Souvenirs dormants, l’auteur évoque ses vingt ans, dans le Paris des années 60. Il l’appelle « Le temps des rencontres », dont les souvenirs se précisent grâce à de petites notes collectées tout au long de sa vie. C’est écrit à la première personne du singulier.
Patrick Modiano en 2014 (photo © DR)
A travers Paris, nous allons le suivre de dix-sept à vingt-deux ans, peut-être vingt-cinq. Dates précises, listes de noms ou adresses tiennent lieu de description et de détails. Il tente de mettre de l’ordre dans ses souvenirs à l’aide de ses listes anciennes. S’y rattache les fugues qu’il pratique depuis l’âge de onze ans, traînant son mal-être de café en café, sont-elles une addiction contre laquelle il faudrait réagir ?
Est-ce la réalité ou est-ce un rêve ? C’est l’œuvre d’un artiste, d’un véritable artiste du verbe, qui, à partir d’éléments personnels, dessine, sans mots inutiles, six ébauches très serrées de scénario. Chacun de ces scenarii, avec le concours d’un metteur en scène de génie, deviendrait un film formidable.
C’est aussi le portrait d’un jeune homme angoissé devant toutes les possibilités qui s’ouvrent devant ses vingt ans, dans le flou de la précieuse petite musique modianesque, égrainant son Paris au rythme du guide de ses souvenirs. Mais aussi un pastiche ou une réminiscence du « Nouveau roman » qui depuis 1953, à la suite d’Alain Robbe-Grillet, Michel Butor et Nathalie Sarraute, prône la déstructuration du roman narratif.
Roselyne
UNE FEMME A BERLIN
(anonyme) 20 avril – 22juin 1945
Au printemps 1945 une jeune femme berlinoise (on sait d’elle qu’elle a une trentaine d’années, qu’elle a été journaliste, qu’elle a beaucoup voyagé, en particulier en Russie) note durant 63 jours sur des cahiers d’écolier ce qui lui arrive au jour le jour… Plus tard elle confie ces textes à un collègue, Kurt Marek qui réussit à les faire traduire en anglais et publier aux USA en 1954.
En 1959 le livre paraît en Allemagne sans aucun succès. Les Allemands ne veulent pas qu’on leur rappelle cette période ! En 1969/70 le livre tombe entre les mains de féministes allemandes. Elles sont intéressées mais le texte reste pourtant confidentiel. Et ce n’est qu’en 2001, l’auteure est décédée entre temps, qu’une nouvelle publication rencontre enfin le succès. La traduction française est de 2006.
Le style en est plein d’humour. Même quand elle raconte des choses atroces, elle parle sur un ton d’objectivité froide et même sarcastique. Les personnes décrites qui sont presque toutes des voisins à elle, prennent vie sous nos yeux ainsi que son quartier qui deviendra plus tard Berlin-Est.
La faim est le leitmotiv du livre : dans Berlin envahi par les Russes tout est prétexte pour se nourrir : prostitution, pillage… Les abris : toute la première partie de ce texte raconte encore et encore les nuits d’angoisse dans des caves sous l’immeuble.
L’armée allemande : Les Berlinois découvrent une armée de vieux, d’enfants, de blessés.
Photo extraite du film Anonyma – une femme à Berlin, réalisé en 2008 par Max Farberbock
Les Russes : « Vend 27 avril 1945, jour de la catastrophe », on les signale, on en voit un… ! Puis ce sera les viols, le travail forcé à partir du 14 mai, date de la capitulation de l’Allemagne, un véritable travail d’esclave durant des journées interminables.
Les dernières pages : Première visite chez le coiffeur le 9 juin, premier cinéma le 13 juin. Le 16 juin, retour de Gerd son amoureux. Ils n’ont plus grand chose à se dire !
Enfin 22 juin, les derniers mots.
Annie
Les charmes discrets de la vie conjugale
Douglas Kennedy
Les Charmes discrets de la vie conjugale (titre original : State of the Union) est sorti en 2005 et traduit en français en 2007. C’est un roman qui propose une vision de l’Amérique contemporaine et du combat politique qui l’anime, notamment la tension entre les « libéraux » (au sens américain du terme) démocrates et les néo-chrétiens pro-Georges W. Bush. Il illustre le conflit de génération qui perdure : les néo-chrétiens en réaction au libéralisme révolutionnaire des années 1960 de leurs aînés.
L’histoire se passe aux USA dans les années 1968. Hannah l’héroïne du roman, contre l’avis de ses parents, des universitaires très engagés à gauche, va se marier à 20 ans avec un étudiant en médecine très différent de ses parents mais qu’elle trouve ouvert, prévenant, avec qui elle se sent en sécurité.
Douglas Kennedy (photo © DR)
On passe de cette période aux alentours de 1968 à l’année 2003. Là, trente ans se sont passés où tout parait bien huilé. Elle a eu deux enfants qui ont tous les deux des bonnes situations. Le fils est marié et a lui-même deux enfants aussi tandis que la fille n’a pas jusque-là de relations amoureuses stables. Un grain de sable va remettre en cause cet équilibre finalement très fragile, relatif à un événement qui s’est passé dans la première période : celle de 68, une infidélité de 2 jours, restée secrète…
A travers la vie de son héroïne, Hannah, c’est tout un pan de la vie américaine et de la vie tout court que Douglas Kennedy soulève. Les choix que l’on fait souvent sont-ils les bons, et comment le savoir ? Sommes-nous responsables de tout ce qui arrive à notre progéniture ? Et enfin, connaît-on vraiment l’être avec qui on a décidé de passer toute son existence ?
Malgré ces presque 600 pages ce livre se lit comme un thriller surtout sa deuxième moitié. Sans apporter des certitudes, cette œuvre permet de se forger des réponses et de comprendre au moins une chose : qui que nous soyons nous avons besoin d’amis, de reconnaissance et d’amour. Et nous ne voulons en aucun cas mourir seul.
Cécile