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Maitre Gims et les pyramides : l’Histoire réécrite…

22 avril 2024

On a coutume de dire qu’il faut connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir. C’est même la raison d’être des archéologues et des historiens que de mieux comprendre comment nos ancêtres plus ou moins lointains ont vécu et comment ils ont évolué pour en arriver où nous en sommes et expliquer certaines situations auxquelles nous sommes confrontées au quotidien, voire nous aider à mieux les gérer pour ne pas refaire éternellement les mêmes erreurs.

Mais comme pour toute science humaine, il existe une part de subjectivité dont il est parfois difficile de s’extraire. L’Histoire, plus que d’autres disciplines scientifiques, est exposée aux pressions politiques et les exemples abondent de régimes qui ont cherché à manipuler la réalité historique pour donner corps à leur propre vision, quitte à créer de toutes pièces des mythes qui orientent les esprits. Sans même évoquer les approches négationnistes qui visent à nier des faits historiques comme la Shoah, le génocide arménien ou le massacre des officiers polonais à Katyn en 1940 par l’armée de Staline, il suffit de voir comment, en France, la IIIe République, à la suite d’ailleurs de Napoléon III, a forgé son « Roman national » en mettant en avant le rôle majeur du chef arverne Vercingétorix, héros de la guerre de résistance contre l’invasion des légions romaines, quitte à tordre quelque peu la réalité historique en l’embellissant…

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, tableau peint en 1899 par Lionel Royer  (source © musée Crozatier, le Puy-en-Velay / Antique Limousin)

Une tendance que certains qualifient d’« archéologie romantique », et qui consiste à imaginer, à partir de faits historiques avérés mais parcellaires, des enchaînements hasardeux pour étayer une thèse présupposée. Certains n’hésitent pas à tordre ainsi la vérité historique pour justifier de la prééminence de tel ou tel peuple du fait de l’ancienneté de sa présence, tout particulièrement dans les zones de conflit territorial comme c’est le cas actuellement en Israël et notamment à Jérusalem, où toute fouille archéologique est sujette à débats…

Les pyramides de Méroé, dans le désert soudanais, vestiges des rois de Nubie et de la culture koushite (photo © Nigel Pavitt / AWL images / National Geographic)

Même l’Égypte antique n’est pas épargnée par ce phénomène. Les pasteurs noirs américains diffusent ainsi l’idée que Koush, fils de Cham et petit-fils noir de Noé, avait conquis le monde, en s’appuyant que le fait que le royaume koushite de Nubie, alors à l’apogée de sa puissance, avait même vaincu l’Égypte en 730 avant J.-C. Le roi Piye est ainsi devenu le premier de la 25e dynastie, cette fameuse lignée des pharaons noirs, qui dut cependant battre en retraite une soixantaine d’années plus tard, face à une invasion assyrienne, le royaume de Koush se repliant alors sur son territoire du Soudan actuel, autour de sa capitale Méroé. Il continua à prospérer parallèlement à son voisin égyptien, même après que ce dernier soit tombé dans l’escarcelle romaine, à la mort de Cléopâtre, en 30 avant J.-C.

La reine Cléopâtre, représentée sur un bas-relief du temple d’Hathor à Dendérah, entre 55 et 50 av. J.-C. (photo © Peter Horree / Hemis / Alamy / Beaux Arts)

De quoi en effet alimenter bien des fantasmes quant à la puissance historique de ce royaume noir qui a marqué l’histoire trop méconnue du continent africain, qui a connu bien d’autres empires, à l’instar de ceux du Ghana ou du Mali, en leur temps bien plus prospères que bien d’autres régions du monde. De quoi contribuer à démentir le sentiment trop largement ancré que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », comme avait osé l’affirmer Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 devant des étudiants à Dakar… Au point d’engendrer, notamment parmi la culture afro-américaine, un véritable engouement pour ces périodes antiques, au risque de prendre quelques libertés avec la vérité historique.

Le rappeur Maitre Gims, au micro de la chaîne Oui Hustle en avril 2023, pour un long dialogue avec LeChairman (source © You Tube)

C’est ainsi que l’on a vu en 2023, le géant américain Netflix produite un documentaire dans lequel la reine Cléopâtre elle-même, est jouée par une actrice noire. Et l’on a pu assister à la même époque, en avril 2023, à une interview assez étonnante de Maître Gims, un rappeur francophone, d’origine congolaise, qui dialogue longuement sur la chaîne YouTube Oui Hustle, en affirmant sans ciller que les pyramides de l’empire de Koush étaient recouvertes d’or et servaient en réalité d’antennes : « Les pyramides que l’on voit, au sommet il y a de l’or, et l’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité… C’était des foutues antennes ! Les gens avaient l’électricité (…) et les historiens le savent ».

Une affirmation un peu abrupte mais énoncée avec beaucoup d’aplomb par le chanteur et compositeur à succès, créateur du groupe Sexion d’assaut, et qui se présente comme « un fan d’Histoire », capable de disserter dans cette interview que le fait que si l’Afrique n’a plus d’archives sur son passé historique glorieux, c’est parce que ses bibliothèques ont été pillées et brulées, et que « l’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens », mais qu’ils ont été décimé par les Européens venant d’Asie, les Yamnayades, évoquant même la présence de chevaliers africains en Europe, « 50 000 ans avant les Européens ».

Illustration du morceau intitulé Hernan Cortes, de Maître Gims sorti en avril 2023 (source © You Tube)

Un joyeux fatras affirmé avec un énorme aplomb et de lourds sous-entendus complotistes, confirmé par l’illustration de l’album sorti peu après par le rappeur et montrant les fameuses pyramides d’Égypte avec leur sommet couvert d’or et les transformateurs à leur pied. Une affirmation que n’a jamais reniée depuis Maître Gims, malgré les innombrables interviews et réactions que ses affirmations à l’emporte-pièce ont suscitées. Même EDF s’est fendu d’une publicité reprenant à son compte ces élucubrations saugrenues et se présentant du coup comme « fournisseur officiel d’électricité des pharaons depuis – 2 000 ans »…

Une publicité satirique d’EDF qui surfe sur les élucubrations loufoques de Maitre Gims (source © Le Point)

De quoi brouiller légèrement les repères historiques et chronologiques d’une jeunesse parfois plus prompte à écouter en boucle ses idoles du show business que ses professeurs d’école. Car bien entendu, et peut-être faut-il le préciser, il n’a jamais été retrouvé de feuilles d’or sur les pyramidions en granite noirs qui surmontaient les pyramides égyptiennes (mais pas celle de Méroé), même si l’obélisque de Louxor, qui trône sur la place de la Concorde à Paris, est bel et bien orné d’un pyramidion en bronze et feuilles d’or, mis en place en 1998…

Quant à prétendre que l’Égypte antique était déjà largement électrifiée, voire que les pyramides servaient d’émetteurs wifi, personne en dehors du rappeur Maître Gims ne s’y était jusque-là hasardé, en dehors peut-être de quelques pochetrons avinés après une soirée trop arrosée, mais il y a fort à parier, au vu de l’audience et de la notoriété de Maître Gims, que des milliers de jeunes crédules sont désormais convaincus par cet afrocentrisme conspirationniste qui ne recule devant aucune ineptie pour réécrire l’histoire à sa manière, contribuant à l’obscurantisme et au communautarisme. Bon courage aux professeurs d’Histoire qui auront à lutter contre ce type de préjugés !

L. V.

Un financement public pour des écoles privées

9 avril 2024

En France, la question scolaire a toujours été objet de vifs débats. Essentiellement confessionnel jusqu’à la Révolution française, l’enseignement primaire s’est peu à peu organisé autour de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, généralisée à l’initiative de Jules Ferry à partir de 1881. Une cohabitation entre école dite libre et école publique parfois conflictuelle mais qui relève pour l’essentiel d’un choix personnel des parents avec de fortes disparités régionales. Dans bien des départements, comme en Lorraine ou dans le Massif Central, moins de 5 % des élèves sont scolarisés dans le privé, alors que cette proportion dépasse 50 % dans le Morbihan ou en Vendée.

Le collège privé Stanislas à Paris, un établissement élitiste où l’ex ministre de l’Éducation nationale scolarise ses enfants (photo © Thomas Samson/ AFP / Le Parisien)

A Paris, un élève sur trois fréquente une école primaire privée et la polémique récente qui a concernée les enfants de l’éphémère ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a montré à quel point la plupart de nos responsables politiques utilise des stratégies d’évitement pour épargner à sa progéniture de fréquenter l’école de la République. A Marseille, Marsactu estimait en 2016 que plus de 13 600 élèves fréquentaient des écoles privées, principalement liées à l’enseignement catholique, contre 74 000 seulement dans le public, soit une proportion de 15 % en forte hausse depuis les 20 dernières années.

A Marseille, Jean-Claude Gaudin s’est montré particulièrement favorable à l’enseignement privé catholique, faisant passer le forfait élève à 900 € en 2019 tout en laissant se dégrader les écoles publiques : un dessin signé Ysope (source © Le Ravi)

A l’échelle nationale, un rapport récent de la Cour des Comptes, rendu public en juin 2023, évaluait à plus de 2 millions le nombre d’élèves fréquentant l’un des 7 500 établissements privés de l’Hexagone, soit 17,6 % des effectifs scolaires, lesquels sont en baisse constante depuis une dizaine d’années. Ce même rapport s’interrogeait sur l’importance du financement public de cet enseignement privé, en regard d’une ségrégation croissante des élèves qui en bénéficient. Une interrogation récurrente qui fait également l’objet d’un rapport de mission parlementaire qui vient tout juste d’être remis par les députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance) après 6 mois d’investigations et plusieurs déplacements, dont un à Marseille précisément.

Les députés Christophe Weissberg et Pauk Vannier lors de la discussion de leur rapport en commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée Nationale (source © Banque des Territoires)

Pendant longtemps, la République française a considéré que l’enseignement privé confessionnel avait parfaitement droit de cité mais qu’il lui revenait de s’organiser avec ses propres moyens. Ce n’est finalement qu’en 1959 que la loi Debré a instauré le système de contrat qui permet à un établissement privé sous contrat (la très grande majorité d’entre eux), de bénéficier désormais d’un financement public, quasi à parité des écoles publiques. A l’époque, cette décision était largement motivée par le contexte d’après-guerre et de baby-boom qui voyait l’État peiner à scolariser tous les élèves et souhaitait par cette mesure encourager le privé à prendre sa part du fardeau. Un choix dicté par le contexte et à vocation temporaire donc, mais qui est toujours en vigueur 85 ans plus tard, s’étant même renforcé au fil du temps, notamment avec le développement des lois de décentralisation.

Désormais, l’enseignement privé français sous contrat est donc financé à 75 % par l’argent public, principalement par l’État qui, de la même manière que dans le public, prend entièrement à sa charge le coût des personnels enseignants, même si ces derniers sont contractuels dans le privé, auquel il ajoute un forfait d’externat, supposé couvrir les frais de personnel d’administration, de gestion, de direction, de santé, etc. Le reste est payé par les collectivités territoriales, chacune pour ce qui relève de ses compétences et de manière relativement discrétionnaire.

Pour les écoles maternelles et primaires, les communes versent ainsi pour chaque élève scolarisé dans le privé une somme forfaitaire annuelle qui correspond à ce que lui coûterait la scolarité de cet élève dans son école publique. Un avantage incontestable puisque cette somme n’est pas calculée en fonction du besoin de l’établissement privé pour équilibrer son budget, mais selon les dépenses effectives de l’école publique, alors que celle-ci est soumise à bien d’autres contraintes. Quand l’école publique est obligée d’accueillir tous les élèves qui s’inscrivent et de mettre en place des dispositifs de soutien spécifiques pour les accompagner au mieux, le privé est libre de sélectionner ses élèves, ce qui lui permet de faire des classes plus chargées avec des coûts par élèves moindres mais une subvention généreusement allouée par le public sur la base de ses propres coûts.

L’école et le collège privés Saint-Augustin, à Carnoux (source © École Saint-Augustin)

Un montant qui est par ailleurs calculé de manière totalement opaque, selon des règles imprécises et qui font l’objet de larges interprétations par les municipalités. Ainsi, à Carnoux, la commune a décidé d’attribuer un montant de 720 € pour chaque élève scolarisé à l’école Saint-Augustin, déjà largement subventionnée lors de sa construction, et qui vient encore de recevoir une nouvelle subvention de 11 000 € cette année pour l’utilisation de ses locaux par le Centre aéré. Un montant théoriquement calculé sur la base des coûts réels de scolarisation d’un élève à l’école Frédéric Mistral. Sauf que cette même prestation n’est facturée que 667 € lorsqu’il s’agit d’y scolariser un ressortissant d’Aubagne, et même 547 € s’il vient de Cassis : comprenne qui pourra…

Cette manne d’argent publique, estimée en 2022 à près de 14 milliards d’euros par an, qui permet à l’enseignement privé, principalement catholique, de développer son réseau pendant que les écoles publiques ferment, suscite d’autant plus d’interrogations que les obligations et les contrôles qui pèsent sur l’enseignement privé en France sont quasi inexistants. Selon le rapport de Paul Vannier et Christophe Weissberg, les contrôles pédagogiques y sont très rares et les vérifications comptables quasi inexistantes : moins de 5 établissements privés feraient ainsi l’objet d’un contrôle comptable chaque année, ce qui leur laisse entrevoir un contrôle tous les 1 500 ans en moyenne…

L’école publique est en train de craquer : un dessin signé Zaïtchick (source © Blagues et dessin)

Une situation d’autant plus inquiétante que toutes les études confirment une ségrégation scolaire croissante. Les élèves des classes aisées et ceux qui présentent les meilleurs résultats scolaires s’orientent de plus en plus vers les établissements privés qui les trient sur le volet, à tel point que le taux de mixité sociale dans les écoles privées est en chute libre. Selon les observations de la Cour des Comptes, les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021. Les élèves de milieux favorisés à très favorisés y sont désormais majoritaires alors qu’ils ne représentent que 32,3 % des élèves dans le public. À l’inverse, la part des élèves boursiers y représente moins de 12 % contre plus de 29 % dans le public.

Dans le passé, toute réforme visant à rééquilibrer les relations entre école publique et privée a montré à quel point le sujet pouvait être source de tension dans la société française. Pourtant, le sujet a quitté depuis bien longtemps le terrain de la croyance individuelle, dans une société où le poids des confessions religieuses s’est considérablement allégé. Il est désormais au cœur d’un choix de société, au même titre d’ailleurs que la santé publique. Deux domaines dans lesquels les intérêts privés ont réussi à capter à leur profit la manne des financement publics pour créer une société à deux vitesses : aux riches les meilleures écoles et les soins de qualité, largement subventionnés, et aux pauvres un système public qui peine à faire face, avec des contraintes toujours croissantes et des moyens financiers en berne…

L. V.

La Disparition menacée de disparition ?

2 avril 2024

Encore une disparition inquiétante ? Il ne s’agit cette fois ni d’un individu ni même d’une espèce biologique menacée d’extinction ou d’une cité antique perdue, mais bien d’un média. Une fois de plus pourrait-on dire, au vu des difficultés extrêmes que rencontre la presse à vivre durablement dans un environnement où chacun est saturé d’informations se télescopant en temps réel sur l’écran de notre smartphone.

La Disparition, un média épistolaire reçu dans la boîte aux lettres (source © La Disparition)

En l’occurrence, le média en question est conçu à Marseille et se présente lui-même comme un « long-courrier journalistique et littéraire », une belle formule pour décrire cet objet médiatique étrange, 100 % indépendant, sans aucune publicité, imprimé en France et adressé tous les 15 jours, sous enveloppe timbrée, à des abonnés. Une aventure singulière, lancée en janvier 2022, fruit de l’imagination et de la ténacité de deux journalistes, Annabelle Perrin et François de Monès.

Annabelle Perrin et François de Monès, les deux journalistes à l’origine de cette lettre singulière (source © La Disparition)

Elle est rédactrice en chef, choisit les sujets et se charge des relations avec les pigistes et les auteurs, tout en gérant la correspondance avec les lecteurs et les réseaux sociaux. Elle tient également une chronique chaque lundi matin sur Radio Nova, et anime le cinéclub de La Baleine, un cinéma-bistrot situé sur le cours Julien à Marseille. Lui s’occupe notamment de la relecture des articles, de la rédaction du Nota Bene, des illustrations, de la revue de presse de l’Infolettre, et accessoirement de la gestion administrative et financière.

A eux deux, ils ont d’ailleurs publié un ouvrage qui rassemble 10 de ces lettres tournant autour du terme de la disparition qui leur est chère. Un recueil éclectique où il est notamment question de ces bateaux de croisière de plus en plus gigantesques et en pleine croissance alors même que chacun dénonce l’impact écologique désastreux de ce mode de tourisme de masse, au point que certains considèrent qu’il ne s’agit que d’un anachronisme voué à disparaître mais qui a la vie dure…

Il y évoqué aussi le sort du terrain de football de Montcabrier, une petite commune du Lot, qui a vu se succéder sur sa pelouse jaunie, des générations d’amoureux du ballon rond et qui est voué à disparaître pour permettre le passage d’une autoroute.

Mohamed M’Bougar Sarr, écrivain sénégalais, recevant le prix Goncourt le 3 novembre 2021 (photo © Bertrand Guay / AFP / le Monde)

Y figure aussi le récit inédit signé de Mohamed Mbougar Sarr, romancier sénégalais lauréat du prix Goncourt 2021 pour La Plus Secrète Mémoire des hommes, qui relate une expérience qu’il a vécu au Mexique en 2022, lorsqu’il s’est retrouvé enfermé dans une ZAPI, une « zone d’enfermement pour personnes en instance », faute d’avoir pu attester de manière indubitable d’un visa en bonne en due forme. Un espace parallèle dont les occupants sont littéralement soustraits au monde de droit commun, n’ayant plus aucune possibilité de communiquer avec l’extérieur, ayant disparu du regard de leurs proches et relégués ainsi dans un lieu improbable pour une durée indéterminée, dans l’attente d’une issue incertaine sur laquelle ils n’ont aucune prise…

Le dragonnier de Socotra, une île au large du Yémen, devenue difficile d’accès (source © Globe trotting)

Plus de 40 lettres et quelques hors-séries de La Disparition sont ainsi déjà parues, traitant de sujets tout aussi éclectiques. Il y est question de la disparition de l’arbre dragon, une essence millénaire qui ne pousse que sur l’île de Socotra, au Yémen, un pays où enquêter sur les particularités botaniques relève du grand reportage de guerre. On y trouve aussi une passionnante histoire sur la disparition de la malade du sommeil, qui relate les efforts ayant permis de lutter peu à peu contre les ravages de la mouche Tsé-Tsé en République démocratique du Congo. Mais il y est aussi question de la disparition des petits pêcheurs de Guadeloupe, de celle des chauffeurs routiers aux USA ou encore de celle des Juifs en Afrique du Nord. Des enquêtes fouillées qui nous entrainent sur des sujets peu connus mais qui disent beaucoup de notre humanité et des dangers qui la guettent. Que l’on parle de la disparition des chiens du Groenland ou de celle des marais de Mésopotamie, c’est souvent le lien de l’homme à son environnement qui est en cause, mais aussi nos relations sociales et nos choix économiques, si déterminants par exemple pour cette lettre axée sur la disparition de la psychiatrie publique.

Les marais de Mésopotamie, en voie de disparition ?  (photo © Aline Deschamps / l’Humanité)

Un univers motivé par une réflexion quelque peu angoissante sur cette propension de l’humanité à vouloir faire tout disparaître, la biodiversité mondiale comme les usines françaises. Une démarche qui renvoie inéluctablement à l’exercice littéraire de Georges Pérec, dans son roman intitulé lui aussi « La disparition », écrit sans le moindre recours à la lettre « e » pourtant la plus usitée du vocabulaire français, en référence, dit-on, à la disparition si traumatisante d’« eux », ses propres parents. C’est justement d’« eux » que veut parler cette lettre bi-hebdomadaire si attachante, eux les victimes de ce monde déréglé, qui souffrent de la disparition de leurs repères comme de leurs soutiens, qui souffrent mais qui ont la force de lutter et inventent des stratégies pour rester debout malgré tout.

Une entreprise ambitieuse et qui mérite d’être saluée donc, mais qui se heurte, comme bien d’autres avant elle, à la dure réalité économique et à l’indifférence. C’est pourquoi ses promoteurs lancent un appel pour recruter de nouveaux abonnés afin de poursuivre son aventure menacée à son tour de disparition. Ils recherchent 300 abonnés supplémentaires d’ici le 15 avril pour passer le prochain cap et ne pas faire naufrage, « pour faire face à l’augmentation du prix du timbre et du papier, ainsi qu’à l’érosion du lectorat ». Tout passe, tout lasse, tout casse, c’est bien connu et « Tout doit disparaître » ; hormis peut-être cette « Disparition » si singulière et si inspirante, qui mérite vraiment de ne pas disparaître corps et biens : avis aux amateurs !..  

L. V.

Vers des pôles et réseaux innovants plus en phase avec les Français ? (3ème partie)

20 mars 2024

Cette chronique a été publiée le 10 mars 2024 par GoMet, un média numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment en matière d’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Rédigée par Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, et président de 2010 à 2018 du fond régional d’investissement Paca Investissement, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, cette chronique est le troisième et dernier chapitre d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des structures créées localement pour favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité…

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

Depuis 2022, par exemple, les nuages s’amoncellent au-dessus de la Silicon Valley. Les licenciements s’enchaînent : 12 000 chez Alphabet (Google), 11 000 chez Meta (Facebook, Instagram), 10 000 pour Microsoft, 18 000 pour Amazon, 8 000 chez Salesforce, 4 000 chez Cisco, 3 700 chez X-Twitter… En mars 2023, la faillite retentissante de la Silicon Valley Bank, un établissement bancaire qui finançait les start-up’s, inquiète les milieux américains de l’innovation.

La Silicon Valley est aujourd’hui un peu prise à son propre piège. Attirant par son modèle ouvert l’intelligence mondiale jusqu’en 2020, elle a favorisé l’émergence d’un monde hyperconnecté qui rend moins essentiel la proximité physique de l’échange créatif. Les nouveaux “hubs” se développent à grande vitesse à Bangalore, São Paulo, Tel-Aviv, … « Ensemble, ils redessinent la carte de l’innovation mondiale, en créant une carte plus dispersée, diversifiée et compétitive », soulignait récemment The Economist.

Au pied de la tour Saleforces à San Francisco, cœur de la Silicon Valley américaine ((photo © JFE / GoMet)

Le défi des technopôles français est donc double. D’une part résister à ce chamboulement mondial dans lequel l’Europe peine à trouver sa place et qui draine une part croissante d’investissements du capital-risque vers des pays en développement. D’autre part, être capables de générer beaucoup plus d’emplois et de richesses à partir des compétences acquises et des échanges mutualisés.

La fuite en avant de l’État

Cette tâche sera d’autant moins facile que le ministre Bruno Le Maire a annoncé à plusieurs reprises son souhait de voir l’État se désengager à terme du soutien aux pôles de compétitivité et que le plan France 2030 prévoit un rétrécissement de son action puisque la moitié des aides seraient ciblées sur les seuls acteurs émergents, c’est-à-dire des entreprises jeunes et innovantes. Dans un certain sens, c’est une forme de fuite en avant que le ministre résume par la formule « Détecter et accompagner les champions de demain ».

A la fois, c’est un changement par rapport à la politique menée depuis 20 ans qui visait à structurer et favoriser les échanges de compétences existants pour créer de nouvelles activités. Mais il n’est pas sûr également que cela permettra d’être plus efficace dans la création d’emplois productifs induits par l’innovation. On rappellera, avec un peu d’acidité, qu’en France, 14 % des emplois relèvent du secteur industriel contre 24 % en Allemagne et que cela se traduit par un gros écart sur les balances commerciale

Bruno Le Maire (à gauche) aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence (source © archives / GoMet)

L’instantanéité planétaire induite par le développement des communications bouleverse la notion de localisation des activités. Un chirurgien peut opérer à distance. Le télétravail (qui va bien au-delà du travail à domicile) réduit l’échange social et favorise la compétition plus que la solidarité au travail. Les flux tendus sont optimisés

L’accès permanent à une information sans limite couplée à l’intelligence artificielle contraint l’invention et la recherche plus qu’elle ne les favorise. Car les moteurs même de la créativité que sont l’échange contradictoire, le hasard, l’analogie ou le simple recul, échappent à ces logiques d’accumulation ou de croisement massifs supposés universels.

L’instantanéité planétaire bouleverse la notion de localisation des activités

Il y a sans doute place à des processus d’innovation plus proches des besoins humains, des habitudes, des contraintes géographiques et des ressources naturelles. Le changement climatique n’est pas perçu de la même manière à Paris, aux Maldives, en Islande ou sur une île grecque.

La bibliothèque Oodi d’Helsinki en Islande (photo © JFE / GoMet)

L’innovation va devoir s’adapter. Si, depuis 150 ans, les inventions ont profondément changé le mode de vie des habitants de la planète, l’innovation a parfois été vécue comme subie. Nous sommes entrés dans une autre ère, celle où nous souhaitons préserver notre mode de vie face aux changements climatiques et sommes en attente d’innovations de rupture en ce sens. Rien n’est gagné. Selon une étude de l’Académie des technologies, 56 % des Français se disent inquiets vis-à-vis des nouvelles technologies, en hausse de 18 points par rapport à 2018. En tête des craintes, l’alimentation, l’environnement, l’intelligence artificielle. Or l’essor des pôles de compétitivité est fortement dépendant des politiques publiques qui elles-mêmes sont de plus en plus contraintes par l’opinion publique.

L’opinion publique arbitre…

Ces suspicions à l’égard de l’innovation vont aussi de pair avec la montée de l’obscurantisme. Une étude de l’IFOP, fin 2022, montre un effritement de l’opinion sur les bénéfices du progrès scientifique et technologique. Cette situation renforce les exigences en matière d’éducation, de communication et d’éthique de l’innovation. Le débat public n’est possible que si les citoyens sont informés, sensibilisés, éclairés. Il n’y aura pas d’innovation positive si elle est refusée par la société. Il n’y aura pas non plus d’innovation positive si sa mise en œuvre amplifie les inégalités sociales.

Étudiants sur le campus Saint-Charles d’Aix Marseille Université (photo © JYD / Gomet)

Les pôles de compétitivité (ou les structures qui leur succèderont) doivent donc être beaucoup plus proches de la population, capables de l’impliquer, de l’écouter, de susciter des vocations et des rêves et mener des actions en ce sens.  Il convient sans aucun doute de développer réellement l’information scientifique et technologique, de créer des organismes d’évaluation locaux, indépendants et transparents, ouverts aux citoyens, notamment aux jeunes. C’est à ce prix seulement qu’il est possible de transformer l’innovation en réel développement économique, c’est-à-dire en emplois industriels et de service, allant de pair avec une amélioration ambitieuse du bien être individuel et social.

Bref, l’heure est à l’ouverture des pôles…

J. Bx.

Des élus hors-la-loi et qui le revendiquent

24 février 2024

La fonction de maire d’une commune confère à celui qui l’occupe des pouvoirs de police très étendus et, par conséquent, de lourdes responsabilités. En tant qu’officier de police judiciaire, il se doit notamment de dénoncer au Procureur de la République tout délit dont il aurait connaissance et se doit, comme premier magistrat de sa ville, de veiller scrupuleusement au respect de la loi par tous, et d’abord par lui-même.

C’est pourquoi la démarche que viennent de faire une quarantaine de maires à l’initiative de Martine Vassal, présidente du Département des Bouches-du-Rhône et de la Métropole Aix-Marseille-Provence, ne manque pas de surprendre. Alors que le nouveau ministre du logement, l’ultra libéral Guillaume Kasbarian venait tout juste d’être nommé à son poste et n’avait sans doute pas encore eu le temps de mettre son nom sur la porte de son nouveau bureau, une lettre ouverte signée par 113 élus, pour la plupart originaires de la région PACA, dont une quarantaine de maires de l’aire métropolitaine marseillaise, lui était déjà adressée, comme Marsactu l’a signalé dès le 21 février 2024.

Guillaume Kasbarian, nouveau ministre du logement, ici le 27 mars 2023 à Matignon (photo © Ludovic Marin / AFP / Le Monde)

Publiée notamment dans le JDD, cette tribune est un véritable pousse-au-crime qui dénonce ouvertement une loi pourtant adoptée il y a maintenant près de 24 ans, le 13 décembre 2000, sous le nom de loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU, à l’époque où Lionel Jospin était Premier ministre. L’article 55 de cette loi que remettent en cause ces élus impose un taux minimum 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants en agglomération de plus de 50 000 habitants. Une proportion minimale qui a même été augmentée à 25 % à l’occasion de la loi Dufflot adoptée en janvier 2013.

La construction de logements sociaux, déjà un casse-tête pour Cécile Duflot, ministre du logement en 2014 : un dessin signé Rodho pour la Lettre hebdomadaire HCL inventaires

Cette disposition législative qui s’impose aux élus locaux et qui est l’aboutissement d’un vaste débat national lancé dès 1999, relève pourtant du bon sens quand on constate que 68 % des Français sont éligibles au parc social mais qu’ils ont de plus en plus de mal à y accéder, faute d’avoir construit suffisamment de nouveaux logements sociaux. Les taux de rotation dans le parc social sont de plus en plus faibles et les listes d’attente s’allongent. A Marseille, ce sont ainsi 48 000 familles qui sont en attente d’un logement social, parfois depuis plus de 10 ans, et qui, en attendant, s’entassent dans des logements souvent inadaptés, parfois vétustes voire insalubres, et se retrouvent bien souvent à la merci de marchands de sommeil peu scrupuleux…

Faire en sorte que les communes proches des grandes agglomérations, là où la demande est la plus forte, disposent d’un parc social plus développé pour répondre aux besoins de la population, est donc une mesure de bon sens qui relève d’une politique publique cohérente. En Île-de-France, de nombreuses communes présentent plus de 50 voire 60 % de logements sociaux. Même dans des secteurs plus ruraux, on trouve des communes dont près de 50 % des résidences sont des logements sociaux, comme par exemple à Lucé (15 000 habitants) dans l’Eure ou Mourenx (6 000 habitants) dans les Pyrénées-Atlantiques. Des villes comme Soissons, Charleville-Mézières ou Oyonnax possèdent plus de 40 % de logements sociaux et ne sont pas spécialement connues pour être confrontés à des situations sociales explosives. Une ville comme Reims, qui compte plus de 180 000 habitants présente un taux de logements sociaux supérieur à 38 %.

Logement social en forme de maisons individuelles avec patio dans le quartier de la Maille à Miramas (source © Huit et demi)

Dans les Bouches-du-Rhône, quelques communes comme Berre-l’Étang, Port-de-Bouc ou Miramas possèdent plus de 30 % de logements sociaux, mais la région PACA demeure globalement celle de France où le taux de logements sociaux est le plus faible : 14,2 % en moyenne contre un peu plus de 17 % à l’échelle nationale. A Marseille, cette proportion dépasse 21 % mais le parc est mal réparti, concentré surtout dans les grands ensembles des quartiers nord alors qu’il est quasi inexistant dans le centre ancien et les quartiers sud. En 2023, 95 communes de la région PACA ont été considérées comme carencées pour n’avoir pas atteint leurs objectifs de rattrapage, parmi lesquelles pas moins de 40 communes des Bouches-du-Rhône : un record ! Des villes comme Nice et Toulon se sont aussi fait rattrapées par la patrouille et sont désormais pointées du doigt pour leurs efforts insuffisants.

Le port de Carry-le-Rouet, où il est plus facile de trouver une location de tourisme qu’un logement social (source © Locacarry)

Dans l’aire métropolitaine, certaines communes se distinguent tout particulièrement à l’instar de Carry-le-Rouet et ses 46 logements sociaux pour 6 000 habitants ! Mais d’autres ne font guère mieux comme Peypin où le taux de logements sociaux est de 3,5 % tandis qu’il atteint péniblement 4,5 % à Mimet, 5 % à Gémenos et 6 % à Allauch. Une démarche parfaitement assumée et même revendiquée par ces maires qui s’assoient ouvertement sur la loi SRU, préférant payer, année après année, des compensations financières, d’ailleurs bien modestes, plutôt que de faire le moindre effort pour construire des logements sociaux, afin de ne pas heurter la sensibilité de leur riche électorat qui préfère l’entre-soi dans de belles villas individuelles avec piscines.

Georges Cristiani, maire de Mimet et président de l’Union des maires des Bouches-du-Rhône (source © France Bleu Provence / Daily motion)

Et comme par hasard, ce sont justement les élus de ces communes multi-carencées qui sont les premiers signataires de cette tribune adressée au nouveau ministre du logement pour lui demander d’abandonner une fois pour toutes cette obligation légale de prévoir un minimum de logements sociaux ! Outre Martine Vassal ou encore Renaud Muselier, pourtant pas directement concernés par cette mesure, on trouve ainsi, parmi les signataires de cette lettre ouverte, le maire de Nice (Christian Estrosi), la maire d’Aix-en-Provence (Sophie Joissains) mais aussi ceux d’Arles (Patrick de Carolis), de Salon-de-Provence (Nicolas Isnard), d’Aubagne (Gérard Gazay), de La Ciotat (Alexandre Doriol), de Cassis (Danielle Milon) et bien sûr ceux de Mimet (Georges Cristiani) et d’Allauch (Lionel de Cala). On y trouve même, ce qui est plus surprenant, Nora Preciozi, la présidente de 13 Habitat, le principal office HLM du département, ce qui interroge pour le moins sur la cohérence de la démarche…

Et voilà que l’adoption du Programme local de l’habitat en conseil métropolitain, jeudi 22 février 2024, a donné lieu, de la part de ces mêmes élus locaux très décomplexés, menés par le maire de Mimet, Georges Cristiani, à une véritable attaque en règle contre la loi SRU, comme l’a notamment rapporté le Figaro. Martine Vassal a ainsi fait adopter, malgré les protestations de la gauche marseillaise, une délibération qui demande purement et simplement l’annulation de cette loi jugée trop contraignante et difficilement applicable !

Martine Vassal avec son DGS à la tribune lors du Conseil métropolitain du 22 février 2024 (source © MAMP / Bati Actu)

Une démarche dont elle est coutumière, elle qui n’avait pas hésité à menacer de ne plus prendre en charge l’accompagnement social des mineurs isolés, une obligation légale pourtant qui incombe au Département qu’elle préside, avant de refuser carrément de mettre en œuvre la régulation de la circulation dans les zones à faibles émissions, là aussi prévue par la loi. Certains de nos élus locaux, qui se réclament pourtant ouvertement de la majorité présidentielle, n’hésitent plus désormais, pour des raisons de clientélisme électoral, à s’assoir ainsi ouvertement sur la loi républicaine, quitte à s’offusquer ensuite du manque de civisme de la part de certains de leurs concitoyens, et à réclamer à cor et à cris un « réarmement civique » : un peu de cohérence et de respect des règles communes d’intérêt général ne serait peut-être pas superfétatoire !

L. V.

Echos de conférence : « peut-on encore se loger ? »

1 février 2024

La salle du Clos Blancheton était quasi comble en ce lundi 22 janvier 2024 pour écouter les conférenciers traiter de ce sujet crucial qu’est l’accès au logement : Francis Vernède, directeur régional PACA de la fondation Abbé Pierre, ainsi que Aude Lévêque, chargée de mission à la fondation Abbé Pierre, et Marc Vincent, directeur du pôle de lutte contre l’habitat indigne à la ville de Marseille. Le public était constitué comme à l’habitude des adhérents du Cercle, d’habitants de Carnoux et des communes voisines, jusqu’à La Ciotat, et nous notions avec plaisir la présence de monsieur Giorgi, maire de Carnoux-en-Provence, ainsi que de plusieurs conseillers municipaux.

Avant le début de la conférence (photo © CPC)

En prologue, Michel Motré, président du Cercle Progressiste Carnussien a salué l’assistance et a remercié les conférenciers chargés de nous éclairer sur les difficultés d’accès au logement dans le contexte actuel et de proposer des éléments de réflexion quant aux solutions envisageables. Le hasard nous fait remarquer que cette conférence coïncide avec le 17ème anniversaire de la disparition de l’Abbé Pierre.

En introduction Francis Vernède aborde le sujet du logement social en lien avec la faiblesse de l’offre de logements, l’Etat, notamment, n’étant pas en capacité de répondre aux demandes de plus en plus nombreuses au titre du droit opposable au logement. Le constat est établi d’une baisse sensible depuis plusieurs années de l’effort public dans le financement du logement social, ce qui contribue à cette crise du logement.

Les conférenciers (photo © CPC)

En région PACA, où le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale, les difficultés d’accès au logement sont particulièrement importantes. Lorsqu’un ménage est amené à consacrer plus d’un tiers de ses revenus au logement, il s’appauvrit. Ce taux d’effort maximum ne lui permet pas d’accéder à un logement décent et adapté dans bien des endroits. Quant au parc social, il est notoirement insuffisant en Région PACA où, sur 200 000 demandes enregistrées, seulement 23 500 ont été satisfaites.

Les personnes les plus fragiles sont ainsi conduites à se loger dans des habitations impropres, parfois à la merci des marchands de sommeil et trop souvent à la rue, en recherche d’un hébergement d’urgence, pour lequel seules 35 % des demandes effectuées via le numéro de téléphone d’urgence 115 (urgence sociale) sont satisfaites. Un chiffre sous-évalué car nombreux sont ceux qui abandonnent l ‘espoir d’obtenir une place en hébergement d’urgence après avoir essuyé plusieurs refus pour insuffisance de disponibilités.

Évolution du nombre de demandes de logement dans le parc social en région PACA (source © FAP)

Comment les plus modestes pallient-ils ces difficultés de logement adaptés à leurs besoins et leurs ressources ? On constate une suroccupation des logements, faute d’obtenir un logement plus grand, avec des effets néfastes sur la santé mais aussi sur la scolarité des enfants. Souvent, c’est la solidarité familiale qui s’exprime, en étant hébergé chez un parent ou encore chez un particulier pour une durée indéterminée. La loi Dalo qui consacre le droit au logement contraint en théorie la puissance publique à une obligation de résultat, mais ce droit est tenu en échec du fait de l’absence d’offres suffisantes dans le parc social, d’un défaut d’accompagnement des demandeurs et de l’absence de solutions en commissions de médiations.

Dans notre région l’application de la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) est problématique et les objectifs quantitatifs et qualitatifs ne sont pas atteints. Il faudrait augmenter l’offre dans le parc privé au profit des ménages modestes, proposer des aides fiscales adaptées, encadrer les loyers, mais aussi réguler davantage le marché des locations saisonnières.

La suroccupation, un symptôme de la crise du logement (source © FAP)

Nos deux conférenciers de la Fondation Abbé Pierre concluent leur intervention en indiquant qu’il est possible de trouver des solutions à condition qu’une concertation s’instaure entre l’État, les régions, les départements et/ou les métropoles, les communes et leurs habitants. C’est le cas à Paris, qui a réussi à atteindre les objectifs prévus. La ville de Nice est aussi engagée dans cette voie mais encore loin du compte.

C’est ensuite Marc Vincent, qui évoque les actions menées au sein du pôle de lutte contre l’habitat indigne à Marseille, largement réorganisé et renforcé après les effondrements de la rue d’Aubagne en novembre 2018 et qui regroupe 80 agents (architectes, inspecteurs de salubrité, responsables de travaux, agents administratifs) pour tenter de résorber l’habitat insalubre et potentiellement dangereux pour ses occupants, y compris en procédant à des évacuations préventives lorsque c’est nécessaire. En 2015, 40 000 logements marseillais étaient évalués comme potentiellement indignes, soit 10 % du parc immobilier de la ville où l’on enregistre près de 3 000 signalements par an et où des procédures de mise en sécurité sont en cours sur plus de 1 300 immeubles !

Sont ensuite évoquées les causes de la difficulté à accéder à un logement en location ou à l’achat. Depuis l’année 2000 les prix de l’immobilier ont doublé alors que les salaires n’ont pas suivi. Les ménages locataires consacrent en moyenne 28 % de leurs revenus à ce poste, sans compter que les charges locatives, avec l’envolée du coût de l’énergie, pèsent sur le budget. Les exigences renforcées en matière de performance énergétique des logements, bien que vertueuses, vont aussi contribuer à sortir du parc locatif certaines « passoires thermiques » coûteuses à rénover, et ceci dès 2025.

Confrontés à la baisse de l’offre et à une augmentation des demandes, les agences immobilières rehaussent les exigences en matière de garanties, excluant ainsi nombre de jeunes ménages et d’étudiants. Les transactions ont baissé de 15 % dans l’ancien et de 49 % dans le neuf, conséquence des taux de crédit élevés, de l’inflation, de l’augmentation du coût de la construction de 30 % (prix des matériaux, nouvelles normes), du prix du foncier très élevé, avec une nette réduction des mises en chantier.

Par ailleurs, en France, le patrimoine immobilier est mal réparti et la construction neuve, orientée par les dispositifs d’incitation fiscale, n’est pas adaptée à la demande, avec notamment beaucoup de résidences pour étudiants et pour séniors. Pour ce qui est des logements sociaux, au nombre de 5 millions en France, il est précisé que 68 % des ménages y sont éligibles, mais les communes soumises à la loi SRU qui impose un taux minimum de 25 % des résidences en logement social ont bien du mal à atteindre leurs objectifs.

Le parc social en France (source © CPC)

La situation du logement à Carnoux est abordée. On y compte 3 254 logements où résident 2 900 ménages dont 63,4 % sont propriétaires. Le taux de logement social y est de 16 %, très en deçà des obligations de la loi SRU, mais la commune n’est pas carencée, le préfet ayant accordé une exemption pour raison de manque de transports collectifs. On y compte de l’ordre de 250 demandes de logements sociaux en attente, non satisfaites, mais le nombre de logements qui se libèrent chaque année ne dépasse guère la vingtaine…

Comme dans de nombreuses communes proches du littoral, on constate les dérives engendrées par une explosion récente des meublés de tourisme avec environ 200 offres proposées cet été et le développement d’une pratique professionnelle encore non régulée, contrairement à Marseille ou Cassis.

Un auditoire attentif dans la salle du Clos Blancheton (photo © CPC)

Après cet exposé, la parole est donnée au public. Monsieur Giorgi, maire de Carnoux, expose les difficultés rencontrées pour augmenter l’offre de logements dans la cité. Ce sont principalement le manque de terrains disponibles et les diverses réglementations qui brident la mise en œuvre des quelques projets. Il est noté que la Métropole, qui détient la compétence logement, a une part de responsabilité dans le manque de volontarisme et le défaut de solidarité entre communes. M. Vernède, au nom de la Fondation Abbé Pierre, se déclare prêt à échanger avec les édiles de Carnoux pour une amélioration de l’offre de logement.

Un habitant témoigne de la difficulté extrême pour bénéficier de subventions de l’ANAH (prime à la rénovation) pour un logement qu’il a proposé à la location. L’exemple de solutions de réaménagement d’habitat ancien, est évoqué. La ville de New York est citée comme modèle pour la régulation des locations de meublés de tourisme, tant l’impact pour l’économie locale était affecté par les conséquences néfastes ressenties.

Les échanges informels à l’issue des débats et autour d’un verre (photo © CPC)

Ce large débat qui ne demande qu’à être prolongé illustre bien l’importance du sujet que constitue l’accès au logement pour de nombreuses catégories de ménages, sujet amplifié pour les personnes dans la précarité. Nos conférenciers concluent par un message d’espoir de voir une dynamique s’enclencher pour mettre en œuvre des solutions qui existent, dès lors que tous les acteurs sont prêts à agir en concertation. La soirée a permis de prolonger les échanges autour de l’apéritif traditionnel offert par le Cercle.

C. M.

Rappel : le logement sur la sellette à Carnoux

15 janvier 2024

Comme nous l’avions déjà annoncé ici, la prochaine conférence-débat organisée à Carnoux la semaine prochaine, lundi 22 janvier 2024 à 18h30, dans la salle du Clos Blancheton, sera axée sur les difficultés d’accès au logement, une priorité pour de nombreux Français, et pas seulement à Carnoux, notamment pour les jeunes ménages qui ont de plus en plus de mal à trouver un logement adapté à leurs besoins, en location et encore moins en acquisition.

Un sujet d’actualité, même si le nouveau gouvernement formé par Gabriel Attal le 11 janvier 2024 supprime le poste de ministre du Logement, comme s’il voulait indiquer par là que cette préoccupation majeure de nos concitoyens n’était pas une priorité gouvernementale. Pourtant, les chiffres récents, publiés en toute fin d’année, montrent que sur les 12 derniers mois, le nombre de permis de construire accordés a diminué de plus de 25 % par rapport à l’année précédente et que celui des mises en chantier a baissé de près de 20 % en un an. Après les agences immobilières dont beaucoup ont fermé suite à la réduction des transactions, c’est maintenant le secteur du Bâtiment qui s’inquiète et envisage des licenciements…

Pourquoi une telle crise du logement alors que la croissance démographique naturelle et l’évolution des modes de vie créent un besoin incessant de logements, que beaucoup trop de nos compatriotes vivent dans des logements trop petits, vétustes, voire insalubres, et, pour certains d’entre eux, peinent à trouver un toit et se retrouvent parfois contraint à dormir dans la rue ou dans des hébergements d’urgence, eux-mêmes saturés ? Autant de questions qui justifient cet échange prévu lundi prochain à Carnoux pour identifier les ressorts de cette crise majeure, en comprendre les mécanismes et balayer les pistes qui pourraient permettre d’y répondre. Un rendez-vous organisé par le Cercle progressiste citoyen, ouvert à tous et d’accès libre.

La crise du logement en débat à Carnoux

5 janvier 2024

Comment peut-on encore se loger dans les grandes agglomérations françaises en 2023 ? Depuis plusieurs mois, le sujet est dans tous les médias. Le 28 décembre, Le Monde explique comment des ménages, pourtant aisés, sont contraints de falsifier leurs fiches de paie pour décrocher une location en région parisienne… Le 8 décembre, c’était Les Echos qui alertaient sur la panne durable des chantiers de construction de logements neufs. Le 2 novembre, France 2 consacrait une émission d’Envoyé spécial sur la crise du logement et diffusait des interviews poignantes de salariés obligés de vivre durablement au camping faut de trouver à se loger convenablement, tandis que ceux qui cherchent à acquérir un bien immobilier se voient obligés d’y renoncer faute d’accès au crédit nécessaire. Le 19 octobre, c’était la Fondation Abbé Pierre qui présentait son éclairage régional sur l’état du mal logement en région PACA, dans la continuité de son 28e rapport annuel sur le mal logement publié en février et qui attire l’attention une fois de plus, sur les difficultés croissantes d’accès au logement social et à un toit décent notamment pour les plus précaires. La veille, BFM TV se faisait l’écho du ras le bol des certains habitants du Panier où tous les logements sont transformés en meublés de tourisme loués à la semaine sur internet, empêchant les habitants de ce quartier marseillais populaire de pouvoir encore se loger…

Même le dernier numéro du journal publié en novembre 2023 par le Cercle progressiste carnussien se faisait l’écho de ces difficultés réelles d’accéder à un logement, y compris à Carnoux où les files d’attentes pour le logement social s’allongent tandis que se multiplient les résidences secondaires et les meublés de tourisme en location sur Airbnb, Abritel, Booking ou TripAdvisor.

Extrait du journal n°46 du Cercle progressiste carnussien publié en 2023 avec un dossier spécial logement

Un sujet qui mérite un véritable débat car l’accès au logement fait partie des besoins fondamentaux : notre qualité de vie personnelle dépend fortement de notre capacité à disposer d’un logement décent et adapté, proche de nos lieux de vie, confortable et bien desservi en mode de transport, mais qui ne draine pas la totalité de notre pouvoir d’achat… Une véritable quadrature du cercle en cette période de pénurie croissante de logements à des prix abordables. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi construit-on aussi peu de logements neufs ? Pourquoi un ménage de salariés avec des revenus corrects a-t-il autant de mal à accéder à un logement et encore plus à en devenir propriétaire ? Pourquoi y a-t-il aussi peu de logements sociaux alors que les deux-tiers des Français y sont éligibles ? Pourquoi le droit au logement est-il aussi mal appliqué dans les faits ?

Autant de questions qui méritent un éclairage car le dossier n’est pas des plus simples. C’est à ces questions en tout cas que s’efforcera de répondre la prochaine conférence organisée par le CPC à Carnoux, le lundi 22 janvier 2024. Animée par Francis Vernède, directeur régional PACA de la Fondation Abbé Pierre, et par Aude Lévêque, chargée de mission pour le logement des plus défavorisés, ainsi que par Marc Vincent, directeur du pôle de lutte contre l’habitat indigne à la Ville de Marseille, cette présentation sera l’occasion d’échanger et de débattre en toute liberté sur ce sujet qui touche nécessairement chacun d’entre nous de manière très personnelle.

L’accès est gratuit et ouvert à tous et le rendez-vous est fixé dans la salle municipale du Clos Blancheton à 18h30 : venez nombreux !

2023 : à l’heure du bilan

31 décembre 2023

Même les meilleures choses ont une fin. Ce n’est peut-être pas ainsi que l’on serait tenté de qualifier l’année 2023 qui s’achève, avec son lot de catastrophes, de conflits armés, d’attentats, de crise économique et d’inflation exacerbée, le tout sur fond de déclin irréversible de la biodiversité et de dégradation croissante de notre environnement.

Mais, comme chaque année, au milieu de tous ces cataclysmes, réels ou annoncés, chacun y a puisé aussi mille petites joies et satisfactions au quotidien. De quoi sourire et oublier ces angoisses qui dépriment et inquiètent. C’est justement ce à quoi s’emploient, jour après jour, les dessinateurs de presse qui ont l’art de présenter, de manière décalée et humoristique, l’actualité la plus sombre, histoire d’en rire plutôt que d’en pleurer…

Quoi de plus réjouissant donc, à l’heure du bilan de l’année écoulée, que de ressortir quelques-uns de ces dessins qui ont ponctué l’actualité de l’année 2023 : de quoi se remémorer quelques événements au hasard. Ce ne sont pas forcément ceux-là que l’on retiendra de l’année qui s’achève, et probablement pas de la manière dont ces dessinateurs de talents les ont mis en lumière, mais peu importe…

C’est en tout cas l’occasion pour ceux qui animent ce blog sans prétention, qui s’efforce seulement de partager, de manière plus ou moins régulière, les sujets qui nous sont chers, nous interrogent ou simplement nous interloquent, voire nous offusquent, de souhaiter à tous nos lecteurs, épisodiques ou fidèles, une excellente nouvelle année 2024. Comme les précédente, celle-ci charriera sans doute son lot de désillusions et de désespérance, mais peut-être nous apportera-t-elle aussi quelques bonnes surprises et, sait-on jamais, de nouvelles raisons d’espérer !

Janvier : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, peaufine sa nouvelle loi contre l’immigration, déjà dans les cartons depuis l’été 2022, et dont l’avant-projet a été déposé au Conseil d’Etat en décembre. Un véritable numéro d’équilibrisme politique destiné avant tout à séduire la frange la plus droitière de l’électorat… un dessin signé Aurel, publié dans Politis le 18 janvier 2023

Février : Le 10 février, l’humoriste Pierre Palmade, sous l’emprise de stupéfiants, provoque un grave accident de la route. Assigné à résidence dans un centre de désintoxication, il est victime d’un accident vasculaire cérébral 15 jours plus tard, puis placé en détention préventive, une situation qui prend une place démesurée dans nombre de médias français… un dessin signé Dubus, publié le 1er mars 2023 dans Soir Mag

Mars : La réforme des retraites, visant à repousser à 64 minimum l’âge de départ en retraite, suscite une vague de manifestations sans précédent dans le pays. Le 7 mars, le nombre de manifestants sur l’ensemble du pays atteint entre 1,28 et 3,5 millions selon les estimations, un record ! Ce qui n’empêche pas le gouvernement d’Élisabeth Borne de maintenir le cap comme si de rien n’était, confessant seulement un déficit de pédagogie… Un dessin signé Chapatte, publié dans le Canard enchaîné

Avril : Le 14 avril, le Conseil constitutionnel valide l’essentiel du texte de loi sur la réforme des retraites, sur lequel le gouvernement avait engagé sa responsabilité le 16 mars, via l’article 49-3 de la Constitution, pour éviter un risque de rejet à l’Assemblée nationale. Le texte est promulgué dans les heures qui suivent par Emmanuel Macron, soulagé et pressé de tourner la page … Un dessin signé Oli

Mai : Au 76e festival de Cannes, qui se déroule du 16 au 27 mai, avec l’actrice italienne Chiara Mastroianni en maîtresse de cérémonie, on fait officiellement attention à son empreinte carbone pour rester dans l’air du temps… Un dessin signé Tommy, publié par Reporterre

Juin : Le 6 juin, un article publié dans Ouest France dénonce la destruction volontaire, dans le cadre d’un chantier d’un supermarché M. Bricolage, de 39 menhirs situés chemin de Montauban à Carnac, considérés comme particulièrement anciens et répertoriés dans le cadre de la candidature pour l’inscription au patrimoine de l’UNESCO, le début d’une polémique nationale qui enflamme les médias et déclenche les passions… Un dessin signé Sié (source © Urtikan)

Juillet : Après les violentes émeutes urbaines et les scènes de pillage déclenchées suite à la mort du jeune Nahel, abattu par un policier le 27 juin 2023, le bilan matériel est très lourd et les personnes interpellées et jugées se révèlent souvent être des mineurs, sans réelle motivation politique… Un dessin signé Chaunu, publié le 7 juillet 2023 dans Ouest France

Août : Une vague de fortes chaleurs s’abat sur tout le sud et l’est de la France entre le 16 et le 24 août avec jusqu’à 19 départements placés en vigilance rouge canicule… Un dessin signé Bauer publié le 23 août 2023 dans Le Progrès

Septembre : Le 22 septembre, le pape François vient en visite officielle à Marseille et plaide, comme il le fait depuis le début de son pontificat, pour un accueil inconditionnel des immigrés alors que des vagues massives de migrants débarquent sur l’île de Lampedusa, en Sicile… Un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

Octobre : Le 7 octobre, des miliciens du Hamas lancent des intrusions et des frappes sanglantes sur Israël, déclenchant une réplique militaire massive et aveugle de la part de l’armée israélienne qui bombarde depuis sans discontinuer la bande de Gaza avec un bilan qui dépasse déjà les 20 000 morts côté palestinien… Un dessin signé Mykaia (source © Cartooning for peace)

Novembre : Le 14 novembre, le couple présidentiel, accompagné de plusieurs membres du gouvernement, se rend dans le Pas-de-Calais pour exprimer sa solidarité avec les habitants qui subissent depuis 15 jours une vague d’inondations sans précédents, alors qu’il s’est abstenu de participer à la manifestation contre l’antisémitisme qui a eu lieu le 12 novembre à Paris… Un dessin signé Glon (source © Blagues et dessins)

Décembre : Le projet de loi asile et immigration, finalement adopté le 19 décembre 2023 et en cours d’examen par le Conseil constitutionnel, durcit fortement les droits des migrants sur le sol français et a été adopté avec l’appui de la droite et de l’extrême-droite qui se réjouissent de l’adoption de mesures qu’ils réclament depuis des années. C’est en tout cas un signe fort en faveur des idées du Rassemblement national, même si officiellement, le gouvernement ne les partage pas… un dessin signé Kak publié le 22 décembre 2023 dans l’Opinion

2023 : Noël au balcon ?

24 décembre 2023

Chaque année, la fête de Noël cristallise bien des états d’âme. Célébration religieuse destinée à rappeler la naissance de Jésus, elle est surtout devenue le symbole du consumérisme, à mille lieues des préceptes chrétiens de sobriété et de partage. On s’empiffre en famille et on dépense des fortunes en cadeaux, pas toujours appréciés, et qui finiront de plus en plus revendus sur le Bon Coin ou e-Bay. A l’heure où l’on commence à prendre enfin conscience que les ressources terrestres sont limitées et qu’il convient d’arrêter le gaspillage, c’est l’esprit même de Noël qui en prend un coup…. Quant à la tradition des Noëls sous la neige, elle est de plus en plus mise à mal par les effets du réchauffement climatique…

La magie de Noël opère-t-elle encore ? Elle est en tout cas toujours source d’inspiration pour les dessinateurs de presse, bourrés de talent, et qui savent en tirer les paillettes et le sel pour nous faire rire ou au moins sourire : c’est toujours ça de pris !

Alors, joyeux Noël à tous et bonne lecture !

L. V.

Encore un Noël sous la pluie ?…Un dessin signé Ygreck (source © Le Journal du Québec)
Dernières angoisses à l’approche de Noël… Un dessin signé Deligne, publié dans Nice Matin
Le Père Noël n’a plus autant la cote auprès des enfants… Un dessin signé Alex
D’ailleurs, peut-on encore croire au Père Noël en 2023 ?… Un dessin signé Patrick Chapatte, publié dans Le Temps
Les états d’âme du consumériste à l’approche des fêtes… Un dessin signé Ganaga (source © Blaques et dessins)
La revente des cadeaux sur internet, une pratique en pleine expansion… Un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 18 décembre 2022
Le recyclage du sapin de Noël : un casse-tête permanent… Un dessin signé Geluck (source © Pinterest)

Tigré : la guerre passée sous les radars

10 décembre 2023

Depuis le 7 octobre 2023, le monde entier à les yeux rivés sur la bande de Gaza, ce territoire palestinien minuscule aux confins du désert égyptien, d’où est partie l’attaque meurtrière des fous de Dieu du Hamas, et qui croule désormais sous les bombardements sauvages de l’armée israélienne. La première aurait fait, selon les derniers décomptes israéliens de l’ordre de 1200 morts, principalement des civils auxquels s’ajoutent les 240 personnes enlevées comme orages et dont tous n’ont pas encore été libérés. Côté palestinien, le bilan de l’attaque israélienne qui se poursuit est incontestablement plus lourd, se rapprochant désormais des 18 000 morts si l’on en croit les chiffres officiels du Ministère de la Santé de Gaza. Et les opérations militaires se poursuivent malgré les protestations horrifiées de la plupart des agences humanitaires internationales qui assistent impuissantes à cette rage destructrice aveugle de l’armée israélienne, encouragée par son indéfectible allié américain. A ce jour, Tsahal ne reconnait la perte que de 80 soldats, ce qui en dit long sur le côté asymétrique de cette guerre.

Pompiers palestiniens s’efforçant d’éteindre l’incendie d’une maison bombardée par l’armée israélienne le 9 décembre 2023, à Khan Younis, au sud de Gaza (photo © Ibrahim Abu Mustafa / Reuters / ICI Radio Canada)

En comparaison, le conflit en cours sur le sol ukrainien que l’armée russe de Vladimir Poutine s’est mise en tête d’envahir après avoir purement et simplement annexé la Crimée en 2014, conflit qui focalise lui-aussi l’attention des médias du monde entier, a très probablement fait davantage de victimes mais sur une durée incomparablement plus longue puisqu’il dure désormais depuis bientôt 2 ans. Là aussi, les chiffres avancés sont à manier avec la plus extrême prudence car la propagande fait rage, des deux côtés, et il n’est pas toujours aisé de démêler le vrai du faux…

Rue de la ville de Marioupol, théâtre de combats sanglants entre forces russes et ukrainiennes, ici le 4 mai 2022 (photo © Valery Melnikov / Sputnik / FranceTVinfo)

Le nombre de civils ukrainiens tués, souvent à la suite de bombardements aériens ou de tirs de missiles, parfois très loin des zones de combat est évalué à plus de 40 000 par les autorités ukrainiennes et a minima entre 10 et 30 000 selon les sources occidentales les plus fiables. A cela s’ajouteraient au moins 20 à 60 000 morts dans les rangs des forces armées ukrainiennes et peut-être entre 30 et 120 000 du côté russe. Les fourchettes sont larges et la guerre fait toujours rage, si bien que l’on ne connaitra peut-être jamais le décompte exhaustif des victimes de cette guerre d’un autre âge et qui s’avère particulièrement meurtrière.

Bien d’autres conflits sont en cours sur la planète, en ce moment même, notamment au Yémen, en proie à une guerre civile qui dure depuis 2015, lorsque les rebelles chiites houthistes se sont emparés du palais présidentiel à Sanaa. Une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite s’oppose par les armes à ce mouvement houthiste appuyé par l’Iran, bombardant parfois sans trop de discernements écoles et hôpitaux aux mains du mouvement rebelle. En mai 2022, plusieurs instances des Nations-Unies évaluaient le bilan à au moins 380 000 morts parmi la population civile yéménite, dont peut-être 150 000 liés directement aux combats et probablement 2,5 millions de déplacés…

Rassemblements d’habitants après le bombardement d’une maison à Sanaa, au Yémen, le 26 août 2017, faisant 14 morts (photo © Muhammed Huwais / AFP / France 24)

La Syrie fait aussi partie de ces théâtres de confrontation où les populations civiles ont payé un lourd tribut. En juin 2022, le Haut-Commissariat aux Réfugiés, une instance onusienne, évaluait ainsi à près de 307 000 le nombre de civils tués dans ce pays en 10 ans de guerre, entre le 1er mars 2011 et le 31 mars 2022. La guerre civile y était née d’une volonté d’émancipation démocratique liée au Printemps arabe, en 2011, dirigée contre le régime autoritaire et répressif de Bachar el-Assad.

Tentative de sauvetage après un bombardement à Alep, en Syrie, le 11 septembre 2016 (photo © Amir Al Halbi / AFP / Le Pélerin)

Réprimé sauvagement, le mouvement s’est rapidement transformé en rébellion armée dans laquelle l’Armée syrienne libre se voit peu à peu supplantée par des groupes djihadistes dont l’état islamique à partir de 2014. La Russie soutient massivement, dès 2015, le régime de Bachar el-Assad, pourtant à l’origine de la plupart des morts civils par bombardements aériens, gazage à l’arme chimique, voire torture dans les geôles du régime. La Turquie y joue aussi un rôle majeur, d’abord contre les troupes de l’État islamique, puis contre les combattants kurdes qui avaient pourtant largement contribué à l’affaiblissement de ce dernier…

Mais l’un de ces conflits récents mérite une mention spéciale même s’il s’est pour l’essentiel déroulé à l’abri des regards extérieurs. Il s’agit de la guerre du Tigré, qui a eu lieu sur le sol éthiopien entre novembre 2020 et novembre 2022, date de la signature d’un accord sous l’égide de l’Afrique du Sud. Cette guerre civile est née de la volonté du Premier ministre d’alors, Abyi Ahmed, de mettre fin en 2019 au système politique en vigueur qui permettait au Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, une coalition de partis ethniques, de diriger le pays depuis 1994. Cela déclenche la révolte du FLPT, le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), une organisation régionaliste créée en 1975 pour combattre le régime autoritaire de Mengistu Hailé Mariam. Ce parti très majoritaire dans la région du Tigré, avait abandonné en 1990 ses références marxistes-léninistes et soutenait depuis lors le parti national majoritaire.

Monastère de Debre Dabo, fondé au VIe siècle après J.-C., perché sur une plateforme rocheuse à 2200 m d’altitude dans la région du Tigré (photo © Shutterstock / Aleteia)

Le Tigré, c’est cette région montagneuse du nord de l’Éthiopie, l’une des 13 qui divisent administrativement le pays depuis 1995, frontalière avec l’Érythrée et avec le Soudan. La région, grande comme l’Autriche et qui compterait de l’ordre de 6 millions d’habitants, est notamment connue pour ses nombreux barrages et ses églises taillées dans le rocher, parfois perchées au sommet de falaises peu accessibles comme c’est le cas de l’ancien monastère Debre Dabo. Les Tigréens ne représentent que 6 % de la population éthiopienne et ils ont donc vu d’un mauvais œil la tentative d’Abyi Ahmed de sortir le pays de ses coalitions ethniques pour créer un parti national dans lequel l’ethnie Oromo, largement majoritaire, se taille la part du lion.

Le FLPT entre donc en rébellion ouverte et attaque, le 4 novembre 2020, les forces armées éthiopiennes à Makelé, capitale régionale du Tigré, et à Dansha, dans l’ouest de la région. La moitié des forces armées du pays sont alors stationnées dans le secteur, suite au conflit encore récent avec l’Érythrée voisine, devenue indépendante en 1993. Mais le FLPT peut compte sur le soutien engagé d’environ 250 000 miliciens et l’appui tacite de la population. La réaction du gouvernement est brutale. Les troupes armées éthiopiennes, appuyées par les forces armées érythréennes et par les milices Amhara, issue de la région limitrophe au sud du Tigré, se déchainent contre la population locale, n’hésitant pas à l’affamer et à se livrer à d’atroces exactions envers les civils, provoquant de multiples massacres et des viols systématiques.

Epave de char de combat détruit par une attaque de drone près de la ville de Haïk, le 12 janvier 2022 (photo © J. Countess / Getty Images / Géo)

Pendant 2 ans, la région est quasiment coupée du monde et nul n’est en mesure d’estimer avec précision le bilan de ce conflit, considéré, à ce jour, comme le plus meurtrier du XXIe siècle. Selon une enquête minutieuse, réalisée par l’universitaire belge Jean Nyssen et évoquée notamment fin janvier 2023 dans le quotidien espagnol El Pais le conflit aurait causé la mort de 100 à 200 000 combattants des deux côtés et probablement de l’ordre de 600 000 civils, souvent victimes indirectes, tués surtout par la faim et les épidémies déclenchées par les combats et la volonté du gouvernement de mater la population locale.

On est certes encore très en deçà des bilans effrayants de la Seconde guerre mondiale avec ses près de 60 millions de morts dont plus de 17 millions de combattants, les civils payant un tribut de plus en plus lourd dans ces conflits dits « modernes », mais le XXIe siècle vient tout juste de commencer et on peut faire confiance dans la rage destructrice des hommes pour combler rapidement ce petit retard…

L. V.

France : les ravages du communautarisme

14 novembre 2023

Tous les commentateurs politiques n’arrêtent pas de le déplorer : la démocratie à l’occidentale souffre d’un excès d’individualisme, chacun se repliant sur le confort de sa petite personne et s’éloignant de l’intérêt public qui exige engagement désintéressé et altruisme. Une évidence qui se traduit notamment par la difficulté des partis politiques et mouvements associatifs à mobiliser de nouveaux militants, mais aussi par une désaffection croissante des citoyens dans les enquêtes publiques comme pour les élections.

Le communautarisme en France, une invention des médias ? Un dessin signé Miss Lilou

Et pourtant, un autre écueil guette peut-être aussi notre société, à savoir cette propension au repli sur sa communauté, d’origine, de religion ou de pensée, que nombre d’observateurs constatent. Une particularité qui jusqu’à présent était plutôt le propre des pays anglo-saxons, États-Unis et Grande-Bretagne en tête, mais aussi au Canada où cette notion de communauté culturelle est très fortement ancrée, associée à l’idée que chacun peut revendiquer des droits différents selon son appartenance à une communauté ethnique, culturelle ou religieuse.

La France jacobine et laïque, « une et indivisible » issue de la Révolution et dont l’esprit républicain s’est forgé à la fin du XIXe siècle, dans une lutte ouverte contre l’emprise tout puissant de la religion catholique et du régionalisme encore très présent, se caractérise plutôt par son aspiration à placer l’appartenance à la Nation au-dessus de tout. L’école s’est efforcée, depuis cette période, d’inculquer une langue et des valeurs communes, mais aussi de mettre en place des mécanismes d’ascension sociale basées sur la méritocratie, qui permettent justement de gommer autant que possible l’origine sociale, géographique mais aussi culturelle voire confessionnelle de chacun, tout en accordant à chacun une totale liberté de culte et de pensée.

Le repli confessionnel, un dessin signé Alf, relaya par Hiram

La France révolutionnaire a ainsi été la première à accorder, en 1791, la pleine égalité de droits pour les Juifs, même si l’Autrichien Joseph II avait déjà pris en 1781 un édit de tolérance, reconnaissant la liberté de culte judaïque et protestant. Dans les autres pays européens, il a souvent fallu attendre le XIXe siècle pour que les Juifs se voient accorder l’accès à la citoyenneté. Mais ces mesures d’émancipation, intervenant après des siècles de persécution, à l’encontre des Juifs comme d’autres minorités, ne peuvent empêcher les sentiments et les actes antisémites et xénophobes de la part de la population. La France en a été le théâtre comme la plupart des pays européens, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à la Rafle du Vel d’Hiv, même si elle n’a pas connu récemment les pogroms observés chez certains de ses voisins d’Europe centrale ou orientale.

Un dessin signé Pascal Gros, publié dans Marianne le 19 octobre 2023

Toujours est-il que l’on observe depuis une dizaine d’années, une forte recrudescence des actes antisémites sur le sol français, directement liée au développement d’un islam radicalisé au sein des populations musulmanes issues de l’immigration. Les récents événements qui se déroulent en Israël et dans la bande de Gaza ont évidemment tendance à exacerber ces tensions, mais force est de constater qu’elles étaient déjà bien visibles avant, avec des événements marquant comme l’assassinat d’Ilan Halimi dès 2006, la tuerie de l’école juive de Toulouse en mars 2012 ou celle de l’hypermarché cachère, porte de Vincennes en janvier 2015.

Au point de créer, chez certains Juifs de France, un climat d’anxiété permanente voire de sentiment de persécution, conduisant notamment à une forte émigration vers Israël, laquelle a concerné plus de 7000 personnes par an dans les années 2014-2015, soit davantage que depuis les États-Unis, même si ce chiffre a baissé depuis, limité à 2000 personnes en 2022. Un sentiment d’insécurité sans doute encore renforcé ces dernières semaines avec l’apparition inquiétante de nombreux tags en forme d’étoiles de David qui fleurissent sur les habitations de familles juives en région parisienne, rappelant les heures les plus sombres de l’occupation allemande, et même si l’origine de ces signaux est largement sujette à caution. La police a ainsi identifié au moins deux couples moldaves dont l’un a été arrêté et a reconnu, non seulement être à l’origine de certains de ces tags antisémites, mais encore avoir été payé pour le faire, par un commanditaire russe !

Un climat de tensions largement délétère, encore renforcé par ces slogans de « Mort aux Juifs » entendus dans plus d’une manifestation pro-palestinienne, en marge des mots d’ordres officiels dénonçant les agissements criminels d’un « Israël assassin ». Il n’est pas sans risque d’importer ainsi en France le conflit israélo-palestinien, dans le pays qui compte à la fois la plus forte communauté juive d’Europe (évaluée à 460 000 personnes en 2016) et la plus forte communauté musulmane, estimée à 5,4 millions de personnes, soit près de 10 % de la population. Les conflits ne font que se multiplier en milieu scolaire, et surtout au collège et au lycée, où nombre d’enseignants se voient confronter à des attitudes de dénigrement de la part de jeunes issus de l’immigration magrébine ou africaine, lorsqu’il est question de laïcité, de tolérance, et de coexistence multiconfessionnelle. Tout est prétexte à confrontation de la part de certains d’entre eux qui y voient un moyen d’affirmer leur différence culturelle via un communautarisme affirmé, qui va totalement à l’encontre de la tradition de l’Éducation nationale, laïque et fortement centralisée.

Un dessin signé Camille Besse, publié dans Marianne le 9 novembre 2023

Dans un tel contexte, les affrontements récents qui voient l’État d’Israël se livrer à des bombardements massifs et à un blocus impitoyable contre les habitants de Gaza en représailles au raid sanguinaire des fous de Dieu du Hamas, ne peuvent qu’envenimer encore davantage ces tensions. Comment évoquer des faits historiques comme les pogroms ou la Shoah dans un tel climat de haine exacerbé où certains assimilent, du fait du comportement actuel des forces armées israéliennes, les Juifs à un peuple de colonisateur ?

Attention à ne pas confondre antisémitisme et antisionisme : un dessin signé Babouse (source © Monolecte)

La conséquence directe d’un tel climat de tension et d’incompréhension mutuelle est un repli identitaire comme la France moderne en a rarement connu, exacerbé par le fait que chacun s’informe auprès des médias et des réseaux sociaux de son obédience, ce qui ne fait que renforcer les points de vue respectifs au lieu de les ouvrir à la confrontation. Rien d’étonnant dans ces conditions de constater que dans bien des quartiers les ressortissants juifs n’osent plus laisser leurs enfants à l’école publique, 70 % d’entre eux étant désormais inscrits dans des établissements privés juifs ou catholiques, seuls certains établissements publics de grandes métropoles étant encore en capacité d’assurer une coexistence pacifique entre eux et les autres élèves…

Le respect de la laïcité à l’école, un problème insoluble ? Un dessin de Wingz (source © Pas si dupes)

Plus inquiétant encore, ce repli communautaire auquel on assiste entre Juifs et Musulmans de France, est en train de se traduire également dans les urnes. Aux dernières élections présidentielles, les Juifs français, pourtant traditionnellement plutôt proche d’une gauche porteuse de valeurs universalistes, ont voté massivement pour la liste Reconquête ! d’Éric Zemmour avec des scores dépassant 35 % dans certaines villes comme Sarcelles où la communauté juive est très implantée. Au premier tour, cette liste d’extrême droite a même obtenu la majorité absolue chez les Français établis en Israël !

Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, tentés par la récupération des communautarismes ? Un dessin signé Hector (source © l’Opinion internationale)

Dans le même temps, la France insoumise fait tout pour s’accorder les bonnes grâces de la communauté musulmane, recueillant là aussi des scores sans commune mesure avec son audience nationale dans les quartiers où celle-ci est la mieux implantée. A la dernière présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a ainsi frôlé les 50 % en Seine-Saint-Denis et ses candidats aux législatives l’ont souvent emporté avec des scores mirifiques. Abandonnant sa tradition laïque pourtant bien ancrée à gauche, ce parti s’est lancé dans une surenchère clientéliste auprès des populations de confession musulmane, plutôt défavorisées, issues de l’immigration, n’hésitant pas à fermer les yeux sur certaines dérives communautaristes inspirées par un Islam politique ultra-conservateur dont les valeurs sont pourtant à l’opposé de celles d’une gauche républicaine et progressiste.

Tiraillée dans ce conflit qui vient s’imposer dans son fonctionnement déjà bien fragilisé, la République française aurait tout intérêt à raffermir son socle de valeurs démocratiques, basées sur le dialogue et l’écoute critique, si elle ne veut pas se laisser à son tour emporter par les vents mauvais de ce nouveau communautarisme importé…                                                                             

L. V.

La Grave : le téléphérique de la discorde

12 novembre 2023

Avec le réchauffement climatique, le sort de la plupart des glaciers alpins est d’ores et déjà réglé, condamnés à fondre inexorablement jusqu’à disparaître tandis que la faune et la flore de haute altitude vont devoir s’adapter rapidement pour survivre aux nouvelles conditions climatiques qui s’imposent, à une vitesse jamais observée jusque-là. D’ici la fin du siècle, autrement dit dans 75 ans seulement, la moitié des 215 000 glaciers répertoriés dans le monde auront probablement disparu selon une étude scientifique publiée en janvier 2023 dans la revue Science. Et encore, cette modélisation ne vaut que si on maintient la trajectoire du réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C, ce qui semble désormais totalement illusoire. Avec un réchauffement de 4 °C, nettement plus réaliste au vu des observations actuelles, ce sont 83 % des glaciers actuels qui auront disparu en 2100 ! Dans le massif alpin, seuls quelques plaques de glace résiduelles pourraient encore subsister à plus de 4000 m d’altitude…

La Meige vue du Chazelet, un hameau de La Grave (photo © Éric Beallet / Oisans)

Une bien triste perspective pour des villages comme La Grave, symbole du tourisme alpin. Cette petite commune du nord des Hautes-Alpes, située dans la haute vallée de la Romanche, sur un axe routier important, reliant Grenoble à Briançon, et au-delà vers l’Italie par le col de Montgenèvre, ne compte, malgré sa position stratégique juste en dessous du col du Lautaret, que 477 habitants, répartis entre le bourg et différents hameaux qui s’étagent tous entre 1300 et 1900 m d’altitude.

La Grave a surtout la chance de se trouver au pied même du massif de la Meije, le deuxième plus haut sommet du massif des Écrins, culminant à 3 983 m d’altitude et dont la face nord surplombe majestueusement le village. Dernier sommet majeur des Alpes à être gravi par l’homme, après au moins 17 tentatives avortées depuis 1870, il a fallu attendre le 16 août 1877 pour qu’un alpiniste français, Emmanuel Boileau de Castelnau, parvienne au sommet du Grand Pic de la Meije, guidé par le local de l’étape, Pierre Gaspard et son fils. Depuis lors, La Meije est devenue un haut-lieu du tourisme alpin, avec l’ouverture d’un premier hôtel dès 1857.

Face sud de la Meije avec son point culminant, le Grand Pic de la Meije, à 3 983 m (photo © Freddi Meignan / Isère tourisme)

A la fin des années 1950 apparaît le besoin d’un déneigement hivernal du col du Lautaret pour répondre à la demande émergente des sports d’hiver et une première station de ski, celle du Chazelet, est aménagée à La Grave. La création du Parc national des Écrins, en 1958, freine le projet de construction du téléphérique de la Meije, déjà dans les cartons mais dont le projet devra nécessiter un ajustement des limites du Parc, après moult discussions… Déjà à l’époque, les polémiques sont vives entre le maire qui prône un développement touristique tous azimuts et une partie de la population qui insiste pour préserver le cadre naturel exceptionnel du site. Un premier tronçon finit quand même par être achevé en 1976 mais quelques mois plus tard, un plasticage à l’explosif retarde la poursuite des travaux, si bien que le second tronçon ne sera mis en service qu’en 1978.

Les cabines du téléphérique de la Gave à la Meije (source © Ski passion)

Ces téléphériques qui fonctionnent avec des trains de 5 cabines chacun, comportent donc une gare intermédiaire située à 2424 m d’altitude, la gare d’arrivée du tronçon supérieur étant à 3 173 m. Exploités depuis 2017 par la Société d’aménagement touristique de la Grave, une filiale de la SATA, basée à l’Alpe d’Huez, ces téléphériques permettent de desservir l’hiver un téléski qui conduit les skieurs sur le glacier de la Girose jusqu’à 3 600 m d’altitude. Mais ce vieux téléski, fonctionnant encore au fuel, est mal placé par rapport à la configuration actuelle du glacier qui s’est fortement rabougri ces dernières années et les skieurs doivent se faire tracter sur 800 m par une dameuse pour le rejoindre depuis l’arrivée du téléphérique… D’où le projet de construire un troisième tronçon de téléphérique qui prendra la suite des deux précédents et conduira directement les passagers jusqu’à 3 600 m.

Mais voilà que, comme il y a 50 ans mais avec encore plus de vigueur, ce projet déchaîne les passions et suscite une forte opposition, de la part de ceux qui considèrent qu’aller faire du ski hors-piste sur les pentes de la Meije à plus de 3 500 m d’altitude est une activité obsolète qui ne peut plus être encouragée de nos jours alors que le réchauffement climatique  fait fondre à grande vitesse les derniers glaciers alpins et que l’on a enfin pris conscience de la nécessité de préserver ce qu’il reste de notre environnement naturel. Des associations se sont mobilisés et ont engagé des actions en justice pour tenter de faire obstacle à ce projet d’un autre temps. Mais en vain ! Leurs référés successifs ont tous été rejetés par le Tribunal administratif…

Manifestation d’opposants au projet sur le glacier de la Girose le 24 septembre 2023 (photo © Mountain Wilderness / Montagnes magazine)

Les travaux ont donc démarré comme prévu fin septembre pour construire ce troisième tronçon de téléphérique sur 1800 m de longueur avec le même flux de passagers que les deux tronçons inférieurs, soit 400 passagers par heure dans des cabines de 40 places de quoi embarquer 1000 à 1200 personnes par jour jusqu’à 3 600 m d’altitude. La station de La Grave accueillant des touristes été comme hiver, le téléphérique servira pour les skieurs comme pour les adeptes de l’alpinisme ou de la randonnée en altitude, mais aussi pour les simples flâneurs venus admirer le paysage et profiter du restaurant d’altitude situé à l’arrivée du deuxième tronçon ainsi que du glaciorium qu’il est prévu d’aménager, lieu de conférence et d’exposition sur les glaciers et la haute montagne.

Images de synthèse de la future gare d’arrivée du troisième tronçon du téléphérique de la Meije, à 3 600 m d’altitude (source © SATG / Montagnes magazine)

Le chantier, dont le coût est estimé à 15 millions d’euros, est prévu sur 3 ans avec une ouverture programmée à l’hiver 2025, sachant que les entreprises ne peuvent travailler que 4 mois par an, entre la fin de la saison estivale et les premières grosses neiges, ainsi qu’au printemps. Cet automne, les travaux doivent porter sur la protection préalable des espèces végétales impactées ainsi que sur les fondations du pylône intermédiaire qui sera implanté sur un éperon rocheux émergeant du glacier. Mais les opposants au projet se sont invités dans le jeu : début octobre, une quinzaine de militants, issus principalement des Soulèvements de la Terre, sont venus interrompre les travaux, déployant leurs banderoles à 3 400 m d’altitude et bloquant les travaux pendant une petite semaine, au grand dam des entreprises engagées dans une course contre la montre pour tenter de respecter leur planning très serré.

Les militants écologistes manifestant sur le site du chantier du téléphérique de la Meije début octobre 2023 (photo © Les Soulèvements de la Terre / France 3 régions)

Une autre marche était organisée en parallèle, le 7 octobre 2023, par deux autres associations opposées à ce projet : La Grave autrement et Mountain Wilderness, tandis que les commerçants et associations sportives locales organisaient de leur côté une contre-manifestation, le 14 octobre, pour exprimer leur soutien au projet, porteur d’emploi local et de retombées économiques positives, tout en soulignant le moindre impact environnemental du futur téléphérique par rapport au vieux téléski actuel.

De quoi aviver les tensions entre partisans d’une exploitation touristique à tout prix de la montagne, et militants d’une adaptation aux réalités du changement climatique, particulièrement sensible dans ces milieux alpins de haute altitude. Un dialogue de sourd qui risque bien de reprendre au printemps lorsque les travaux du chantier reprendront…

L. V.

Minopolis : le futur marché de gros de Marseille ?

8 novembre 2023

Le lieu n’est pas forcément très connu des Marseillais car son accès est réservé aux professionnels. Pourtant, le Marché d’intérêt national (MIN) des Arnavaux, opérationnel depuis 1972, est le deuxième plus gros marché agroalimentaire de France derrière celui de Rungis : il s’y échange chaque année plus de 580 000 tonnes de produits frais ! Regroupant sur place 267 producteurs présents à l’année, il alimente commerces de détail, marchés et restaurateurs, fournissant à lui-seul 30 % de la consommation en produits frais de la métropole : fruits et légumes, mais aussi fromage, viande, poissons ou même fleurs coupées. Chaque nuit, des centaines de primeurs, producteurs, grossistes et manutentionnaires déchargent leur marchandise destinée à alimenter l’immense métropole marseillaise et sa région…

Dans les coulisses du MIN des Arnavaux (source © Marseille tourisme)

Une activité qui ne date pas d’hier puisque la notion de marché de gros existe à Marseille depuis les années 1840. A l’époque, c’était des femmes, les « partisanes », qui se chargeaient d’acheter en gros auprès des producteurs et revendaient ensuite la marchandise aux vendeurs au détail. Une activité alors installée en plein centre-ville, en divers lieux successifs, regroupés à partir de 1860 boulevard du Musée et Cours Julien sous le nom de marché central d’approvisionnement où se développent, à partir de 1871 des ventes à la criée. Une activité qui se poursuivra pour la vente du poisson, sur les quais du Vieux-Port, tandis qu’un marché de production s’installe au début du XXe siècle à la Plaine Saint-Michel.

En 1963 est créée la SOMIMAR, une société d’économie mixte, chargée de la construction et de l’exploitation d’un marché d’intérêt national pour l’agglomération marseillaise. La Ville de Marseille se porte acquéreur d’un vaste terrain aux Arnavaux et y entreprend l’édification des bâtiments qui ouvrent leurs portes en 1972, destinés initialement au seul commerce de gros des fruits et légumes. En parallèle, la Ville décide en 1970 de transférer la halle aux poissons du Vieux-Port vers l’entrée de l’Estaque, sur le site de Saumaty où est aménagé un nouveau port de pêche, également géré, jusqu’à il y a peu, par la SOMIMAR.

Vue aérienne du site du MIN des Arnavaux désormais enserré entre la L2 et l’autoroute A7 (source © SOMIMAR / Les EPL)

En 2017, le MIN des Arnavaux se voit amputé de près de 8 ha et perd 25 000 m2 d’entrepôts au profit de la nouvelle L2, le contournement nord de Marseille, qui a mis des décennies à se concrétiser. Mais cette perte est très largement compensée par le regain d’activité que lui apporte sa position stratégique à proximité immédiate de l’autoroute A7 et de la nouvelle L2, qui facilite sa desserte depuis le Var et l’Est marseillais.

Devenu en 2020, le Marché Marseille Méditerranée, pour acter son ouverture croissante vers de nouveaux territoires, le MIN des Arnavaux porte depuis cette même année, un projet ambitieux qui vise en une transformation radicale du site pour entrer de plein pied dans la transition écologique qui s’impose. Partant du principe que les camions qui livrent des marchandises en ville sont à l’origine d’une part importante du trafic routier, de la pollution de l’air et des nuisances aux riverains, le directeur de la SOMIMAR, Marc Dufour, imagine transformer le site en une gigantesque plateforme de stockage logistique à partir de laquelle se feront les livraisons de proximité au moyens de véhicules décarbonés, électriques ou à hydrogène, alimentés en énergie par une production locale à base de 150 000 m2 de panneaux photovoltaïques en toiture, qui serviront aussi à faire tourner les chambres froides.

Vidéo de présentation du projet Minopolis (source © Minopolis / You Tube)

Le projet porté depuis cette date consiste à construire, au-dessus des infrastructures actuelles, une dalle de 12 ha, sur laquelle seront édifiés plusieurs niveaux de bâtiments sur une emprise de 60 000 m2, profitant de la déclivité naturelle du terrain pour surélever ainsi significativement les constructions actuelles sans créer de vis-à-vis dommageable pour les riverains dont les habitants de la cité La Paternelle située juste au-dessus.

Une extension qui se ferait donc sans aucune artificialisation supplémentaire de terrain, un argument écologique fort qui séduit d’autant plus les élus écologistes marseillais que le site se trouve juste en bordure de la nouvelle ZFE, la zone à faible émissions, où le trafic de véhicules polluants est désormais réglementé. Un point que Marc Dufour n’hésite pas à mettre en avant, affirmant à qui veut l’entendre que son projet réduira de 28 % le trafic routier en centre-ville et baissera de 70 % les missions de particules fines, tout en permettant de créer 1200 emplois directs peu qualifiés dans ces quartiers nord qui en ont bien besoin… Le projet envisage aussi d’installer une cuisine centrale alimentée en direct par les produits frais locaux arrivant sur place, autant d’arguments qui ont permis d’inscrire ce projet dans le dossier de Marseille, lauréat du label européen des 100 villes neutres en carbone d’ici 2030, une gageure, voire une galéjade…

Maquette de la future plateforme logistique imaginée au-dessus du MIN des Arnavaux (source © SOMIMAR / Made in Marseille)

Le coût d’un tel projet a été estimé à 600 millions d’euros, avant même que ne débutent les études qui permettront sans doute d’en affiner la faisabilité et probablement d’en revoir le coût à la hausse, comme souvent. Mais Marc Dufour affirme que le tour de table financier est déjà bouclé, les investisseurs privés se bousculant pour y participer, parmi lesquels La Poste, la Caisse des Dépôts, Meridiam ou encore la CMA CGM, le groupe richissime de Rodolphe Saadé. Pourquoi alors le projet est-il toujours dans les cartons, au grand dam de son initiateur ?

Il y a d’abord un petit hic institutionnel, typique de la gestion marseillaise des affaires publiques. La SOMIMAR gère en pratique le MIN des Arnavaux via une délégation de service publique, reconduite à deux reprises depuis 1972 et officiellement jusqu’en 2037, mais sans jamais aucune mise en concurrence. Une situation désormais parfaitement illégale depuis l’adoption des lois Sapin et qui a finalement obligé son actionnaire principal, la Métropole Aix-Marseille-Provence, à prendre en décembre 2022 une délibération par laquelle la société d’économie mixte actuelle est transformée en SPL, une société publique locale, dont la Métropole est actionnaire à 95 % et la Ville de Marseille à 5 %.

Le directeur général du Marché Marseille Méditérranée, Marc Dufour, présentant la maquette de son projet de transformation (source © GoMet)

Exit donc les acteurs privés qui participaient à la SOMIMAR et qui obligeaient à un respect de la mise en concurrence. On est maintenant en famille et les collectivités aux manettes sont supposées avoir les mains libres pour la gestion du site par la nouvelle SPL, a priori au 1er janvier 2024. D’ici là, son directeur, Marc Dufour, atteint par la limite d’âge devra céder son poste, peut-être à Didier Ostré, l’ancien directeur général des services de la Ville de Marseille, à en croire les rumeurs qui bruissent dans la presse. Mais le projet de reconfiguration du site lui-même exigera probablement la création d’une nouvelle structure spécifique, de type SEMOP (société d’économie mixte à opération unique) pour pouvoir y associer les acteurs privés qui se pressent au portillon…

Toujours est-il que 3 ans après avoir été dévoilé, le projet de reconfiguration du marché des Arnavaux, n’a toujours pas avancé d’un pouce, au grand dam de son initiateur qui a même tenté de le faire inscrire dans le projet « Marseille en grand », lancé par le Président de la République en 2021 et désormais porté par la nouvelle Secrétaire d’État Sandrine Agresti-Roubache. En cause, sans doute les éternels « chicayas » entre la Ville et la Métropole, mais aussi la CCI et la Région.

Renaud Muselier, Martine Vassal et le Préfet Christophe Mirmand, en visite au MIN des Arnavaux en avril 2021 (source © Made in Marseille)

Personne n’est officiellement contre le projet, en dehors de Samia Ghali qui reproche surtout l’absence de concertation qui a prévalu à l’élaboration de ce projet et le caractère un peu trop entreprenant de son initiateur, mais personne ne fait rien pour le faire avancer, surtout pas la Métropole, pourtant acteur principal, qui ne voudrait pour rien au monde favoriser la concrétisation d’un projet de nature à favoriser la décongestion du centre-ville de Marseille, alors même que ceci pourrait être porté au crédit de son adversaire politique actuellement installé à la mairie : la politique à ses raisons que la raison ne conçoit pas…

Espérons en tout cas que ce projet plutôt novateur, baptisé pompeusement Minopolis par son concepteur, ne connaîtra pas le même sort que son quasi homonyme, le Minotaure, soigneusement enfermé dans un labyrinthe conçu par Dédale, d’où il n’avait aucune possibilité de sortir un jour…

L. V.

Brebis contre pelleteuse sur la route à Wauquiez

25 octobre 2023

Les militants écologistes qui s’opposent assez fréquemment aux grands projets d’infrastructure se retrouvent souvent confrontés à ce terrible paradoxe. Rester dans la légalité et se contenter de recours administratifs en espérant que la raison finira par l’emporter, ou déclencher des actions spectaculaires de blocage, voire de destruction, pour se faire entendre en partant du principe que quand on se heurte à un mur, on n’a pas d’autre choix que de sortir la masse pour tenter de le démolir… Au risque cependant d’y perdre son âme, voire la vie, comme l’ont montrées à plusieurs reprises les affrontements avec les forces de l’ordre qui dégénèrent dans la violence. Les images de heurts brutaux, encore récemment sur le chantier des retenues d’eau agricoles en Poitou-Charentes, ne servent pas nécessairement la cause des militants écologistes et peuvent même amener une large partie de l’opinion publique à y voir un comportement extrémiste indéfendable.

Une religieuse de la congrégation fait un placage magistral à un militant écologique le 16 octobre 2023 sur le chantier de Saint-Pierre de Colombier (source France Bleu © capture vidéo Nicolas Ferero / France 3 régions)

On en a vu encore un exemple sur le chantier du complexe religieux dans le petit village ardéchois de Saint-Pierre de Colombier où une vidéo virale a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit sœur Benoîte, de la congrégation de la Famille missionnaire de Notre-Dame, courser un écolo chevelu et le plaquer magistralement dans la boue. En plein mondial de rugby, la scène ne pouvait évidemment pas passer inaperçu, mais elle interroge néanmoins sur le degré de tension nécessaire pour en arriver à de telles batailles de chiffonniers sous l’œil des caméras.

En l’occurrence, la tension ne date pas d’hier dans ce village de 440 habitants perdu à 30 mn d’Aubenas, où la congrégation est installée depuis 1946 et y a fait édifier la statue de Notre-Dame des Neiges, devenu un important lieu de pèlerinage qui surplombe les gorges de la Bourges. En 2001, le village avait déjà failli en arriver aux mains suite aux élections municipales remportées par une liste favorable aux projets d’extension de la congrégation, un habitant ayant été jusqu’à déposer un recours devant le tribunal pour contester la légalité de l’inscription sur les listes électorales des 98 bonnes-sœurs qui avaient permis de faire basculer le scrutin !

Face à face des religieuses et des militants écologistes devant les pelleteuses immobilisées, sous le regard des forces de l’ordre, le 17 octobre 2023 (photo © Stéphane Marc / Le Dauphiné)

La congrégation s’attelle dès lors à son ambitieux projet immobilier visant à construire un vaste sanctuaire de 50 m de haut, capable d’accueillir 3500 personnes, assorti d’annexes, d’une aire de retournement pour autocars et d’une passerelle franchissant la rivière. Le permis de construire est accordé en 2018 mais suscite la désapprobation tant de la population que du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, et même de l’évêque de Viviers et du Vatican qui jugent démesuré ce projet à 18 millions d’euros ! Le préfet bloque le projet en octobre 2020 mais est contraint de lever son arrêté fin 2022. Le tribunal administratif rejette, quant à lui, le 16 mars 2023, la demande d’annulation du permis de construire.

Les écologistes locaux, réunis au sein d’une association au nom quelque peu étrange des Amis de la Bourges, mettent en avant le risque de destruction d’une espèce menacée, le Réséda de Jacquin mais perdent leur pourvoi devant la Cour administrative d’appel. De fil en aiguille, la tension monte. Des militants écologistes tentent de s’enchaîner aux pelleteuses pour bloquer le chantier. Ni une ni deux, les bonnes sœurs en habit accourent sur le chantier et se mettent à monter la garde sur les engins de BTP en chantant des cantiques, jusqu’à cet affrontement et ce « placage cathédrale » de « Sœur Chabal » dont les images ont fait le tour du monde…Depuis, les services de la Préfecture tentent de faire retomber la tension, mais les esprits sont bien échauffés.

Travaux de terrassement en cours sur le chantier de l’A69 à Soual (Tarn), le 11 octobre 2023 (photo © JC Milhet / Hans Lucas / AFP / France TV infos)

Une tension que l’on retrouve désormais sur quasiment tous les gros chantiers d’infrastructures, de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, désormais abandonné, au projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Sur ce chantier de 53 km, qui permettra aux automobilistes de gagner 15 mn à peine sur leur temps de trajet, au prix de centaines d’hectares de terres et de bois bitumés, même les experts du Conseil national de la protection de la nature ont émis un avis défavorable, jugeant le projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif de zéro artificialisation nette (…) ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat ». 200 scientifiques toulousains se sont élevés contre ce projet jugé absurde et injustifié, dont le coût est chiffré à 450 millions d’euros. De nombreux militants écologistes, réunis au sein du collectif La voie est libre, manifestent régulièrement contre, et certains d’entre eux sont allés jusqu’à entamer une grève de la faim, mais manifestement rien ne fera plier l’État qui reste droit dans ses bottes et soutient mordicus le projet…

Les travaux titanesques de « la route à Wauquiez »… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Un autre projet routier fait l’objet actuellement d’une opposition écologiste, plus discrète mais pas forcément moins efficace. Il s’agit des 10 km de construction d’une route à 2 x 2 voies destinée à contourner les villages de Saint-Hostien et Le Pertuis, en Haute-Loire, dans ces paysages verdoyants des Sucs d’Auvergne, sur le tracée de la RN 88 qui relie Lyon à Toulouse en passant par Saint-Étienne et Albi. La nationale appartient à l’État mais celui-ci à délégué la maîtrise d’ouvrage du projet à la Région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez, dont c’est justement le fief électoral, d’où ce sobriquet de « route à Wauquiez ».

Laurent Wauquiez et quelques élus locaux lors de la pose de la première pierre pour la déviation d’Yssingeaux par la RN 88, le 28 février 2020 (photo © Nicolas Defay / Zoom d’ici)

Or, dans ce paysage très vallonné et entrecoupé de nombreuses sources et petits cours d’eau, tailler une telle infrastructure à gabarit quasi autoroutier, ne permet guère de faire dans la dentelle. Il faut défricher à tour de bras, terrasser des millions de m3, creuser des bassins de rétention, construire des ouvrages d’art, canaliser les écoulements naturels, le tout pour une ardoise plutôt salée puisqu’il en coûtera la bagatelle d’au moins 226 millions d’euros au contribuable, tout ça pour permettre à l’automobiliste pressé de gagner, montre en main, 3 mn sur son temps de parcours… Les entreprises de BTP se frottent les mains mais même l’Autorité environnementale a rendu un avis sévère, déplorant un intérêt public « insuffisamment étayé » et déplorant la parte de 60 km de haies, 60 ha de forêt, 25 ha de zones humides et 105 ha de terres agricoles, sans compter les murets et les abris traditionnels de bergers, irrémédiablement détruits… Cela n’a pas empêché le Préfet de donner son feu vert, pas plus que la mobilisation de près d’un millier de personnes en mai 2021, farouchement opposés à ce projet quelque peu décalé.

Les travaux sont donc lancés, mais un petit groupe d’opposants déterminés, regroupés au sein du mouvement local La lutte des Sucs, a posé sa caravane près du chantier et suit au jour le jour les impacts environnementaux des terrassements, notant les destructions de murets sans débroussaillage préalable par un écologue, les passages d’engins au travers de parcelles privées ou encore l’absence de dispositifs pour permettre à la petite faune de traverser. Des observations soigneusement consignées qui font l’objet de réclamations en bonne et due forme et sont remontées en réunion de chantier.

En cas d’irrégularité, les bergers amènent leurs brebis pour bloquer le chantier… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Et quand les observateurs n’arrivent pas à se faire entendre, ils font appel à l’armée de réserve, à savoir deux troupeaux de brebis mobilisées spécifiquement pour aller faire face aux engins de chantier et bloquer l’avancement des travaux, le temps que leurs revendications soient effectivement prises en compte. Par deux fois déjà depuis cet été, les brebis, dont les meneurs s’appellent Victoire, Zadinette et Bêêricade, ont fait courageusement face aux pelotons de CRS venus en renfort mais qui n’ont pas osé charger dans le tas, au grand dam de Laurent Wauquiez qui s’étrangle en évoquant les dérives extrémistes de dangereux terroristes environnementaux. Un dialogue au jour le jour qui reste compliqué entre aménageurs du territoire et défenseurs de l’environnement…

L. V.

L’agriculture néerlandaise au pied du mur ?

18 octobre 2023

La France et les Pays-Bas ont au moins un point commun : la part de l’agriculture dans le Produit intérieur brut, autrement la richesse produite par le pays, y est comparable, de l’ordre de 1,6 % ! Un niveau ridiculement bas qui montre à quel point ces deux nations où l’agriculture et l’élevage occupaient l’essentiel de la population il y a encore quelques siècles, ont totalement délaissé ces pratiques nourricières au profit d’autres activités plus lucratives. On compte en France désormais de l’ordre de 29 millions d’hectares agricoles (alors que ce chiffre atteignait encore les 40 millions dans les années 1950, soit près des trois-quarts du territoire national !) dont environ 18 millions de terres cultivées. Au Pays-Bas, dont la superficie est 13 fois plus faible, on ne compte plus que 1,8 millions de terres agricoles dont 1 million de terres arables, ce qui paraît ridicule, surtout pour un pays de 17,5 millions d’habitants qui possède une densité de peuplement très élevée.

Paysage traditionnel de polder hollandais : les moulins de Zaanse Schans  (source © OK voyage)

Et pourtant, les Pays-Bas sont le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, juste derrière les États-Unis dont la superficie est 270 fois supérieure ! En 2019 l’agriculture néerlandaise a exporté pour 96 milliards d’euros de produits agricoles quand sa voisine française se limitait à 64 milliards, pour un niveau d’importation assez comparable entre les deux pays. Les échanges bilatéraux de produits agricoles entre la France et le Pays-Bas sont d’ailleurs deux fois plus élevés, en faveur de nos voisins néerlandais…

De tout temps, les Néerlandais ont façonné le sol de leur pays, dont un quart se situe sous le niveau de la mer, grignotant peu à peu de nouvelles terres arables au prix d’un travail colossal d’endiguement et de drainage, au point qu’un dicton local prétend que « Dieu a créé la Terre, sauf les Pays-Bas, puisque les Néerlandais s’en sont chargés eux-mêmes ». Après la guerre et l’épisode terrible de l’hiver 1944-45, durant lequel 22 000 néerlandais sont morts de famine sous le joug de l’occupation allemande, le pays s’est lancé dans une modernisation extrême de son secteur agricole, à grands renforts d’engrais, de pesticides, de mécanisation poussée et de serres ultra sophistiquées, poussant au maximum tous les curseurs de l’agriculture industrielle hors-sol, totalement déconnectée des cycles naturels.

Dans la région de Westland, d’immenses serres en verre à perte de vue (source © Hortimedia)

On trouve désormais aux Pays-Bas les serres les plus modernes du monde où tout est réglé par ordinateur. L’éclairage et la température sont programmés pour reproduire les conditions climatiques idéales permettant d’y faire pousser aussi bien du basilic, des tomates ou des poivrons que des bananes ou des ananas. Pas besoin même de terre dans la plupart de ces serres où le substrat utilisé est une solution hydroponique ou un substrat organique mitonné aux petits oignons pour obtenir des rendements que le paysan moyen n’ose même pas imaginer. Les Pays-Bas détiennent les records mondiaux de rendements pour la culture de tomates, de poivrons ou de concombres, alors que leur climat est loin d’y être particulièrement favorable !

Les serres néerlandaises ultra modernes en verre éclairées par Led et régulées de manière automatique (photo © Luca Locatelli / Institut for National Geographic)

Avec de telles pratiques, pas étonnant que ce pays minuscule inonde la planète avec ses fruits et légumes. Les Pays-Bas se placent ainsi en tête des pays européens pour la production d’oignons. Ils fournissent aussi la moitié des semences mondiales. Mais le pays se caractérise également par un élevage très développé puisque l’on compte un cheptel total d’environ 100 millions de têtes de bétail, dont 23 millions de porcs, un ratio par habitant rarement rencontré ailleurs dans le monde ! Un élevage hyper intensif et de plus en plus concentré : les élevages actuels de porcs ne sont plus que 3000 environ alors qu’on en comptait 25 000 dans les années 1980, mais ils sont devenus de véritables usines, un tiers d’entre aux comptant plus de 1000 têtes de bétail.

Élevage hors-sol de 320 000 poulets de chair sur étagères aux Pays-Bas, sans le moindre éclairage naturel (photo © Julien Goldstein / Le Monde)

Ces élevages industriels produisent des quantités d’azote et de phosphore que l’environnement n’est plus en capacité d’intégrer. Les éleveurs néerlandais en sont d’ailleurs à exporter une grosse partie de leur lisier en Allemagne où le coût du traitement est moindre… Le gouvernement a ainsi été amené à contingenter les élevages depuis déjà une trentaine d’années. Ce qui n’empêche pas les algues vertes de pulluler sur tout le littoral et l’opinion publique de s’émouvoir à la fois du mal-être animal dans ces élevages intensifs et de l’impact environnemental sur la pollution des sols et surtout des cours d’eau, en voie d’eutrophisation massive. Le pays produit depuis 2010 plus de 250 kg d’azote par hectare, très au-dessus de la moyenne des terroirs agricoles européens qui se situe autour de 170.

Une situation explosive qui a obligé la Justice à intervenir. Dès 2015 un tribunal a demandé au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, en grande partie liés à l’activité agricole dans ce pays. Une décision confirmée en appel en 2018 puis renforcée en 2019 par une décision de la Cour suprême qui oblige alors le gouvernement à engager une réforme ambitieuse visant notamment à réduire le cheptel de vaches laitières dont les émissions de méthane sont redoutables en matière de production de gaz à effet de serre. Sauf que le gouvernement a été rapidement obligé de céder face aux manifestations d’agriculteurs en colère, un millier d’entre eux s’étant mobilisés en octobre 2019 pour bloquer les routes avec leurs tracteurs.

Blocus d’agriculteurs en colère sur l’autoroute A1 près de Rijssen, aux Pays-Bas, le 29 juin 2022 (photo © Vincent Jannink / ANP / AFP / Le Monde)

Un ressentiment des gros éleveurs industriels et des milieux de l’agro-industrie qui pourrait bien peser lourd lors des prochaines élections législatives qui se profilent pour novembre 2023, dans un climat politique assez incertain. Ces élections, qui n’étaient prévues que dans 2 ans, ont été convoquées de manière anticipée suite à la chute du gouvernement dirigé par Mark Rutte, premier ministre depuis maintenant 12 ans mais qui a dû démissionner en juillet dernier. Son parti, d’obédience libéral-conservateur, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie, souhaitait imposer des mesures nettement plus restrictives pour empêcher l’arrivée de nouveaux migrants, ce qui faisait tousser ses alliés démocrates et l’a donc conduit à jeter l’éponge.

Bien malin à ce stade qui pourrait dire ce qu’il ressortira de ce scrutin national, d’autant que plusieurs ténors de la vie politique néerlandaise en profitent pour passer la main et que les gouvernements dans ce pays sont toujours le fruit de coalitions plus ou moins hétéroclites. Une chose est sûre : la crise environnementale des excédents d’azote à résorber à tout prix pour respecter enfin les normes européennes en matière de préservation des milieux aquatiques sera l’un des enjeux majeurs de cette campagne !

Caroline van der Plas (au centre avec le collier) célébrant la victoire du BBB lors des élections régionales de mars 2023 (source © Le Grand Continent)

Les efforts entrepris par le gouvernement depuis 2019, pour tenter de réduire les concentrations de cheptel ont en effet fait naître dans le pays une opposition déterminée, incarnée notamment par le Mouvement agricole-citoyen (BBB pour Boer Burger Beweging), créé fin 2019 par Caroline van der Plas, élue au Parlement dès 2021 sous cette étiquette et dont le parti a fait un tabac aux dernières élections régionales de mars 2023, arrivant largement en tête dans toutes les provinces : une première dans le pays ! Ce raz de marée électoral, dont beaucoup redoutent la réédition le mois prochain à l’occasion des législatives, traduit un véritable sursaut de l’électorat rural. Ce dernier est vent debout contre les réformes à visée environnementale que tentent vainement de mettre en place les élites urbaines confrontées à une véritable impasse du système productiviste agricole néerlandais poussé à son extrême. Voilà qui promet un beau débat de société en perspective !

L. V.

Des complotistes à Carnoux-en-Provence ?

3 octobre 2023

Certains Carnussiens ont eu la surprise de trouver récemment dans leur boîte aux lettres un tract étrange, intitulé « Macron prépare la guerre ». Un tract étrange, parfaitement anonyme et dont l’origine reste un mystère. Les deux illustrations qui figurent en tête de ce document, à l’allure artisanale, proviennent manifestement d’internet, l’une d’un visage cloîtré derrière plusieurs rangées de barbelés, siglée du fournisseur britannique d’illustrations Alamy, et l’autre représentant un individu assis dont le cerveau est branché en direct sur un maelström de données numériques issues d’un écran géant.

Un tract au contenu assez intriguant, distribué à Carnoux-en-Provence le 29 septembre 2023 (photo © CPC)

Des images chocs destinées à alerter contre « des mesures liberticides très dangereuses pour l’avenir de notre pays » !  Le ton du message est dramatique à souhait et vise à mettre en garde chacun de nos concitoyens, pardon « compatriotes », contre un complot qui se trame, animé par le Président de la République en personne, avec bien entendu la complicité des médias et qui concerne des risques de nature à détruire irrévocablement « la liberté d’expression du peuple », rien de moins.

La principale de ces menaces, illustrée par deux extraits encadrés du projet, concernerait la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030, adoptée la veille du 14 juillet par un large consensus national puisque 313 députés ont voté en faveur de ce texte et seulement 17 contre, les autres ayant préféré s’abstenir ou se faire porter pâle. Cette nouvelle loi d’orientation, qui a fait l’objet d’un gros effort de communication, adoptée dans le contexte de la guerre en Ukraine et du regain de tensions internationales auxquelles on assiste, prévoit une forte augmentation du budget national consacré aux armées, qui passerait à plus de 400 milliards en 7 ans, sous réserve néanmoins d’une confirmation à l’occasion de l’adoption de chacun des prochains budgets annuels.

Emmanuel Macron, aux côtés du ministre des Armées, Sébastien Lecornu : deux comploteurs ? (photo © SIPA / L’Opinion)

Mais ce n’est manifestement pas cela qui inquiète les auteurs, lesquels focalisent sur l’article 29 de cette loi qui en comporte 71, article qui apporte quelques modifications à des dispositions du Code de la Défense, concernant les modalités de réquisition « en cas de menace actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, sur la protection de la population, sur l’intégrité du territoire ou sur la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense ».

En période de tension internationale, c’est le moment d’évoquer une augmentation des budgets militaires : un dessin signé Michel Heffe (source © Unité et Diversité)

Cette nouvelle disposition est présentée comme une atteinte grave à la liberté des citoyens, laissant entendre qu’un coup d’État se prépare et que tous les citoyens réquisitionnés d’office se verront immédiatement jetés en prison s’ils refusent de suivre les injonctions gouvernementales. La vérité oblige à dire que le texte est quand même nettement plus restrictif puisqu’il ne concerne que le domaine de la Défense et pas celui du maintien de l’ordre public. Autrement dit, il ne peut s’appliquer qu’en cas de menace de guerre et vise simplement à adapter le régime des réquisitions qui n’avait pas été revu depuis 1959 et qui ne permettait plus de répondre aux caractéristiques des conflits actuels. Il est d’ailleurs curieux de constater que ce sont plutôt des milieux complotistes d’extrême droite qui ont le plus fortement réagi à ce texte alors que la Rassemblement national a voté comme un seul homme la loi de programmation militaire qui, inversement, a été unanimement rejetée par les députés LFI…

L’étendue des libertés individuelles en société, une question d’équilibre ? Une maxime du Chat de Philippe Geluck  (source © Pinterest)

Le tract évoque aussi « de nouvelles lois numériques permettant à l’État d’avoir le contrôle total des données personnelles, mais aussi la censure immédiate de tout message considéré comme haineux ou incitant à une quelconque révolte ». Encore une attaque contre les libertés individuelles digne de Big Brother ! Il s’agit cette fois du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, adopté à l’unanimité par le Sénat le 5 juillet 2023 puis en commission à l’Assemblée nationale le 21 septembre.

En fait le risque évoqué ici de maîtrise par le gouvernement des données personnelles de chaque individu n’a pas de rapport avec ce projet. Au contraire, la loi Informatique et liberté, en vigueur depuis 1978 a été actualisée en 2018 par de nouvelles dispositions destinées à transposer une directive européenne de 2016 qui vise justement à généraliser cette protection des citoyens contre la diffusion de données personnelles les concernant. Tout l’inverse en réalité des approches en vigueur dans le monde libéral des GAFAM américaines qui cherchent à exploiter au maximum, y compris sur le plan commercial, ces données individuelles…

Voiture et poubelles incendiées lors des émeutes urbaines, ici le 28 juin 2023 dans le quartier du Mirail à Toulouse (photo © Nathalie Saint-Affre / DDM / La Dépêche)

En revanche, il est bien exact que le texte de loi en cours d’adoption et qui découle lui aussi d’une volonté européenne, le Digital Service Acts adopté dès le 25 août 2023, vise à mieux protéger les internautes des dérives des plateformes numériques gérés notamment par les GAFAM. Le principe est d’y interdire la mise en ligne de tout ce qui est considéré comme illicite dans le monde réel, et notamment les appels à la violence. Une réaction directe au constat fait durant les émeutes de juin 2023 lorsque les réseaux sociaux ont bruissé d’appels à piller les magasins, s’attaquer aux commissariats et brûler les voitures. Le projet de loi vise ainsi à responsabiliser davantage les fournisseurs d’accès en ligne pour limiter certaines dérives qui ne concernent d’ailleurs pas uniquement les appels au meurtre ou à la violence mais aussi la pédopornographie, l’incitation des jeunes aux jeux en ligne, les cyberharceleurs et même les locations de meublés de tourisme !

Les réseaux sociaux, outil indispensable à la vie moderne en société ou menace ? (photo © Pinterest / Être parents)

On a d’ailleurs un peu de mal à croire que des militants d’extrême droite puissent se montrer aussi soucieux de préserver les libertés individuelles de ceux qui, via les réseaux sociaux, appellent au pillage et à la chienlit… Pourtant, l’encadré qui figure sur ce tract et qui relaye les critiques contre l’ouvrage de Klaus Schwab, intitulé The Great Reset, ne laisse guère de doute sur la mouvance de ses auteurs.

Rappelons au passage que l’auteur de cet essai paru en juillet 2020, en pleine pandémie de covid, n’est autre que le directeur du Forum économique de Davos, qu’il avait créé en 1971 pour tenter de rapprocher les dirigeants d’entreprises des préoccupations de la société civile mais qui est devenu, au fil du temps, une opération commerciale où le monde économique débat en circuit fermé.

Klaus Schwab, fondateur et directeur du Forum économique mondial de Davos, et coauteur du livre The Great Reset  (photo © Markus Schreiber / AP / SIPA / Marianne)

Dans son ouvrage, Schwab explique que la mise à l’arrêt de l’économie mondiale du fait du confinement peut être l’occasion de remettre à plat les objectifs du capitalisme et de le réorienter vers un mode de fonctionnement plus équitable et davantage tourné vers le développement durable, incitant notamment à instaurer une taxe carbone pour favoriser le financement de la transition écologique. Pas de quoi fouetter un chat donc, et même de quoi séduire plus d’un écologiste.

Mais nos complotistes l’interprètent très différemment et y voient la main d’une conspiration mondialisée qui aurait créé de toutes pièces cette pseudo-pandémie mondiale, histoire de conditionner les esprits pour les amener à accepter docilement des mesures nécessairement privatives des libertés individuelles. Dans leur délire, ils imaginent que les solutions vaccinales apportées à cette crise sanitaire font partie du complot et qu’elles visent ni plus ni moins qu’à injecter à chaque citoyen et à son insu une puce électronique en vue de la prise de contrôle numérique des populations.

Efficacité économique, justice sociale et liberté politique, ou la quête éternelle d’un équilibre délicat… (source © QQ Citations / Le vide poche)

Nous en serions là de ce plan bien organisé et l’étape suivante qui se dessine via ces quelques projets de loi bien anodin, consisterait donc à instaurer ni plus ni moins que la loi martiale et la terreur pour annihiler toute velléité de révolte. Quant à l’objectif suivant de ce complot mondial, il viserait purement et simplement à supprimer l’épargne et la propriété individuelle tout en dématérialisant l’argent : où l’on reconnaît que les complotistes à l’origine de ce gloubi-boulga craignent avant tout une socialisation de la société au détriment de la liberté individuelle de s’enrichir sans devoir rendre de compte à personne. Une idée force de la droite la plus libérale qui a toujours accordé plus d’importance à la liberté individuelle qu’à la justice sociale : c’est même à ça qu’on la reconnaît diraient certains…

L. V.

Autoroutes : le racket n’est pas près de s’arrêter…

25 septembre 2023

La France compte près de 12 000 km d’autoroutes et 2 x 2 voies, soit quasiment 175 km par million d’habitant, ce qui constitue un ratio relativement élevé même s’il est supérieur dans d’autres pays comme l’Espagne. Un réseau relativement récent puisque le premier tronçon n’a été mis en service qu’en 1946, à l’ouest de Paris. Rapidement est apparue l’idée de faire payer l’usager pour participer aux investissements colossaux nécessaires au développement du réseau autoroutier, sachant que la construction d’1 km d’autoroute coûte en moyenne 6,2 millions d’euros en France, mais peut atteindre jusqu’à 25 M€ dans certains secteurs difficiles, auquel il faut ajouter chaque année de l’ordre de 70 000 à 100 000 € pour la maintenance de chaque km de réseau.

Travaux de réfection du revêtement de chaussée sur l’autoroute A7 (source © Delmonico Dorel)

Dès 1956 est ainsi créée la première société d’autoroute, ESCOTA, pour la construction de l’autoroute A8 Estérel – Côte d’Azur assortie d’un péage payant. Un modèle rapidement suivi pour l’autoroute Paris-Lyon dont la société deviendra en 1961 l’actuelle Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR). Les concessions accordées à ces sociétés d’autoroutes sont très longues (75 ans par exemple pour ESCOTA, soit jusqu’en 2032) et le réseau concédé concerne désormais environ 9200 km, soit une grosse majorité du réseau autoroutier national.

Et voilà qu’en 2002 l’État français, jusque là unique propriétaire de ces sociétés d’autoroutes, se met à ouvrir leur capital, cédant 49 % d’ASF (Autoroutes du Sud de la France) puis, en 2004 privatisant partiellement la SAPRR et la SANEF (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France). Une privatisation à marche forcée puisque dès 2006 l’État met en vente la totalité de ses parts restantes. Le groupe de BTP Eiffage, associé au fonds australien Macquarie, s’octroie ainsi la SAPPR et détient désormais environ 2100 km, tandis que son concurrent Vinci récupère notamment les sociétés ESCOTA, ASF et Cofiroute, soit près de 4400 km d’autoroutes concédées, l’Espagnol Albertis se contentant d’un peu moins de 1200 km avec notamment la SANEF.

Sur l’autoroute A7 dans la vallée du Rhône : un axe routier très prisé des automobilistes (photo © Cyril Hiely / La Provence)

En vendant ainsi ces concessions autoroutières, l’État se déleste sur le privé de leur entretien, mais à des conditions qui posent question. En 2013, un rapport de la Cour des Comptes relevait ainsi que ces concessions, dont la valeur était alors estimée entre 23 et 25 milliards d’euros, avaient été bradées pour 14,8 milliards seulement. Les sociétés privées bénéficiaires étaient certes tenues de s’endetter fortement pour payer de telles sommes, mais leurs bénéfices se sont rapidement montrés très supérieurs à ce qui avait été escompté lors des négociations initiales, atteignant dès 2012 plus de 2 milliards par an, de quoi rembourser totalement la mise de départ dès 2016 alors que les concessions courent jusqu’en 2032 voire 2036 !

Nouvel échangeur routier de Belcodène récemment aménagé par Vinci Autoroutes sur l’A52 entre Aubagne et Aix-en-Provence au prix de gigantesques terrassements en zone naturelle (source © Vinci Autoroutes)

Un véritable jackpot donc pour les heureux bénéficiaires, rendu possible par de juteuses augmentations des frais de péage et une diminution constante des coûts d’exploitation, grâce notamment à l’automatisation des gares de péage (payée en partie par le contribuable via le crédit impôt recherche !), tandis que les travaux d’entretien sont réalisés en interne par ces entreprises du BTP et souvent allègrement surfacturés…

De nombreuses voix s’élèvent alors pour revoir ces concessions d’autoroutes devenues de véritables usines à cash pour Vinci, Eiffage et Albertis au détriment des automobilistes et du contribuable français. En 2014, une analyse de l’Autorité de la concurrence explique ainsi que sur 100 € de péage acquitté par les usagers, 20 à 24 € vont directement dans la poche des actionnaires, tandis que les charges sur les emprunts des sociétés autoroutières sont déductibles de leur revenu imposable.

Les péages d’autoroutes de plus en plus chers pour les usagers, mais toujours aussi fréquentés (source © Motor 1)

Dans ces conditions, la logique aurait voulu que l’État reprenne la main et négocie un raccourcissement des durées de concession pour revenir à des conditions d’exploitation plus équilibrées dans le sens de l’intérêt général. Mais il a fait exactement l’inverse en négociant plusieurs plans de relance qui se sont traduits par un allongement des concessions autoroutières moyennant la réalisation de travaux supplémentaires, dont plusieurs ouvrages de franchissement pour la faune sauvage, initialement non prévus dans les contrats et réalisés à grands frais par les concessionnaires eux-mêmes. Ainsi, en 2015, un accord transactionnel a été signé par Ségolène Royal et Emmanuel Macron, actant une prolongation des concessions en échange de la réalisation de travaux dont le montant global a été facturé 3,2 milliards d’euros. Sauf que le bénéfice pour les concessionnaires de ce délai supplémentaire qui leur est ainsi accordé a été évalué en 2019 à plus de 15 milliards d’euros par la Cour des Comptes, lorsque celle-ci a eu enfin accès aux éléments du dossier…

Raymond Avriller, militant écologiste ancien élu municipal de Grenoble, a déposé plainte en mai 2023 devant le Parquet national financier pour tenter d’annuler les prolongations de concession indûment accordées en 2015 (photo © Manuel Pavard / Place Gre’net)

Comment les services de l’État ont-ils pu à ce point se faire berner par les concessionnaires d’autoroute ? Il a fallu l’opiniâtreté du militant écologique Raymond Avriller pour le savoir, lui qui s’est battu pendant plus de 3 ans pour arriver à obtenir enfin une copie de l’accord secret conclu en 2015. Il faut dire que les principaux négociateurs, du côté du gouvernement étaient Alexis Kohler, futur secrétaire général de l’Élysée et mis en examen en 2022 pour prise illégale d’intérêt, et Élisabeth Borne, alors directrice de cabinet de Ségolène Royal alors qu’elle avait été, entre 2007 et 2008, directrice des concessions chez Eiffage ! Un mélange des genres qui explique sans doute pourquoi l’accord conclu était aussi favorable aux concessionnaires privés, au détriment des intérêts de la Nation…

Et voilà que début 2023, le Canard enchaîné révèle l’existence d’un rapport de l’Inspection générale des Finances, daté de février 2021, qui explique que les taux de rentabilité interne des concessionnaires d’autoroute sont très supérieurs à ceux pris en compte en 2006 lors de la vente des sociétés autoroutières. Un écart colossal puisque ce taux est presque le double de celui retenu pour dimensionner les concessions, ce qui se traduit par des milliards de surprofit pour les sociétés concernées. Au cours du seul premier semestre 2023, Vinci annonce ainsi un bénéfice de plus de 2 milliards d’euros, issu pour l’essentiel de cette rentabilité exceptionnelle des péages autoroutiers ! Le rapport de l’IGF va d’ailleurs jusqu’à envisager une baisse de 60 % des tarifs de péage, et ceci dès 2022, alors même qu’ils viennent encore d’augmenter de 4,75 % en moyenne au 1er février 2023 !

Bruno Le Maire quelque peu malmené en commission à l’Assemblée nationale reconnait qu’il va falloir « une volonté politique forte » pour renégocier les conventions de concession… (photo © Emmanuel Dunant / AFP / 20 minutes)

Or, plutôt que de mettre en œuvre ces recommandations frappées au coin du bon sens et renégocier enfin ces contrats léonins, le gouvernement français a préféré le tenir soigneusement secret. Bruno Le Maire, notre ministre de l’Économie a d’ailleurs dû s’en expliquer devant une commission de l’Assemblée nationale le 22 mars 2023, reconnaissant ouvertement s’être fait complètement rouler dans la farine par Vinci et consorts lors des négociations initiales en 2006, alors même qu’il était lui-même impliqué comme directeur de cabinet du Premier ministre, Dominique de Villepin…

Voilà donc Bercy bien ennuyé avec cette patate chaude, d’autant qu’une large part de cette rentabilité indécente des autoroutes privatisées s’explique non seulement par des taux d’intérêts durablement bas qui ont largement avantagé les sociétés concessionnaires, mais aussi par les fortes baisses des taxes et de l’impôt sur les sociétés auxquelles elles sont assujetties. Comment expliquer aux Français pris à la gorge par l’inflation qu’il va falloir rogner encore dans les dépenses publiques et la qualité des services publics pour que les actionnaires des concessionnaires d’autoroute, qui se sont déjà mis 3,3 milliards d’euros dans la poche en 2021, puissent se gaver comme jamais pour les 10 à 15 ans à venir ?

Les négociations entre l’État et ses concessionnaires d’autoroute : un combat inégal ? Un dessin signé Aurel, publié dans Le Monde le 19 avril 2019

Le gouvernement a donc saisi en avril dernier le Conseil d’État pour tenter de trouver une échappatoire. Mais l’avis rendu par ce dernier et que Bruno Le Maire vient de rendre public le 12 septembre 2023 est d’une prudence de sioux. L’idée de surtaxer les profits colossaux des sociétés concessionnaires n’est pas exclue mais le Conseil d’État ne se prive pas de rappeler que les choses seraient plus simples si les contrats initiaux ne prévoyaient pas une clause permettant de compenser intégralement toute hausse de fiscalité. En d’autres termes, si le gouvernement se mettait en tête de taxer davantage les profits des concessionnaires, il suffirait à ces derniers de compenser le manque à gagner en augmentant d’autant les tarifs des péages !

Voila donc un dossier qui illustre à merveille à quel point la haute administration française se retrouve démunie face aux entreprises privées toutes puissantes qui dictent leur loi pour le plus grand profit de leurs actionnaires. Le gouvernement va-t-il enfin prendre son courage à deux mains et renégocier ces concessions dans un sens un peu plus favorable à l’intérêt général ? On peut malheureusement en douter…

L. V.

COP 28 : peut-on encore espérer ?

21 septembre 2023

La prochaine Convention des parties sur le changement climatique ou COP 28 se tiendra avec un an de retard, comme les deux précédentes, puisque la COP 26, prévue à Glasgow en 2020 avait dû être reportée pour cause de Covid. Elle s’était terminée sur les images de son président, Alok Sharma, en larmes, obligé d’interrompre son discours de clôture, totalement désespéré de n’avoir pas pu obtenir la moindre avancée, même sur l’objectif pourtant vital de sortir enfin de l’utilisation du charbon comme source d’énergie.

Le président de la COP 26, Alak Sharma, en larmes lors de son discours de clôture à Glasgow, le 13 novembre 2021 (photo © Paul Ellis / AFP / Ouest France)

Cette prochaine COP 28, qui se tiendra bientôt, le 22 novembre 2023, est supposée dresser un bilan à mi-parcours, 8 ans après l’accord de Paris, premier traité international juridiquement contraignant sur le climat, arraché lors de la COP 21 et qui prévoyait, pour limiter la hausse des températures en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère industrielle, de diminuer nos émissions mondiales de gaz à effet de serre de 43 % d’ici 2030.

Mais 8 ans plus tard, les experts de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique viennent de publier, le 8 septembre dernier, leur rapport de synthèse qui rappelle sans détour que « Les émissions mondiales ne sont pas conformes aux trajectoires d’atténuation cohérentes avec l’objectif de température de l’accord de Paris ». Selon ces experts qui s’appuient sur les études du GIEC, « Il existe une fenêtre de plus en plus étroite pour relever les ambitions et mettre en œuvre les engagements existants afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels ». Sauf que l’on en est déjà à 1,2 °C d’augmentation de la température moyenne du globe par rapport à la période préindustrielle de la fin du XIXe siècle et que nos émissions mondiales de gaz à effet de serre ont encore augmenté d’environ 5 % depuis 2015, et même de 10 % si l’on extrapole la trajectoire qui aurait été suivie sans la baisse de régime ponctuelle imposée par la période de confinement mondial !

Évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1950 et trajectoire à respecter pour obéir aux engagements de l’accord de Paris (source © CCNUCC)

En avril 2023, le rapport annuel de l’Organisation météorologique mondiale rappelait que les années 2015-2022 ont été les plus chaudes jamais enregistrées sachant que de nouveaux records de température ont encore été battus cet été. Il soulignait le fait que jamais le niveau des glaces de l’Antarctique n’avait été aussi bas et que les glaciers alpins avaient désormais connu un recul historique jamais observé et très certainement irréversible. Il mentionnait aussi les innombrables catastrophes climatiques observées en 2022 avec notamment un épisode de sécheresse prolongé en Afrique de l’Est, des précipitations record au Pakistan ou en Australie et des vagues de chaleur sans précédent en Chine et en Europe. Une tendance qui s’est encore accentuée en 2023 avec ces incendies inédits au Canada ou en Grèce par exemple.

L’Atlas de de la mortalité et des pertes économiques dues à des phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes, publié par la même organisation internationale pour la période 1970-2019, fait ainsi état de pas moins de 11 000 catastrophes naturelles de ce type recensées au cours des 50 dernières années, faisant un total de dommages évalué à plus de 2 millions de morts et au moins 3,64 milliards de dollars de dégâts matériels : le coût de l’inaction ? Sans compter la pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles, au premier rang desquels l’eau, de plus en plus source de conflits et de restrictions.

Lutte contre un incendie de forêt en Grèce durant l’été 2023 : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs »… (photo © Angelos Tzortzinis / AFP / Courrier International)

Alors, peut-on encore être optimiste à l’approche de cette nouvelle COP qui se tiendra, comble de l’absurde, aux Émirats arabes unis et sera présidée par le ministre de l’industrie émirati, Sultan bin Ahmed al-Jaber, PDG depuis 2016 de la Abu Dhabi National Oil Company, la principale société pétrolière du pays, dotée des quatrièmes réserves mondiales de pétrole, une structure en pleine expansion dont la filière gazière, ADNOC Gas, a levé plus de 2,3 milliards d’euros lors de son introduction en bourse, début 2023 ?

Sultan bin Ahmed al-Jaber, futur président de la COP 28 (source © AFP / La Libre Belgique)

Certes, ce même Ahmed al-Jaber avait lancé en 2006 le projet de nouvelle ville écologique, Masdar City, édifiée en plein désert à 30 km d’Abu Dhabi et à proximité de son aéroport international, futur laboratoire du développement des énergies renouvelables, à l’instar de la ville de Neom projetée en Arabie Saoudite. Mais 17 ans plus tard, le projet, mis en sommeil durant la crise financière de 2008 n’est loin d’être abouti et a tout de la ville fantôme, n’abritant guère que les étudiants (rémunérés) de l‘Institut des sciences et des technologies, ainsi que le siège de l’IRENA, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables.

Maquette de la ville de Masdar, une ville écologique du futur en plein désert, pour l’instant toujours en chantier… (source © Urban attitude)

Bien sûr, les plus optimistes font valoir que le Moyen-Orient, malgré ses réserves colossales de gaz et de pétrole dont l’exploitation assure l’essentiel des revenus, a tout intérêt à se préoccuper du changement climatique global, non seulement parce qu’elle est en passe de devenir un des gros émetteurs de gaz à effets de serre (un habitant de Dubaï émet en moyenne 19,3 tonnes de gaz à effet de serre par an, en 4e position mondiale, derrière le Qatar, le Koweit et l’Arabie Saoudite !), mais surtout parce qu’elle risque d’en être une des premières victimes. On considère en effet qu’entre 1981 et 2019, cette région a subi un réchauffement climatique moyen de 0,45 °C tous les 10 ans, quasiment le double de celui observé en moyenne à l’échelle planétaire, estimé à 0,23 °C par décennie.

Le Jetcar, nouvelle aberration écologique à la mode de Dubaï (source © Jetcar / Natura sciences)

Le choix de tenir la prochaine COP à Dubaï pourrait donc avoir un sens si cela traduisait une réelle volonté des Émirats arabes unis de sortir enfin de leur dépendance extrême aux hydrocarbures et de prôner une plus grande sobriété énergétique. On peut néanmoins en douter quand on voir les gratte-ciel climatisés à outrance, les Hummer disproportionnés, les pistes de ski indoor dans les centres commerciaux, ou encore les jetcars, ces bolides vrombissants qui envahissent la rade de Dubaï et que l’on peut louer pour la modique somme de 600 € de l’heure : le symbole parfait du monde de demain, tel sans doute qu’il ressortira de la prochaine COP 28 ?

L. V.

Le tombolo d’Hyères a un pied dans la tombe…

9 septembre 2023

Le double tombolo qui relie la ville varoise d’Hyères-les-palmiers à l’île de Giens, situé à 5 km plus au sud, fait partie de ces curiosités géographiques que l’on ne retrouve qu’à quelques autres endroits sur terre, notamment à Orbetello en Toscane. Vu depuis les hauteurs de la colline de Costebelle, on dirait deux bras gigantesques qui retiennent l’île de Giens et l’arriment solidement à la terre ferme, comme le raconte si bien Michel Augias dans ses vidéos et sur son site consacré à l’histoire locale de l’eau. Mais cette solidité n’est qu’apparente et d’ailleurs toute récente à l’échelle des temps géologiques…

Vue aérienne de la presqu’île de Giens avec les anciens marais salants en premier plan, la zone pavillonnaire de la Capte à gauche et la plage de l’Almanarre à droite (source © TPM)

Il y a 18 000 ans seulement, à l’occasion de la dernière glaciation, le niveau de la mer était 125 m plus bas et tout le secteur était totalement émergé, le littoral se situant à plusieurs kilomètres au sud des îles actuelles de Giens mais aussi de Porquerolles ou de Port-Cros, alors accessibles à pied sec par nos lointains ancêtres. La remontée progressive du niveau de la mer a ensuite isolé ces îles mais l’on considère que le cordon littoral qui constitue le tombolo ouest s’est mis en place il y a 5 000 ans seulement, déposé par-dessus des dépôts lagunaires récents.

Le cordon oriental, lui, est sensiblement plus récent et les dépôts de sable sont nettement plus épais puisqu’il faut descendre à plus de 24 m de profondeur pour retrouver les dépôts vaseux sous-jacents. Il a probablement émergé sous l’accumulation progressives des apports alluvionnaires des fleuves côtiers voisins, dont le Gapeau, mais aussi le Pansard et le Maravenne, qui charrient vers la mer des matériaux issus de l’érosion des massifs en amont. Depuis l’émergence de ce second tombolo sableux, il y a peut-être 2 à 3 000 ans, à plus d’1 km à l’Est du précédent, le tombolo ouest n’est plus alimenté par ces apports détritiques et est donc soumis à une érosion constante.

Vue aérienne de la presqu’île de Giens reliée par son double tombolo à la ville d’Hyères, avec l’emprise du site classé en 2005 (source © Google earth / Thierry Boisseaux / IGEDD)

Les archives historiques indiquent d’ailleurs que la morphologie du secteur a considérablement évolué depuis. Un peu avant notre ère, les Grecs qui s’étaient déjà implantés à Marseille, vers 600 avant J.-C. fondent, à l’extrémité nord du tombolo ouest un comptoir dénommé Olbia, qui passera ensuite aux mains des Romains, lesquels organisent l’exploitation des premiers marais salants, près de l’embouchure du Gapeau. En 1480, un canal est créé qui récupère les eaux du Roubaud et les conduit vers l’étang des Pesquiers, situé entre les deux tombolos, provoquant un afflux d’eau douce qu’il faut évacuer en créant une brèche dans le tombolo est, le Grand passage, que l’on équipe alors de bourdilles pour piéger les poissons.

Mais les crues du Gapeau viennent régulièrement endommager les pêcheries tandis que le paludisme décime les habitants, si bien qu’en 1824 sont entrepris de gros travaux de drainage et le détournement des eaux du Roubaud au nord de la bastide du Ceinturon. En parallèle, l’exploitation du sable des cordons dunaires connait alors un essor quasi industriel, en particulier pour alimenter le chantier d’aménagement du port de Toulon. Le tombolo ouest, déjà privé d’apports sédimentaires et subissant les effets de l’érosion naturelle, est l’objet, à partir de 1848, de gros travaux de terrassement en vue de l’exploitation des marais salants sur toute la partie nord de l’étang des Pesquiers, exploitation qui durera jusqu’en 1994, avant le rachat du site par le Conservatoire du Littoral en 2001.

Exploitation des marais salants de la presqu’île de Giens (source © Histoire d’eau à Hyères)

En 1930, une conduite d’évacuation des eaux usées est mise en place sur 1,2 km de long au nord du tombolo ouest, partiellement enterrée puis posée sur les fonds marins, pour rejeter les eaux usées en mer à 10 m de profondeur, contribuant encore à décimer les bancs de posidonies qui protégeaient tant bien que mal le cordon dunaire de l’érosion. Enfin, en 1969, une route goudronnée, « la route du sel » est construite sur le tombolo ouest sur lequel on installe aussi une ligne à haute tension et dans lequel on enfouit une conduite d’adduction d’eau potable, les pelleteuses détruisant sans état d’âme la maigre végétation qui maintient le cordon dunaire. Puis c’est l’essor massif du tourisme balnéaire avec ses cortèges de voitures pour lesquelles il faut bien aménager des parkings le long de la magnifique plage de l’Almanarre, tandis que les vacanciers piétinent joyeusement le reste de végétation dunaire et que l’on enlève systématiquement les bancs de posidonies qui protègent les plages de l’érosion.

La plage de l’Almanarre très prisée des estivants, malgré sa tendance à se réduire comme peau de chagrin (source © Recoin de France)

Dès lors, à chaque grosse tempête se créent des brèches à travers le cordon dunaire du tombolo ouest où la plage a, par endroits, quasiment disparu. Après chaque coup de mer, il faut reboucher les trous, mettre des enrochements, parfois fermer les plus grosses brèches avec des épaves de bateau lestées de pierres, et conduire de gigantesques travaux de terrassement pour tout remettre en état. La conduite d’eau potable puis la route elle-même sont emportées et ont dû être reconstruites en arrière pour les besoins du tourisme car la presqu’île de Giens, qui ne compte que 3000 habitants permanents, reçoit pas moins de 1 million de visiteurs par an !

La protection du tombolo ouest contre l’érosion marine : un travail de Sisyphe sans cesse recommencé…  (photos © Commune de Hyères / IGEDD)

Côté Est, où des zones d’érosion active menacent les zones bâties et les installations portuaires, des tubes en géotextile remplis de sable ont été lestés au fond de la mer pour protéger de la houle les tronçons les plus exposés. Mais pour ce qui est du tombolo ouest, les solutions techniques envisagées pour protéger ce qui reste de l’érosion, tenter de maintenir un maigre cordon dunaire et empêcher la submersion marine périodique de la route du sel et des anciens marais salants en arrière, sont nettement plus lourdes car les fonds marins sont désormais profondément érodés. Des modélisations très poussées ont été faites pour évaluer l’efficacité d’infrastructures qui s’apparentent à des digues sous-marines implantées à une centaine de mètres du rivage et qui affleurent le niveau de la mer, laissant un tirant d’eau de 40 cm à 1 m, selon les projets, pour l’usage balnéaire.

Chaque hiver, le ballet incessant des engins de chantier pour recharger la plage de l’Almanarre sur le tombolo ouest… (photo © Luc Boutria / Var Matin)

Des investissements particulièrement lourds estimés au minimum à 2 millions d’euros pour la version la moins coûteuse, élaborée en 2017 par le bureau d’études spécialisé Artelia, et dont beaucoup doutent de l’efficacité réelle. Les écologistes locaux, menés par Benoit Guérin, du collectif Hyères écologie citoyenne, sont vent debout contre ce projet, estimant qu’il est temps de laisser faire la nature et de supprimer la route du sel, dans une logique de repli stratégique face à l’inexorable montée du niveau de la mer, redoutant par ailleurs les impacts environnementaux de travaux de génie civil d’une telle ampleur dans un milieu marin déjà très fragilisé.

Une vision que n’est pas loin de partager le ministère qui a confié en 2021 une étude au Conseil général de l’environnement et du développement durable. Le rapport qui en découle insiste évidemment sur les points d’interrogations encore en suspens, recommande de nouvelles études et investigations pour comparer différentes alternatives, voire vérifier quelles seraient les conséquences en cas de non intervention. Bref, une manière polie de gagner du temps et de ne surtout pas se positionner…

Jean-Pierre Giran, le maire de Hyères-les-palmiers (photo © Rémi Brancato / Radio France)

Une attitude qui a le don d’agacer profondément le maire UMP de Hyères, Jean-Pierre Giran, devenu tout récemment président de Toulon Provence Métropole, à la faveur de la démission forcée d’Hubert Falco, et qui trépigne d’impatience pour engager les pelleteuses. Un dossier emblématique en tout cas du dilemme qui va se poser de plus en plus fréquemment à nos élus locaux confrontés aux effets croissants de l’érosion littorale et au risque accru qui pèse sur les enjeux touristiques associés : face aux phénomènes naturels, l’homme n’aura pas nécessairement partout le dernier mot !

L. V.