Face au défi du changement climatique, la France s’est engagée officiellement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une véritable gageure quand on sait que cela signifie diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’est bien évidement pas envisageable sans un changement drastique de notre mode de vie et de nos comportements individuels. Mais sait-on que trois pays au moins, non seulement ont déjà atteint ce stade mais l’ont même largement dépassé en consommant davantage de CO2 qu’ils n’en émettent ?
Bien sûr, ces trois pays ne sont que de minuscules confettis à l’échelle mondiale et il vaut mieux ne pas compter uniquement sur leurs efforts pour espérer inverser un tant soit peu la trajectoire actuelle qui nous conduit tout droit dans le mur du réchauffement climatique global selon une trajectoire déjà largement engagée. Ces trois pays ont d’ailleurs en commun d’être des États peu peuplés et peu industrialisés, couverts de zones forestières bien préservées puisqu’il s’agit du Surinam, du Panama et du Bhoutan.
Ce dernier pays intrigue bien des Occidentaux après avoir été dans les années 1970 le chantre du Bonheur national brut. Une notion on ne peut plus sérieuse que le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, tout juste intronisé en 1972, s’empresse de mettre en avant comme indicateur de développement, en lieu et place du traditionnel Produit national brut auquel les économistes traditionnels nous ont davantage habitué.
L’idée était novatrice et plutôt séduisante puisque basée sur 4 critères principaux, à savoir le développement économique responsable, la conservation de la culture locale, la sauvegarde de l’environnement et la bonne gouvernance… Une feuille de route plutôt consensuelle en apparence, bien que poussée un peu à l’extrême. Au nom du respect des valeurs traditionnelle, les habitants du pays durent ainsi attendre jusqu’en 1999 pour que soit enfin autorisés la télévision et l’accès à internet !
Et, en fait de bonne gouvernance, le Bhoutan est resté une monarchie absolue jusqu’en 2006, date à laquelle le bon roi susnommé a abdiqué en faveur de son fils, Jigme Khesar Wangchuck, couronné en 2008, à l’âge de 28 ans. Le régime s’est alors transformé en monarchie constitutionnelle et en 2013, le Premier ministre est quelque peu revenu sur la notion de Bonheur national brut en expliquant en substance que ses prédécesseurs ont beaucoup glosé sur ces notions abstraites mais peu agi en conséquence face aux véritables défis qui se posent au pays, dont le chômage, l’endettement, la crise monétaire et la corruption. Une vision plus réaliste mais qui ne l’a pas empêché d’être balayé lors des élections suivantes en octobre 2018 : le peuple est parfois bien ingrat…
Toujours est-il que ce petit pays, plus étendu que la Belgique mais moins que la Suisse et qui compte à peine 800 000 habitants (moins que la ville de Marseille !), fait rêver bien des écologistes avec ses forêts qui absorbent trois fois plus de gaz carbonique que le pays n’en émet. Coincé entre l’Inde et la Chine, le Bhoutan présente des plaines subtropicales dans sa partie sud tandis que le nord s’élève dans le massif himalayen avec des sommets qui culminent à plus de 7 000 m d’altitude.
Si son bilan carbone est aussi flatteur, c’est que 70 % de la superficie du pays est couvert de forêts, grâce à une politique active de préservation, la constitution interdisant même de descendre en dessous d’un taux minimum de 60 %… Grâce à son relief escarpé, le Bhoutan tire l’essentiel de ses ressources énergétiques de la production hydroélectrique dont les équipements sont d’ailleurs largement financés par l’Inde qui en tire également profit. L’agriculture est restée principalement vivrière mais l’élevage traditionnel de yack, dans les zones de montagne, ne représente plus qu’à peine 3 % de la consommation nationale de beurre, de viande et de fromage.
C’est néanmoins ce côté traditionaliste qui donne au Bhoutan son attrait touristique, depuis que le pays s’est ouvert au tourisme en 1974, à tel point que cette activité représente désormais plus de 20 % des ressources nationales. Une activité extrêmement encadrée avec visa obligatoire pour les étrangers et paiement à une agence de voyage locale d’un droit de séjour d’environ 200 dollars par jour, sensée couvrir les frais d’hébergement et de déplacement des touristes, tout en contribuant de manière substantielle au développement des infrastructures du pays. Au Bhoutan, l’accès aux centres médicaux est gratuit, de même que la scolarité jusqu’au lycée, ce qui contribue sans doute au Bonheur national brut sinon à la bonne santé de l’économie nationale dont l’endettement atteint désormais 125 % du PIB. Au Bhoutan, le revenu mensuel moyen par habitant est inférieur à 300 dollars : c’est trois fois moins que la moyenne asiatique et 12 fois moins qu’en France, mais le bonheur n’a pas de prix !
Les activistes écologistes sont parfois un peu lourds avec leur manie de jeter du ketchup sur les toiles de maîtres dans les plus grands musées du monde ou, comme l’ont encore fait récemment des militants du collectif britannique Just Stop Oil, en recouvrant d’un pastiche un célèbre tableau de John Constable, conservé à la National Gallery de Londres et intitulé la Charrette de foin. Le paysage champêtre du XIXe siècle s’est ainsi retrouvé orné de routes goudronnées et d’avions vrombissant tandis que deux activistes revêtus de teeshirts au logo de l’association se collaient la main au cadre du tableau, avant de se faire proprement jeter par les vigiles du musée.
Des actions militantes certes spectaculaires et qui ont pour but d’alerter l’opinion publique sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et l’arrêt de l’exploitation des énergies fossiles, mais qui ont aussi pour revers d’indisposer voire de choquer certains, en s’en prenant ainsi à des œuvres d’art universellement reconnues.
Rien de tel dans le savoureux canular dont TotalEnergies vient de faire les frais, de la part d’un collectif d’activistes français au nom bien inspiré Le Bruit qui court… Dimanche 23 avril au soir, des centaines de militants bien organisés ont placardé d’immenses panneaux de chantiers en différents points de Paris, Rouen, Grenoble, Lyon ou encore Marseille, annonçant la construction d’un gigantesque pipeline de plus de 1000 km de long, destiné à acheminer le pétrole de la Mer du Nord jusqu’au sud de l’Europe en passant par les Pays-Bas, la Belgique et la France, ainsi traversée de part en part.
En parallèle, plus de 3000 propriétaires de maisons situées sur le tracé de ce projet, surtout dans les beaux quartiers de ces grandes métropoles, ont reçu un courrier, d’apparence on ne peut plus officielle, les informant que, du fait du passage de ce vaste projet d’ampleur international sur leur propriété, ils allaient faire l’objet d’une mesure d’expropriation pour raison d’utilité publique.
Le courrier comme les affiches renvoyait au site internet d’une entreprise fictive du nom de WeCop détaillant les objectifs et le calendrier du projet, tout en argumentant sur les vertus d’un tel pipeline d’envergure pour assurer une meilleure distribution. Une pétition avait même été mise en ligne pour permettre à chacun d’exprimer son désaccord éventuel avec le projet et un standard téléphonique dédié a été ouvert, animé par des militants qui ont donc dû recevoir les appels des riverains furieux : «Mais vous ne pouvez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là, c’est pas possible» ont-ils ainsi entendu, parmi d’autres réactions de la part de propriétaires hors d’eux à l’idée qu’un pipeline pourrait venir ainsi traverser leur terrain pour améliorer les bénéfices de l’industrie pétrolière…
Le projet avait été préparé depuis des mois et les militants mobilisés avaient su parfaitement tenir leur longue, de telle sorte que l’effet de surprise a joué à plein, semant un véritable trouble parmi les personnes confrontées à ce projet et à ces méthodes parfaitement vraisemblables de la part d’une multinationale. Dès le mardi 25 avril, l’association a donc dû communiquer un démenti formel et dévoiler le pot aux roses, tout en incitant les médias à divulguer l’affaire, ce dont ils ne se sont pas privés.
Bien évidemment, ce projet de pipeline géant à travers la France n’existe que dans l’imagination de ces activistes, mais leur objectif est en réalité d’attirer l’attention des médias et de l’opinion publique sur un autre projet d’oléoduc géant, bien réel celui-là et porté par l’entreprise TotalEnergie à travers l’Ouganda et la Tanzanie sous le nom de Eacop pour East African crudle oil pipeline. La multinationale française cherche en effet à développer l’exploitation de ressources pétrolières gigantesques, estimées à plus de 1 milliard de barils, découvertes en 2006 sous le lac Albert en Ouganda.
Deux champs pétroliers devraient être mis en exploitation en parallèle. Celui de Tilenga, au nord du Lac Albert sera opéré par TotalEnergies et vise le creusement de 400 puits de pétrole dont la production sera acheminée vers une usine de traitement située à Kasenyi. Ces puits seront forés dans des zones rurales et, pour certains, au cœur du parc naturel des Murchison Falls. L’autre champ, dénommé Kingfisher, sera exploité plus au sud par l’entreprise chinoise CNOOC (China National Offshore Oil Corporation).
Le pétrole issu de l’ensemble des puits sera ensuite acheminé par un gigantesque oléoduc enterré de 1443 km reliant la ville de Kabaale en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie où un terminal pétrolier doit être construit. Du fait de ses caractéristiques propres, le pétrole extrait doit être maintenu à une température de plus de 50 °C pour permettre son acheminement par oléoduc sans risque de colmatage. Le pipeline sera donc chauffé en permanence, si bien que son empreinte carbone sera bien colossale, sans compter les impacts environnementaux de son tracé à travers des zones agricoles et naturelles, et surtout son impact social sur les milliers de petits propriétaires situés le long du tracé et qui devront être expropriés sans pour autant être certains d’être indemnisés.
Il est peu probable que le canular monté par les activistes du Bruit qui court ait le moindre impact sur la construction du futur oléoduc Eacop de TotalEnergie et de CNOOC. Mais incontestablement l’affaire a fait du bruit et a permis de mettre en lumière les impacts de ce projet pharaonique d’investissement pétrolier mené jusqu’à présent en toute discrétion par TotalEnergies et sur lequel les médias français s’étaient bien gardés de communiquer. Comme quoi, les actions des activistes écologistes, surtout menées avec intelligence et un brin d’humour, peuvent avoir des résultats positifs…
Il a beaucoup été question, ces dernières années, des tentatives de la République islamique d’Iran, de développer ses capacités d’enrichissement de l’uranium. On se souvient que le 14 juillet 2015, un accord historique était signé à Vienne entre l’Iran et les 5 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Une heureuse issue venant clôturer 12 ans de crises et 21 mois de négociations multilatérales serrées et rendue possible par l’arrivée au pouvoir en juin 2013 d’Hassan Rohani, lui qui représentait justement l’Iran dans ces négociations internationales engagées depuis 2003.
Sauf que la géopolitique n’est jamais un long fleuve tranquille et que 3 ans plus tard, le 8 mai 2018, l’incontrôlable Donald Trump, annonçait solennellement sa décision unilatérale de sortir les États-Unis de cet accord et de renforcer les sanctions économique contre l’Iran, ce qui conduisait logiquement ce dernier à revenir progressivement sur ses engagements en matière de contrôle de sa capacité d’enrichissement de l’uranium.
Dès 2021, Téhéran annonçait ainsi avoir commencé à produire de l’uranium enrichi à plus de 60 % et cette année, l’Agence internationale de l’énergie atomique indiquait, le 28 février 2023, avoir détecté à la sortie de l’usine souterraine iranienne de Fordo, des particules d’uranium enrichies à plus de 83 %, autrement dit, du matériau fissile apte pour des applications militaires. Les explications alambiquées de l’Iran expliquant qu’il s’agit de « fluctuations involontaires » ne trompent évidemment personne, même si officiellement l’objectif des centrifugeuses iraniennes reste toujours de fournir uniquement le combustible dont sa filière nucléaire civile a besoin.
Sauf que les stocks d’uranium enrichi accumulés en Iran sont désormais 18 fois supérieurs à la limite autorisée lors des accords de 2015. Alors que ces derniers préconisaient de ne pas dépasser un seuil d’enrichissement de 3,67 %, suffisant pour les besoins de la filière nucléaire civile, l’Iran dispose désormais d’au moins 435 kg d’uranium enrichi à plus de 20 % et de 87 kg à plus de 60%… Pas très rassurant quant à une possible utilisation militaire de ce matériau…
Rappelons au passage que s’il est nécessaire d’enrichir l’uranium c’est qu’à l’état naturel il est constitué pour l’essentiel de son isotope stable, l’uranium 238 alors que c’est sa forme isotopique 235U qui est fissile. Plus la proportion de ce dernier est forte, plus l’énergie émise par désintégration sera élevée, à volume identique. Dans les réacteurs nucléaires à eau pressurisée, on utilise généralement de l’uranium enrichi à 3,5 % (au lieu de 0,71 % à l’état naturel). Mais pour faire une bombe atomique où une certaine masse critique est nécessaire pour la réaction en chaîne, on vise plutôt des taux d’enrichissement autour de 90 %.
En France, les premiers réacteurs nucléaires mis en service, de type graphite gaz, relevaient de la filière à uranium naturel, faute justement de maîtrise ces techniques d’enrichissement. C’est en 1958 qu’a été construite en France, sur le site de Tricastin, dans la commune de Pierrelatte, la première usine d’enrichissement d’uranium. L’objectif visé était alors clairement la production d’uranium hautement enrichi à des fins militaires. Ces installations ont d’ailleurs été démantelées à partir de 1996, lorsque la France a renoncé officiellement aux essais nucléaires.
Mais dès 1972, la France, forte de cette expérience industrielle, propose à d’autres pays européens de s’associer, dans le cadre d’Eurodif, pour développer une filière d’enrichissement de l’uranium à des fins civiles. Georges Besse est nommé président d’Eurodif et c’est le même site de Tricastin qui est retenu en 1974 pour la construction d’une usine qui utilise alors le procédé de diffusion gazeuse pour séparer les isotopes 235U et 238U. Après l’assassinat en 1986 de Georges Besse par Action directe, le nom de ce dernier est donné à l’usine qui a fonctionné jusqu’en 2012.
En 2009, le groupe Areva a inauguré, toujours sur le site de Tricastin, une seconde usine d’enrichissement, mais qui utilise cette fois la technique de la centrifugation, qui présente l’avantage de consommer nettement moins d’énergie que la diffusion gazeuse. Ainsi 3 des 4 réacteurs nucléaires de Tricastin servaient exclusivement à alimenter en électricité la première usine d’enrichissement Georges Besse !
La France ne maîtrisant alors pas la technique complexe de l’enrichissement par centrifugation, se tourne vers son concurrent anglo-américano-germano-néerlandais Urenco qui lui vend les brevets nécessaires. Après une montée en puissance progressive, le site a atteint depuis 2016 sa pleine capacité actuelle qui est de 7,5 millions d’UTS (une unité internationale qui permet de quantifier l’enrichissement isotopique). Une capacité correspondant à 12 % de la production mondiale d’uranium enrichi, qui place le Français Areva, devenu désormais Orano, en quatrième position mondiale, loin derrière le Russe Rosatom qui détient 30 % du marché mondial, suivi par Urenco et le Chinois CNNC, les autres producteurs, brésilien, indien et maintenant iranien, restant assez marginaux.
Or la crise ukrainienne a mis en évidence la forte dépendance du nucléaire européen et américain vis-à-vis de leur approvisionnement en combustible nucléaire dont près d’un tiers est importé de Russie et dont les prix ont plus que doublé, après le coup d’arrêt consécutif à l’accident de Fukushima. C’est pourquoi il est désormais envisagé de porter la capacité de production de l’usine de Tricastin de 7,5 à 10 millions d’UTS, moyennant un investissement colossal de 1,3 à 1,7 milliards d’euros à partir de 2024, sachant que ce même site de Tricastin est aussi retenu pour y implanter 2 tranches d’EPR. Orano envisage ainsi d’ajouter 4 nouvelles tranches de centrifugeuses aux 14 déjà implantées en cascade et qui tournent à plein régime 24 h sur 24.
Un projet ambitieux, mais qui risque de rendre moins audible la voix de la France lorsqu’elle s’associe aux sanctions internationales pour réduire les capacités iraniennes à enrichir son propre combustible nucléaire : concilier l’intérêt économique et le positionnement géopolitique nécessite parfois quelques contorsions…
Emmanuel Macron vient de passer 3 jours en Chine, du 5 au 8 avril 2023. De quoi oublier momentanément cette calamiteuse réforme des retraites, bien mal engagée, qui dresse une bonne partie du pays contre lui. Des manifestations relayées dans le monde entier mais sur lesquelles les autorités chinoises se montrent plutôt discrètes faute d’avoir elles-mêmes lancé une telle réforme, dans un pays où l’âge de départ en retraite est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, alors que l’espérance de vie y est désormais, depuis 2022, supérieure à celle des États-Unis…
Le Président de la République française se rendait en Chine surtout pour raisons économiques, cherchant à pousser les pions des entreprises françaises très présentes dans ce pays, par rapport à certains de nos voisins européens, à défaut d’arriver à réindustrialiser la France… Mais il ambitionnait aussi de relancer le dialogue de la Chine avec le bloc européen, espérant même convaincre son homologue chinois de ne pas soutenir trop ouvertement l’offensive russe en Ukraine, n’hésitant pas à lui dire publiquement : « je sais pouvoir compter sur vous afin de ramener la Russie à la raison et mettre tout le monde à la table des négociations ».
Un vœu pieux qui a manifestement laissé son interlocuteur de marbre. La Chine reste en effet convaincue que les malheurs de l’Ukraine sont la conséquence inévitable de la propension de l’OTAN à vouloir s’étendre à l’Est de l’Europe, menaçant directement les intérêts de son ami russe. L’adhésion récente de la Finlande à l’OTAN, ajoutant d’un seul coup 1300 km de frontières communes entre les pays de l’OTAN et la Russie, ne peut que renforcer cette conviction…
La démonstration de force de la Chine qui a débuté depuis le 8 avril des manœuvres militaires d’envergure simulant un encerclement total de Taïwan avec tirs à balles réelles, vise d’ailleurs clairement à exprimer la volonté chinoise d’imposer sa loi dans tout ce secteur géographique, en réaction à la rencontre récente de la présidente de Taïwan avec des parlementaires américains. La position chinoise a d’ailleurs été exprimée sans ambages par un porte-parole de l’Armée populaire de libération, indiquant qu’il s’agit de donner « un sérieux avertissement contre la collusion entre les forces séparatistes qui recherchent l’indépendance de Taïwan et les forces étrangères ».
Une position de fermeté qui fait largement écho à la situation ukrainienne et explique que la Chine n’ait jamais esquissé la moindre critique envers l’agression russe contre son voisin ukrainien, n’excluant même pas de lui livrer des armes létales, dont des drones kamikazes pour compléter ceux déjà fournis en masse par l’Iran. Une position qui semble donc marquer un net rapprochement entre ces deux grandes puissances, dans un sentiment commun anti-américain et plus largement anti-occidental, pas forcément très rassurant quant à l’avenir des relations internationales…
Un tel rapprochement n’allait pourtant pas de soi quand on se souvient que les deux pays s’affrontaient militairement en 1969. L’épisode, pourtant pas si lointain, est certes passé un peu sous les radars car l’Occident avait alors bien d’autres chats à fouetter. La France se relevait tout juste (déjà…) d’une période de troubles sociaux et de manifestations tandis que les États-Unis étaient (encore) empêtrés dans la guerre du Vietnam. La Chine était en pleine révolution culturelle et le monde baignait dans la guerre froide si bien que les journalistes occidentaux étaient alors aussi rares à Moscou qu’à Pékin…
Toujours est-il que dans la nuit du 1er au 2 mars 1969, un groupe de 300 soldats chinois a tendu une embuscade à une patrouille de garde-frontières russes sur une petite île, située au milieu du fleuve Oussouri qui délimite la frontière entre les deux pays. Cet incident intervient alors à l’issue d’une période de dégradation sévère des relations entre les deux pays dont les divergences s’accumulent depuis les années 1950 et qui aboutit en 1964 à la rupture des relations entre le parti communiste chinois et son homologue soviétique. Dans la foulée, la Chine de Mao Zedong se met à soutenir les revendications japonaises sur les îles Kouriles et évoque une remise en cause des traités qui, au XIXe siècle, avaient acté la main mise de la Russie tsariste sur certains territoires chinois de Mandchourie.
Depuis une convention de 1860, c’est donc le fleuve Oussouri qui marque la frontière orientale entre la Chine et la Russie et la petite île de 70 hectares, connue d’un côté sous le nom de Zhenbao, et de l’autre de Damanski, s’est donc retrouvée au cœur de ce conflit frontalier entre deux puissances alors toutes deux détentrices de l’arme nucléaire. Le 2 mars 1969, 31 soldats russes sont ainsi abattus par les forces chinoises offensives. Le 14 mars, les Russes ripostent en envoyant des chars mais doivent battre en retraite face à l’armée chinoise en surnombre. Et le 15 mars, l’armée soviétique sort l’artillerie lourde en mobilisant ses lance-roquettes multiples Grad pour bombarder les positions militaires chinoises installées sur la petite île. Mais quelques mois plus tard, la guerre frontalière se rallume dans le Xinjiang, Brejnev menaçant même de déclencher l’arme atomique pour réduire à néant les installations militaires chinoises…
Un cessez-le-feu sera finalement signé entre les deux puissances se septembre 1969 et le bilan de cette guerre de frontières qui aurait pu dégénérer en Armageddon nucléaire reste incertain. Les sources nationales évoquent une soixantaine de morts côté soviétique et plus de 800 côté chinois mais les estimations de la CIA penchent plutôt pour un bilan d’au moins 20 000 soldats tués des deux bords. Il fallu en tout cas attendre 1991 pour que Boris Eltsine finisse par reconnaître la souveraineté chinoise sur la petite île de Zhenbao et la rende définitivement à son voisin : tout ça pour ça…
Cela paraît incroyable mais c’est pourtant ce qu’il ressort de la dernière édition du World Hapiness Report, une enquête très sérieuse dont l’ONU vient de dévoiler les résultats officiels à l’occasion de la dernière Journée mondiale du bonheur qui s’est tenue le 20 mars 2023 ! Pour la sixième année consécutive, la Finlande arrive en tête des pays les plus heureux du monde !
Bien évidemment, comme toute enquête de ce type, il s’agit de résultats statistiques, issus principalement de sondages effectués par l’institut américain Gallup, mais dont les résultats sont analysés de manière très approfondie par des spécialistes de l’ONU, eux-mêmes accompagnés d’une brochette de chercheurs très pointus issus des meilleures universités du monde : le bonheur sur terre est une notion trop importante pour la prendre à la légère…
Cette étude annuelle en est d’ailleurs à sa dixième édition et ce classement, bien que nécessairement subjectif, traduit néanmoins la manière dont les habitants des 156 pays qui ont été interrogés se positionnent par rapport à cette notion de bonheur qui est évalué au travers d’une flopée de questions. Pour chacun des pays pris en compte, ce sont au moins 1000 personnes qui ont ainsi été interviewées, selon un échantillon jugé représentatif de la population dans sa diversité, qu’elle vive en ville ou en milieu rural et quel que soit son niveau social. Les résultats quant à eux sont établis en faisant la moyenne des trois dernières années, ce qui explique en partie une certaine stabilité du classement final.
Toujours est-il que les Finlandais apparaissent bel et bien comme le peuple le plus heureux de la Terre, et ceci malgré la menace que fait peser sur ce petit pays scandinave de 5,5 millions d’habitant le voisinage avec la Russie et ses velléités à venir régulièrement envoyer ses blindés de l’autre côté de ses frontières. Colonisée par un autre de ses voisins, la Suède, à partir du XIIIe siècle, la Finlande a subi sa première occupation russe dès 1497. Victime au XVIIe siècle de la Grande guerre du Nord entre Suédois et Russes, la Finlande voit disparaître la moitié de sa population victime de la famine, tandis que la plupart de ses intellectuels, prêtes et fonctionnaires, fuient le pays et les troupes d’occupation.
Rattachée à la Russie en 1809, la Finlande ne retrouvera son indépendance qu’en 1917, à l’occasion de la révolution bolchévique. Mais elle devra céder une partie de son territoire à l’URSS au cours de l’hiver 1939-40 avant de s’allier aux armées hitlériennes puis de se retourner contre ces dernières en 1944. Le pays échappe de peu à une annexion pure et simple par l’URSS en 1947 et tente de maintenir depuis une certains neutralité même si sa politique étrangère est restée longtemps subordonnée au joug soviétique. Il a fallu l’invasion russe en Ukraine, en 2022, pour que la Finlande se décide enfin à franchir le pas et à demander son adhésion à l’OTAN, qu’elle vient tout juste de rejoindre officiellement, le 4 avril 2023.
Un tel contexte géopolitique pourrait être de nature à créer un climat plutôt anxiogène. Mais c’est mal connaître les Finlandais ! On a vu ainsi la Première ministre finlandaise, une jeune femme brillante de 36 ans, Sanna Marin, présidente du parti social-démocrate finlandais depuis août 2020, s’amuser avec ses copains lors d’une soirée festive dont les vidéos ont malencontreusement fuité en août 2022. De quoi déclencher une belle polémique en pleine guerre russo-ukrainienne ! Mais la dirigeante assume sans complexe en déclarant : « « J’ai une famille, un travail et parfois un peu de temps durant lequel je profite de mes amis. (…) Et je vous le confirme : j’ai dansé et j’ai chanté, j’ai pris mes amis dans mes bras et bu de l’alcool ».
Un incident qui d’ailleurs n’altère en rien sa grande popularité, comme le confirme l’analyse du journal Iltalehti, considérant qu’elle « est la personnalité politique la plus importante du pays, qu’elle dirige la Finlande durant l’une des crises les plus terribles de son époque du fait des envies guerrières de la Russie et elle trouve quand même le temps de s’amuser ». Le titre ajoute : « Décontractée, moderne et confiance, c’est comme cela que la politique fonctionne. Sanna Marin incarne la génération ’cool’ et c’est clairement ce que Poutine n’est pas. »
Comme quoi, en Finlande, on peut être très professionnel et savoir se détendre quand on referme ses dossiers. Ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché de perdre d’un cheveu les toutes récentes élections législatives qui se sont tenues dimanche 2 avril 2023 et qui ont vu son parti social-démocrate s’incliner d’un rien derrière son rival du centre-droit et derrière le parti anti-immigration et eurosceptique des Finlandais, tous les trois au coude à coude. Mais elle a reconnu avec le sourire sa défaite en félicitant avec chaleur ses challengers…C’est peut-être cela le recette du bonheur finlandais, un pays où la durée hebdomadaire de travail est de 40 heures et l’âge minimum de départ en retraite fixé à 63 ans, mais où chacun quitte le bureau le vendredi à 16h pour se retrouver en famille et souvent se ressourcer en forêt, au bord d’un des multiples lacs que compte le pays.
En Finlande, les espaces naturels sont largement préservés et l’accès à la nature est libre, chacun pouvant y pratiquer à sa guise le camping, la cueillette de champignons, le ski ou la randonnée. Bon équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, pas trop de soumissions aux injonctions contraignantes et un accès aisé à des espaces naturels de qualité, qui ne serait pas heureux dans un tel contexte ?
En tout cas, la France arrive assez loin derrière, dans ce classement des pays où l’on est le plus heureux, loin derrière les autres pays scandinaves, mais aussi la Suisse, l’Australie, le Canada et même les États-Unis qui sont en quinzième position. Certes, le Japon est à la 47e place et la Russie à la 70e, derrière la Chine qui se classe en 64e position, mais encore loin devant bien des pays africains ou l’Afghanistan, en queue de peloton. En matière de bonheur, tout est relatif et globalement les Français ne sont donc pas si malheureux que cela. Peut-être leur manque-t-il juste cette capacité des Finlandais à se contenter des plaisirs simples de la nature ?
Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou serait-il devenu une menace contre la démocratie dans son propre pays ? C’est en effet ce que beaucoup affirment, et non sans de sérieuses raisons ! Même son homologue américain, pourtant allié indéfectible de l’État israélien depuis toujours, s’est ému des dernières attaques ouvertes du gouvernement de Netanyahou, le plus à droite que le pays ait jamais connu, contre l’État de droit et les libertés individuelles. Fin mars, Joe Bident a ainsi déclaré sans ambages : Israël « ne [peut] pas continuer sur cette voie et je pense que je me suis fait comprendre » avant de préciserque les États-Unis ne prévoyaient pas « à court terme » de visite de Benyamin Netanyahou, persona non grata, à la Maison Blanche…
Alors que les Français en sont en leur dixième manifestation contre le projet de report de 2 ans de l’âge minimum de départ en retraite, les Israéliens viennent de manifester samedi 1er avril 2023 pour la treizième semaine consécutive, contre le projet de réforme constitutionnelle du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Un projet qui vise, ni plus ni moins, qu’à annihiler le contrôle qu’exerce encore la Cour suprême israélienne sur les décisions de l’exécutif.
Un véritable coup d’État judiciaire dans un pays qui ne possède pas de constitution, ni de droit de véto présidentiel, ni de chambre haute permettant de jouer les contre-pouvoirs. En Israël, le gouvernement est directement issu du Parlement, la Knesset, et décide donc en accord avec les députés. Dans un tel système, le seul contre-pouvoir institutionnel qui existe est donc celui de la Cour suprême, chargée de veiller à ce que les textes législatifs respectent les lois fondamentales de l’État, assurant ainsi de fait et en dernière instance, un contrôle sur les principales décisions administratives et judiciaires.
Or Benyamin Netanyahou s’est mis en tête de contourner ce pouvoir en permettant à la Knesset d’annuler à la majorité simple toute décision de la Cour suprême qui ne lui conviendrait pas. En parallèle, il souhaite limiter l’indépendance de ce pouvoir judiciaire en nommant lui-même certains de ses membres, jusqu’à présents élus par des juges.
Les raisons d’un tel projet sont évidentes et le gouvernement ne s’en cache guère. Il s’agit même pour Benyamin Netanyahou, sous le coup de multiples accusations pour corruption, d’une question de survie politique, ce qui explique son acharnement à ne rien lâcher sur ce projet qui rencontre pourtant une forte hostilité. Outre les milliers de manifestants qui défilent régulièrement dans les rues, même l’armée commence à tousser. Mi-mars 2023, des centaines de réservistes et membres des unités d’élites ont menacé de se retirer si la réforme était adoptée. Une menace si sérieuse que le 26 mars, le ministre de la Défense a cru bon d’annoncer une suspension temporaire du projet. Mais il a été aussitôt désavoué par le chef du gouvernement qui l’a limogé dans la foulée !
Même le secteur économique, très dépendant des investisseurs étrangers commence à trouver que la plaisanterie a assez duré en constatant que cette réforme anti-démocratique fait jaser auprès des partenaires et notamment des fonds d’investissements de plus en plus sensibles aux critères de bonne gouvernance… Fin mars, le principal syndicat du pays a appelé à la grève générale et on a vu plusieurs entreprises fermer et encourager leurs salariés à aller manifester contre le gouvernement ! Du jamais vu en Israël alors que la monnaie est à son cours le plus bas depuis 3 ans.
De quoi inquiéter le pouvoir en place qui se heurte à une opposition de plus en plus massive d’une partie de la population, inquiète des dérives du gouvernement Netanyahou contre la démocratie mais aussi contre la laïcité et le droit des minorités. Les ultraorthodoxes fondamentalistes et les ultranationalistes avec qui Netanyahou s’est allié pour constitué son gouvernement, ne cachent en effet pas leurs intentions, estimant qu’Israël est d’abord et avant tout un État juif et que la démocratie n’en est pas une composante essentielle. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ouvertement raciste et qui appelle régulièrement à raser des villages palestiniens gênant la colonisation juive, affirmait ainsi encore récemment que « le peuple palestinien est une invention » tandis que ses collègues ultraorthodoxes ne cachent pas qu’à leurs yeux, les femmes n’ont pas vocation à bénéficier des mêmes droits que les hommes : c’est dit…
Contre la Justice, tous les moyens sont bons quand on est au pouvoir : un dessin signé Chappatte, publié le 7 juin 2021 dans NZZ am Sonntag, Zurich
Voilà en tout cas une dérive qui fait désordre mais jusqu’à présent Benyamin Netanyahou s’accroche à son projet de réforme car il sait que c’est le seul moyen pour lui d’échapper à la Justice qui le poursuit pour corruption, fraude et abus de confiance. Il est notamment accusé de corruption depuis 2016 pour avoir reçu des cadeaux pour une valeur de 1 millions de shekels, mais aussi, pour avoir tenté à plusieurs reprises de négocier des accords secrets avec des médias pour s’assurer une couverture favorable. Un homme d’affaire franco-israélien lui aurait aussi versé un don de 1 million d’euros en 2016 pour payer sa campagne électorale en infraction avec la loi. Il est inculpé depuis 2019 alors même qu’il était déjà premier ministre, fonction qu’il a exercé pour la première fois en 1996 et à laquelle il s’agrippe désespérément, pour ne pas tomber. Un exemple de plus de ces dirigeants politiques peu scrupuleux mais capables de tout pour se maintenir au pouvoir, n’hésitant pas à tripatouiller les fondements juridiques de leur pays pour assurer leur propre immunité. Toute ressemblance avec un certain Nicolas Sarkozy serait naturellement purement fortuite…
Appréciée depuis des millénaires, déjà chez les Sumériens puis dans l’Égypte antique, la bière est considérée dans beaucoup de pays comme un l’ingrédient indispensable d’une bonne qualité de vie, marqueur fort de l’identité locale. Au point que le compositeur américain un peu fantasque, Franck Zappa, avait coutume de dire : « Un pays n’existe pas s’il ne possède pas sa bière et une compagnie aérienne. Eventuellement, il est bien qu’il possède également une équipe de football et l’arme nucléaire mais ce qui compte surtout c’est la bière ». Ce qui permet de constater que la France, tout compte fait, avec ses 2300 brasseries artisanales, sans même compter son arsenal nucléaire et ses exploits au Mondial de foot, tient finalement bien son rang…
Et ceci d’autant plus que la bière française s’exporte, voire se brasse à l’extérieur, en Afrique tout particulièrement, sous la houlette d’un géant industriel du pinard, le groupe Castel, fondé en 1949 par les 9 frères et sœurs de la famille du même nom. Brassant un chiffre d’affaires annuel de 2,6 milliards d’euros, Castel a fait fortune dans la commercialisation du vin via ses marques telles Listel, Vieux Papes ou encore La Villageoise, ainsi que les cavistes Nicolas rachetés en 1980.
Mais la bière fait aussi partie de son fonds de commerce depuis que Castel a racheté en 1990 les Brasseries et glacières internationales, présent dans 27 pays africains et leader dans plusieurs d’entre eux dont l’Algérie avec sa marque Beaufort, ou l’Angola avec la Cuca brassée dans 7 usines nationales. En 1994, Castel engloutit également la SOLIBRA qui domine le marché de la bière en Côte d’Ivoire et dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest avec sa Flag, puis en 2003 les Brasseries du Maroc et en 2011 les brasseries Star à Madagascar.
En Centrafrique, ce pays d’Afrique centrale de 4,5 millions d’habitants, enclavé entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan et le Congo, le groupe Castel détient le quasi-monopole de la bière grâce à sa filiale Mocaf, créée en 1951 et rachetée en 1993 pour fusionner avec la Société centrafricaine de boissons, fondée en 1982 par Pierre Castel. Sa brasserie emploie près de 300 personnes et produit 300 000 bouteilles de bière par an !
Mais voilà que le climat centrafricain n’est plus aussi serein pour le géant français des boissons alcoolisées. Les Russes sont en train de s’implanter en force sur ce territoire via le groupe Wagner du sulfureux Evgueni Prigojine, un ancien délinquant devenu homme d’affaire, très proche de Vladimir Poutine, et qui a fait fortune dans la restauration avant de créer en 2014 un groupe paramilitaire privé, très actif actuellement sur le front ukrainien mais aussi dans plusieurs pays africains.
Présents en Centrafrique depuis 2018, les mercenaires du groupe Wagner participent à l’instruction des forces armées nationales et assurent la garde rapprochée du Président de la République, Faustin-Archange Touadéra. Mais ils font aussi du business très juteux, en particulier dans les mines diamantifères et ils se sont lancés en 2021 dans la production locale de vodka, vendue en ville dans de petits sachets en plastique sous le nom de Wa na wa, et à qui la rumeur publique attribue toutes sortes de bienfaits sanitaires, remède souverain, paraît-il contre les problèmes digestif ou le Covid.
Le succès commercial de la vodka russe en Centrafrique n’est pas flagrant mais cela n’a pas empêché Wagner de poursuivre l’aventure en lançant, en janvier 2023, sa propre marque de bière, l’Africa Ti l’Or. Non sans avoir au préalable inondé les réseaux sociaux et les rues de Bangui avec une campagne de dénigrement au vitriol de la bière Castel. Il faut dire que le groupe industriel est déjà fragilisé par une enquête de la justice française pour complicité de crime de guerre suite aux accusations lancées en 2021 par l’ONG The Sentry, accusant une autre de ses filiale, la sucrerie Sucaf, d’avoir versé des pots de vins à l’Unité pour la paix en Centrafrique pour pouvoir continuer sa production dans la province de la Ouaka, alors sous contrôle de ce mouvement rebelle.
On a vu alors fleurir des campagnes de communications montrant des chargeurs de kalachnikov remplis de bouteilles de bière Mocaf avec des slogans du style : « À chaque achat de Castel, tu finances la guerre et tu te tues ». Une campagne de dénigrement soigneusement orchestrée visant à déconsidérer l’industriel français pour le forcer à quitter le pays et libérer la place pour les nouveaux investisseurs russes.
Et pour accélérer un peu la manœuvre, Wagner n’a pas hésité à joindre le geste à la parole. Le 30 janvier, trois Russes ont tenté de pénétrer sur le site de la brasserie Mocaf avec une échelle avant d’être mis en fuite par les services de sécurité. C’est ensuite un drone qui a survolé longuement le site puis, dans la nuit du 5 au 6 mars 2023, les caméras de surveillance de la brasserie ont filmé quatre individus masqués et armés de kalachnikov, lançant des cocktails Molotov qui ont provoqué un début d’incendie de l’usine. Nombre d’indices convergent pour incriminer les mercenaires du groupe Wagner dans cet incendie volontaire, aggravant encore la tension déjà très forte entre Français et Russes dans ce pays en proie à la guerre civile depuis 2004 et dont le pouvoir central ne contrôle plus qu’une partie du territoire. La France y a été pourtant durablement implantée depuis la fin du XIXe siècle, organisant administrativement le territoire à partir de 1905 sous le nom d’Oubangui-Chari. Devenu indépendant en 1960, le pays se confronte dès 1965 au coup d’État de Jean-Bedel Bokassa qui se fait couronner empereur en 1977 avant d’être renversé en 1979 par une opération militaire française.
De nouveaux coups d’État militaires se succèdent en 1981 puis en 2003, permettant au général François Bozizé d’accéder au pouvoir mais l’élection de ce dernier à la Présidence de la République en 2005 déclenche une première guerre civile jusqu’en 2007, puis une seconde à partir de 2012 qui se termine par la prise de Bangui en mars 2013 par des groupes rebelles de la coalition Seleka. Face au chaos qui s’ensuit, l’ONU vote une résolution autorisant l’envoi de soldats français pour rétablir le calme, dans le cadre de l’opération Sangaris qui comptera jusqu’à 1600 hommes.
L’élection présidentielle de janvier 2016 permet au nouveau président élu, Faustin-Archange Touadéra, de lancer un ambitieux programme de réconciliation nationale qui débouche en février 2019 sur la signature d’un accord de paix avec les 14 principaux groupes armés rebelles. Mais la situation reste très chaotique et les exactions se poursuivent, la capitale étant directement menacée fin 2020 par les attaques de la Coalition des patriotes pour le changement, que l’armée finit par repousser avec l’aide des soldats russes, dont les mercenaires du groupe Wagner.
L’implantation durable de ces derniers pousse les derniers soldats français à quitter le pays en décembre 2022 et le régime actuel semble se rapprocher de plus en plus des nouveaux investisseurs russes et chinois, très présent dans ce pays riche en ressources minérales, au point que l’on a vu, le 22 mars 2023, quelques centaines de manifestants défiler dans les rues de Bangui avec des banderoles en soutien à la Russie et à la Chine, après l’assassinat de neuf Chinois du Gold Coast group sur le site minier de Chnigbolo, à 25 km de Bangui. Un climat de tension qui n’augure rien de bon pour les intérêts industriels du groupe Castel et, au-delà, pour l’avenir des liens entre la France et la Centrafrique…
Deux ans maintenant après le coup d’État militaire qui a permis à la junte de reprendre le pouvoir après avoir procédé, le 1er février 2021à l’arrestation musclée du Président de la République, Win Myint, et de sa célèbre conseillère spéciale, Aung San Suu Kyi, la Birmanie semble s’enfoncer dans le chaos et voir reculer toute perspective de retour à la démocratie.
Il faut dire que ce pays de 56 millions d’habitants, du Sud-Est asiatique, frontalier du Laos, de la Thaïlande, du Bangladesh mais aussi de l’Inde et de la Chine, ancienne possession des Indes britannique devenue indépendante en 1948, n’en finit pas d’enchaîner les dictatures militaires depuis 1962, date à laquelle le général Ne Win a pris le pouvoir à l’issue d’un putsch, n’hésitant pas à dynamiter un bâtiment universitaire pour tuer dans l’œuf la contestation étudiante, et causant de l’ordre de 3000 morts selon les estimations.
Après 26 ans de dictature militaire, c’est une autre révolte étudiante qui commence à fissurer le régime militaire, débouchant sur un véritable soulèvement général. Le 18 septembre 1988, un autre général organise un nouveau coup d’État qui permet à la junte militaire de se maintenir encore 2 ans au pouvoir.
Cette même année 1988 voit le retour en Birmanie d’Aung San Suu Kyi, dont le père avait négocié l’indépendance de la Birmanie avant d’être assassiné en juillet 1947. Elle se lance en politique et crée en 1988 un nouveau parti, la Ligue nationale pour la démocratie. Son activisme lui vaut d’être arrêté par le gouvernement militaire dès 1989 et assignée à résidence pour 6 ans. En mai 1990, sous la pression populaire, les militaires finissent par organiser des élections qui sont largement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, mais les députés élus ne sont pas autorisés à siéger. S’ensuit une période de répression tandis qu’Aung San Suu Kyi est de nouveau placée en résidence surveillée malgré le prix Nobel de la paix qui lui est attribué en 1991.
Emprisonnée en septembre 2000, elle est libérée en mai 2002 mais son convoi est attaqué peu après par un groupe paramilitaire et elle ne doit son salut qu’au dévouement de son chauffeur, ce qui ne l’empêche pas d’être de nouveau jetée en prison puis assignée à résidence et de nouveau condamnée à 18 mois de détention en septembre 2009. En 2010, l’armée au pouvoir va jusqu’à changer le nom du pays qui devient alors officiellement la République de l’union du Myamar, même si l’on peine à assimiler ce régime militaire à une véritable république. A cette période, la junte militaire finit néanmoins par accepter la tenue d’élections, considérées comme largement truquées, qui voient l’un de ses piliers, le général Thein Sein, passer du poste de premier ministre à celui de Président de la République.
Le 1er avril 2012 enfin, Aung San Suu Kyi est élue députée à l’occasion des élections législatives et en novembre 2015 son parti remporte la majorité absolue. Mais les règles fixées par la junte birmane lui interdisent de se porter candidate à l’élection présidentielle, au prétexte qu’elle avait été mariée à un Britannique, décédé en 1999. C’est donc l’un de ses proches, Htin Kyaw, qui devient Président en mars 2016, le premier élu démocratiquement dans ce pays depuis 1957 !
Aung San Suu Kyi, quant à elle, cumule plusieurs postes de ministres, mais son gouvernement reste fortement inféodé à l’armée qui détient de droit les ministères de la Défense, de l’Intérieur et des Frontières, tout en conservant, de par la constitution, une minorité de blocage au Parlement. Et la junte militaire, pour préserver ses propres intérêts économiques, s’oppose frontalement à de nombreuses réformes, tandis que le pays doit gérer la crise des Rohingyas, une minorité ethnique que l’armée considère comme des réfugiés du Bengladesh et à l’égard de qui elle exerce une répression inhumaine.
Le 8 novembre 2020, le parti d’Aung San Suu Kyi remporte une victoire éclatante à l’occasion des nouvelles élections législatives mais le 1er février suivant, les militaires arrêtent les principaux dirigeants politiques du pays et instaurent l’état d’urgence pour au moins un an. En réalité, l’armée birmane n’avait fait que tolérer ce pouvoir civil pendant quelques années, lui laissant un pouvoir réduit qui lui permettait de conserver le contrôle et préserver ses intérêts. La large victoire du parti d’Aung San Suu Kyi, lui permettant de remporter 82 % des sièges au Parlement, ouvrait la voie à une réforme constitutionnelle qui aurait pu réduire le pouvoir de l’armée, d’où ce nouveau putsch militaire…
Depuis, la situation est bloquée et Aung San Suu Kyi est de nouveau derrière les barreaux, condamnée depuis le 30 décembre 2022 à 33 ans d’emprisonnement ! Des manifestations populaires de grande ampleur ont bien eu lieu, à l’initiative des fonctionnaires d’abord de la santé, puis de l’éducation, rassemblant plusieurs centaines de milliers de manifestants le 22 février 2021, mais la répression exercée par l’armée est féroce.
De nombreux jeunes gens ont pris les armes et rejoint dans les zones rurales les différentes rebellions ethniques dont celle des Karens qui dure depuis des années près de la frontière thaïlandaise. L’armée envisageait de nouvelles élections pour l’été prochain, sous son contrôle comme à son habitude, mais l’état de désorganisation du pays est tel qu’elle risque fort de devoir y renoncer, incapable d’assurer la sécurité de l’ensemble des bureaux de vote. Le retour de la démocratie en Birmanie n’est peut-être pas pour demain…
Le 27 février 2023, la version finale du projet de nouvelle constitution du Mali a été remise solennellement au colonel Assimi Goïta, un militaire putschiste qui dirige la « Transition » dans ce vaste pays sahélien de près de 22 millions d’habitants, qui s’étend de l’Algérie jusqu’en Côte d’Ivoire. Une constitution dont l’adoption par référendum était initialement prévue de 19 mars, première étape vers un retour du pouvoir aux civils, avec des élections envisagées en 2024 si tout va bien.
Sauf que ce projet de constitution n’est pas du goût de tout le monde. La Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, une structure très influente qui représente les autorités religieuses musulmanes du pays, a purement et simplement appelé à voter non à ce projet à l’occasion d’un point de presse soigneusement orchestré, le 7 mars 2023. La raison de ce rejet ? La ligue des imams avait demandé le 10 janvier dernier que le terme de « laïcité » ne figure pas dans ce texte constitutionnel, lui préférant celui d’« État multiconfessionnel »…
Pour des religieux, le terme de laïcité fait horreur car il présuppose que les citoyens pourraient conduire les affaires publiques de la Nation sans se préoccuper de leurs convictions religieuses, voire même sans avoir du tout de telles conviction, ce qui est proprement inconcevable pour nombre de personnes, persuadées que seuls les préceptes religieux sont à même de régir le monde et, en l’occurrence, que la charia, la loi de Dieu, s’impose à tous bien au-dessus des règles des hommes.
La commission chargée de finaliser le projet n’ayant pas accédé à cette demande, les imams affirment donc sans ambages leur opposition frontale et appellent l’ensemble des Musulmans du pays à voter contre ce projet qui ne les satisfait pas. Sachant qu’environ 95 % des habitants du pays se réclament de l’Islam, le pouvoir a quelque souci à se faire quant à l’adoption de son projet…
D’autant que ce n’est pas la première fois que cette ligue d’imams défie ainsi le pouvoir politique. En août 2009 déjà, elle avait rassemblé plus de 50.000 manifestants dans un stade de Bamako pour protester énergiquement contre le nouveau code de la famille adopté par les députés, considérant qu’il s’éloignait trop des préceptes de l’Islam traditionnel, accordant trop de droits aux femmes et pas assez de valeur au mariage religieux. Même un simple article prévoyant d’autoriser une femme à faire du commerce sans l’autorisation de son mari déclenchait les foudres des imams conservateurs !
Le président Amadou Toumani Touré, directement menacé par les imams, avait alors été contraint de faire machine arrière et de renoncer à promulguer le nouveau texte, finalement adopté en décembre 2011 après une refonte complète. La nouvelle mouture marquait un net recul des droits des femmes en particulier, reconnaissant juridiquement le mariage religieux et affirmant que « la femme doit obéissance à son mari ». Cela n’avait pas empêcher le président malien d’être renversé quelques mois plus tard, en mars 2012, par un coup d’État militaire.
A l’époque, le Mali est en proie à des troubles majeurs dans le nord du pays qui passe progressivement dans les mains de mouvements armés djihadistes. En janvier 2013, les rebelles islamistes menacent directement Bamako et la France doit intervenir pour empêcher qu’ils ne s’emparent du pouvoir. Mais la présence militaire française dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane finit par générer du ressentiment, soigneusement attisé par certains. En avril 2020, les élections législatives, plusieurs fois reportées du fait du contexte d’insécurité persistant, se tiennent dans un climat de violence qui se matérialise par de nombreux enlèvements dont celui du chef du principal parti d’opposition, Soumaïla Cissé, qui ne sera libéré que 6 mois plus tard.
Entre temps, un groupe de militaires putschistes procède à l’arrestation musclée du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, contraint à la démission le 19 août 2020. Le colonel Assimi Goïta, qui fait partie des 5 gradés mutins, prend le dessus sur ses petits camarades à l’occasion d’un second coup d’État, le 24 mai 2021. Il promet alors d’organiser rapidement des élections, en février 2022 au plus tard, mais cette promesse ne sera pas tenue. Son rapprochement avec les forces mercenaires russes du groupe Wagner, celui-là même qui combat en ce moment contre l’armée ukrainienne, finit par obliger la France à replier ses troupes encore engagées dans l’opération Barkhane de maintien de l’ordre.
Toujours est-il que le colonel Assimi Goïta vient de tomber sur un os avec son projet de constitution qui prônait l’« attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’État » et dans lequel il était prudemment précisé que « la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle ». Mais ces termes ont été jugés outrageants par la très chatouilleuse Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, pour qui la laïcité « est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions ».
La transition du Mali vers une société démocratique et moderne ne semble donc pas être pour demain, d’autant que les protestations énergiques des imams reçoivent bien évidemment un écho très favorable de la part des mouvements djihadistes désormais bien implantés dans le nord du pays où l’un des proches du chef de la Katiba du Macina vient de diffuser une vidéo qui exhorte la population malienne à se dresser contre l’adoption de cette constitution d’inspiration trop occidentale à son goût. La laïcité à la française a décidément bien du mal à s’exporter hors de nos frontières…
On a coutume de dire que l’Inde est la plus grande démocratie du Monde. C’est en tout cas très bientôt le pays le plus peuplé du monde avec plus de 1,4 milliards d’habitants, un tout petit peu moins que la Chine aux dernières estimations mais plus pour longtemps car sa démographie est nettement plus dynamique que son voisin chinois qu’elle ne devrait pas tarder à dépasser. Quant à son caractère démocratique, il l’est incontestablement davantage que la Chine dont le président tout puissant, Xi Jinping vient d’être réélu ce vendredi 10 mars 2023 à l’unanimité par ses pairs du Parti communiste chinois pour son troisième mandat d’affilée à la tête du pays. En 2018, Xi Jinping n’avait pas hésité à faire sauter la disposition constitutionnelle interdisant au président de la République populaire de Chine de faire plus de deux mandats, tout en développant un culte de la personnalité de plus en plus marqué.
Une dérive qui semble tenter également son homologue indien, le premier ministre Narendra Modi que le monde entier a pu voir le 9 mars 2023 faisant un tour de piste triomphal perché sur un char tel un empereur romain, saluant du bras tendu la foule en délire dans les tribunes de ce qui est considéré comme l’un des plus grands cirques du monde, le stade Narendra Modi, à Ahmedabad, rebaptisé ainsi en 2021 en l’honneur du Premier ministre.
On a connu attitude plus modeste de la part d’un chef de l’État, même aussi puissant que l’Inde. Pas sûr d’ailleurs que l’exercice ait été très apprécié par son homologue australien, le premier ministre Anthony Albanes, embarqué malgré lui dans ce tour de piste assez surprenant, en ouverture du quatrième test match de cricket qui opposait les deux équipes nationales. Déjà le fait d’avoir donné son nom, de son vivant, à un stade aussi emblématique est assez révélateur du culte de la personnalité dans lequel se complait le dirigeant indien. Bien sûr, d’autres l’avaient fait avant lui, tels Benito Mussolini ou Saddam Hussein, mais qui ne sont pas restés dans l’histoire comme des modèles de vertu démocratique.
Et, comble de narcissisme, le dirigeant indien s’est vu offrir un portrait de lui-même, issu de collage de photos de joueurs de crickets, avant de monter dans son char doré pour son tour d’honneur du stade devant une foule estimée à environ 80.000 spectateurs. Certes, l’enjeu est de taille pour l’Inde de Modi, dans un pays où le cricket est le sport national et qui s’apprête d’ailleurs à accueillir en octobre prochain la coupe du monde de cricket. L’audience télévisées s’annonce colossale et le premier ministre indien envisage bien évidemment de capitaliser au maximum sur cette ferveur populaire pour s’assurer une réélection triomphale dans la foulée, en 2024, pour son troisième mandat !
Narendra Modi est en effet à la tête de l’Inde depuis mai 2014. Son parti, le BJP, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party, était alors arrivé largement en tête de ces élections générales pour lesquelles 814,5 millions d’Indiens étaient inscrits sur les listes électorales ! Narendra Modi, en tant que directeur de la campagne du BJP était le candidat naturel pour ce poste, lui qui avait fait son ascension politique dans l’État du Gujarat où il avait été nommé ministre en chef en octobre 2001. De condition plutôt modeste, Modi s’était engagé comme propagandiste professionnel au RSS, un groupe nationaliste paramilitaire hindou d’extrême droite, avant de rejoindre le BJP où il a pris des responsabilités nationales dès les années 1990.
Le 27 février 2002, un train transportant des pèlerins hindous a pris feu à Godhra, causant une cinquantaine de victimes et provoquant des émeutes d’une rare violence, attisées par Narendra Modi et ses amis du BJP, persuadés que l’incendie a été provoqué délibérément par des musulmans. Il s’en est ensuivie une vague de violence qui a embrasé tout le Gujarat, largement encouragée par les nationalistes hindous et qui fera près de 2000 victimes selon certaines estimations. Un tribunal de New York a d’ailleurs tenté ultérieurement de traduire Modi en justice pour « tentative de génocide » mais cela ne l’a pas empêché d’être confortablement réélu à la tête du Gujarat en tenant un discours de haine contre la communauté musulmane.
Il fera ainsi 4 mandats comme gouverneur de cet État dont il vante le dynamisme économique tandis que les analystes notent que la situation se dégrade sur le front de la lutte contre la pauvreté et la malnutrition ainsi qu’en matière d’éducation. Mais Narendra Modi s’avère expert en communication, organisant des chats sur les réseaux sociaux dont il maîtrise parfaitement les codes, à la manière de son ami Donald Trump, tandis qu’il multiplie le recours aux hologrammes pour se démultiplier dans les campagnes tant pour sa quatrième élection à la tête du Gujarat en 2012 que lors de sa campagne nationale en 2014.
Depuis qu’il est à la tête de l’Inde, Narendra Modi a résolument tourné le dos à la tradition socialiste et laïque soutenue pendant des décennies par le Congrès national indien, le parti de Jawaharlal Nehru et du Mahatma Ghandi. Il prône un capitalisme débridé dans lequel les privatisations jouent un grand rôle, et un nationalisme religieux hindou qui ne fait qu’attiser les tensions avec la communauté musulmane, surtout après l’attentat islamiste de Pulwama, dans le Cachemire en février 2019. Depuis le début de son deuxième mandat, en mai 2019, Modi mise tout sur l’exaltation du nationalisme indien et joue à fond sur le culte de sa personnalité, s’érigeant en protecteur de l’Inde face aux menaces extérieures de la Chine, du Pakistan et des islamistes, ce qui englobe à ses yeux les musulmans du Cachemire.
Une vision politique qu’on pourrait qualifier somme toute de nationale-populiste, pas forcément très rassurante pour la plus grande démocratie du Monde…
Cet article a été rédigé en date du 2 mars 2023 par Pierre Mouroux, éminent spécialiste de la prévention du risque sismique, ingénieur honoraire du BRGM (Bureau de recherches géologique et minières) et membre d’honneur de l’AFPS (Association française du génie parasismique). Pierre Mouroux était intervenu à Carnoux, le 24 septembre 2012, pour une conférence organisée par le Cercle progressiste carnussien, portant sur le risque sismique dans notre région et sur les moyens de prévenir ce risque naturel. Il revient ici sur les récents tremblements de terre de forte intensité qui se sont produits le 6 février 2023 en Turquie et en Syrie, 20 ans après le gros séisme qui avait fait plus de 17 000 morts, le 17 août 1999, dans la région d’Izmit-Gölcük où il s’était rendu dans le cadre d’une mission de retour d’expérience.
Deux séismes majeurs ont touché la Turquie et la Syrie, le 6 février 2023, le premier à 4h17 (locale), de magnitude de moment 7,8, près de Gaziantep, le deuxième à 13h24 (locale), de magnitude de moment 7,5, près de Kahramanmaraş. Le deuxième n’est pas une réplique mais a pu être déclenché par le premier. Les répliques sont très nombreuses. Deux d’entre elles ont eu des magnitudes importantes, de 6,4 et 5,8, et ceci 11 jours après les séismes principaux. Beaucoup d’autres toucheront encore toute la zone concernée pendant de nombreux mois. Voir les cartes ci-après.
Avec des foyers autour de 20 km de profondeur, les longueurs de rupture sont colossales, plus de 120 km pour le premier, sur la faille Est-anatolienne, limite des plaques arabique et anatolienne et de 100 km pour le deuxième. Voir les photos de traces de failles en surface ci-après.
Les conséquences sont catastrophiques, avec un territoire concerné, en Turquie et en Syrie, de plus de 80 000 km², soit près de 3 fois la Région PACA. Les raisons principales sont les suivantes :
Une vulnérabilité très importante des constructions courantes, compte tenu d’une conception erronée et surtout d’une mauvaise qualité évidente des bétons peu confinés et des aciers, conduisant à des ruptures en châteaux de cartes, déjà bien observées lors du séisme d’Izmit-Gölcük en 1999. Voir ci-après. Les pertes humaines sont ainsi colossales : au moins 45 000 morts à la date du 28 février, plus de 150 000 blessés et des dizaines de milliers de sans-abris.
Cette vulnérabilité est le fait d’une corruption à grande échelle, bien mise en évidence dans un article récent du Monde, le 17 février : dans la province de Hatay très touchée par les séismes, la petite ville d’Erzin, 42 000 habitants, n’a eu aucun mort et aucun blessé. Le maire n’a absolument pas voulu accepter les conditions des corrupteurs-constructeurs et un grand nombre de constructions a subi peu de dommages, une grande réussite.
On aurait pu penser qu’après les grands séismes destructeurs de 1999, la Turquie aurait mis en place un plan efficace pour imposer que toutes les constructions soient parasismiques. Cela était tout-à-fait possible car la Turquie possède un règlement parasismique parmi les meilleurs au monde grâce à d’imminents spécialistes que nous avions pu rencontrer en 1999, dont le Professeur Erdik, très connu internationalement.
Cela a pu être réalisé mais seulement jusqu’en 2007, année de nouvelles élections. Une corruption très efficace a alors été mise en place entre le pouvoir existant et toutes les entreprises liées à la construction. Et bien sûr avec un système permettant d’éviter les contraintes parasismiques et générant beaucoup d’argent !!! Cela a conduit malheureusement à un affaiblissement systématique des nouvelles constructions lorsque les autorités locales, derniers remparts, se sont laissées corrompre par la mafia des constructeurs. A Erzin et heureusement pour cette ville, le maire n’a pas permis de telles actions et le résultat a été remarquable, comme signalé par Le Monde.
Les actions liées à cette corruption généralisée ont été par ailleurs bien mises en évidence dans un reportage sur ARTE présenté le 27 février. Une avocate, Madame Bedia Büyükgebiz, a accusé, images à l’appui, les pouvoirs publics de la destruction d’un bâtiment officiel du Ministère de l’Urbanisation situé dans la ville d’Antakya. Ce bâtiment contenait, d’après cette avocate, une quantité incroyable de rapports indiquant les faits de corruption dans la province de Hatay. Ces rapports ne sont donc plus accessibles et les preuves de corruption plus opposables. Madame Büyükgebiz a de plus signalé que ces destructions ont été organisées par le pouvoir seulement six jours après l’occurrence des séismes, alors que les engins déblayeurs auraient pu être utilisés pour sauver des personnes toujours enfouies sous les décombres. Dans ce même reportage, un architecte a dénoncé l’impossibilité du contrôle, effectué seulement à la fin des travaux, et un urbaniste en chef a expliqué comment un bâtiment illégal pouvait devenir légal par simple décision des pouvoirs locaux !!
Une organisation des secours très défaillante, bien loin par exemple de celle mise en place par l’Algérie lors du séisme de Boumerdes en 2003, dans le domaine méditerranéen. Beaucoup d’équipes étrangères sont cependant intervenues dont celles de la France, pour sauver des personnes ensevelies sous les décombres parfois jusqu’à 11 jours après le 6 février. Elles ont par ailleurs participé à la mise en place d’hôpitaux de campagne, tout au moins en Turquie, car la situation dans la partie syrienne touchée par les séismes est encore bien plus catastrophique, compte tenu du contexte politique.
Dans le même reportage d’ARTE, le 27 février, le président Erdogan a certes présenté des excuses à la population, mais essentiellement concernant le retard des interventions turques au début de la catastrophe. Il ne s’est pas lui-même remis en cause.
Que faut-il donc faire en zone sismique ?
La prédiction étant toujours impossible scientifiquement et socialement, il faut mettre en place un PLAN GLOBAL DE PREVENTION SISMIQUE, comme cela a été analysé et proposé pendant la Décennie Internationale pour la Prévention des Catastrophes Naturelles (DIPCN) à l’échelle mondiale, dans les années 1990-2000. La mise en place d’un tel plan reste néanmoins toujours difficile, pour des raisons diverses, politiques principalement comme en Turquie, mais aussi techniques et économiques.
Les différents volets d’un tel Plan de Prévention sont les suivants ;
En matière d’Aménagement :
Faire appel à un géotechnicien, spécialiste des fondations en zone sismique, pour éviter les phénomènes de résonance, de liquéfaction des sables et limons et les mouvements de terrain déclenchés par les séismes.
En matière de Construction :
Appliquer la réglementation parasismique en vigueur, en mettant l’accent sur la conception de base, les calculs parasismiques et surtout la bonne réalisation et les suivis de chantiers avec contrôles permanents.
En matière d’Organisation des secours :
Bien s’assurer que la commune est en bonne liaison avec le Plan ORSEC régional, en particulier avec le PCS (Plan Communal de Secours).
En matière de Formation et d’Information :
Organiser des cycles de formation au génie parasismique dans les écoles d’ingénieurs et d’architecture, etc., ainsi que des séances d’information sur les séismes et leurs conséquences au plan local.
Un développement de ces quatre volets sera proposé dans un nouvel article, à paraitre prochainement.
Pierre Mouroux
Quelques compléments illustrés pour en savoir plus…
La micro-plaque Anatolienne est poussée vers l’ouest par la remontée de la plaque Arabie vers le nord, et tractée à l’ouest. Ce mouvement vers l’ouest est accommodé par deux grandes failles tectoniques : la faille nord-anatolienne (2 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Anatolie et Eurasie) et la faille est-anatolienne (entre 5 mm et 1 cm par an de mouvement relatif entre les plaques Arabie et Anatolie). Nous savons bien comment et pourquoi l’Anatolie bouge, mais cette connaissance est encore trop parcellaire pour prévoir les séismes.
Une séquence historique de séismes s’est produite au XXᵉ siècle : initiée à l’est avec le séisme de Erzincan en 1939 (7,8), elle a continué avec des séismes en 1943, 1944, 1967 et enfin en 1999 avec les deux séismes d’Izmit (7,6) et Duzce (7,3), séparés d’à peine quelques mois.
Les conséquences sur les constructions, les infrastructures, les humains, … :
Un très grand nombre de rupture en châteaux de cartes, à cause d’une conception malheureusement encore en cours dans de nombreux pays, de type poteaux-poutres, avec des poteaux très mal calculés et surtout mal réalisés avec une mauvaise qualité des bétons et de mauvaises liaisons avec les aciers.
Le site du CSEM (Centre sismologique euro-méditerranéen), présenté ci-dessus, contient également un très grand nombre de photos et vidéos sur les dommages provoqués par ces séismes.
Le site récent de Wikipedia en français a présenté aussi de nombreux documents sur ce type de dommage.
Les constructions qui ne se sont pas effondrées complètement seront très certainement détruites par la suite, après une analyse plus complète de leur tenue par des équipes de spécialistes. Elles ont cependant pu éviter un plus grand nombre de victimes, ce qui doit être le but recherché en zone sismique.
Tous les noms de ville cités peuvent être retrouvés simplement sur GoogleMaps.
Cas spécial de la ville d’Erzin :
Comme cela a été évoqué ci-dessus, cette ville a subi très peu de dommages grâce à son maire, Monsieur Ökkes Elmasoğlu. Dans un article du Monde du 2 mars, celui-ci a néanmoins subi beaucoup de pression, compte tenu de son étiquette politique et même de la part de ses concitoyens : « Depuis son élection en mars 2019, sous la bannière du Parti républicain du peuple, le CHP, la principale formation d’opposition de Turquie, Ökkes Elmasoğlu, le jeune maire courage juste quadragénaire, s’en est tenu à la stricte légalité dans le domaine du bâti, a refusé les travaux d’agrandissement non contrôlés, l’élévation hasardeuse des habitations, les projets non sécurisés. Il n’a pas cillé, mais il s’est mis à dos une grande partie de ses électeurs. Même une requête d’un membre de sa propre famille, on murmure ici qu’il s’agit de son père, ne l’a pas fait plier. C’est dire… ».
Dommages divers infrastructures : Un énorme incendie s’est propagé à des dizaines de conteneurs dans le port turc d’İskenderun, suite aux séismes.
Des situations de ce type doivent évidemment être analysées bien avant l’occurrence possible d’un séisme, dans les ports et sur les sites industriels des régions potentiellement sismiques.
La Mauritanie, ce pays de 4,5 millions d’habitants, pauvre et largement désertique, qui s’étend au sud du Maroc et de l’Algérie, limitrophe du Sénégal et du Mali, fait partie de ces nations où la justice et la démocratie peinent encore à s’exprimer. L’ONG Transparency International le classe d’ailleurs en 140e position parmi 180 pays, avec un indice de perception de la corruption de 28, équivalent à celui du Pakistan ou de l’Ouzbékistan, bien loin derrière la Nouvelle-Zélande ou le Danemark qui plastronnent avec un indice de 88…
Et pourtant, un événement assez inattendu vient de s’y produire. Mercredi 25 janvier 2023, s’est ouvert, à la Cour criminelle de la capitale, Nouakchott, le procès pour corruption de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui n’est autre que l’ancien chef de l’État, au pouvoir de 2008 à 2019. Il est accompagné dans le box des accusés en forme de cage par deux anciens Premiers ministres, Yahya Ould Hademine et Mohamed Salem Ould El-Béchir, ainsi que 7 autres personnalités de haut rang, anciens ministres ou ex directeurs de sociétés nationales prestigieuses.
Le procès s’est interrompu le 13 février pour au moins 15 jours, à la demande des avocats de l’ex Président de la République islamique de Mauritanie, poursuivi pour corruption, trafic d’influence et enrichissement illicite. Ces derniers plaident en effet le caractère anticonstitutionnel de la procédure, estimant que le dossier est biaisé par le fait que, selon la loi mauritanienne, les autorités qui enquêtent sur un dossier de corruption sont directement intéressées en se récompensant sur les biens confisqués, ce qui ouvre en effet la voie à bien des tentations…
En réalité, l’ex président semble surtout victime d’un règlement de compte politique de la part de son ancien ami et ex ministre de la Défense, le général Mohamed Ould Ghazouani, qui lui a succédé à la tête de l’État le 1er août 2019, élu dès le premier tour avec 52 % des suffrages.
Le président sortant d’alors, Mohamed Ould Abdel Aziz, ne pouvait se représenter après avoir accompli deux mandats présidentiels et il avait tout fait pour que ces élections soient remportées par son fidèle ministre Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, tout en laissant entendre qu’il ne comptait pas se retirer de la vie politique et que rien ne l’empêcherait de revenir au pouvoir à l’occasion de l’échéance présidentielle suivante, comme Vladimir Poutine l’avait fait en 2012 après avoir laissé Medvedev dirigé le pays le temps d’un mandat : un simple petit arrangement temporaire entre amis, en somme…
Il faut dire que Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même, n’était pas arrivé au pouvoir de manière très démocratique. Militaire de formation, il fut l’aide de camp du colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya lequel avait renversé en 1978 le président Moktar Ould Daddah, puis en 1984 son successeur Mohamed Khouna Ould Haidalla avant de diriger le pays d’une main de fer pendant plus de 20 ans jusqu’en 2005. En 2003, Ould Abdel Aziz devenu entre-temps colonel à la tête du Bataillon de la sécurité présidentielle avait déjoué un putsch militaire visant à renverser le chef de l’État, mais 2 ans plus tard il s’associe avec son cousin, le colonel Ely Ould Mohamed Vall pour mener un nouveau coup d’État en profitant de l’absence du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya, alors aux obsèques du roi Fahd d’Arabie.
Élevé en janvier 2008 au grade de général par le nouveau président élu en 2007, Sidi Ould Cheikh Habdallahi, Mohamed Ould Abdel Aziz s’empare du pouvoir dès le mois d’août 2008 par un nouveau putsch militaire, avant de se faire élire à la présidence le 18 juillet 2009 puis de rempiler pour un second mandat de 5 ans en juin 2014, ce qui lui permet de présider pendant un an l’Union Africaine. Très actif dans la création du G5 Sahel, il remporte de francs succès dans la lutte contre le terrorisme islamiste dont les attaques sur le sol mauritanien ont quasiment cessé depuis 2011.
Pour autant, son bilan économique et social, lorsqu’il laisse le pouvoir en 2019 à un autre général, Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani, alors son ministre de la Défense, n’est pas des plus brillants. La dette du pays atteint des sommets à plus de 100 % du PIB et l’extrême pauvreté touche les trois-quarts de la population tandis que la Mauritanie se place en 129e position sur 130 pays pour la qualité de son système éducatif et que les inégalités sociales entre populations maures et noires explosent.
Toujours est-il que le nouveau président Ould Cheikh el-Ghazouani, sitôt dans le fauteuil présidentiel en profite pour raffermir sa main mise sur le parti et lance dès 2020 une commission parlementaire chargée de passer au crible la gestion de son prédécesseur. En août 2020, six anciens ministres sont placés sous contrôle judiciaire après avoir été auditionnés dans le cadre de juteux contrats, et le 17 août Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même est arrêté, accusé de corruption et de détournement de biens publics. Interdit de quitter le territoire depuis septembre 2020, l’ancien président a été inculpé en mars 2021 puis de nouveau arrêté en septembre 2021 après que les enquêteurs aient démoli sa maison de Beni Chab, à la recherche d’or caché…
Victime d’un AVC et opéré du cœur en décembre 2021, Mohamed Ould Abdel Aziz purge sa détention à domicile en attendant son procès annoncé depuis juin 2022 et qui vient donc de commencer. Selon son dossier judiciaire, les sommes qu’il est accusé d’avoir détournées s’élèvent à 90 millions de dollars et son patrimoine est composé de 17 maisons, 468 terrains et plusieurs troupeaux, dont il n’explique pas réellement l’origine. Il lui est surtout reproché l’attribution de marchés douteux concernant notamment la vente de domaines nationaux mais aussi la gestion de droits de pêche attribués à une société chinoise qui transbordait illégalement en haute mer le produit de plusieurs chalutiers sur un bateau collecteur. La commission d’enquête estime à 24 millions de dollars les fonds détournés pendant des années et placées frauduleusement sur des comptes à l’étranger.
L’avenir de l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz paraît décidément bien sombre, à moins qu’un nouveau coup d’État ne vienne opportunément changer la donne : la Mauritanie n’en est plus à un putsch militaire près, dans ce pays où l’armée est plus que jamais omniprésente, au point que le Président déchu Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même, alors qu’il était chef de l’État tout puissant, s’était fait tirer dessus par une patrouille militaire, le 13 octobre 2012 en regagnant Nouakchott à la nuit tombante au volant de son puissant Toyota V8. Une simple erreur d’un lieutenant zélé à qui on avait donné l’ordre de tirer sur tout véhicule suspect refusant d’obtempérer : en Mauritanie, mieux vaut se méfier du pouvoir des militaires, habitués à une certaine impunité…
On aurait presque tendance à l’oublier, depuis un an que le monde entier a les yeux braqués sur l’Ukraine qui tente tant bien que mal de résister aux assauts offensifs de l’armée russe. Pourtant, depuis une dizaine d’années, c’était un tout autre théâtre d’opération qui semblait focaliser l’attention, en l’occurrence la Mer de Chine, où les tensions militaires ne cessaient de croître.
En mars 2021, ce sont pas moins de 180 vaisseaux de la milice maritime chinoise fermement amarrés sur le récif de Whitson qui avaient été repérés par les gardes côte philippins, dans un secteur pourtant situé dans la zone économique exclusive de 200 miles marins revendiquée par les Philippines et confirmée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il s’en était suivie une confrontation tendue, suivie en août 2021 par des discours assez fermes de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, à l’occasion d’une visite officielle au Vietnam où elle a affirmé vouloir « trouver des moyens de faire pression franchement, sur Pékin (…) pour qu’il remette en cause ses revendications maritimes abusives et excessives ».
Un discours peu diplomatique et qui est loin de faire retomber la pression dans cette Mer de Chine dont plusieurs nations revendiquent la propriété exclusive du fait de son grand intérêt stratégique mais aussi économique, pas seulement en raison de ses eaux poissonneuses mais surtout à cause des abondantes ressources en hydrocarbures explorées depuis les années 1970.
Le 14 mars 1988, un violent accrochage avait déjà eu lieu sur un autre atoll du même archipel des Spratleys, où 3 frégates de la marine chinoise avaient été empêchées de débarquer par un groupe de jeunes soldats du génie vietnamiens occupés à sceller des bornes topographiques. La marine chinoise n’avait alors pas hésité à tirer au canon anti-aérien sur la soixantaine de militaires vietnamiens désarmés, faisant au moins 6 morts. Depuis, les incidents n’arrêtent pas de se multiplier, chacune des nations riveraines cherchant à annexer les milliers d’atolls déserts et pour la plupart semi immergés qui parsèment cette immense étendue maritime de 3,5 millions de km2.
La Chine considère en fait que la quasi-totalité de cet espace lui appartient exclusivement, y compris donc ces ilots jamais habités et couverts de guano qui constituent l’archipel des Spartleys, situé à plus de 2000 km de ses côtes les plus méridionales et à proximité des Philippines, de Brunei et de l’Indonésie à l’est, de la Malaisie au sud et du Vietnam à l’ouest. Elle s’oppose donc frontalement au découpage proposé en application du droit maritime international, qui prévoit des zones économiques exclusives selon une bande côtière de 200 miles comptée à partir des rivages habités.
Pour ce découpage, la loi internationale ne tient évidemment pas compte des rochers et récifs perdus en mer et jamais occupés par l’homme. Mais selon l’interprétation chinoise, tous ces atolls perdus en Mer de Chine, même les plus proches des côtes philippines ou vietnamiennes lui appartiennent car ses pêcheurs ont l’habitude d’y accoster. Sur cette base, la Chine revendique donc la quasi-totalité de cet immense espace maritime, à l’intérieur d’une ligne qui dessine une « langue de bœuf » s’insinuant très au sud, en limite des côtes philippines et vietnamiennes.
Cette carte dite « à neufs traits » délimite ainsi une superficie de plus de 2 millions de km2 revendiquée par la Chine depuis 1947 et qui englobe quasiment toute la Mer de Chine à l’exception des zones côtières de faible profondeur. La superficie de terres émergées intégrées dans cet immense espace est minuscule, englobant notamment les îles Paracels, le récif de Scarborough, les îles Spratleys, le banc Macclesfield et le banc de James, des zones perpétuellement immergées respectivement à 22 et 11 m sur la surface de la mer mais dont la Chine dispute âprement la souveraineté face à ces voisins.
Et pour appuyer sa démonstration, elle n’hésite pas à remblayer massivement ces atolls pour les transformer en plateformes émergées sur lesquelles elle construit des infrastructures militaires. Une méthode d’ailleurs utilisée aussi par d’autres pays, si bien qu’on assiste à une course à l’annexion de ces îlots considérés comme autant de points d’appui pour justifier ses revendications territoriales, dans une ambiance de plus en plus militarisée.
La Chine a notamment installé une base sous-marine au large de l’île de Hainan située en limite méridionale de ses côtes, au sud-ouest de Taïwan. Cette île qui héberge plus de 9 millions d’habitants et est réputée pour l’attrait touristique de ses plages de sable fin, abrite aussi un site de lancement spatial et un chantier de construction de sous-marins nucléaires d’attaque dont la production, sur ce seul site, se fait au rythme accéléré d’un par an ! De quoi donner du poids à la force de dissuasion chinoise qui entend bien contrôler par l’intimidation l’ensemble de cet espace maritime donnant accès au détroit de Malacca situé au sud et qui permet le passage vers l’océan indien.
Depuis 2014, les Chinois ont ainsi édifié de multiples remblais dans les îles Paracels pour y installer des batteries de missiles et ils ont entrepris la réalisation de 7 îles artificielles sur des îlots des Spratleys, formant ce que certains appellent ironiquement « la grande barrière de sable ». En quelques années et au prix de terrassements gigantesques, les Chinois ont ainsi dragué d’énormes quantités de sables pour les déverser sur ces récifs coralliens et les recouvrir de béton, gagnant sur la mer pas moins de 13 km2 sur lesquels ils ont aménagé des infrastructures militaires avec radars, pistes d’atterrissage et base de lancements de missiles, ce qui leur permet de menacer les bateaux passant à leur portée.
L’impact environnemental de tels travaux est évidemment catastrophique mais on se doute que c’est bien le dernier des soucis de l’armée chinoise et de son gouvernement dont les visées impérialistes sont de moins en moins masquées…
Le génie inventif de l’homme est sans limite ! Il a même mis au point des « polluants éternels », très largement utilisés dans l’industrie et dont on comprend aujourd’hui qu’ils sont quasiment omniprésents comme le révèle Le Monde qui vient de diffuser, le 23 février 2023, sa « carte de la pollution éternelle » établie dans le cadre d’un vaste partenariat avec 16 autres grands médias européens et l’aide de scientifiques spécialistes du sujet.
Cette carte montre la localisation de plus de 17 000 sites où la présence de ces composés chimiques ultra toxiques, constitués de substances per- et polyfluoroalkylées, PFAS de leur petit nom, a été enregistrée à des taux très supérieurs aux normes admissibles, ainsi que la vingtaine de sites industriels produisant ces substances et plus de 20 000 endroits potentiellement pollués du fait de leur activité industrielle en lien avec l’utilisation de ces composés chimiques : pas très rassurant…
On estime qu’il existe plus de 4700 composés chimiques différents se rapportant à cette famille des PFAS. Tous ont en commun de ne pas exister à l’état naturel mais d’être le résultat exclusif du génie chimique créatif humain, qui, comme chacun le sait, est sans limite. Leur invention date des années 1940, lorsqu’a été synthétisée pour la première fois la molécule d’acide perfluorooctanoïque (PFOA en anglais), dans le cadre du projet militaire Manhattan qui a conduit à la fabrication de la bombe atomique.
Ce produit miracle, caractérisé par une liaison carbone-fluor extrêmement stable, présente de fait de multiples propriétés très recherchées puisqu’il résiste à tous les liquides, y compris l’huile et les graisses et est particulièrement résistant à la chaleur. Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains l’ont donc utilisé pour étanchéifier leurs chars d’assaut et, en 1949, DuPont de Nemours a introduit ce composé chimique dans ses chaînes de fabrication industrielles de poêles à frire miraculeuses vendues sous le nom de Téflon. Ce sont d’ailleurs les multiples contaminations des populations vivant à proximité des sites de production de DuPont, à Dordrecht aux Pays-Bas et à Parkesburg, en Virginie, qui ont contribué à mieux connaître les effets sanitaires de ces molécules.
Il faut dire que depuis, les PFAS ont connu un succès fou. On les retrouve désormais un peu partout, non seulement dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs, mais dans de nombreux emballages alimentaires, dans certains vêtements textiles imperméables, dans les moquettes résistant aux tâches, dans les peintures anti-corrosives, dans les revêtements de fils électriques, comme matériau permettant de réduire l’usure mécanique ou encore dans la composition des mousses utilisées par les pompiers pour combattre les feux de liquides inflammables dangereux.
De qui expliquer pourquoi on retrouve désormais des résidus de ces composés chimiques ultrastables et quasi indestructibles dans les sols et l’eau, un peu partout et pour des millénaires. On mesure ainsi des concentrations importantes de ces PFAS dans plusieurs cours d’eau du secteur, dans le ruisseau des Aygalades comme dans l’Huveaune ou l’Arc, mais aussi dans l’étang de Berre du fait des exercices répétés des services d’incendie sur les pistes de l’aéroport de Marignane.
Le hic, c’est que ces composés chimiques indestructibles pénètrent facilement dans le corps des organismes vivant, si bien qu’on le retrouve aisément dans le sang humain un peu partout dans le monde. Et cette présence n’est malheureusement pas anodine car de nombreuses études ont permis de mettre en évidence les impacts sanitaires non négligeables de ces substances qui provoquent, entre autres, une augmentation du taux de cholestérol, une modification des enzymes du foie et du système thyroïdien, des risques d’hypertension artérielle, une réduction de la réponse aux vaccinations et des risques accrus de cancer du rein et des testicules notamment…
Le risque a d’ailleurs été jugé tel que l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) a drastiquement réduit en septembre 2020 la dose maximale admissible de PFAS de 270 à 0,63 ng/kg de masse corporelle, ce qui en dit long sur la dangerosité estimée de cette famille de produits chimiques. Le PFOA est lui-même désormais interdit depuis juillet 2020. En parallèle, la Directive européenne adoptée le 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine impose désormais que les PFAS soient systématiquement recherchés et que la somme de leurs différents composés ne dépasse pas 500 ng/l.
Il faut dire que plusieurs alertes sanitaires sérieuses ont attiré l’attention sur l’impact sanitaire et environnemental désastreux de ces produits. Le film américain Dark waters, sorti en 2019, relate des faits réels qui se sont produits en 1999 sur à Parkersburg où le bétail a été décimé et au moins 70 000 personnes contaminées par la présence massive de PFOA dans la nappe du fait de l’activité industrielle d’un site de production de DuPont qui avait stocké 7100 tonnes de PFOA dans le centre d’enfouissement de Dry Run.
En Vénétie italienne, ce sont pas moins de 350 000 personnes qui ont été plus ou moins intoxiquées par une pollution massive et durable de la nappe phréatique au PFOA entre Vérone, Vicence et Padoue, du fait de l’activité industrielle de l’usine chimique Miteni, implantée à Tressino dans les années 1960 jusqu’à sa faillite en novembre 2018 et qui rejetait allégrement des quantités colossales de PFAS dans la petite rivière voisine.
En février 2021, le chantier de construction d’un tunnel sous la zone estuarienne de Middle Harbour à Sydney en Australie, a dû être interrompu pendant plus d’un an, suite à la découverte d’une pollution massive aux PFAS et aux métaux lourds des sédiments, créant des risques excessifs de contamination du chantier en cas d’infiltrations d’eau. On n’a pas fini d’entendre parler des PFAS…
L’ancien président des Comores avait coutume de dire que « la ville de Marseille est la cinquième île des Comores », ce qui en dit long sur l’importance de la diaspora issue de ce petit archipel de l’océan Indien. Il n’existe évidemment pas de recensement officiel mais les estimations les plus fiables évaluent entre 40 000 et 80 000 le nombre de Comoriens d’origine installés à Marseille ! Un quart du PIB des Comores serait d’ailleurs issu des apports directs de la diaspora installée principalement à Marseille mais présente également dans d’autres métropoles françaises, en région parisienne et à Lyon notamment.
En juin 2020, un rapport de la Cour des Comptes dressait un tableau assez cataclysmique de l’état de Mayotte, l’une des 4 îles de l’archipel, devenue département français en 2009, à l’issue d’un référendum organisé dans l’indifférence générale par Nicolas Sarkozy. Dès 2011, de violentes émeutes éclataient sur l’île, opposant la jeunesse de Mayotte aux forces de l’ordre venues de métropole et depuis, l’île s’enfonce dans l’insécurité tandis que les services publics, totalement submergés, sont en pleine dérive.
Mayotte comptait, selon le dernier recensement de 2017, 256 000 habitants, sans doute près de 300 000 désormais. Mais paradoxalement, environ la moitié d’entre eux n’a pas la nationalité française. Chaque année, l’île voit en effet arriver au moins 7 000 immigrés supplémentaires. Elle connait un taux de croissance démographique de 3,8 %, totalement incontrôlable et sans aucun rapport avec ses capacités de développement économique et de prise en charge sociale.
Les jeunes Mahorais fuient l’île en masse pour venir grossir les rangs de la diaspora marseillaise tandis que l’île fait face à une immigration massive et partiellement encouragée par le gouvernement comorien qui laisse des milliers de ses ressortissants embarquer sur des barques de fortune, les fameux kwassa kwassa, pour franchir de nuit le bras de mer séparant Anjouan de Mayotte et qui est devenu un vaste cimetière marin.
Malgré les innombrables reconduites à la frontière, cet afflux de migrants désorganise largement l’île de Mayotte dont les structures sanitaires et éducatives sont totalement saturées. 84 % de la population de Mayotte vit en dessous du seuil de pauvreté. En 2017, 40 % des bébés nés à la maternité de Mamoudzou, la capitale, étaient de mère étrangère. De quoi alimenter un fort ressentiment des Mahorais contre ces immigrés issus pour l’essentiel des autres îles de l’archipel, au point que le Rassemblement National y enregistre des scores fleuves (plus de 59 % pour Marine Le Pen au deuxième tour des élections présidentielles de 2022 !).
A se demander comment on a pu en arriver à une telle situation… Il est vrai que l’histoire de cet archipel n’est pas un long fleuve tranquille. Situé entre le Mozambique et le nord-ouest de Madagascar, cet archipel a été peuplé assez tardivement, à partir de peuples swahili, issus des côtes de l’Afrique de l’Est, mais aussi de Madagascar, surtout pour Anjouan et Mayotte, situées plus à l’Est. Ces îles ont ensuite subi de fortes influences arabes et persanes, ce qui a conduit à leur islamisation.
Au XVIIIe siècle, l’archipel, alors assez florissant du fait de sa position sur les routes commerciales maritimes dominantes, se livre à des rivalités incessantes. Pillages, razzias et coups d’État se succèdent, au point qu’en 1841, le sultan de Mayotte préfère céder son île, dépeuplée et sinistrée, à la France de Louis-Philippe, moyennant une rente modeste… En 1869, l’ouverture du canal de Suez signe l’arrêt de mort commercial de l’archipel, désormais à l’écart des grandes voies maritimes. Du coup, la France étend peu à peu son emprise sur l’ensemble de l’archipel qui n’intéresse plus grand monde et en 1946 les 4 îles sont officiellement rattachées à la même entité administrative, une colonie française qui intègre Madagascar et ses dépendances.
Le 22 décembre 1974, la France organise un référendum : sans surprise, 99 % des de la Grande Comore, de Mohély et d’Anjouan votent en faveur de l’indépendance mais 63 % des habitants de Mayotte la refusent ! Curieusement, Jacques Chirac, alors Premier Ministre, décide d’interpréter ces résultats île par île et non globalement, partant du principe que Mayotte est française depuis 1841 alors que le reste de l’archipel n’est sous protectorat que depuis 1886. Une interprétation qui place la France dans une situation très délicate face au droit international lorsque les Comores proclament leur indépendance en 1975, Mayotte étant considéré par l’ONU comme un pays occupé…
A partir de là, la situation des Comores connaît bien des vicissitudes. En 1978, le mercenaire français Bob Denard y conduit un coup d’État pour remettre en selle le Président déchu Abdallah Abderamane, celui-là même qui avait proclamé l’indépendance et que Bod Denard avait capturé en 1975 pour l’amener à de meilleurs sentiments. Ils gouverneront ensemble le pays avec l’aide de l’Afrique du Sud jusqu’en 1989, avant une nouvelle tentative de putsch, avortée, en 1995.
Cette instabilité politique, combinée à des rivalités chroniques entre les 3 îles et à une situation économique précaire, explique largement pourquoi les Comoriens cherchent depuis des années à émigrer en masse vers Mayotte dont les ressortissants bénéficient d’une aide généreuse de la part de la France et de conditions sanitaires, éducatives et sociales nettement plus favorables. Au point cependant d’avoir mis en péril l’équilibre déjà bien précaire de cette petite île dont l’avenir paraît bien sombre au vu du climat de violence et d’insécurité qui s’est installé et au vu des projections démographiques qui en font une véritable bombe à retardement…
Quasiment deux ans, jour pour jour, après l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, par des partisans déchaînés de Donald Trump, incapables de reconnaître la défait électorale de ce dernier aux élections présidentielles américaines, voilà que ce mauvais scénario s’est répété, quasi à l’identique, le 8 janvier 2023, à l’instigation de l’ex-président brésilien, Jair Bolsonaro, très proche de Donald Trump, y compris physiquement puisqu’il se trouvait justement en Floride lors de ces événements dramatiques…
Les affrontements violents qui se sont produits à Brasilia, ce dimanche 8 janvier, une semaine seulement après l’investiture officielle du président Luiz Inácio Lula da Silva, élu avec 50,9 % des suffrages à l’issue d’un second tour très mouvementé le 20 octobre dernier, ressemblent en effet fort à une tentative de coup d’État dans ce pays qui a connu plus de 20 ans de dictature militaire entre 1964 et 1985. Des milliers de supporters de Jair Bolsonaro, revêtus du maillot jaune de la Seleção et arborant des drapeaux brésiliens, ont en effet délibérément pris d’assaut les lieux symboliques du pouvoir, sous les yeux assez passifs d’une police militaire débordée voire complice.
Le monde entier a ainsi pu voir, comme il y a deux ans à Washington, ces militants acquis aux valeurs de l’extrême-droite, s’en prendre ouvertement aux institutions républicaines de leur pays, rassemblées ici sur la place des Trois-Pouvoirs, imaginée et conçue par le grand architecte brésilien Oscar Niemeyer : le Congrès qui rassemble le Sénat et la Chambre des députés, avec son immense rampe et ses coupoles de béton, le Tribunal suprême fédéral sous forme d’un cube de verre symbolisant la transparence de la Justice, et le parallélépipède de marbre ocre du Planalto, lieu de travail du Chef de l’État. Pendant plusieurs heures, les manifestants survoltés ont littéralement envahi les lieux, brisant les vitres pour pénétrer dans les bâtiments officiels où ils ont commis de nombreux saccages.
Chauffés à blanc par les discours complotistes de leur mentor, ces manifestants avaient au préalable fait le siège du quartier général de l’armée où ils tentaient depuis des semaines de faire adhérer à leur cause les forces militaires réputées proches de l’ancien capitaine d’artillerie devenu Président de la République, Jair Bolsonaro. Mais contrairement à la police militaire aux ordres du gouverneur de l’État de Brasilia, un proche de Bolsonaro qui a d’ailleurs été depuis suspendu de ses fonctions, l’armée a jusqu’à présent conservé son rôle constitutionnel et n’est pas intervenue, ce qui a permis à la police de reprendre rapidement le contrôle des lieux et de procéder à plusieurs centaines d’arrestations.
Le Président Lula, qui était en déplacement au moment de l’attaque, est rapidement revenu sur place, rappelant que « la démocratie garantit la liberté d’expression, mais elle exige aussi que les institutions soient respectées » et considérant que « ce qu’ont fait ces vandales, ces fascistes fanatiques […] est sans précédent dans l’histoire de notre pays ». Des paroles fortes qui seront sans doute suivies de condamnations fermes de ces débordements bien peu démocratiques, car la situation reste fragile pour le nouveau Président, revenu au pouvoir après avoir été condamné à 12 ans de prison en 2018 pour l’empêcher de se représenter aux élections présidentielles où il était pourtant donné largement favori. Libéré en 2019, il est finalement blanchi en 2021 par le Tribunal suprême fédéral qui reconnait la partialité du juge Sergio Moro qui l’avait fait condamner.
Lors de ses deux premiers mandats présidentiels, entre 2003 et 2010, Lula avait pourtant réussi à faire sortir le Brésil de la politique d’austérité imposée jusque-là par le FMI et à engager son pays sur la voie de la croissance économique tout en permettant à plus de 30 millions de Brésiliens de sortir de la pauvreté grâce à ses politiques sociales ambitieuses. Il quitte d’ailleurs le pouvoir avec une popularité record et n’a aucun mal à faire élire à sa place sa chef de cabinet Dilma Rousseff.
Mais les nombreux scandales financiers et la corruption persistante qui gangrène le monde politique brésilien, y compris au sein de l’appareil judiciaire, ont largement fissuré depuis cette belle réussite. Dilma Rousseff est destituée par le Parlement en août 2016, lors de son second mandat, ce qui permet l’arrivée au pouvoir du populiste d’extrême droite Jair Bolsonaro, élu fin 2018 et qui se singularise par une gestion catastrophique de la crise de Covid-19 qui fait plus de 700.000 morts au Brésil tandis que la déforestation de l’Amazonie repart en flèche sous la pression du lobby de l’agro-alimentaire.
Rien d’étonnant dans un tel contexte de retrouver un climat aussi tendu à l’occasion du retour dans l’arène politique de l’ex-syndicaliste Lula qui participait en 2022, à 77 ans, à sa sixième élection présidentielle face à un Jair Bolsonaro tout puissant et dont le parti arrive d’ailleurs largement en tête lors des élections au Sénat comme à la Chambre des députés. Jamais le Brésil n’a connu un scrutin présidentiel aussi serré dans un pays totalement polarisé et où la campagne politique s’est soldée par plusieurs assassinats de militants de gauche.
Le jour même du scrutin, de vastes opérations de contrôle routier orchestrées par la police militaire de plusieurs États bloquent des milliers d’électeurs sur les routes, les empêchant de se rendre à temps dans les bureaux de vote, tandis que plusieurs églises évangéliques accusent Lula de satanisme, rien de moins ! Bolsonaro lui-même refuse de reconnaître sa défaite à l’issue du scrutin et s’enferme dans le mutisme tandis que ses partisans bloquent les routes pendant plusieurs semaines et font le siège des casernes pour appeler l’armée à « sauver le Brésil »…
Un climat de tension qui explique donc largement les débordements que l’on a vu à Brasilia une semaine seulement après l’investiture du nouveau Président. Celui-ci aura certainement fort à faire pour gouverner le pays, au sein d’une coalition pour le moins hétéroclite dans laquelle le Parti des Travailleurs est finalement très minoritaire et où beaucoup sont prêts à se vendre au plus offrant tandis que les principaux États du pays sont aux mains de gouverneurs proches de Bolsonaro. L’avenir du Brésil risque de ne pas être un long fleuve tranquille et on souhaite bien du courage au nouveau Président élu…
Le jeu de mot est facile mais le rapprochement est tentant… Et pourtant, malgré l’homonymie apparente, voilà qui évoque des notions bien différentes, voire radicalement antinomiques ! Ce qui est resté dans l’Histoire comme l’hérésie cathare se voulait une recherche spirituelle de la pureté, en réaction aux dérives mercantiles et hypocrites d’une église catholique et de son clergé alors tout puissant. Le terme même de « cathares » pour désigner ces communautés chrétiennes qui se développent à partie de l’an Mil notamment dans le Languedoc, est très postérieur et l’on parlait à l’époque plutôt des « Albigeois ».
Cherchant à se rapprocher du mode de vie des premiers apôtres du Christ, les Albigeois ont été déclarés hérétiques à l’issue du 4e concile de Latran en 1215 et activement pourchassés. Nombre d’éléments de leur foi étaient alors considérés comme incompatibles avec le dogme catholique dominant. Leur croyance en la métempsychose des âmes les poussait à être végétariens avant l’heure tandis que leur recherche de la pureté les amenait à s’épanouir dans le travail, la pauvreté et la chasteté.
Adeptes d’une morale évangélique stricte, les simples croyants et plus encore, les « Parfaits » appelés à la prédication religieuse, s’abstenaient de mentir, de jurer, de voler et de s’adonner aux vices de toute sorte, tout en s’opposant aux excès de pouvoir des puissants de ce monde, seigneurs féodaux comme clergé percevant la dîme, ce qui explique qu’ils ont été aussi durement combattus et exterminés, à la suite de la croisade lancée contre eux par le pape Innocent III en 1208 et qui se termine en 1244 par le siège de Montségur, suivi de la mort sur le bûcher de plus de 200 Albigeois.
Une approche évangélique qui n’a bien évidemment aucun rapport avec l’hérésie environnementale et politique qui a consisté à attribuer en 2010 l’organisation du Mondial de foot 2022 à cet état minuscule de la péninsule arabique qu’est le Qatar, qui s’étend sur 11.500 km2 (soit à peine plus que le département français de la Gironde) pour seulement 2,4 millions d’habitants (autrement dit l’équivalent du département français du Nord). Brièvement possession portugaise en 1517, le Qatar est passé sous le joug ottoman dès 1538 et y est resté pendant 400 ans avant que les Britanniques ne s’en emparent et le gèrent comme un protectorat, avec son voisin Bahreïn.
Il a quand même fallu attendre 1971 pour que les Anglais acceptent de se retirer du pays et accordent l’indépendance au Qatar qui en profite pour se détacher de la confédération des Émirats arabes unis qui se crée au même moment. C’est alors la famille Al Thani qui tient les rênes du pays depuis qu’un de ses représentants, l’entrepreneur Mohamed Ben Thani, a eu l’occasion de négocier un traité avec les Britanniques, suite à une rébellion avortée en 1867. En 1995, le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani, profit d’un voyage de son propre père en Suisse pour le renverser et prendre la tête de l’émirat où l’on a l’esprit de famille chevillé au corps.
Le nouvel émir fait beaucoup parler de lui en créant la chaîne Al Jazeera, un média très en vogue dans le monde arabe et qui fera beaucoup pour la renommée du minuscule État. Devenu excessivement riche depuis la découverte d’hydrocarbures dans les années 1940, le Qatar était dans les années 2010 au 11e rang mondial des pays producteurs de pétrole, les revenus issus de l’exportation du pétrole représentant les deux tiers de ses ressources. Malgré son étendue microscopique, le Qatar détient actuellement les troisièmes réserves mondiales connues de gaz naturel derrière l’Iran et la Russie, et oscille entre la 4e et la 5e place des plus gros exportateurs de gaz, derrière les États-Unis et la Russie mais sensiblement à égalité avec l’Iran et le Canada.
Ramené à sa population infinitésimale, cela en fait un des pays les plus riches au monde avec un PIB par habitant estimé à plus de 70 000 $ par tête de pipe, inférieur à celui de Monaco, du Liechtenstein ou du Luxembourg, mais proche de celui de la Suisse ou de la Norvège. Si l’on prend en compte le fait qu’une large partie des habitants du pays sont en réalité des travailleurs immigrés pauvres, originaires d’Inde, du Népal, de Pakistan, du Bangladesh ou de Sri Lanka, le revenu par personne pour les ressortissants d’origine qatari est en réalité dans les plus élevés du monde.
Dans ce pays de Cocagne, 98 % des emplois sont, de fait, occupés par des travailleurs migrants, pour lesquels les conditions de vie sont tout sauf enviables, avec la pratique du « Kafala », qui vient tout juste d’être abolie et qui consistait à confisquer le passeport des travailleurs expatriés, lesquels ne pouvaient donc changer de poste ou quitter le pays sans l’accord de leur employeur : un esclavage moderne bien organisé…
La capitale, Doha, n’en finit pas de croître en grignotant le désert qui l’entoure, se parant sans cesse de nouveaux gratte-ciels, de villas luxueuses dans des lotissements fermés, de centres commerciaux démesurés, d’hôtels du dernier chic, d’universités high tech et de musées prestigieux. Dans le cadre de l’organisation du Mondial de foot 2022, 8 stades gigantesques ont été construits, quasiment tous climatisés à cause du climat local peu favorable à la pratique du sport. Selon une enquête publiée par The Gardian, au moins 6500 ouvriers sont décédés sur les chantiers de constructions des infrastructures sportives du pays depuis 2010. Le coût des investissements réalisés pour cet événement sportif est évalué à 220 milliards de dollars, à comparer aux 4,3 milliards investis par l’Allemagne pour organiser la même compétition en 2006 !
Pas étonnant, avec une telle débauche de moyens, que le Qatar se place, haut la main, comme le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre du monde par habitant, avec un taux trois fois supérieur à celui des États-Unis, pourtant bien placés de ce point de vue… Comment a-t-on bien pu braquer tous les projecteurs du monde pendant cet événement sportif mondial sur un pays dont le mode de vie est une hérésie totale en matière environnemental, mais aussi social et politique ? Comme l’Arabie Saoudite, le Qatar fait partie de ces pays où la religion d’État est le wahhabisme, une des branches les plus rigoristes de l’Islam politique et où la confrérie ultra-réactionnaire des Frères musulman est comme chez elle.
Un pays aussi où l’argent est roi et où tout s’achète, les voix des dirigeants de la FIFA comme celle des élus de l’Union européenne, comme l’a encore montré le scandale tout récent qui a conduit en prison la vice-président grecque du Parlement européen, après que l’on a retrouvé des valises entières de billets à son domicile, elle qui, en novembre dernier, déclarait de retour d’une visite officielle au Qatar, que ce pays était « chef de file en matière de droit du travail ». Une vision dithyrambique que n’aurait pas renié notre ancien président, Nicolas Sarkozy, lui-même grand admirateur de ce petit pays richissime et qui a tout fait pour en favoriser les intérêts, dans l’attribution de l’organisation du Mondial comme dans ses investissements en France, largement défiscalisés et qui entraineraient un manque à gagner pour le fisc français de 150 à 200 millions d’euros par an : une paille au regard de l’amitié avec nos amis qataris !
Ça y est, c’est officiel : la baguette tradition française fait partie intégrante du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Une reconnaissance mondiale validée par l’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture, en français s’il vous plaît, une fois n’est pas coutume, pour un satellite de l’ONU créé en novembre 1945, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dont le siège se situe 7-9 place de Fontenoy à Paris.
Il était donc bien normal que les diplomates internationaux de l’UNESCO s’intéressent aux traditions de leur environnement parisien dans le cadre de leur programme de préservation du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Un programme lancé en 2001, dans la foulée de celui axé sur la sauvegarde du patrimoine matériel, culturel et naturel, mis en place depuis 1972 et qui comporte désormais plus d’un millier de sites répertoriés dont pas moins de 49 en France, parmi lesquels les monuments romains d’Arles, le Palais des papes à Avignon, le théâtre antique d’Orange, la grotte Chauvet ou la Cité radieuse du Corbusier.
La liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité contient désormais plus de 500 occurrences assez disparates, plus ou moins représentatives de traditions culturelles locales, de rituels et de savoir-faire anciens ancrés dans les cultures traditionnelles, sensés témoigner de la créativité et du génie humain. En France, on y dénombrait déjà pêle-mêle, la tapisserie d’Aubusson, la pratique du tracé des charpentiers, la dentelle d’Alençon, les fest-noz bretons ou encore le repas gastronomique à la Française.
Il a failli y être question aussi de la pratique des toitures en zinc, typiques des toits parisiens mais source malencontreuse de pollution des eaux pluviales aux métaux lourds. Sagement, la France a donc préféré pousser la candidature de la baguette tradition, plus consensuelle et qui ne mange pas de pain… Bien lui en a pris puisque la fameuse baguette de l’imagerie populaire est donc inscrite au patrimoine culturel mondial avant même son alter ego pourtant indissociable qu’est le béret basque.
Foin des clichés ! Voilà une bonne nouvelle qui a permis à notre Président de la république en visite officielle aux États-Unis de se gargariser en prononçant, baguette en main, ces phrase historiques qui resteront sans aucun doute à la postérité : « Dans ces quelques centimètres de savoir-faire passés de main en main, il y a exactement l’esprit du savoir-faire français », avant de se gausser des pâles imitations étrangères qui désormais fleurissement même dans les rues de notre capitale : « On a un produit qui est inimitable. Beaucoup ont essayé de le faire. Ils ont fait un truc industriel qui n’a pas de goût ».
Il était grand temps d’ailleurs de reconnaître ainsi le savoir-faire de nos artisans boulangers alors que la France perd chaque année en moyenne pas moins de 400 boulangeries ! Alors qu’on comptait dans les années 1970 de l’ordre de 55.000 boulangeries artisanales, ces dernières ne seraient plus que 33.000 actuellement et elles ont les plus grandes peines du monde à recruter de jeunes apprentis prêts à mettre les mains dans le pétrin.
D’ailleurs, quoi qu’on en dise, les Français consomment de moins en moins de pain : 105 g par jour en moyenne selon les statistiques officielles, soit moins d’une demi-baguette : c’est trois fois mois que dans les années 1950 ! Et de surcroît, la grosse majorité du pain que grignotent les Français est issue de la fabrication industrielle et n’a donc rien en commun avec cette fameuse baguette tradition que le monde entier nous envie. Moins de 20 % des 6 milliards de baguettes vendues chaque année en France (en grande surface pour une bonne partie) peut ainsi être considérée comme se rapprochant de cette pratique traditionnelle, désormais reconnue mondialement.
En théorie et selon le cahier des charges de la fameuse baguette tradition, celle-ci n’est supposée comporter que 4 ingrédients : de la farine (pas trop raffinée de préférence), de l’eau, du sel (pas plus de 18 g par kg de farine si l’on veut respecter les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, mais qui s’en soucie ?) et de la levure au levain. Dans la pratique, les pratiques de la boulangerie industrielle sont cependant bien éloignées de cette sobriété quelque peu rustique. On ajoute donc gaiement moult additifs dont l’acide ascorbique (pour éviter une oxydation trop rapide du pain blanc), le monostéarate de glycérol (comme agent de stabilisation pour éviter à la croûte de craquer), la lécithine de soja (pour mieux aérer la pâte), le gluten (pour faciliter le levage de la pâte) et bien d’autres poudres de perlimpinpin donc chaque firme agro-alimentaire raffole.
Mais qu’importe ! L’essentiel est de monter au monde entier que tout le génie du savoir-faire artisanal français s’exprime dans cette bonne vieille baguette traditionnelle croustillante tout juste sortie du four, à déguster au petit-déjeuner comme en sandwich pour la pause de midi. Un patrimoine immatériel, certes, mais qui tient au corps…
Certains s’en souviennent peut-être encore : il y a tout juste 4 ans, le 28 novembre 2018, le nouveau président du Brésil, élu un mois plus tôt avec un peu plus de 55 % des suffrages exprimés et avant même son investiture officielle, annonçait au monde médusé que son pays renonçait à l’organisation de la COP 25 que le Brésil s’était engagé à accueillir sur son sol l’année suivante. La COP 25 a donc finalement eu lieu à Madrid en décembre 2019 et depuis, le monde entier n’a pu que constater que le Brésil, première puissance économique d’Amérique du Sud et détenteur de plus de 60 % de ce qu’il reste de l’Amazonie, poumon vert de la planète, avait résolument tourné le dos aux questions de préservation de l’environnement.
Militaire de métier, Jaïr Bolsonaro avait nommé à la tête de la diplomatie brésilienne un fervent admirateur de Donald Trump et climat-sceptique notoire, et a montré durant ses 4 années au pouvoir, un mépris profond pour les questions environnementales. Il n’était d’ailleurs pas présent lors de la dernière COP, l’an dernier et durant les 4 ans qu’il est resté au pouvoir, il s’est surtout employé à aider l’industrie agro-industrielle à s’accaparer de nouvelles terres au détriment des populations indiennes et de la forêt qui a connu en 2019 une augmentation de plus de 85 % des surfaces déforestées par rapport à l’année précédente.
Il a facilité la mise sur le marché de nouveaux pesticides, encouragé l’orpaillage qui contribue aussi fortement à la déforestation et restera dans les annales pour sa gestion catastrophique de la pandémie de Covid 19 qui a fait plus de 700 000 morts au Brésil. Fervent admirateur de la junte militaire qui avait maintenu un régime dictatorial pendant plus de 20 ans au Brésil de 1964 à 1985, Jaïr Bolsonaro est de ceux qui avaient voté des deux mains la destitution de Dilma Roussef en mai 2016, dédiant même, par pure provocation, son vote au colonel de l’armée de terre Carlos Brilhante Ustra, qui avait torturé en 1970 la future Présidente de la République !
Et pourtant, malgré ce bilan plutôt calamiteux, le président sortant Jaïr Bolsonaro a bien failli être réélu puisque le second tour du scrutin, le 20 octobre 2022, n’a finalement donné que 50,9 % des voix à Luiz Inácio Lula da Silva, le pourtant très populaire président du Parti des Travailleurs, qui avait gouverné le pays de 2003 à 2011 avant d’être jeté en prison en 2018 par un juge corrompu et partial : au Brésil, tous les moyens sont bons pour se débarrasser d’un adversaire politique gênant ! De fait, le parti de Jaïr Bolsonaro est arrivé largement en tête de ces dernières élections générales, tant à la Chambre des députés qu’au Sénat fédéral, et ceci grâce au soutien massif apporté au candidat d’extrême droite par les églises évangéliques, très puissantes au Brésil.
Le président sortant a d’ailleurs beaucoup tardé avant de reconnaître, du bout des lèvres et après plus de 48 heures, non pas sa défaite électorale, mais sa décision de finalement respecter la Constitution et donc de ne pas se maintenir au pouvoir avec l’aide de l’armée comme l’appelaient de leurs vœux des milliers de ses partisans qui continuent encore de manifester en masse et de bloquer les routes.
Bref, le nouveau président Lula, qui ne prendra officiellement ses fonctions, s’il y arrive, qu’en janvier prochain, était attendu comme le messie par les défenseurs de l’environnement présents à la COP 27 et son discours a été acclamé par une salle comble lorsqu’il a déclaré : « le Brésil est de retour au monde » et qu’il a annoncé qu’en 2025 la COP se tiendra justement en Amazonie, tout en mettant sur pied une entente avec l’Indonésie et le Congo pour la protection des grandes forêts humides.
Dans son discours actant sa victoire électorale, Lula avait averti : « Le Brésil est prêt à reprendre son leadership dans la lutte contre la crise climatique. […] Le Brésil et la planète ont besoin d’une Amazonie en vie ». Pour autant, le nouveau président brésilien risque d’avoir bien d’autres sujets à traiter que celui de la préservation de la forêt amazonienne, et ceci d’autant plus que plusieurs des États concernés sont dirigés par des gouverneurs proches de Bolsonaro qui ne risquent pas de lui laisser les coudées franches en la matière. Sa priorité pour son troisième mandat comme lors des deux précédents reste la lutte contre la pauvreté, les inégalités sociales et l’insécurité alimentaire. Des sujets vitaux mais qui risquent, malgré les fortes attentes internationales, de faire passer la lutte contre la déforestation un peu au second plan…
C’est une véritable révolte populaire qui est en train d’embraser l’Iran depuis quelques semaines. Une révolte qui rappelle furieusement celle qui en 1978 avait déjà agité le pays, alors dressé contre le régime répressif et corrompu du shah, jugé trop inféodé eux États-Unis, et qui avait conduit au renversement du régime puis à la prise de pouvoir, en 1979, par l’ayatollah Khomeyni, lequel s’appuie sur les Gardiens de la Révolution pour imposer une République islamique tout en s’arrogeant le titre de Guide Suprême, chargé de contrôler l’armée et les services de sécurité, et même de trier les candidats au poste de président de la République.
Ce pouvoir théocratique fort, s’appuyant sur le sentiment religieux traditionnel de la population iranienne majoritairement chiite et plutôt conservatrice est toujours en place plus de 40 ans plus tard… Depuis la mort de Khomeyni en 1989, c’est l’ayatollah Ali Khamenei, lui-même ex président de la République entre 1981 et 1989, qui détient ce rôle de Guide Suprême et tient fermement les rênes du pays, au risque d’étouffer les jeunes générations qui n’en peuvent plus de cette bigoterie répressive d’un autre âge. Considéré comme totalement intransigeant, Khamenei gère directement ce qui a trait à la sécurité intérieure du pays et aux relations extérieures via ses affidés dont le Hezbollah au Liban.
Au début des années 2000, le président réformateur Mohammad Khatami avait bien tenté quelques timides ouvertures, proposant par exemple de suspendre l’interdiction des femmes iraniennes de pénétrer dans une enceinte sportive, mais l’ayatollah Khamenei y avait mit son droit de véto, répétant fermement : « la femme […] doit accoucher, allaiter, elle a un physique fragile, elle est moralement sensible, elle est affective, ne peut entrer dans tous les domaines ». Des propos misogynes et discriminatoires qui ne font qu’entériner une situation de sujétion des femmes iraniennes, soumises depuis 1979 au port du voile obligatoire dans l’espace public et qui peuvent légalement se faire confisquer leur voiture si elles se font arrêter au volant avec un voile mal ajusté…
En 2009 déjà, le régime iranien avait dû faire face à une importante révolte populaire, suite à la réélection très contestée du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, grâce à des fraudes massives de la part du pouvoir. Bien aidée par le recours aux réseaux sociaux, cette « révolution Twitter » conduit les autorités à fermer les universités, bloquer internet et réprimer férocement les manifestations, n’hésitant pas à tirer à balles réelles sur la foule désarmée. Des milliers de personnes sont arrêtées, parfois violées et torturées en prisons, et on relève au moins 150 morts suite à ces incidents qui embrasent le pays mais ne suffisent pas à faire vaciller le régime.
Et voila que le régime théocratique et répressif iranien fait de nouveau face, depuis plusieurs semaines, à une nouvelle révolte, menée principalement par la jeunesse de ce pays. C’est la mort d’une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, arrêtée le 13 septembre 2022 à Téhéran où elle est en visite avec sa famille, qui a cette fois mis le feu aux poudres. Interpellée par la police des mœurs parce que des mèches de cheveux dépassaient de son voile mal ajustée, la jeune femme est décédée en prison après 3 jours de coma. Une mort qui a choqué et embrasé l’opinion publique, amenant de nombreuses femmes iraniennes à descendre dans la rue et, pour certaines, à brûler en public leur voile.
Comme à son habitude, le régime iranien n’hésite pas à réprimer par la force ce soulèvement populaire. Selon un bilan de l’ONG Iran Human Rights, basée à Oslo, le bilan en date du 2 octobre 2022 s’élevait déjà à 92 morts, dont 41 tués vendredi 30 septembre dans la ville de Zahedan, au sud-est du pays, une ville à majorité sunnite, proche du Pakistan où des manifestants en colère ont attaqué un poste de police et plusieurs bureaux gouvernementaux. De nombreuses manifestions se sont produites dans tout le pays, y compris dans les universités des grandes villes de Téhéran, de Tabriz et de Kermanshah. De son côté, le gouvernement reconnait un bilan d’au moins 60 morts dont 12 policiers, ce qui confirme la gravité de la situation quasi insurrectionnelle, même si l’accès au pays pour les médias internationaux est quasiment fermé.
Déjà en 2009, de nombreuses femmes s’étaient retrouvées en première ligne pour réclamer davantage de liberté et avaient, pour plusieurs d’entre elles, payé cette revendication de peines d’emprisonnement et d’une quasi mise au ban de la société. Plus que sur la question du voile, elles militaient d’ailleurs surtout sur la question de l’égalité d’accès aux postes à responsabilité, y compris dans la fonction publique. Cette année, les jeunes qui n’hésitent plus à braver les forces de l’ordre, quitte à recevoir une volée de billes d’acier ou à finir leurs jours en prison, ne se limitent pas non plus à ce sujet du port du voile dont le caractère obligatoire est néanmoins jugé de plus en plus pesant par les jeunes générations.
Leurs revendications vont bien au-delà, dénonçant l’élite corrompue et hypocrite qui s’appuie sur le pouvoir répressif des Gardiens de la révolution, du clergé et des forces de l’ordre, pour se maintenir au pouvoir tandis que la population est confrontée à des conditions de vie de plus en plus difficile, entre restriction des libertés individuelles et situation économique catastrophique. Les slogans « Mort au dictateur », entonnés de plus en plus fréquemment par les jeunes manifestants s’adressent directement au Guide suprême, Ali Khamenei. A cela s’ajoutent d’inévitables revendications identitaires, notamment de la part de la minorité kurde (dont faisait partie Mahsa Amini), sachant que les Kurdes représenteraient déjà près de la moitié des prisonniers détenus en Iran pour atteinte à la sécurité nationale !
L’avenir dira si ce mouvement de protestation qui est en train d’enfler sera en mesure de faire évoluer significativement la République islamique d’Iran. Une chose est sûre : le pouvoir iranien est bien seul pour faire face à ces contestations après avoir méthodiquement annihilé tous les corps intermédiaires et réduit à néant les mouvements réformistes. Il n’a donc d’autre choix que de se maintenir par la force en accentuant sans cesse la violence répressive face à ce mouvement populaire d’émancipation : l’ayatollah est bien nu…