Archive for septembre 2022

Katulu ? n° 66

29 septembre 2022

Le cercle de lecture carnussien Katulu ? s’est réuni à plusieurs reprises depuis le mois de mars 2022 et voici, pour les lecteurs curieux, ses dernières notes de lecture, issues des récentes lectures de ses membres, toujours avides de découvrir de nouveaux auteurs ou de relire des ouvrages oubliés, et toujours aussi impatients de partager les émotions engendrées par ces livres.

Retrouvez l’intégralité des notes de lecture de ces livres

Si vous aussi vous avez envie d’échanger en toute convivialité autour de vos derniers coups de cœur de lecteur, venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence !

Betty

Tiffany McDaniel

Ce roman s’attache à décrire la vie difficile d’une métis indienne dans les années 1950-60 dans l’Ohio profond. C’est le récit à la première personne de la vie de Betty, de 8 à 18 ans, dans une famille nombreuse issue d’une mère blanche et d’un indien Cherokee, dans un milieu très pauvre financièrement. La famille vit en marge de la société. Alors que les autres enfants ont peu hérité de leur père physiquement, Betty lui ressemble beaucoup et cela lui vaudra de subir les comportements racistes à l’école de la part des autres enfants, de leurs parents, des enseignants.

Ce roman met en évidence le rôle et l’importance du vécu, les traumatismes de l’enfance, de l’inceste, la violence dans la famille de la mère en particulier. Betty se voit confier des secrets très lourds qu’elle met par écrit et qu’elle enterre pour se soulager. L’éducation et la philosophie du père, toute tournée vers la nature atténue cette violence interne, avec beaucoup de récits imaginaires… C’est ce qui va aider Betty en permanence.

« En fait nous nous raccrochions comme des forcenés à l’espoir que la vie ne se limitait pas à la simple réalité autour de nous. Alors seulement nous pouvions prétendre à une destinée autre que celle à laquelle nous étions condamnés. »

                                                                                                                      Cécile

Changer : méthode

Édouard Louis

Ce roman autobiographique est poignant, émouvant par son réalisme. La souffrance profonde de l’auteur apparaît à chaque ligne.

Eddie est un garçon issu d’une famille ouvrière depuis des générations avec les mêmes reproductions : « privations, précarité, arrêt de l’école à quatorze ou quinze ans, vie à l’usine, maladie »… et l’alcoolisme. On va, au fil des pages découvrir le parcours très difficile de ce jeune, totalement déterminé à changer de vie pour ne plus jamais avoir honte de sa vie.

« Il veut réussir par vengeance ! », « oublier la réalité »… « Ce que je ne savais pas c’est que l’insulte et la peur allaient me sauver de toi, du village, de la reproduction à l’identique de ta vie. Je ne savais pas encore que l’humiliation allait me contraindre à être libre ».

C’est grâce à la Culture que Changer devient possible « je voulais que le théâtre me sauve de la pauvreté, de la violence du village ». Aller à Amiens pour poursuivre ses études au lycée est le point de départ de cette mutation. C’est une immersion brutale dans une autre culture qu’il ignorait totalement : « Le théâtre, la littérature, le cinéma, j‘avais le pressentiment qu’ils seraient les outils qui me mèneraient à une nouvelle vie ».

Beau roman, poignant par l’émotion qu’il suscite !

                                                                                                          Josette J.

Camille et Paul

La passion Claudel

Dominique Bona

Les pages consacrées à l’enfance du frère et de la sœur Claudel (laquelle naît le 8 décembre 1864) sont empreintes de tristesse et d‘une certaine monotonie. A treize ans Camille commence des leçons de sculpture ! Un plaisir profond pour elle à qui on n’en offre aucun. Paul dira même : « J’ai compris très tôt que la vie est un drame ».

Le bonheur de Camille est de « pétrir plonger ses mains dans cette matière à la fois molle et rebelle », c’est sensuel chez elle. A dix-sept ans elle est artiste accomplie ! Elle monte à Paris où elle suivra les cours à l’atelier Colarossi ! Elle expose dès 19 ans et est présente aux salons des Artistes Français de 1885 à 1889.

Paul et Camille, fusionnels se ressemblent, éruptifs tous les deux, impulsifs !« Elle pratique la provocation dans les rapports humains, la violence est leur univers », fortement indépendante et sûre d’avoir raison : bourreau de travail, comme Paul !

En 1882Camille rencontre Rodin, elle a 18 ans lui 42 ans !  Elle devient le modèle privilégié du Maître. Paul pense que Rodin a éveillé son originalité et l’a révélée à elle-même ! « Elle avait tout misé sur Rodin, elle perdit tout avec lui » dira Paul, jaloux du Maître. Elle s’éloigna de lui pour vivre seule son Art mais il ne cessera pas de « veiller » sur elle.

Mais le manque d’argent se fait sentir ! Son frère lui manque aussi. Camille eut 4 enfants de Rodin dont elle a dû avorter et Paul disait de cela : « Comment pouvez-vous vivre et respirer avec un tel crime sur la conscience » ! 

Après 1895, « Camille coupe les ponts »Elle veut être reconnue comme artiste originale sans l’influence de Rodin ! C’est la dépression, l’auto-destruction : internée dans un asile d’aliénés, elle fut abandonnée de tous et sa malheureuse vie s’éteint 19 octobre 1943.

« Un peu d’aide, de bonheur, d’amitié aurait pu, qui sait encore la sauver » dira Edmond de Goncourt.

                                                                                  Josette J.

CHEVREUSE

Patrick MODIANO

« Chevreuse », le joli nom que porte un vallon verdoyant des environ de Paris. Chevreuse, une charmante villégiature pour citadin nanti, souvenir d’enfance et de jeunesse secrète pour Bormans, le narrateur. Une grosse maison adossée au jardin en terrasse, avec une guirlande de lierre sur ses angles de meulière. Elle existe toujours. Elle est bien réelle.

Mais les souvenirs des rencontres épisodiques qui s’y passèrent sont-ils vrais ou création littéraire ? Bormans navigue sur une période couvrant ses cinq-six ans, puis ses vingt ans, puis ses cinquante-cinq ans « sans établir de chronologie précise ».

Peur de l’oubli mais aussi réserve d’idées ! La matière dans laquelle la volonté créatrice trouve de quoi animer un monde picaresque, car il faut se rappeler les ascendants espagnols de Modiano en rentrant dans les aventures supposées d’un anti-héros qui subit et ne s’implique jamais dans l’action.

Subtils changements narratifs entre les remontés dans le passé, qui forme la première partie, et le bonheur de l’écrivain en train de créer, qui est la deuxième partie au présent du roman. Un rêve symbolique et libérateur clôt cette dernière œuvre : un mur lisse et blanc couvre le secret « enfoui pour l’éternité » tandis que, par la lucarne ouverte sur le ciel bleu, il voit passer un avion, l’avion du destin peut-être.

Patrick Modiano annonce-t-il la fin de son travail romanesque. Est-ce un adieu au monde des lettres ? Ou alors, comme le faisait Montherlant, est-ce une feinte ?

                                                                                                          Roselyne

Eugène et moi

Kattherine Pancol

« Eugène et moi » lu en parallèle avec « La définition du bonheur » de C. Cusset, un roman de Katherine Pancol, illustré par Anne Boudart.

La composition est basée sur la même dynamique. Deux jeunes femmes se rencontrent par hasard dans un aéroport et vont multiplier entre Paris, Mexico et Saint-Tropez des aventures picaresques. L’extravagante Eugène est rousse et la narratrice Katherine est blonde. Katherine, très réservée, découvre avec admiration la liberté d’esprit d’Eugène, son originalité vestimentaire et son amour du changement. Étymologiquement Eugène veut dire race heureuse, mais Eugène est-elle en accord avec son prénom choisi ? Son amie Katherine veut comprendre cette attitude, trouver l’éventuel secret qui parfois bouleverse Eugène !

Ce roman porte la légèreté des années 70 accompagnée de charmantes illustrations. A survoler tranquillement un jour de pluie.

                                                                                   Roselyne

Histoires de la nuit

Laurent Mauvignier

Il s’agit d’un roman sombre, noir. Un roman de la nuit. Un thriller, un suspense sans concession. Tragique. L’auteur y déploie un style narratif efficace. Il choisit un sujet simple : l’anniversaire d’une protagoniste, Marion. Un lieu principal, une campagne : La Bassée.

Il parsème le récit de détails utiles, d’une finesse chirurgicale, glaciale et le rythme d’une lenteur angoissante. Le roman est l’occasion de dresser le portrait d’une France rurale désertée, abandonnée et d’une province malheureuse.

Le roman est le théâtre d’un monde glauque où l’action principale se focalise sur les préparatifs de la fête d’anniversaire. Ici il règne surtout le spectre de la nuit avec ses bruits furtifs ou étouffés. Ses silences lourds, ses ondes mystérieuses, ses vibrations pétrifiantes, ses musiques lancinantes. Le roman est sonore.

L’auteur décortique les effets des secrets intimes qui moisissent ou qui bouillonnent jusqu’à la tension extérieure ou l’explosion finale. Il dénonce le monde de rejet, de bannissement, de mépris résultant souvent de l’incompréhension. Christophe sera le symbole de cette vexation intime. Victime d’un sentiment de mépris il cédera à la colère, la violence, le crime.

Le lecteur est plongé dans la détresse absolue dans ce récit qui a manié le suspense insoutenable, le rebondissement pétrifiant, la surprise paralysante. Lorsqu’on referme le livre, peut-on encore se poser la question : l’homme peut-il échapper à -même ? à son passé ? au mépris ? à l’injustice ? à son destin ?

Ainsi, que l’on modèle ou remodèle son histoire, l’auteur semble opter pour le caillou insidieux du hasard, de l’absurde, de la réalité cruelle, injuste.

                                                                                                          Nicole

Il était une fois

JOAN DIDION

« Elle s’est éteinte le 22 décembre 2021 dans son, appartement de Manhattan des suites de la maladie de Parkinson. Il n’est pas impossible qu’elle ait sciemment décidée de clore cette année, anus horribilis, un dernier coup de théâtre avant de tomber le rideau. Immense auteur de la contre-culture américaine, pionnière du journalisme, elle a fait de ses livres des chefs d’œuvre dont les mots restent dans notre cerveau longtemps après la lecture. Sorti en 2007, « L’Année de la pensée magique », un de ses plus beaux essais, un récit sobre et bouleversant du deuil de son mari, l’écrivain John Gregory Dune, brutalement décédé d’une crise cardiaque alors que leur fille unique était hospitalisée dans en état grave pour une pneumonie. J.Didion inspecte la sidération la souffrance le cheminement vers l’acceptation de ce drame personnel et universel. Elle décrit le courage nécessaire pour avancer et se mesurer à la tache injuste de la vie humaine. On comprend que le chagrin éduque et que la littérature panse et au bout du compte, tout cela fait avancer la vie.»

Cet éloge a été écrit par la rédactrice du magazine ELLE, suite au décès de l’écrivaine.

« Le temps passe pour moi, mais j’ai oublié de prendre en compte la permanence du ralentissement. On se réveille un matin moins solide incapable de se mobiliser, toutes forces disparues, cette fuite du temps se peut-il que je n’y aie jamais cru ? »

                                                                                                          Suzanne

La Carte Postale

Anne Berest

Le point de départ de ce roman est une carte postale arrivée dans la boite aux lettres des parents de l’auteure, en même temps que des cartes de vœux, le 6 janvier 2003. Cette carte représente l’opéra Garnier et est signée de 4 prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques. Les deux premiers prénoms sont ceux des grands parents de la mère de l’auteure, les deux suivant ceux de la tante et l’oncle de sa mère.

Vingt ans plus tard, Anne Berest a décidé de savoir qui a envoyé cette carte postale. C’est son sixième roman. Elle se laisse piéger par la passion dévorante de la curiosité. Elle veut savoir qui étaient Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques, car elle sait déjà ce qu’ils sont devenus, morts à Auschwitz en 1942.

Le roman est le fruit d’une enquête menée en collaboration avec sa mère à partir de cette énigmatique carte postale. C’est un récit intime et familial qui reconstitue l’histoire de ses aïeux morts en déportation. C’est un roman vrai, un récit historique, une enquête contemporaine, un polar initiatique dont on ne connaît le dénouement que dans les toutes dernières pages. C’est également une manière inédite de raconter la Shoah et un très beau travail de mémoire.

Avec la carte postale l’auteure signe un roman vrai sur sa famille, une enquête haletante qui se dévore comme un thriller. « Dans un polar l’auteur connaît l’issue du roman à 97 pour cent, moi j’avais 99 pour cent de chances de ne jamais découvrir l’auteur de cette carte postale. « L’écriture du livre dure 4 mois, mes recherches 4 ans ».

« Que signifie être juif quand on n’a ni religion, ni la culture de ses ancêtres, quand vos parents pétris des années 1968, vous ont élevée dans l’idéal socialiste et la laïcité ? ». « Qu’est-ce être juif quand je découvre une croix gammée taguée sur ma maison ? ». « Cette interrogation naïve, je voulais la partager avec mon lecteur, lui faire découvrir avec moi la culture juive ».

                                                                                               Dany

La Clause paternelle

Jonas Hansen KHEMIRI

Dès les premiers mots, le style de ce roman surprend par l’absence absolue de nom ou de prénom. Cela crée un certain malaise, un décalage dans l’appréhension des personnages.

Ce début est bref, abrupt et riche en renseignements. « Un grand-père qui est un père est de retour dans le pays qu’il n’a jamais quitté ». Mais que veut dire cette antinomie apparente ? Simplement que le vieil homme revient tous les six mois en Suède, pour valider son titre de séjour. Pendant ces quelques quinze jours, par économie, il habite dans le bureau de son fils qui d’ailleurs, par choix, est en congé de paternité.

« Le fils qui est un père », « une petite amie qui est une mère travaille comme juriste », « la sœur qui est une fille et n’est plus une mère », « une mère qui est grand-mère »… Quelle litanie pour l’histoire d’une famille élargie et disloquée. Les activités journalières se mêlent, s’entrecroisent en projets ou en play-back narratifs, explicatifs et psychologiques, dans un style déroutant, porteur d’émotion diffuse rendue plus sensible par ce procédé agaçant auquel on s’adapte cependant très vite : une phrase qualificative à la place du nom !

Mais au milieu du récit – au chapitre VI- le drame est suggéré ! « Une fille qui est une sœur qui n’est plus en vie ». C’est une histoire dans l’histoire, introduite par Philippe et Marie-Christine, deux prénoms, deux étrangers au groupe familial, deux influenceurs qui débutent la description onirique de l’épreuve qui a ravagé la famille. C’est glauque et l’affreuse vérité est soulignée par l’inversion du procédé littéraire : le récit devient nominal mais se déroule dans un flou innommable.

Le « fils qui est un père » en pleine crise émotionnelle, disparaît… Au lecteur d’accompagner cette fugue révélatrice de trop de non-dits et d’apprécier la révolution psychologique qui justifie l’abandon des habitudes patriarcales. Au lecteur d’entrer dans le jeu grâce au procédé stylistique. A lui de voir.

P.S. Pour la petite histoire, on peut imaginer que le grand-père vit en Tunisie, pays d’origine du patronyme KHEMIRI. Comment vivre la double culture ?

                                                                                                          Roselyne

La définition du bonheur

Catherine Cusset

Accompagnée de son mari américain, Eve, bientôt la soixantaine, est venue de New York assister aux obsèques de sa demi-sœur, la flamboyante Clarisse. Même père mais mères différentes, à un an d’écart. Bien des choses différencient la rousse Clarisse de sa raisonnable cadette la blonde Eve. Esprit aventureux ou conduite réfléchie. Élégance de baroudeuse ou vêtement strict. Catherine Cusset tricote habilement les chapitres de leur vie personnelle et les points de contact de leurs rencontres affectueuses ou conflictuelles. En France, en Asie ou en Amérique sont évoqués les problèmes générationnels (études, travail, viol, compagnons, maternité, enfants, violence).

Dans les années 80 post soixante-huitardes, ces contradictions fondent l’histoire des personnages. Alors, quelle est la recette du bonheur ? Elles ne l’ont pas trouvée mais on passe un agréable moment dans une ambiance reconnue.

A cet agrément un peu banal, on peut préférer le treizième roman de Catherine Cusset, édité en 2016 chez Gallimard : « L’autre qu’on adorait ». Pas d’enterrement en prologue mais une ambiance sourdement dramatique suggère un suicide.

Puis débute «Triangles », une première partie d’échanges éclatants de dynamisme entre trois copains. Voilà leurs distractions, leurs choix, leurs copines dont Catherine, la narratrice. Ce sera khâgne pour Thomas le plus brillant et le plus drôle. Pourtant il rate deux fois le concours et part aux U.S.A. à Columbia University. Quelle joie ! « Comme c’est différent de la France », il présentera des diplômes américains.

Commence alors une deuxième partie. Mariée et installée elle aussi aux States, Catherine raconte le parcours de cet étonnant personnage. D’après les notes écrites et la clé USB de son ami Thomas, elle déroule une narration parfois angoissante, l’interpellant à la deuxième personne du singulier. Thomas conquiert les postes, les profs, les filles et …au fil des ans, d’enthousiasme en abandon, de joie extrême en « disparition radar », de relâchement en maladie réelle, il se voit disparaître.

Alors, « Tu avales des somnifères avec un verre d’eau. Tu continues à boire et à corriger les copies tandis que les notes des variations de Goldberg éclatent en bulles d’une pureté cristalline. Tu sens ta bouche devenir pâteuse et tes yeux se fermer…» Ce sont presque les derniers mots. « A l’ami dont on n’a pas sauvé la vie », titre de la seconde partie, hommage de Catherine Cusset à un ami bipolaire. Très beau.

                                                                                               Roselyne

ROMANESQUE

La folle aventure de la langue française

Lorànt Deutsch

C’est auprès de 47 auteurs que Lorànt Deutsch est allé puiser ses sources pour réaliser, d’une certaine façon romanesque, la naissance et l’évolution de la langue française. Ce livre plein d’humour et d’anecdotes est une source de connaissances incommensurables

L’histoire de France c’est aussi l’histoire de la construction de sa langue : le 25 août 1539, c’est l’ordonnance de Villers-Cotterêts, prise par François Ier dont l’article 110-111 précise : les tribunaux et l’administration doivent utiliser le français « en langage maternel francoys et non autrement ».

L’histoire d’une langue ce n’est pas seulement l’histoire de ses mots, c’est aussi l’histoire de sa manière de traduire les calculs, les chiffres. Le pape de l’an mille, Gerbert d’Aurillac, auvergnat, sous le règne de Hugues Capet, invente une sorte de machine à calculer, abandonnant les chiffres romains et utilisant les chiffres arabes. Le O s’appelle SIFR (dérivé de l’arabe « vide »). Au XVe siècle, le mot italien « zéro » s’impose et le SIFR est devenu le chiffre.

L’histoire d’une langue c’est aussi l’histoire de son écriture. Les parchemins (manuscrits mérovingiens) étaient écrits en majuscule et peu lisibles. « La caroline », écriture en minuscule est une invention des moines copistes de l’abbaye de Corbiesituée dans la Somme.

Au XV° siècle c’est l’apparition des italiques. En 1476 un imprimeur vénitien Francesco Griffo eu l’idée de fondre des caractères « plus petits, plus serrés, plus fins et penchés ». Ces caractères appelés d’abord vénitiens prirent le nom d’ « italiques ».

Au XX° siècle c’est le mystère de l’@. Ce graphisme est proche de celui utilisé par les moines copistes du Moyen Age. Il s’agissait d’un d qui s’enroulait autour d’un a pour former le mot latin ad qui signifie « vers », ce que veut dire exactement l‘@. En 1971, quand l’ingénieur Raymond Tomlinson créa le courrier électronique, il eut l’idée d’utiliser ce signe pour séparer le nom de l’adresse électronique.

« La langue d’hier a raconté nos alliances, nos métissages, nos mariages, et elle continuera demain de le faire avec ces anglicanismes, ces onomatopées, ces mots venus d’ailleurs et si bien intégrés. La langue française est à l’image du peuple français, un peuple pluriel depuis les origines… sinon on ne parlerait pas français mais celtique ! La langue française est une langue d’accueil. »

Marie -Antoinette

La Volonté

Marc Dugain

Ce livre, roman ou mémoire, est intéressant car il mêle la petite histoire intime de Marc Dugain et de sa famille dont son père, avec la grande histoire du XXe siècle. C’est l’histoire d’une transmission familiale !

Son père est sur le point de mourir, le fils va raconter sa vie au médecin afin qu’il abrège sa vie. L’homme, un être exceptionnel, a fait preuve dans sa vie d’une volonté et d’un courage impressionnants, compte-tenu de tous les événements malheureux auxquels il a été confronté : l’absence du père, la pauvreté, la terrible maladie qui le handicapera toute sa vie. D’une grande intelligence, il réussit de brillantes études pour accéder à de très valorisantes situations professionnelles puisqu’il deviendra un expert de l’énergie nucléaire au moment de sa création.

Très féministe pour l’époque, il a toujours considéré que la femme avait été trop souvent dévalorisée. Il a donc souhaité que son épouse, de grande valeur intellectuelle, se réalise dans son travail et accède à une situation aussi prestigieuse que la sienne !

Le roman évoque tous les événements historiques importants du XXe siècle : les deux guerres mondiales, la Résistance, la perte des colonies, la Nouvelle Calédonie, la guerre d’Algérie, les banlieues, l’industrialisation de la France, Mai 68. Roman passionnant, lié à des faits réels, tout en décrivant un être humain dans ses plus profondes particularités, sa grande force de caractère, son courage. Le fils Marc éprouvera toujours pour lui une très grande admiration et un plus profond respect !

                                                                                               Josette J.

L’ami arménien

Andreï Makine

Un roman d’une amitié de jeunesse écrit à la première personne : un épisode de la vie d’Andreï Makine, lorsque adolescent, il vit dans un orphelinat de Sibérie centrale. Il devient le défenseur de Vardan, souffre-douleur des garçons de son âge, arménien, arrivé avec sa famille venue soutenir leurs proches emprisonnés à 5 000 km de leur patrie.

Le narrateur va découvrir « le royaume d’Arménie » : c’est ainsi qu’il appelle la petite communauté arménienne logée dans des baraques d’un quartier déshérité proche de la prison. L’ami arménien c’est celui qui lui fera découvrir qu’un homme peut être « humain », à lui l’adolescent violent qu’on a fait grandir dans un monde de brutes, où la vie humaine ne valait pas grand-chose. C’est l’époque stalinienne de l’après-guerre, des répressions, des souffrances subies ou imposées.

Cette place de l’homme dans la société parcourt tout le récit. L’auteur revient sans cesse sur l’oppression, la violence, l’injustice du régime totalitaire qu’il a fui. Face à ceux qui disaient faire « la prétendue grande Histoire » et qui n’étaient que des fanatiques et des assassins. L’ami arménien c’est aussi l’histoire de l’Arménie prise en étau par les Turcs, les Azéris, les Iraniens. Une évocation tout au long de ce roman avec beaucoup de délicatesse et de retenue.

L’ami arménien c’est une réflexion sur la mémoire et l’oubli. Ces souvenirs, tout ce que nous avons vécus et qui font ce que nous sommes devenus. Vardan, l’ami arménien, disparut d’un jour à l’autre, sa famille reprenant la route de l’exil. Il mourut à l’âge de15 ans, ce que le narrateur apprendra bien des années plus tard.

Un livre, un poème… une réflexion sur la vie, l’amour, l’oubli, la mémoire… un rappel de ce que furent ces années terribles pour l’exilé Andreï Makine. Un livre dans la veine de celui qui nous a fait connaître l’auteur : « Le testament français », prix Goncourt 1995. Un style inégalé !

                                                                                   Marie-Antoinette

Le Monde Sans Fin

Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici

Depuis 20 ans, Jean-Marc Jancovici essaie de nous faire comprendre que tout ce qui a été rendu possible dans le monde moderne, nous le devons à l’énergie. Mais la géologie et le climat nous imposent d’inventer une histoire nouvelle…

Cet ouvrage, déjà évoqué ici, est une bande dessinée où il est question, selon l’auteur lui-même, de Clint Eastwood, de Maître Yoda, de Jimini Cricket, d’un parachutiste qui tricote en mangeant du chocolat, de striatum, de marins ayant le mal de mer, de dinosaures qui dissertent sur les SUV, d’enfants qui se battent en vacances, d’un apôtre radioactif, de Mère Nature, d’œufs de Pâques, et très accessoirement d’énergie, de climat, et de pourquoi le monde est fait comme il est fait.

Pourquoi une BD ? Et pourquoi pas ? Parce qu’évoquer ces histoires d’énergie et de climat, c’est en fait évoquer une grande aventure avec plein de rebondissements et d’émotions : celle de notre espèce depuis ses origines. Une BD illustrée par Christophe Blain, dessinateur de la série Quai d’Orsay. A lire de toute urgence, avant qu’il ne soit trop tard…

Cécile

Les Prénoms épicènes

Amélie Nothomb

Ce roman est peuplé de personnages dont le prénom peut être donné indifféremment à un garçon ou une fille.

Bien que comblée par Claude, Reine a décidé la rupture. Elle jette la vérité au visage de Claude : « Nous sommes ensemble depuis cinq ans. A part l’amour, tu n’as rien fait » ! Ce que veut par-dessus tout Reine, c’est « quitter ce patelin ». Elle va se marier avec Jean-Louis, numéro deux d’une importante compagnie, qui l’emmène vers la grande vie, à Paris. Elle choisit, aux dépens de l’amour, la construction de sa vie sociale sous la coupe d’un homme fort, tel le père de l’enfance.

Pour ne pas sombrer dans le désespoir, Claude décide de se venger. Il veut réussir avec toute l’énergie de sa colère à être à la hauteur de Jean-Louis pour reconquérir Reine dont il est amoureux fou de Reine, la confondant avec cette reine de l’enfance, la mère.

Dominique, née dans une famille modeste, devenue indépendante en travaillant comme secrétaire, rencontre Claude à la terrasse d’un café de Brest. Elle se laisse séduire. Ils se marient et s’installent à Paris où finit par naitre leur fille qu’ils nomment Epicène, à l’image de leurs deux prénoms… C’est elle qui sera l’instrument du rapprochement avec Reine. Une histoire tragique, centrée sur la haine d’une fille pour son père, froid et calculateur, qui manipule sa propre famille pour assouvir sa soif de vengeance, jusqu’à l’ultime échange, en forme de délivrance…

Antoinette

Le Lambeau

Philippe Lançon

Le 7 janvier 2015, l’auteur est gravement blessé au cours de l’attentat contre Charlie Hebdo. Ce livre autobiographique décrit l’état d’esprit de l’auteur, la veille et juste avant l’attentat, ainsi que la façon dont il a vécu l’événement, au milieu de ses collègues et amis de Charlie Hebdo. Il est une suite de digressions : une idée, le souvenir d’une personne entraîne la description d’un événement, plus ou moins récent, d’une discussion avec un proche, de l’interview d’une personnalité…

Il faut attendre la page 70 pour une description de l’attentat dans la salle de rédaction de Charlie… le tout aura duré tout juste 2 minutes… Quand il va enfin ouvrir l’œil, il s’aperçoit qu’il est blessé à la main puis au bras, il sent plein de dents et d’os dans sa bouche : sa mâchoire est en charpie, mais il ne souffre pas.

Le reste du livre aborde la lente reconstruction d’un blessé de guerre. On apprend à connaître tous ceux qui vont graviter autour de lui pendant 2 ans. On notera l’importance de la littérature en particulier Le temps perdu de Proust ou le clavier bien tempéré de Bach, lors de l’attente au bloc…

Il passe beaucoup de temps à communiquer par écrit avec une ardoise ou un cahier, avant de pouvoir se servir aussi d’internet avec son ordinateur. Malgré ses séjours à l’hôpital il continue d’écrire des articles pour Libération et cela l’aide à dépasser l’angoisse d’une reprise de vie autonome.

L’écriture est très fluide. C’est la découverte de ce que représente la difficile renaissance de tous les accidentés de la vie, les souffrances physiques et psychiques et souvent traumatiques que vivent les victimes, même quand elles sont étroitement entourées d’êtres qui les aiment et facilitent ce retour à la vie. Le livre peut à certains moments paraître un peu long mais ses détours nous font mieux toucher du doigt ce temps long de cette réparation, la patience.

                                                                                                          Cécile

L’Ombre du vent

Carlos Ruiz Zafon

L’Ombre du vent (en Espagnol « El sombra de vente »), son quatrième roman, a reçu de nombreux prix dont le prix Fémina étranger en 2004.

C’est un roman picaresque, avec son anti héros, Daniel Sempere, le jeune personnage principal, qui se lance dans des aventures infinies, s’imbriquant les unes dans les autres, pour retrouver Julien Carax, l’auteur d’un roman intitulé l’Ombre du vent. Ce livre l’a subjugué lorsque son père, libraire, lui a offert de façon initiatique en lui faisant découvrir une réserve de livres anciens, de livres oubliés. Mais le jeune garçon est plus attiré encore par la disparition étrange de l’auteur.

Le récit contient de nombreuses annotations biographiques, vraies ou fausses. Il se situe dans le cadre d’une Barcelone portant les traces laissées par la guerre civile et la répression policière. Les différents personnages décrivent l’opposition abyssale entre les classes sociales et l’emprise de la religion responsable d’une morale étriquée dans laquelle les femmes sont nonnes, putes ou coincées.

Une efflorescence imaginaire et fantastique des lieux de vie. Et, merveille, on découvre un vrai sujet… le livre, défendu par de vrais personnages… les libraires, dans leurs vrais cadres de vie… les librairies.

Daniel a dix ans, et son père qui est libraire vient de lui inoculer le virus passionné et le respect du livre. Vingt ans après « Un homme jeune, avec déjà quelques cheveux gris, marche dans les rues de Barcelone. Il tient à la main un enfant de dix ans, le regard fasciné par la promesse que son père lui a faite à l’aube, la promesse du Cimetière des Livres Oubliés. « Julian, tu vas voir, tu ne dois en parler à personne. A personne. » … et leur pas se perdent dans l’ombre du vent. »

Quelle jolie transmission ! Le roman picaresque a encore de beaux jours devant lui.

                                                                                                          Roselyne

Madame HAYAT

Ahmet ATLAN

Madame Hayat, en fourreau or magnifié par une cascade de cheveux roux. Elle danse avec un groupe de danseuses qui se produisent dans une émission populaire télévisée. Elle rayonne d’une beauté toute orientale. Au cours des tournages, elle remarque et invite un très jeune homme qui fait de la figuration pour les quelques lires nécessaires à sa vie d’étudiant pauvre. Fazil, c’est son prénom, vient d’une bonne famille ruinée par le régime dictatorial d’un pays sans nom. Le jeune homme tombe sous le charme de cette initiatrice de plaisirs physiques et de réflexes existentiels. Elle enseigne à son jeune ami le bon sens et les subtilités de la vraie vie.

D’un autre coté, en faculté, deux professeurs remarquables ouvrent esprit de Fazil aux joies intellectuelles de la création littéraire. Il en discute avec Sila, une ravissante étudiante, socialement et spirituellement proche de lui. Comme la sienne, la famille de Sila subit la terreur et les exactions, du régime en place. Elle voudrait donc partir étudier au Canada où elle a un correspondant. Elle y entraînerait son copain Fazil car la spoliation les riches et les arrestations d’intellectuels laissent prévoir des jours sombres et des privations de liberté. Fazil met en œuvre les démarches nécessaires à l’inscription canadienne, mais il est hésitant. Partira-t-il vers le monde occidental suivre la jeune étudiante ?

C’est un très joli texte sur un sujet qui ne l’est pas, mais qui est hélas trop réel. Un conte sociétal et psychologique, finement composé et raconté de façon simple et imagée. 

                                                                                                          Roselyne

MOHICAN

Eric Fottorino

Avec Mohican, E.Fottorino s’intéresse au monde agricole, situant l’action dans le Jura. Vers 1950 dans une haute vallée de ce pays au climat rude, les paysans attachés à leur terre ont du mal à s’adapter à la modernisation par les techniques innovantes et à la loi du profit apportées après-guerre par les États-Unis.

Sauf Brun Danthôme, héritier d’un assez beau domaine, la combe des Soulaillans, qu’il ne cesse d’agrandir et de valoriser par les pratiques nouvelles. Tracteurs, machines et herbicides qu’il utilise activement et défend politiquement. Mais le vieux maître est malade, atteint d’une leucémie due aux pesticides manipulés sans précaution. Petit à petit il passe le pouvoir à Mo, son fils unique qui, ingénieur agronome d’une trentaine d’années, est adepte du retour à des pratiques anciennes respectant la faune et la flore.

A la mort du père, le fils hérite aussi de la tractation paternelle avec une entreprise d’installation d’éoliennes. Les sentiers ravagés par le passage des engins, les énormes plates-formes cimentées, la hauteur des mas, le bruit nocif au bétail et aux oiseaux, c’est trop. Un jour Mo craque et plastique la plus haute éolienne. Il se retrouve en prison sans aucun regret pour cet acte militant. Les associations et les partisans du respect climatique le soutiennent. Dans la presse il est maintenant surnommé Mohican !

C’est un roman terrien, au cœur de la terre, au ras des paysages couverts de sapins et de pâturages avec vaches, chevaux, moutons. C’est un texte de journaliste âpre et serré qui raconte la brutalité de l’évolution agricole au siècle dernier, ses bienfaits et ses méfaits à l’origine d’une nouvelle tendance. Des progrès certes, mais à quel prix ? Au Mohican de trouver la réponse en sortant de prison.

Roselyne

ROYAN

La professeure de français

Marie NDIAYE

ROYAN est un monologue, celui d’une professeure de français aimant la poétesse Marceline Desbordes-Valmore, ce que l’on découvre au cours de la confidence.

Ce texte comporte plusieurs moments forts. Le style y est pénétrant. Le lecteur suit les dérives, les luttes, les obsessions d’une âme douloureuse, tourmentée. Il s’agit bien d’une introspection, d’une confession. On découvre que cette femme Gabrielle qui se présente comme libre et sans devoir s’est interdit l’amour, celui d’un mari, d’une fille. Elle a en effet abandonné mari, enfant, mère.

Mère, le nœud originel de son être. Toute sa vie est bâtie sur une vérité choisie d’elle- même. Sur un mode conventionnel pour séduire et bien sûr très artificiel mais en se justifiant sur le fait que « aucune vérité n’est certaine ». Son élève Daniela « la chair le sang les os brisés sur le ciment de la cour de l’école » est le déclencheur de ses aveux. Elle a été son parafoudre et son révélateur. Le miroir d’elle-même.

Une femme sans cœur, sans sensibilité, incapable de bonheur. Une femme désormais pénétrée d’un sentiment de culpabilité, de lâcheté, et cette conséquence funeste : la mort, le suicide de son double avec le chant de Marceline « sans le savoir j’ai fait un malheur sur la terre », sa conscience blessée.

Une confession dure, âpre, sauvage où la cruauté tient une place majeure mais aussi une souffrance intense. Et à relire les doux poèmes de Marceline

                                                                                               Nicole

S’adapter

Clara Dupont Monod

Le roman, autobiographique, se déroule dans les Cévennes, propriété familiale où les pierres parlent puisque c’est elles qui vont nous raconter l’histoire ! L’histoire d’une famille, père, mère, un aîné et une cadette, où un bébé vient de naître. Après quelques jours on découvre qu’il n’y voit pas, qu’il est inerte, « un être évanoui avec des yeux ouverts », « les parents moururent un peu ».

La vie tranquille reprend peu à peu dans le village cévenol avec ses traditions ancestrales et familiales, les rites protestants à Noël. C’est ce jour-là que l’aîné décida de veiller sur le petit sans faiblir. L’enfant entendait, donc « il modula sa voix… Il lui chuchotait des nuances de vert que le paysage déployait sous ses yeux, le vert amande, le vif, le bronze, le tendre, le scintillant, le strié de jaune, le mat ».

La cadette était insouciante et «continuait d’être enfant ». Au fond d’elle-même elle avait honte de l’enfant, n’osait inviter des amies chez elle. Elle lui reprochait d’avoir ébranlé l’équilibre familial. Elle se réfugiait chez sa grand-mère qui la comprenait.

Dans la suite du roman, on découvre avec tristesse les difficultés de parents d’enfant handicapé pour l’insérer dans la société et lui trouver une place correcte : « le parcours était glacial, inhumain, jalonné d’acronymes, MDPH, ITEP, IME, CDAPH ». L’aîné évoque les religieuses qui vont accueillir l’enfant : « Des années plus tard, il comprendrait que ces femmes, elles aussi, étaient arrivées à un niveau inouï d’infralangage, capables d’échanger sans mots ni gestes. Qu’elles avaient compris, depuis longtemps, cet amour si particulier. L’amour le plus fin, mystérieux, volatil, reposant sur l’instinct aiguisé d’animal qui pressent, donne, qui reconnaît le sourire de gratitude envers l’instant présent sans même l’idée d’un retour, un sourire de pierre paisible, indifférent aux demains ».

                                                                                               Josette J.

SERGE

Yasmina REZA

On entre dans ce roman comme en effraction jeté en vitesse dans une réalité aux contours brouillons qui s’éclaircissent sous forme de coups d’éclats. Disputes, colères, malentendus. Les protagonistes se révèlent enchevêtrés dans leurs relations intimes couples, fratrie, parents, enfants. Générations sous tensions présentes, passées. L’ombre des blessures lointaines celles des origines : être juif déborde le présent.

Le style est d’un grand naturel, familier. Il mélange récit, dialogues, descriptions, monologues intérieurs. Le narrateur change de registre, de regards, suivant les fantaisies du cerveau, avec retours dans l’enfance ou le présent. Il n’y a pas de chapitres. On saute d’une réalité à l’autre d’un protagoniste à l’autre. La lecture est donc à la fois essoufflée, chaotique, drôle et bouleversante.

Mais ce roman ne cherche pourtant pas à nous « faire bouffer du malheur ». Certes on pourrait pleurer sur les atrocités du passé. L’auteure défend l’idée d’une mémoire guillotine « Souviens-toi. Pourquoi ? Pour ne pas le refaire, tu le referas. Un savoir qui n’est pas lié à soi est vain. Il n’y a rien à attendre de la mémoire ». L’auteur chahute l’échelle des valeurs humaines. Elle nous invite à repenser le passé, le bannir ou le réinventer ? D’ailleurs l’Inconnu, ce passé, est-il plus dangereux que notre présent ?

SERGE est une réflexion sur le passage du temps. Le roman illustre l’art du portrait où il suffit « d’une image pour tenir l’homme entier ». C’est aussi le roman du ratage « le génie du vautrage », autocentré, incapable d’immobilité car « tout le monde croit à un meilleur endroit » donc anti héros parfait toujours prêt à se sauver à rêver d’un temps où « la question de faire ou ne pas faire ne se pose plus »

                                                                                               Nicole

Vie de David Hockney

Catherine Cusset

Il s’agit de la biographie de David Hockney, né en 1937 à Bradford au nord de l’Angleterre dans une famille nombreuse peu aisée. Famille nombreuse, classe moyenne, pour cet un enfant gai, blagueur, joueur, intelligent, bagarreur avec ses frères et supportant mal la rigueur scolaire. Comme tout enfant créatif il aime dessiner sur tout ce qui lui tombe sous la main, y compris sur le journal de son père.

A seize ans, à la fin du secondaire, il entre à l’école des Beaux-Arts de Bradford. Il travaille d’arrache-pied et à vingt ans étudie au collège Royal de Londres. Il y découvre d’autres modes d’expressions, le surréalisme, le cubisme, la peinture abstraite, les influences de Dubuffet, de Pollock, le pop-art. Il s’y essaye avec succès, innovant et travailleur. Peinture, gravure, sculpture, il apprend, se cultive. Encore à l’école, il intéresse déjà les marchands et vend ses gravures. Sur leurs conseils, il part à New York et Los Angeles, découvre l’ouverture d’esprit américaine. Il affirme librement son univers sexuel et vit l’amour fou avec un de ses élève, qui sera son amant pendant six ans. Il affirme son propre style dans La piscine si bleue avec un jeune homme en veste rose contemplant un nageur qui vient vers lui, un thème récurrent pour Hockney.

Grand portraitiste, David Hockney peint ses modèles dans l’environnement descriptif de leur psyché. Il y ajoute ses couleurs de grand, très grand coloriste.

Dans une recherche remarquable, Catherine Cusset fouille et recrée en détail cette existence bouillonnante. Les analyses artistiques sont brèves, mais elle décrit en détail le déroulement des activités journalières, les méthodes de travail, le rôle des galeristes, les allés-et-retours entre les États Unis et l’Angleterre, ses maisons, ses amours ou son amitié constante pour ses vieux amis, sa tendresse pour sa mère et Ann, son amie du Royal College. Elle rend facile l’approche de cet artiste contemporain au talent prolifique et multiforme.

David Hockney vit actuellement en Normandie. Il vient d’exposer, du 13 octobre 2021 au 14 février 2022, à l’Orangerie, une œuvre sur le printemps normand, de 95 mètres de long, formée de 32 toiles juxtaposées.

                                                                                                                      Roselyne

Demain, une autoroute solaire à Marseille ?

27 septembre 2022

L’énergie solaire, bien qu’intermittente, présente l’avantage d’être inépuisable et pourrait permettre de couvrir largement nos besoins en électricité, à condition de pouvoir être stockée, ce qui n’est pas si simple… Depuis des années maintenant on voit fleurir des panneaux photovoltaïques sur nombre de toits, initialement surtout dans le but de revendre l’électricité produite au réseau public à un prix garanti très attractif, désormais pour consommer directement l’électricité ainsi produite, ce qui limite la question de son transport… On voit aussi de plus en plus des bâtiments publics mais aussi des hangars agricoles, industriels ou commerciaux qui offrent généralement de belles surfaces de toitures, se recouvrir de panneaux photovoltaïques.

Cave viticole de Bonnieux, dans le Vaucluse, largement recouverte de panneaux photovoltaïques depuis une bonne dizaine d’années (source © Cave de Bonnieux)

Une alternative particulièrement judicieuse aux centrales solaires installées au sol sous forme de panneaux simplement posés sur supports fixes ou orientables, voire avec concentration sur une tour centrale, mais qui occupent de l’espace, au détriment d’autres usages. Certains ont bien essayé de développer des panneaux solaires sur ombrières pour les installer au milieu des cultures, mais avec un risque de concurrence voire de gêne pour les travaux agricoles. D’où l’idée d’installer les panneaux photovoltaïques de préférence dans les lieux où ils ne font pas concurrence à d’autres usages. Outre les toitures ou les anciennes décharges difficiles à réhabiliter, comme celle d’Entressen, dans la Crau, ce sont maintenant les canaux de distribution d’eau voire les plans d’eau qui sont sollicités, même si l’installation s’y traduit par un surcoût significatif.

Des panneaux photovoltaïques déjà très présents sur les hangars agricoles, et ce n’est qu’un début… Un dessin signé Félé

Dans le même esprit, l’adjoint du maire de Marseille en charge de la transition écologique, Sébastien Barles, vient de proposer d’installer des panneaux solaires au-dessus des autoroutes urbaines de l’agglomération, l’A7, l’A50 et la L2. Une proposition qui s’inscrit dans la lignée de la labellisation de la ville de Marseille, retenue en avril dernier par la Commission européennes parmi les 100 villes qui visent la neutralité carbone en 2030. A l’époque, la candidature de Marseille avait un peu fait sourire tant la cité phocéenne partait de loin, après avoir fait le choix pendant des décennies du tout voiture, avec ses lacunes légendaires en matière de transports en commun, de préservation des ressources naturelles et de gestion des déchets notamment. Elle a pourtant été retenue avec 8 autres villes françaises parmi les 23 qui avaient candidaté, aux côtés des autres grandes métropoles passées en 2020 aux mains d’une municipalité à participation écologiste, à l’instar de Lyon, Paris, Nantes, Bordeaux, Grenoble ou Angers.

Marseille, retenue parmi les 100 villes accompagnées par la mission européennes en vue de la neutralité carbone d’ici 2030 (source © FNE PACA)

Et comme Marseille a un long chemin à parcourir pour atteindre cette bien hypothétique neutralité carbone d’ici 2030, il va falloir beaucoup d’imagination et de volonté politique ! D’où cette idée, un peu farfelue au premier abord, de recouvrir les autoroutes urbaines de panneaux solaires… L’écologiste Sébastien Barles n’est d’ailleurs pas tout seul à la porter et il était entouré, lors de sa présentation en conférence de presse jeudi 22 septembre 2022, notamment par le président du groupe écologiste au conseil municipal marseillais, Fabien Perez, par le président de la FNE 13, Richard Hardouin, mais aussi par le nouveau député LFI Hendrick Davi et le sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône, Guy Benarroche.

Représentation de ce que pourrait être demain l’A50 recouverte de panneaux photovoltaïques (photo © P. Laurenson / Marsactu)

Car même si l’idée est séduisante, certains obstacles réglementaires empêchent pour l’instant sa mise en œuvre et il faudra peser politiquement pour les déverrouiller, en profitant par exemple du prochain examen de la loi sur l’accélération des énergies renouvelables. En supposant ces obstacles aplanis, il s’agirait de recouvrir 26 km d’autoroute, en commençant par un tronçon démonstrateur de 2 km sur l’A50 entre Marseille et Aubagne, la couverture permettant, non seulement de fournir de l’électricité (de quoi alimenter 6 000 logements rien qu’avec ces 2 premiers kilomètres), mais aussi de diminuer les nuisances sonores liées au trafic routier sur ces axes urbains régulièrement saturés.

Certes, la facture est un peu élevée, estimée à la bagatelle de 240 millions d’euros pour les 26 km visés à terme. Mais les élus sont optimistes pour lever les fonds nécessaires en mixant financement privés et publics (on voit mal la région PACA ne pas mettre la main à la poche pour un tel projet qui s’inscrit parfaitement dans sa prétention d’avoir « une COP d’avance »…), quitte à faire appel à la souscription des particuliers sous forme de participation pour un projet qui pourrait présenter un retour sur investissement évalué à 8 ans seulement.

Projet de serpent solaire imaginé par le suédois Mans Tham (source © Techniques de l’Ingénieur)

Ce projet s’inscrit en tout cas en droite ligne du Solar serpent présenté en 2010 par l’architecte suédois Måns Tham : une sorte de couverture semi-transparente des voies de circulation sous forme d’un revêtement en écailles constituées de panneaux photovoltaïques. Le concept avait été testé dès 2011 en Belgique sous forme de panneaux solaires posés sur le toit d’une tranchée couverte permettant au TGV de franchir en toute discrétion une zone naturelle protégée au nord d’Anvers. Un investissement de 15,6 millions d’euros qui permet de produire l’électricité dont a besoin le même TGV pour 2 heures de trajet…

Depuis, le coût des installations solaires a nettement baissé et l’opération devient de plus en plus intéressante, même si l’installation de panneaux photovoltaïques sous forme d’ombrières au-dessus de nos voies de circulation représente un surcoût qui reste très significatif par rapport à une installation photovoltaïque traditionnelle et ne peut donc se justifier que par les autres avantages recherchés. Il va donc falloir sans doute beaucoup de persuasion aux écologistes marseillais pour convaincre du bien fondé de leur projet, peut-être en argumentant que cette future couverture solaire de nos autoroutes urbaines permettra désormais de « rouler à l’ombre » même en période de forte chaleur…

L. V.

Alerte : les gorgones se meurent !

25 septembre 2022

Le réchauffement climatique a encore fait une nouvelle victime ! Depuis la mi-août 2022 les alertes se multiplient dans le milieu des plongeurs méditerranéens : les gorgones, ces magnifiques ramifications colorées qui tapissent les tombants du Parc national des Calanques sont en train de dépérir de manière spectaculaire. Les premières observations ont été faites après les gros orages du 17 août 2022 qui ont balayé la région et fait, une nouvelle fois déborder le Vieux-Port de Marseille, faute de gestion des eaux pluviales adaptée au régime méditerranéen.

Bouquet de gorgone en train de dépérir dans le Parc des Calanques (photo © Patrick Bonhomme / Parc national des Calanques)

Dès le lendemain, des plongeurs se sont inquiétés d’observer un blanchissement inexorable des branches de gorgone, ces bouquets admirables de couleur vive qui constituent un des principaux attraits des fonds méditerranéens. Dès lors, les scientifiques ont commencé à multiplier les observations sur les différentes aires marines protégées de la côte provençale où les gorgones pourpres Paramuricea clavata forment de larges colonies qui se fixent sur les substrats rocheux des fonds marins situés entre 7 et 110 mètres de profondeur.

Le plus souvent pourpre, parfois jaune, les gorgones comme les coraux sont des colonies constituées d’un squelette souple en forme de ramification arborée que se partagent les polypes, de petits animaux munis de tentacules, rattachés à la grande famille des cnidaires qui comprend aussi les méduses ou les anémones de mer. Grâce à cette disposition en éventail le long des branches de l’arborescence généralement disposée perpendiculairement au courant dominant, les polypes filtrent l’eau avec leurs tentacules et se nourrissent ainsi de micro-organismes.

Colonie de gorgone pourpre dans les calanques marseillaises (photo © H Thédy / Parc national des Calanques)

Ces colonies qui tapissent le talus continental en Méditerranée occidentale ont une croissance excessivement lente de l’ordre de 2 à 3 cm par an, mais leur longévité peut atteindre une cinquantaine d’années. Elles forment ainsi une véritable forêt sous-marine qui, à l’instar des grandes barrières de corail qui ceignent les atolls polynésiens, constituent un biotope particulièrement favorable, servant de refuge à une grande variété d’espèces sous-marines. On considère ainsi que pas moins de 15 à 20 % des espèces connues en Méditerranée se concentre à proximité de ces forêts de gorgones, ce qui explique que les plongeurs en soient aussi friands.

Justement, depuis un mois maintenant, les plongeurs ne cessent de multiplier les alertes, constatant avec désespoir que les gorgones de Méditerranée commencent par se nécroser, blanchissent et deviennent cassantes puis finissent par mourir sur pied. Les chercheurs du Parc national des Calanques et de nombreuses associations locales dont Septentrion Environnement, qui œuvre pour la sauvegarde des richesses sous-marines de la Méditerranée, se relaient pour inspecter l’ensemble des spots où ces gorgones sont particulièrement développées.

Un plongeur inspecte des gorgones en train de dépérir dans le Parc national des Calanques (photo © Olivier Bianchimani / 20 minutes)

Et partout le constat est le même : un véritable spectacle de désolation, comme lorsque, au lendemain d’un feu de forêt, on inspecte avec tristesse et dans un silence de mort, le sol couvert de cendre et les moignons noircis de ce qui était la veille encore une magnifique forêt verdoyante, bruissant du chant des oiseaux.

De nombreux prélèvements ont été réalisés pour analyser en laboratoire les causes sans doute multiples de ce véritable massacre qui s’est produit en l’espace de quelques semaines et qui a déjà décimé, selon les premières estimations, 90 % des colonies de gorgones dans les Calanques et plus largement depuis la Côte bleue jusque sur les rivages du Var. Plusieurs facteurs peuvent en effet se combiner pour expliquer cette mortalité inhabituelle : processus biologiques complexes, modification du microbiote associé, survenue d’agents pathogènes, facteurs génétiques de résistance plus ou moins grande au stress thermique, etc.

Prélèvement de gorgones jaunes Eunicella cavolinii pour analyse génétique (photo © T. de Bettignies / MNHN)

Mais la raison principale de ce dépérissement soudain est d’ores et déjà parfaitement identifiée et ne fait aucun doute pour les scientifiques. C’est bien une fois de plus le réchauffement climatique qui en est le responsable, car les gorgones sont extrêmement sensibles aux variations de température. Or cet été, la température de l’eau sur nos côtes méditerranéennes a atteint des records jamais enregistrés, jusqu’à 27 °C à 30 m de profondeur ! C’est trop pour les gorgones qui ont littéralement séché sur pied…

Ce n’est certes pas la première fois que de telles canicule sont observées dans nos régions et l’on avait déjà constaté des épisodes sévères de dépérissement des gorgones pourpres dans les aires marines protégées de Méditerranée où elles font l’objet d’un suivi scientifique, notamment en 1999, 2003, 2006 et 2009, justement à l’occasion de périodes marquées par de fortes canicules prolongées.

Mais lors de ces épisodes antérieurs, le taux de mortalité n’avait guère dépassé 10 à 15 %, ce qui permet une survie des colonies. Il n’en sera peut-être pas de même après cet été 2022 excessivement meurtrier… Sachant qu’il faut une cinquantaine d’années pour reconstituer une colonie ainsi décimée, il est probable que l’on n’est pas près de revoir le doux frémissement des ramures pourpres de gorgones sur les tombants des Calanques, d’autant que toutes les modélisations annoncent une accentuation de la fréquence et de la sévérité des épisodes de canicules dans les années à venir : on commence à assister aux premiers effets probablement irréversibles du changement climatique…

L. V.

Conseil de sécurité de l’ONU : un droit de veto problématique

23 septembre 2022

La réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, fait partie de ces serpents de mer qui resurgissent régulièrement. Créé au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le Conseil de sécurité est l’organe exécutif de l’Organisation des Nations unies et a pour responsabilité principale, selon les termes de la Charte des Nations unies, « le maintien de la paix et de la sécurité internationale », rien de moins…

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’exprime devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 24 août 2022 à New York (photo © Timothy A. Clary / AFP / L’Express)

Cet organe, qui peut se réunir à tout moment, à New York, y compris en urgence pour traiter de crises imprévues, est désormais composé de 15 membres dont 10 non permanents élus pour 2 ans par groupes géographiques de pays, avec un renouvellement par moitié chaque année. Actuellement, l’Irlande et la Norvège y représentent l’Europe occidentale et l’Albanie l’Europe de l’Est, tandis que le continent africain est représenté par le Gabon, le Ghana et le Kenya. Le bloc Asie-Pacifique est actuellement représenté par l’Inde et les Émirats arabes unis, et l’Amérique latine par le Brésil et le Mexique.

Quant aux 5 membres permanent, malgré les nombreux projets de réformes tous avortés à ce jour, ce sont toujours les principaux vainqueurs de la seconde guerre mondiale qui ont conservé leur siège, à savoir les États-Unis, la Russie, la Chine, le Royaume-Uni et la France. Et ils disposent toujours du droit de veto qu’ils se sont eux-mêmes arrogés dès l’origine, ce qui leur permet de bloquer n’importe quelle résolution qui, sinon, doit avoir l’aval de 9 des membres du Conseil de sécurité pour être adoptée.

Première réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à Londres, le 17 janvier 1946 (photo © Marcel Bolomey / ONU)

La récente invasion russe en Ukraine a, une fois de plus, remis sur la table la question du maintien de ce droit de veto d’un autre âge, Vladimir Poutine ayant bien évidemment utilisé une fois de plus cet outil pour bloquer le 26 février 2022 une résolution déplorant l’agression, tout en notant avec satisfaction que 3 autres membres (Chine, Inde et Émirats arabes unis) préféraient s’abstenir… De quoi énerver passablement l’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, considérant que « les États membres responsables n’envahissent pas leur voisin » et l’amenant à faire des propositions pour limiter le droit de veto, estimant que « tout membre permanent qui use de son droit de veto pour défendre ses propres actions perd toute autorité morale et doit être tenu pour responsable ».

L’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, en conférence de presse au siège de l’Onu, le 1er mars 2021 (photo © Mary Altaffer / The Associated Press / Voice of America)

Une leçon de morale qui ne peut bien entendu que faire sourire, voire ricaner, les autres pays, habitués de longue date à voir les États-Unis n’en faire qu’à leur tête et se soucier comme d’une guigne de ce que peut bien penser le reste du monde lorsque leurs propres intérêts économiques ou stratégiques sont en jeu… De fait, depuis la création de l’ONU, les États-Unis ont utilisé à 83 reprises leur droit de veto, dans plus de la moitié des cas pour défendre leur allié israélien contre l’opprobre international, mais force est de constater que depuis 2009, ils n’ont dégainé cette arme redoutable qu’à 4 reprises alors que dans le même temps la Russie l’a brandie pas moins de 26 fois ! C’est d’ailleurs ce pays, et avant elle la défunte URSS qui détient le record d’utilisation avec pas moins de 117 veto apposés, dont 29 depuis la fin de l’empire soviétique en 1991.

Par comparaison, le Royaume-Uni a utilisé 29 fois son droit de veto, souvent de manière concomitante avec les USA, la Chine 18 fois et la France 16 fois seulement, la dernière fois en 1989 pour éviter de condamner l’invasion américaine à Panama. Il s’agissait alors d’une position de solidarité avec son allié américain, mais la dernière fois que la France a utilisé ce droit de veto pour défendre ses propres intérêts, c’était en 1976 au sujet du référendum sur l’indépendance de Mayotte. En 2013, la France s’est d’ailleurs engagée, par la voix de François Hollande, à ne jamais utiliser son droit de veto quand sont en jeu des génocides ou des crimes de masse, et a souhaité que les autres pays en fassent de même, mais sans succès jusqu’à présent…

L’invasion américaine à Panama, en décembre 1989, la dernière occasion où la France a fait usage de son droit de veto (photo © US Army)

Le 26 avril 2022, l’Assemblée générale des Nations unis a adopté par consensus, à l’initiative du Liechtenstein, une résolution qui oblige désormais un pays utilisant son droit de veto à justifier sa décision. Une mesure qui vient justement en réaction au récent veto russe destiné à empêcher toute condamnation de son aventure ukrainienne. Cela ne changera pas fondamentalement les choses car un pays qui fait usage de son droit de veto a toujours de bonnes raisons personnelles pour cela, mais le fait que celles-ci soient plus ou moins avouables le place néanmoins dans une situation moralement plus délicate.

On se doute néanmoins que ce n’est pas ce genre de mesure qui arrêtera un dirigeant comme Donald Trump, Vladimir Poutine ou Xi Jin Ping qui n’ont cure de ce que pense l’opinion internationale à leur égard, obsédés qu’ils sont de défendre l’idée qu’ils se font de la puissance de leur propre pays. La démarche pourrait même gêner davantage les États-Unis qui sont amenés régulièrement à utiliser leur droit de veto pour éviter que la politique israélienne de colonisation des Territoires occupés ne soit trop fermement condamnée par le reste du monde.

Vladimir Poutine reçoit (à distance) le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, au Kremlin, le 26 avril 2022 (photo © Vladimir Astapkovich / Sputnik via Associated Press / Le Devoir)

C’est bien le paradoxe de ce type de posture : quand on est sûr de son bon droit, on trouve toujours que les sanctions ne sont pas assez sévères et on enrage de voir l’impunité dont bénéficient ceux qu’on considère comme délinquants. Mais quand on se place soit même en délicatesse avec la loi ou la bonne gouvernance, on est généralement très agacé par les leçons de morales que certains ne peuvent s’empêcher de donner… Pas sûr que l’on arrive à sortir aussi facilement de ce droit de veto pour le moins archaïque et profondément injuste que se sont arrogé les grandes puissances du moment !

L. V.

Suède : l’extrême droite au gouvernement

20 septembre 2022

La Suède fait partie de ces pays scandinaves longtemps considérés comme les modèles les plus aboutis de la social-démocratie européenne, dotés d’un État très protecteur, d’une vie politique plutôt apaisée et consensuelle, et d’un niveau de prélèvement fiscal élevé. La réforme du système de retraite, dont les principes avaient été fixés dès 1991 par un gouvernement social-démocrate et qui a finalement été adoptée en 1999 à l’issue d’un très long processus de dialogue social est l’exemple même de cette capacité de certains pays à dégager des compromis politiques solides et relativement équilibrés qui évitent le conflit.

A partir des années 2010, la Suède s’est montrée très accueillante envers les mouvements migratoires, bénéficiant de sa bonne réputation de pays ouvert, au système de protection social généreux et à l’activité économique plutôt florissante. En 2014, 80 000 réfugiés ont ainsi été accueillis, venant principalement de Syrie et en 2016, ce nombre s’est élevé à 120 000 environ. Entre 2000 et 2022, le nombre de résidents nés à l’étranger a doublé en Suède, atteignant 2 millions, ce qui représente un cinquième de la population.

Manifestation en septembre 2015 à Stockholm en faveur de l’accueil des réfugiés politiques… (photo © Jonathan Nackstrand / AFP / L’Express)

Dès 2010, des émeutes survenues dans la banlieue de Stockholm attisent une amorce de discours xénophobe, permettant à un nouveau parti de faire son entrée au Parlement : les Démocrates de Suède, qui comme son nom ne l’indique pas est clairement marqué à l’extrême droite et est même, à l’origine ouvertement néofasciste. Élection après élection, ce parti ouvertement xénophobe a grignoté du terrain, passant de 5,7 % des suffrages exprimés en 2010 à 20,5 % lors des dernières législatives qui avaient lieu le 11 septembre 2022, le jour anniversaire de l’attaque islamiste contre le World Trade Center, comme par un fait exprès, faisant ainsi entrer au Parlement pas moins de 73 députés sur les 349 sièges du Riksdag, le Parlement suédois…

Jimmie Åkesson, le leader du parti d’extrême droite les Démocrates Suédois (photo © Maja Suslin / TT News Agency / Reuters / Yahoo)

Un petit séisme politique et une incontestable victoire pour son porte-parole, Jimmie Åkesson, qui est à la tête des Démocrates de Suède depuis 17 ans maintenant et qui a progressivement amené ce parti néo-nazi vers la normalisation, allant jusqu’à refuser de siéger au Parlement européen dans le même groupe que Marine Le Pen et ses élus frontistes, c’est dire ! Ce résultat électoral place de fait ce parti d’extrême droite en deuxième position, derrière le Parti social-démocrate du Premier ministre sortant, Magdalena Andersson, crédité de 30,3 % des voix.

Cette dernière avait accédé à ce poste, occupé pour la première fois en Suède par une femme, le 29 novembre 2021, il y a moins d’un an donc, à la faveur d’une crise qui confirme, s’il en était besoin, que la vie politique, même en Suède, n’est jamais un long fleuve tranquille ! En 2018, le premier ministre social-démocrate, Stefan Löfven, avait été reconduit dans ses fonctions, grâce à une coalition (minoritaire) de centre gauche dans laquelle il s’appuyait aussi sur les Verts et le Parti de gauche. En juin 2021, ce dernier avait retiré sa confiance et fait chuter le gouvernement, non pas sur la gestion du la crise du Covid, pour laquelle le pays s’était singularisé par un confinement a minima, mais sur une question d’encadrement des loyers pour les logements neufs. Revenu malgré tout à la barre en juillet, Stefan Löfven avait néanmoins démissionné quelques mois plus tard, en novembre 2021 après qu’une élection interne du Parti social-démocrate a choisi de le remplacer à sa tête par Magdalena Andersson.

 
Magdalena Andersson, Premier ministre socio-démocrate sortant de Suède (source © Terra Femina)

Celle-ci n’est pas une débutante, elle qui était déjà ministre des finances dans le premier gouvernement de Stefan Löfven dès 2014, avant d’être élue, en 2020 présidente du comité monétaire et financier du Fonds monétaire international. Son élection comme Premier ministre, le 24 novembre 2021 se fait in extremis, après un ralliement de dernière minute du Parti de gauche. Mais elle est contrainte à la démission avant même de se présenter au roi, suite à la défection des Verts, qui refusent toute alliance avec le Parti du centre, pourtant appoint indispensable pour adopter le budget… Qu’à cela ne tienne, elle s’accroche et se fait réélire Premier ministre le 29 novembre : toute comparaison avec Borgen, la série qui se déroule au Danemark, serait bien entendu purement fortuite, est-il besoin de le préciser ?

Depuis son accession au pouvoir, Magdalena Andersson est obsédée par les effets de l’invasion russe en Ukraine et a conduit un changement majeur en matière de politique étrangère, tournant le dos à des décennies de neutralité pour demander l’adhésion de son pays à l’OTAN. Mais c’est à un autre sujet qu’elle doit sa défaite (relative) aux dernières législatives, à savoir la question de l’immigration. Le pays a en effet dû faire face, en avril 2022 à de violentes émeutes dans plusieurs villes du pays, en réponse à des provocations organisées par Rasmus Paludan, leader du parti d’extrême droite Stram Kurs (« ligne dure ») qui s’amuse à brûler des exemplaires du coran en public dans des quartiers à forte proportion d’immigrés de confession musulman. L’effet est garanti et les émeutes qui en ont résulté ont fait pas moins de 40 blessés dont 26 policiers, provoquant un débat houleux à travers le pays et faisant le jeu de la droite qui a axé toute la campagne des législatives sur la question sécuritaire et la place des immigrés dans la société suédoise.

Émeutes à l’issue d’une manifestation contre l’extrême droite, le 15 avril 2022, à Örebro, en Suède (photo © Kicki Nilsson / AFP / L’Express)

Les partis traditionnels de droite, Modérés, Chrétiens-démocrates et Libéraux, ont donc largement emboité le pas des Démocrates de Suède de Jimmie Åkesson, ce qui explique finalement le bon score de ce dernier qui a pu surfer sur ses thèmes de campagne de prédilection, la question de l’Ukraine ou du changement climatique étant quasiment passées à la trappe… Globalement, les partis de droite ont perdu du terrain à l’issue de ces élections, contrairement aux sociaux-démocrates qui en ont plutôt gagné. Mais pas suffisamment pour que la coalition sortante de gauche puisse se maintenir au pouvoir, elle qui finit avec 173 députés alors que la majorité est fixée à 175… Magdalena Andersson a donc été contrainte de démissionner bien que son parti finisse en tête de ces élections et c’est le chef des Modérés, Ulf Kristersson, dont le parti finit à la troisième place et perd deux sièges avec à peine 19,10 % des suffrages exprimés, qui pourrait former le prochain gouvernement en s’appuyant sur une coalition de droite dans laquelle l’extrême droite des Démocrates de Suède sera le parti dominant… Une situation explosive mais qui vient couronner les efforts de Jimmie Åkesson qui a tout fait pour banaliser l’image de son part et se rapprocher de la droite classique tandis que celle-ci dérivait de plus en plus vers ses thèses sécuritaires et nationalistes.

Le chef des Modérés, Ulf Kristersson, fêtant la victoire de la coalition de droite et d’extrême-droite, le soir des élections du 11 septembre 2022 (photo © Fredrik Sandberg / TT News Agency / AFP / RTL)

Un schéma qui n’est pas sans rappeler ce qu’il se passe en Italie où les élections générales sont justement prévue cette semaine, le 25 septembre 2022 : le centre-droit de Forza Italia pourrait ainsi revenir au pouvoir à la faveur d’une alliance avec les forces de droite voire d’extrême droite de la Ligue et de Frères d’Italie. Et la situation française n’est pas non plus très éloignée de cette configuration au vu de la stratégie portée par Éric Ciotti qui brigue la présidence des Républicains (LR) afin d’opérer un rapprochement avec l’extrême droite et espérer ainsi faire accéder en 2027 son champion, Laurent Wauquiez, à la Présidence de la République. En politique comme ailleurs, le pire n’est jamais sûr mais il est parfois bon de regarder ce qui se passe chez nos voisins pour s’en prémunir…

L. V.

Le Ravi, c’est fini…

18 septembre 2022

« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » Tout le monde a en tête cet aphorisme qui figure en tête de la dernière page de chaque numéro du Canard enchaîné, même si personne ne sait trop bien à qui attribuer cette citation, sans doute trop belle pour être vraie… En revanche, on sait bien qui est l’auteur de cette autre maxime moins connue mais sans doute plus réaliste : « la liberté de la presse est entière : il suffit d’avoir les milliards nécessaires ». C’est le sociologue Alfred Sauvy qui faisait ce constat lucide en préface d’un ouvrage de Jean Boniface publié au début des années 1960 sous le titre Arts de masse et grand public. Une vision assez prémonitoire de la bataille à laquelle on vient d’assister entre les milliardaires Xavier Niel et Rodolphe Saadé pour prendre le contrôle du quotidien régional La Provence

La presse française très prisée des milliardaires, un dessin signé Miss Lilou (source © Blagues et dessins)

Rien qu’en France, 8 milliardaires contrôlent de fait une vingtaine de journaux, trustant à eux seuls 95 % des ventes d’hebdomadaires nationaux généralistes et plus de 80 % de la presse quotidienne nationale. Ainsi, Bernard Arnault, première fortune de France, détient des titres comme Le Parisien, Les Echos, Investir ou encore la chaine Radio Classique. Son alter ego Vincent Bolloré s’est forgé de son côté un véritable empire médiatique avec les chaînes CNews, Direct 8 et des titres aussi courus que Paris Match, Géo, Voici, Ça m’intéresse ou Capital. Patrick Drahi, qui a fait fortune dans le domaine des télécommunications, est désormais à la tête de Libération, l’Express ou encore BFM et RMC. Son collègue Xavier Niel, patron de Free, est actionnaire majoritaire du Monde, de Télérama, du Nouvel Observateur ou encore de Rue 89. On pourrait citer aussi le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, désormais patron de Marianne, Elle ou encore Télé 7 jours, mais aussi François Pinault, 24e fortune mondiale qui détient Le Point tandis que le Figaro est entre les mains de la famille Dassault.

Un dessin signé Loup sur les limites subtiles du dessin de presse… (source © The Conversation)

Curieusement, aucun de ces grands patrons tous milliardaires et grands philanthropes, défenseurs invétérés de la sacro-sainte liberté d’informer, n’est venu au secours du petit mensuel provençal satirique le Ravi qui vient de rendre l’âme et de jeter l’éponge après 18 ans de combat homérique pour tenter de faire entendre sa voix quelque peu gouailleuse d’une « presse pas pareille ». Lancé en 2003 par l’association marseillaise La Tchatche, ce journal était publié en kiosque tous les premiers vendredis du mois. Mais le n°208 daté de juillet-août 2022 sera donc le dernier de la liste, suivi néanmoins par un « numéro très spécial » publié post mortem sur le site du Ravi, encore accessible.

Couverture du numéro (très) spécial du Ravi, publié post mortem sur son site (source © le Ravi)

Il est vrai que ce dernier exemplaire du Ravi vendu en kiosque cet été contenait, outre une attaque frontale contre les fachos du RN, un portrait au vitriol de Rodolphe Saadé, le patron de la CMA CGM et, donc, désormais de La Provence, en train de se lâcher contre un autre grand prédateur, Michel-Edouard Leclerc, qui avait osé attaquer le transporteur maritime en l’accusant de profiter de la situation pour gonfler ses marges et encaisser des bénéfices mirobolant… Un dialogue savoureux et quelque peu viril, imaginaire bien entendu, mais qui donne bien le ton des journalistes du Ravi, jamais avares en bons mots et fins observateurs des petits travers du microcosme politico-économique régional.

Exemple de « contrôle technique de la démocratie » à Aix-en-Provence le 24 septembre 2021 : une caricature de Sophie Joissains signée Trax (source © le Ravi)

C’est d’ailleurs ce qui faisait le sel de ce média pas comme les autres qui sortait, mois après mois, ses enquêtes d’investigation sur les sujets qui fâchent, mais aussi ses portraits acides de personnalités « en surmoi médiatique » qui ont tellement pris la grosse tête qu’elles s’exposent à un rappel peu amène de certaines de leurs déclarations publiques à l’emporte-pièce. Sa rubrique mensuelle intitulée « contrôle technique de la démocratie » était un vrai bijou d’observation des mœurs locales de la démocratie au quotidien, observée en direct par un journaliste assistant incognito à un conseil municipal et relatant avec talent et humour le jeu de rôle des élus locaux jamais avares de postures et sans cesse rattrapés par leur vanité personnelle et leur ego surdimensionné.

Un dessin signé Yakana, à l’occasion de la disparition du Ravi (source © le Ravi)

Et pourtant, le journal se portait plutôt bien avec ses ventes en hausse, son site internet performant et très fréquenté, ses actions éducatives bien suivies et son taux d’autofinancement remarquable de 80 %. Mais ce n’était pas suffisant pour faire vivre durablement la petite équipe de journalistes particulièrement investie qui se dévouait corps et âmes pour ce projet atypique. Faute de subvention publique et malgré les nombreux soutiens populaires régulièrement sollicités, le journal, comme d’ailleurs toute la presse écrite, avait bien du mal à trouver son équilibre financier. Or en 2021, le Conseil départemental de Martine Vassal comme le Conseil régional de Renaud Muselier, ont brusquement fermé le robinet des subventions à ce journal satirique un peu trop critique à leur égard. La Ville de Marseille a bien tenté de lui venir en aide en votant in extremis une subvention à son bénéfice en juin dernier mais le journal a donc déposé le bilan avant même d’avoir pu en voir la couleur…

La Ravilution de juin 2022, vue par Na ! : en 3 mois, les donateurs se sont mobilisés pour recueillir 63.000 euros de dons et tenter de sauver le journal, en vain (source © le Ravi)

Malgré le tragique de la situation, l’équipe du Ravi a gardé son sens de l’humour et sa page d’adieu et de remerciement à tous ceux qui l’ont accompagné dans cette aventure vaut la lecture ! Petit extrait : « C’est donc la fin d’une histoire débutée en 2003 ! Pour les six salariés de la Tchatche, aucun problème : comme pour tous les chômeurs, il leur suffira de traverser la rue afin de trouver un travail. Pour l’offre médiatique régionale, déjà étriquée, c’est ballot : elle s’appauvrit encore un peu plus avec la disparition d’un des très rares journaux mêlant enquête et satire en France… ».

A l’occasion de la disparition du Ravi, les (fausses) condoléances des personnalités locales, ici le sénateur RN Stéphane Ravier… (source © le Ravi)

Quant aux personnalités locales, l’équipe du Ravi anticipe avec autant de perspicacité que d’ironie les larmes de crocodile qu’ils ne manqueront pas de verser sur la disparition de ce média indépendant qui leur a si souvent fait grincer les dents et lever les bras au ciel, un peu comme le fameux ravi de la crèche, auquel le journal en question tire son nom, l’air toujours un peu ahuri et naïf mais sans jamais baisser les bras, jusqu’à ce jour du moins… Un grand remerciement en tout cas à cette équipe de journalistes passionnés qui a œuvré avec autant de conviction, et souvent un brin de provocation, pour faire vivre cette démocratie locale si précieuse.

L. V.

Pakistan : des inondations meurtrières

16 septembre 2022

Le Pakistan, ce pays de 220 millions d’habitants, fait face depuis le début de l’année à une crise climatique de grande ampleur. En mars, le pays commençait déjà à suffoquer sous l’effet d’une forte vague de chaleur avec des températures supérieures à 40 °C. En avril, le mercure a continué à grimper pour atteindre localement jusqu’à 51 °C le 14 mai 2022 à Jacobabad, près de la frontière avec l’Inde : un record mondial sans précédent ! La ville voisine de Calcutta, en Inde, a aussi connu cette année sa plus longue séquence sans pluie : 57 jours consécutifs.

En 2022, le Pakistan en proie à une canicule record (photo © Prakash Singh / AFP / Radio France)

Des records de chaleur qui rendent la vie quasi insupportable et qui ont fait au moins 25 victimes directes en Inde et 65 au Pakistan, l’organisme humain étant mis à rude épreuve durant ces épisodes de canicule prolongée lorsque le thermomètre ne descend pas en dessous de 30 °C même au cœur de la nuit.  Cette vague de canicule, que les scientifiques relient sans hésiter au réchauffement climatique mondial, s’est bien évidemment accompagnée d’un déficit sévère en eau, les cours d’eau s’asséchant les uns après les autres et le débit du fleuve Indus, principale source d’alimentation en eau du Pakistan a vu son niveau d’étiage fondre de 65 %.

La population a aussi eu à subir en parallèle de multiples coupures d’électricité liées à une surconsommation pour alimenter réfrigérateurs et climatiseurs, mais aussi des vagues de pollution due notamment à plusieurs incendies majeurs de décharges, dont celle de New Delhi qui s’est enflammée à trois reprises. Au nord du Pakistan, un lac glaciaire a rompu sa digue sous l’effet de la fonte accélérée des neiges d’altitude. Les rendements agricoles se sont effondrés, y compris au Pendjab, grenier à blé de l’Inde, au point que ce pays a annoncé suspendre totalement ses exportations, pour privilégier sa propre sécurité alimentaire.

Rivière en crue dans le district de Swat où des milliers de personnes ont dû évacuer leur habitation le 27 août 2022 (photo © Abdul Majeeb / AFP / La Dépêche)

Et voilà que début juin, à la période où débute habituellement la mousson, des pluies diluviennes se sont abattues notamment sur la région, se poursuivant quasiment sans discontinuer jusqu’en septembre et atteignant des cumuls inhabituels au Pakistan qui a dû décréter l’état d’urgence le 26 août. Le pays est certes habitué à ces fortes pluies de mousson et aux inondations meurtrières qui en résulte. Ici, chacun a encore en tête l’année 2010, pas si lointaine, où près de 20%de la superficie du pays s’était retrouvée sous les eaux, avec un bilan final estimé à environ 2000 morts. Mais le cru 2022 est très comparable puisque la dernière semaine d’août, les autorités annonçaient déjà un bilan de 1400 morts, autour de 13 000 blessés, plus de 250 000 maisons détruites, 1,8 millions d’hectares de terres agricoles submergées, de l’ordre de 700 000 têtes de bétail emportées, 3000 km de routes hors d’usage et au moins 130 ponts effondrés…

Inondations dans les rues d’Hyderabad le 26 juillet 2022 (photo © Jan Ali Laghari / Anadolu Agency / AFP / La Croix / Reporterre)

Presque tout le pays est touché par ces inondations historiques qui concerneraient directement de l’ordre de 33 millions d’habitants selon Sherry Rehman, la ministre du changement climatique (eh oui, le poste existe au Pakistan !). Et au-delà des victimes directes de l’inondation, la population n’a pas fini de souffrir de cette situation apocalyptique : l’eau qui recouvre une bonne partie du pays et qui risque de stagner pendant des mois risque en effet d’accroître fortement les risques liés aux maladies hydriques telles que le paludisme, la bilharziose ou la dysenterie voire le choléra. L’accès à l’eau potable devient vite un problème de santé publique dans les secteurs durablement inondés, les puits d’étant plus protégés contre la contamination des eaux de surface.

Evacuation sur un radeau de fortune dans le district de Jaffarabad, le 8 septembre 2022 (photo © Fida Hussain / AFP / TV5 monde)

Les conséquences économiques d’une telle situation risquent d’être lourdes du fait des impacts de ces inondations majeures sur les cultures de riz et surtout de coton, qui contribuent largement à la balance commerciale du pays. Et ceci advient dans un pays en crise politique puisque le Premier ministre du Pakistan, Imran Khan, a été renversé en avril dernier par un vote de défiance du Parlement et que le gouvernement de coalition qui dirige depuis le pays doit faire face aux attaques verbales incessantes de l’ancien dirigeant qui a gardé un fort pouvoir de mobilisation : affronter ainsi en même temps une crise politique, économique et sociale tout en faisant face à une des pires catastrophe naturelle que le Pakistan ait connu, n’est pas une partie de plaisir pour le gouvernement actuel, conduit par Shehbaz Sharif, par ailleurs président de la Ligue musulmane du Pakistan et frère de Nahwaz Sharif qui a été lui-même à trois reprises Premier ministre : au Pakistan, l’instabilité politique est coutumière et aucun Premier ministre n’a réussi, depuis l’indépendance du pays en 1947, à aller jusqu’au bout de son mandat…

Le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres (à gauche) et le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif (au centre) en visite dans un camp de réfugiés à Usta Muhammad, le 10 septembre 2022 (photo © Pakistan Prime Minister’s Office / AFP / Le Matin)

Il n’en reste pas moins que ce nouvel épisode d’inondation au Pakistan est assez inédit par son ampleur, au point que le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, de visite dans le pays a déclaré samedi 10 septembre 2022à Karachi : « J’ai vu de nombreux désastres humanitaires dans le monde, mais je n’ai jamais vu de carnage climatique de cette ampleur. Je n’ai simplement pas de mots pour décrire ce que j’ai vu aujourd’hui ». Manifestement révulsé par le spectacle d’horreur auquel il a ainsi assisté, il a exhorté l’ensemble des pays émetteurs de gaz à effet de serre à modifier enfin leurs pratiques pour protéger les populations contre ces désastres qui se tendent à se multiplier. Pas sûr qu’il ait été bien entendu…

L. V.

Gaz : la Russie se débarrasse de ses excédents

14 septembre 2022

Le gaz serait-il devenu la nouvelle arme de dissuasion massive ? Non pas le gaz comme arme chimique toxique, généreusement utilisée dans bien des conflits, mais le gaz naturel, constitué pour l’essentiel de méthane, qui sert à se chauffer et à cuisiner, et que la Russie est en train d’ériger en outil de chantage redoutablement efficace…

Il faut dire que la Russie est devenue désormais le premier producteur mondial de gaz naturel, regroupant à elle-seule 20 % de la production mondiale qui était de 3.388 milliards de m³ en 2011, et surtout le premier exportateur de ce précieux combustible, qui plus est presque entièrement entre les mains du géant Gazprom, une société détenue majoritairement par l’État russe et qui, avec plus de 400 000 salariés, contribue pour 8 % du PIB national et 20 % des recettes budgétaires du pays. Un véritable mastodonte, dont le PDG depuis maintenant 21 ans, Alexeï Miller, est un homme de confiance du président Poutine, originaire, comme lui, de Saint-Petersbourg.

Vladimir Poutine aux côtés du PDG de Gazprom, Alexeï Miller, en février 2022 (photo © Sergeï Karpukhin / AFP / La Croix)

Le volume de gaz extrait aux États-Unis est certes presque aussi important que celui produit en Russie, mais les USA en consomment beaucoup plus, si bien qu’ils en importent chaque année 55 milliards de m³, ce qui en fait le quatrième plus gros importateur mondial ! Les autres gros producteurs sont le Canada (qui exporte la plupart de ses excédents vers les USA), le Qatar (gros exportateur également), l’Iran, la Norvège, la Chine (par ailleurs gros importateur), l’Arabie saoudite et l’Algérie. Mais au fil des années, les pays européens, Allemagne en tête, sont devenus dangereusement dépendants pour leur approvisionnement en gaz naturel, de leur grand voisin russe qui les livre directement par pipeline.

On considère ainsi que près de la moitié des importations européennes de gaz naturel proviennent de Russie, l’Europe important chaque jour pour plus de 300 millions d’euros de gaz russe dont l’essentiel est acheminé via 4 gazoducs principaux. Ainsi, selon un calcul de la CREA, depuis le 24 février 2022, date du début de l’invasion russe en Ukraine, l’Europe a importé de Russie pour pas moins de 93 milliards d’euros d’énergie fossile dont 51 milliards pour du gaz naturel.

Gazoduc Nord Stream 1, long de 1200 km, en service depuis 2012 (photo © Pixabay / L’Indépendant)

L’autre source d’approvisionnement majeure est la Norvège mais qui fournit à peine 24 % des importations européennes, également par gazoduc, puis l’Algérie, pour 11 % seulement et exclusivement par bateaux, ce qui suppose des opérations préalables lourdes de liquéfaction du gaz. C’est en effet une des caractéristiques de ce produit : comme tout gaz, il prend beaucoup de volume ! C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on s’est longtemps contenté de n’exploiter que les gisements de gaz proches des lieux de consommation…

Lorsque le transport par gazoduc n’est pas possible, la seule alternative est de le liquéfier pour en réduire le volume et le transporter, généralement par méthaniers, ces tankers géants qui sillonnent les mers. Mais la filière exige de très gros investissements, pour la liquéfaction initiale mais aussi pour le transport et pour le stockage et la vaporisation à l’arrivée. Du fait de la position des gisements russes dont les principaux se situent désormais en Sibérie et en mer de Barents, l’essentiel des exportations de gaz russe se fait donc par gazoducs, via un réseau qui comprend les anciens Brotherhood, datant de l’URSS et qui passent par le territoire ukrainien (à qui la Russie est donc obliger d’acquitter un droit de péage !), le pipeline Yamal qui traverse la Pologne et désormais les 2 Nord Stream posés au fond de la mer Baltique, le second ayant été achevé juste au début de l’invasion en Ukraine, ce qui a retardé sa mise en service.

Réseau de gazoducs existants et en projet permettant d’acheminer le gaz russe en Europe (source © Planète énergie)

Pendant tout le premier trimestre 2022, malgré la guerre en Ukraine et en contradiction avec son discours politique, l’Europe a importé massivement du gaz russe en exploitant au maximum les contrats de livraison de longue durée qui la lient à la Russie, afin de reconstituer les stocks après une période où les Européens faisaient la fine bouche, préférant s’approvisionner sur le marché mondial où les cours étaient plus attractifs.

Dès le 27 avril 2022, la Pologne et la Bulgarie ont totalement stoppé leurs importations de gaz russe, refusant, contrairement à la France ou à l’Allemagne, de se plier aux exigences russes de payer désormais en roubles, en dérogation de ce que prévoient les contrats. Ils sont été suivi le 21 mai par la Finlande, puis, le 30 mai, par le Danemark et les Pays-Bas. Les autres pays européens, de crainte de devoir affronter une opinion politique davantage préoccupée de son confort quotidien que du sort du peuple ukrainien dont ils ignoraient même l’existence jusque-là, ont poursuivi leurs importations comme si de rien n’était…

Installation gazière de Gazprom (photo © Tass / Abaca / Les Échos)

Mais ils doivent désormais affronter les provocations directes de la Russie qui décide d’elle-même de fermer le robinet pour faire pression sur les pays européens et éviter qu’ils ne soutiennent trop ouvertement son adversaire ukrainien. L’Autriche et l’Italie ont ainsi vu leurs livraisons de gaz russe réduites, de même que la France qui a annoncé que depuis le 15 juin 2022 son principal point d’entrée du gaz russe , situé en Moselle, était désormais tari, ce qui n’empêche pas la France d’être devenue en parallèle le premier importateur mondial de gaz naturel liquéfié russe ! Toujours est-il que le gouvernement russe joue de cette situation qui inquiète tant les opinions publiques européennes. Tout en organisant une réduction des livraisons du gazoduc Nord Stream 1, au prétexte d’une opération imaginaire de maintenance, Gazprom est allé jusqu’à diffuser une vidéo montrant un de ses employés tourner la vanne pour couper le flux de gaz vers l’Europe en suggérant que l’hiver sera très long…

Il n’en reste pas moins que cette arme est à double tranchant car la Russie a besoin de ces exportations de gaz pour alimenter son budget… Or la situation actuelle qui voit malgré tout les pays européens se préparer à réduire leurs importations de gaz russe en se tournant vers d’autres fournisseurs plus compréhensifs, n’est pas forcément un bon calcul à long terme pour la Russie. Ses capacités actuelles de stockage sont totalement saturées et elle ne sait plus que faire de ses excédents de gaz naturel, faute de disposer des infrastructures nécessaires pour les vendre à d’autres pays. On ne construit pas en quelques semaines un nouveau gazoduc ou un terminal méthanier !

Le torchage du gaz, une pratique courante, mais pas sans impact environnemental… (photo © kampee patisena / Géo)

Du coup, la Russie est contrainte de brûler une partie de son gaz excédentaire. Les Finlandais se sont en effet rendus compte que depuis le mois de juin 2022, une torchère gigantesque est apparue à Portovaïa, au nord-ouest de Saint-Pétersbourg, là où se trouve la station de compression du gazoduc Nord Stream 1. Des images tournées par la télévision finlandaise confirment cette observation également visible sur des images satellite et qui semble bel et bien reliée à la décision russe de réduire le débit du gazoduc géant à 40 % de sa capacité mi-juin, puis à 20 % le 26 juillet… Chaque jour, ce serait ainsi plus de 4 millions de m³ de gaz, soit l’équivalent de 10 millions de dollars, qui partirait en fumée, contribuant encore un peu plus au réchauffement climatique : encore un bel exemple des absurdités auxquelles les subtilités de la géopolitique conduisent l’humanité dans sa grande sagesse…

L. V.

Philippe Echaroux enchante la montagne

12 septembre 2022

Le photographe marseillais Philippe Echaroux n’en finit pas de faire parler de lui. Nous avions déjà évoqué sur ce blog ses œuvres aussi spectaculaires qu’éphémères qui revêtent souvent un caractère engagé voir pédagogique. Devenu une véritable référence mondiale en matière de street art 2.0, en remplaçant les bombes de peintures qui dégradent durablement les murs tagués malgré eux, par un vidéoprojecteur surpuissant, il n’hésite pas à afficher sur les façades de Marseille, de La Havanne, de New York ou de Venise ses slogans humoristiques, profonds ou provocateurs.

Projection de Philippe Echaroux sur le Cap Canaille (source © Philippe Echaroux)

Mais Philippe Echaroux est aussi un artiste engagé qui embrasse de multiples causes. Celles des enfants des rues de Calcutta comme celle de la déforestation qui menace la forêt amazonienne. Après avoir projeté un portrait géant de Zinédine Zidane sur le pignon aveugle d’une maison marseillaise de la Corniche, Philippe Echaroux s’est rendu en 2016 au fin fond de la forêt amazonienne pour y rencontrer des représentants d’un peuple indien méconnu, les Suruis, au contact de la civilisation occidentale depuis une cinquantaine d’années seulement, et aux prises avec la déforestation qui menace leur écosystème millénaire.

Projection dans la forêt amazonienne d’un visage Surui (source © Philippe Echaroux / Destimed)

Ses portraits de membres de la tribu Suruis, projetés de nuit sur les immenses arbres qui les entourent créent un univers onirique des plus étranges qui a beaucoup amusé les Indiens assistant à la genèse et à la mise en œuvre de ce projet artistique pour le moins original. Mais cette œuvre éphémère dont les photographies témoins ont été exposées dans une galerie parisienne fin 2016, sont avant tout un acte écologique militant. Celui d’un artiste qui cherche à convaincre par l’émotion esthétique que la défense de la forêt amazonienne est une condition de la survie de l’humanité, et pas seulement des quelques tribus qui y vivent en symbiose avec le milieu naturel.

Projection de Philippe Echaroux sur les arbres de la forêt amazonienne (source © Philippe Echaroux)

« Derrière chaque arbre déraciné, c’est un homme qui est déraciné ». Tel est le message fort que cherche à faire passer Philippe Echaroux à travers ce projet spectaculaire. Et il entreprend la même démarche pour attirer l’attention sur la fonte inexorable des glaciers alpins, n’hésitant pas à crapahuter de nuit avec un guide de haute montagne, sur ce qu’il reste de la Mer de glace pour projeter sur le monde minéral qui l’entoure ses messages d’alerte sur cette glace qui hurle en fondant comme une vulgaire boule de crème glacée entre les mains d’un gamin capricieux.

Projection de Philippe Echaroux sur la Mer de Glace qui fond désespéramment (source © Philippe Echaroux)

Car Philippe Echaroux est un vrai amoureux de la montagne et de ceux qui l’habitent. Alpinistes, gardiens de refuges, bergers d’alpage ou secouristes de haute-montagne, autant de figures auxquelles l’artiste marseillais a voulu rendre hommage dans une série de portraits géants qu’il a projeté au cours de l’été 2022 et jusqu’au 30 septembre, sur les façades de plusieurs villages du Parc des Écrins, dans les Hautes-Alpes, et de l’Oisans, en Isère.

Philippe Echaroux dans le massif des Écrins (photo © Patrick Domeyne / Made in Marseille)

Une exposition in situ dans de petits villages de montage, qui attire les touristes de passages et les amoureux de la montagne, tout en rendant un hommage magnifique à ceux qui y vivent toute l’année. Photographe portraitiste reconnu, Philippe Echaroux sait mieux que personne rendre toute l’humanité de ces visages burinés par le soleil des longues courses en altitude et désireux de faire partager leur passion de ces paysages naturels dont l’accès se mérite par l’effort.

Projection sur une façade du village de Villar-d’Arène dans le Parc des Écrins (photo © Patrick Domeyne / Made in Marseille)

On ne peut que saluer cette belle initiative qui vise à réenchanter ces paysages alpins et à valoriser cette pratique d’un alpinisme authentique et respectueux de la nature, tout en faisant appel à un art à la fois original, d’une beauté esthétique incontestable, minimisant son impact environnemental par son aspect éphémère et virtuel, mais en même temps porteur d’un message humaniste fort : bravo l’artiste !

L. V.

Orange : le théâtre romain à la loupe numérique

10 septembre 2022

La ville d’Orange, dans le Vaucluse, est heureusement davantage connue pour les vestiges de son théâtre antique et de son arc de triomphe, inscrits depuis 1981 au répertoire des monuments mondiaux de l’UNESCO, que pour sa propension durable à voter à l’extrême-droite : Jacques Bompard s’y est pourtant fait élire maire à cinq reprises depuis 1995, d’abord sous l’étiquette du Front National, puis du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers en 2008, et finalement depuis 2014 sous l’appellation de la Ligue du Sud. Une longévité qui traduit un ancrage incontestable à la droite de la droite des 28 000 habitants de la commune qui fut jadis, au Moyen-Age la capitale de la principauté d’Orange et le resta jusqu’à son annexion au royaume de France en 1773, à la suite des traités d’Utrecht, signés par Louis XIV avec l’Espagne et la Grande-Bretagne.

L’arc de triomphe romain d’Orange (photo © Falco / Pixabay / Provence 7)

Placé à un carrefour stratégique, en bordure de la vallée du Rhône, à 120 km au nord de Marseille, la zone fut le théâtre, en 105 avant J.-C. d’une belle déculottée des légions romaines, écrasées par des hordes de Teutons et de Cimbres. Mais 70 ans plus tard, changement de décor : des vétérans de la IIe légion gallique de Jules César y fondent la colonie d’Arausio après avoir conquis la région à la tribu gauloise des Tricastini.

En quelques années, sous le règne de l’empereur Auguste, la future ville d’Orange connaît un important développement. Le théâtre antique, qui date de cette époque et a été adossé à la colline de Saint-Eutrope, est de nos jours l’un des mieux conservés et impressionne par les dimensions de son mur de façade, le postscaenum, de 104 m de longueur et 35 m de hauteur, dont Louis XIV dira : « c’est la plus belle muraille de mon royaume » !

Vue aérienne du théâtre antique d’Orange (source © theatre antique)

Sa façade intérieure constitue un mur de scène (frons scenae) qui à l’époque était peint et orné de statues, frises et colonnes de marbre, dont subsistent quelques vestiges, dont une belle frise de centaures qui surmontent l’ouverture principale, dite porte royale. Une immense niche abritant une statue colossale, réputée, à tort sans doute, être une représentation de l’empereur Auguste en personne, attire les regards en partie haute de cet immense façade qui surmonte la scène du théâtre.

Statue monumentale dans la niche du mur de scène du théâtre antique d’Orange (source © theatre antique)

Achevé en 50 après J.-C., ce théâtre antique capable d’accueillir environ 10 000 spectateurs répartis entre la fosse d’orchestre en demi-lune et les différentes rangées de gradins, a certainement beaucoup fait pour la transmission locale de la culture latine durant les premiers siècles de notre ère. Mais l’établissement n’est plus exploité comme tel à partir de 391 après J.-C. Pillée par les Wisigoths en 412, puis par les Ostrogoths en 508, la ville d’Orange perd de sa superbe avant d’être élevée au rang de principauté en 1163 par l’empereur du Saint-Empire romain germanique Frédéric Barberousse. Les vestiges du théâtre antique sont alors peu à peu intégrés dans les ouvrages de défense du château des princes d’Orange.

A partir de 1562, la ville est le théâtre de sanglantes guerres de religion et une partie de la population trouve alors refuge dans les murs du théâtre antique, n’hésitant pas à ce servir des pierres de l’édifice pour y construire des maisons dont les poutre viennent s’encastrer directement dans l’ouvrage romain. En 1814, on dénombrait ainsi pas moins de 91 maisons bâties directement dans l’enceinte du théâtre antique, maisons qui seront progressivement démolies à partir de 1823. On découvre alors à quel point les vestiges du magnifique monument ont été dégradées et Prosper Mérimée, nommé en 1834 inspecteur général des monuments historique s’en émeut, craignant que ces ruines antiques ne disparaissent à jamais.

Le théâtre romain d’Orange en 2008 (photo © Benh Lieu Song / CC BY-SA 2.0 / Flickr / Wikimedia)

A partir de 1856 sont lancées de vastes opérations de restauration, accompagnées de fouilles archéologiques. Les gradins, qui avaient quasi entièrement disparu, sont totalement reconstitués. En 2006, on ajoute carrément un toit de scène en verre et métal pour protéger la partie supérieure du mur de scène et y accrocher les éclairages. Depuis 1869, l’ancien théâtre antique ainsi largement modernisé accueille chaque année les « fêtes romaines » devenues depuis 1902 les « Chorégies d’Orange ».

Et ce n’est pas fini puisque en 2016 a été entrepris, à l’initiative de la Ville qui en porte la maîtrise d’ouvrage, un nouveau programme de restauration particulièrement ambitieux, étalé sur 8 ans, et qui porte sur la rénovation successive du mur de scène, des deux basiliques latérales qui le flanquent, des gradins mais aussi des galeries et des grottes attenantes, ainsi que les voûtes des vomitorium par lesquels s’engouffrait la foule des spectateurs antiques.

Ce chantier, qui se déroule par tranches annuelles entre septembre et avril pour ne pas gêner l’organisation des spectacles, s’appuie sur l’immense fond documentaire amassé depuis des années par l’Institut de recherche sur l’architecture antique, basé à Aix-en-Provence, mais aussi sur une campagne impressionnante d’acquisition de photographies numériques du monument sous toutes ses facettes, selon la technique de lasergrammétrie. Des photos de très haute résolutions sont prises à l’aide de perches jusqu’à 8 m de hauteur et par drone pour couvrir la moindre parcelle du bâtiment, des photos qui sont ensuite assemblées et traitées numériquement pour constituer un véritable modèle numérique 3D de l’ouvrage.

Représentation en 3D du théâtre antique à partir des ortho-photos montrant la texture et la couleur de chaque pierre, celles d’origine et celles des restaurations des XIXe et XXe siècles (source © Muséum d’Aix-en-Provence / TPBM)

Ce projet, dénommé TAIC, pour Théâtre antique intelligent connecté (ça ne s’invente pas…), mené un an avant la mise en place des premiers échafaudages, permet de guider le travail des archéologues et des entreprises en charge de la restauration, en permettant d’identifier à l’avance et dans les moindres détail, les zones les plus dégradées qui devront être restaurées, mais aussi de géolocaliser avec précision sur la maquette paramétrique numérique du bâtiment chaque observation d’intérêt archéologique.

Reconstitution du théâtre antique du temps de sa splendeur (source © Culturespaces AGP / Culture & Patrimoine / Écho du mardi)

A l’issue de ce chantier ambitieux, qui s’achèvera en 2024, le théâtre antique d’Orange disposera ainsi d’une doublure numérique sous forme de maquette tridimensionnelle que l’on pourra orienter sous toutes ses coutures et dans laquelle on pourra faire toutes les vues en coupe souhaitées, ce qui ne pourra que faciliter la compréhension du bâtiment et sa gestion patrimoniale pour les siècles à venir, tout en fournissant un support pédagogique précieux pour les touristes qui bénéficient déjà d’une visite virtuelle du site. Quand les technologies de l’information numérique se mettent au service de la restauration du patrimoine antique, le spectacle est assuré…

L. V.

Gorbatchev : un dirigeant qui laisse un souvenir ambigu

8 septembre 2022

Dernier dirigeant de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev s’est éteint le 30 août 2022 à plus de 91 ans, et vient d’être inhumé à Moscou ce samedi 3 septembre, aux côtés de son épouse Raïssa, disparue en 1999, dans une relative indifférence de la part de ses compatriotes, alors que, paradoxalement, nombre de dirigeants occidentaux lui rendent un hommage appuyé.

Mikhaïl Gorbatchev à la tribune du Soviet suprême à Moscou, lors de sa session extraordinaire du 27 août 1991 photo © Vitaly Armand / AFP / Le Monde)

L’actuel Président de la Russie, Vladimir Poutine, ne s’est même pas déplacé pour assister à ses obsèques, officiellement pour cause d’agenda trop chargé. Une belle marque de muflerie de la part de celui qui préfère effectivement bombarder les villes ukrainiennes plutôt que d’œuvrer à la paix dans le monde, ce qui avait valu à son prédécesseur l’attribution du prix Nobel de la paix en 1990 : chacun son domaine de compétence ! Poutine l’a d’ailleurs reconnu sans détour en admettant d’un ton neutre que Mikhaïl Gorbatchev avait eu « une grande influence sur l’histoire du monde » et qu’il s’était « efforcé de proposer ses propres solutions aux problèmes », sous-entendant clairement qu’ils ne partageaient pas la même vision des choses et que les solutions en question avaient lamentablement échoué

De fait, le bilan de Mikhaïl Gorbatchev reste mitigé, surtout dans le contexte ultra nationaliste qui règne dans la Russie de Poutine, lequel ne rêve que de reconstituer l’ex empire soviétique, par la force au besoin, et qui n’a que faire des lubies de transparence démocratique auxquelles Gorbatchev était attaché. Certes, des milliers de Russes sont venus rendre un dernier adieu à Mikhaïl Gorbatchev le jour de ses obsèques, souvent en hommage au vent de liberté qui a soufflé lorsqu’il était au pouvoir. Une impression confirmée par la présence du journaliste Dmitri Mouratov, prix Nobel de la paix en 2021 et directeur de la rédaction du journal d’opposition Novaïa Gazeta dont plusieurs collaborateurs ont été récemment assassinés du fait de leurs investigations gênantes dans des affaires de corruption impliquant l’armée russe.

Le prix Nobel de la paix, Dmitri Mouratov, portant le portrait de Mikhaïl Gorbatchev lors des obsèques de ce dernier (photo © Alexander Zemlianichenko / AFP / Le Devoir)

Pourtant, rien ne prédisposait cet apparatchik à acquérir cette réputation de défenseur des libertés et des droits de l’homme. Né en 1931 dans un petit village du nord du Caucase dans une famille de communistes fervents dont le grand-père s’était engagé dans le mouvement de collectivisation des terres et dirigeait le kolkhoze local, il reçoit à 18 ans le Drapeau rouge du travail pour ses talents de chauffeur de tracteur en parallèle de ses études au lycée. Dirigeant de l’organisation du Parti pendant ses études universitaires à Moscou, il revient dans son village en 1955 et se retrouve dès 1970 nommé gouverneur de la région de Stavropol. Il profite allègrement de sa situation pour se faire bien voir des vieux caciques du parti qui viennent en cure thermale dans le secteur et rejoint dès 1979 le Politburo comme suppléant.

Un dessin publié le 1er septembre 2022, signé Zaïtchick (source © Blagues et dessins)

La mort de Leonid Brejnev en 1982, suivi de celle rapide de ses deux successeurs, Youri Andropov et Konstantin Tchernenko lui permet d’accéder à la tête de l’URSS le 10 mars 1985. L’empire soviétique est alors à bout de souffle, dominé par un complexe militaro-industriel tout puissant, mais confronté à d’énormes difficultés de production des biens de consommation courantes. A tout juste 54 ans, Gorbatchev tranche avec l’inertie de ses prédécesseurs et lance les vaste chantiers de la perestroïka et de la glasnost. Le premier, qui vise à refondre totalement le système économique et politique de l’URSS est un échec total et ne fait qu’aggraver la situation en désorganisant tout le système. En parallèle, le souci de transparence et de liberté d’expression que cherche à instaurer Gorbatchev donne un véritable souffle démocratique mais heurte de front les intérêts et les habitudes des apparatchiks du régime tandis que ses campagnes de lutte contre la consommation d’alcool ne contribuent guère à sa popularité….

Le contexte est d’autant plus difficile que Mikhaïl Gorbatchev doit en outre se confronter à de réelles difficultés dont l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 alors qu’il est en pleine négociations avec Ronald Reagan pour tenter de réduire enfin les arsenaux nucléaires. La fin de la course aux armements et la fin de la guerre froide sont sans conteste à mettre au crédit de Mikhaïl Gorbatchev qui était persuadé que l’URSS n’était plus en mesure de suivre le rythme imposé par les généraux de l’Armée rouge et qu’il valait mieux se concentrer sur la relance de l’économie en vue d’améliorer le niveau de vie de la population russe. Il est d’ailleurs l’artisan du retrait des troupes russes d’Afghanistan décidé en 1988 et, lors de la chute du mur de Berlin, en 1989, c’est lui qui décide de ne pas envoyer les chars russes rétablir l’ordre soviétique. Une attitude qui lui vaut l’attribution du prix Nobel de la Paix en 1990, après qu’il ait entériné fin 1989 la fin officielle de la guerre froide en accord avec Georges Bush.

Mikhaïl Gorbatchev, prix Nobel de la paix en 1990 et signataire des accord Start de désarmement en 1991 (photo © Olav Olsen / AFP / BMFTV)

En 1991, l’économie soviétique était à bout de souffle et l’aide que Gorbatchev escompte des pays occidentaux pour sa bonne volonté en faveur de la détente internationale, ne se concrétise pas. Au mois d’août, alors que Gorbatchev vient de partir en vacances, des putschistes nationalistes, inquiets de ses réformes institutionnelles, tentent de prendre le pouvoir à Moscou et lui demandent de démissionner. Il s’y refuse et finit par rentrer à Moscou alors que le putsch tourne à la débandade, quelques jours plus tard. Mais c’est Boris Eltsine, nouvellement élu au suffrage universel président de la République de Russie, qui tire les marrons du feu, après s’être mis en scène juché sur un des chars de l’armée. Gorbatchev quitte le 24 août la direction du Parti communiste qui finit par être dissous début novembre. Les accords d’Alma-Ata, signés le 21 décembre 1991, créent la Communauté des États indépendants qui remplacent purement et simplement l’URSS moribonde. Gorbatchev démissionne de son poste de président de l’URSS le 25 décembre 1991 et le Soviet suprême dissout l’URSS dès le lendemain.

Boris Eltsine exigeant de Mikhaïl Gorbatchev qu’il lise un texte devant le Parlement, le 23 août 1991 (photo © Piko / AFP / La Dépêche)

Rarement dirigeant d’une aussi grande puissance aura connu une fin de règne aussi peu glorieuse et ceci explique largement que Gorbatchev soit alors aussi détesté des Russes qui voient leur empire disparaître pour le plus grand profit de l’ennemi juré américain et qui constatent que leur niveau de vie et même leur espérance de vie déclinent tandis que des oligarques décomplexés amassent des fortunes immenses en dépeçant les anciennes structures d’État. En juin 1996, lorsque Mikhaïl Gorbatchev se présente à l’élection présidentielle de la Fédération de Russie, il n’obtient que 0,5 % des suffrages, ce qui donne une idée de sa popularité du moment face à un Boris Eltsine triomphalement réélu…

Le comble est atteint lorsque, en 1997, Mikhaïl Gorbatchev, alors à court d’argent, accepte de tourner dans une publicité du géant américain de la malbouffe, Pizza Hut. On y voit des Russes débattre, dans un restaurant moscovite, de l’évolution de la Russie, un jeune s’extasiant des libertés nouvelles, de l’ouverture au monde et des opportunité économiques qui en découlent, tandis qu’un autre regrette le temps du communisme, de l’ordre et de la stabilité. Mais tous sont unanimes pour apprécier que, grâce à Gorbatchev, chacun a désormais accès à la bonne pizza occidentale… Une scène bouffonne, qui achève de discréditer l’ancien dirigeant soviétique aux yeux de nombre de ses concitoyens.

Mikhaïl Gorbatchev avec sa petite fille tournant dans une publicité pour Pizza Hut en 1997 ( source © Eater)

Un ressentiment qui s’était encore accentué avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine qui a pris le contre-pied exact de son prédécesseur, n’hésitant pas à lancer de nouveau son pays dans des guerres d’expansion pour surfer sur l’esprit nationaliste. Gorbatchev s’était d’ailleurs ému des tendances dictatoriales du nouveau maître du Kremlin et avait même confié un jour en évoquant leur popularité respective aux yeux des Russes : « « S’ils nous pendent tous les deux, assurez-vous qu’ils ne le fassent pas au même arbre que moi ». Il aura finalement eu la chance d’échapper un un tel châtiment mais il faudra du temps sans doute pour que les Russes finissent par reconnaître, un jour peut-être, le rôle positif qu’il aura malgré tout joué en faveur de la paix et de la stabilité dans le Monde…

L. V.

Métropole : la CRC rend son verdict

6 septembre 2022

Le 1er juillet 2022 avait marqué la disparition officielle des Conseils de Territoires, ces fantômes du passé hérités de l’éclatement de l’aire métropolitaine marseillaise en autant de baronnies défendant chacune ses propres intérêts politiques. L’étape suivante de la réforme tant attendue de la Métropole jamais aboutie Aix-Marseille-Provence, consiste désormais à revoir la répartition de ses compétences et surtout de ses ressources budgétaires. Une phase délicate car c’est justement le point sensible de cette intercommunalité qui n’a jamais réussi à fonctionner correctement, faute de la moindre volonté politique commune des élus locaux de dépasser leur propre intérêt pour construire enfin un destin métropolitain commun.

Séance du dernier conseil métropolitain Aix-Marseille-Provence, le 30 juin 2022 (photo © ML / Marsactu)

La question de la répartition des ressources financières entre la Métropole et ses 92 communes membres est justement le point de cristallisation de ces désaccords, à l’origine notamment de la démission fracassante de la maire d’Aix-en-Provence, Sophie Joissains qui avait violemment claqué la porte de la Métropole en novembre 2021… Face au constat de l’incapacité totale des élus locaux à se mettre d’accord sur des sujets aussi douloureux, le législateur n’a eu d’autre ressources, à l’occasion de l’adoption de la loi 3DS dont un chapitre est consacré exclusivement à tenter de remettre la Métropole AMP sur de bons rails, que de confier à la Chambre régionale des Comptes (CRC) le soin de tirer au clair ces questions financières aussi complexes que conflictuelles.

Notons au passage que cette décision est un sérieux camouflet pour la CLECT, cette commission locale d’évaluation des charges transférée, qui a justement pour mission de calculer le coût des charges liées au transfert de compétences entre les communes et leur intercommunalité. Il revient ensuite à l’exécutif, autrement dit aux élus réunis tant en conseil municipal qu’en conseil communautaire, d’adopter les attributions de compensation qui en découlent et qui vont fixer le montant des flux financier avec chacune des communes membres. Le fait de demander à la CRC de faire ce diagnostic à sa place revient donc à acter l’impuissance de la CLECT qui aurait dû faire ce travail depuis bien longtemps, dans les mois qui ont suivi la création de la Métropole AMP au 1er janvier 2016. Une véritable claque pour notre maire, Jean-Pierre Giorgi, qui préside justement cette CLECT et qui se vante d’être un expert en finances publiques…

Les locaux de la Chambre régionale des Comptes PACA (source © GoMet)

Le rapport de la CRC, qui a été remis lundi 29 août à Martine Vassal, n’a pas encore été rendu public et ne le sera qu’à l’issue d’une présentation et d’un débat qui aura lieu lors d’un prochain conseil communautaire en octobre. Il n’aura d’ailleurs aucun caractère prescriptif et vise simplement, selon la CRC « à éclairer les élus locaux dans la perspective d’un nouveau pacte financier et fiscal métropolitain ». Mais la presse locale, Marsactu en tête, s’est déjà procuré une copie de cet avis et n’a pas pu s’empêcher d’en faire part, décryptant en termes plus prosaïques, le langage feutré et rigoureusement policé des magistrats de la CRC, suivie rapidement par ses confrères de La Marseillaise et de La Provence.

Et le moins qu’on puisse dire c’est que, malgré toutes les circonlocutions de rigueur de rigueur de ce type de rapport officiel, le constat est accablant… L’analyse confirme ce que tout le monde savait, à savoir que la Métropole ne fonctionne pas car elle reverse aux communes des sommes considérables, ce qui ne lui permet pas de faire face aux véritables enjeux métropolitaines qui sont pourtant sa raison d’être ! Comme le déplore Marsactu, « la Métropole est restée figée à ce qu’elle était au moment de sa création : un agglomérat d’intercommunalités et autant de petits arrangements ».

Ainsi, pour le dernier exercice 2021, alors même que la métropole est fonctionnelle depuis plus de 5 ans, ce sont pas moins de 632 millions d’euros qui ont été reversés par la Métropole aux communes, sous forme de ces fameuses attributions de compensation. Or, selon les calculs de la CRC, les sommes dues pour le strict respect des équilibres financiers entre la métropole et ses membres n’aurait pas dû excéder 453 millions d’euros. Ce sont donc 178 millions d’euros qui ont ainsi été indûment versés aux communes pour cette seule année (sans doute une petite erreur de calcul du président de la CLECT ?), mais qui ajoutés aux reversement des années antérieures représentent un pactole colossal qui aurait pu être investi pour assurer le développement de transports publics plus performants ou une collecte des déchets moins chaotique…

Le parvis de l’hôtel de ville de Carnoux, un ouvrage démesuré largement financé par la Métropole (source © Facebook)

Un mode de fonctionnement qui a fortement bénéficié aux communes qui, à l’instar de Carnoux, affichent, année après année, des excédents budgétaires conséquents, alors que la Métropole, comme d’ailleurs le Département, s’enfoncent dans un endettement inquiétant. La CRC note aussi que les transferts financiers qui se font en dehors de ces mécanismes de compensation des transferts de compétence, via la dotation de solidarité communautaire, relève de situations issues des anciennes intercommunalités et jamais revues depuis à l’aune métropolitaine, ce qui explique pourquoi la ville centre de Marseille, qui regroupe pourtant une part importante de la population métropolitaine, en est la grande perdante.

La CRC ne peut par ailleurs que constater ce que Jean-Claude Gaudin lui-même avait noté lors de la constitution de la Métropole en 2016, à savoir que certains territoires ont copieusement tiré la couverture à eux en chargeant lourdement la barque juste avant de passer le flambeau. Plusieurs communes, notamment du côté de Salon et d’Istres, avaient en effet astucieusement anticipé l’arrivée de la Métropole qu’ils combattaient pourtant de toutes leurs forces, en décidant in extremis la création d’équipements luxueux et l’augmentation des impôts locaux. A charge ensuite pour la Métropole de leur reverser les recettes issues de ces prélèvements et surtout d’assumer financièrement les coûts d’investissement et d’entretien des nouveaux équipements dont ces communes sont les seules bénéficiaires.

L’Arena d’Aix-en-Provence, un équipement de 62 millions d’euros, inauguré en 2017 et transféré à la Métropole par l’ex Communauté d’agglomération du Pays d’Aix (photo © Gilles Badier / La Provence)

L’ancien Pays d’Aix s’était fait le champion de cette entourloupe et concentre désormais sur son seul territoire plus de 80 % des fonds de concours versés par la Métropole. Rien qu’en 2021, ce sont ainsi 51 millions d’euros que la métropole a dû lui verser pour honorer des décisions d’investissement prises par l’ancienne Communauté d’agglomération du Pays d’Aix (CPA) à son seul profit juste avant sa dissolution. Une somme cinq fois supérieur à ce que cette même CPA investissait en 2013 avant que la Métropole ne se projette à l’horizon.

Autant d’opérations juteuses pour les territoires au détriment de l’intérêt général métropolitain qui nécessitent désormais une totale remise à plat sur la base du constat enfin objectivé par les magistrats de la CRC. Mais l’atterrissage risque d’être douloureux pour certaines communes dopées à la subvention métropolitaine et habituées à vivre largement au dessus de leurs moyens. On imagine déjà que les prochains débats en conseil communautaire seront animés et nul besoin d’être prophète pour supposer que les délais fixés par la loi 3DS pour un retour à un fonctionnement métropolitain plus rigoureux et plus équilibré auront bien du mal à être tenus…

L. V.

Waterloo : l’urne trop pleine s’est vidée…

4 septembre 2022

Qui n’a pas appris dans ses jeunesse ces alexandrins du grand poète Victor Hugo rendant hommage à sa manière, quelque peu dithyrambique, à cette bataille dantesque qui s’est déroulée le 18 juin 1815 et qui fut la dernière à laquelle prit part Napoléon, contraint d’abdiquer définitivement 4 jours plus tard :

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !

Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,

Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons

La pâle mort mêlait les sombres bataillons.

Composé quarante ans après les événements, ce poème des Châtiments, titré L’expiation, traduit bien la fascination morbide que cette bataille homérique qui opposait la France au reste de l’Europe a suscité parmi ses contemporains. Victor Hugo lui-même a visité en 1860 le champ de bataille, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Bruxelles, sur le plateau de Mont-Saint-Jean, après avoir écrit ces vers célèbres et pour les besoin de son roman Les Misérables.

L’infanterie française conduite par Jérôme, le frère de Napoléon, attaque le château d’Hougoumont à Waterloo, peinture de l’artiste américain Mark Churms (source © Cranston Fine Arts)

Celui-ci comprend un livre entier consacré à cette bataille mémorable dans laquelle Hugo décrit la fureur des combats lors de la charge des cuirassiers français qui se brise sur les carrés de l’infanterie britannique, avant d’évoquer le soldat Thénardier occupé à piller les cadavres au soir de la bataille et qui se retrouve récompensé pour avoir sauvé un général alors qu’il s’apprêtait à le dépouiller sans la moindre vergogne…

Comme après chaque bataille de cette ampleur, les vautours étaient nombreux à rôder une fois la mitraille apaisée, pour récupérer tout ce qu’ils pouvaient sur les cadavres encore chauds des soldats tombés au combats. Et Waterloo fut probablement une des pires boucheries de l’époque, pourtant riche en batailles sanglantes après 20 ans d’affrontements consécutifs à la Révolution française et aux guerres de conquête napoléoniennes. Selon les historiens, le bilan des 4 jours que dura la campagne de Belgique qui se solda par la bataille rangée de Waterloo, serait d’au moins 23 700 morts (certains avancent plutôt le chiffre de 40 000 tués !) et quelques 65 400 blessés toutes armées confondues, sans compter quelques 12 000 chevaux tombés au champ d’honneur.

La bataille de Waterloo, lithographie de William Holmes Sullivan datant de 1898 (source © Meisterdrucke)

Du côté français qui avait mobilisé plus de 71 000 hommes, on dénombre au minimum 11 500 tués dont 14 généraux et près de 34 000 blessés. C’est donc un véritable carnage, d’autant que les armées alliées, commandées par le duc de Wellington, sont presque aussi nombreuses et présentent des pertes encore supérieures. Cette coalition européenne mobilisée contre l’armée napoléonienne rassemble pour sa part des troupes venues de Grande-Bretagne, des États allemands de Hanovre, de Brunswick et du Nassau, mais aussi des Belges, des Néerlandais et des Prussiens (les fameux renforts commandés par Blücher, qui font basculer le sort des armes).

Charge de la cavalerie française contre les carrés anglais, tableau du peintre français Emmanuel Philippoteaux, conservé au Wellington Museum, à Londres (source © site sur la bataille de Waterloo)

Et pourtant, curieusement, les quelques fouilles qui ont été réalisées sur le champs de bataille qui a été laissé grosso modo laissé en l’état depuis 1815, ont révélé excessivement peu de restes humains. En 2015, un squelette humain a bien été mis à jour à l’occasion du chantier de construction d’un parking près du musée, et en 2019, les archéologues ont exhumé un os de jambe amputée en fouillant les vestiges de ce qui fut le principal hôpital de campagne des armées coalisées. Voilà qui paraît bien peu au vu du gigantesque charnier que tous les contemporains décrivent à l’issue de cette bataille dantesque et effroyable…

Un des carrés anglais sur lequel vient se briser la cavalerie française : le 28e régiment à Quatre Bras, peint par Elizabeth Thomson en 1875 (source © Slate)

A tel point que certains historiens s’interrogent sur le devenir de tous ces cadavres tombés dans cette morne plaine. A l’instar de l’Écossais Tony Pollard, directeur du Centre for Battlefield Archaeology à l’Université de Glasgow et qui a notamment publié en juin dernier, dans la revue scientifique Journal of Conflict Archeology une étude pour le moins surprenante. Il s’est notamment intéressé aux témoignages des très nombreux contemporains qui, souvent par simple curiosité morbide, se sont précipités sur le champ de bataille de Waterloo sitôt éteint le son de la mitraille. Leur intention n’était pas, comme la crapule de Thénardier, de venir détrousser les cadavres, mais simplement de se rendre compte par eux-mêmes de ce choc de titans qui venait de sceller le sort de l’empire napoléonien et de changer fortement le destin de l’Europe.

Plusieurs de ces témoignages émanent de Britanniques venus en nombre dans les jours qui ont suivi la bataille et qui relatent les opérations d’évacuation des blessés, dans les premiers jours, et l’ensevelissement des morts qui a pris une bonne dizaine de jours au total, sans compter le pillage qui s’est poursuivi pendant des mois.

Crémation des corps de soldats morts à Waterloo, devant le château d’Hougoumont, peint par James Rouse et publié en 1817 par William Mudford (source © Journal of Conflict Archeology)

Selon ces écrits, les innombrables cadavres d’hommes et de chevaux qui jonchaient le champ de bataille ont dû être brûlés pour tenter de réduire le volumes de corps à ensevelir. De nombreuses fosses ont été creusées à la hâte mais les monceaux de corps étaient tels que du bois était disposé au sommet de ces tas pour poursuivre la crémation et faciliter ensuite l’ensevelissement des restes, le tout en plein été, dans une puanteur que tous les témoins décrivent comme atroce…

Enterrement de soldats dans des fosses communes à la Haye sainte, peinture de James Rouse (source © Journal of Conflict Archeology)

Curieusement, malgré ces témoignages illustrés, aussi précoces que multiples, et malgré les campagnes d’investigation qui ont été menées sur le terrain, aucune de ces fosses communes n’a pu être retrouvée par les archéologues que cette disparition ne manque pas d’intriguer : que sont donc devenus les ossements des dizaines de milliers de cadavres tombés à Waterloo et enterrés sommairement sur place ?

Selon Tony Pollard, la raison principale de cette disparition étrange serait due au fait que les cadavres en question ont été en grande partie recyclés ! On savait déjà que les dents des soldats tombés à Waterloo avaient fait l’objet d’un pillage à grande échelle qui serait même à l’origine de l’essor des prothèses dentaires, les premières implantées n’étant autres que ces « dents de Waterloo » prélevées sur des cadavres…

Mais on apprend désormais que le champ de bataille de Waterloo, comme les autres lieux de confrontation majeure de l’épopée napoléonienne, ont servi en réalité dans les années 1820, de réserve de matière première pour la fabrication d’engrais agricole. Ce n’est en effet qu’en 1840 que le chimiste français Frédéric Kuhlmann a développé un procédé industriel permettant de synthétiser les superphosphates et répondre aux énormes besoins en fertilisant des gros producteurs de betterave à sucre du nord de la France. Mais, jusque-là, on avait beaucoup recours, pour la production de ces phosphates dont l’agriculture est friande, à la récupération des ossements (animaux en principe, mais aussi humains quand l’occasion se présentait), réduits en farine et exportés ensuite, notamment vers les îles britanniques.

La poudre d’os, un fertilisant naturel toujours aussi recherché… (source © Market on the web)

Un article publié dans The London Observer en novembre 1822 faisait état de ce trafic peu ragoûtant, reconnaissant qu’un soldat mort était une source de commerce des plus lucratifs puisque ses ossements, soigneusement récoltés sur les grands champs de bataille du continent étaient ensuite importées à grands frais pour être broyés et revendus aux agriculteurs du Yorkshire. Le journaliste allait même jusqu’à s’étonner que la Grande-Bretagne ait ainsi envoyé tant de jeunes soldats se faire tuer en Europe pour ensuite devoir importer leurs restes afin de fertiliser ses sols agricoles : l’économie du recyclage, qui revient fort à la mode de nos jours, ne date finalement pas d’hier…

L. V.

Plus d’investissements pour l’eau !

2 septembre 2022

La tribune suivante, publiée le 21 août 2022 par le média numérique GoMet qui traite de l’actualité sur l’espace métropolitain marseillais, a été rédigée par Jacques Boulesteix, conseiller municipal démissionnaire de Carnoux, ancien président du Conseil de développement de Marseille Provence Métropole et ex président de Paca Investissement ou encore président fondateur du pôle Optitec. Un avis tranché qui a le mérite d’ouvrir le débat après la période de sécheresse intense qu’a connu la France cet été.

Jacques Boulesteix, conseiller municipal démissionnaire de Carnoux (source © Carnoux-citoyenne)

L’absence de précipitations et le niveau historiquement bas des cours d’eau nous interrogent sur notre capacité à prévoir et réaliser des équipements majeurs pour faire face à une situation météorologique nouvelle qui devrait logiquement s’aggraver dans les années à venir. La chaleur et la sécheresse sont des maux qui peuvent pourtant être gérés pour peu que l’on consente des travaux conséquents.

Durant des siècles, les chutes de pluie et de neige étaient supposées, en France, offrir suffisamment de ressources pour satisfaire les besoins d’eau à usage domestique, agricole, industriel et énergétique. L’aménagement ancien des cours d’eau n’était guidé que par la nécessité de contenir les inondations et par le besoin de navigabilité des voies fluviales.

Le barrage de Serre-Ponçon mi-juillet 2022, à 13 m sous sa cote d’exploitation normale (photo © Vincent Ollivier / Le Dauphiné Libéré)

Les retenues artificielles, en général concédées à EDF, visaient d’abord la production d’électricité. Les plus récentes sont cinquantenaires. L’irrigation, pourtant essentielle dans le midi, n’en était qu’un bénéfice induit. La donne a changé.

La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur abrite historiquement les deux plus volumineuses retenues artificielles de France, Serre-Ponçon (1960) et Sainte-Croix (1974), et les centrales hydroélectriques sont nombreuses.

Pour autant, l’électricité hydraulique ne représentait plus, en 2021, que 22 % des besoins électriques. Elle était même en baisse de 15 % sur un an en raison du manque de précipitations, mais également de la diminution rapide des glaciers, véritables réservoirs naturels contribuant à l’approvisionnement en eau durant tout l’été.

Le lac de Serre-Ponçon le 19 juillet 2022, à un niveau exceptionnellement bas… (photo © Catherine Jagu / Twitter / Futura Science)

A la mi-août, le niveau de la retenue de Serre-Ponçon est 16 mètres en dessous du niveau nominal, celle de Sainte-Croix, à plus de 6 mètres. Nous ne manquons globalement pas d’eau, mais nous n’avons pas encore assez investi pour la réguler…

Sommes-nous donc condamnés, dans les années à venir, à un rationnement de l’eau et à une diminution de fait de notre confort et des activités agricoles ou industrielles ? Certainement si nous n’investissons pas aujourd’hui d’une manière importante dans la régulation de cette ressource si vitale. Nous l’avons bien fait en son temps avec le canal de Marseille (1850), puis le canal de Provence (1960), et c’est heureusement un grand atout aujourd’hui.

Mais, alors que la population de la région a augmenté de 30 % en 50 ans, que les activités agricoles et industrielles se sont développées, nous n’avons plus investi dans de nouveaux barrages ou retenues d’eau. Nous manquons aujourd’hui de réserves en été. Contrairement à l’idée reçue, nous ne manquons globalement pas d’eau de pluie (ou de neige). 66 cm de hauteur par an en Provence Alpes Côte d’Azur, contre 90 cm en Irlande : ce n’est pas si mal. Simplement, seulement 17 % de cette eau tombe en été, au moment où l’évaporation est la plus forte. Mais même en tenant compte de cette évaporation, le rapport entre la quantité de pluie annuelle et la consommation totale en région Paca est supérieur à 10 (15 fois en France).

Le Glacier Blanc, le plus grand des Alpes-du-Sud, en cours de régression accélérée ces dernières années (source © Parc National des Écrins / France 3 Région)

Côté équipements, il est donc indispensable de créer des retenues petites ou grandes, publiques ou privées, afin de stocker, en prévision des étés, une plus grande partie des précipitations annuelles. Trop peu d’investissements ont été réalisés ces dernières décennies. En première urgence, il faudrait au moins compenser la perte de volume de nos glaciers qui fondent encore plus rapidement dans les Alpes du Sud. 90 % de nos glaciers auront disparu en 2100… L’idée de pomper dans les nappes phréatiques serait la plus mauvaise solution : l’apport naturel d’eau de pluie ne correspond qu’à 6 % de leur volume. De même, la limitation des usages, même si elle est appréciable lors des crises, peut difficilement combler le déficit pluviométrique estival : la consommation domestique des ménages français, qui avait évolué durant le 20e siècle deux fois plus vite que la croissance démographique, a plutôt tendance à diminuer depuis les années 2000 et ne représente que 25 % du bilan, deux fois moins que pour l’agriculture.

Irrigation gravitaire dans la Crau au sud-ouest d’Arles, à partir du canal de Craponne (source © DRAAF PACA)

Alors, bien sûr, on peut toujours encourager les économies. Mais rien ne remplacera le recyclage de l’eau. Une eau usée reste une eau utilisable après traitement. Recycler et réutiliser les eaux usées, plutôt que les rejeter à la mer, est aujourd’hui indispensable. Même si des progrès sanitaires considérables sont aujourd’hui faits, une eau usée recyclée trouverait toute sa place dans l’irrigation et l’industrie, pour peu que la réglementation évolue.

Autre chance : la rivière souterraine de Cassis, qui déverse 220 millions de m3 d’eau douce par an dans les Calanques, correspond à une consommation d’eau potable domestique de 4 millions d’habitants… A ce jour, aucun projet n’a encore été sérieusement envisagé pour exploiter cette exsurgence de Port-Miou. Augmenter les capacités de réserves, retraiter les eaux usées, capter les exsurgences, les possibilités sont nombreuses en Provence pour répondre au déficit croissant des précipitations estivales. Cela nécessite des investissements importants. Cela exige surtout une vision, une volonté et des priorités, si nous voulons que notre région reste agréable à vivre et éviter qu’elle ne périclite.

JBx