Archive for avril 2023

Le bruit qui court… après Total

29 avril 2023

Les activistes écologistes sont parfois un peu lourds avec leur manie de jeter du ketchup sur les toiles de maîtres dans les plus grands musées du monde ou, comme l’ont encore fait récemment des militants du collectif britannique Just Stop Oil, en recouvrant d’un pastiche un célèbre tableau de John Constable, conservé à la National Gallery de Londres et intitulé la Charrette de foin. Le paysage champêtre du XIXe siècle s’est ainsi retrouvé orné de routes goudronnées et d’avions vrombissant tandis que deux activistes revêtus de teeshirts au logo de l’association se collaient la main au cadre du tableau, avant de se faire proprement jeter par les vigiles du musée.

Deux militants de l’association britannique Just Stop Oil la main collée au cadre d’un tableau de John Constable recouvert d’un pastiche, en juillet 2022 à la National Gallery de Londres (photo © Carlos Jasso / AFP / Le Figaro)

Des actions militantes certes spectaculaires et qui ont pour but d’alerter l’opinion publique sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et l’arrêt de l’exploitation des énergies fossiles, mais qui ont aussi pour revers d’indisposer voire de choquer certains, en s’en prenant ainsi à des œuvres d’art universellement reconnues.

Rien de tel dans le savoureux canular dont TotalEnergies vient de faire les frais, de la part d’un collectif d’activistes français au nom bien inspiré Le Bruit qui court… Dimanche 23 avril au soir, des centaines de militants bien organisés ont placardé d’immenses panneaux de chantiers en différents points de Paris, Rouen, Grenoble, Lyon ou encore Marseille, annonçant la construction d’un gigantesque pipeline de plus de 1000 km de long, destiné à acheminer le pétrole de la Mer du Nord jusqu’au sud de l’Europe en passant par les Pays-Bas, la Belgique et la France, ainsi traversée de part en part.

Panneau d’information sur le projet WeCop accroché sur les grilles du jardin de ville à Grenoble (source © France TV)

En parallèle, plus de 3000 propriétaires de maisons situées sur le tracé de ce projet, surtout dans les beaux quartiers de ces grandes métropoles, ont reçu un courrier, d’apparence on ne peut plus officielle, les informant que, du fait du passage de ce vaste projet d’ampleur international sur leur propriété, ils allaient faire l’objet d’une mesure d’expropriation pour raison d’utilité publique.

Le courrier comme les affiches renvoyait au site internet d’une entreprise fictive du nom de WeCop détaillant les objectifs et le calendrier du projet, tout en argumentant sur les vertus d’un tel pipeline d’envergure pour assurer une meilleure distribution. Une pétition avait même été mise en ligne pour permettre à chacun d’exprimer son désaccord éventuel avec le projet et un standard téléphonique dédié a été ouvert, animé par des militants qui ont donc dû recevoir les appels des riverains furieux : «Mais vous ne pouvez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là, c’est pas possible» ont-ils ainsi entendu, parmi d’autres réactions de la part de propriétaires hors d’eux à l’idée qu’un pipeline pourrait venir ainsi traverser leur terrain pour améliorer les bénéfices de l’industrie pétrolière…

Faux permis de démolir de WeCop installé par les activistes du Bruit qui court à Marseille dans la nuit du 23 au 24 avril 2023 (source © Place GreNet)

Le projet avait été préparé depuis des mois et les militants mobilisés avaient su parfaitement tenir leur longue, de telle sorte que l’effet de surprise a joué à plein, semant un véritable trouble parmi les personnes confrontées à ce projet et à ces méthodes parfaitement vraisemblables de la part d’une multinationale. Dès le mardi 25 avril, l’association a donc dû communiquer un démenti formel et dévoiler le pot aux roses, tout en incitant les médias à divulguer l’affaire, ce dont ils ne se sont pas privés.

Bandeau du site internet WeCop développé pour assurer la crédibilité du projet… (source © WeCop)

Bien évidemment, ce projet de pipeline géant à travers la France n’existe que dans l’imagination de ces activistes, mais leur objectif est en réalité d’attirer l’attention des médias et de l’opinion publique sur un autre projet d’oléoduc géant, bien réel celui-là et porté par l’entreprise TotalEnergie à travers l’Ouganda et la Tanzanie sous le nom de Eacop pour East African crudle oil pipeline. La multinationale française cherche en effet à développer l’exploitation de ressources pétrolières gigantesques, estimées à plus de 1 milliard de barils, découvertes en 2006 sous le lac Albert en Ouganda.

Forage d’exploration de TotalEnergies dans la région du lac Albert en Ouganda (photo © Laurent Zylberman / Total)

Deux champs pétroliers devraient être mis en exploitation en parallèle. Celui de Tilenga, au nord du Lac Albert sera opéré par TotalEnergies et vise le creusement de 400 puits de pétrole dont la production sera acheminée vers une usine de traitement située à Kasenyi. Ces puits seront forés dans des zones rurales et, pour certains, au cœur du parc naturel des Murchison Falls. L’autre champ, dénommé Kingfisher, sera exploité plus au sud par l’entreprise chinoise CNOOC (China National Offshore Oil Corporation).

Le pétrole issu de l’ensemble des puits sera ensuite acheminé par un gigantesque oléoduc enterré de 1443 km reliant la ville de Kabaale en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie où un terminal pétrolier doit être construit. Du fait de ses caractéristiques propres, le pétrole extrait doit être maintenu à une température de plus de 50 °C pour permettre son acheminement par oléoduc sans risque de colmatage. Le pipeline sera donc chauffé en permanence, si bien que son empreinte carbone sera bien colossale, sans compter les impacts environnementaux de son tracé à travers des zones agricoles et naturelles, et surtout son impact social sur les milliers de petits propriétaires situés le long du tracé et qui devront être expropriés sans pour autant être certains d’être indemnisés.

Tracé du projet d’oléoduc géant programmé par TotalEnergies entre le lac Albert et l’océan Indien, à travers l’Ouganda et la Tanzanie (photo © TotalEnergies / Usine nouvelle)

Il est peu probable que le canular monté par les activistes du Bruit qui court ait le moindre impact sur la construction du futur oléoduc Eacop de TotalEnergie et de CNOOC. Mais incontestablement l’affaire a fait du bruit et a permis de mettre en lumière les impacts de ce projet pharaonique d’investissement pétrolier mené jusqu’à présent en toute discrétion par TotalEnergies et sur lequel les médias français s’étaient bien gardés de communiquer. Comme quoi, les actions des activistes écologistes, surtout menées avec intelligence et un brin d’humour, peuvent avoir des résultats positifs…

L. V.

Le coup de pompe du blanchisseur…

24 avril 2023

On parle beaucoup de blanchisserie en ce moment. Non pas parce que les opérations de blanchiment d’argent seraient plus fréquentes qu’à l’accoutumée. Un peu parce que certains élus locaux se sont fait prendre la main dans le pot de confiture pour avoir confié pendant des années le blanchiment de leur propre linge à un prestataire payé par la collectivité, négligeant à tort le vieil adage selon lequel il est pourtant préférable de laver son linge sale en famille…

A Laval, en Mayenne, toute la ville ne parle que de cela ces derniers jours : les archéologues seraient sur le point de mettre à jour les vestiges d’une vaste blanchisserie semi-industrielle du XVIe siècle, en plein centre-ville. A moins qu’il ne s’agisse des vestiges d’une ancienne tannerie ? On ne sait pas encore très bien mais en tout cas l’affaire fait grand bruit dans le Landerneau local.

Vue du chantier de fouilles archéologiques en cours sous l’ancien square Foch à Laval avec les fosses en cours de dégagement (photo © Marcellin Robine / Radio France)

Dans le cadre d’un ambitieux chantier de fouilles préventives lancées en janvier 2023, les archéologues ont en effet mis à jour à 4 m de profondeur, une quarantaine de fosses adjacentes dont les plus étendues font 4 à 5 m de longueur sur 1 m de large. Des fosses qui pourraient donc être les vestiges d’une ancienne installation de lavage, de teinture ou de tannerie. Les éléments de nature organique que les archéologues retrouveront (peut-être) dans ces fosses permettront sans doute de trancher…

Une découverte qui se situe dans le cadre du vaste projet de réaménagement de la place du 11 novembre, située en bordure de la Mayenne, où la municipalité prévoit la construction de halles alimentaires en lieu et place d’un ancien monument aux morts, tandis que la circulation routière devra être largement réduite. Cette place avait été aménagée initialement à partir de 1810, par remblaiement d’une zone jadis marécageuse si bien que les anciens bâtiments ont simplement été enfouis sous les remblais. Dès février 2023, les archéologues ont donc eu la bonne surprise d’y retrouver, devant l’actuel hôtel de ville, les vestiges particulièrement bien conservés du soubassement des anciens remparts et même d’une des anciennes portes de la ville !

Vestiges d’anciens remparts retrouvé lors des fouilles devant l’hôtel de ville de Laval (photo © Kévin Rouschausse  / Radio France)

Pendant ce temps-là, à Marseille, c’est une autre blanchisserie, industrielle celle-là et plutôt moderne, qui fait parler d’elle. Alors que l’hiver 2022-2023 a été jusqu’à présent particulièrement sec avec un déficit pluviométrique exceptionnel et des niveaux de nappes extrêmement bas conduisant le Préfet des Bouches-du-Rhône à prendre dès le 23 mars 2023 un arrêté de restriction de l’usage de l’eau dans 19 communes du Département dont plusieurs arrondissements de Marseille placées en situation de crise, certains ne semblent pas avoir bien compris le message visant à économiser la ressource…

C’est le cas de cette blanchisserie installée 137 chemin de Saint-Jean du Désert dans le 5e arrondissement de Marseille, près de La Blancarde, et qui constitue l’une des 28 unités du groupe Kalhyge. L’usine elle-même est implantée ici depuis 1871, héritière de la Société de teinturerie et blanchisserie de la Méditerranée, fondée par Hippolyte Fraissinet. Reprise en 1982 par le groupement Régie linge, elle a été rattachée depuis 2004 au GEIST, le Groupement des entreprises industrielles de services textiles, puis en 2016 à la marque Kalhyge, dont l’actionnaire principal est le groupe Mutuelle nationale des hospitaliers. Kalhyge, qui se vante d’être « un acteur national de référence sur les marchés de la santé, de l’industrie, de l’hôtellerie-restauration, des commerces et des services d’hygiène », vise « un service 100 % transparent » et arbore le fier slogan : « La clarté au quotidien ».

Les bâtiments de l’usine Kalhyge à La Blancarde (source © La Marseillaise)

Sauf que manifestement ce souci de la transparence ne s’étend pas jusqu’à son respect des procédures administratives puisque son site de Saint-Jean du Désert, classé ICPE (installation classée au titre de la protection de l’environnement) vient d’être épinglé par les services de la Préfecture pour une série de manquements graves au Code de l’environnement. L’entreprise avait omis de déclarer auprès des services préfectoraux l’extension de ses bâtiments industriels et l’augmentation de sa capacité de traitement, une omission qui fait désordre pour une installation industrielle de ce type, surveillée comme le lait sur le feu, sachant qu’un des autres sites du groupe Kalhyge, installé à Orvault près de Nantes, était parti en fumée dans la nuit du 21 au 22 avril 2022, il y a donc tout juste un an.

La blanchisserie Kalhyge à Orvault détruite par un incendie en avril 2022 (photo © Simon Torlotin / Presse Océan / Ouest France)

Mais à Marseille les inspecteurs de la DREAL ont surtout eu la surprise de découvrir, lors de leur dernière visite en octobre 2022, que la blanchisserie industrielle disposait de son propre forage, non déclaré, pour pomper l’eau dans la nappe, ni vu ni connu… Un prélèvement qui dépasse quand même les 10 000 m3 d’eau par an. Rappelons quand même au passage que le Code minier oblige à déclarer auprès du BRGM (Service géologique national) tout forage de plus de 10 m de profondeur et que, depuis 2009, tout puits ou forage, même destiné à un simple usage domestique doit être déclaré en mairie. Quant aux prélèvements à usage industriel pour des volumes supérieurs à 10 000 m3 par an, ils sont soumis à déclaration obligatoire au titre du Code de l’environnement (et même à demande d’autorisation au-delà de 200 000 m3 par an.

Vue aérienne de l’usine Kalhyge à La Blancarde (source © Google Maps)

Une formalité qui a manifestement échappé au groupe Kalhyge, ce que les inspecteurs des installations classées ont moyennement apprécié, d’autant que le forage en question se trouve à proximité immédiate de l’aire de dépotage des produits détergents de l’usine et juste à côté de la zone de stockage des déchets du site, sans la moindre protection permettant d’éviter que les eaux de ruissellement souillées ne viennent polluer la nappe phréatique !

Plus que l’absence de déclaration de ce forage à usage industriel qui puise ainsi en toute discrétion dans une eau précieuse et supposée être un bien public commun, c’est d’abord l’insouciance de cette entreprise qui mérite d’être pointée du doigt. En cas d’accident industriel, le risque de pollution de la nappe à travers un tel forage mal connu et peu protégé est particulièrement élevé. Au risque de renouveler le scénario déjà observé en 2013 lors de la grave pollution au chrome sous l’usine Protec Métaux Arenc, qui avait durablement pollué la nappe sous-jacente ainsi que le ruisseau des Aygalades à proximité…

L. V.

Katulu ? n° 68

20 avril 2023

Voici un nouveau recueil des lectures du cercle de lecture carnussien Katulu ? au cours du premier trimestre 2023.

Retrouvez l’intégralité des notes de lecture de ces livres :

Si vous aussi vous avez envie d’échanger en toute convivialité autour de vos derniers coups de cœur de lecteur, venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence !

Langages de vérité

Essais 2003-2020

Salman Rushdie

« Nous nous croyions, ma génération, tolérants et progressistes, et nous vous laissons un monde intolérant et rétrograde. Mais le monde est un lieu plein de résilience et sa beauté est toujours époustouflante, son potentiel toujours étonnant… » citation de l’auteur

Ces essais sont les chroniques des engagements intellectuels et littéraires de l’auteur. Alors que ses romans sont touffus, érudits, ses essais sont clairs, drôles, courageux. Ce livre est une ode à la liberté et à la littérature, cette dernière étant pour lui « le contre-pouvoir ». Le portrait de Salman Rushdie qui se dégage de ce livre est celui d’un érudit, un critique d’art, un cinéphile, « un humaniste multi-culturel », « un homme-livre ».

Les textes présentés sont des textes adaptés de cours universitaires, des préfaces pour des livres et des expositions, des articles publiés dans différents journaux américains, des discours lors de remise de diplômes universitaires et des textes pour le PEN CLUB (association internationale d’écrivains fondée en 1921).

Les deux premières parties sont essentiellement dédiées à la littérature. Il s’intéresse tout particulièrement à l’art du récit. L’érudit se révèle par sa connaissance de la littérature occidentale, de l’Amérique du sud, des écrivains russes et bien évidemment de la littérature indienne. Un exemple : l’éloge du conte. Il analyse l’écriture réaliste et la « réalité magique ». Pour lui le fantastique a toujours été une façon d’ajouter des dimensions à la réalité, une manière d’enrichir et d’intensifier la réalité plutôt que de la fuir dans un univers de fantaisie peuplé de super-héros (ce qu’il appelle l’imagination fictive).

Dans les deux autres parties du livre je retiendrai les mots-clefs qui me paraissent traverser tous les articles ou conférences : l’instinct de liberté, la vérité, le courage, le pouvoir de nuisance des croyances.

Un livre d’une telle richesse qu’il ne peut-être résumé et dont je vous livre très modestement quelques bribes en espérant que cela vous donnera la curiosité d’aller le feuilleter. Je termine par cette interrogation de l’auteur à son lecteur : « Quels sont les livres que vous aimez véritablement ? Faites le test. La réponse vous en apprendra long sur qui vous êtes en ce moment. » 

Marie-Antoinette

Un étranger nommé PICASSO

Dossier de police n°74.664

Annie Cohen-Solal

Picasso. Ce nom résonne dans tous les esprits pour qualifier un artiste avant-gardiste qui, dans l’art de la peinture comme de la sculpture, accentue le mouvement de rupture avec l’académisme initié par les artistes modernes.

L’ouvrage très dense et remarquablement documenté que consacre Annie Cohen-Solal à Pablo Picasso n’est pas une nième biographie de l’artiste, pas plus qu’une nouvelle monographie sur son œuvre. C’est un essai qui reconstitue le roman de la vie de l’artiste abordée du point de vue de son statut juridique d’étranger.

Le prétexte de ce texte trouve son origine dans une première question qui en soulève d’autres après l’exhumation de nombreux documents « ensevelis » dans les archives de la police de la Ville de Paris : pourquoi Picasso est-il « signalé comme anarchiste » à la Préfecture de Police le 18 juin 1901, quinze jours avant sa première exposition parisienne ? Pourquoi le 1er décembre 1914 près de sept cents peintures, dessins et autres œuvres de sa période cubiste sont-ils séquestrés par le gouvernement français pour une dizaine d’années ? Qu’est-ce qui justifie la quasi-absence de ses tableaux dans les collections publiques du pays jusqu’en 1947 ? Enfin, comment expliquer que Picasso ne soit jamais devenu citoyen français ?

Le texte qui compte 600 pages ainsi que de nombreuses annexes est difficilement résumable. De plus, il couvre une large période qui débute en octobre 1900 et qui prend fin en septembre 1985, date de l’ouverture au public de la collection du Musée national Picasso-Paris, soit douze années après sa disparition.

L’ouvrage est structuré chronologiquement afin de constituer une trame dans laquelle s’intriquent les différentes composantes de l’expérience humaine, artistique, économique, sociale et juridique de Picasso.

On découvrira ainsi comment ses démarches pour obtenir des acquisitions dans les musées nationaux ont échoué, et que ses multiples demandes de naturalisation n’ont pas obtenu de réponse favorable. Lassé de ses échecs à acquérir la nationalité française, il ne donnera pas suite à une ultime proposition bien tardive. Étranger un jour, étranger toujours !

Michel M.

GUERRE

Louis-Ferdinand CELINE

Une lettre de Céline à son éditeur en date du 16 juillet 1934, précise : « J’ai résolu d’éditer Mort à crédit, 1er livre, l’année prochaine Enfance, Guerre et Londres. » Mais à la libération de Paris, des manuscrits non publiés, dont celui-ci, ont été volés. Puis, à sa mort en 1961, ils furent restitués aux héritiers de Lucette Almanzor, seconde épouse et légataire universelle du romancier- médecin.

Le manuscrit de « Guerre », premier jet très raturé, avec des mots manquants et des imprécisions sur les noms, est un roman imprégné de souvenirs biographique, surtout dans la première partie.

En 1914, dans le nord de la France, un maréchal des logis de 20 ans prénommé Ferdinand est gravement blessé à la bataille d’Ypres. Un bras ballant, la tête bourdonnante, il souffrira pendant plusieurs jours d’errance avant d’être ramassé par une ambulance et conduit en arrière des lignes dans un couvent transformé en hôpital, à Peurdu-sur-la-Lys (Hazebrouck). Un chirurgien dépassé et une infirmière très spéciale, vingt gisants gémissant dans la salle commune parmi lesquels il se fait un ami : Bébert. Une quarantaine de pages forment cette première partie bouleversante.

La monotonie des soins s’étale en seconde partie, jusqu’aux premières sorties autorisées à l’air libre, au café de la ville. Le rapprochement des canons ennemis provoquent, dans la troisième partie, une panique générale. Ferdinand convalescent demande et obtient son billet d’évacuation sur l’Angleterre.

Après des fac-similés du manuscrit, on trouve des notes explicatives, une liste des personnages et un dictionnaire des mots d’argots employés. Ces mots puissamment agencés confirment le style inimitable de Céline mais on trouve aussi quelques descriptions émues sur la beauté des paysages, de la tendresse pour ses parents, du respect surtout pour les victimes crevées hors de chez eux. La détestation de la guerre, quoi. Hymne à la vie, quand même !

Roselyne

Avers

Des nouvelles des indésirables

J. M. G. Le Clézio

« Pour moi, l’écriture est avant tout un moyen d’agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n’est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l’injustice de ce qui leur arrive. » J.M.G Le Clézio -4ème de couverture-

Huit nouvelles, la première Avers donne son titre au livre. De l’île Maurice au métro parisien en passant par le Pérou, le Panama, le Mexique et quelque part en Afrique Noire, l’auteur nous emmène avec les indésirables, non pas les invisibles mais ceux qu’on ne veut pas voir, en particulier les enfants, dans le monde de la guerre, du trafic d’êtres humains, de la drogue, de la misère totale.

Et pourtant c’est aussi le monde de la nature sauvage, des forêts, des arbres, des fleurs et de la musique, du chant. On retrouve le Le Clézio de « Voyage à Rodrigues » ou « Poisson d’Or », la magie de Le Clézio pour décrire l’âme humaine.

Et malgré la noirceur, l’horreur qui pointe à chaque page, chaque nouvelle se termine par une note d’espérance, un message d’amour, soutenue par le mot LIBERTÉ. Un livre sans pathos (malgré les sujets) plein de poésie. « Peut-être qu’un jour cela s’arrêtera. Peut-être qu’un jour les êtres humains deviendront complètement visibles… Peut-être qu’un jour l’amour sera partout, recouvrira chaque instant de la vie d’une poudre de diamant. Peut-être qu’il n’y aura plus de solitude ».

Deux de ces nouvelles avaient été publiées en 1993 et 2003 par l’Unesco et Amnesty International.

En numismatique, l’avers est le côté face d’une pièce, où figure la puissance émettrice garantissant la ­valeur qu’affiche le côté pile. En ancien français le mot « avers », qui vient du latin adversus, signifiait « ennemi, hostile ».

Marie-Antoinette

Le meurtre du commandeur

Haruki Murakami

C’est l’histoire somme toute banale d’un homme encore jeune au Japon. Il est peintre avec un certain talent notamment dans la peinture de portraits. Sa femme désire divorcer, sans raison apparente ; il accepte cette séparation et quitte le domicile conjugal.

Un ami peintre lui propose d’occuper sa maison en campagne située à proximité d’une très belle résidence d’un voisin étrange, Wataru Menshiki. Il rentre rapidement en relation avec le jeune peintre en lui faisant des confidences intimes. Il serait le père d’une jeune fille, Marié Akigawa qui vit également dans le quartier et lui demande de faire son portrait contre une grosse somme d’argent ! Un jour le héros « peintre » découvre au grenier un tableau étonnant : « Le meurtre du Commandeur » représentant une scène de l’Opéra de Mozart, Don Giovanni.

Ce roman est particulier et original ; il y a des descriptions parfois longues ou répétitives, des détails de la culture japonaise comme le nihonga, peinture traditionnelle ! Des détails musicaux car cet homme aime la musique classique. L’intérêt du roman est pour ma part dans le suspense absolu tout au long de ces deux tomes. Il va crescendo. On est étonné et curieux de savoir quel est véritablement ce Mr Menshiki dont le rôle est très étrange dans la suite très mystérieuse du roman.

Le 2ème tome est de l’ordre du fantastique avec la présence d’un nain, soi-disant une métaphore ou une idée : c’est le commandeur extrait du tableau en question. Le roman a été désigné « meilleure fiction 2018 » : « bizarre, séduisant, exigeant ». D’autres le trouvent décevant à trop évoquer métaphores et idées. « Il n’en reste pas moins que c’est un Murakami qui tient la route, en particulier pour l’analyse des mécanismes de la création artistique et pour l’art de manier le fantastique, sans que l’on puisse vraiment discerner ce qui revient à l’imagination des personnages ou à la réelle présence d’entités surnaturelles. »

Josette J.

Les rêveurs

Isabelle Carré

Paru chez Grasset en 2007, c’est le premier roman d’Isabelle Carré. On a parlé d’auto-fiction pour « Les rêveurs » car, en se promenant dans ses souvenirs d’enfance, Isabelle Carré décrit l’évolution de la société française pendant le vingtième siècle.

Une jeune fille de bonne famille est rejetée par les siens car engrossée par un amoureux rencontré dans ces rallyes matrimoniaux qui sévissaient après-guerre dans un certain milieu. Un jeune désigner l’épouse et reconnaît l’enfant. La famille s’agrandit de deux autres enfants.

Mai 68 a eu lieu, on est dans les années 60 à 80. La vie facile fait sauter les verrous sociaux. La libération féminine s’établit avec la pilule. Cependant la scolarité des enfants est prise en charge dans des établissements religieux. Selon les principes imprimés dans le subconscient collectif. Puis un jour, une porte ouverte par mégarde entre l’appartement et le bureau révèle les amours homosexuels du père. Catastrophe ! On entre dans les années SIDA et Gay-Pride. Chacun tente son adaptation à l’évolution des mœurs.

Depuis l’intransigeance d’une famille aristocratique désargentée bourrée de préjugés jusqu’à la libération morale de nos jours symbolisée par le mariage homosexuel, Isabelle Carré raconte dans un joli langage clair et imagé les émotions et les désirs qui structurent notre société.

Promenade parfois atroce de simplicité, parfois démente d’extravagance que le lecteur pourrait faire sienne. Habile, sensible, il faut rentrer dans le jeu… d’une comédienne actrice de sa vie. 

Roselyne

On était des loups

Sandrine Collette

Prix Jean GIONO 2022

C’est un roman d’une rare intensité mettant en scène un homme se retrouvant seul avec son petit garçon dans une nature sauvage. Ayant subi la misère et la maltraitance, tel un loup quittant la meute, il n’a trouvé de salut qu’en fuyant ses congénères, leur méchanceté et la rage qu’elle déclenche en lui. Il vit en solitaire, de pêche et de chasse, loin de toute vie humaine, en marge de la société, dans une région de montagne reculée contraint de s’occuper, seul, de son petit garçon après le décès tragique de sa compagne. 

Au milieu de son existence qui s’effondre, il n’a une certitude : ce monde sauvage n’est pas fait pour un enfant. Dans sa tête, c’est le chaos total. Comment lui expliquer pour sa mère ? Qui s’occupera du petit quand il ira chasser ?… Puis des pensées plus horribles. Faut-il l’abandonner ? le tuer ? Le lecteur se retrouve dans la tête de ce personnage dévoré de chagrin et horrifié par la tâche inhumaine qui l’attend : devenir père.

On découvre peu à peu la transformation d’un homme sauvage et misanthrope en père protecteur et aimant, au cours d’une chevauchée de plusieurs semaines à cheval dans une nature inhospitalière.

Style sobre avec une ponctuation plus que minimale en accord avec la personnalité fruste du narrateur. L’écriture est à la première personne, un langage parlé, direct, spontané qui fait passer les émotions viscérales qui transpercent le récit de part en part. Un récit âpre, presque violent qui ne dira qu’à la fin s’il bascule du côté de l’amour ou de l’horreur.

Dany

Trilogie : Les enfants du désastre

Au revoir là-haut

Couleurs de l’Incendie

Le miroir de nos peines

Pierre Lemaître

Au revoir là-haut marque dans l’œuvre de Pierre Lemaitre un important changement : il signe, cette fois, non un roman historique, mais un roman picaresque. Avec la trilogie « Les enfants du désastre » il parcourt la Grande Guerre, la période de l’entre-deux-guerres et celle de 1939-40, la drôle de guerre.

1- « Au revoir là-haut » Période de la 1ére guerre mondiale ; livre passionnant. Le drame et l’horreur de cette guerre. L’histoire de deux jeunes soldats dans l’enfer des tranchées où leur destin va se sceller. L’humanité et la solidarité sont à la base de leur rencontre lors d’une bataille dramatique. En parallèle, on découvre la vie bourgeoise de la famille Péricourt et son patriarche, grand chef d’entreprise, très riche et influant sur la vie politique de l’époque.

2– « Couleurs de l’incendie ». Période de l’entre-deux guerres. Suite de l’histoire de la famille Péricourt après le décès du Maître Édouard Péricourt. Ce roman nous fait découvrir l’évolution de la France industrielle, son enrichissement, ses combines politiques. C’est aussi le destin de cette famille qui découvre la pauvreté, la déchéance sociale. L’Art lyrique est mis en valeur à travers la passion de l’enfant handicapé de la famille.

3- « Miroir de nos peines » On est au printemps 1940, au moment de l’exode en France. Là également on suit l’histoire de deux soldats, affectés dans un fort de la fameuse ligne Maginot. En parallèle, on parcourt la vie de Louise devenue institutrice qui était la fillette de dix ans qui s’était entichée d’Édouard Péricourt, la gueule cassée de la Grande Guerre.

C’est une formidable fresque historique au travers de destinées familiales, témoignage incontestable du XXéme siècle.

Josette J.

Nom

Constance Debré

« Nom » est le titre de la troisième parution (chez Flammarion) d’une jeune femme révoltée, Constance Debré.

Le buste de son arrière-grand-père, Robert Debré, médecin célèbre en son temps, orne le vestibule de l’immeuble familial. A son grand-père Michel Debré, à son oncle Jean-Louis Debré, s’ajoute son père le grand reporter François Debré et sa mère riche héritière basque, tout cela, tout, tout vraiment tout, est révoltant. Rejet des traditions familiales, rejet de l’héritage des parents (drogués et alcooliques), rejet du mariage, rejet de l’hétérosexualité, rejet de toute entrave même de liaisons saphiques trop longues.

A balayer ces conventions comme on balaie chaque semaine des cheveux rasés de près ! Pureté du visage androgyne, corps tous les jours musclé en piscine, conquêtes rapides et vite abandonnées par manque d’empathie ou par peur d’attachement.

Avocate transfuge du barreau, Constance Debré plaide pour la reconnaissance de son coming-out. Elle déclare choix politique son rejet de la société actuelle. Dès les premières lignes du livre, dans une écriture coup de poing asséné avec vigueur, avec méchanceté : « Nom », c’est non.

Roselyne

Les chats éraflés

Camille Goudeau

Le premier roman, paru en 2021, de Camille Goudeau, jeune femme de trente ans bouquiniste à Paris, est probablement autobiographique.

La narratrice, née de père inconnu, abandonnée à sa naissance par sa mère, a grandi avec ses grands-parents. Un master en poche, cette grande jeune fille élégante, frustrée, paumée, en recherche identitaire, part à Paris. Elle se fait admettre comme suppléante d’un cousin vendeur sur les quais de Seine. Au bord du fleuve, par tous les temps, les bouquinistes gèrent leurs « boites » vertes, guettent l’achat des touristes tout en gardant l’œil sur les badauds. Camille apprend ce métier si ancien : l’étalage, la vente, les achats dans les ballots de clodos fournisseurs ou dans les locaux de casse du livre, visite aux adresses secrètes pour le meilleur réassortiment. Des liens solides s’établissent avec ses collègues du quai, tandis que le cousin prend du temps libre pour ses projets personnels. Pour Camille un équilibre se profile…

Jolie étude psychologique et jolie découverte des petits quartiers de la grande ville…

Roselyne

La Confiance en soi

Charles Pépin

Confiance en Soi ou confiance dans l’autre : Avoir la sécurité intérieure et elle s’acquiert grâce aux autres. Avoir été aimé donne confiance dans la vie. C’est une force ! C’est à travers les yeux de l’autre que se forge cette foi en soi.

Confiance en Soi ou confiance dans ses capacités : La confiance en soi se révèle par une action entreprise, si elle est concrète avec un objectif. Ce sont à travers des pratiques régulières et réussies qu’on peut atteindre la confiance. Il faut faire preuve d’inventivité et d’adaptation, sortir de sa zone de confort, tenter quelque chose que l’on n’a jamais fait.

Confiance en soi ou admirer la Beauté va de pair, c’est aussi la confiance dans la Nature et un possible accord universel !

Maîtrise de l’art difficile de la décision : « choisir c’est savoir avant d’agir, décider c’est agir avant de savoir car il faut accepter l’incertitude et de peut-être se tromper, cet aléa fait le sel de la vie humaine ». On ne peut pas attendre d’avoir éradiqué tous les doutes pour se décider.

Faire pour se faire confiance : L’homme est joyeux et satisfait « lorsque, d’après Emerson, il a mis tout son cœur à l’ouvrage et fait de son mieux ». Avec le développement du numérique, l’homme perd ses qualités et glisse à la surface des choses. C’est la confiance retrouvée quand on désire bien faire, c’est vaincre les angoisses de la mort. Dans l’action, on partage, on rencontre les autres : « ils vous donneront peut-être des idées, des conseils, de l’espoir et pourquoi pas de l’Amour ».

Je vous conseille la lecture de ce livre où la philosophie de Charles Pépin nous aide à aller mieux quand on se fait confiance.                                                                      

Josette J.

Le jeu des si 

Isabelle Carré

Ce livre est son troisième roman. Le mot « Si » est un conditionnel de jeu. Si on jouait à ne pas rejoindre au pays basque le fiancé qui doit l’attendre à la descente d’avion… Il n’est pas là et n’a pas prévenu ! Alors : Si on jouait à faucher le taxi retenu pour une autre qui rejoint une place de « Mary Poppins » auprès d’enfants dont les parents travaillent… Si on changeait d’histoire pour celle d’un confinement dû au COVID, dans la maison de Bretagne où un hasard téléphonique révèle l’adultère du mari adoré ? Si, dans cet enfermement, on découvre la jalousie… Si, finalement, on retournait à la première histoire, dans le bar du village, où, parmi les habitués, le jeune et beau Marc aux longs cheveux attire le regard…

Non, décidément le jeu est ailleurs, un metteur en scène crie « Ton reflet dans le chrome du bar c’est trop cérébral. Fais-moi vivre tout ça. » Textes, poèmes ou chansons, comment faire vivre sur scène les « mots bleus » qu’elle aime avec la passion d’une théâtreuse. Car il faut transmettre la pensée d’un auteur puis supporter l’angoisse de l’interprète.

Le vide qui surgit après cette performance appelle un repli compensatoire sur soi-même. S’installent alors les rêves et les fantasmes érotiques et pourquoi pas un flirt avec le suicide, en évoquant Virginia Wolf. Mais il monte « une odeur de terre et de fleurs coupées » et la solidité d’un vieil arbre protecteur lui permet de reprendre pied avec la réalité. Presque à la fin du livre, elle admet que la dualité de la vie des acteurs lui colle à la peau, elle avoue avoir souvent préférer la vie du personnage à la sienne. Pas simple ce métier.

Certains critiques ont exprimé de la réticence pour « Le jeu des si », trouvant la composition confuse, refusant de rentrer dans un jeu qui apporte incertitude et interrogation brumeuse. Le texte est pourtant soutenu par de nombreuses belles citations et de nombreuses références (peut-être trop nombreuses) à des chansons ou poèmes qui encadrent l’argumentaire de l’auteure. Malgré cela le style est léger, agréable, vrai.

Roselyne

Toulon : l’affaire « Hubert eat »

17 avril 2023

La vie politique varoise n’a jamais été réputée pour sa sérénité ni pour la probité de ses élus locaux. Une réputation sans doute usurpée car elle connaît, comme partout, bon nombre de serviteurs intègres et dévoués de la République, n’hésitant pas à sacrifier leurs loisirs au service de l’intérêt public et de leurs concitoyens. Mais force est de constater qu’il existe parfois certains dérapages malheureux, de nature à discréditer la classe politique et à accentuer l’abstention électorale, voire l’extrémisme.

On se souvient notamment de la députée du Var, Yann Piat, ex FN ralliée à l’UDF, qui a payé de sa vie son engagement contre la corruption, lâchement assassinée de 5 balles le 25 février 1994, dans un climat de fortes tensions alors qu’elle envisageait de se présenter aux élections municipales dans la bonne commune d’Hyères-les-palmiers, alors surnommée « Hyères-les-bombes » tant les attentats, incendies criminels et règlements de comptes y étaient monnaie courante, dans un climat d’affairisme et de spéculation immobilière débridée. Un autre élu local, Daniel Perrin, adjoint au maire de la Seyne-sur-mer, avait lui aussi été assassiné par un autre commando à moto en août 1986.

La députée varoise Yann Piat, assassinée en 1994 (photo © Yves Sieur  / AFP / Le Journal de Saône-et-Loire)

Il faut dire qu’à l’époque, le président du Conseil général du Var, Maurice Arreckx, entretenait des relations assez étroites avec certains membres de la pègre locale, dont le truand Jean-Louis Fargette, fiché au grand banditisme, à qui Arreckx, maire de Toulon depuis 1959 et pilier de l’UDF locale, n’hésitait pas à confier la sécurité de ses meetings tout en lui fournissant un alibi en béton pour lui permettre d’échapper à la justice dans une sombre affaire d’extorsion de fonds. Président du Département pendant une dizaine d’année, le sénateur Maurice Arreckx avait dû laisser sa place en mars 1994 à son poulain, un certain Hubert Falco, avant d’être condamné en juin 2000, à 3 ans de prison ferme et 4 millions de francs d’amende pour recel d’abus de biens sociaux et recel d’abus de confiance dans l’attribution d’importants marchés publics entre 1982 et 1994.

Maurice Arreckx, à l’issue de sa condamnation en décembre 1996 (source © archives INA)

Son successeur, Hubert Falco, manifestement formé à la bonne école, élu pour la première fois en 1971, sur une liste de gauche, au conseil municipal de Pignans dont il devient maire en 1983, adhère en 1985 à l’UDF et entre la même année au Conseil général dont il accède à la présidence en 1994. Entre temps, il a été élu député en 1988, avec le soutien appuyé de son ami Maurice Arreckx, puis sénateur en 1995 et jusqu’en 2017. Il participe à plusieurs gouvernements sous la présidence de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, comme Secrétaire d’État aux personnes âgées puis aux anciens combattants, une belle promotion pour cet ancien fabricant de bouchons que certaines mauvaises langues malintentionnées osent surnommer « Bac moins six ».

Hubert Falco dans son bureau (photo © Valérie Le Parc / Var Matin)

De quoi acquérir une petite notoriété nationale qui lui permet en mars 2001 de laisser son fauteuil de maire un peu étroit de la petite commune de Pignans pour s’asseoir dans celui, plus confortable, de maire de Toulon, qu’il occupe donc depuis 22 ans, en sus de celui de président de l’actuelle métropole Toulon Provence Méditerranée, où il siège depuis sa création, le 1er janvier 2002. Autant de fonctions que la loi ne permet plus de cumuler, ce qui l’a donc amené, en octobre 2002, à céder son fauteuil de président du Département à un de ses amis, Horace Lanfranchi, alors maire de Saint-Maximin.

Sauf que, depuis 2002 et bien que ne siégeant plus au Conseil départemental du Var, l’affable Hubert Falco, y reste bien sûr comme chez lui. A tel point même qu’il y a son rond de serviette, au sens propre du terme. Il y déjeune en effet quotidiennement et bénéficie même, jusqu’en 2018 des services d’un maître d’hôtel lorsqu’il a besoin de recevoir à la maison. Un réfrigérateur spécial lui est même dédié dans les cuisines de l’institution départementale, copieusement rempli de petits plats appétissants et où le couple Falco peut venir puiser à discrétion pour les repas du week-end, Madame étant elle-même employée du Conseil départemental. Et le couple n’hésite pas non plus à employer les services d’un prestataire du département pour l’entretien de son linge de maison, aux frais du contribuable.

Le siège du Conseil départemental du Var à Toulon, désormais présidé par Jean-Louis Masson, suite au départ de Marc Giraud, démissionné le 7 octobre 2022 par le Préfet suite à sa condamnation (photo © Olivier Real / TPBM)

Un manège qui a donc perduré pendant plus de 15 ans, pour un montant cumulé que les enquêteurs ont évalué à quelque 285 000 euros, une bagatelle ! Le grain de sable s’est cristallisé en octobre 2019 sous la forme d’un entrefilet du Canard enchaîné, également relayé par Var Matin, évoquant le témoignage d’une déléguée UNSA du Département, Faouzia Mehazem, qui avait alerté la Chambre régionale des comptes et le Parquet national financier sur ces pratiques peu orthodoxes qui se faisaient au vu et au su de tous.

Malencontreusement, au lieu de faire profil bas et de s’excuser, Hubert Falco porte plainte contre la fonctionnaire pour dénonciation calomnieuse et diffamation, ce qui conduit le parquet de Toulon à auditionner cette dernière en janvier 2020, et, du coup, à ouvrir une enquête pour détournement de fonds publics. Une enquête qui va de révélations en révélations. Non seulement elle confirme que l’ex président du Conseil départemental se nourrissait et se blanchissait ainsi à l’œil depuis des années, aux frais du contribuable varois, mais de surcroît elle met en évidence les efforts désespérés d’Hubert Falco pour étouffer l’affaire, n’hésitant pas pour cela à intervenir auprès du ministre de l’Intérieur et même à quitter l’UMP pour se rapprocher du parti présidentiel. La syndicaliste à l’origine du scandale reçoit des menaces de mort et des mots doux aimablement formulés ainsi : « Tous les jours, on rêve de te voir crevée, sale arabe, enfoirée de syndicaliste de merde (.) Fermes ta gueule et occupes toi de tes affaires sinon c’est de ta famille qu’on va s’occuper et on va te brûler ta maison… » tandis qu’un de ses collègues, cuisinier au Conseil départemental, est faussement accusé de malversations, au point qu’il finit par se pendre le 11 mars 2020.

Marc Giraud (à gauche) et Hubert Falco, aux côtés de Renaud Muselier (source © compte Facebook R. Muselier / Blast)

Convoqué et placé en garde-à-vue en octobre 2021, Hubert Falco vient donc d’être condamné, vendredi 14 avril 2023, par le tribunal correctionnel de Marseille, à 3 ans de prison avec sursis et à une peine d’inéligibilité de 5 ans. Il a été démis immédiatement de ses mandats de maire de Toulon et de président de la métropole TPM, tout comme son successeur au Conseil départemental, son ami Marc Giraud avait lui aussi été contraint de quitter son fauteuil de président du Département, le 7 octobre 2022, après avoir été à son tour condamné pour une affaire de détournement de fonds publics lié à un emploi fictif dans sa commune de Carqueiranne. Il ne fait décidément pas bon être élu local dans le Var en ce moment…

L. V.

Uranium : un enrichissement sans cause ?

15 avril 2023

Il a beaucoup été question, ces dernières années, des tentatives de la République islamique d’Iran, de développer ses capacités d’enrichissement de l’uranium. On se souvient que le 14 juillet 2015, un accord historique était signé à Vienne entre l’Iran et les 5 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Une heureuse issue venant clôturer 12 ans de crises et 21 mois de négociations multilatérales serrées et rendue possible par l’arrivée au pouvoir en juin 2013 d’Hassan Rohani, lui qui représentait justement l’Iran dans ces négociations internationales engagées depuis 2003.

Le président sortant iranien Hassan Rohani avec le directeur de l’agence nucléaire iranienne, Ali Akbar Salehi, le 9 avril 2019 à Téhéran (source © HO / AFP / L’Express)

Sauf que la géopolitique n’est jamais un long fleuve tranquille et que 3 ans plus tard, le 8 mai 2018, l’incontrôlable Donald Trump, annonçait solennellement sa décision unilatérale de sortir les États-Unis de cet accord et de renforcer les sanctions économique contre l’Iran, ce qui conduisait logiquement ce dernier à revenir progressivement sur ses engagements en matière de contrôle de sa capacité d’enrichissement de l’uranium.

Dès 2021, Téhéran annonçait ainsi avoir commencé à produire de l’uranium enrichi à plus de 60 % et cette année, l’Agence internationale de l’énergie atomique indiquait, le 28 février 2023, avoir détecté à la sortie de l’usine souterraine iranienne de Fordo, des particules d’uranium enrichies à plus de 83 %, autrement dit, du matériau fissile apte pour des applications militaires. Les explications alambiquées de l’Iran expliquant qu’il s’agit de « fluctuations involontaires » ne trompent évidemment personne, même si officiellement l’objectif des centrifugeuses iraniennes reste toujours de fournir uniquement le combustible dont sa filière nucléaire civile a besoin.

Mahmoud Ahmadinejad, alors président iranien, visite les centrifugeuses de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz, en 2008. (photo © AP / Iranian President’s Office / Times of Israel)

Sauf que les stocks d’uranium enrichi accumulés en Iran sont désormais 18 fois supérieurs à la limite autorisée lors des accords de 2015. Alors que ces derniers préconisaient de ne pas dépasser un seuil d’enrichissement de 3,67 %, suffisant pour les besoins de la filière nucléaire civile, l’Iran dispose désormais d’au moins 435 kg d’uranium enrichi à plus de 20 % et de 87 kg à plus de 60%… Pas très rassurant quant à une possible utilisation militaire de ce matériau…

Rappelons au passage que s’il est nécessaire d’enrichir l’uranium c’est qu’à l’état naturel il est constitué pour l’essentiel de son isotope stable, l’uranium 238 alors que c’est sa forme isotopique 235U qui est fissile. Plus la proportion de ce dernier est forte, plus l’énergie émise par désintégration sera élevée, à volume identique. Dans les réacteurs nucléaires à eau pressurisée, on utilise généralement de l’uranium enrichi à 3,5 % (au lieu de 0,71 % à l’état naturel). Mais pour faire une bombe atomique où une certaine masse critique est nécessaire pour la réaction en chaîne, on vise plutôt des taux d’enrichissement autour de 90 %.

En France, les premiers réacteurs nucléaires mis en service, de type graphite gaz, relevaient de la filière à uranium naturel, faute justement de maîtrise ces techniques d’enrichissement. C’est en 1958 qu’a été construite en France, sur le site de Tricastin, dans la commune de Pierrelatte, la première usine d’enrichissement d’uranium. L’objectif visé était alors clairement la production d’uranium hautement enrichi à des fins militaires. Ces installations ont d’ailleurs été démantelées à partir de 1996, lorsque la France a renoncé officiellement aux essais nucléaires.

L’industriel Georges Besse, président du directoire d’Eurodif en 1974, ici le 9 janvier 1981, alors PDG de la COGEMA (photo © Pierre Clément / AFP / Radio France)

Mais dès 1972, la France, forte de cette expérience industrielle, propose à d’autres pays européens de s’associer, dans le cadre d’Eurodif, pour développer une filière d’enrichissement de l’uranium à des fins civiles. Georges Besse est nommé président d’Eurodif et c’est le même site de Tricastin qui est retenu en 1974 pour la construction d’une usine qui utilise alors le procédé de diffusion gazeuse pour séparer les isotopes 235U et 238U. Après l’assassinat en 1986 de Georges Besse par Action directe, le nom de ce dernier est donné à l’usine qui a fonctionné jusqu’en 2012.

En 2009, le groupe Areva a inauguré, toujours sur le site de Tricastin, une seconde usine d’enrichissement, mais qui utilise cette fois la technique de la centrifugation, qui présente l’avantage de consommer nettement moins d’énergie que la diffusion gazeuse. Ainsi 3 des 4 réacteurs nucléaires de Tricastin servaient exclusivement à alimenter en électricité la première usine d’enrichissement Georges Besse !

Vue aérienne du site d’Orano à Tricastin, qui s’étend sur 650 ha, à proximité de la centrale nucléaire d’EDF (photo © Orano / Le Dauphiné libéré)

La France ne maîtrisant alors pas la technique complexe de l’enrichissement par centrifugation, se tourne vers son concurrent anglo-américano-germano-néerlandais Urenco qui lui vend les brevets nécessaires. Après une montée en puissance progressive, le site a atteint depuis 2016 sa pleine capacité actuelle qui est de 7,5 millions d’UTS (une unité internationale qui permet de quantifier l’enrichissement isotopique). Une capacité correspondant à 12 % de la production mondiale d’uranium enrichi, qui place le Français Areva, devenu désormais Orano, en quatrième position mondiale, loin derrière le Russe Rosatom qui détient 30 % du marché mondial, suivi par Urenco et le Chinois CNNC, les autres producteurs, brésilien, indien et maintenant iranien, restant assez marginaux.

Cascade de centrifugeuses à l’usine Georges Besse II de Tricastin (photo © Orano / UARGA)

Or la crise ukrainienne a mis en évidence la forte dépendance du nucléaire européen et américain vis-à-vis de leur approvisionnement en combustible nucléaire dont près d’un tiers est importé de Russie et dont les prix ont plus que doublé, après le coup d’arrêt consécutif à l’accident de Fukushima. C’est pourquoi il est désormais envisagé de porter la capacité de production de l’usine de Tricastin de 7,5 à 10 millions d’UTS, moyennant un investissement colossal de 1,3 à 1,7 milliards d’euros à partir de 2024, sachant que ce même site de Tricastin est aussi retenu pour y implanter 2 tranches d’EPR. Orano envisage ainsi d’ajouter 4 nouvelles tranches de centrifugeuses aux 14 déjà implantées en cascade et qui tournent à plein régime 24 h sur 24.

Un projet ambitieux, mais qui risque de rendre moins audible la voix de la France lorsqu’elle s’associe aux sanctions internationales pour réduire les capacités iraniennes à enrichir son propre combustible nucléaire : concilier l’intérêt économique et le positionnement géopolitique nécessite parfois quelques contorsions…

L. V.

Chine-Russie : un rapprochement inquiétant ?

12 avril 2023

Emmanuel Macron vient de passer 3 jours en Chine, du 5 au 8 avril 2023. De quoi oublier momentanément cette calamiteuse réforme des retraites, bien mal engagée, qui dresse une bonne partie du pays contre lui. Des manifestations relayées dans le monde entier mais sur lesquelles les autorités chinoises se montrent plutôt discrètes faute d’avoir elles-mêmes lancé une telle réforme, dans un pays où l’âge de départ en retraite est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, alors que l’espérance de vie y est désormais, depuis 2022, supérieure à celle des États-Unis…

Le Président de la République française se rendait en Chine surtout pour raisons économiques, cherchant à pousser les pions des entreprises françaises très présentes dans ce pays, par rapport à certains de nos voisins européens, à défaut d’arriver à réindustrialiser la France… Mais il ambitionnait aussi de relancer le dialogue de la Chine avec le bloc européen, espérant même convaincre son homologue chinois de ne pas soutenir trop ouvertement l’offensive russe en Ukraine, n’hésitant pas à lui dire publiquement : « je sais pouvoir compter sur vous afin de ramener la Russie à la raison et mettre tout le monde à la table des négociations ».

Dialogue franco-chinois entre Xi Jinping et Emanuel Macron à Canton le 7 avril 2023  (photo © Jean-Claude Coutausse / Le Monde)

Un vœu pieux qui a manifestement laissé son interlocuteur de marbre. La Chine reste en effet convaincue que les malheurs de l’Ukraine sont la conséquence inévitable de la propension de l’OTAN à vouloir s’étendre à l’Est de l’Europe, menaçant directement les intérêts de son ami russe. L’adhésion récente de la Finlande à l’OTAN, ajoutant d’un seul coup 1300 km de frontières communes entre les pays de l’OTAN et la Russie, ne peut que renforcer cette conviction…

La démonstration de force de la Chine qui a débuté depuis le 8 avril des manœuvres militaires d’envergure simulant un encerclement total de Taïwan avec tirs à balles réelles, vise d’ailleurs clairement à exprimer la volonté chinoise d’imposer sa loi dans tout ce secteur géographique, en réaction à la rencontre récente de la présidente de Taïwan avec des parlementaires américains. La position chinoise a d’ailleurs été exprimée sans ambages par un porte-parole de l’Armée populaire de libération, indiquant qu’il s’agit de donner « un sérieux avertissement contre la collusion entre les forces séparatistes qui recherchent l’indépendance de Taïwan et les forces étrangères ».

Vladimir Poutine et Xi Jinping à Pékin le 4 février 2022 (photo © Alexei Druzhinin / Sputnik / Euronews)

Une position de fermeté qui fait largement écho à la situation ukrainienne et explique que la Chine n’ait jamais esquissé la moindre critique envers l’agression russe contre son voisin ukrainien, n’excluant même pas de lui livrer des armes létales, dont des drones kamikazes pour compléter ceux déjà fournis en masse par l’Iran. Une position qui semble donc marquer un net rapprochement entre ces deux grandes puissances, dans un sentiment commun anti-américain et plus largement anti-occidental, pas forcément très rassurant quant à l’avenir des relations internationales…

Un tel rapprochement n’allait pourtant pas de soi quand on se souvient que les deux pays s’affrontaient militairement en 1969. L’épisode, pourtant pas si lointain, est certes passé un peu sous les radars car l’Occident avait alors bien d’autres chats à fouetter. La France se relevait tout juste (déjà…) d’une période de troubles sociaux et de manifestations tandis que les États-Unis étaient (encore) empêtrés dans la guerre du Vietnam. La Chine était en pleine révolution culturelle et le monde baignait dans la guerre froide si bien que les journalistes occidentaux étaient alors aussi rares à Moscou qu’à Pékin…

L’île Zhenbao sur le fleuve Oussour, enjeu symbolique d’une guerre de frontière (photo © Wang Jianwei / AFP / Xinhua / Courrier international)

Toujours est-il que dans la nuit du 1er au 2 mars 1969, un groupe de 300 soldats chinois a tendu une embuscade à une patrouille de garde-frontières russes sur une petite île, située au milieu du fleuve Oussouri qui délimite la frontière entre les deux pays. Cet incident intervient alors à l’issue d’une période de dégradation sévère des relations entre les deux pays dont les divergences s’accumulent depuis les années 1950 et qui aboutit en 1964 à la rupture des relations entre le parti communiste chinois et son homologue soviétique. Dans la foulée, la Chine de Mao Zedong se met à soutenir les revendications japonaises sur les îles Kouriles et évoque une remise en cause des traités qui, au XIXe siècle, avaient acté la main mise de la Russie tsariste sur certains territoires chinois de Mandchourie.

Patrouille de gardes-frontières chinois sur l’île de Zhenbao (source © Chinanews / Asie 21)

Depuis une convention de 1860, c’est donc le fleuve Oussouri qui marque la frontière orientale entre la Chine et la Russie et la petite île de 70 hectares, connue d’un côté sous le nom de Zhenbao, et de l’autre de Damanski, s’est donc retrouvée au cœur de ce conflit frontalier entre deux puissances alors toutes deux détentrices de l’arme nucléaire. Le 2 mars 1969, 31 soldats russes sont ainsi abattus par les forces chinoises offensives. Le 14 mars, les Russes ripostent en envoyant des chars mais doivent battre en retraite face à l’armée chinoise en surnombre. Et le 15 mars, l’armée soviétique sort l’artillerie lourde en mobilisant ses lance-roquettes multiples Grad pour bombarder les positions militaires chinoises installées sur la petite île. Mais quelques mois plus tard, la guerre frontalière se rallume dans le Xinjiang, Brejnev menaçant même de déclencher l’arme atomique pour réduire à néant les installations militaires chinoises…

Un cessez-le-feu sera finalement signé entre les deux puissances se septembre 1969 et le bilan de cette guerre de frontières qui aurait pu dégénérer en Armageddon nucléaire reste incertain. Les sources nationales évoquent une soixantaine de morts côté soviétique et plus de 800 côté chinois mais les estimations de la CIA penchent plutôt pour un bilan d’au moins 20 000 soldats tués des deux bords. Il fallu en tout cas attendre 1991 pour que Boris Eltsine finisse par reconnaître la souveraineté chinoise sur la petite île de Zhenbao et la rende définitivement à son voisin : tout ça pour ça…  

L. V.

Sinistres sécheresse : une fissure dans la niche écologiste

10 avril 2023

Jeudi 6 avril 2023, c’était le jour des écologistes à l’Assemblée nationale ! Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, une journée par mois est réservée à un groupe parlementaire minoritaire qui a ainsi la faculté de gérer lui-même l’ordre du jour et de présenter ses propres propositions de lois. Mais attention : la séance débute à 9h et à minuit, comme dans l’histoire ce Cendrillon, le carrosse parlementaire se transforme en citrouille et les débats se clôturent impérativement. Tout ce qui n’a pas pu être débattu devra être reporté à une prochaine occasion. Il s’agit donc de bien choisir ses priorités, d’aller droit à l’essentiel et de croiser les doigts pour que les collègues ne fassent pas d’obstruction, ce qui n’est pas toujours gagné d’avance…

Ce mois-ci, c’était donc le tour du groupe Europe Écologie Les Verts, de prendre les commandes de l’Assemblée pour une journée. Ils avaient sans doute été un peu ambitieux, car la quasi-totalité des textes soumis ont été rejetés, la plupart ayant d’ailleurs déjà été largement détricotés voire totalement vidés de leur substance lors des débats préliminaires en commission. Exit ainsi l’interdiction des jets privés dont le ministre des transports (un ancien pilote !) ne voulait pas entendre parler. Exit aussi l’interdiction de chasser le dimanche qui n’a même pas été abordée en séance, les douze coups de minuit ayant sonné juste avant… Même l’interdiction des nitrites dans la charcuterie, pourtant destinée à répondre à un véritable scandale sanitaire qui perdure, n’a pas été audible.

Sandrine Rousseau à l’Assemblée nationale (photo © Fred Dugit / Le Parisien)

En définitive, la seule réelle avancée à l’issue de cette journée en vert à l’Assemblée, concerne un sujet très technique que l’on n’attendait pas forcément. Il s’agit de la gestion des sinistres liés au phénomène de retrait-gonflement des sols argileux. Il se trouve en effet que la députée Sandrine Rousseau avait co-signée avec une collègue Renaissance, Sandra Marsaud, un rapport d’information sur le sujet, déposé le 22 mars 2023. Le groupe écologiste a donc sauté sur l’occasion, pendant que le sujet était encore chaud, pour le traduire en proposition de loi.

Une précipitation qui n’a guère été appréciée par la majorité, dans la mesure où une loi vient tout juste d’être adoptée, en date du 28 décembre 2021, qui réforme en profondeur le régime des catastrophes naturelles et dont le titre III porte spécifiquement sur la prise en compte des sinistres liés au retrait-gonflement des sols argileux. Un premier décret d’application a été publié tout récemment, le 2 janvier 2023, précisant notamment la composition et le rôle de la future commission nationale consultative des catastrophes naturelles. Et une ordonnance publiée le 9 février 2023 réforme déjà en profondeur les modalités d’indemnisation de ce risque naturel tandis qu’une circulaire est annoncée d’ici l’été pour ajuster encore les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour ce type de sinistre, source de casse-tête pour ceux qui en sont victimes.

Taux de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sécheresse : depuis 10 ans, à peine une commune sur deux qui en fait la demande est reconnue (source © Rapport d’information parlementaire)

Prenant le train en marche, les Verts se sont donc empressés de faire adopter leur propre texte, histoire de s’emparer d’un sujet qui touche des millions de Français et qui est emblématique des effets attendus du réchauffement climatique. Cela leur a d’ailleurs plutôt bien réussi puisque la proposition de loi présentée a finalement été adoptée en première lecture par 115 voix pour et 9 contre, malgré les réticences du gouvernement qui s’inquiète d’une telle précipitation sur un sujet aussi complexe et pointe le surcoût potentiel pour les assurés qui pourrait atteindre 1 milliard par an…

Des maisons qui se fissurent sous l’effet des tassements différentiels des sols argileux, lors des périodes de sécheresse (source © Banque des Territoires)

Le sujet n’est pourtant pas nouveau puisque les premiers effets du retrait-gonflement des sols argileux sur la fissuration des bâtiments sont connus en France depuis la sécheresse de 1976 même s’ils n’ont été intégrés au régime d’indemnisation des catastrophes naturelles qu’à partir de 1989. Tout en sachant très bien que cette problématique n’a rien d’une catastrophe naturelle mais est simplement le révélateur des défauts de construction du bâti individuel dont les fondations sont souvent trop superficielles et la structure insuffisamment rigide pour encaisser des tassements différentiels même minimes.

 Dès 1997, le BRGM a entrepris de cartographier les zones exposées à ce risque, lié à la nature du sol. Cette carte, achevée en 2010 et actualisée en 2020, montre que près de la moitié du territoire national est soumis à un risque moyen à fort. Sur 19,4 millions de maisons individuelles recensées en France, plus de 10 millions sont potentiellement concernées, dont plus de 3 millions en zone d’aléa fort, comme c’est le cas sur une bonne partie du territoire de Carnoux-en-Provence.

Carte d’aléa retrait-gonflement des sols argileux de Carnoux-en-Provence (source © georisques)

De fait, cette sinistralité coûte chaque année en moyenne depuis 2016, plus de 1 milliard d’euros aux assurances et ce montant a même plafonné à 2,3 milliards pour la seule année 2003. Un record qui risque de tomber très prochainement suite à la sécheresse catastrophique de l’an dernier pour laquelle les estimations en cours évoquent des chiffres pouvant aller jusqu’à 2,9 milliards ! Et l’absence de pluies de cet hiver ne laisse pas forcément augurer une situation plus favorable pour 2023…

C’est pourquoi depuis 20 ans les rapports s’enchaînent sur ce sujet explosif. Celui publié par la Cour des Comptes en février 2022 n’en est qu’un exemple parmi d’autres et a d’ailleurs largement inspiré les réflexions de Sandrine Rousseau et Sandra Marsaud qui insistent surtout sur la nécessité d’adopter des critères de reconnaissance plus souples pour reconnaitre l’état de catastrophe naturelle qui ouvre la voie à l’indemnisation des sinistres de ce type.

Carte d’exposition au risque de retrait-gonflement des sols argileux en France (source © BRGM)

Les critères utilisés jusqu’à présent visent à identifier une période trimestrielle de déficit hydrique exceptionnelle de période de retour évaluée à 25 ans alors que la proposition de loi adoptée en séance voudrait la réduire à 10 ans, comme pour les inondations, tout en évaluant la sécheresse des sols non plus par trimestre mais sur toute l’année. Dans un contexte de changement climatique où l’on sait que ce type de configuration devient, chaque année, plus fréquent, cela facilitera sans conteste l’indemnisation des sinistrés, d’autant que le texte prévoit désormais l’automaticité de l’indemnisation dès lors que la commune est reconnue en état de catastrophe naturelle, sauf à ce que l’expert apporte la preuve d’une absence de lien de causalité.

Mais le surcoût d’une telle évolution ne sera pas anodin, dans un régime d’indemnisation des catastrophes naturelles déjà très fragilisé puisque les réserves de la Caisse centrale de réassurance (garantie par l’État) qui dépassaient les 4 milliards d’euros en 2016 sont retombées depuis à 2 milliards, ce qui ne sera peut-être pas suffisant pour régler la facture de la sécheresse 2022, sans même parler des conséquences des autres risques naturels. De quoi être inquiet en cas de survenue d’une catastrophe majeure comme une crue de la Seine à Paris ou un séisme à Nice !

Des fondations superficielles mal réalisées, souvent à l’origine de pathologies ultérieures sur des maisons individuelles… (source © Guide La pathologie des fondations superficielles, 2014 / Agence qualité construction / CSTB)

Certes, la loi ELAN a rendu désormais obligatoire depuis le 1er janvier 2020 une étude de sol lors de la vente d’un terrain à bâtir dans les zones cartographiées comme présentant un aléa fort à moyen de retrait-gonflement des sols argileux. Certes, la responsabilité du constructeur est engagée si des fissures apparaissent sur une maison nouvellement construite, mais uniquement dans les limites de sa garantie décennale. Or les dégâts structurels sérieux n’interviennent généralement que plus tard, à l’issue de plusieurs cycles de sécheresse prononcée. C’est pourquoi cette sinistralité pèse principalement sur la garantie liée aux catastrophes naturelles, ce qui n’incite guère les constructeurs à s’en prémunir sérieusement. A quand des contrôles techniques systématiques sur les chantiers de construction de maisons individuelles ?

L. V.

Finlande : le pays du bonheur ?

7 avril 2023

Cela paraît incroyable mais c’est pourtant ce qu’il ressort de la dernière édition du World Hapiness Report, une enquête très sérieuse dont l’ONU vient de dévoiler les résultats officiels à l’occasion de la dernière Journée mondiale du bonheur qui s’est tenue le 20 mars 2023 ! Pour la sixième année consécutive, la Finlande arrive en tête des pays les plus heureux du monde !

Bien évidemment, comme toute enquête de ce type, il s’agit de résultats statistiques, issus principalement de sondages effectués par l’institut américain Gallup, mais dont les résultats sont analysés de manière très approfondie par des spécialistes de l’ONU, eux-mêmes accompagnés d’une brochette de chercheurs très pointus issus des meilleures universités du monde : le bonheur sur terre est une notion trop importante pour la prendre à la légère…

Une cabane dans les bois au bord d’un lac en Finlande : la recette du bonheur… (photo © Gil Katrin Lillenthal / EyeEm – Getty Images / RTBF)

Cette étude annuelle en est d’ailleurs à sa dixième édition et ce classement, bien que nécessairement subjectif, traduit néanmoins la manière dont les habitants des 156 pays qui ont été interrogés se positionnent par rapport à cette notion de bonheur qui est évalué au travers d’une flopée de questions. Pour chacun des pays pris en compte, ce sont au moins 1000 personnes qui ont ainsi été interviewées, selon un échantillon jugé représentatif de la population dans sa diversité, qu’elle vive en ville ou en milieu rural et quel que soit son niveau social. Les résultats quant à eux sont établis en faisant la moyenne des trois dernières années, ce qui explique en partie une certaine stabilité du classement final.

Toujours est-il que les Finlandais apparaissent bel et bien comme le peuple le plus heureux de la Terre, et ceci malgré la menace que fait peser sur ce petit pays scandinave de 5,5 millions d’habitant le voisinage avec la Russie et ses velléités à venir régulièrement envoyer ses blindés de l’autre côté de ses frontières. Colonisée par un autre de ses voisins, la Suède, à partir du XIIIe siècle, la Finlande a subi sa première occupation russe dès 1497. Victime au XVIIe siècle de la Grande guerre du Nord entre Suédois et Russes, la Finlande voit disparaître la moitié de sa population victime de la famine, tandis que la plupart de ses intellectuels, prêtes et fonctionnaires, fuient le pays et les troupes d’occupation.

Le sauna finlandais, une des composantes du bonheur scandinave ? (source © Visit Finland)

Rattachée à la Russie en 1809, la Finlande ne retrouvera son indépendance qu’en 1917, à l’occasion de la révolution bolchévique. Mais elle devra céder une partie de son territoire à l’URSS au cours de l’hiver 1939-40 avant de s’allier aux armées hitlériennes puis de se retourner contre ces dernières en 1944. Le pays échappe de peu à une annexion pure et simple par l’URSS en 1947 et tente de maintenir depuis une certains neutralité même si sa politique étrangère est restée longtemps subordonnée au joug soviétique. Il a fallu l’invasion russe en Ukraine, en 2022, pour que la Finlande se décide enfin à franchir le pas et à demander son adhésion à l’OTAN, qu’elle vient tout juste de rejoindre officiellement, le 4 avril 2023.

Sanna Marin, Première Ministre de Finlande, ici à Helsinki le 1er novembre 2022 (photo © Kimmo Brandt / EPA-EFE / Euractiv)

Un tel contexte géopolitique pourrait être de nature à créer un climat plutôt anxiogène. Mais c’est mal connaître les Finlandais ! On a vu ainsi la Première ministre finlandaise, une jeune femme brillante de 36 ans, Sanna Marin, présidente du parti social-démocrate finlandais depuis août 2020, s’amuser avec ses copains lors d’une soirée festive dont les vidéos ont malencontreusement fuité en août 2022. De quoi déclencher une belle polémique en pleine guerre russo-ukrainienne ! Mais la dirigeante assume sans complexe en déclarant : « « J’ai une famille, un travail et parfois un peu de temps durant lequel je profite de mes amis. (…) Et je vous le confirme : j’ai dansé et j’ai chanté, j’ai pris mes amis dans mes bras et bu de l’alcool ».

Un incident qui d’ailleurs n’altère en rien sa grande popularité, comme le confirme l’analyse du journal Iltalehti, considérant qu’elle « est la personnalité politique la plus importante du pays, qu’elle dirige la Finlande durant l’une des crises les plus terribles de son époque du fait des envies guerrières de la Russie et elle trouve quand même le temps de s’amuser ». Le titre ajoute : « Décontractée, moderne et confiance, c’est comme cela que la politique fonctionne. Sanna Marin incarne la génération ’cool’ et c’est clairement ce que Poutine n’est pas. »

Sanna Marin, Première Ministre de Finlande, en visite à Kiev aux côtés du Président ukrainien Volodymyr Zelinsky, le 10 mars 2023 (photo © Kimmo Brandt / EPA-EFE / Euronews)

Comme quoi, en Finlande, on peut être très professionnel et savoir se détendre quand on referme ses dossiers. Ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché de perdre d’un cheveu les toutes récentes élections législatives qui se sont tenues dimanche 2 avril 2023 et qui ont vu son parti social-démocrate s’incliner d’un rien derrière son rival du centre-droit et derrière le parti anti-immigration et eurosceptique des Finlandais, tous les trois au coude à coude. Mais elle a reconnu avec le sourire sa défaite en félicitant avec chaleur ses challengers…C’est peut-être cela le recette du bonheur finlandais, un pays où la durée hebdomadaire de travail est de 40 heures et l’âge minimum de départ en retraite fixé à 63 ans, mais où chacun quitte le bureau le vendredi à 16h pour se retrouver en famille et souvent se ressourcer en forêt, au bord d’un des multiples lacs que compte le pays.

Passer du temps en famille, une possibilité pour les jeunes Finlandais grâce à une politique familiale plutôt généreuse (photo © Tina & Geir / Photonnonstop / Le Monde)

En Finlande, les espaces naturels sont largement préservés et l’accès à la nature est libre, chacun pouvant y pratiquer à sa guise le camping, la cueillette de champignons, le ski ou la randonnée. Bon équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, pas trop de soumissions aux injonctions contraignantes et un accès aisé à des espaces naturels de qualité, qui ne serait pas heureux dans un tel contexte ?

Faire du kayak sur les eaux claires d’un lac finlandais et planter sa tente pour la nuit, un petit bonheur simple à savourer… (source © TRVLR)

En tout cas, la France arrive assez loin derrière, dans ce classement des pays où l’on est le plus heureux, loin derrière les autres pays scandinaves, mais aussi la Suisse, l’Australie, le Canada et même les États-Unis qui sont en quinzième position. Certes, le Japon est à la 47e place et la Russie à la 70e, derrière la Chine qui se classe en 64e position, mais encore loin devant bien des pays africains ou l’Afghanistan, en queue de peloton. En matière de bonheur, tout est relatif et globalement les Français ne sont donc pas si malheureux que cela. Peut-être leur manque-t-il juste cette capacité des Finlandais à se contenter des plaisirs simples de la nature ?

L. V.

Israël : Netanyahou s’en prend à la démocratie

5 avril 2023

Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou serait-il devenu une menace contre la démocratie dans son propre pays ? C’est en effet ce que beaucoup affirment, et non sans de sérieuses raisons ! Même son homologue américain, pourtant allié indéfectible de l’État israélien depuis toujours, s’est ému des dernières attaques ouvertes du gouvernement de Netanyahou, le plus à droite que le pays ait jamais connu, contre l’État de droit et les libertés individuelles. Fin mars, Joe Bident a ainsi déclaré sans ambages : Israël « ne [peut] pas continuer sur cette voie et je pense que je me suis fait comprendre » avant de préciserque les États-Unis ne prévoyaient pas « à court terme » de visite de Benyamin Netanyahou, persona non grata, à la Maison Blanche…

Benyamin Netanyahou, président du Likoud depuis 1993 et Premier ministre d’Israël pour la sixième fois de sa carrière depuis 1996 (photo © Ronen Zvulun / AFP / le JDD)

Alors que les Français en sont en leur dixième manifestation contre le projet de report de 2 ans de l’âge minimum de départ en retraite, les Israéliens viennent de manifester samedi 1er avril 2023 pour la treizième semaine consécutive, contre le projet de réforme constitutionnelle du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Un projet qui vise, ni plus ni moins, qu’à annihiler le contrôle qu’exerce encore la Cour suprême israélienne sur les décisions de l’exécutif.

Des milliers de manifestants se rassemblent chaque samedi depuis 13 semaines désormais, dans les grandes villes d’Israël pour protester contre le projet de réforme constitutionnelle (photo © Jack Guez / AFP / Sud Ouest)

Un véritable coup d’État judiciaire dans un pays qui ne possède pas de constitution, ni de droit de véto présidentiel, ni de chambre haute permettant de jouer les contre-pouvoirs. En Israël, le gouvernement est directement issu du Parlement, la Knesset, et décide donc en accord avec les députés. Dans un tel système, le seul contre-pouvoir institutionnel qui existe est donc celui de la Cour suprême, chargée de veiller à ce que les textes législatifs respectent les lois fondamentales de l’État, assurant ainsi de fait et en dernière instance, un contrôle sur les principales décisions administratives et judiciaires.

Or Benyamin Netanyahou s’est mis en tête de contourner ce pouvoir en permettant à la Knesset d’annuler à la majorité simple toute décision de la Cour suprême qui ne lui conviendrait pas. En parallèle, il souhaite limiter l’indépendance de ce pouvoir judiciaire en nommant lui-même certains de ses membres, jusqu’à présents élus par des juges.

La Knesset, le parlement israélien (source © Torah box)

Les raisons d’un tel projet sont évidentes et le gouvernement ne s’en cache guère. Il s’agit même pour Benyamin Netanyahou, sous le coup de multiples accusations pour corruption, d’une question de survie politique, ce qui explique son acharnement à ne rien lâcher sur ce projet qui rencontre pourtant une forte hostilité. Outre les milliers de manifestants qui défilent régulièrement dans les rues, même l’armée commence à tousser. Mi-mars 2023, des centaines de réservistes et membres des unités d’élites ont menacé de se retirer si la réforme était adoptée. Une menace si sérieuse que le 26 mars, le ministre de la Défense a cru bon d’annoncer une suspension temporaire du projet. Mais il a été aussitôt désavoué par le chef du gouvernement qui l’a limogé dans la foulée !

Les membres de l’actuel gouvernement de Benyamin Netanyahou, lors de leur investiture le 29 décembre 2022 (photo © Yonatan Sindel / Flash 90 / The Times of Israel)

Même le secteur économique, très dépendant des investisseurs étrangers commence à trouver que la plaisanterie a assez duré en constatant que cette réforme anti-démocratique fait jaser auprès des partenaires et notamment des fonds d’investissements de plus en plus sensibles aux critères de bonne gouvernance… Fin mars, le principal syndicat du pays a appelé à la grève générale et on a vu plusieurs entreprises fermer et encourager leurs salariés à aller manifester contre le gouvernement ! Du jamais vu en Israël alors que la monnaie est à son cours le plus bas depuis 3 ans.

Le ministre des finances israélien ultranationaliste, Bezalel Smotrich, ici à Sderot en octobre 2022 (photo © Gil Cohen-Magen / AFP / BFM TV)

De quoi inquiéter le pouvoir en place qui se heurte à une opposition de plus en plus massive d’une partie de la population, inquiète des dérives du gouvernement Netanyahou contre la démocratie mais aussi contre la laïcité et le droit des minorités. Les ultraorthodoxes fondamentalistes et les ultranationalistes avec qui Netanyahou s’est allié pour constitué son gouvernement, ne cachent en effet pas leurs intentions, estimant qu’Israël est d’abord et avant tout un État juif et que la démocratie n’en est pas une composante essentielle. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ouvertement raciste et qui appelle régulièrement à raser des villages palestiniens gênant la colonisation juive, affirmait ainsi encore récemment que « le peuple palestinien est une invention » tandis que ses collègues ultraorthodoxes ne cachent pas qu’à leurs yeux, les femmes n’ont pas vocation à bénéficier des mêmes droits que les hommes : c’est dit…

Contre la Justice, tous les moyens sont bons quand on est au pouvoir : un dessin signé Chappatte, publié le 7 juin 2021 dans NZZ am Sonntag, Zurich

Voilà en tout cas une dérive qui fait désordre mais jusqu’à présent Benyamin Netanyahou s’accroche à son projet de réforme car il sait que c’est le seul moyen pour lui d’échapper à la Justice qui le poursuit pour corruption, fraude et abus de confiance. Il est notamment accusé de corruption depuis 2016 pour avoir reçu des cadeaux pour une valeur de 1 millions de shekels, mais aussi, pour avoir tenté à plusieurs reprises de négocier des accords secrets avec des médias pour s’assurer une couverture favorable. Un homme d’affaire franco-israélien lui aurait aussi versé un don de 1 million d’euros en 2016 pour payer sa campagne électorale en infraction avec la loi. Il est inculpé depuis 2019 alors même qu’il était déjà premier ministre, fonction qu’il a exercé pour la première fois en 1996 et à laquelle il s’agrippe désespérément, pour ne pas tomber.  Un exemple de plus de ces dirigeants politiques peu scrupuleux mais capables de tout pour se maintenir au pouvoir, n’hésitant pas à tripatouiller les fondements juridiques de leur pays pour assurer leur propre immunité. Toute ressemblance avec un certain Nicolas Sarkozy serait naturellement purement fortuite…

L. V.

Va-t-on un jour interdire les piscines ?

3 avril 2023

Alors que toute la France ne parle plus, depuis des mois, que des fameuses bassines, ces réserves de substitution que les agriculteurs, surtout dans l’ouest de la France, voudraient implanter partout pour pouvoir continuer tranquillement à irriguer en été, même lorsque les nappes sont au plus bas et les rivières à sec, voilà que l’on commence à s’interroger sur l’impact des piscines privées sur la gestion de la ressource en eau.

Emmanuel Macron lui-même, pourtant peu connu pour son souci de préservation de l’environnement, a tenu à insister, lors de son allocution sur les bords du lac de Serre-Ponçon, ce jeudi 30 mars 2023, sur la nécessité de diminuer le gaspillage de l’eau et de n’utiliser qu’avec parcimonie cette ressource de plus en plus rare.

Emmanuel Macron en déplacement sur les bords du lac de Serre-Ponçon le 30 mars 2023, à Savines-le-Lac (photo © Sébastien Nogier / AFP / Le Monde)

Il est vrai que ce dernier hiver a été particulièrement sec avec 32 jours sans aucune pluie en France, et des niveaux de nappe qui sont presque partout très en dessous de leur niveau habituel à cette période de l’année. Une dizaine de départements français sont d’ores et déjà en situation de vigilance voire de vigilance renforcée. La commune de Carnoux-en-Provence, comme 18 autres dans le bassin de l’Huveaune, est même passée en situation de crise depuis le 21 mars 2023, ce qui est exceptionnel à cette saison, et le remplissage des piscines y est donc désormais interdit.

Dans le Var voisin, 9 communes du Pays de Fayence, ont récemment défrayé la chronique lorsque leurs maires ont annoncé qu’il serait désormais totalement interdit d’y construire une piscine, et ceci pour une durée d’au moins 5 ans à compter de février 2023. Ces communes s’interrogent fortement sur la pérennité de leurs ressources en eau et préfèrent donc limiter les besoins en n’accordant plus de permis de construire pour de nouvelles piscines, estimant que ce n’est pas un usage prioritaire.

Qui ne rêve d’une belle piscine privative dans son jardin ? (source © Dffazur Piscines / Côté Maison)

Il faut dire que jamais les Français n’ont aménagé autant de piscines privatives ! Dans les années 2000, la France ne comptait que 700 000 piscines. Mais selon les derniers chiffres de la Fédération française des professionnels de la piscine et du spa, on dénombre désormais plus de 3,2 millions de piscines installées, se partageant sensiblement à parts égales entre piscines enterrées et piscines hors-sol. Rares sont les secteurs économiques qui peuvent se vanter d’une expansion aussi rapide… A défaut de se réindustrialiser, la France s’adonne aux joies de la natation : chacun ses priorités ! D’ailleurs, la France peut s’enorgueillir d’être le pays au monde qui compte le plus de piscines privées, derrière les États-Unis quand même…

Lotissement de maisons individuelles avec piscines dans les Bouches-du-Rhône (source © le JDD)

Et la région PACA concentre une grande partie de ces piscines installées sur les terrains de particuliers. Le département du Var, à lui seul, détient plus de 100 000 piscines privatives, soit quasiment une pour trois maisons individuelles et dans certains lotissements, chaque maison possède sa piscine. Et encore, toutes ne sont pas déclarées comme viennent de le confirmer les services fiscaux qui mènent depuis 2021 une expérimentation dans plusieurs départements et qui va être généralisée à tout le territoire national : en exploitant via l’intelligence artificielle des photos aériennes récentes, ils ont ainsi pu repérer plus de 20 000 piscines clandestines, dont 12 000 uniquement dans le Var et les Bouches-du-Rhône ! De quoi faire rentrer près de 10 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires pour les collectivités locales…

Remplir sa piscine peut devenir un luxe discutable en période de pénurie d’eau  (photo © Franck Boileau / La Montagne)

Une piscine consommerait en moyenne 15 m3 d’eau par an, destiné pour l’essentiel à refaire régulièrement les niveaux pour compenser ce qui est perdu par évaporation et chaque fois que les enfants facétieux s’amusent à faire la bombe dans le bassin. Sachant qu’un ménage français consomme en moyenne de l’ordre de 120 m3 d’eau par an, le ratio n’est donc pas totalement négligeable. En période de restriction d’eau, maintenir à niveau toutes ces piscines pour veiller à entretenir une bonne qualité de l’eau, finit donc par nécessiter des volumes conséquents, surtout si en parallèle on souhaite maintenir bien vert le gazon qui borde la piscine !

Une piscine privée correspond-elle bien à un besoin prioritaire quand la ressource en eau se fait rare ? Un dessin signé Phil, publié en juillet 2021 (source © les Dernières nouvelles d’Alsace)

C’est d’ailleurs ce qui explique certaines disparités locales importantes dans la consommation d’eau des ménages : un habitant des Alpes-Maritimes consomme ainsi en moyenne 238 litres par jour, alors que cette consommation n’est que de 148 litres en moyenne sur l’ensemble du territoire national, et ce n’est sans doute pas l’eau qu’il verse dans son pastis qui peut expliquer à elle-seule un tel écart…

L. V.

Bellegarde : des chevaux de Camargue du Magdalénien

1 avril 2023

La découverte remonte à 2016, mais elle vient tout juste d’être rendue publique en cette fin du mois de mars 2023. C’est en effet en triant et en nettoyant des objets récoltés à l’occasion de fouilles lancées en 2015 par l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) et qui avaient alors duré près d’un an, que les archéologues sont tombés sur des fragments de dalles calcaires gravées dont deux en particulier sont ornées de têtes de chevaux vus de profil, dont on distingue nettement les yeux, les oreilles, les naseaux et la crinière.

Tête de cheval gravée datant du Magdalénien, découverte à Bellegarde (photo © Pascal Guyot / AFP / France TV info)

Ces gravures qui pourraient paraître anodines ne le sont pas puisqu’elles sont datées du Magdélénien, 22 000 ans avant notre ère, et sont donc contemporaines des peintures de la grotte Lascaux. De telles représentations de têtes de cheval de cette époque du Paléolithique sont d’ailleurs extrêmement rares, surtout dans le sud-est de la France, d’où l’importance de cette découverte. D’autant que les chevaux en question sont de fait des chevaux de Camargue car ces objets sont issus d’une fouille qui a eu lieu sur la commune de Bellegarde, dans le Gard, sur les premiers contreforts des Costières de Nîmes, en vue de l’extension du centre de traitement et de stockage de déchets industriels qui domine la plaine de la Crau à son extrémité ouest.

Ce site est parfaitement visible quand on emprunte l’autoroute A54, à peu près à mi-chemin entre Arles et Nîmes. Après avoir traversé toute la plaine de la Crau, puis le canal Philippe Lamour, on aperçoit sur la gauche, à flanc de coteau ces immenses installations de stockage qui reçoivent chaque année plus de 200 000 tonnes de déchets spéciaux, issus du BTP et de l’industrie, en sus des ordures ménagères du secteur qui y sont enfouies. Il n’existe que 13 centres de ce type en France, capables de traiter ainsi des déchets potentiellement dangereux, parfois amiantés, qui sont stockés dans des alvéoles rendues totalement étanches par des géomembranes imperméables, lesquelles reposent sur un terrain naturellement très favorable car argileux sur environ 200 m d’épaisseur.

Centre d’enfouissement technique de classe 1 géré par Suez environnement à Bellegarde, ici en 2019 (photo © Kathy Hanin / Midi Libre)

Le site est connu de longue date car une carrière des Ciments Calcia, située à proximité, y exploite justement ces matériaux argileux depuis 1923. Le centre d’enfouissement de déchets, géré par Suez Environnement, date quant à lui de 1979 et devrait permettre à terme, d’ici 2039 a priori pour les déchets dangereux et jusqu’en 2046 pour les ordures ménagères, de stocker de l’ordre de 4 millions de m3 de déchets ultimes tout en produisant du biogaz grâce à une usine installée sur site.

Mais ce n’est probablement pas pour les qualités géologiques de son sous-sol argileux, si propice au stockage de déchets industriels, que nos lointains ancêtres se sont installés ici. C’est plus vraisemblablement pour la vue imprenable qu’ils avaient sur la plaine de Crau en contrebas depuis les contreforts de ce plateau. Un lieu de halte idéal pour ces populations alors nomades et qui pouvaient donc observer tout à loisir les hordes de chevaux sauvages s’ébattant dans la steppe aride qu’était alors la Crau.

Fouilles de l’INRAP à Bellegarde en 2016 (photo © Rémi Benali / AFP / Midi Libre)

Au cours des fouilles réalisées en 2016, ce sont pas moins de 100 000 objets que les archéologues ont récolté sur ce site particulièrement riche : silex taillés, ossements d’animaux ou parures de coquillages, témoignant d’une occupation très ancienne et quasi ininterrompue depuis plus de 20 000 ans avant notre ère et jusqu’au XVIe siècle. Ils ont aussi mis à jour, dans un niveau plus récent, daté d’environ 16 000 ans avant J.-C., une autre gravure interprétée comme une vulve féminine, assez comparable à une œuvre du même type retrouvée dans la grotte de Cazelle en Dordogne.

Partie souterraine des vestiges de l’ancien aqueduc romain sur le territoire de Bellegarde (source © Commune de Bellegarde)

Voilà en tout cas un nouveau point d’attrait pour la commune de Bellegarde, située au cœur d’un triangle entre Nîmes, Arles et Beaucaire et qui disposait déjà des vestiges d’un remarquable aqueduc romain, construit au premier siècle de notre ère. Il prenait l’eau dans des sources situées sur le plateau à proximité du village et longeait la costière avec une partie de son tracé en souterrain avant de descendre dans la plaine au niveau de la draille des Arcs, où se retrouvent les derniers vestiges de la partie aérienne de l’ouvrage antique. Au vu des capacité de l’ouvrage, il alimentait probablement le quartier romain de Trinquetaille à Arles, et aurait fonctionné jusque vers l’an 400.

Bien des siècles plus tard, lorsque la ville de Nîmes alors en pleine expansion réfléchit à son tour à accroitre ses capacités d’alimentation en eau potable et envisage sérieusement de remettre en service  l’ancien captage romain et l’aqueduc du pont du Gard qui acheminait jadis l’eau d’Uzès jusqu’à la Nemausus romaine. En 1847, un certain Aristide Dumont, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, rédige un mémoire préconisant plutôt de capter les eaux du Rhône. Un projet qu’il défendra toute sa vie et qui consiste à creuser un immense canal d’irrigation depuis Lyon, longeant le Rhône en rive gauche pour irriguer les plaines de l’Isère et de la Drôme avant de traverser en rive droite par un siphon pour alimenter Nîmes et les plaines de la Narbonnaise.

Philippe Lamour (à droite) avec le général de Gaulle le jour de l’inauguration de la station de pompage Aristide Dumont en 1960 (source © archives BRL / F. Pervenchon / Midi Libre)

L’ouvrage controversé ne verra pas le jour mais un siècle plus tard, l’idée est reprise par Philippe Lamour, un avocat séduit par le fascisme mais opposant frontal à Hitler et au régime de Vichy. Cet intellectuel de haut vol s’installe justement à Bellegarde pendant la guerre pour y se reconvertir dans l’agriculture. Il participe d’ailleurs à la fondation de la FNSEA, devient président de la Chambre d’agriculture du Gard et lance en 1949 l’appellation des Vins de qualité supérieure (VDQS) qui intègre le terroir alors dénommé Costières du Gard, lequel deviendra en 1989 une AOC sous le nom de Costières de Nîmes.

Tronçon du canal Philippe Lamour avec la station de pompage Aristide Dumont en limite sud de la commune de Bellegarde, qui élève les eaux du canal sur le plateau de la costière (source © Commune de Bellegarde)

Dès 1946, Philippe Lamour milite pour le creusement d’un canal prenant l’eau dans le Rhône au nouveau de Fourques et reprenant à partir de là l’essentiel du tracé des projets d’Aristide Dumont. En 1955, il prend la présidence de la toute nouvelle Compagnie Nationale d’Aménagement de la Région du Bas-Rhône et du Languedoc, plus connue désormais sous le nom de BRL. La station de pompage qui alimente le nouveau canal, située sur la commune de Bellegarde porte d’ailleurs le nom d’Aristide Dumont, tandis que le canal, qui serpente à travers toute la Camargue jusqu’aux portes de Montpellier, est désormais dénommé Philippe Lamour…

L. V.