Archive for avril 2021

TeamLab : la technologie au service de l’art

28 avril 2021

La frontière entre l’art et la technologie est de plus en plus ténue et certains œuvrent pour la faire carrément disparaître ! C’est notamment le cas du Japonais Toshiyuki Inoko, ingénieur de formation, qui, en 2001, fondait avec plusieurs anciens camarades de l’université de Tokyo le collectif TeamLab. Son objectif : « libérer l’art des contraintes physiques ». Ce groupe pluridisciplinaire composé d’artistes mais aussi d’ingénieurs, d’informaticiens, de spécialistes de l’imagerie numérique, de mathématiciens et d’architectes s’est ainsi fait connaître depuis 2011 par plusieurs expositions dans le monde entier, plongeant le visiteur dans un univers poétique et irréel qui évolue de manière interactive.

Un environnement de lampes magiques au Mori Building Digital Art Museum teamLab de Tokyo (photo © TeamLab / The nomadic panda)

On est bien loin de l’art classique, figé et académique. Les œuvres de TeamLab, grâce à de complexes algorithmes, font entrer dans un univers onirique où le spectateur a l’impression de s’extraire des contingences de notre monde matériel pour pénétrer dans l’œuvre elle-même et interagir avec elle puisque celle-ci évolue en fonction de ses propres mouvements. Un art qui permet de s’abstraire des frontières du réel, en réponse au souhait de son fondateur qui l’exprime ainsi : « j’aimerais que cet espace soit un lieu où l’on puisse se rappeler que les frontières n’existent pas dans notre monde ».

Cascade virtuelle au Mori Building Digital Art Museum teamLab de Tokyo (source © Japan Kudasai)

Rien d’étonnant donc que le collectif ait appelé son propre musée le Digital Art Museum TeamLab Borderless, justement pour rappeler ce souhait de dépasser les frontières. Ouvert en juin 2018 dans le quartier quelque peu futuriste d’Odaiba, à Tokyo, en collaboration avec le promoteur japonais innovant Mori Building, ce premier espace muséal s’étend sur un hectare et rassemble une cinquantaine d’œuvres interactives. Mobilisant 520 ordinateurs et 470 projecteurs, mais aussi plusieurs centaines de techniciens hautement qualifiés qui s’activent en coulisses, cette cathédrale d’images géante constitue une véritable prouesse technologique car les images projetées ne sont pas préenregistrées mais réalisées en temps réel pour interagir avec les visiteurs qui y pénètrent !

Au milieu des nénuphars virtuels au Mori Building Digital Art Museum teamLab de Tokyo (photo © Behrouz Meri / AFP / France TV Info)

Le visiteur passe d’une salle à l’autre et se retrouve plongé dans des univers oniriques et lumineux qui changent en permanence. Il se retrouve environné de nuées de papillons qui meurent quand on les touche, se perd dans une forêt de lampes, traverse des champs qui changent d’aspect à vue d’œil, se retrouve sous une averse de pluie lumineuse, se perd au milieu de ballons virtuels multicolores, fait du trampoline dans un décor féerique et changeant.

Une expérience déconcertante, qui bien sûr attire les foules de curieux. Dès la première année d’ouverture, le musée a reçu pas moins de 2,3 millions de visiteurs, soit davantage que le musée Van Gogh à Amsterdam et plus du double que le musée Picasso à Barcelone ou que le musée Dali à Figueras… De quoi inquiéter les tenants de l’art académique qui peinent à attirer autant !

Un musée les pieds dans l’eau, au teamLab Planets (source © Moshimoshi)

Un succès tel que TeamLab a ouvert depuis un autre musée à Shanghaï en 2019 et a créé de multiples expositions dans le monde, dont une à La Vilette en septembre 2018, mais aussi une exposition permanente à Tokyo toujours ouverte, intitulée TeamLab Planets. On y pénètre pieds nus, ce qui permet de marcher dans l’eau sous une cascade virtuelle, mais aussi d’apprécier le moelleux d’une salle recouverte de coussins géants qui changent de volume au fur et à mesure que l’on s’affale dessus. Plongés dans l’eau jusqu’aux genoux, les visiteurs se retrouvent en immersion totale dans un aquarium géant, entouré de carpes koï virtuelles, tandis que, dans une autre salle, ils jouent à cache-cache au milieu de gros ballons gonflés à l’hélium. Une expérience immersive qui, elle-aussi, a connu une immense succès avec plus de 1,2 millions de visiteurs en un an !

Maquette de Tokyo réalisée par Mori Building (extrait de video © La Presse)

Des expériences que le promoteur Mori Building, sponsor du TeamLab Borderless, vient de prolonger en créant une immense maquette en 3 dimensions qui représente une grande partie de la ville de Tokyo à l’échelle 1/1 000. De dimensions imposantes (15 m de large pour 24 m de long), cette maquette impressionnante de réalisme présente la particularité de pouvoir être illuminée par une trentaine de projecteurs, ce qui permet de la transformer en carte géante particulièrement pédagogique, pour visualiser aussi bien la topographie que la densité de population ou le tracé du réseau de transports publics. Un outil de choix pour visualiser les défis de la mégapole de demain et guider les choix d’aménagement de la capitale japonaise, mais aussi une attraction particulièrement spectaculaire qui ne peut que fasciner le non professionnel.

L. V.

Katulu ? n°62

26 avril 2021

Après quelques mois de silence, le cercle de lecture Katulu ? rattaché au Cercle Progressiste Carnussien vient de sortir une nouvelle compilation de notes de lecture de ses membres qui ont servi d’échange au cours des séances de l’année 2020. De quoi retrouver ou découvrir une quinzaine d’œuvres qui ont retenu l’attention de nos amis lecteurs de Katulu ? et les ont accompagnés en période de confinement.

Retrouvez l’intégralité des notes de lecture de ces livres (katulu_62). Si vous aussi vous avez envie d’échanger en toute convivialité autour de vos derniers coups de cœur de lecteur, venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence !

Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

Jean Paul Dubois

Cela fait deux ans que Paul Hansen purge sa peine dans la prison provinciale de Montréal, où il partage une cellule avec Horton, un Hells Angel (un ange de l’enfer : un club de motards) incarcéré pour meurtre. Paul est le fils d’un pasteur danois et d’une exploitante de cinéma d’art et d’essai à Toulouse. Ses parents dont les prises de position sociales et politiques sont radicalement différentes vont se séparer.

C’est la description de la vie en prison, dans des conditions très précaires en particulier l’hiver quand il fait très froid, les conditions de promiscuité permanente avec un autre prisonnier qu’on n’a pas choisi, mais avec qui va s’installer une reconnaissance réciproque de ces deux être humains très éloignés dans leur éducation, mais où l’estime va l’emporter.

C’est l’histoire d’une vie. Tout au long du roman, on aura une alternance entre la description de la vie de Paul dans le temps long et celle de sa vie présente en prison. On va sentir tout au long de ce récit la tension monter pour aboutir à l’inexorable, qu’on ne peut décrire sans déflorer le livre…

On y découvre un écrivain possédant au plus haut point le sens de la fraternité et animé par un sentiment de révolte à l’égard de toutes les formes d’injustice.

Un très beau livre, une écriture fluide, facile à lire, le prix Goncourt n’est pas usurpé.

Cécile

Théâtre intime

Jérome Garcin

Théâtre intime est un livre édité en 2003. C’est essentiellement, la vision de la vie de sa femme Anne-Marie Philippe, la fille de Gérard Philippe, elle-même comédienne, que Jérôme Garcin nous livre avec beaucoup de pudeur.

Le livre démarre avec la propre jeunesse de l’auteur, à la fois parisienne et rurale pendant les vacances. Il perd son père écrivain 45 ans d’une chute de cheval. Il a alors 15 ans. Sa relation à la mort va être déterminante dans sa maturité et sa relation à la littérature.

Un an après la mort de son père, il écrit à Anne Philippe pour lui dire son admiration d’un de ses livres en particulier : « Le temps d’un soupir ». Il va faire la connaissance d’Anne Marie, un jour qu’il est avec Anne et que sa fille passe en coup de vent : une apparition conquérante à la Jeanne d’Arc… Il en tombe amoureux !

C’est le partage de la vie avec une comédienne, par un admirateur amoureux. Dans le prologue, analyse du temps qui passe, de ses propres réactions vis-à-vis du théâtre, de la littérature, en fonction de ce qu’on a vécu, de ce qu’on connaît de l’intérieur, de l’envers du décor. L’analyse de l’immense différence entre lui et sa femme, l’importance du passé pour lui, celle du futur pour elle, leur complémentarité qui alimente leur amour.

Une écriture précise, légère on ne s’ennuie jamais. Un très bon livre

Cécile

Samarcande

Amin Maalouf

Dans Samarcande, (édité en 1988) l’histoire entière tourne autour du manuscrit d’Omar Khayyam un savant, poète du XI siècle. Le début de ce roman se déroule en 1072 à Samarcande, à une période où la Perse et la Turquie essaient de dominer tout le Moyen Orient, de la Méditerranée à Kaboul avec des guerres réelles ou d’influence entre les deux puissances.

Cette première moitié de l’histoire se déroule donc en Perse (aujourd’hui l’Iran) et tourne autour d’un sage, Omar Khayyam, poète mais aussi scientifique, savant en médecine, mathématiques, astronomie ou astrologie. Ces deux dernières sciences n’en font d’ailleurs qu’une : c’est dans les astres que l’on peut prévoir l’avenir pour les dirigeants des pays. Omar Khayyam est donc admis rapidement dans le cercle des dirigeants de ce pays où il règne une violence endémique. Il peut ainsi interagir avec les sultans, les vizirs, dans une région où le chiisme commence à se répandre en Perse.

Pendant plusieurs années la paix règne sur Samarcande. Omar écrit « le manuscrit de Samarcande ». La troisième et quatrième parties de ce livre racontent l’histoire de la recherche de ce manuscrit par un jeune homme franco américain : Benjamin Omar Lesage, à la fin du XIXème siècle, début XXème. C’est l’occasion pour l’auteur de décrire la situation politique de l’Iran vers 1910, avec la mise en place douloureuse d’une nouvelle constitution sous l’autorité du Shah mais avec un parlement sachant que le pays est sous la coupe de la Russie au nord et de la Grande Bretagne au sud.

Ce livre m’a beaucoup plu. J’y ai appris beaucoup de choses concernant la religion musulmane et des différences très importantes entre les sunnites, les chiites et les préceptes soit disant dictés par le prophète surtout en ce qui concerne les femmes… C’est aussi le rôle qu’ont joué les puissances occidentales pour maintenir ces pays du Moyen-Orient sous leur domination… C’est encore le cas aujourd’hui… malheureusement.

Cécile

Rien n’est noir

Claire Bérest

Claire Bérest, l’auteur, est l’arrière petite fille du peintre Francis Picabia et de Gabrielle. Elle est passionnée par Frida Kahlo. On ressent cet attachement profond entre ses lignes, d’un style coloré et captivant, l’artiste la fascine, la femme l’émeut !

Chaque page de ce livre porte le nom d’une couleur ! Bleu , rouge, jaune, noir, gris, couleurs aux multiples facettes ! Ces couleurs marquent à chaque chapitre l’idée que « Rien n’est noir » et que Frida a malgré tout l’amour de la vie et que c’est une artiste Peintre !

L’artiste est passionnante parce que marquée par une vie de souffrances et de douleurs. C’est cette vie et celle de celui qui fut son compagnon et son mari Diego Rivera, peintre muraliste, de 21 ans son aîné, que l’auteure nous conte. « Une passion brûlante les réunira… mais les dévorera aussi». Couple mythique et tumultueux dira-t-on d’eux. Magnifique roman qui m’a enchantée !

Josette J.

Miss Islande

Auöur Ava OLAFSDOTTIR

En exergue, cette phrase de Nietzsche dans Zarathoustra : « Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse ». L’héroïne du roman, jeune fille d’une vingtaine d’année, a été prénommée Hekla par un père passionné de volcanologie. A sa naissance, il lui a donné le nom du volcan actif le plus proche de leur ferme isolée dans le vallon des Dalir.

Mais un jour, Hekla quitte cet isolement et part travailler à Reykjavik. Elle brûle d »assouvir sa passion de l’écriture dans la capitale riche en librairies, bibliothèques, éditeurs et poètes. Hekla trouve un engagement de serveuse au bar d’un hôtel chic. Dès qu’elle est libre, elle rentre composer sur sa vieille machine à écrire. Elle a déjà publié nouvelles et poèmes sous un nom d’emprunt et cherche maintenant un éditeur pour son dernier roman. Peine perdue, elle comprend que la dure condition féminine est un obstacle : « Les hommes naissent poètes. Ils ont à peine fait leur communion qu’ils endossent le rôle qui leur est inéluctablement assigné : être des génies. Peu importe qu’ils écrivent ou non. Tandis que les femmes se contentent de devenir pubères et d’avoir des enfants, ce qui les empêchent d’écrire. »

Qu’importe elle porte le nom d’un volcan. Elle explose de force créatrice. Alors commence une sorte de promenade dans la société de cette grande île isolée par son climat, avec des rapports humains plein d’empathie, de discrétion ou de réserve.

Roselyne

L’Obsession Vinci

Sophie Chauveau

L’Année 2019 est l’année du quintuple centenaire de l’anniversaire de la mort de Léonard de Vinci : 15 Avril 1452 – 02 Mai 1519. « Peintre inventeur, ingénieur scientifique, humaniste, philosophe, il est pour beaucoup un esprit universel qui fascine encore cinq cents ans plus tard. Au passage du quinzième siècle au seizième, il illustre, et parfois incarne, la Renaissance, avec ses avancées dans le domaine artistique mais aussi dans les sciences et, avant tout, dans l’approche scientifique ».

Cette biographie raconte donc la vie de Léonard de Vinci , parfois mal connue mais bénéficiant d’une grande renommée du fait de son tableau « La Joconde » que les Français sont fiers de détenir. Il est également reconnu pour ses découvertes scientifiques, son ingéniosité. L’auteure s’interroge : « Qui est véritablement Léonard de Vinci? » Un homme qui ne s’est jamais contraint en rien, poursuivi par le syndrome de l’échec alors même qu’il était considéré comme un génie par ses contemporains. Il n’a eu qu’une patrie « son art ».

Ce livre m’a permis de mieux le connaître, de savoir qui il était, son époque, l’histoire de l’Italie et de la France qui l’accueille au bout de sa vie grâce à François 1er le mécène qu’il a enfin trouvé ! Une vie royale lui a été offerte, le château de Lucé, il y meurt et il sera enterré… Sans nom, juste des mots tracés « ET CAETERA » signifiant l’espoir infini chevillé au cœur !

Josette J.

Les Idéaux

Aurélie Filippetti

Un pavé de près de 500 pages au titre court, Les Idéaux, Ce mot avait été au cœur de la lettre de démission de l’auteure, envoyée à François Hollande et ­Manuel Valls, au lendemain de l’éviction d’Arnaud Montebourg qui partageait alors sa vie. Sur papier à en-tête du ministère, elle avait expliqué que « l’alternative » n’était pas « entre la loyauté et le départ ». « Il y a un devoir de solidarité mais il y a aussi un devoir de responsabilité vis-à-vis de ceux qui nous ont fait ce que nous sommes, poursuivait-elle. Je choisis pour ma part la loyauté à mes idéaux. » La missive, en date du 25 août 2014, se terminait par un « bien à toi » manuscrit, comme solde de tout compte avec « Manuel » et « François ».

Aurélie Filipetti revient au roman pour raconter une histoire d’amour entre un homme de droite et une femme de gauche. Entre convictions, combats et désillusions. Une fois oublié l’aspect secondaire du petit jeu des personnages réels cachés derrière les protagonistes, il faut d’abord lire cet roman comme un témoignage, un compte-rendu détaillé et vécu des rouages du pouvoir, car on ne peut dissocier la ministre de la culture de la romancière.

Il faut lire ces pages qui racontent le quotidien, la confrontation avec les fonctionnaires des cabinets ministériels pour comprendre ce qu’est l’usure du pouvoir. Et trouver entre les lignes quelles souffrances peuvent endurer celles et ceux qui entendent ne pas renier leurs idéaux, fut-ce au prix d’une demi-victoire. En saluant la romancière, on ne peut toutefois s’empêcher de lire entre les lignes le constat d’un grand gâchis.

Josette J

Le silence de la mer

Vercors

Le Silence de la mer est une nouvelle de Vercors (pseudonyme de Jean Bruller), publiée clandestinement aux Éditions de Minuit en février 1942, devenue depuis un ouvrage « classique », qui aborde des thèmes centraux comme la vie ou la guerre. Vercors, son nom de résistant, restera son nom d’écrivain.

En 1941, au début de l’Occupation, un officier allemand, réquisitionne la maison d’une famille comprenant un homme âgé et sa nièce. C’est un homme, musicien, très cultivé, épris de culture française. À travers des monologues prônant le rapprochement des peuples et la fraternité, il tente, sans succès, de rompre le mutisme de ses hôtes dont le patriotisme ne peut s’exprimer que par ce silence actif qu’il admire d’ailleurs. Ses monologues seront des déclarations d’amour à la France et à la jeune fille de la maison, dans un langage admirable.

Sous le mutisme se développent des sentiments qui ne pourront jamais s’exprimer mais la prise de conscience que l’idée de rapprochement des peuples sont à l’opposé de la mission de l’armée hitlérienne en France.

Une nouvelle à remettre dans le contexte de la défaite de 1940. Le peuple français faisait ce qu’il pouvait pour manifester la résistance à cette situation, avec des soldats allemands qui n’avaient pas tous une position nazie. D’où mélange de méfiance et d’admiration éventuellement d’amour.

Une écriture superbe.

Le pays des autres

Leila Slimani

Ce roman retrace la vie des grands parents maternels de l’auteur. L’histoire de 10 ans de la vie d’un couple : l’homme est arabe musulman, la femme est alsacienne catholique ; ils se rencontrent pendant la guerre en 1944 en Alsace, ils s’aiment, se marient et viennent s’installer au Maroc dans une ferme où tout est à faire.

Mathilde ne tarde pas à déchanter de cette vie rude, sans argent, sans le confort qu’elle avait connu dans sa famille et de la relation avec Amine son mari qui l’aime, mais qui regrette qu’elle n’ait pas l’attitude de soumission de la femme marocaine.

Mathilde va trouver une alliée dans sa petite belle sœur, plus jeune que ses frères ; Selma enseignait à Mathilde les rites, les traditions, les formules de politesse…l’art de faire semblant et celui de se tenir tranquille.

Le livre est une suite d’incompréhensions entre Mathilde et son mari. Mathilde se sent piégée dans ce pays qui n’est pas le sien. Elle ne se sent pas de la communauté des colons ni celle des indigènes. Mathilde va perdre son père et retourne un mois en Alsace. Elle se pose la question de repartir ou pas… mais sa place n’est plus là. « à présent qu’aucun retour en arrière n’était possible, elle se sentait forte. Forte de ne pas être libre… comme le vers d’Andromaque : je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne »

Un livre attachant, qui décrit cette difficulté de partager une vie dans un couple où tout est différent : la culture, l’éducation, les préjugés. Comment alors se sentir autrement qu’étranger dans le pays des autres.

Une écriture fluide, facile à lire, accrocheuse pas facile de lâcher le livre. Je le conseille.

Cécile

Le Japon n’existe pas

Alberto Torres-Blandina

traduit de l’espagnol par François Gaudry.

Un balayeur a fait presque toute sa carrière dans un grand aéroport et fait part de ses observations sur la vie, ses rencontres vraies ou imaginaires, sa philosophie d’une existence de pousseur de balai dans un milieu remuant et hors norme puisque en mouvement perpétuel.

Pour lui, le Japon n’est qu’un affichage sur écran lumineux… les autres pays aussi.

Chaque chapitre forme une nouvelle jolie, jolie, jolie.

Bas la place y’a personne

Dolores Prato (1892-1983)

Il s’agit d’un récit d’enfance d’une petite fille – 890 pages.

Sa mère, aristocratie piémontaise, mère de quatre enfants, donne naissance à un bébé, issu de sa liaison avec un avocat napolitain.

Pour dissimuler l’erreur, l’enfant est confié à un cousin ecclésiastique et à sa sœur, célibataire, habitant à Treja, antique village fortifié de la région de Lorette.

 » Je suis née sous une table  » dit la toute petite fille, comptant les miettes de pain à l’abri du lourd nappage tombant d’une grande table. Son enfance et son adolescence décrivent la pieuse Italie à l’époque charnière de l’Unité où la loi du prince honnis Victor Emmanuel se substitue à l’autorité de Rome.

Un style remarquable de nouveauté pour l’époque.

Nous habitons la Terre

Christiane Taubira

Édition Philippe Rey, 2017

Dans une écriture remarquable, l’ancienne Garde des sceaux s’indigne des inégalités et trace une voie d’espérance pour l’humanité sur une Terre refondée.

Roselyne

Le bal des folles

Victoria MAS

L’auteure raconte sa fascination, au cours de recherches historiques, pour l’hospice de la Salpêtrière. Sous Louis XIII, ce lieu de traitement du salpêtre, la poudre noire ou poudre à canon, était un arsenal militaire. En 1656, Louis XIV ordonna sa transformation en hôpital pour les pauvres. On en fit surtout le lieu enfermement des clochardes et des putains. Par extensions successives, il devint le lieu de traitement des maladies nerveuses, épileptiques, hystériques, et hypnotiques pour femmes.

Victoria Mas choisit de situer l’action de son roman en 1887. La Salpêtrière est alors dirigée par le professeur Jean-Martin Charcot, futur père de l’océanographe Jean-Bernard Charcot.

La description est soutenue par l’histoire romanesque d’Eugénie Cléry dont le père, un notaire rigoureux, ne supporte pas le don de médium. Elle est donc enfermée subrepticement à la Salpêtrière d’où elle s’évadera, profitant de la complicité de la surveillante générale, le jour du Bal des Folles.

Le bal des folles fut une distraction très parisienne qui permettait à des notables triés sur le volet d’assister à la soirée déguisée donnée pour la distraction des recluses et des malades.

Condition des femmes, travail des femmes, traitement des maladies mentales, suprématie virile du monde médical. La médecine psychiatrique à ses débuts ne s’encombre pas de délicatesse envers les patientes !

Frisson d’horreur et de pitié… Dur à entamer… passionnant à poursuivre…apaisant à terminer.

Roselyne

Je suis Pilgrim

Terry HAYES

Prix des lecteurs policier du livre de poche

Nous sommes peu après les attentats du 11 septembre 2001. Dans un hôtel sordide de Manhattan, une jeune femme est assassinée dans des conditions très particulières. « Aucune empreinte » constate Pilgrim qui a été enlevé par ses anciens collègues et emmené là pour des raisons bien précises. Démissionne-t-on jamais des services secrets ! ?

Il est donc chargé de l’enquête qui l’emmènera en Turquie, en Grèce, en Arabie Saoudite sur la trace d’un homme qui vit la rage au cœur… il est le Sarrasin, disciple de Ben Laden. La traque passera par la Syrie, l’Allemagne et retour en Amérique.

Pilgrim nous emmène dans ses bagages, avec ce roman qui nous tient en haleine en nous racontant en 900 pages, par bribes, les vies de l’agent secret, du Sarrasin, d’un héros du 11 septembre et bien d’autres personnages tous intéressants.

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce pavé au style fluide qui met en scène des personnes et des situations dont je pense qu’ils ne sont pas si fictifs qu’on pourrait le croire.

Josette M.

Encre Sympathique

Patrick MODIANO

Un jeune homme de vingt ans débute dans l’agence de détectives Hutte. Une première enquête le met sur la piste « d’une certaine Noëlle Lefèbvre. » Son seul point de départ est une carte de poste restante, avec nom; adresse et photo. Dans le bar en face du domicile de la disparue, il fait la connaissance de Gérard Mourade, jeune comédien étonné aussi de la disparition de Noëlle qui est une copine. Ensemble, ils visitent l’appartement abandonné où le narrateur subtilise un agenda oublié. « Ecrire noir sur blanc les paroles échangées »… c’est fait pour cela un calepin.

Les années passent. « Il y a des blancs dans une vie. » Notre narrateur a dix ans de plus, il a fait d’autres choses, mais, le hasard d’une lecture chez son coiffeur lui remet en mémoire le comédien. Il hésite, puis reprend la piste… Et dans son esprit, les images s’organisent avec les connaissances retrouvées de Noëlle.

Le flou, toujours le flou des souvenirs qui apparaissent soudain, comme une encre sympathique bleutée peut se révéler sur une feuille jaunie retrouvée… un jour. Ceci l’amène à Rome, dans la Galerie d’art « Gaspard de la nuit » où une femme apporte son éclairage sur cette histoire à moitié effacée… Demain, il dîne avec elle.

Est-ce enfin un début de roman? Car nous avons compris que ce livre est simplement une recherche élémentaire, un long synopsis, une réflexion sur l’échafaudage d’un ouvrage littéraire, s’écrivant avec brio, au fil des jours, « noir sur blanc », dans la tête de Patrick Modiano. »cela me permettra peut-être de mieux me comprendre moi-même »…

Roselyne

SEIOBO est descendue sur terre

Làszlo Krasznaorkai

Si SEIOBO, qui est une déesse, est descendue sur terre, vous pouvez, vous lecteurs lire ce livre sans désespérer. Pourtant si l’auteur à travers ses œuvres exprime par petites touches de la mélancolie il reste avant tout un conteur singulier au style dépaysant, aux accents analytiques, philosophiques, mystiques et poétiques.

Dans ce livre, l’auteur parle de notre tragédie d’homme mais en la parant des beaux habits traditionnels et des masques de l’art, sous toutes ses formes : Théâtre, Peinture, Sculpture, Écriture, Chants.

L’auteur ne se lamente pas il se contente de nous bercer et de nous plonger dans une douce mélancolie et nous fondre dans une forme de sublime résistance. Il établit l’universalité des cultures. Il cite toutes les cultures indiennes, perse, chinoise, égyptienne, arabe. Il plaide par là la non hiérarchie, la non hégémonie, la tolérance absolue à l’ouverture.

Il interroge notre quête de l’art, notre aspiration au divin. L’art c’est une quête de perfection, une méticulosité, une discipline qui conduit à la fusion parfaite du réel et de l’imaginaire. Il reste cependant au-dessus du rationnel et de la logique « l’imaginaire devance la pensée ». La beauté restera toujours « secrète dans son essence » même si « révélée dans son apparence ». L’art est mystique, transcendance.

Krasznaorkai en faisant l’éloge des rituels, des cérémonies, des traditions perpétuées, en magnifiant nos liens secrets avec la nature parle à notre sens de la fragilité, à notre humilité devant le grand TOUT. Il nous oblige à partager ce secret de temporalité « qui ne va ni en avant, ni en arrière mais tourbillonne dans nulle part ».

Et même si ce monde a un fin, même si l’art reflète un monde disparu SEIOBO est descendue sur terre et « un instant peut contenir tant de choses »

Nicole

Sapiens face à Sapiens

la splendide et tragique histoire de l’humanité

Pascal Picq

Pascal Picq paléoanthropologue, spécialiste du comportement des primates et de l’évolution humaine, revient aux origines de l’humanité pour expliquer les mutations actuelles. Il retrace l’histoire de Sapiens afin de nous montrer que l’humanité est dépendante de la biologie, des choix techniques et culturels de ses lointains ancêtres.

Une histoire longuement développée depuis l’émergence des vrais hommes située entre les premiers hominidés et l’apparition de Sapiens entre 500 000 et 300 000 ans en passant par l’Homo Erectus, la première espèce capable de façonner sa propre niche écologique et de s’adapter à tous les écosystèmes terrestres.

Les Erectus, selon les analyses phylogénétiques, se seraient divisés : les Sapiens vers 800 000 ans, en Afrique et Proche-Orient puis vers 400 000 ans, les Néandertaliens en Europe et les Dénisoviens en Asie occidentale. A partir de ce constat d’une pluralité d’espèces dans le passé, comment expliquer qu’une seule ait survécu ? Il s’est écoulé plusieurs millions d’années entre Erectus et les premières espèces de Sapiens alors qu’il n’y a eu que quelques millénaires entre les premières agricultures et les premiers empires.

En retraçant la surprenante épopée de Sapiens, Pascal Picq a voulu souligner le poids de l’évolution naturelle puis celle de la culture qui se sont combinées dans un phénomène complexe de coévolution afin de balayer toute vision progressiste et téléologique de l’histoire de l’humanité. Selon lui, l’humanité a pris un tournant. Tout ce qui a fait le succès de la lignée humaine à savoir sa sexualité, sa mobilité et sa curiosité, est aujourd’hui menacé par la ville et le numérique. Ainsi, pour la première fois dans son histoire, Sapiens est menacé par sa propre évolution.

Il conclut qu’au-delà de la résilience de chaque société et de l’espèce humaine en général, c’est la capacité à remettre en cause l’idéologie du progrès et du solutionnisme qui demeurera la clé pour inventer, changer de paradigme et inventer une nouvelle humanité…

Antoinette M.

Porte d’Aix : querelles d’archéologues

24 avril 2021

A Marseille, la Porte d’Aix n’en finit pas de se transformer. Située au pied de la gare Saint-Charles, cette place, qui porte désormais le nom du député socialiste du Nord, Jules Guesde, ministre d’État pendant la première guerre mondiale, avait été pendant des années défigurée par le passage de l’autoroute A7 qui venait finir sa course en plein centre-ville depuis sa construction en 1971, à une époque où l’on n’imaginait plus de se déplacer sans sa voiture. En 2010, les 300 derniers mètres de cette autoroute urbaine qui s’était imposée au forceps dans le tissu urbain, étaient enfin démantelés, ouvrant la voie à une requalification complète du quartier, pas encore achevée 10 ans plus tard…

Dynamitage , le 7 août 2010, des deux ponts franchissant l’ancien tronçon de l’autoroute A7 au nord de la porte d’Aix (source © Le Point)

A l’époque, la métropole avait envisagé de construire un immense parking souterrain dans l’espace ainsi libéré. Plus sagement, elle a préféré creuser un bassin souterrain de rétention des eaux pluviales. Opérationnel depuis 2015, il contribue au stockage temporaire des eaux de pluies, limitant les risques d’engorgement des réseaux et d’inondation de la voirie en cas de gros orage.

Un nouveau rond-point a été aménagé en 2016 à l’extrémité nord de cet espace, au bout de l’avenue Camille Pelletan, où ont été érigés un grand complexe hôtelier, le Toyoko Inn, et une résidence étudiante achevée en 2019. Entre ces deux grands bâtiments à la façade immaculée, qui encadrent une vue de carte postale sur la Bonne Mère,, s’étend désormais un petit parc paysager arboré qui vient tout juste d’ouvrir ses portes au public en début d’année 2021.

Parc paysager aménagé à l’emplacement de l’ancienne autoroute, entre la résidence étudiante et le Toyoko Inn, avant son ouverture en août 2020 (photo © Frédéric Speich / La Provence)

A l’autre extrémité de la place, un nouveau parvis a été aménagé autour de l’arc de triomphe. Contrairement à ce qu’un touriste distrait pourrait imaginer, cet édifice monumental n’a d’ailleurs bien entendu aucun rapport avec la porte d’Aix, située autrefois à proximité et qui permettait de pénétrer dans l’enceinte fortifiée de la ville lorsqu’on arrivait par le nord de la ville. Détruits en 1666 sur ordre de Louis XIV, pour permettre une extension de l’espace urbain dans une ville restée jusqu’alors médiévale et qui s’était rebellée avec force contre son jeune pouvoir royal, il ne reste plus grand-chose de ces vieux remparts, sinon un fragment de l’ancien aqueduc qui arrivait justement par la porte d’Aix et dont on peut voir encore un vestige à côté du siège du Conseil régional.

Gravure d’Ercole Nigra (détail) montrant les fortifications de Marseille à la fin du XVIe siècle avec la porte d’Aix en premier plan (source © Marc Bouiron, INRAP)

L’arc de triomphe quant à lui avait été prévu initialement en 1784 pour célébrer le règne de Louis XVI. Mais déjà à l’époque, à Marseille, les grands projet d’aménagement urbain prenaient beaucoup de temps. Finalement initié en 1823, sous le règne de Charles X pour glorifier une campagne du Duc d’Angoulême sur le sol espagnol, l’édifice ne sera inauguré qu’en 1837, sous le nouveau souverain Louis-Philippe, après adaptation des bas-relief pour se conformer à l’évolution politique du moment.

Tout le quartier qui s’étend à l’est de la place, au pied de la colline montant jusqu’à la gare Saint-Charles, a subi lui aussi de gros travaux de requalification avec la construction d’hôtels et de résidences étudiantes notamment. Deux nouveaux bâtiments sont en cours de construction le long de la place : un ensemble de bureaux baptisé Adriana par le promoteur Cogedim, et un campus universitaire qui abritera à partir de 2022 le nouvel Institut méditerranéen des métiers de la ville et des territoires (IMVT), lequel regroupera sur un site unique d’environ 1,3 hectares l’École d’architecture de Marseille (jusque-là basée à Luminy), l’antenne marseillaise de l’École du paysage et l’Institut d’urbanisme et d’aménagement régional.

Maquette des futurs bâtiments de l’IMVT en construction près de la porte d’Aix (photo © NP2F)

Bien évidemment, toutes ces nouvelles constructions en plein centre ville de Marseille ne pouvaient pas faire l’unanimité. On a notamment assisté à l’été 2022, à de nombreuses manifestations de militants écologistes et de riverains, effarés de constater que le promoteur Cogedim n’hésitait pas à tronçonner en pleine nuit, à 3h30 du matin, les gros pins d’Alep qui gênaient le développement de son projet d’aménagement. La situation était restée tendue pendant plusieurs semaines entre les défenseurs des arbres en ville et le promoteur, fermement décidé à faire sortir de terre son immeuble de 7 étages sans s’encombrer de quelques malheureux troncs qui agrémentaient le site.

Manifestation de militants contre l’arrachage des arbres sur le chantier de la porte d’Aix en septembre 2020 (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

Mais voila qu’une autre polémique vient de voir le jour, toujours concernant le chantier de l’IMVT et de son voisin Adriana, mais cette fois liée à l’absence de fouilles archéologiques préalables. Le sujet n’est pas nouveau mais il vient de prendre une ampleur inédite, comme l’indique notamment France Bleu qui précise que six archéologues marseillais, dont Alain Nicolas, fondateur du Musée d’histoire de Marseille, viennent, en désespoir de cause, d’écrire au Chef de l’État, Emmanuel Macron en personne, pour réclamer des « fouilles archéologiques de la dernière chance », après que leurs suppliques précédentes ont laissé le Ministère de la Culture de marbre.

Il est vrai qu’il peut paraître surprenant que le Préfet n’ait pas demandé l’organisation de fouilles préventives sur ce site pourtant situé à proximité immédiate de l’endroit où avaient été mis à jour en 2005 rue Bernard du Bois, puis en 2007 le long du boulevard Charles Nédélec, des traces d’habitations du Néolithique Moyen qui ont permis d’attester l’installation d’une cité préhistorique à cet endroit il y a près de 8000 ans, bien avant donc l’arrivée des colons grecs. Les investigations ont permis alors de retrouver des traces de constructions en briques de terre crue, des fosses, des vestiges de palissades en bois et de nombreux amoncellements de coquillages, laissant penser à la présence d’un habitat sédentaire bien implanté, dont on n’a guère retrouvé l’équivalent ailleurs.

Fouilles préventives menées par l’INRAP en 2007 boulevard Charles Nédélec, dans le cadre de la ZAC Saint-Charles (photo Frédéric Parent © INRAP)

Ces mêmes fouilles avaient mis en évidence la présence de vignobles plantés par les Grecs à ce même endroit, lorsqu’ils ont pris possession des lieux vers 600 avant J.-C. Le site étant resté en dehors des remparts de la ville jusque tardivement a été finalement assez bien préservé, malgré l’implantation au XIXe siècle d’une grande manufacture de soufre. Les archéologues se basent donc sur ces découvertes particulièrement riches effectuées lors des fouilles préventives de l’autre côté du boulevard C. Nédélec, dans le cadre du projet réalisé depuis par le promoteur Constructa, pour réclamer un programme de fouilles similaires à l’emplacement du futur IMVT.

Mais cette revendication est loin de faire l’unanimité. Si les services de l’État ont décidé de ne pas faire de fouille préventive à cet endroit, c’est tout simplement parce que les sondages préalables effectués n’ont pas révélé d’indice prometteurs le justifiant, en dehors d’installations industrielles du XIXe siècle. Il apparaît en effet que le secteur est recouvert d’une couche importante de remblais issus en grande partie des travaux de terrassement qui ont eu lieu sur le plateau de Saint-Charles qui s’étend juste au dessus et dont le sommet de la butte (dont on dit qu’il aurait servi à l’implantation du camp romain de Jules César, lors du siège de Massilia en 49 av. J.-C.) avait été quelque peu raboté lors de la construction de la gare ferroviaire à partir de 1843. Du fait de ces remblais, les couches potentiellement intéressantes pour les archéologues se retrouvent enfouies assez profondément, au-delà des niveaux concernés par la construction des immeubles qui ne prévoient pas de sous-sol.

On peut certes toujours regretter que l’absence de fouilles préventives dans ce secteur prive les chercheurs de nouvelles découvertes potentiellement instructives sur ce site où l’implantation humaine semble très ancienne. On ne peut d’ailleurs qu’admirer la ténacité de certains archéologues qui n’hésitent pas à suivre les camions de terrassement jusque vers les lieux de dépôt, dans le nord du département, pour y examiner la nature des déblais extraits et y rechercher d’éventuels vestiges. Il faut dire, à leur décharge, que l’histoire récente de certains fiascos marseillais dont celui qui a conduit à une dégradation irréversible du site de la carrière antique de la Corderie incite les archéologues à faire preuve d’une vigilance toute particulière…

L. V.

Carvativir, ou le miracle vénézuélien ?

20 avril 2021

La France vient de franchir le seuil symbolique de 100 000 morts décédés de l’épidémie de Covid-19 tandis que le nombre de victimes déclarées à l’échelle mondiale a déjà dépassé les 3 millions. Bien sûr, la situation est très différente d’un pays à l’autre. Ainsi, le Royaume-Uni, pays européen qui a payé le plus lourd tribut avec plus de 127 000 décès comptabilisés, connaît désormais le meilleur taux européen de vaccination et ne déplore plus qu’une trentaine de morts par jour, soit 10 fois moins qu’en France. A l’inverse, le Brésil assiste actuellement à une redoutable flambée de l’épidémie avec quelques 3000 morts annoncés quotidiennement. Et on observe une recrudescence de l’épidémie dans des pays aussi variés que l’Inde, le Canada, la Thaïlande ou même l’Allemagne.

Manifestation d’activistes brésiliens sur la plage de Copacabana en juin 2020, protestant contre l’absence de réponse politique adaptée à l’épidémie de Covid-19 (photo © Carl de Souza / AFP / France 24)

Et pourtant certains pays paraissent bizarrement épargnés par cette pandémie dévastatrice. C’est le cas notamment du Venezuela, dont le bilan officiel fait état de seulement 1800 morts du Covid-19 pour une population totale de plus de 28 millions d’habitants. A titre de comparaison, son voisin, la Colombie, qui compte certes 49 millions d’habitants, reconnaît plus de 67 000 victimes de l’épidémie, soit un taux de près de 1 400 morts par million d’habitant, presque équivalent à celui de la France.

Le Président du Venezuela, Nicolás Maduro, lors d’une cérémonie à Caracas, le 21 janvier 2021 (photo © Manaure Quintero / Reuters / Le Monde)

Sauf à penser que les autorités vénézuéliennes mentent effrontément sur leurs statistiques de santé publique, c’est donc à un véritable miracle que l’on doit cette immunité naturelle si étonnante. Plus précisément, si l’on en croit la propagande du régime de Nicolás Maduro, ces chiffres tout à fait étonnants s’expliqueraient par la large diffusion d’un véritable remède miracle, accessible gratuitement dans tous les hôpitaux et toutes les pharmacies du pays.

Son voisin cubain, quant à lui, a étonné le monde entier en développant pas moins de 5 vaccins contre le Convid-19, deux étant en phase avancée de test, dont un en particulier, le fameux Soberana 2, qui semble très prometteur. Mais un tel résultat n’est pas le fruit du hasard car Cuba compte pas moins de 20 000 employés qui produisent et exportent la plupart des vaccins administrés sur l’île. Rien de tel cependant au Venezuela, même si ce dernier espère recevoir gratuitement des doses du vaccin cubain lorsqu’il sera opérationnel, pour compléter l’effet des millions de dose de Spoutnik V importées en masse de Russie.

Lancement des essais cliniques du Soberana 2, vaccin contre le Covid-19 mis au point à Cuba (photo © AFP / La Libre Belgique)

En fait, le médicament miracle, sur lequel compte le régime vénézuélien pour enrayer l’épidémie, s’appelle le Carvativir, administré à raison de 10 gouttes sous la langue toutes les 4 heures. Un pur produit de l’ingéniosité locale, mélange, selon le journaliste de France Inter, Anthony Bellanger, de plantes aromatiques à base de thym et d’origan, dont le chef de l’État, Nicolás Maduro, ne manque pas de vanter « l’énorme charge antivirale » tout en assurant que 9 mois de test sur des malades très graves et intubés avaient permis de montrer que son efficacité était de 100 %.

Flacon de Carvativir distribué depuis le 21 mars dans toutes les pharmacies du Venezuela (source © Que noticias)

Le caractère miraculeux de ce médicament « made in Venezuela » fait si peu de doute aux yeux du Président que ce dernier le compare aux « petites gouttes miraculeuses de José Gregorio Hernández », un médecin catholique des pauvres du XIXe siècle, bientôt canonisé par le Vatican et dont le culte est très populaire au Venezuela.

De fait, il semble qu’il faille en effet croire très fort à ce remède pour qu’il présente quelque efficacité. Car, contrairement à ce que laisse entendre la propagande officielle qui assure que le produit a été testé avec la plus grande rigueur scientifique, la communauté scientifique vénézuélienne est bien obligée de reconnaître, à l’instar de l’Académie nationale de médecine, qu’il n’existe « aucune étude démontrant l’efficacité de ce traitement ». Cette dernière a même été jusqu’à exiger du gouvernement de ne plus communiquer sur ce produit, mais en vain…

Nicolás Maduro expliquant les bienfaits du Carvativir le 24 janvier 2021 (photo © Miraflores Palace / Reuters / NBC News)

Il est vrai qu’au Venezuela, on n’arrête pas aussi facilement la propagande officielle, même lorsque des journalistes indépendants se sont étonnés du fait que le laboratoire pharmaceutique qui produit cette substance miraculeuse, la société Labfarven, était jusqu’il y a peu, spécialisée dans un tout autre domaine, celui de la distribution de pièces de rechange automobiles !

Il faut dire cependant, à la décharge du Président Maduro, que la nécessité de remonter le moral de sa population est une priorité, dans un pays où l’inflation a atteint 1 000 000 % en 2018, où la monnaie nationale actuelle s’est dépréciée de 90 % depuis sa création en août 2018, au point que le salaire minimum équivaut désormais à 3 dollars par mois, et où le PIB a reculé de 40 % en 4 ans. La production de pétrole, principale source de richesse du pays, a été divisée par 3 ces dernières années et le Venezuela fait partie de ces rares pays où la mortalité infantile est repartie à la hausse, alors que le service public de santé et d’éducation, pourtant très développé, est en pleine déliquescence. Dans un tel contexte, on conçoit que la population ait besoin de croire au remède miracle du bon docteur Maduro…

L.V.

Villa Valmer : un casse qui ne passe pas…

18 avril 2021

Et voilà que le chantier de la Villa Valmer refait parler de lui… Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, rappelons que cette somptueuse bâtisse de trois étages, édifiée dans le style Renaissance en 1865 pour le compte du fabricant d’huiles Charles Gounelle, au cœur d’un magnifique parc qui surplombe directement la Corniche, est depuis 1967 propriété de la Ville de Marseille. Celle-ci y avait installé son agence d’urbanisme puis avait demandé en 1999 le classement de plusieurs ornements intérieurs de la bâtisse, au titre de la protection des monuments historiques, tout en laissant public l’accès au parc. Les jeunes mariés ont depuis pris l’habitude de venir faire leurs photos dans ce parc où la vue sur la rade de Marseille est exceptionnelle.

La Villa Valmer, un joyau architectural dans un écrin de verdure (source © Cafeyn)

Mais l’entretien du patrimoine public n’a jamais été le point fort de la Ville de Marseille qui a laissé se dégrader inexorablement cette pépite architecturale. En octobre 2016, on apprenait ainsi que les organisations internationales dont l’association Plan Bleu et diverses structures dépendant de la Banque Mondiale, tous hébergés gratuitement par la Ville depuis 2009, devraient quitter prochainement les lieux. En effet, la Ville souhaitait mettre à disposition ce site chargé d’histoire et idéalement positionné à un opérateur privé pour en faire un hôtel de luxe.

L’affaire avait fait quelque peu tousser la Chambre régionale des comptes qui, dans son rapport rendu public en 2019 sur la situation financière et patrimoniale de la Ville de Marseille, s’étonnait que la Ville ait loué un étage entier de la tour La Marseillaise, pour la modique somme de 670 000 euros par an, pour y loger 25 malheureux fonctionnaires dans un espace qui aurait pu en accueillir 4 fois plus ! Une opération d’autant plus surprenante que l’hébergement de ces quelques agents ne coûtait rien jusque-là et correspondait à un avantage en nature qui ne dépassait pas 250 000 € selon la CRC…

Intérieur dégradé de la Villa Valmer : salle du 1er étage en 2016 (source © GoMet)

Mais ce sont surtout les riverains qui se sont inquiétés de cette opération immobilière consistant à privatiser, pour le seul bénéfice d’un promoteur et d’une poignée de riches clients, cette somptueuse demeure, patrimoine public de la collectivité et son magnifique parc attenant. Bien entendu, à l’époque, la Ville clamait haut et fort que les jardins resteront ouverts au public.

Il avait fallu attendre fin 2017 pour apprendre que la Ville avait effectivement lancé un appel à projet en vue de mettre à disposition ce site prestigieux, via un bail de 60 ans, au promoteur immobilier, Pierre Mozziconacci, par ailleurs à la tête de 14 entreprises réparties entre Paris, Marseille et Olmeto, en Corse. L’objectif est de transformer la bâtisse en un hôtel 5 étoiles de 39 chambres avec spa, piscine, restaurant étoilé et accès privé à la mer. L’opposition s’étrangle devant un tel projet contre lequel l’écologiste Hervé Menchon et le socialiste Benoît Payan s’égosillent en vain lorsqu’il est adopté en conseil municipal le 8 octobre 2018.

Vue aérienne du site avec son grand parc arboré au dessus de la Corniche (source © Géoportail)

Benoît Payan va même jusqu’à déposer un recours devant le Tribunal administratif tant il s’étonne de la modicité du loyer consenti au promoteur, à peine 330 000 € par an pour la part fixe, soit deux fois moins que le simple coût annuel du relogement des quelques agents déplacés ! « Non content de priver les Marseillais de la plus belle partie du plus beau parc de Marseille, cette privatisation va également leur coûter de l’argent » déplore alors l’élu d’opposition.

A son arrivée à la tête de la municipalité, fin juin 2020, il découvre que le permis de construire avait en réalité déjà été délivré le 14 août 2019 et que l’affaire est donc pliée. Dès le mois d’octobre 2020, les nouveaux élus entreprennent néanmoins une négociation serrée avec le promoteur bénéficiaire de l’opération et dont le projet prévoit de privatiser 30 % de la surface du parc arboré. Le 5 mars 2021, la nouvelle adjointe à l’urbanisme, Mathilde Chaboche, confirme ainsi que le projet d’hôtel 5 étoiles sera bien mené à terme mais qu’un accord a été trouvé avec le promoteur pour que la totalité des 2 000 m² de parc restent totalement accessibles au public, moyennant un déplacement du projet de piscine tandis que le bâtiment situé à l’est du parc sera transformé en résidence d’artistes.

Article publié par David Coquille dans La Marseillaise le 14 avril 2021 (source © La Marseillaise)

Le chantier débute dans la foulée, bien caché derrière d’énormes palissades dont les entrées sont surveillés par une armée de vigiles très dissuasifs. De quoi attirer la suspicion des nouveaux élus marseillais qui s’inquiètent de voir pénétrer dans le parc des engins destinés à l’arrachage des arbres. Le promoteur les rassure tant bien que mal, mais le mardi 13 avril 2021, ce sont les riverains des immeubles avoisinants qui s’étonnent de voir les pelleteuses s’attaquer à la démolition de la villa elle-même. Certes, le permis de construire prévoyait la démolition d’un petit local attenant mais pas des dépendances et des terrasses situées à l’arrière du bâtiment.

Alerté, le nouveau maire, Benoît Payan, voit rouge et se précipite immédiatement sur les lieux avec son adjointe à l’urbanisme. Ils ne peuvent malheureusement que constater les dégâts et faire stopper les engins bien partis pour faire table rase de tout ce qui les gêne. Mathilde Chaboche s’étrangle en dénonçant un acte « monstrueux pour les amoureux du patrimoine et illégal ». Benoît Payan se fend même d’un communiqué pour rappeler que « le patrimoine de la Ville de Marseille n’appartient pas aux promoteurs mais aux Marseillais et aux Marseillaises, j’en suis le garant ».

Vue du chantier après la démolition du 13 avril 2021 (photo © Franck Pennant / La Provence)

Une posture qui n’émeut guère Pierre Mozziconacci, lequel se justifie en évoquant la présence d’anciennes cuves d’eau qui auraient fragilisé les fondations de cette partie du bâtiment. Dans le doute et plutôt que de lancer de coûteuses études géotechniques qui auraient fait perdre un temps précieux, il a préféré tout raser. Une posture radicale qui oblige la Ville à faire constater, par des agents assermentés, l’infraction caractérisée et à faire stopper le chantier en attendant. Dès le lendemain, le dossier a fait l’objet d’un signalement au procureur et le promoteur a été enjoint d’arrêter les travaux, tandis que les négociations reprenaient pour trouver une issue à ce bras de fer.

Une bonne occasion en tout cas, pour les nouveaux élus, de faire passer un message aux promoteurs immobiliers trop longtemps en terrain conquis à Marseille et qui devront peut-être s’habituer à un plus grand respect des règles communes. A Marseille comme à Carnoux, où l’on n’a pas l’habitude de s’embarrasser du dépôt d’un permis de démolir pour transformer un bâtiment en un tas de gravats, fusse-t-il une villa historique ou un hôtel de ville, ce petit rappel à l’ordre n’est sans doute pas inutile…

L.V.

Éruptions volcaniques : une actualité brûlante

16 avril 2021

Alors même que toute l’attention des médias du monde entier est concentrée depuis des mois sur la pandémie de Covid-19, au risque d’oublier tous les autres fléaux qui nous menacent : conflits armés, guerre économique, changement climatique global et perte dramatique de biodiversité, pour ne citer que les principaux, voilà que l’actualité récente fait état d’un nombre particulièrement élevé d’éruptions volcaniques un peu partout à la surface du globe terrestre. Comme si ce dernier souhaitait nous rappeler que sous nos pieds aussi, ça chauffe

La dernière manifestation en date est celle qui menace depuis quelques jours la petite île de Saint-Vincent, dans les Caraïbes. Le 9 avril 2021 au matin, une violente explosion s’est en effet produite au droit de la Soufrière de Saint-Vincent (à ne pas confondre avec celle de la Guadeloupe ou encore celle de Montserrat), dégageant un énorme panache de fumée noire et de cendre, alors que depuis la veille les autorités avaient déclenché un vaste plan d’évacuation concernant pas moins de 20 000 personnes situées en zone rouge.

Panache de fumée issu de la Soufrière de Saint-Vincent le 9 avril 2021 (photo © Reuters – Stringer / RFI)

Il faut dire que les volcanologues surveillaient de près ce volcan qui, en 1902, quelques jours seulement avant l’éruption de la Montagne Pelée à la Martinique, avait fait de gros dégâts matériels et pas moins de 1600 morts malgré l’évacuation d’une partie de la population. La dernière éruption datait de 1979 mais, depuis le 27 décembre 2020, un dôme de lave était en cours d’élévation et les scientifiques étaient en alerte maximum, ce qui a permis de déclencher l’ordre d’évacuation quelques minutes seulement avant le début de l’activité effusive et plus de 12 heures avant la première explosion qui a propulsé un panache de cendres à plus de 10 km de hauteur.

Voiture recouverte de cendres sur l’île de Saint-Vincent, samedi 10 avril 2021 (photo © UWI / Seismic Research Centre / AFP / France Info)

Depuis, une seconde explosion, moins violente, s’est produite dans la nuit de samedi à dimanche 11 avril. Alors que les évacuations se poursuivent, l’île est désormais recouverte d’une épaisse couche de cendres tandis que l’air est saturé de soufre. Le réseau d’électricité et celui de distribution d’eau potables sont à l’arrêt tandis que les autorités tentent, tant bien que mal, de s’opposer aux actions de pillage qui accompagnent inévitablement ces situations d’évacuation massive…

Éruption du Piton de la Fournaise vue d’hélicoptère le samedi 10 avril 2021 (photo © lmaz Press / Réunion première)

Rien de tel bien entendu à La Réunion, où le Piton de la Fournaise est, une fois de plus, entré en éruption ce même vendredi 9 avril 2021 après une importante crise sismique enregistrée dans l’après-midi. L’accès au public a été restreint à proximité et il a fallu attendre les premiers survols en hélicoptère le lendemain matin tôt pour prendre les premières images de la coulée de lave qui s’écoule le long d’une fissure ouverte sur environ 150 m de longueur, avec des fontaines de laves jaillissant à une vingtaine de mètres de hauteur.

Coulées de laves sur les flancs du volcan Fagradalsfjall en Islande le 27 mars 2021 (photo © C. Gundry-Beck / Reuters / Ici Radio Canada)

Et pendant ce temps-là, en Islande, l’éruption du Fagradalsfjall, situé à une quarantaine de kilomètres de la capitale Reykjavik se poursuit, attirant des dizaines de milliers de curieux venus observer en toute quiétude ces magnifiques torrents de lave dans un site assez facile d’accès. Le phénomène avait débuté le 19 mars 2021 avec l’ouverture d’une première faille crachant de la lave. Le 5 avril, deux nouvelles fissures volcaniques effusives s’étaient ouvertes à 700 m environ de la précédente. Puis, dans la nuit du 6 au 7 avril, une troisième source de lave est apparue, le long d’une nouvelle faille de 150 m de longueur, alimentant le champ de lave en aval qui recouvre déjà plus d’une trentaine d’hectares.

Vue de l’éruption de l’Etna le 23 février 2021 depuis Lipari (photo © Gabriele Costanzo / Etna 3340)

Au même moment, deux autres volcans européens sont en éruption. L’Etna, en Sicile, s’est une nouvelle fois réveillé le 16 février 2021, tandis que le Stromboli, sur les îles éoliennes, connaît, lui aussi, une activité particulièrement intense. Plusieurs coulées de laves et d’importants panaches de cendres se sont échappés de l’Etna entre le 16 et le 28 février, certaines coulées parcourant près de 2 km tandis que le panache de débris pyroclastique s’élevait jusqu’à 10 000 m d’altitude et recouvrait de cendres plusieurs villages alentours, se répandant jusqu’à la ville de Catane.

Fontaine de lave en janvier 2021 lors d’une éruption du Kilauea à Hawaï (photo © USGS / Geo)

Et ce sont loin d’être les seuls car bien d’autres volcans de par le monde sont actuellement en activité. Certains le sont d’ailleurs en continu comme le Merapi en Indonésie, entré de nouveau en éruption le 27 janvier 2021, ou le Kilauea à Hawaï. D’autres viennent de se réveiller. C’est notamment le cas du Pacaya au Guatemala, du Semisopochonoi en Alaska, du Suwanoseijima au Japon ou encore du Karymsy dans le Kamchatka russe.

Coulées de laves dévalant les flancs du Pacaya au Guatemala le 29 mars 2021 (photo © Berner Villela Photografia / Facebook / Volcano discovery)

Ainsi, le volcan Pacaya qui s’élève à 2552 m d’altitude au dessus de la ville guatémaltèque d’Antigua, présente une activité assez régulière depuis 1961, de même d’ailleurs que ses voisins Fuego et Santiaguito. Depuis un mois, il crache de longues coulées de laves qui s’étalent sur ces flancs boisés, alternant avec d’épaisses fumées qui viennent recouvrir de cendres la capitale, Guatemala City, située à 25 km de là et dont l’aéroport international a dû fermer, le temps que l’on balaye la piste recouverte de cendres volcaniques.

Un entretien manuel qui peut-être fait actuellement défaut puisque comme l’expliquait doctement le Petit Prince de Saint-Exupéry, « S’ils sont bien ramonés, les volcans brûlent doucement et régulièrement, sans éruptions. Les éruptions volcaniques sont comme des feux de cheminée. Évidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. C’est pourquoi ils nous causent des tas d’ennuis ». Une explication qui en vaut bien une autre…

L. V.

Vas-y Elon, on te rejoint…

14 avril 2021

Le texte ci-après est extrait du dernier numéro du journal « joyeux et contestataire » intitulé l’âge de faire, en l’occurrence le n°161, d’avril 2021. Pour ceux qui ne connaîtraient pas cette publication, sachez que c’est un magazine créé en 2005 par une association du même nom et qui traite principalement de thématiques liées à l’écologie, à la citoyenneté et à la solidarité, prônant un mode de vie plus responsable dans le cadre d’une économie sociale et solidaire. Le journal parfait de l’écologiste convaincu qui a besoin de se rassurer qu’il n’est pas le seul à imaginer une société plus respectueuse de l’environnement et des valeurs humanistes.

Devenu mensuel depuis 2007, le magazine, repris en 2011 par une petite équipe érigée en société coopérative et participative, tire tant bien que mal à 30 000 exemplaires, diffusés principalement par abonnement et dans certains réseaux spécialisés et associatifs. Il fait partie, comme Le Ravi ou Marsactu, de ces médias indépendants ayant échappé à l’emprise des grands groupes industriels ou commerciaux et dont la publicité est (presque) totalement absente. Une « presse pas pareille » constituée en réseau et qui se débat en permanence pour sa survie financière.

Nicolas Bérard, auteur du livre 5G mon Amour (source © Lève les yeux)

C’est le journaliste Nicolas Bérard, auteur en 2018 de Sexy Linky et en juin 2020 de 5G mon Amour, contempteur irréductible des nouvelles technologies aliénantes et intrusives, qui a écrit l’éditorial ci-dessous, à partager sans vergogne tant il est savoureux…

Il y a une quarantaine d’années déjà, Coluche raillait l’absurdité du système consumériste en prenant l’exemple d’une publicité pour de la lessive. Celle-ci était capable de faire disparaître les taches sur vos vêtements, même si vous les enfermiez dans un nœud. « C’est plus long, il faut faire les nœuds ! » Quatre décennies plus tard, que peuvent bien proposer ces mêmes fabricants de lessive ?

Pochette du disque de Coluche publié en 1984…. (source © Discogs)

Ne boudons pas notre plaisir, et allons voir comment ils se débattent dans le piège qu’ils se sont eux-mêmes tendu. J’ai cherché « les dernières publicités pour de la lessive » sur un moteur de recherche, et je suis tombé sur le spot d’une marque célèbre – du genre de celles qui lavaient déjà « plus blanc que blanc » dans les années 80. En 2021, elle vante encore les mérites d’un nouveau produit, « ultra-détachant » : celui-ci « élimine les tâches, même invisibles ». Pour voir les fameuses « tâches invisibles », il faut passer les vêtements sous des lampes à UV. Au final, si t’es un peu décroissant, il te suffit de ne pas acheter de lampe à UV, et tu peux continuer à laver tes pulls avec ta bonne vieille lessive à la cendre.

C’est une petite revanche que nous pouvons prendre sur le système et une bonne façon de nous en prémunir – en même temps qu’un moyen de se procurer de bonnes séances de rigolades : rester suffisamment alerte pour mettre à jour toutes ces absurdités. Et il n’en manque pas : il suffit de regarder ce qu’on cherche à nous vendre pour en trouver. Sur la 5G, par exemple. C’est un réseau ultra performant, avec un temps de latence quasi-nul, à tel point qu’on pourra faire de la téléchirurgie et que pour tout résoudre, il te suffira de cliquer ici. Question : ils vont nous sortir quels arguments de vente pour la 6G ? Un temps de latence encore plus nul que zéro ?! Quant à la téléchirurgie, c’est comme l’histoire des nœuds : l’opération restera la même, mais ce sera un peu plus dur, puisque le chirurgien ne sera pas dans la même pièce que son patient.

Le milliardaire Elon Musk, visionnaire ou enfumeur ? (photo © David Rawcliffe / Caradisiac)

Il y en a un qui y croit, à tout ça, c’est Elon Musk, patron de Tesla (qui fabrique des SUV électriques) et SpaceX (qui envoie des fusées dans l’espace). Il est l’homme le plus riche du monde et se prend pour le sauveur de l’humanité. Et le gros problème, c’est qu’il a un compte en banque à la hauteur de son ambition. Homme bien informé, Elon sait qu’il y a trop de CO2 dans l’atmosphère et a décidé de réagir. Il a lancé un grand concours, avec 100 millions de dollars à la clé pour celui ou celle qui inventera une machine capable de capturer le CO2.

Comme, en ce moment, L’âge de faire a besoin d’argent, nous avons décidé de tenter notre chance. On a brainstormé à fond les ballons, et on a trouvé : quelque chose qui ressemblerait à un grand mât, qui fonctionnerait 24 heures sur 24, 365 jours par an, et uniquement à l’énergie solaire. On pourrait même imaginer que ce soit joli, que ça offre des refuges aux oiseaux et de la nourriture aux animaux. Bon, quitte à rêver, allons-y franchement : en plus de capter du CO2 ça relâcherait de l’oxygène ! Et puis, tiens, on pourrait appeler ça « un arbre ».

Un arbre, puits naturel de CO2, trop rustique pour être crédible ? (photo © M. Rügner / Westend61 / Plainpicture / Science et vie)

Normalement, ça devrait fonctionner. Mais au cas où, notre sauveur (qui a toujours un coup d’avance) envisage d’emmener vivre une partie de l’humanité sur Mars. Bonne idée ! Vas-y Elon, pars devant, on te rejoint là-bas !

Nicolas Bérard

Seul sur Mars ou la maison du futur…

12 avril 2021

Elucubration d’architecte futuriste un peu allumé ou simple application pratique d’un bon sens tout droit inspiré de l’expérience ancestrale, le projet Seul sur Mars ne peut laisser indifférent. Rien que son nom évoque inévitablement le titre du film du même nom, réalisé par Ridley Scott en 2015, et qui relate les aventures d’un astronaute malencontreusement laissé seul sur la planète Mars, suite au repli précipité d’un équipage de la mission Ares III pris dans une tempête d’une violence inattendue.

Extrait du film de Ridley Scott : Seul sur Mars (photo © Aidan Monaghan / Twentieth Century Fox / Le Devoir)

Et pourtant cette dénomination pour le moins étrange est, beaucoup plus prosaïquement, celle d’un projet architectural initié par le bailleur social Grand Delta Habitat, non pas sur la planète rouge mais en périphérie de la petite cité vauclusienne de l’Isle-sur-la-Sorgue. Il ne s’agit donc pas de science fiction mais simplement du résultat d’un appel à manifestation d’intérêt, lancé en présence de l’ancien astronaute français Patrick Baudry et visant la construction de 6 logements individuels, de 90 m² de superficie habitable, autonomes en énergie.

L’astronaute français Patrick Baudry lançant le projet Seul sur Mars lors d’une conférence en octobre 2019 (source © Grand Delta Habitat)

L’objectif visé est donc nettement moins ambitieux que celui du malheureux astronaute Mark Watney, condamné pour survivre en milieu hostile à faire pousser ses patates en attendant un hypothétique secours extérieur. Mais l’idée est là : si ce programme immobilier porter un nom aussi étrange, sans aucun rapport avec le contexte régional dans lequel il est prévu de l’implanter, c’est bien pour suggérer que l’objectif visé est celui de l’autarcie, sinon dans le domaine alimentaire, du moins dans celui l’alimentation en énergie. En d’autres termes, il s’agit rien de moins que de concevoir, à l’aide des ressources technologiques les plus avancées à notre portée, la maison de demain autonome en énergie, qui ne consomme pas plus que ce qu’elle produit elle-même.

Une belle gageure donc qui mérite d’être saluée venant d’un bailleur social basé à Avignon, issu d’une société coopérative d’habitation à loyer modéré créée en 1954 et dont le premier président fut Édouard Daladier, député radical de Vaucluse et successivement maire de Carpentras puis d’Avignon rendu célèbre entre temps pour avoir signé les accords de Munich en 1938. Avec près de 20 000 logements loués, cet acteur majeur du marché de l’habitat régional, se fait en tout cas une belle publicité avec cet appel à projet pour le moins innovant.

La Magnanerie à Jonquières (Vaucluse) : 24 logements à énergie positive construits par Grand Delta Habitat (source © Grand Delta Habitat)

L’idée est d’autant plus séduisante que le programme expérimental ainsi conçu va permettre de tester et comparer les performances de plusieurs concepts assez radicalement différents. Ce sont en effet trois maîtres d’œuvre distincts qui ont été retenus, l’agence AAA (Atelier Avignon Architecture), basée à Avignon comme son nom l’indique, le cabinet MAP (Marseille Architecture Partenaire), implanté à Marseille, et Architecture & Environnement, installée à Montpellier.

Chacun d’eux sera chargé de construire deux habitations en privilégiant les matériaux naturels et en visant des coûts d’exploitation, donc des charges de location, les plus faibles possibles, nulles de préférence, ce qui implique une autonomie la plus complète possible en matière de chauffage et alimentation électrique en particulier. Un projet qui pousse donc à l’extrême les principes de la construction bioclimatique en cherchant à optimiser l’implantation et l’orientation des bâtiments tout en s’appuyant sur les innovations technologiques les plus performantes en matière d’isolation thermique et de production locale d’électricité.

Maquette du projet Seul sur Mars initié par Grand Delta Habitat (source © MAP architecture)

Le permis de construire n’est pas encore déposé et les appels d’offres pas encore lancés pour retenir les entreprises qui auront la délicate tâche de concrétiser le projet. Mais celui-ci est d’ores et déjà connu dans ses grandes lignes. Les 6 logements bénéficieront d’un dispositif commun mutualisé de production d’eau potable alimenté par forage et traitement autonome, ainsi que de jardins partagés pour produire localement une partie de l’alimentation, et bien sûr d’un système autonome de traitement des eaux usées avec un bassin de lagunage fonctionnant par phyto-épuration.

En revanche, les solutions techniques retenues par chacun des trois concepteurs sont assez distinctes. L’agence AAA a imaginé une Tour des vents, en hommage sans doute à son homonyme située sur l’agora romaine d’Athènes et qui n’est autre qu’une horloge hydraulique. Celle-ci sera surmontée en toiture d’une éolienne à axe vertical, complétée par une hydrolienne plongée dans les eaux de la Sorgue toute proche.

La Tour des vents antique à Athènes (source © Trip2Athens)

La tour elle-même, qui sert d’habitation, possédera une étanchéité maximale à l’air, sera munie de pare-soleil réglables avec double-vitrage orienté plein sud et ventilation via un puits provençal avec ventilation double flux. Les murs seront réalisés en « béton de site », autrement dit en terre de type pisé, coulée entre deux banches étanches mais sans compactage, un matériaux particulièrement économique, à faible impact écologique et qui assure une excellente inertie thermique.

Au pied de la tour, la seconde habitation conçue par AAA, dénommée Sol 21, sera de type semi-enterré avec toiture végétalisée recouverte de panneaux photovoltaïques, dispositif de récupération des eaux pluviales, serre bio-climatique, capteurs pour l’eau chaude solaire et chauffage assuré par le solaire avec pompe à chaleur air-eau en appoint.

Maquette des maisons coques les Marsupiennes, conçues par MAP (source © Grand Delta Habitat)

De son côté, l’équipe marseillaise de MAP a conçu deux habitations jumelles dites « troglodytes marsupiennes », avec toitures coques végétalisées et panneaux hybrides photovoltaïques pour la production d’électricité, pergola bioclimatique en bois, murs captant l’énergie solaire et capteurs pour l’eau chaude sanitaire. La partie arrière de ces maisons sera semi-enterrée tandis que leur façade avant sera constituée d’une voûte élevée facilitant l’entrée de la lumière et la ventilation.

Quant à l’agence A&E, son projet dénommé « L’Isle solaire » consistera en deux habitations en bois biosourcé recouvertes d’une toiture en forme de vague, recouverte de panneaux photovoltaïques, construites sur pilotis au dessus du bassin de rétention d’eau.

Maquette des maisons en bois de l’Isle solaire conçues par A&E (source© Grand Delta Habitat)

L’avenir dira si la mise en œuvre de ce projet est à la hauteur des ambitions de ses concepteurs et si les solutions techniques retenues permettent effectivement de limiter drastiquement les coûts de fonctionnement de telles habitations. Si c’est bien le cas et si les coûts de construction sont eux-mêmes maîtrisés, nul doute que cette nouvelle expérimentation aidera à orienter les choix de la profession vers davantage de sobriété environnementale. Il serait dommage que Seul sur Mars ne reste qu’un délire architectural un peu fumeux, doublé d’un simple coup de communication d’un bailleur social en quête de notoriété !

L. V.

Régionales 2021 : la Gauche saura-t-elle s’unir en PACA ?

10 avril 2021

Un grand flou entoure décidément ces prochaines élections régionales dont le premier tour est pourtant officiellement prévu dans deux mois seulement, le 13 juin 2021. Même cette date reste incertaine alors que les taux d’incidence de l’épidémie de Covid-19 sont en train d’exploser dans les Bouches-du-Rhône : en 7 jours, le taux d’incidence dans le département a grimpé de près de 20 % pour atteindre 579 cas pour 100 000 habitants, plaçant le département dans le peloton de tête de ceux où le virus circule le plus rapidement en France. Un record dont on se serait bien passé alors que les services de réanimation sont déjà au-delà de leur capacité d’accueil du fait du Covid-19…

Renaud Muselier, président masqué et bien ancré de la Région PACA (source ©compte Twitter R. Muselier)

Mais il n’y a pas que la date des élections qui reste incertaine. La liste des candidats l’est tout autant. Certes, Renaud Muselier ne fait pas mystère de sa forte envie de rempiler, lui qui a hérité de la présidence de la Région PACA en cours de mandat, à la faveur du renoncement de la tête de liste élue en décembre 2015, Christian Estrosi, rapidement reparti dans ses terres niçoises moins de 18 mois après avoir été élu à la région… Un départ qui avait, à l’époque, coïncidé avec celui de la chef de son opposition frontiste, Marion Maréchal-Le Pen, qui avait carrément démissionné de son mandat début mai 2017 pour se retirer de la politique.

Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, aux côtés de Christian Estrosi, au circuit du Castellet en juin 2019 (photo © Gérard Julien / AFP / Paris Match)

Quant à celui qui avait mené la liste de gauche lors de ces dernières élections régionales, un certain Christophe Castaner, qui se disait alors socialiste avant de devenir le porte parole improbable du parti macroniste, il avait purement et simplement renoncé au combat dès le soir du premier tour, laissant la gauche totalement absente de l’hémicycle régional depuis près de 6 ans. A se demander donc si le choix des têtes de listes qui s’affronteront le 13 juin prochain présente la moindre importance !

En tout cas, deux d’entre elles sont déjà connues. C’est Thierry Mariani qui mènera la campagne du Rassemblement national, lui qui était tête de liste pour l’UMP lors des régionales de 2010, face à Michel Vauzelle et Jean-Marie Le Pen : une sacrée évolution politique pour cet admirateur invétéré de la Russie de Poutine… Quant à Renaud Muselier, même s’il feint de s’intéresser à tout autre chose que la campagne électorale, il ne fait aucun doute qu’il sera tête de liste pour le parti LR qui lui a d’ailleurs déjà accordé officiellement son investiture ce mercredi 7 avril 2021.

Thierry Mariani, héraut du RN, ici avec Marine Le Pen, après avoir été tête de liste de l’UMP (photo © Alain Robert / SIPA / 20 minutes)

Il devrait d’ailleurs rencontrer sur sa route un autre candidat de droite, Benoît Kandel, ancien adjoint d’Estrosi à la mairie de Nice et qui compte bien se lancer avec le soutien de Nicolas Dupont-Aignan sous l’étiquette un tantinet ambiguë, La droite et les républicains ensemble. Quant à La République en marche, qui sait d’avance qu’elle ne jouera qu’un rôle de figurant dans cette élection locale, nul ne sait encore très bien si l’obscure Secrétaire d’État chargée de l’incarner, Sophie Cluzel, parviendra à monter une liste autonome ou si elle préférera se rallier à la droite LR dès le premier tour.

Face à un telle pléthore de candidats à droite et face à un Renaud Muselier tellement sur de lui qu’il ne paraît même pas envisager de faire campagne, la gauche semble encore hésiter à renouveler l’exploit qui lui a permis en décembre 2015 de ne même pas être présente en second tour… Chaque parti a bien entendu depuis belle lurette choisi son candidat en espérant que l’ensemble des autres formations de gauche se rangerait derrière lui. Quelque peu hésitants sur la stratégie de rassemblement à privilégier, les écologistes en sont déjà à leur deuxième choix et se placent désormais derrière la bannière de Jean-Laurent Félizia, conseiller municipal du Lavandou.

Jean-Laurent Félizia, candidat déclaré EELV pour les régionales de 2021 (source © Gomet)

Mais la désunion de la gauche n’est pas forcément une fatalité, comme l’a montré la belle victoire du Printemps marseillais à l’occasion des dernières élections municipales à Marseille. C’est donc naturellement de ce côté que se tournent les regards de ceux qui osent encore croire que la gauche, bien que largement minoritaire depuis des années dans la région PACA, pourrait malgré tout être présente dans la prochaine assemblée régionale. Et c’est justement une des figures montantes du Printemps marseillais qui pourrait relever le défi. Olivia Fortin, 5ème adjointe au maire de Marseille, qui vient d’annoncer, jeudi 8 avril, qu’elle se portait « candidate à la candidature pour les régionales » et qu’elle était « prête à prendre la tête d’une liste au service d’un projet de gauche et d’écologie ».

Olivia Fortin, future tête de liste d’une gauche unie aux prochaines régionales en PACA ? (photo © Valérie Vrel / La Provence)

Inconnue du grand public il y a peu, cette chef d’entreprise dans le domaine de l’événementiel s’était fait connaître en participant à la fondation en 2018 du collectif citoyen Mad Mars, qui militait pour une liste unique, progressiste et citoyenne, en vue des municipales de 2020 à Marseille. Une stratégie qui a fait ses preuve puisque Olivia Fortin, tête de liste non encartée, a battu au second tour la présidente LR du Département et de la Métropole, Martine Vassal, dans son fief des 6e et 8e arrondissements, pourtant acquis de longue date à la droite.

Forte de ce résultat inespéré, qui avait permis à la gauche de s’emparer de la mairie de Marseille après 25 ans de règne gaudiniste, Olivia Fortin rêve de rééditer l’exploit à la Région, ce qui ne sera possible que si la gauche parvient à s’unir dès le premier tour de scrutin, option à laquelle elle affirme travailler sans relâche, indiquant : « on est tous d’accord sur 90 % des choses qu’il faut faire, pour la justice sociale, la transition écologique, la démocratie, alors allons-y ! ». Un bel optimisme qui pourrait peut-être parvenir à rallier les plus réticents, à condition de contourner les ambitions politiques et les querelles de chapelle qui ont jusque-là trop souvent conduit la gauche locale dans le décor : un sacré challenge !

L. V.

Tanzanie : une femme remplace un bulldozer

7 avril 2021

Le très controversé Président de la République unie de Tanzanie, John Pombe Magufuli, est décédé le 17 mars 2021, à l’âge de 61 ans, officiellement des suites de problèmes cardiaques, mais plus vraisemblablement du Covid-19, dont il niait pourtant l’ampleur, contre toute évidence. Depuis le début de la pandémie, cet ancien enseignant, pourtant détenteur d’un doctorat en chimie mais fervent chrétien, s’était rangé ouvertement dans le clan des coronasceptiques indécrottables, affirmant sans sourciller : « le virus a été totalement éliminé par Dieu, grâce aux prières des Tanzaniens ».

John Magufuli, lors de l’une de ses dernières apparitions en public, le 24 février 2021 à Dar es Salaam (photo © Stringer – Reuters / RFI)

Se proclamant ouvertement anti-masque, anti-vaccin et même anti-test, il n’hésitait pas à nier l’évidence et à falsifier la réalité en allant jusqu’à demander aux forces de l’ordre de pratiquer des tests PCR à l’aveugle sur des échantillons prélevés sur des chèvres, des cailles, des papayes et même sur de l’huile moteur, résultats tous proclamés positifs, histoire de bien accréditer l’idée que tout ceci n’est que pure invention. Fin avril 2020, le pays n’affichait que 21 décès liés au Covid-19 pour 509 personnes officiellement contaminées pour une population de 58 millions d’habitants et, depuis, la diffusion des chiffres de l’épidémie s’est tout simplement arrêtée, accréditant l’idée que le virus avait disparu du paysage. Et pourtant, l’épidémie progressait à grands pas dans le pays, notamment parmi les élites dirigeantes, jusqu’à emporter le Président lui-même qui n’était plus paru en public depuis le 27 février 2021.

Le président tanzanien enterrant la confiance, un dessin signé du Kenyan Gado (source © Courrier international)

Ministre des Travaux publics de 2010 à 2015, Magufuli y avait tiré son surnom de Tingatinga, autrement dit, le bulldozer en swahili. Un surnom qui lui allait comme un gant, non seulement pour sa politique ambitieuse de grands travaux, mais aussi pour ses méthodes radicales en matière de lutte contre la corruption et pour sa capacité à terrasser impitoyablement toute voix dissidente. Élu à la Présidence de la République le 29 octobre 2015 à l’issue d’une primaire comptant pas moins de 38 candidats, sa lutte implacable contre les dépenses publiques et son action contre la corruption sont incontestablement à porter à son crédit, même si cela a eu pour effet d’effrayer quelque peu les investisseurs habitués à des règles de fonctionnement plus souples, à l’africaine…

Tout ceci n’a pas empêché la Tanzanie d’afficher un des taux de croissance les plus élevés du continent, de l’ordre de 6 % en 2018 comme en 2019. Fidèle à sa méthode, « le bulldozer » s’est lancé dans un vaste programme d’investissement pour développer les infrastructures, portuaires, hydroélectriques et ferroviaires notamment, tout en n’hésitant pas à se rapprocher de la Chine pour bénéficier de son soutien économique.

Le pont Julius Nyerere construit avec l’aide des Chinois et inauguré en 2016 par John Magufuli, relie le quartier des affaires de Dar es Salaam à Kigamboni (source © Wikipedia)

Confronté, à partir de 2016, à une opposition qui se renforce, dans un pays où son parti, Chama cha Mapinduzi, ou Parti de la Révolution, est au pouvoir sans discontinuer depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1962, John Magufuli, n’hésite pas, là aussi à jouer les bulldozers en limitant drastiquement la liberté d’expression, en suspendant les médias trop critiques et en jetant en prison ses opposants les plus virulents. En quelques années, la Tanzanie perd plus de 50 places dans le classement des nations établi par Reporters sans frontières et, en 2019, Amnesty International s’inquiète de « la destruction sans vergogne du cadre de défense des droits humains établis par le pays ».

Le bulldozer n’en a cure et en octobre 2020 il est réélu sans difficulté avec un score officiel fort honorable de 84 % des suffrages tandis que son parti remporte 99 % des sièges au parlement. Son rival malheureux, Tundu Lissu, dénonce des résultats « complètement fabriqués » mais seul le coronavirus a donc finalement réussi à mettre fin au pouvoir solidement établi de John Magufuli.

Samia Suluhu Hassan prêtant serment pour devenir Présidente de la République de Tanzanie (photo © Stringer – Reuters / DW)

Conformément à la constitution tanzanienne, c’est le Vice-Président qui a annoncé la mort du chef de l’État et qui a pris les rênes du pays jusqu’à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2025 seulement. En l’occurrence, il s’agit d’une femme, Samia Suluhu Hassan, qui devient donc, de ce fait, la première femme présidente de l’histoire de la Tanzanie, et par ailleurs la première à accéder à ce poste en étant originaire de l’archipel semi-autonome de Zanzibar, dont les relations avec la partie continentale du pays sont traditionnellement houleuses.

Cette musulmane de 61 ans, mère de 4 enfants, devient du coup l’une des très rares femmes à accéder au rang de chef d’État sur le continent africain. Elle rejoint sur cette liste l’Éthiopienne Sahle-Work Zewde, élue Présidente de la République démocratique fédérale d’Éthiopie en octobre 2018, mais dont les fonctions sont largement honorifiques.

Sahle-Work Zewde, Présidente de la République d’Ethiopie (photo © Audrey Rolland / La libre Belgique)

Sans remonter à Cléopâtre ou à la Reine de Saba, d’autres les ont précédées, parmi lesquelles Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Libéria de 2006 à 2018 et surnommé « la Dame de fer », mais aussi Joyce Banda qui dirigea le Malawi de 2012 à 2014 ou encore Catherine Samba-Panza qui accéda à la présidence de la République centrafricaine entre 2014 et 2016. Des fonctions qui restent encore beaucoup trop rarement accessibles aux femmes sur un continent où celles-ci jouent pourtant un rôle économique majeur…

L. V.

A Marseille, Don Camillo au conseil municipal

5 avril 2021

Le 2 avril 2021, en ce jour de Vendredi saint, se tenait la réunion du Conseil municipal de Marseille. Une réunion particulièrement attendue puisqu’elle devait notamment permettre l’adoption du budget 2021, le premier élaboré par la nouvelle municipalité élue en juin dernier. Un dossier largement médiatisé et dramatisé par le maire, Benoît Payan, qui alerte depuis des mois sur l’état catastrophique dans lequel il a trouvé les finances de la Ville, acculée face à un véritable mur d’endettement.

Benoît Payan en conférence de presse le 7 janvier 2021 (photo © Christophe Simon / AFP / Challenges)

Difficile, dans ces conditions, de tenir les engagements ambitieux de la campagne menée par le Printemps marseillais, notamment en matière de rénovation des écoles et autres équipements publics municipaux, laissés en déshérence depuis des années. Mais c’est pourtant le pari de la municipalité d’essayer de concilier cette ambition rénovatrice avec l’absence d’augmentation des impôts locaux, en s’appuyant sur une large renégociation de la dette, rendue possible par la faiblesse des taux actuels.

Les plus curieux des citoyens marseillais ont pu suivre en direct ce conseil municipal fleuve qui est entièrement retranscrit sur le site de la Ville, transparence des débats oblige, et que Marsactu a également commenté en direct grâce à l’abnégation de trois de ses journalistes qui se sont relayés dès 8h30 du matin et jusqu’à un peu plus de 18h, pour conclure par la traditionnelle formule : « l’ordre du jour est épuisé, et nous avec »…

Benoît Payan, lors du Conseil municipal du 2 avril 2021 (extrait vidéo source © Ville de Marseille)

Il faut dire que, pour la première fois de son histoire et du fait de la crise sanitaire qui vient bousculer les traditions démocratiques même les mieux ancrées, ce conseil était organisé en visioconférence. Rien que l’appel des 101 conseillers en début de séance relevait déjà de la gageur, le temps que chacun se fasse rappeler à l’ordre parce qu’il avait oublié de rallumer son micro en temps opportun, ou vice-versa, au risque de partager en direct certaines conversations privées qui auraient sans doute mérité de le rester…

Un exercice démocratique de haute voltige qui a permis à tout un chacun de découvrir le bureau ou le salon des élus et leur art tout personnel de la mise en scène. L’occasion de constater le véritable capharnaüm qui règne chez l’ancienne tête de liste Bruno Gilles par exemple, avec un incroyable entassement de livres et d’objets hétéroclites jusqu’au plafond…

Bruno Gilles, intervenant lors du Conseil municipal du 2 avril 2021 (extrait vidéo source © Ville de Marseille)

L’occasion aussi de voir que certains, à l’instar de la conseillère LR Emmanuelle Charafe qui n’intervient que pour défendre le bilan médical de la Métropole et du Département, suit les débats depuis sa voiture, tout en précisant qu’elle s’est arrêtée le temps de prendre la parole. Quant à la conseillère RN, Gisèle Lelouis, sa fébrilité suite à un problème technique de larsen en direct lui fait couper carrément sa caméra après un tripotage frénétique des réglages de son ordinateur !

Dans un tel contexte, adopter dans la journée les 129 rapports inscrits à l’ordre du jour était une véritable gageur. Mais le pari a été tenu, grâce à un système de vote implicite par groupe politique, révélant un indéniable talent d’animateur du Maire, assis à la tribune et flanqué de sa première adjointe et éphémère prédécesseur, Michèle Rubirola, et de son adjoint aux finances, Joël Canicave, protégé sur ses arrière par ses deux fidèles du Cabinet, Arnaud Drouot et Lauriane Deniaud, tous masqués comme il se doit.

Germaine Poinso-Chapuis, ministre de la Santé publique en novembre 1947 (photo © Getty / France Culture)

Benoît Payan s’est même payé le luxe de dresser, à la reprise des débats en début d’après-midi, un vibrant hommage à Germaine Poinso-Chapuis, première femme ministre de plein exercice, nommée au Ministère de la Santé dès 1947. Cette avocate marseillaise de droite, élue à l’Assemblée Nationale dès 1945 et réélue à deux reprises, est restée conseillère municipale de Marseille jusqu’en 1959 et Jean-Claude Gaudin affirme que c’est elle qui lui a inspiré sa vocation d’homme politique !

Curieusement, les ténors de la droite marseillaise furent bien silencieux lors de cette réunion du Conseil municipal de Marseille au cours de laquelle ni Martine Vassal ni Lionel Royer-Perreaut, ni d’ailleurs Stéphane Ravier, ne jugèrent utiles de prendre la parole. Pourtant, cette séance fut l’occasion d’un échange savoureux entre Benoît Payan et Catherine Pila, dans un sketch qui mériterait de figurer au répertoire du Petit Monde de Don Camillo.

Rassemblement de Templiers catholiques en 2019 devant l’abbaye Saint-Victor (source © Templiers d’aujourd’hui)

En l’occurrence, c’est le père Gérard, curé de la paroisse de Saint-Victor, qui tenait le rôle de Don Camillo, par le truchement de sa porte-parole officielle, Sœur Catherine Pila, laquelle s’était déjà illustrée lors des dernières municipales en allant faire campagne à l’église entre deux sermons dominicaux. Cette dernière s’est livrée, en plein conseil municipal, à la lecture d’un texte interminable et totalement surréaliste, dans lequel elle explique par le menu en quoi le fameux père Gérard trouve louable l’initiative présentée par la mairie d’organiser, une fois par mois, un marché bio sur la place devant l’église, mais s’oppose fermement à l’idée qu’il puisse se tenir le dimanche, « jour du culte ». Elle égratigne au passage le fait d’organiser une réunion du Conseil municipal le jour du Vendredi saint et l’absence de concertation préalable avec le conseil paroissial. Selon elle, le père Gérard est même persuadé que l’installation de ce marché bio devant Saint-Victor est une véritable déclaration de guerre à sa paroisse et elle se fait longuement l’écho de ses inquiétudes, comme si tenir un marché le jour du Seigneur serait en réalité une provocation qui remet en cause la liberté du culte.

Catherine Pila, intervenant lors du Conseil municipal du 2 avril 2021 (extrait vidéo source © Ville de Marseille)

Une provocation doublée d’une autre puisque la municipalité envisage d’ouvrir au public le square Bertie Albrecht considéré comme « le jardin de la paroisse » et qui est utilisé sporadiquement pour réunir les fidèles. Benoît Payan s’impatiente de la voir égrener « la litanie de tous les saints » et de se faire le porte-parole du clergé en plein conseil municipal malgré la loi de séparation de l’Église et de l’État qui date pourtant de 115 ans ! Il tente en vain de lui couper la parole mais c’est finalement la défaillance du micro de Mme Pila qui finit par faire taire l’élue d’opposition, déterminée à lire jusqu’au bout son discours du père Gérard. Sophie Camard, maire de secteur, apaise la tension en expliquant qu’elle et ses services ont bien évidemment rencontré le fameux père Gérard et n’ont aucun mal à trouver avec lui un terrain d’entente qui devrait permettre la tenue de ce malheureux petit marché bio mensuel, sans que cela ne risque de déclencher une nouvelle guerre de religion comme le laisse entendre Catherine Pila. Le temps pour Benoît Payan de lancer un « amen » et de passer au sujet suivant, et voila que c’est le tour du député Julien Ravier de rebondir en expliquant qu’à la Valentine aussi, la municipalité a commis ce crime majeur contre le culte catholique en imaginant organiser un autre marché de producteurs un dimanche.

On en reste coi devant un tel déferlement de bigoterie d’un autre âge de la part d’une droite marseillaise dont la mauvaise foi va jusqu’à prétendre que, bien évidemment, ils défendraient avec la même vigueur l’organisation d’un marché, fusse-t-il de producteurs bios, un vendredi ou un samedi, car cela ne pourrait être interprété que comme une attaque intolérable contre le culte israélite ou musulman.

Don Camillo (interprété par Fernandel) et Peppone (Gion Cervi), ou le dialogue impossible ? (source © DR / 24 heures)

Le citoyen marseillais ne peut qu’être confondu devant de tels propos qui mettent ainsi la religion au cœur de la vie publique communale dans un État pourtant laïc. On se croirait en effet revenu à l’époque des affrontements entre Don Camillo et le maire communiste Peppone, dans l’Italie post fasciste, ou pire encore aux violents affrontements entre révolutionnaires et cléricaux du temps de la Révolution française. Rappelons d’ailleurs au passage que ce père Gérard, dont Mme Pila fait si grand cas, a eu un homonyme, qui n’était pas curé mais paysan, le seul cultivateur d’ailleurs élu à l’Assemblée constituante en 1789, et dont le révolutionnaire Collot d’Herbois se fit le porte parole, dans son célèbre Almanach du père Gérard. A Marseille, il semblerait que la Révolution couve toujours et que les affrontements entre la société civile et le clergé restent d’actualité : voila qui n’a rien de rassurant !

L. V.

Ça plane pour le chanvre

3 avril 2021

Le chanvre serait, dit-on, l’une des plantes les plus anciennement cultivée par l’Homme, dès le Néolithique en Asie. Curieusement, elle est presque plus connue désormais sous son nom latin Cannabis sativa, du fait de ses vertus psychotropes, surtout issues du « chanvre indien » qui pousse en climat équatorial et est riche en résine de tétrahydrocannabinol (THC). Cet usage psychotrope, popularisé par la culture hippie dans les années 1960 date en fait de la nuit des temps puisqu’on le trouve mentionné dans des textes égyptiens antiques comme dans d’anciens traités chinois et indiens, même si l’Occident n’en a découvert les vertus thérapeutiques puis récréatives qu’au XIXe siècle…

Culture de chanvre dans la Sarthe (source © La galerie du chanvre)

Mais si le chanvre connaît un tel succès, c’est parce que cette plante possède bien d’autres usages. En fait, comme dans le cochon, tout est bon dans le chanvre ou presque. Ses fibres en particulier ont été utilisées, dès 600 avant J.-C., pour confectionner des vêtements en Chine, usage qui s’est fortement répandue en Europe dès le Moyen-Âge. Le papier à base de fibre de chanvre a aussi été très utilisé jusqu’en 1883 et aurait, paraît-il, servi à imprimer la première Bible sortie des presses de Gutenberg en 1454, avant d’être réservé à l’impression des billets de banques.

Au XVIIe siècle, les fibres de chanvre étaient particulièrement prisées pour la réalisation de cordages. En 1661, Colbert lance ainsi la construction de la Corderie royale de Rochefort pour fabriquer les gros cordages en chanvre de 200 m de longueur destinés à la Marine. Vers la même époque, avec l’installation le long du Vieux-Port de l’Arsenal des galères, se développe à Marseille une véritable industrie de fabrication de cordage et de voiles en chanvre. Après la destruction des remparts de la ville en 1666, la nouvelle rue qui s’étend entre le cours Saint-Louis et l’Arsenal prend naturellement le nom de Canebière justement en référence au chanvre cultivé depuis des siècles dans les marécages du bord de mer dans la partie basse de cette artère popularisée dans le monde entier par la chanson de Vincent Scotto.

Le bas de la Canebière sur le Vieux-Port (source © Mon chanvre)

Et voilà que le chanvre revient en force comme culture industrielle après avoir été quasiment abandonnée, souvent interdite pour limiter la production de marijuana mais surtout à cause du développement d’autres fibres textiles dont le coton, omniprésent avant d’être remplacé par les fibres synthétiques à base de produits pétroliers. Alors qu’on cultivait plus de 175 000 ha de chanvre en France au milieu du XIXe siècle, ces surfaces ne dépassaient pas quelques centaines d’hectares en 1960.

Mais depuis, la culture de chanvre industriel, à très faible teneur en THC, connaît un net regain, d’abord pour un usage papetier, puis pour répondre à différents besoins dont celui des isolants thermiques. Le bois de chanvre, ou chènevotte, issu de la partie centrale de la chanvre, mélangé à de la chaux produit le béton de chanvre, connu depuis l’Antiquité mais qui revient en force en isolation intérieure comme extérieure du fait de son grand pouvoir de « respiration » naturelle. La laine de chanvre est également un excellent isolant thermique qui concurrence très favorablement d’autres produits plus traditionnels comme les laines minérales.

C’est d’ailleurs principalement ce nouveau marché de l’isolation des bâtiments qui a permis un important développement de la culture de chanvre ces dernières années. La Champagne en particulier s’en est fait une véritable spécialité en devenant la première région productrice en Europe. La France est d’ailleurs leader européen en la matière avec plus de 83 000 tonnes de fibres et étoupe de chanvre produits en 2017.

Culture de chanvre en Camargue (photo © Jérôme Rey / La Provence)

Mais les Bouches-du-Rhône renouent désormais avec la culture du chanvre pratiquée à Marseille depuis l’époque des Gaulois. En 2019, deux entrepreneurs, cofondateurs de la société ABC Chanvre, implantée à Trets, ont lancé leur propre filière de développement du chanvre avec 25 ha cultivés entre la Camargue et les Alpilles. Une surface qu’ils ont doublé dès cette année, avec pour débouché visé principalement le textile et le béton de chanvre. Leur objectif est d’atteindre les 500 ha dès 2023, ce qui permettrait de rentabiliser une unité fixe de transformation industrielle de la fibre.

Contrairement à d’autres cultures, celle du chanvre est parfaitement adaptée à l’agriculture biologique du fait de la robustesse de la plante qui ne nécessite pas de pesticides. Une culture qui est donc bien dans l’air du temps et qui permet d’offrir de très nombreux débouchés. Outre celui du bâtiment, on peut bien sûr citer celui du textile puisque l’on voit désormais apparaître de nombreuses marques qui commercialisent des vêtements bio-sourcés et de sacs à base de chanvre. Les fibres de chanvre sont aussi utilisées comme renfort pour alléger les carrosseries de certaines voitures, dans la lignée de Ford aui avait expérimenté dès 1940 la construction d’une voiture à carrosserie de chanvre.

Feuilles de Cannabis sativa (source © La fleur de Jack)

La chènevotte est aussi utilisée comme litière absorbante pour animaux ou comme paillage pour les cultures maraîchères, tandis que les graines de chanvre, dites chènevis, sont particulièrement riches en protéines et en huile. Consommées couramment en France jusqu’au XIXe siècle, elles reviennent à la mode, du fait de la forte teneur en oméga 3 et 6 et de la faible concentration en acides gras saturés de l’huile de chanvre. Cette dernière, qui a d’ailleurs aussi été utilisée comme combustible automobile bien avant le gazole, présente bien d’autres usages, notamment dans la fabrication de peintures, vernis, encres et cosmétiques.

Le chanvre, après avoir été une des plantes les plus anciennement cultivées, serait-il en train de redevenir un élément majeur de l’agriculture de demain ?

L. V.