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Donald Trump de nouveau à la Maison Blanche ?

17 février 2024

Aux États-Unis, les prochaines élections présidentielles, les soixantièmes depuis que le pays existe, ne sont prévues que dans près de 9 mois, le 5 novembre 2024 et d’ici-là tout peut arriver. Pourtant, on croit déjà savoir, avec un degré élevé de certitude, qui seront les deux prétendants à cette fonction qui n’a rien d’anodin, les USA restant à ce jour la première puissance militaire et économique mondiale, même si la Chine commence à la talonner mais avec un PIB par habitant qui reste trois à quatre fois plus faible que celui des Américains.

Côté Républicains, la qualification de Donald Trump, qui a annoncé sa candidature pour un second mandat dès novembre 2022, ne fait plus guère de doute même si les primaires sont loin d’être terminées. Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, qui semblait avoir le plus de chance de le contrer, a jeté l’éponge dès le 21 janvier et les candidats encore en lice face à Donald Trump ne font manifestement plus le poids. Seule une décision de la Justice pourrait encore l’arrêter sachant que les condamnations successives qui l’ont frappé récemment ne font s’accroître encore sa popularité auprès d’un électorat populaire et antisystème qui le plébiscite.

2024 : un duel au sommet entre un Trump imprévisible et un Biden incohérent ? Un dessin signé Oli

Le 19 décembre 2023, la Cour Suprême du Colorado, suivi depuis par celle du Maine, avait décidé qu’il ne pouvait concourir à la primaire dans cet État, une inéligibilité qui découle de son rôle actif de soutien aux milliers de sympathisants qui avaient pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, deux mois après les élections présidentielles qui avaient mis fin à son mandat en consacrant la victoire de son adversaire Démocrate, Joe Biden.

Une victoire que Donald Trump avait eu bien du mal à reconnaître, faisant même vaciller la démocratie américaine lors de cette folle journée qui avait vu ses partisans se déchaîner contre les symboles du pouvoir fédéral. C’est la Cour Suprême des États-Unis qui devra trancher ce sujet sensible mais on voit mal comment elle pourrait empêcher le très populaire Donald Trump de concourir pour un nouveau mandat alors que tous les sondages le donnent actuellement en tête face à un président sortant vieillissant et affaibli.

Kamala Harris et Joe Biden à la Maison Blanche (source © Monmouth University)

Lors des précédentes élections, en 2020, le Démocrate Joe Biden s’était beaucoup appuyé sur sa colistière, Kamala Harris, devenue Vice-Présidente des États-Unis et on aurait pu penser que cette dernière reprenne le flambeau à l’occasion de l’échéance de 2024 pour laquelle Joe Biden aura atteint l’âge plus que respectable de 82 ans. Mais Kamala Harris n’a manifestement pas réussi à s’imposer et soutient donc de nouveau la candidature de Joe Biden qui n’a pas de vrai adversaire dans le camp démocrate, même si Robert Kennedy Junior s’est lancé dans la course, sans grandes chances de succès.

Pour autant, beaucoup s’interrogent sur les réelles capacités du président sortant à assumer pleinement la fonction pendant encore quatre longues années, lui dont les bourdes et les absences défrayent la chronique. Déjà lors de la campagne de 2020, son air souvent éteint et ses multiples incohérences avaient fait l’objet de nombreuses spéculations sur son état de santé, alors qu’il avait déjà subi deux attaques cérébrales, une embolie pulmonaire et une thrombose veineuse profonde. Donald Trump, pourtant aujourd’hui âgé de 77 ans, s’était moqué à moult reprises du manque de dynamisme de son adversaire qu’il surnomme cruellement « Sleepy Joe ».

Joe Biden, ici en juillet 2022, prononçant un discours sur le droit à l’avortement (photo © SIPA / Shutterstock / Est Républicain)

Le fait est que la situation ne s’est pas arrangée depuis, Joe Biden multipliant les faux pas et les pertes de mémoire en public. On l’a vu trébucher à de nombreuses reprises, s’étalant lamentablement en montant la passerelle de l’avion présidentiel Air Force One et racontant des inepties, évoquant par exemple ses entretiens, au début de son mandat, avec le président de l’Allemagne, un certain Mitterrand… De quoi laisser ses interlocuteurs abasourdis, comme lors de cette conférence de presse en septembre 2023, à l’occasion d’un voyage officiel au Vietnam, au cours de laquelle il a tenu des propos totalement décousus, évoquant un film de John Wayne et des histoires d’indiens Apache alors qu’on le questionnait sur le réchauffement climatique, avant d’annoncer qu’il allait se coucher, obligeant son attaché de presse à interrompre la séance en catastrophe…

Blanchi dans l’affaire de la mauvaise gestion de documents classifiés par un rapport plutôt bienveillant du procureur spécial qui évoque comme excuses sa « mauvaise mémoire », Joe Biden a réagi vertement en convoquant illico une conférence de presse en pleine nuit, ce jeudi 8 février 2024, mais sans se montrer très convaincant avec sa démarché hésitante, son air éteint et accumulant encore les gaffes en évoquant le nom du maréchal al-Sissi pour parler du Président mexicain !

Un dessin signé Patrick Chappatte, publié le 10 février 2024 dans Le Temps de Genève

Du pain béni pour son futur adversaire Donald Trump dont on connait certes les multiples incohérences et approximations, mais dont personne ne semble s’offusquer. Le bilan économique de Joe Biden est pourtant plutôt favorable et le plan de relance qu’il a impulsé après la pandémie de Covid a permis à l’économie américaine de repartir avec un taux de croissance de 2 % dès 2022 et un taux de chômage très faible à 4 %, mais au mépris d’un retour de l’inflation et d’une augmentation des inégalités sociales. De fait, les sondages montrent qu’une large majorité des Américains font davantage confiance à Donald Trump pour redresser l’économie du pays. Sur le plan international, le retrait piteux par Joe Biden des troupes américaines d’Afghanistan a marqué défavorablement les esprits même si l’isolationnisme semble faire un large consensus chez les Américains. De fait, le soutien apporté par les USA aux alliés ukrainiens suite à l’invasion russe s’essouffle et Joe Biden a désormais bien du mal à masquer que ce n’est plus une priorité américaine.

Donald Trump en campagne pour les Primaires dans l’Iowa (source © AFP / Ouest-France)

Si Donald Trump devait remporter les prochaines présidentielles américaines, cet isolationnisme américain risque de se renforcer encore davantage. Lors de son premier mandat, il avait été fortement freiné dans ses élans par les scrupules et l’inertie de la haute administration et du commandement militaire américain. Mais il a retenu la leçon et saura en cas de réélection faire rapidement le ménage.

C’est d’ailleurs sans doute ainsi qu’il faut comprendre sa récente répartie à un journaliste lui demandant : « Promettez-vous à l’Amérique ce soir, que vous n’abuserez jamais de votre pouvoir pour vous venger de qui que ce soit ? », ce à quoi Donald Trump a répondu tout à trac : « Sauf le premier jour… Je veux fermer la frontière et je veux forer, forer, forer ». On ne serait être plus clair et au moins les Américains savent à quoi s’attendre, et les Européens aussi car ce sont manifestement ce que veulent entendre la majorité de nos alliés outre Atlantique…

L. V.

Deux Argentins que tout oppose

19 septembre 2023

Le 22 septembre 2023, le pape François sera donc en visite officielle à Marseille. Un événement planétaire à en croire le maire de la ville, le socialiste Benoît Payan, issu de l’immigration italienne et élevé par sa grand-mère dans le respect de la foi catholique. Il ne manque d’ailleurs pas de le faire remarquer : « Rendez-vous compte, c’est la première visite d’un pape depuis Clément VII, en 1533 ! Cinq siècles sans pape, c’est long. L’événement sera immense ». Il faut dire que ce pape a tout pour plaire à Benoît Payan, toujours persuadé que sa ville occupe une place à part, lui qui aurait susurré à son entourage : « Je ne vais pas en France, je vais à Marseille… ».

Affiche du diocèse de Luçon pour la messe papale prévue à Marseille le 23 septembre 2023 (source © paroisse de Moutiers)

D’où les propos dithyrambiques de Benoît Payan qui ne tarit pas d’éloges envers le chef de l’Église catholique, invitant même ses adversaires politique conservateurs, dans une interview à La Provence, à « lire les Évangiles » en leur rappelant que « il y est écrit qu’on doit tendre la main aux plus faibles, aux plus démunis » et que le pape François a bien raison quand il dit aux gouvernements : « ne fermez pas les yeux, ne fermez pas les mains, ne laissez pas mourir les gens en Méditerranée, vous n’avez pas le droit, vous pays riches, de détourner le regard ».

Benoît Payan, maire de Marseille depuis décembre 2020 (photo © AFP / 24 heures)

Un message de compassion et de fraternité qui est effectivement la marque de l’Argentin Jorge Mario Bergoglio, lui aussi fils d’un immigré italien, devenu archevêque de Buenos Aires, puis élu pape le 13 mars 2013, à la suite de la renonciation de Benoît XVI. Le choix même de son nom est une référence à François d’Assise, surnommé « le saint des pauvres ».

La publication de sa seconde encyclique, titrée Laudato si, en juin 2015, à la veille de l’accord de Paris sur le climat, avait fait beaucoup de bruit car le pape y reconnaissait sans détour la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique et appelait ouvertement à davantage de sobriété énergétique tout en dénonçant ouvertement les dérives de la mondialisation et du capitalisme débridé, source d’inégalités flagrantes au détriment des pays les plus pauvres.

Le pape François bientôt en visite officielle à Marseille, ici en 2014 à Strasbourg (photo © Olivier Corsan / Le Parisien)

Une position sociale très forte, suivie le 3 octobre 2020 par une nouvelle encyclique, dénommée Fratelli tutti, qui s’insurge clairement contre le dogme néolibéral et prône une fraternité et une solidarité renouvelées. De quoi semer quelques pierres dans le jardin de la bien-pensance conservatrice, ce que Benoit Payan ne manque pas de souligner, au risque d’agacer sévèrement son opposition politique de droite qui, à l’instar de Catherine Pila ou Martine Vassal, sans même parler de la regrettée Maryse Joissains, n’hésite jamais à afficher ses convictions religieuses catholiques sans forcément mettre en pratique les enseignements chrétiens…

Cette préoccupation du pape François en faveur de l’accueil des migrants et de la nécessaire solidarité envers les plus pauvres, ainsi que ses critiques acerbes d’un « libéralisme sauvage globalisé » pour reprendre ses propres termes, sont pourtant loin de faire l’unanimité, non seulement parmi la droite marseillaise qui grince des dents, mais aussi dans son pays d’origine. L’Argentine en effet est en pleine séquence électorale et se prépare à élire, le 22 octobre 2023, son président ainsi que ses députés et sénateurs. Et celui qui fait figure d’ultra favori pour diriger le pays pour les 4 prochaines années est un représentant de l’extrême droite ultra libérale qui n’a absolument aucun point de convergence avec son compatriote installé à Rome, sinon peut-être leur refus commun de l’IVG…

Le président sortant, Alberto Fernández, avec sa vice-présidente, Cristina Kirchner, lors de son investiture, le 10 décembre 2019 (photo © Casa Rosada / Al Navio)

Il faut dire que le contexte économique argentin connaît bien des vicissitudes… Chacun garde en tête la crise profonde de décembre 2001 qui a vu se succéder 4 présidents en 10 jours, dans un climat d’émeutes et de pillages tandis que le pays se déclare officiellement en cessation de paiement. En 2019, le président sortant de droite, Mauricio Macri, qui avait mené une politique économique très libérale, conduisant à une dégradation massive des conditions de vie de la majorité, 40 % des Argentins se retrouvant sous le seuil de pauvreté, est sèchement battu dès le premier tour par le candidat du centre gauche, Alberto Fernández, épaulé par l’ancienne présidente, Cristina Kirchner, désormais au poste clé de vice-présidente.

Le nouveau gouvernement augmente les impôts pour les plus aisés ainsi que les taxes sur les exportations, négocie un rééchelonnement de la dette auprès du FMI, augmente le salaire minimum, lance un plan de lutte contre la faim, gèle le tarif des services publics… Un programme résolument social qui permet à l’Argentine de renouer avec la croissance en 2021 et de voir le taux de chômage passer de 13 à 7 % en 2 ans tandis que le taux de pauvreté recule enfin. Mais l’inflation se poursuit et, malgré son bilan plutôt honorable, Alberto Fernández n’est pas en mesure de se représenter, un peu comme François Hollande à l’issue de son mandat présidentiel en 2017

Sergio Massa, ministre argentin de l’économie et candidat de la gauche aux prochaines présidentielles (photo © Luis Robayo / AFP / Le Monde)

Le système électoral argentin présente la particularité d’organiser des primaires nationales auxquelles chaque parti peut présenter un ou plusieurs candidats et qui font office de sondage grandeur nature mais aussi de filtre pour éliminer les candidatures peu crédibles. Celles-ci se sont déroulées le 13 août 2023 et elles se sont traduites par un score remarquable pour le candidat ultra libéral, Javier Milei, qui arrive largement en tête avec plus de 30 % des votes, écrasant ses rivaux des 2 partis traditionnels, le péroniste Sergio Massa, actuel ministre de l’économie, et la très droitière Patricia Bullrich qui s’opposait, lors des primaires au maire de Buenos Aires, Horacio Larreta.

Javier Milei célébrant sa victoire aux primaires le 13 août 2023, au siège de son parti à Buenos Aires (photo © Alejandro Pagni / AFP / i24news)

Javier Milei a donc des chances de se retrouver très prochainement à la tête du pays alors qu’il n’est entré en politique qu’en 2021, élu député à l’occasion d’une législative partielle, au nom de son tout nouveau parti « La liberté avance ». Ancien économiste de la banque HSBC, cet adepte de l’école autrichienne qui rejette toute intervention de l’État, veut réduire drastiquement les services publics via son « plan tronçonneuse », supprimer la Banque centrale, libéraliser la vente d’armes et favoriser la vente d’organes, privatiser la plupart des entreprises publiques et rétablir l’interdiction de l’avortement, légalisé en 2020…

Son discours, souvent brutal, fustige une « caste politique parasite, corrompue et inutile », un discours qui fait mouche chez les électeurs argentins déçus par l’inflation et la crise économique persistante après une alternance des deux principaux partis de droite et de gauche. Pour en finir avec l’inflation, Milei propose d’abandonner le peso argentin au profit du dollar américain, une position radicale d’abandon de toute souveraineté économique, doublée d’une coupe drastique dans les dépenses sociales et les services publics.

Les positions de Javier Milei, qui rencontrent manifestement une oreille attentive de la part de bien des Argentins, écœurés par les errements de leurs responsables politiques et le dysfonctionnement récurrent des services de santé et d’éducation, sont bien sûr à l’exact opposé de celles de son compatriote évêque de Rome qu’il n’hésite d’ailleurs pas à traiter de « gauchiste de merde »… Milei se moque comme d’une guigne des effets du réchauffement climatique qu’il considère comme « une invention socialiste » tandis qu’il juge que la notion même de justice sociale est « une aberration ». Un débat pour le moins tranché entre deux personnalités que tout oppose !

L. V.

Politique fiction : Marianne s’amuse…

29 juillet 2023

C’est l’été, chacun ne pense plus qu’à la plage et les journalistes politiques s’ennuient… Le gouvernement vient d’être (un peu) remanié, après avoir tant bien que mal tourné la page de la houleuse réforme des retraites, au terme de 100 jours qui ne resteront assurément pas dans l’Histoire de France. Élisabeth Borne a réussi à sauver de justesse son poste de Premier ministre, faute de mieux probablement, tandis que les principaux poids lourds du gouvernement restent indéboulonnables.

Le nouveau gouvernement dans les jardins de Matignon le 24 juillet 2023, en l’absence néanmoins de Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Catherine Colonna ou encore Sébastien Lecornu, tous en Nouvelle-Calédonie avec le Président de la République  (© compte Twitter Elisabeth Borne)

Bruno Le Maire a beau se distinguer par sa passion irrépressible pour la publication en rafales de romans dont les passages érotiques émoustillent la France entière, il reste fidèle à son poste depuis 6 ans maintenant, malgré un bilan économique plutôt calamiteux, ayant creusé la dette comme jamais, après avoir supprimé l’Impôt sur la fortune puis renoncé à la taxe carbone suite à la révolte des Gilets jaunes, avant d’ouvrir en grand les vannes pendant la crise du Covid sans pour autant amorcer la moindre réindustrialisation du pays.

Quant à son grand rival de droite, Gérald Darmanin, qui se serait bien vu à Matignon, il s’enfonce dans sa politique de soutien inconditionnel aux forces de l’ordre dont il pardonne toutes les bavures, renforçant jour après jour la défiance généralisée qui s’installe chez une part croissante de la population, vis-à-vis du pouvoir mais aussi de nos institutions républicaines elles-mêmes…

Bruno Le Maire, Emmanuel Macron et Gérald Darmanin (photo © AFP / RTL)

Alors, certains s’amusent à imaginer des scénarios de politique fiction qui, reconnaissons-le, ne manquent pas de sel et permettent, à défaut de suivre une actualité politique peu palpitante en cette période estivale, de faire sourire les citoyens en vacances.

Citons notamment dans cette veine, les excellentes chroniques d’été que publie depuis la mi-juillet l’écrivain David Desgouilles dans l’hebdomadaire Marianne. Tombé très jeune dans la marmite politique où il est attiré par la figure du gaulliste Philipe Séguin, il s’était fait connaître par son premier roman uchronique intitulé Le bruit de la douche, publié en 2015, dans lequel il imaginait que Dominique Strauss-Kahn n’avait pas croisé le chemin d’une certaine Nafissatou Diallo, femme de chambre du Sofitel de New-York, ce fameux 14 mai 2011, et qu’il avait donc entrepris dans la foulée la campagne électorale qui devait assez naturellement le conduire un an plus tard à l’Élysée, avec sa conseillère spéciale, une certaine Anne-Sophie Myotte, souverainiste franc-comtoise, véritable héroïne du roman et alter égo évident de l’auteur.

Car David Desgouilles est un souverainiste pur sucre. Son dernier ouvrage, paru en 2019 sous le titre Leurs guerres perdues, n’est autre que le récit des désillusions successives de trois militants, ballotés de meetings en universités d’été, entre deux élections et de multiples trahisons, sur cette période de 1988 à 2017 qui voit les souverainistes, de Philippe Seguin à Jean-Pierre Chevènement, se déchirer et perdre peu à peu pied face au rouleau compresseur de l’intégration européenne et de la mondialisation. Une analyse très fine de 30 ans de politique française racontée de manière romanesque par ce nouveau Balzac, très bon connaisseur des arcanes du pouvoir.

L’auteur et chroniqueur David Desgouilles (photo © Hannah Assouline / Causeur)

Un talent qu’il met à profit pour raconter, dans les numéros d’été de Marianne, de savoureuses nouvelles dans lesquelles il imagine comment Emmanuel Macron pourrait envisager de conserver le pouvoir au-delà de 2027 puisque chacun sait que la Constitution lui interdit de se représenter pour un troisième mandat consécutif. On ne dévoilera pas le détail des scénarios les plus rocambolesques concoctés par David Desgouilles, d’autant qu’à ce jour seuls les trois premiers épisodes ont été publiés, mais on ne résistera pas au plaisir d’évoquer au moins le premier, à titre d’amuse-gueule…

Intitulé Le Gendre, idéal, cette première nouvelle reprend à son compte l’idée de La Chèvre, le film de Francis Veber, qui met en scène un Pierre Richard d’apparence aussi stupide et maladroit que malchanceux, mais qui trompe son monde et s’avère plus efficace que l’expert affuté et compétent qui le chaperonne. Cherchant vainement quel candidat de son camp adouber pour poursuivre son œuvre en 2027, alors que tous les prétendants se poussent du col et s’entredéchirent, Emmanuel Macron choisit donc « le plus con »… Son fidèle secrétaire général, Alexis Kohler, entretient le suspens pendant des mois autour de ce « Monsieur ou Madame X », faisant monter sa cote auprès d’une opinion publique piquée par la curiosité, au grand désespoir des ténors de la Macronie.

Emmanuel Macron réélu grâce au leurre Gilles Le Gendre : fiction ou prémonition ? (illustration  © Hervé Bourhis pour Marianne)

Lorsque le nom du candidat est finalement dévoilé, les Français découvrent un Gilles Le Gendre, gaffeur et laborieux mais profondément humain, qui séduit les Français et désarçonne ses adversaires, au point de se faire élire contre toute attente. Trois mois plus tard, l’Élysée fait savoir qu’il a été victime d’un burn out et est empêché de gouverner, et en octobre, Emmanuel Macron est facilement réélu à sa place…

On n’en dira pas trop des épisodes suivants pour ne pas divulgâcher comme on dit de nos jours, mais les titres des nouvelles suivantes parlent d’eux-mêmes… Opération Madame est bâti autour de la candidature d’une certaine Brigitte Macron qui remplace son mari à l’Élysée grâce à un positionnement très identitaire, tandis que la chronique intitulée Le cœur fragile du Vétérinaire, imagine le Président sortant démissionner brutalement au cœur de l’été, laissant ainsi l’intérim au Président du Sénat comme le veut la Constitution, l’inamovible Gérard Larcher, ex vétérinaire de Rambouillet, qui profite de cette campagne éclair pour se faire élire à l’Élysée avec le soutien d’Emmanuel Macron, avant de disparaître brutalement, victime d’une crise cardiaque peu avant Noël, comme l’avait escompté son prédécesseur, informé de sa santé fragile et qui dispose alors d’un boulevard pour se faire réélire…

Bien évidemment, toute ressemblance de ces pures fictions avec la réalité des combines politiques que pourrait imaginer notre Président de la République ne pourrait être que fortuite. Chacun sait bien qu’en politique, la réalité est toujours bien plus tordue que la fiction !

L. V.

François Ruffin et les betteraves de Napoléon

20 Mai 2023

La prochaine élection présidentielle n’est prévue que dans 4 ans, en 2027, mais déjà les sondages commencent à interroger les Français sur leurs intentions de vote, alors que, bien évidemment, personne n’a encore la moindre idée du contexte politique qui prévaudra, ni des candidats qui se lanceront ! Mais cela n’empêche pas de conjecturer… Un point semble en tout cas se dégager de ces premiers sondages, c’est le score particulièrement élevé que la candidate du RN, Marine Le Pen, pourrait espérer, avec des intentions de vote au premier tour qui la placent autour de 30 %, et même une possibilité de remporter le second tour, ce qui constituerait un véritable séisme politique…

Le second tour des présidentielles de 2027 opposera-t-il Marine Le Pen (photo © AFP / Challenges) et Édouard Philippe ? (photo © Bertrand Gay / AFP / La Dépêche)

A ce stade, bien malin qui pourrait dire qui se présentera face à elle. On sait déjà que le président sortant, Emmanuel Macron, n’est pas autorisé à concourir pour un troisième mandat et les prétendants sont nombreux pour représenter son camp. A ce jour, et au vu de ces sondages encore très préliminaires, c’est l’ex premier ministre, Édouard Philippe, qui pourrait peut-être faire le meilleur score, sans doute parce qu’il n’a plus de responsabilité gouvernementale…, tout en plafonnant en dessous des 25 % au premier tour. Et le candidat de la gauche, en supposant que celle-ci se présente unie, n’arriverait donc, vraisemblablement qu’en troisième position, avec un peu plus de 20 %…

Mais bien sûr, tout ceci ne reflète que les opinions du moment et peut encore largement évoluer. A gauche en tout cas, celui qui a incarné les plus grandes chances de succès jusqu’à présent, Jean-Luc Mélenchon, après avoir renoncé à siéger à l’Assemblée nationale, semble mettre en avant la candidature de François Ruffin, qu’un récent sondage commandé par l’Expresse semble désigner comme plus consensuel, moins autoritaire, plus sincère et surtout, plus proche des gens. Six Français sur dix considéreraient même qu’il est le candidat naturel de la gauche : de quoi monter à la tête !

François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon : vers un passage de flambeau ? (photo © Tesson / ANDBZ / Abacapress.com / Actu Orange)

Mais le député de la Somme garde la tête froide en répliquant, sur son site internet, que cette opposition artificielle entre le « gentil Ruffin » et le « méchant Mélenchon » n’a pas lieu d’être, tout en développant ses convictions, qui sont celles de la NUPES, basées sur une régulation accrue du libre-échange pour favoriser la réindustrialisation du pays, redonner du sens au travail, abriter du secteur concurrentiel des enjeux majeurs comme la santé et l’éducation, retrouver une fiscalité plus juste et renforcer le volontarisme de l’État, non pas comme béquille pour distribuer de l’aide sociale, mais comme stratège pour piloter les grandes transformations dont la France a besoin pour engager enfin le grand virage de la transition écologique et sortir de cette illusion que la mondialisation, la compétitivité et la concurrence peuvent présider à une gestion durable de la planète.

Le député François Ruffin lors d’un blocage de dépôt de carburant le 6 avril 2023 (photo © Sameer Al-Doumy / AFP / Le JDD)

S’il se différencie de Jean-Luc Mélenchon, c’est plus sur le ton, moins radical, plus consensuel et à l’écoute des gens qui, selon lui, ont d’abord besoin d’être rassurés et aspirent davantage à la paix qu’à faire la révolution. Il réfute aussi toute aventure personnelle en précisant sans ambages : « Il n’y aura pas de Messie, pas de super-héros qui viendra, avec ses petits bras musclés et son magnifique cerveau, qui viendra relever la France. Il y faut une équipe, des forces organisées, et au-delà les milliers, les millions de bonnes volontés ».

Un positionnement qui reflète son parcours de journaliste engagé, initié en 1999 par la création d’un journal local, Le Fakir, dénonçant les mensonges et les omissions du bulletin municipal « Le journal des Amiénois » de Gilles de Robien. Reporter entre 2005 et 2012 pour plusieurs émissions de radio dont celle de Daniel Mermet « Là-bas si j’y suis », il réalise en 2015 son premier film intitulé « Merci patron ! » qui dénonce les délocalisations organisées au sein de LVMH par le milliardaire Bernard Arnault. Élu député de la Somme en 2017, puis réélu triomphalement dès le premier tour en 2022, il se distingue à l’Assemblée nationale par son activisme tous azimuts et par son choix de ne conserver de son indemnité de député que l’équivalent d’un SMIC, et de quoi payer ses impôts…

Le slogan de François Ruffin et de son mouvement Picardie debout ! lors de la campagne des législatives de 2017, avec sa mascotte, la marionnette Lafleur (source © site de François Ruffin)

Il s’en prend dans un de ses récents billets d’humeur publié le 4 mai 2023, à la frilosité du gouvernement qui annonce vouloir enfin s’attaquer à la rénovation énergétique des écoles primaires, alors que celles-ci sont de la responsabilité des communes et que l’enjeu est plutôt de traiter les 5 millions de passoires thermiques qui font encore office de logement. Selon un bilan de la Cour des Comptes analysé par le Figaro, seuls 2500 logements auront ainsi été sortis en 2021 des catégories F et G les plus énergivores, grâce au dispositif gouvernemental intitulé MaPrimRenov’ : à ce rythme-là, il faudra 2000 ans pour arriver à sortir enfin les logements français de cet état qui plombe à la fois le budget familial de leurs occupants et la balance commerciale nationale…

Isolation thermique par l’extérieur d’une maison d’habitation des années 1960 : dès 2025, les passoires thermiques classées G seront interdites à la location… (photo © F. Henry / RÉA / Challenges)

Face à une telle inertie, François Ruffin met en avant le volontarisme dont certains dirigeants, confrontés à des défis de pareille ampleur, ont su faire face à l’occasion du New Deal après la crise économique de 1929 ou lors de la reconstruction après la Seconde guerre mondiale, mais aussi face au blocus économique imposé par les Anglais lors des guerres napoléoniennes… Face au blocus continental que Napoléon avait tenté d’imposer pour affaiblir sa grande rivale britannique, cette dernière, maître des océans, avait en effet riposté en bloquant toutes les importations depuis l’outre-mer, privant ainsi l’Europe du précieux sucre produit aux Antilles.

Qu’a cela ne tienne, en mars 1811, l’Empereur lance un défi en promettant 1 million de francs à qui produira le premier pain de sucre à partir de la betterave cultivée sur le sol français et dont Olivier de Serre avait montré, dès 1575, qu’on pouvait en extraire un jus sucré. Les meilleurs chimistes européens étaient alors à l’œuvre pour tenter de cristalliser le fameux saccharose à partir du jus de betterave. La promesse napoléonienne s’avère décisive puisque dès le 2 janvier 1812, on rapporte à l’Empereur qu’un industriel français, Benjamin Delessert, vient de mettre au point, dans sa raffinerie de Passy et à l’aide de son chef de fabrication, le chimiste Jean-Baptiste Quéruel, un procédé innovant permettant d’extraire le sucre de la betterave. Aussitôt, Napoléon accourt à Passy, remet à Delessert la légion d’honneur et le nomme baron d’Empire.

Le 2 janvier 1812, Napoléon remet la légion d’honneur à Benjamin Delessert dans son usine de Passy après s’être fait expliquer le procédé de fabrication du sucre à partir de jus de betterave (source © Image d’Épinal / Canalblog)

S’ensuit alors une série de décisions politique qui traduisent un volontarisme sans faille et dont François Ruffin s’extasie ainsi : « dès le 15 janvier, des décrets sont pris. Pour que cent étudiants, de chimie, de médecine, de pharmacie, soient formés à distiller du sucre de betteraves, et l’on crée trois écoles spécialisées. Pour que cinq fabriques impériales soient ouvertes, plus cinq cents fermes-distilleries. Pour que cent mille hectares de betteraves soient cultivés… » Une anecdote que le député de la Somme conclut ainsi : « Combien on aurait besoin de la même chose, aujourd’hui ? Les mêmes volontés, unies, pour transformer nos logements, nos déplacements, notre agriculture, notre industrie ? Et combien, à la place, on éprouve un enlisement… » Assurément un thème que l’on n’a pas fini d’entendre si François Ruffin se présente aux prochaines élections présidentielles !

L. V.

RN : l’extrême droite qui inquiète…

15 juin 2022

On a déjà connu pareille situation au soir du 21 avril 2002, lorsque, à la surprise générale, le leader du Front national, Jean-Marie Le Pen, s’était qualifié pour le second tour des élections présidentielles, devançant le Premier ministre sortant, Lionel Jospin, pourtant porteur d’un bilan plus qu’honorable. A l’époque, de nombreux citoyens, y compris à Carnoux, étaient descendu dans la rue pour clamer leur indignation et marquer leur attachement à un régime républicain modéré dans lequel l’extrême droite, de sinistre mémoire, n’a pas sa place. Le 1er mai 2002, on dénombrait ainsi entre 1 et 2 millions de manifestants qui affichaient ouvertement leur refus de voir le Front National arriver au pouvoir.

Manifestation contre le Front national le 1er mai 2002, ici à Grenoble, rassemblant environ 60 000 personnes, soit un tiers des habitants de la ville ! (source © Le Dauphiné libéré)

Entre les deux tours des présidentielles de 2002, la quasi totalité des responsables politiques avaient affiché sans ambiguïté leur rejet de l’extrême droite et appelé à voter contre Jean-Marie Le Pen, à l’exception du dissident d’extrême droite d’alors, Bruno Megret, et, accessoirement, d’Arlette Laguiller, leader de Lutte ouvrière, qui renvoyait dos à dos les deux prétendants. En dehors de ces quelques extrémistes très éloignés des valeurs démocratiques, un consensus émerge alors clairement pour ne pas laisser la France s’embarquer dans une aventure à rebours de ses traditions républicaines, et Jacques Chirac avait été réélu dans un fauteuil le 5 mai 2002, avec 82,21 % des suffrages exprimés.

Vingt ans plus tard, le Front national a disparu et son héritière, Marine Le Pen, a tout fait pour banaliser l’image de son parti d’extrême droite, devenu le Rassemblement national, mais qui reste ouvertement attaché à la préférence nationale et à un pouvoir fort dans lequel les notions de liberté individuelle, d’égalité républicaine et de solidarité passent au second plan. Élection après élection, ce parti n’a cessé de recueillir des scores de plus en plus élevés, sa présidente se plaçant comme challenger au second tour des deux dernières élections présidentielles, en 2017 comme en 2022, avec un nombre de suffrages croissant, comme si de plus en plus de Français finissaient par être séduits par ce discours radical et xénophobe.

Emmanuel Macron et Marine Le Pen lors du débat des présidentielles de 2022 (photo © Jacques Witt / SIPA / DNA)

Depuis des années, les électeurs de gauche se sont toujours érigés en gardiens des valeurs républicaines pour voter contre les candidats RN, quitte à voter en se pinçant le nez pour des candidats de droite pour lesquels ils n’avaient guère d’affinités. On a ainsi vu à deux reprises, en 2015 comme en 2021, les candidats de gauche aux élections régionales en région PACA, pourtant dûment qualifiés pour le second tour, se retirer volontairement de la compétition électorale pour faire barrage au Front national, sous les remerciement polis et les ricanements retenus, de leurs adversaires de droite qui se frottaient les mains devant tant d’abnégation.

Et voila que pour ce deuxième tour des législatives 2022, on se retrouve pour une fois dans une situation un peu différente. Les partis de gauche, socialistes, écologistes, insoumis et communistes ayant réussi, une fois n’est pas coutume à mettre de côté leurs petites divergences pour présenter enfin des candidatures unies, comme la droite le fait depuis des années, voila que le paysage politique a subrepticement changé… On assiste ainsi, à l’échelle nationale, à pas moins de 63 duels au second tour prévu ce dimanche 19 juin qui opposeront un candidat d’extrême droite, généralement estampillé RN, à un candidat de gauche, pour l’essentiel porteur de l’étiquette NUPES (Nouvelle union populaire écologiste et solidaire).

Carte des circonscriptions avec mention des candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour le 12 juin 2022 (infographie © Le Parisien)

Cela représente plus de 10 % des circonscriptions en jeu, et le phénomène est donc loin d’être négligeable, même s’il reste très minoritaire par rapport au cas de figure le plus répandu de ce second tour qui verra dans 276 circonscriptions, soit la moitié de celles qui restent en lice, s’affronter un candidat de l’alliance de gauche à un représentant du parti présidentiel Ensemble ! Même les duels entre Ensemble ! et le RN sont plus nombreux puisqu’on en dénombre plus d’une centaine sur l’ensemble du territoire national, tandis que 18 circonscriptions verront s’opposer un candidat Les Républicains à un candidat RN. Une situation assez inédite par rapport aux législatives précédentes de 2017 où les seuls candidats FN qui s’étaient maintenus au second tour avaient tous pour adversaire un candidat de La République en Marche, le parti d’Emmanuel Macron. Il y a six ans, ces candidats d’extrême droite qualifiés pour le second tour des législatives n’étaient qu’une centaine alors qu’ils sont plus du double cette année, ce qui confirme, s’il en était besoin, la progression incontestable des idées d’extrême droite dans notre pays !

Toujours est-il que cette confrontation attendue dans plus de 60 circonscriptions, au second tour des législatives 2022, entre la gauche et l’extrême droite interpelle directement les électeurs de droite et du centre-droit qui n’avaient quasiment jamais été confrontés à ce cas de figure jusqu’à présent. Une situation qui concerne notre territoire puisque c’est celle de la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône, qui opposera Joëlle Mélin à Lucas Trottmann, mais aussi celle de la 10° circonscription voisine, sur Gardanne et Allauch, où le RN est en tête face à la candidate NUPES Marina Mesure. Une configuration que l’on retrouve également à Martigues où le député communiste sortant, Pierre Dharréville est opposé à un candidat RN, de même qu’à Arles où le RN est en tête face au socialiste Christophe Caillault, de même que dans deux circonscriptions marseillaises où les candidats NUPES, Mohamed Bensaada et Sébastien Delogu, affronteront aussi un membre du RN dimanche prochain.

Joëlle Mélin et Lucas Trottmann lors d’un débat organisé par La Provence avant le premier tour des législatives 2022 (source © La Provence)

Et voila que brusquement les responsables politiques de droite comme du parti présidentiel se font bien silencieux pour conseiller leurs électeurs dans ce dilemme, oubliant toute notion de front républicain dont ils ont pourtant largement profité depuis des années. De crainte sans doute de froisser leurs ouailles qui penchent de plus en plus ouvertement vers les idées du Rassemblement national, la plupart d’entre eux se gardent bien de prendre parti, ne voulant pour rien au monde être taxés de sympathie pour des valeurs de gauche, quitte à laisser l’extrême droite investir en nombre les bancs de l’Assemblée nationale.

Même du côté d’Emmanuel Macron, pourtant lui-même issu des rangs du Parti socialiste (on finirait presque par l’oublier…) et qui s’est longtemps targué de vouloir être « en même temps » de gauche et de droite, le discours est pour le moins ambigu. « Aucune voix ne doit manquer à la République » a-t-il ainsi lancé de manière martiale mardi 14 juin, sur le tarmac de l’aéroport d’Orly avant de s’envoler pour une réunion de l’OTAN en Roumanie, comme si glisser dans l’urne un bulletin qui ne porterait pas la mention Ensemble ! serait une atteinte grave à nos valeurs républicaines…

Allocution d’Emmanuel Macron devant l’avion présidentiel, le 14 juin 2022 (photo © Reuters / JDD)

Élisabeth Borne elle-même avait largement entretenu la confusion au soir du premier tour en renvoyant dos à dos le RN et la NUPES, évoquant une « confusion inédite entre les extrêmes », avant de revenir sur ses déclarations à l’emporte-pièce et fixer comme ligne : « ne jamais donner une voix à l’extrême droite » tandis que son ministre Clément Beaune appelait encore plus clairement à privilégier les candidats de gauche à ceux du RN. Reste à savoir comment les électeurs qui ont voté au centre ou à droite lors du premier tour se positionneront dimanche prochain : préféreront-ils se faire représenter à l’Assemblée par un député d’extrême droite ou par un représentant de la gauche républicaine ? Réponse dimanche soir…

L. V.

A Carnoux, un candidat de gauche au deuxième tour !

13 juin 2022

Il y a bien longtemps que cela n’était pas arrivé ! Pour la première fois depuis des années, les habitants de la très droitière commune de Carnoux-en-Provence vont avoir la possibilité de voter pour un candidat de gauche au deuxième tour d’une élection… Qui plus est, pour des législatives, alors que la ville reconduit sans interruption depuis près de 25 ans l’inamovible député conservateur Bernard Deflesselles, réélu de justesse en 2017 grâce justement aux électeurs frontistes de Carnoux : voila une sacré révolution locale !

Joëlle Mélin, candidate du Rassemblement national, arrivée en tête à l’issue du premier tour (source © La Provence)

Certes, la candidate du Rassemblement national, Joëlle Mélin est arrivée largement en tête à Carnoux où elle frôle la barre des 31 %, comme sur l’ensemble de la circonscription où elle est à près de 25 %. Une situation qui n’a plus rien d’étonnant dans une zone où l’extrême droite est désormais bien ancrée dans le paysage politique et habituée des gros scores électoraux. Au premier tour de la Présidentielle, il y a un peu moins de deux mois, Marine Le Pen avait remporté plus de 35 % des suffrages exprimés sur l’ensemble de la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône, auxquels s’ajoutent les 14,2 % obtenus par son rival d’extrême-droite, Eric Zemmour, et encore les 2,8 % de celui qui s’était un temps positionné comme futur premier ministre en cas de victoire du Front national, Nicolas Dupont-Aignan…

Lucas Trottmann, candidat de la gauche unie sous la bannière de la NUPES, qualifié pour le second tour (source © Twitter)

Pour autant, c’est bien un candidat de gauche, qui plus est un parfait inconnu, tout jeune militant de la France insoumise, attaché parlementaire du député européen Manuel Bompard, qui a réalisé l’exploit de se qualifier pour le second tour avec 21,56 % des suffrages exprimés. Avec 470 voix d’avance sur le candidat macroniste, le cassiden référent départemental de la République en Marche, Bertrand Mas-Fraissinet, le représentant de la Nouvelle union populaire écologiste et solidaire (NUPES), Lucas Trottmann, aura donc l’insigne honneur de représenter au second tour, dimanche prochain, les valeurs républicaines de solidarité et de citoyenneté face à la candidate d’extrême-droite.

Certes, ce ne sont pas les électeurs carnussiens qui l’ont placé dans cette situation, eux qui lui ont préféré, outre le candidat du clan présidentiel, le notable du coin, étiqueté Les Républicains, maire de Gémenos et proche des principaux élus locaux du secteur, le vieillissant Roland Giberti. Arrivé en quatrième position sur l’ensemble de la circonscription avec à peine plus de 15,5 % des voix, le maire de Gémenos rate complètement sa campagne des législatives et devra donc se contenter de ses autres mandats locaux, lui qui va perdre aussi, le 1er juillet prochain, son statut de président du Conseil de territoire de Marseille-Provence.

Pour Roland Giberti, un incontestable échec malgré la débauche d’affiches et le soutien unanime des élus locaux… (photo © CPC)

Ce scrutin constitue en tout cas un sérieux revers pour le parti présidentiel qu’on ne sait d’ailleurs plus très bien comment appeler. Avec seulement 25,7 % des suffrages exprimés à l’échelle nationale, à égalité avec la gauche rassemblée au sein de la NUPES, rarement un Président de la République fraîchement réélu, n’avait obtenu un score aussi riquiqui, 2 mois seulement après sa reconduction pourtant sans appel. Rien n’indique d’ailleurs qu’Emmanuel Macron pourra s’appuyer, à l’issue du second tour, prévu le 19 juin, sur une majorité à l’Assemblée nationale où l’on devrait compter de nombreux députés de gauche, et notamment de la France insoumise qui se sont taillés la part du lion lors des discussions pré-électorales avec les Verts, les Communistes et ce qui reste du Parti socialiste. Symboliquement d’ailleurs, parmi les 5 députés élus dès le premier tour figurent 4 députés de la France insoumise, dont Alexis Corbière, facilement réélu dès ce dimanche avec plus de 62 % des voix.

Sur l’ensemble des 16 circonscriptions des Bouches-du-Rhône, il est d’ailleurs remarquable de constater que les candidats de la NUPES se sont qualifiés pour le second tour dans 10 d’entre elles, dont 5 où ils virent en tête avec de fortes chances d’élection. Par comparaison, les candidats étiquetés Ensemble !, la coalition présidentielle, ne figurent au second tour que dans 9 circonscriptions (dont 5 où ils sont en pole position) et ceux du RN dans 12 circonscriptions (dont 6 où ils sont en tête). Plus étonnant, on dénombre pas moins de 7 circonscriptions où les candidats d’Emmanuel Macron n’ont pas réussi à se qualifier pour le second tour (en comptant néanmoins celle de Marignane où ils n’avaient présenté personne face au candidat LR Eric Diard).

Carte des circonscriptions où le parti présidentiel est arrivé en tête (violet foncé) ou est qualifié (violet clair) à l’issue du premier tour des législatives : une situation nettement moins favorable qu’en 2017 pour Emmanuel Macron ! (source © France TV info)

Assurément le second tour réservera peut-être quelques surprises, surtout si les Français se ressaisissent et retrouvent le chemin des isoloirs, eux qui ont majoritairement renoncé à aller voter en ce 12 juin 2022 qui restera marqué par une abstention massive de plus de 50 %, dépassant même les 55 % à Carnoux dont la population, majoritairement âgée et conservatrice, s’enorgueillissait jusque là d’accomplir avec assiduité son devoir électoral. Avec un tel taux d’abstention, tout est possible et les pronostics pour le second tour paraissent bien incertains.

Pas moins de 15 candidats pour ces législatives du 12 juin 2022 dans la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône (photo © CPC)

En toute logique, si les électeurs macronistes et tous ceux qui se sont dispersés sur les multiples petites listes écologistes, régionalistes ou soi-disant socialistes décidaient de faire barrage à l’extrême droite et se reportaient en masse sur le candidat de la gauche unie, Lucas Trottmann, ce dernier aurait une sérieuse chance de l’emporter la semaine prochaine. Il n’en reste pas moins que le jeu sera serré et que, au vu du rapport de force observé lors des récents scrutins, la candidate du rassemblement national part incontestablement favorite pour ce second tour à l’issue duquel la circonscription d’Aubagne et de La Ciotat, deux villes historiques de la ceinture rouge marseillaise, risquent fort de se retrouver représentées par un député d’extrême droite. Sauf à ce que les abstentionnistes du premier tour et les républicains dans l’âme sortent de leur torpeur et se décident à remplir leur devoir de citoyen…

L. V.

NUPES : un jeu de dupes ?

8 Mai 2022

Pour une fois, lors des prochaines élections législatives qui auront lieu dans un mois, la gauche française présentera des listes d’union. Un véritable exploit qui n’était pas arrivé si souvent dans l’histoire récente de la démocratie de notre pays. Les médias ne se sont d’ailleurs pas privés de le souligner en rappelant ce fameux 3 mai 1936, date de la victoire du Front populaire aux législatives. Une date anniversaire qui n’a d’ailleurs pas pu être totalement respectée puisqu’il a fallu attendre le jeudi 5 mai au soir pour arriver à boucler cet accord électoral initié par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

L’affiche de campagne de l’Union populaire pour les législatives, dévoilée dès le 25 avril au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République (source © France TV info)

Curieusement, c’est ce même Mélenchon qui avait tout fait pour éviter de participer à une primaire de la gauche, en 2022 comme d’ailleurs lors de la précédente présidentielle en 2017, qui s’est donc posé en champion d’une nouvelle union de la gauche, rassemblée autour de sa personne et de ses idées. Fort de son score de près de 22 % au premier tour de l’élection présidentielle, il ambitionne en effet désormais de virer en tête à l’issue des prochaines législatives pour que le président réélu Emmanuel Macron n’ait d’autre choix que de le nommer Premier ministre.

Un scénario bien entendu fortement improbable au vu de l’état de l’opinion tel qu’il se dessine à l’issue du dernier suffrage qui a quand même vu une très large majorité de Français se prononcer en faveur du Président sortant tandis qu’une forte minorité exprimait son penchant pour les idées populistes d’extrême-droite défendues par Marine Le Pen et Eric Zemmour. Certes, la gauche a plutôt fait bonne figure en réussissant à capter, toutes tendances confondues, un peu plus de 30 % des suffrages exprimés. Mais c’est pour l’instant bien loin de faire une majorité…

D’autant que l’état de désagrégation avancée dans lequel les deux principaux partis de gouvernement traditionnels se retrouve à l’issue de cette dernière séquence électorale, incitent bon nombre de figures politiques, du PS comme des LR, à rejoindre fissa le parti de la majorité présidentielle appelé a priori à gouverner le pays pour les 5 ans à venir.

Édouard Philippe, Richard Ferrand, François Bayrou, l’air accablé, et Stanislas Guerini annoncent la création d’une nouvelle confédération de soutien présidentiel le 5 mai 2022 (photo © Stéphane de Sakutin / AFP / Le Parisien)

Un parti qui fait d’ailleurs lui aussi sa mue au passage, comme l’a annoncé son porte-parole, Stanislas Guerini, ce même jour du 5 mai 2022, indiquant que la défunte République en Marche portera désormais le nom de Renaissance, un parti présidentiel dont l’objectif est « toujours de faire le choix des Lumières contre l’obscurantisme », rien de moins… Et avec, là aussi, une volonté de faire bloc, au sein d’une nouvelle confédération baptisée Ensemble, laquelle regroupera également le MODEM de François Bayrou, ainsi qu’Horizons, le parti de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, en attendant peut-être d’y agréger d’autres mouvements centriste de droite ou de gauche.

Comme pour la majorité présidentielle, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale créée à l’initiative de la France insoumise pour fédérer les forces de gauche est d’abord un accord électoral destiné à éviter que tous les candidats de gauche se fracassent une fois de plus sur le filtre redoutable du premier tour. Contrairement à l’accord précédent, celui de la gauche plurielle, qui remonte à 25 ans, suite à la dissolution anticipée de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997 et qui avait permis d’obtenir pas moins de 319 sièges de députés, il n’est plus question désormais de se désister au second tour pour le candidat le mieux placé car chacun sait bien que des candidats de gauche concurrents n’auraient que très peu de chance de parvenir au second tour en juin 2022.

Jean-Luc Mélenchon a fait le point sur l’avancée des négociations autour de la NUPES en marge de la manifestation du 1er mai 2022 (photo © Thomas Coex / AFP / RTL)

La seule stratégie possible est donc de se répartir les circonscriptions pour y présenter des candidats uniques, tout en faisant en sorte que chacun des partis alliés puisse espérer créer son propre groupe à l’Assemblée, ce qui suppose de disposer d’au moins 15 élus. Cette stratégie d’union qui se réduit donc au strict minimum, à savoir permettre à chacune de ses composantes, de survivre à la prochaine élection, comporte même une composante financière non négligeable. N’oublions-pas, en effet, que le financement public des partis politiques français dépend exclusivement de leurs résultats aux législatives, ce qui a permis notamment à l’ex LREM de toucher de l’ordre de 100 millions d’euros de fonds publics lors du dernier quinquennat. Ce financement dépend du nombre de parlementaires élus mais est réservé aux partis qui ont présenté des candidats ayant obtenu au moins 1 % des voix dans au moins 50 circonscriptions.

Le financement public des partis politiques, directement dépendant du résultat des législatives : un dessin signé Ranson (source © Le Parisien)

C’est la raison pour laquelle la France insoumise a accordé à son allié du Parti communiste français ces 50 circonscriptions sans lesquelles le PCF ne pouvait plus espérer toucher de financement public. Une bonne affaire pour le PCF qui devrait permettre à ses 11 députés sortant, dont le député de Martigues, Pierre Dharréville, de se représenter, tout en concourant dans 5 circonscriptions supplémentaires jugées gagnables par la gauche.

Pour les écologistes, qui obtiennent la possibilité de présenter un candidat dans une centaine de circonscriptions, dont 80 pour le parti EELV, l’affaire paraît plutôt positive également pour un parti qui, en 2017 n’avait réussi formellement à obtenir qu’un seul élu, lequel s’était empressé de rallier la majorité macroniste. Un groupe intitulé Écologie, démocratie, solidarité avait bien été créé en mai 2020, mais il était principalement constitué de députés élus sous l’étiquette LREM et il a d’ailleurs disparu quelques mois plus tard.

Meeting de la Nouvelle union populaire écologique et solidaire à Aubervilliers le 7 mai 2022 (photo © Julien de Rosa / AFP / France Culture)

Même s’ils ne seront présents que dans moins de 20 % des circonscriptions en juin 2022, les écologistes ne pourront donc guère faire pire qu’en 2017 et il se dit qu’une trentaine de ces circonscriptions seraient potentiellement gagnables, réparties entre EELV (dirigé par julien Bayou), Génération écologie (de Delphine Batho) et Générations (de Benoît Hamon), notamment à Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Dans les Bouches-du-Rhône, en revanche, les 2 circonscriptions réservées à des candidats écologistes (Alexandre Rupnik dans le sud de Marseille et Stéphane Salord aux Pennes-Mirabeau) ne sont pas des cadeaux, ce qui fait quelque peu grincer les dents à certains élus locaux, dont l’écologiste marseillaise, Christine Juste, qui espérait bien se présenter…

En revanche, la pilule est un peu amère pour les socialistes qui obtiennent la possibilité de se présenter dans 69 circonscriptions seulement, alors qu’ils avaient obtenu 30 sièges en 2017, ce qui a d’ailleurs été l’objet de vertes critiques en interne lors du vote destiné à entériner cet accord, et laisse présager bien des candidatures dissidentes. Dans le meilleur des cas, le PS pourra donc simplement maintenir son nombre actuel d’élus, et ce n’est certainement pas dans notre département qu’il pourra espérer obtenir des élus, les 2 circonscriptions qui lui sont réservées, dans l’Est marseillais, ayant bien peu de chance de basculer à gauche !

Signature de l’accord NUPES par Olivier Faure malgré les mises en garde de certains ténors du PS, dont l’ancienne maire de Strasbourg, Catherine Trautmann : un dessin signé Yannick Lefrançois (source © Dernières Nouvelles d’Alsace)

En définitive et comme on pouvait s’y attendre, c’est évidement la France insoumise qui se taille la part du lion en obtenant le droit de présenter un candidat unique dans pas moins de 326 circonscriptions, sans compter les 32 encore en balance. Les 4 circonscriptions des Bouches-du-Rhône où la gauche a fait son meilleur score aux présidentielles, lui sont naturellement acquises. Jean-Luc Mélenchon lui-même ne devrait cependant pas se représenter à sa propre succession dans le centre ville où Kevin Vacher espère récupérer l’investiture. Ce dernier devra d’ailleurs peut-être laisser la place à Manuel Bompard, l’artisan des négociations de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, cette NUPES qui reste en travers de la gorge de certains militants du parti socialiste où il se murmure que l’acronyme lui-même fait un peu trop penser à un « new PS » où Jean-Luc Mélenchon voudrait faire régner sa loi…

L. V.

Présidentielle 2022 : un résultat sans réelle surprise

25 avril 2022

Emmanuel Macron vient donc d’être réélu pour 5 ans avec un peu plus de 58,5 % des suffrages exprimés, très largement devant Marine Le Pen, même si cette dernière réalise un score particulièrement élevé, très supérieur à celui qu’elle avait obtenu en 2017 ou que son père avait enregistré en 2002 face à Jacques Chirac. Elle finit d’ailleurs en tête à l’issue de ces présidentielles dans plus de la moitié des communes françaises, dont Carnoux-en-Provence, bien évidemment. Et le taux d’abstention, bien que parmi les plus forts observés au second tour d’une élection présidentielle, avec 28 %, n’est pas si différent de celui noté en 2017…

Emmanuel Macron fêtant sa victoire avec ses partisans sur le Champ de Mars le 24 avril 2022 au soir (photo © Thomas Coex / L’Express)

Un résultat du président sortant que l’on n’aurait pas forcément attendu après les précédents de Nicolas Sarkozy en 2012 et de François Hollande en 2017, tous les deux balayés par le vent de l’Histoire, au point que le second n’a même pas osé se représenter devant le suffrage universel tandis que le premier a subi en 2017 une nouvelle et humiliante défaite dès la primaire, avant d’être sévèrement rattrapé par la Justice pour une partie de ses multiples arrangements avec la Loi…

Pour être honnête, c’est un véritable exploit que d’arriver à se faire réélire dans un tel contexte de grand dégagement et de zapping quotidien ! Une ambiance qui incite une part importante de nos concitoyens à détester aujourd’hui ce qu’ils ont adoré hier, et à se comporter avec nos représentants élus comme avec n’importe quel fournisseur de prestation. Chacun exige un service irréprochable, au plus prêt de ses propres intérêts, et refuse de pardonner la moindre erreur de jugement ou de comportement, au prétexte que l’électeur-client est roi et que nos responsables seraient tous des incapables !

Un second tour qui a placé bien des électeurs dans l’embarras… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

Gouverner un pays où chacun se croit expert et est persuadé d’avoir toujours raison n’est pas une sinécure. D’autant que si tous se rejoignent assez naturellement pour critiquer le pouvoir en général et nos élus en particulier, chacun a son idée de la manière dont il faudrait gouverner autrement, et rares sont ceux qui n’en changent pas au fil du temps et au gré des événements… Certes, Emmanuel Macron avait suscité en 2017 un incontestable engouement majoritaire, mais les tempêtes qu’il a dû affrontées n’étaient pas forcément de nature à laisser penser que les Français décideraient malgré tout de le reconduire dans ses fonctions.

La situation de guerre en Ukraine crée certes un climat plutôt consensuel qui incite la Nation à se regrouper autour de ses dirigeants, mais on pourrait difficilement en dire autant pour la pandémie de CoVid-19 qui a marqué ce quinquennat et qui a été à l’origine de critiques et de débats passionnés au cours desquels nos responsables politiques aux commandes ont plus d’une fois été traînés plus bas que terre par des Français déchaînés et les nerfs à fleur de peau. On pourrait en dire autant de la révolte des Gilets jaunes qui a bien failli dégénérer en guérilla urbaine et qui a mis en avant la difficulté à tenter de concilier qualité de vie, pouvoir d’achat et préservation de notre environnement : un débat qui ne fait que commencer !

Émeutes sur les Champs-Élysées en pleine crise des Gilets jaunes en novembre 2018 (source © France TV Info)

Et pourtant, malgré ces écueils de taille, le président sortant a été, tout au long de cette campagne, en tête des sondages. Certains ont critiqué notre mode même de scrutin uninominal majoritaire qui biaiserait les résultats. A cet égard, Flint et l’association Mieux Voter font état d’un sondage très instructif établi à plusieurs reprises avant le premier tour par l’institut Opinionway et qui compare les résultats selon trois manières différentes de voter. La première, telle que prévue dans notre Constitution donnait, dans sa dernière version peu avant le premier tour, donnait Emmanuel Macron en tête avec 27 % des intentions de vote (il en a finalement obtenu 27,84%) devant Marine Le Pen à 21 % (alors qu’elle a fini à 23,15%) et Jean-Luc Mélenchon à 15 % (contre 21,95 % lors du scrutin). Des estimations que l’on peut critiquer mais qui donnaient néanmoins une bonne image du tiercé gagnant de ce premier tour.

La seconde méthode d’analyse effectuée en parallèle consiste à demander aux sondés de juger, pour chacun des 12 candidats en lice comment ils les jugent aptes à gouverner la France pour les 5 ans à venir, selon un jugement gradué avec 7 niveaux allant de « à rejeter » jusqu’à « excellent ». Une méthode plus subtile qui permet de mettre en évidence les véritables votes d’adhésion inconditionnelle comme les sentiments de rejet viscéral, mais dont l’analyse permet de mettre en exergue les candidats qui suscitent globalement le plus d’adhésion (même tiède) et le moins de rejet.

Résultat du sondage Opinonway selon une approche majoritaire avant le premier tour des présidentielles 2022 (source © Flint)

Et la (bonne) surprise est que cette approche, pourtant radicalement différente, aboutit au même résultat avec Emmanuel Macron toujours en tête devant une Marine Le Pen qui a un taux de rejet très supérieur. La principale différence est que, selon cette méthode, Jean-Luc Mélenchon, cède une place avec un taux élevé (50 %) de rejet total ou de de jugement « insuffisant », au profit de Valérie Pécresse jugée plus consensuelle. La principale victime d’un tel classement est Eric Zemmour qui se place bon dernier du fait d’un taux de rejet particulièrement élevé…

Une troisième approche a aussi été testée, à savoir le vote par approbation, qui permet au sondé de lister les différents candidats qu’il serait prêt à soutenir s’il pouvait voter pour plusieurs d’entre eux. Une méthode originale mais qui aboutit exactement au même résultat, avec toujours Emmanuel Macron en tête devant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, avec naturellement des scores légèrement supérieurs, mais de peu…

Cette démarche a en tout cas le mérite de montrer qu’aucun des 12 candidats qui s’étaient présenté aux suffrages des Français ne remporte leur adhésion majoritaire. Même Emmanuel Macron, pourtant le mieux placé et que les Français viennent donc de reconduire pour 5 ans à la tête du pays est rejeté par près de 30 % des électeurs et n’est réellement soutenu que par une proportion quasi identique du corps électoral.

Répartition des votes par tranche d’âge au premier tour des présidentielles 2022, à partir de sondages sortis des urnes (source © Statista)

Une ligne de fracture qui s’accentue encore quand on regarde la répartition des votes en fonction de l’âge des électeurs. Sur la base des déclarations des électeurs, il apparaît ainsi clairement que les plus jeunes (18-24 ans) ont plébiscité Jean-Luc Mélenchon avec près de 35 % des votes en sa faveur (et près de 7 % pour Yannick Jadot), confirmant sans conteste leurs préoccupations pour l’environnement et la justice sociale, avec néanmoins un taux d’abstention plutôt élevé. La tranche d’âge des jeunes actifs de 25 à 34 ans, celle où les taux d’abstention explosent, a en revanche placé Marine Le Pen en tête avec 30 % des suffrages contre 27 % à Jean-Luc Mélenchon. C’est seulement parmi les plus de 50 ans qu’Emmanuel Macron devient majoritaire tandis que l’adhésion à Jean-Luc Mélenchon passe en dessous des 20 % chez les plus de 35 ans.

Quant à la dernière tranche d’âge, à savoir les plus de 65 ans, souvent les plus assidus dans les bureaux de vote, ils ont voté en masse pour le président sortant, à plus de 37 % et sont les plus réticents à soutenir les candidats jugés plus radicaux comme Marine Le Pen (18 %) et Jean-Luc Mélenchon (11 %). La sagesse du grand âge ou le reflet d’une indifférence croissante pour l’avenir de la planète et du sort des plus défavorisés ?…

L. V.

Présidentielle : on prend les mêmes et on recommence !

12 avril 2022

Tout ça pour ça ! Des mois et des mois de campagnes, des milliers de militants mobilisés, des pages et des pages de programme, des meetings aux quatre coins de la France, 12 candidats mobilisés… Et au bout du bout, on se retrouve à l’issue du premier tour de cette présidentielle 2022 avec les deux mêmes finalistes qu’en 2017 ! C’est à désespérer de l’imagination politique des Français…

Un premier tour finalement plein de surprises… (source infographie © L’Humanité)

Le second tour de la présidentielle, le 24 avril prochain, opposera donc le président sortant de la République, Emmanuel Macron, à la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui se présente comme « femme d’État » et ne se fait plus appeler que par son prénom sur ses professions de foi, histoire de montrer à tous sa grande proximité avec l’électeur lambda, comme si elle faisait partie de la famille après trois campagnes présidentielles consécutives…

Le chef de l’État est incontestablement arrivé en tête de ce premier tour et il améliore sensiblement son score de 2017, avec près de 28 % des suffrages exprimés, ce qui relève de l’exploit après cinq années au pouvoir et malgré les épreuves traversées, de la crise des Gilets jaunes à la guerre en Ukraine en passant par la pandémie de Covid-19 et la crise économique majeure qui s’en est suivie. François Hollande, qui avait dû jeté lamentablement l’éponge après un quinquennat dont il était sorti lessivé, doit en pâlir de jalousie…

Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le débat de l’entre-deux tours le 3 mai 2017 (photo ©
Eric Feferberf / AFP / France TV Info)

Pour autant, Marine Le Pen réussit elle aussi l’exploit d’augmenter son score du premier tour par rapport au scrutin de 2017 avec un peu plus de 23 % des suffrages exprimés, sachant qu’elle a dû pour cela faire face à la concurrence frontale d’un Eric Zemmour venu chasser directement sur ses terres et qui à un moment donné faisait largement jeu égal avec la patronne du Rassemblement national. Marine Le Pen est d’ailleurs arrivée en tête de ce premier tour dans pas moins de 20 000 communes française, là où Macron n’en a remporté que 11 000, ce qui est quand même révélateur d’un profond ancrage du Rassemblement national dans le paysage politique français, surtout en milieu rural…

Carte des communes française avec le candidat arrivé en tête du premier tour (source © Ministère de l’Intérieur / Le Télégramme)

Mais la grande particularité de ce scrutin de 2022 par rapport à celui de 2017, est que les suffrages des Français se sont concentrés sur trois candidats principaux seulement. Certes, comme en 2017 et désormais à chaque élection, un électeur sur quatre n’a pas jugé utile de se déplacer, ce qui est pour le moins regrettable, surtout parmi les plus jeunes générations où ce taux d’abstention atteint des sommets. Mais pour ceux qui ont glissé un bulletin dans l’urne, plus de 70 % d’entre eux se sont portés sur les trois candidats arrivés en tête, ce qui était loin d’être évident avec 12 candidats sur la ligne de départ et confirme, s’il en était besoin, la grande cohérence de l’électorat, nettement plus raisonnable que ne le sont les responsables politiques qui aspirent à le représenter…

Le troisième homme de cette campagne, Jean-Luc Mélenchon, qui frôle les 22 % de suffrages exprimés a brillamment réussi sa troisième et sans doute dernière campagne présidentielle, ratant de peu (450 000 voix quand même…) l’accession au second tour, handicapé par son obstination à avoir refusé toute participation à une éventuelle primaire et toute alliance, y compris avec le Pari communiste, pourtant son allié traditionnel, qui a siphonné à son profit les électeurs dont il aurait eu besoin pour se qualifier.

Jean-Luc Mélenchon en meeting à Reims pendant la campagne 2022 (photo © François Nascimbeni / AFP / Les Echos)

On me manquera pas d’observer que le candidat de la France insoumise fait un score remarquable dans les départements d’Outre-mer, remportant même la majorité absolue en Martinique (53,1%) et en Guadeloupe avec 56,2 %, du jamais vu ! Il vire également en tête à la Réunion avec un peu plus de 40 % des suffrages exprimés, mais aussi dans certaines communes de la banlieue parisienne avec plus de 60 % à Trappes notamment. Il finit d’ailleurs en tête dans 5 des 8 départements de la région Île-de-France, avec en particulier plus de 49 % en Seine-Saint-Denis ! Mais il est aussi en tête du premier tour dans plusieurs grandes villes dont Marseille, Lille, Strasbourg ou même Amiens, la ville natale d’Emmanuel Macron…

Du coup, pour les autres candidats qui, à l’exception d’Eric Zemmour, finissent tous sous la barre fatidique des 5 % qui donne droit au remboursement des frais de campagne, c’est la soupe à la grimace. Une véritable claque pour Valérie Pécresse qui conduit les Républicains à un niveau jamais atteint pour sa famille politique tandis que le parti socialiste, mal représenté par une Anne Hidalgo en perdition, produit l’exploit de finir en dessous des 2 %, derrière le représentant du parti communiste, Fabien Roussel : du jamais vu depuis bien longtemps ! Le Vert Yannick Jadot fait lui-aussi un score très décevant avec à peine plus de 4,6 % des suffrages, même s’il frôle la barre des 10 % dans certaines villes comme Rennes ou Nantes et fait de très bons scores à Lyon, Grenoble, Bordeaux ou La Rochelle.

Yannick Jadot en campagne à Lyon le 29 janvier 2022 (photo © Robert Derail / Getty / France Culture)

Ce n’est bien sûr pas le cas à Carnoux qui place, comme en 2017, Marine Le Pen largement en tête de ce premier tour, avec sensiblement le même pourcentage de près d’un tiers des suffrages exprimés. Si on y ajoute les voix qui se sont portées sur Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, on est quasiment à un électeur sur deux en faveur de l’extrême-droite ! Pourtant, Emmanuel Macron fait un bon score avec 24 % des suffrages exprimés quand il n’était qu’à 17 % en 2017. Quant à la gauche, elle fait finalement plutôt un bon résultat en atteignant un total de 20 %, dont 13,4 % pour Jean-Luc Mélenchon, sensiblement comme en 2017, et 4 % pour Yannick Jadot. Des résultats qui viennent quand même confirmer, pour ceux qui en douteraient encore, que la ville de Carnoux reste largement une terre de mission pour la gauche !

L. V.

Martine Vassal, nouvelle réfugiée politique ?

20 mars 2022

Alors que l’invasion russe se poursuit en Ukraine et que femmes et enfants fuient en masse ce pays pour tenter de se mettre à l’abri, les collectivités territoriales rivalisent d’imagination, une fois n’est pas coutume, pour exprimer leur solidarité et faciliter l’aide à ces réfugiés. Des actions fleurissent un peu partout pour susciter la générosité du public et recueillir matériels et produits de première nécessité destiné à être acheminés au plus près des zones frontalières tandis que les initiatives se multiplient pour accueillir le plus dignement possible ces familles qui fuient la guerre.

La Ville de Marseille est en pointe dans ce combat, qui a organisé rapidement une collecte ouverte aux habitants et ouvert un gymnase pour faciliter l’accueil des réfugiés ukrainiens venant chercher refuge auprès de connaissances ou pris en charge par les services de l’État dans des établissements hôteliers ou des hébergements temporaires.

Gennadiy Trukhanov, le maire d’Odessa, dans une vidéo diffusée lors du Conseil municipal de Marseille le 4 septembre 2022 (source capture d’écran © Ville de Marseille)

Une solidarité qui s’est exprimée fortement en introduction du dernier conseil municipal en date, le 4 mars 2022. Le maire d’Odessa, Gennadiy Trukhanov, s’y est exprimé par vidéo auprès de l’assemblée, dans un discours émouvant rappelant que sa ville est jumelée depuis 50 ans à Marseille et remerciant les Marseillais pour leur élan de générosité et leur soutien infaillible, que son homologue, Benoît Payan a réaffirmé avec solennité après avoir fait copieusement applaudir le courage des Ukrainiens déterminés à résister à l’invasion russe.

Les différents ténors de l’assemblée municipale se sont tous exprimés dans une belle unanimité pour confirmer ce soutien partagé au peuple ukrainien assiégé, dont le drapeau flottait d’ailleurs dans l’hémicycle aux côtés de ceux de la France et de l’Europe. La présidente du Département et de la Métropole, Martine Vassal, arborant elle-même ce drapeau en pin’s au revers de sa veste, y est allé de son discours empreint de gravité sur cette « situation exceptionnelle qui s’impose à nous », cette « menace pour la stabilité européenne », appelant à « faire preuve d’unité au-delà de nos différences politiques » et à « faire corps » tout en se présentant comme une « résistante » déterminée.

Martine Vassal, annonçant son ralliement à Emmanuel Macron en plein conseil municipal, le 4 mars 2022 (source capture d’écran © Ville de Marseille)

Une belle envolée lyrique, destinée en réalité à introduire une annonce toute personnelle, puisqu’il s’agissait pour elle de profiter de cet instant solennel pour déclarer tout simplement qu’elle se rangeait aux côtés d’Emmanuel Macron dans la perspective des élections à venir ! Partant du principe que « le Président de la République a su faire preuve de lucidité et d’anticipation au travers de sa gestion de la crise », et reconnaissant que « le Président ne nous a pas oublié, avec le plan Marseille en grand », Martine Vassal annonce tout bonnement, sous les huées de ses pairs : « Alors, oui, j’ai donc décidé de soutenir Monsieur Emmanuel Macron à la Présidence de la République ».

Martine Vassal, à Marseille le 2 septembre 2022, déjà avec Emmanuel Macron mais masquée… (photo © Ludovic Marin / AFP / BFM TV)

Reconnaissant ainsi faire fi de ses « convictions politiques » et même de ses « amitiés personnelles », la présidente de la Métropole n’hésite donc pas à tourner publiquement sa veste dans un hémicycle où elle annonce avec fierté siéger « depuis 21 ans », toujours sous les mêmes couleurs politiques, tout simplement parce que « on ne change pas un capitaine pendant la tempête ». A se demander même d’ailleurs s’il est encore bien raisonnable, au vu de la gravité de la situation, d’oser encore envisager des élections présidentielles dans un tel contexte !

Les démocrates sincères reconnaîtront sans conteste dans cette déclaration spectaculaire et ce ralliement téléphoné, bien que quelque peu hors de propos dans une telle instance, un acte de résistance extraordinairement courageux à quelques semaines d’une élection jouée d’avance dans laquelle tous les sondages annoncent le président sortant réélu dans un fauteuil, tandis que la championne LR, Valérie Pécresse, est en perdition dans les sondages…

Martine Vassal, en mars 2019, avec Valérie Pécresse, en présence de Bruno Gilles et Sabine Bernasconi : des amitiés politiques fluctuantes… (photo © JY Delattre / GoMet)

Bien entendu, une telle annonce a quelque peu perturbé le déroulement de ce conseil municipal, en partie déserté par les élus LR absorbés par ce petit cataclysme dans le microcosme. Le positionnement de Martine Vassal est d’ailleurs ambigu puisqu’elle affirme : « je ne vois pas pourquoi je quitterai LR » tout en annonçant sa démission de ses fonctions de présidente de la fédération de ce parti dans les Bouches-du-Rhône, position qui lui a permis de peser sur les investitures LR aux prochaines législatives.

Les instances du parti Les Républicains voient bien sûr les choses d’un œil un peu différent et considèrent donc qu’elle s’est auto exclue, Christian Jacob désignant dans la foulée l’ancien maire de Rognac, le sénateur Stéphane Le Rudulier, un proche d’Eric Ciotti, pour reprendre en main la Fédération locale. Martine Vassal se débarrasse ainsi à bon compte de ses anciennes attaches un peu encombrantes avec un parti LR largement discrédité, pour rejoindre avec le même enthousiasme que ses anciens camarades Renaud Muselier, Christian Estrosi, Hubert Falco ou encore Lionel Royer-Perreaut, l’étoile Emmanuel Macron au firmament de sa gloire.

Martine Vassal chantant la Marseillaise aux côtés d’Hubert Falco et de Renaud Muselier, au meeting de soutien à Emmanuel Macron, le 12 mars 2022 (photo © Coralie Bonnefoy / Marsactu)

Un positionnement qui s’est concrétisé dès le samedi 12 mars 2022, à l’occasion du grand meeting organisé à Marseille par la majorité présidentielle, sans le grand homme lui-même, retenu par la gestion des menues affaires du Monde, mais en présence de son Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de passage localement pour poser la première pierre d’un commissariat de quartier dans un terrain vague du 13e arrondissement. Les macronistes de la première heure se serrent pour faire une place à tous ces ralliés issus des rangs de la droite, il y a encore peu critiques inconditionnels et adversaires politiques d’Emmanuel Macron, mais désormais sous le charme du héros national. Un journaliste de Marsactu s’y amuse d’entendre une militante LREM s’écrier en voyant Martine Vassal fendre la foule pour aller chanter la Marseillaise, la main sur le cœur, derrière une banderole géante proclamant fièrement « Les Marseillais avec Emmanuel Macron » : « Oh ! Une réfugiée politique »… On ne saurait mieux dire !

L. V.

Jean-Pierre Giorgi toujours fan de Nicolas Dupont-Aignan

2 mars 2022

A un peu plus d’un mois du premier tour des présidentielles, la course aux parrainages est sur le point de se terminer. Vendredi 4 mars à 18 heures, seuls les candidats disposant de leurs fameuses 500 signatures, pourront donc se présenter. Et comme à chaque élection, on a entendu les mêmes polémiques de candidats se plaignant du caractère discriminatoire de ce filtre qui empêcherait certains de concourir à l’élection présidentielle. Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour ou encore Marine Le Pen, pourtant crédités d’un score plus qu’honorable dans les sondages et qui tous ambitionnent d’atteindre le second tour de cette élection, ont ainsi eu des sueurs froides pour boucler leur liste de soutiens.

Un dessin signé Deligne, publié dans Nice Matin

La règle n’est pourtant pas nouvelle puisqu’elle date de 1962, lorsqu’il a été décidé que le Président de la République serait élu au suffrage universel. Le seuil initial avait d’ailleurs été fixé à 100 signatures seulement, puis porté à 500 en 1976 au vu du nombre pléthorique de 12 candidatures enregistrées en 1974 ! Mais la liste des élus habilités à fournir leur parrainage a aussi été revue et dépasse désormais les 42 000 : députés, sénateurs, élus au Parlement européen, maires (y compris les maires d’arrondissement), conseillers départementaux et régionaux, cela fait en effet beaucoup de monde.

Au point que l’inénarrable Jean Lassalle, crédité au mieux de 1,5 % des intentions de vote, fanfaronne en estimant qu’il s’agit d’une simple formalité et se moque allègrement de ses concurrents à la peine en déclarant : « si on n’est pas capable d’avoir 500 signatures sur un panel de 42 000 élus, alors on n’a rien à faire dans cette compétition »…

Un dessin signé Man, publié dans le Midi libre

De fait, alors même que le recueil des formulaires se poursuit encore pendant quelques jours, 10 candidats déclarés ont d’ores et déjà dépassé la barre fatidique. Certains, comme Valérie Pécresse, forte des milliers d’élus locaux étiquetés LR, survolent même le jeu avec bientôt 2500 signatures en sa faveur, de même que la socialiste Anne Hidalgo avec ses 1318 formulaires validés au 1er mars tandis que le chef de l’État sortant, bien que toujours pas déclaré candidat à sa succession mais ultra favori des sondages, en aligne 1785 à la même date. Même des candidats pourtant aussi marginalisés que Nathalie Artaud, la représentante de Lutte ouvrière, n’a au aucun mal à obtenir ses 568 signatures, et ceci bien avant Jean-Luc Mélenchon : comprenne qui pourra…

Il faut dire que ces formulaires de parrainage, qui correspondent à un acte individuel des élus, ne valent pas forcément soutien politique. Nombre d’élus le revendiquent d’ailleurs ouvertement, à la manière de François Bayrou qui dit apporter son parrainage à Marine Le Pen, estimant que la démocratie serait écornée si celle que les sondages placent actuellement en deuxième place des intentions de vote devait être empêchée à se présenter. Jean-Luc Mélenchon lui-même, a utilisé son statut de député pour parrainer son adversaire du Nouveau parti anticapitaliste, Philippe Poutou. Mais ce sera sans doute insuffisant pour repêcher ce dernier qui rame encore très en deçà du seuil fatidique, de même d’ailleurs que la finaliste de la Primaire populaire, Christiane Taubira, partie très tardivement à la pêche aux soutiens.

Un dessin signé KAK, publié dans l’Opinion

La liste des parrainages, désormais publique depuis 2016 et consultable sur le site du Conseil constitutionnel, où elle a été mise à jour deux fois par semaine durant toute la campagne, montre d’ailleurs que bien des parrainages se sont dispersés, parfois au bénéfice d’illustres inconnus ou de non-candidats avérés comme Michel Barnier, François Hollande ou encore Thomas Pesquet. Cette liste révèle aussi qu’à peine un élu sur quatre a pris la peine de remplir et de renvoyer son formulaire de parrainage, ce qui montre que l’abstention n’est pas réservée aux seuls citoyens de base…

Ainsi, dans les Bouches-du-Rhône, seuls 123 élus ont joué le jeu. Marine Le Pen tire bien son épingle du jeu avec 15 parrainages dans ce département, presque le double d’Eric Zemmour, tandis que Emmanuel Macron en récolte plus de 30 et Valérie Pécresse près de 40. Le communiste Fabien Roussel bénéficie de 13 parrainages quand Jean-Luc Mélenchon n’en engrange que 2, tout comme Christiane Taubira qui bénéficie de celui du Maire de Marseille en personne, Benoît Payan.

Extrait de la liste des parrainages publiée par le Conseil constitutionnel

Curieusement, comme en 2017, on constate que le maire de Carnoux, Jean-Pierre Giorgi, n’a pas accordé son parrainage à Valérie Pécresse comme l’ont fait tous les élus locaux de droite du secteur, de Bernard Deflesselles à Danielle Milon, en passant par Gérard Gazay ou Sophie Joissains. Comme en 2017, c’est à Nicolas Dupont-Aignan, le député de l’Essonne, président du mouvement nationaliste Debout la France, qu’il a fourni son précieux sésame pour l’élection présidentielle.

En 2017, Nicolas Dupont-Aignan se voyait déjà Premier ministre de Marine Le Pen (photo © Geoffroy Van der Hasselt / AFP / L’Express)

Entre les deux tours de la dernière élection présidentielle, Nicolas Dupont-Aignan, avait pourtant éberlué la France entière en annonçant son ralliement opportuniste à Marine Le Pen, laquelle avait confirmé dès le lendemain qu’elle le nommerait Premier ministre en cas de victoire du Rassemblement national au second tour. On aurait donc pu penser qu’un tel positionnement à l’extrême droite aurait quelque peu refroidi notre maire, lequel se positionnait alors ouvertement comme soutien du candidat LR François Fillon, n’hésitant pas à déclarer en novembre 2016 à un journaliste du Monde qu’il n’était « pas du tout de gauche, pas du tout d’extrême droite » et qu’il envisageait « d’appuyer François Fillon à la primaire ».

Il s’en était d’ailleurs expliqué cet été avec Cristele Chevalier et Jacques Boulesteix, alors élu de la liste Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire, reconnaissant que « c’est un type sympathique, rencontré par hasard, par l’intermédiaire d’un Carnussien », à qui il a apporté son parrainage tout en l’avertissant qu’il ne votera pas pour lui. Un positionnement un peu particulier mais que Jean-Pierre Giorgi assume sans complexe, considérant que cela relève de la stratégie politique la plus élémentaire, quoi qu’en pensent ses propres électeurs, sur la base du raisonnement suivant : « de toute façon, il ne passera pas, mais il peut pomper des voix à Le Pen, c’est pour ça que je l’ai parrainé ».

Jean-Pierre Giorgi réelu en 2020 pour son quatrième mandat à Carnoux-en-Provence (photo © RA / La Provence)

Il faut donc se méfier du parrainage des hommes politiques qui ne vaut pas approbation, loin s’en faut, puisque le maire de Carnoux l’affirme avec force : « Jamais je ne voterai Dupont-Aignan, pas plus que Marine Le Pen ou Eric Zemmour ». Ce qui ne l’empêche donc pas de redonner, cette année encore, son parrainage au leader de Debout la France, dont on ne sait d’ailleurs plus très bien ce qui le distingue vraiment de ses concurrents d’extrême-droite.

Mais après tout, puisque c’est un « type sympathique » et que le but est d’affaiblir le vote en faveur de Marine Le Pen, pourquoi chercher plus loin ? De mauvais esprits pourraient certes arguer que ce genre d’attitude tacticienne vient quelque peu dévaloriser la crédibilité de nos élus et renforcer la défiance des citoyens, mais quand on a le culte de la performance, comme le revendique notre maire, il est bien connu que la fin justifie les moyens !

L. V.

Philippines : élections présidentielles ou casting de téléréalité ?

15 février 2022

Le 24 avril 2022 au soir, si tout se passe comme prévu, les Français sauront qui sera leur prochain Président de la République pour les cinq ans à venir, même si, au vu des sondages, le suspens semble assez limité et la reconduction du Président sortant paraît être une hypothèse plus que probable. Mais la France ne sera pas seule à voter pour son nouveau chef de l’État. Quinze jours plus tard le 9 mai, ce sont les 65 millions d’électeurs philippins qui voteront à leur tour pour élire leur Président de la République pour un mandat de six ans et, comme en France, la campagne est désormais sur les rails.

Et, pour ceux qui se plaignent que la démocratie prenne, dans notre vieille démocratie, des allures de politique spectacle mettant davantage en avant l’écume des petites phrases que les débats de fond, la comparaison avec les Philippines est, tout compte fait, plutôt rassurante pour la santé de notre système politique.

Passage du typhon Rai aux Philippines en décembre 2021 (photo © Erwin Mascarinas / AFP / Le Devoir)

Certes, l’archipel des Philippines avec ses 7641 îles officiellement recensées, souvent montagneuses et d’origine volcanique, autrefois couvertes par la forêt tropicale, s’étendant entre Taïwan, au nord, et la Malaisie, au sud, n’a que peu de rapport avec notre pays. Les catastrophes naturelles y sont fréquentes : en 1991, une éruption du mont Pinatubo avait fait plus de 300 morts, et le 19 décembre dernier, le passage du typhon Rai a fait au moins 260 morts et disparu, obligeant plus de 300 000 personnes à fuir leur domicile. Mais les soubresauts politiques y sont bien plus meurtriers encore…

Découvert par les Européens en 1521, par l’explorateur portugais Magellan, qui y est d’ailleurs assassiné quelques jours plus tard, l’archipel y passe progressivement sous contrôle espagnol qui s’en servent comme tête de pont pour leurs tentatives d’évangélisation de la Chine et du Japon, le pays étant administré jusqu’au XIXe siècle depuis le lointain Mexique où résidait alors le vice-roi des Philippines… Les États-Unis y interviennent militairement et s’accaparent le pays en 1898, s’y livrant à une répression féroce de l’élite indépendantiste, massacrant pas moins d’un millions et demi de Philippins, soit 15 % de la population d’alors ! En 1942, le pays passe sous occupation japonaise, ce qui occasionne de nouvelle atrocité comme ce massacre de Manille où plus de 100 000 civils trouvent la mort en février-mars 1945…

Dès l’indépendance, acquise en 1946, le gouvernement doit faire face à une insurrection paysanne qu’il réprime avec férocité à l’aide d’unité spéciales qui sèment la terreur dans les campagnes pour protéger les intérêts des grands propriétaires terriens. Élu président en 1965, Ferdinand Marcos déclare la loi martiale en 1972 et instaure un régime dictatorial qui durera jusqu’en 1986. Ces 20 années de dictature se traduisent par l’emprisonnement d’au moins 70 000 opposant politiques dont la moitié subissent la torture et plus de 3000 sont assassinés, dont le chef de l’opposition, Benigno Aquino. Avec sa femme, Imelda, le couple Marcos vide les caisses de l’État à son profit, détournant entre 5 et 10 milliards de dollars selon les estimations.

Ferdinand et Imelda Marcos, la Marie-Antoinette des Philippines… (photo © Andy Hernandez / Sygma / Vanity Fair)

Et pourtant, malgré ce bilan plus que douteux, la dynastie Marcos est restée très proche du pouvoir, Imelda Marcos étant même réélue députée jusqu’en 2019, tandis que leur fils, Ferdinand Marcos junior, surnommé affectueusement Bongbong, connaît une carrière politique brillante. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui est le grand favori des prochaines élections présidentielles, ce qui prouve que les Philippins ont la mémoire très courte. Il faut dire que ce pays, qui bénéficie d’un régime présidentiel inspiré du système américain, présente la particularité d’être resté très féodal, 80 % des membres du Parlement étant issus d’une soixantaine de familles, des grandes dynasties politiques qui se partagent le pouvoir de père en fils.

Lui même accusé de fraude fiscale massive, l’héritier du clan Marcos orchestre une campagne de désinformation à grande échelle pour se dédouaner et faire oublier les petits désagrément passés de la dictature de son père, en utilisant le canal des réseaux sociaux auxquels les Philippins sont totalement accros, avec 10 heures par jour en moyenne passés sur Internet, le record mondial !

L’actuel président Rodrigo Duterte avec sa fille Sara, ici en 2018 en Chine (photo © AFP / Le Monde)

Comme aux États-Unis, les Philippins élisent, en même temps que leur président, un vice-président, amené à remplacer le précédent en cas d’empêchement. Mais curieusement, les deux sont élus séparément, selon un scrutin uninominal majoritaire à un tour, si bien qu’ils peuvent être issus de deux camps opposés. En 2016, c’est le fantasque Rodrigo Duterte qui avait été élu, avec son franc-parler plutôt iconoclaste, n’hésitant pas à déclarer publiquement : « Oubliez les droits de l’Homme : si je deviens président, ça va saigner »… Et la vice-présidence était revenue à son opposante, Leni Robredo, une avocate attachée à la défense des droits de l’Homme et de la justice sociale, qui avait elle-même devancé le fils Marcos.

La vice présidente Leni Robredo, très critique contre la politique de Rodrigo Duterte (source © Missions étrangères)

En 2022, Leni Robredo se présente de nouveau mais Rodrigo Duterte a annoncé son retrait de la vie politique, laissant la place à sa fille, Sara Duterte, qui lui avait déjà succédé à la mairie de son fief Davao. Sauf que cette dernière brique en réalité la vice-présidence, en tandem avec le fils de l’ex dictateur Marcos, tous deux ayant de grandes chances d’être élus le 9 mai prochain. Ce qui devrait leur permettre de défendre les intérêts de leurs familles respectives, et notamment de protéger le président sortant Duterte contre une extradition demandée par la Cour pénale internationale pour son activisme zélé dans la guerre menée contre la drogue, qui a fait quelque 30 000 morts depuis 2015, une broutille…

Ferdinand Marcos junior dit Bongbong avec la candidate à la vice présidence Sara Duterte, en meeting le 8 février 2022 (photo © Ted Aljibe / AFP / Challenges)

Pour comprendre le fonctionnement politique des Philippines, il faut, selon David Camroux, chercheur au CERI (Centre d’étude et de recherches internationales à Sciences-Po), comprendre qu’ « il s’agit d’un système féodal où les candidats sont des vedettes de cinéma ou de télévision, des artistes ou des sportifs issus de dynasties politiques enracinées dans différentes régions du pays ». Il fait ainsi notamment allusion à l’un des autres candidats de cette élection présidentielle philippines, l’ancien champion de boxe Manny Pacquiao, qui a raccroché les gants en 2020, après s’être fait élire député dès 2010 en promettant d’être « plus efficace en politique que sur le ring ».

Le boxeur Manny Pacquiao, candidat à la présidentielle, ici en août 2021 à Las Vegas (photo © AP / TV5 Monde)

Devenu sénateur en 2016, au nom d’un parti dirigé par sa propre épouse (on reste en famille), il est aussi accessoirement chanteur et acteur, ce qui n’est jamais mauvais pour la popularité… Il se confrontera d’ailleurs, lors de ces élections présidentielles à un autre grand acteur du cinéma philippin, l’actuel maire de Manille, Joaquin Damagoso, plus connu sous son nom de scène, Isko Moreno.

Reste à savoir qui du monde des acteurs, des sportifs reconnus ou des fils de dictateurs, aura les suffrages du bon peuple philippin. L’Histoire a déjà montré à maintes reprises que les vedettes du spectacle étaient plutôt bien préparées pour ce type de rôle, à l’instar d’un Ronald Reagan, d’un Sylvio Berlusconi ou d’un Donald Trump. Mais tout laisse penser que l’esprit de famille, si traditionnellement ancré au plus haut sommet de l’État philippin, sera sans doute encore plus fort. Finalement, les grandes dynasties politiques françaises des Le Pen, Dassault, Debré ou Giscard d’Estaing, pour n’en citer que quelques unes, font bien pâle figure à côté d’une telle tradition si pittoresque…

L. V.

Nucléaire : au cœur du réacteur électoral ?

13 février 2022

Depuis des années en France, la question du recours à l’énergie nucléaire était un peu tombée aux oubliettes et avait quasiment disparu du paysage des préoccupations politiques. En dehors d’une poignée de militants dont ceux de l’association Greenpeace qui se mobilisaient périodiquement pour protester contre le relâchement des mesures de sécurité sur les sites des centrales nucléaires, contre les convois de déchets radioactifs ou contre les projets d’enfouissement de ces mêmes déchets, le sujet ne passionnait plus les foules, comme si un consensus national s’était peu à peu installé autour des bienfaits de cette énergie qui alimente, en France, l’essentiel de notre consommation électrique.

Manifestation en 2011 à Saint-Vulbas, réclamant la fermeture de la centrale nucléaire de Bugey (source © France 3 Rhône-Alpes)

Alors même que la catastrophe de Fukushima en mars 2011 avait amené le Japon à fermer brutalement toutes ses centrales nucléaires et l’Allemagne à prendre la décision historique d’abandonner totalement le nucléaire d’ici 2022 (les 3 derniers réacteurs encore en activité étant toujours amenés à cesser leur activité d’ici la fin de cette année…), la France avait fait comme si rien n’était et poursuivi la construction du fameux EPR de Flamanville, débuté en 2007 et toujours pas achevé malgré le gouffre financier et le fiasco industriel que représente cette opération peu glorieuse pour le génie industriel national…

L’EPR de Flamanville, toujours en chantier depuis 2007 (source © Eco CO2)

En 1986, lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl, dont les impacts sanitaires avaient touché directement le sol française, l’émoi avait été nettement plus important. Mais là encore, les débats politiques sur la place du nucléaire civil dans le mix énergétique national n’avaient guère agité au-delà de certains cercles militants, contrairement à l’Allemagne où l’événement avait conduit à l’abandon du projet d’une usine de traitement de combustible radioactif en Bavière, ou encore à l’Italie qui avait alors mis fin à son propre programme nucléaire.

Dans les années 1970, le petit autocollant qu’on voyait partout…

Il faut en réalité remonter aux années 1970 pour retrouver une véritable mobilisation populaire contre le recours à l’énergie nucléaire. A l’époque, on voyait fleurir un peu partout les fameux autocollants jaunes avec ce soleil goguenard qui clamait, tout sourire, « Nucléaire ? Non merci ». Au tout début des années 1980, les projets de construction de centrales nucléaires mobilisaient encore des manifestations monstres d’opposants, comme à Plogoff où le 12 décembre 1981, le gouvernement socialiste de François Mitterrand avait finalement dû jeter l’éponge et abandonner le projet de construire une centrale nucléaire sur la lande bretonne, près de la Pointe du Raz.

Manifestation anti-nucléaire sur le site de Plogoff en 1980 (photo archives © Eugène Le Droff / Le Télégramme)

Ce projet, décidé en 1974 s’inscrivait alors dans un vaste programme piloté par EDF, alors tout puissant, qui prévoyait de couvrir la France de pas moins de 400 réacteurs nucléaires, avec en général l’appui enthousiaste des élus locaux qui voyaient s’amasser une véritable manne d’argent public, permettant de construire, à proximité des centrales nucléaires, lotissements neufs, équipements sportifs surdimensionnés, salles des fêtes, piscines et voiries éclairées à gogo. Une manne à laquelle le maire de Plogoff n’avait pas été sensible, préférant, en accord avec son conseil municipal, brûler spectaculairement le dossier d’enquête publique sur la place de la mairie, donnant ainsi le signal d’une véritable révolte populaire au cours de laquelle on a vu les grands-mères bigouden aux gendarmes mobiles puis aux parachutistes dépêchés en renfort de Paris…

Quelques années auparavant, en 1977, c’était le projet de surrégénérateur Superphénix qui mobilisait contre lui des foules de militants écologistes avec notamment une manifestation rassemblant plus de 60 000 personnes en juillet 1977 sur le site de Creys-Malville, avec de violents affrontements avec les forces armées, qui causeront d’ailleurs la mort d’un militant. Ces mouvements anti-nucléaires, qui s’étaient illustrés dès avril 1971 en organisant une marche contre le projet de construction de la centrale de Fessenheim, sont alors directement issus des milieux pacifistes qui luttent depuis plusieurs années déjà contre l’armement militaire nucléaire, avec des mouvements comme le Groupe d’action et de résistance à la militarisation, mené notamment par Théodore Monod.

Explosion d’une bombe atomique dans le désert du Nevada en 1957 (source © Getty / France Culture)

Né après la guerre, en réaction aux bombardements américains de Hiroshima et Nagasaki, sous la caution d’éminents scientifiques comme Frédéric Joliot-Curie qui lance dès 1950 l’Appel de Stockholm en vue d’interdire le recours à l’arme nucléaire, ces mouvements alimentent d’autant plus naturellement les rangs des opposants au nucléaire civil qu’à l’époque les deux programmes étaient très intimement liés et que le développement des centrales nucléaires à uranium appauvri favorisait en réalité le risque de prolifération nucléaire et de banalisation du recours à la bombe atomique. Des arguments renforcés ensuite par une réflexion sur le risque lié à la sécurité des installations nucléaires elles-mêmes et à la gestion dans le temps des déchets radioactifs, un processus toujours aussi mal maîtrisé.

Alors que de nombreux pays ont peu à peu abandonné le recours à l’énergie nucléaire comme source de production d’électricité, la France fait un peu figure d’exception avec, en 2020, encore plus de 67 % de l’électricité produite d’origine nucléaire, et 37 % de l’énergie primaire consommée issue de l’atome, un record mondial sachant que cette part est en moyenne de 4 % dans le monde !

Mais voilà qu’après des années de relative indifférence vis à vis de cette énergie nucléaire dont les Français ont largement profité, laissant peu à peu vieillir leur parc de 56 réacteurs nucléaires, répartis sur 18 sites, le fermeture en 2020 des deux réacteurs de Fessenheim, décidée par François Hollande, et les déboires du chantier de Flamanville avec ses retards et ses surcoûts accumulés, ont remis progressivement le sujet dans le débat, au point de venir s’inviter dans la campagne des présidentielles 2022. Le président sortant vient justement d’annoncer, à deux mois du scrutin, sa volonté de faire construire, d’ici 2050 six nouveaux réacteurs nucléaires EPR et en envisage même huit supplémentaires, complétés par de petits réacteurs modulables de plus faibles capacités, tout en voulant prolonger au delà de 50 ans la durée de vie des réacteurs actuellement en service.

Emmanuel Macron sur le site de General Electric à Belfort, annonçant le 10 février 2022 la relance du programme nucléaire français (photo © Jean-François Badias / Reuters / Courrier International)

Un tel positionnement en faveur de la relance d’un vaste programme d’investissement nucléaire, est d’ailleurs assez conforme à ce que prônent plusieurs autres candidats depuis le communiste Fabien Roussel jusqu’à la candidate frontiste Marine Le Pen en passant par la LR Valérie Pécresse. A l’extrême droite, on va même encore plus loin puisque le Rassemblement national veut carrément rouvrir la centrale de Fessenheim, tandis que Eric Zemmour souhaite prolonger la vie des réacteurs à 60 ans au moins et construire 14 réacteurs EPR d’ici 2050, exigeant l’abandon total de l’énergie éolienne.

Des positions qui vont complètement à rebours du scénario préconisé par l’association négaWatt qui vise à atteindre la neutralité carbone de la France d’ici 2050 avec un mix énergétique issu à 96 % de sources renouvelables. Une vision que l’on retrouve en grande partie dans les propositions du candidat écologiste Yannick Jadot, lequel prône également un abandon progressif du nucléaire couplé à une forte augmentation du recours aux énergie renouvelables. Une position largement partagée par les autres candidats de gauche, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Christiane Taubira, qui tous visent une sortie complète du nucléaire d’ici 2045 à 2050. Contre toute attente, la question du nucléaire fait donc de nouveau partie des points de clivage de la nouvelle campagne électorale…

L. V.

Lionel Royer-Perreaut, l’anguille qui aime la soupe…

10 février 2022

L’affaire a fait grand bruit dans le Landerneau politique marseillais : ce mercredi 9 février 2022, Lionel Royer-Perreaut, maire LR des 9e et 10e arrondissements, annonce dans La Provence sa décision de quitter Les Républicains et de soutenir Emmanuel Macron pour les prochaines présidentielles. Lui qui déclarait fièrement il y a moins d’un mois dans les colonnes du même journal « Je soutiens Valérie Pécresse depuis le début », précisant même qu’elle était « la candidate de synthèse par excellence », a donc changé d’avis à deux mois seulement du premier tour de l’élection présidentielle, alors même que la candidate LR reste plutôt bien placée dans le trio de tête des challengers de ce scrutin.

Lionel Royer-Perreaut, annonce son départ du parti LR (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

Une telle annonce qui fait l’effet d’un coup de tonnerre dans la droite marseillaise est d’autant plus étonnante que Lionel Royer-Perreaut avait été en 2020 le maire de secteur le mieux élu de toute les listes LR, avec 45,5 % des suffrages exprimés au deuxième tour, loin devant la liste emmenée par Aïcha Sif pour le Printemps marseillais et celle du Rassemblement national menée par Éléonore Bez. Depuis, il avait tendance à se pousser du col et à se positionner en poids lourd de l’opposition LR au sein du Conseil municipal, monopolisant volontiers la parole avec ses discours sentencieux et moralisateurs, là où l’ancienne tête de liste LR, Martine Vassal, se montrait plutôt discrète lors des débats municipaux.

Élu à la Métropole Aix-Marseille-Provence, il s’y était arrogé le poste de deuxième vice-président du Conseil de Territoire Marseille Provence, délégué à l’habitat et au logement, laissant néanmoins la place de premier vice président au maire de Carnoux, Jean-Pierre Giorgi, par politesse sans doute. Réélu en 2021 au Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, en tandem avec sa présidente sortante, Martine Vassal, il hérite, là aussi d’un poste de vice-président, délégué cette fois aux relations internationales et au rayonnement du territoire marseillais, un beau tremplin pour un responsable politique ambitieux qui commence à lorgner sérieusement sur la mairie de Marseille.

Lionel Royer-Perreaut, préside depuis 2020 la SOLEAM, dont l’action a été critiquée par la Chambre régionale des Comptes (source © Made in Marseille)

Et ce n’est pas tout car le maire de secteur a aussi été porté le 4 novembre 2020 à la présidence de la SOLEAM, alors qu’il présidait déjà, parmi de nombreuses autres institutions, l’office public de l’habitat départemental 3 Habitat. Pas forcément très connue du grand public, la Société publique locale d’aménagement de l’aire métropolitaine (SOLEAM) dont sont membres, outre la Métropole et la Ville de Marseille de nombreuses collectivités locales dont Cassis, Aubagne, La Ciotat ou encore Gémenos, compte une soixantaine de collaborateurs et pilote pour le compte de la Métropole de nombreux aménagements de ZAC et des opérations de renouvellement urbain, avec un bilan mitigé. Son intervention sur le projet de requalification de la place Jean Jaurès à Marseille avait notamment mis le feu à tout le quartier de La Plaine, déclenchant une véritable guerre de tranchée des riverains, au point qu’il avait fallu ériger un mur pour protéger le chantier…

Lionel Royer-Perreaut, qui jadis, en décembre 2009, était venu introduire une conférence organisée à Carnoux par le Cercle progressiste carnussien sur le projet de Parc national des Calanques, est donc unanimement considéré comme un pilier de la droite LR marseillaise, dans ses bastions du Département et de la Métropole, comme dans son rôle d’opposition municipale. D’où l’émoi causé par cette annonce fracassante de quitter brusquement les rangs des Républicains en pleine campagne électorale.

En 2020, l’entente cordiale entre Guy Tessier, Martine Vassal et Lionel Royer-Perreaut pour l’élection du maire de Marseille… (source © Made in Marseille)

En 2020 déjà, son positionnement avait surpris certains lorsqu’il avait joué des coudes pour obtenir l’investiture LR comme tête de liste dans le 5e secteur des municipales marseillaise, à l’issue d’un combat qualifié de « violent et douloureux » contre Guy Tessier qui était pourtant le candidat naturel à cette place. Une guerre fratricide d’autant plus âpre que Guy Tessier était le mentor de Lionel Royer-Perreaut. C’est lui qui l’avait pris sous son aile comme assistant parlementaire en 1995 alors que le jeune Royer-Perreaut, âgé de 21 ans seulement, venait de vivre l’assassinat de la député FN puis UDF, Yann Piat, dont il était attaché parlementaire. Réélue en mars 1993 et membre de la commission d’enquête contre la mafia à l’Assemblée Nationale, la députée envisageait de se présenter aux municipales à Hyères-les-Palmiers, dans le Var, lorsqu’elle avait été sauvagement assassinée par deux hommes à moto, le 24 février 1994.

Le 1er mars 1994, lors des obsèques de la député assassinée Yann Piat (photo © MaxPPP/ France TV info)

Pendant plus de 15 ans, Lionel Royer-Perreaut a fait toute sa carrière politique dans le sillage du député Guy Tessier dont il est devenu suppléant à l’Assemblée Nationale en 2007 et qu’il avait déjà remplacé comme maire de secteur en 2014, lorsque Guy Tessier était devenu président de la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole.

En avril 2014, le député Guy Tessier laisse à son adjoint Lionel Royer-Perreaut le fauteuil de la mairie de secteur où il siégeait depuis 31 ans (source © La Provence)

Mais en 2020, Lionel Royer-Perreaut était carrément sorti de ses gonds lorsque, à l’occasion de l’élection du Maire de Marseille, Martine Vassal avait eu la lumineuse idée de proposer Guy Tessier comme candidat, espérant le faire élire au bénéfice de l’âge et avec l’appui discret des élus du Rassemblement national. Ce qui n’avait pas empêché Royer-Perreaut de se représenter quelques mois plus tard en tandem avec Martine Vassal pour se faire réélire, bras dessus, bras dessous, au Conseil départemental…

Affiche de campagne de Lionel Royer-Perreaut et Martine Vassal lors des élections départementales en 2021 (source © Comité femmes Marseille 9/10)

Qu’est-ce qui a donc bien pu pousser cet homme de droite aux convictions libérales solidement chevillées, à claquer ainsi la porte de sa famille politique en pleine bataille électorale ? Pour le comprendre, il ne faut pas oublier qu’une élection peut en cacher une autre : alors que toute l’attention des Français est braquée sur les présidentielles à venir, les responsables politiques, eux, ne pensent qu’aux législatives qui se profilent dans la foulée. Or, dans la sixième circonscription des Bouches-du-Rhône, un fief imperdable pour la droite qui comprend les 9e, 10e et 11e arrondissement de Marseille, c’est Didier Réault qui a été investi par le parti LR pour les prochaines législatives, avec l’inamovible Guy Tessier comme suppléant. Une véritable claque pour Lionel Royer-Perreaut qui est donc aussitôt aller frapper à la porte d’en face, celle de la République en marche, laquelle, ça tombe bien, a toutes les chances, au vu des sondages qui se succèdent depuis des mois, de faire réélire haut la main son champion, Emmanuel Macron. De surcroît, et là-encore ça tombe plutôt bien, le parti présidentiel a justement un peu de mal à trouver des candidats ancrés localement dans le paysage politique et connus des électeurs.

Lionel Royer-Perreaut entretient bien entendu encore un peu le suspens, pour la forme, mais nul ne doute désormais qu’il se présentera donc aux prochaine législatives sous l’étiquette de la future majorité présidentielle. Prudent, il préfère néanmoins laisser passer la présidentielle pour se dévoiler, sait-on jamais ? Quant à la cohérence de son positionnement politique qui risquerait de perturber légèrement certains de ses électeurs, cela ne semble pas trop l’inquiéter. Lui qui a tapé comme un sourd depuis 5 ans maintenant sur la politique menée par Emmanuel Macron, trouve désormais bien des qualités au Chef de l’État, jugeant qu’il a admirablement su gérer la crise sanitaire, sociale et économique qu’a traversé notre pays : une belle clairvoyance, certes un peu tardive, mais mieux vaut tard que jamais…

L. V.

L’impôt ABC ou le retour au B. A. -BA

8 février 2022

Nous sommes en pleine campagne électorale présidentielle, et bientôt législative. C’est donc forcément le moment de s’interroger sur nos grands choix de société et les think tank, ces laboratoire de pensée qui bouillonnent de propositions, s’en donnent à cœur joie ! A se demander même pourquoi toutes ces propositions, souvent longuement réfléchies et savamment étayées par des études approfondies menées par les meilleurs spécialiste, n’ont pas plus d’écho dans les médias qui préfèrent trop souvent s’en tenir à l’écume des personnalités et au choc des petites phrases…

Pourquoi les think tanks fonctionnent rarement ? Parce que les meilleures idées sont filtrées… (source © Huffington Post)

Parmi ces multiples cercles de pensée qui phosphorent à tout va, citons notamment l’Institut Rousseau. Lancé en mars 2020 et animé par un groupe de hauts fonctionnaires, de chercheurs, de juristes et de spécialistes en tout genre, de la vie politique comme du financement public ou des relations internationale, il affiche comme ambition de « réinvestir l’idée d’une raison républicaine partagée et d’un bien commun à l’humanité, à travers la promotion d’idées rassemblées autour du projet central qu’est pour nous le reconstruction écologique et démocratique de nos sociétés, dans toutes ses composantes économiques, sociales et institutionnelles ».

Un bel objectif qui ne peut qu’intéresser tous ceux qui se réclament d’un idéal républicain de gauche, soucieux de l’intérêt général et d’une certaine rationalité démocratique, en vue de faire face collectivement aux grands défis sociaux et écologiques de notre temps. Cet institut, qui se présente comme « le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine » produit ainsi notes sur notes pour alimenter la réflexion et proposer des mesures concrètes sur des sujets aussi variés que le droit du travail, la réforme des collectivités, le coût de l’énergie, l’échec scolaire ou encore l’usage des cryptomonnaies… Une véritable mine parmi laquelle on relèvera cette note récente intitulée : « L’impôt ABC : une réforme de justice fiscale ».

Cosignée notamment par l’économiste Gaël Giraud, cette note propose d’adopter, pour les règles de calcul de l’impôt sur le revenu, une méthode nettement plus simple et plus intuitive que celle des tranches qui prévaut actuellement avec ses taux d’imposition marginale qui entretiennent la confusion car donnant le sentiment que les plus riches sont beaucoup plus fortement imposés qu’ils ne le sont en réalité. Le système n’est d’ailleurs pas nouveau puisqu’il avait déjà été exploré par l’économiste suédois Cassel dès 1901, mais n’a jamais été mis en œuvre malgré son extrême simplicité.

Ce dispositif d’impôt progressif repose en effet sur 3 paramètres seulement. A représente le taux effectif d’imposition maximale, dont la valeur détermine le consentement à contribuer à l’effort national pour les plus riches. Gaël Giraud suggère par exemple de le porter à 50 % pour ceux qui disposent d’un revenu mensuel supérieur à 1 million d’euros, ce qui n’a rien de confiscatoire, mais est très supérieur à la réalité actuelle où le taux d’imposition des plus riches ne dépasse pas 21 % !

Le paramètre B fixe le revenu imposable minimum, à partir duquel un citoyen doit payer l’impôt sur le revenu. Actuellement, ce seuil correspond à un revenu d’environ 1400 € mensuel, soit un revenu annuel global (hors abattement de 10 %) d’un peu moins 17 000 € pour un célibataire et le double pour un couple sans enfants. Gaël Giraud propose de conserver ce seuil qui permet à plus de la moitié de la population française d’être totalement exonérée de l’impôt sur le revenu.

Enfin, le paramètre C caractérise la progressivité de l’impôt : plus il est élevé, plus ce sont les riches qui payent, avec un effet redistributif plus important mais un rendement moindre car, comme chacun sait, les riches ne sont pas nombreux : moins de 4 % des Français gagnent actuellement plus de 6 000 € par mois et par personne… Gaël Giraud propose d’ajuster ce paramètre pour conserver les recettes fiscales actuelles mais avec davantage d’effet redistributif, les plus gros contribuables étant ceux qui gagnent plus de 10 000 € par mois et par personne…

Les tranches d’imposition, un système opaque et complexe, source de multiples ajustements (Dessin publié dans les Echos en janvier 2019 © Aure Experts)

L’intérêt d’un tel système est surtout pédagogique car il permettrait à tout un chacun de mieux s’y retrouver dans ce maquis inextricable qu’est devenu le barème de l’impôt sur le revenu avec ses dispositifs multiples d’abattements et de niches fiscales qui masquent totalement la réalité des contributions. Avec l’instauration du prélèvement forfaitaire universel, la fameuse Flat Tax à la française, instaurée par Emmanuel Macron, le taux d’imposition des Français les plus aisés, dont les revenus proviennent essentiellement du capital, serait ainsi tombé à 17 %, un taux ridiculement bas, qui va totalement à l’encontre du principe même de progressivité de l’impôt puisqu’ils payent moins qu’un contribuable plus modeste mais dont les seuls revenus sont ceux de son travail.

Les niches fiscales, un système qui permet aux plus riches de payer moins d’impôts… Un dessin signé Na ! (source © Agora Vox)

Un impôt de type ABC permettrait, selon ses promoteurs, de remettre dans le débat public la question de l’ajustement des règles de l’imposition car il s’agit d’un enjeu central de société alors que cette question est devenue d’une complexité telle que seuls les conseillers fiscaux et les avocats d’affaire peuvent s’y retrouver, pour le plus grand bénéfice des plus aisés qui ont le moyen de recourir à leurs services, au détriment bien évidemment de l’intérêt général.

Gageons cependant que le dossier ne sera pas au cœur du débat public de cette campagne, ce qui est bien dommage. Rappelons quand même que l’impôt sur le revenu est la deuxième source de recettes pour l’État français, devant rapporter en 2022, selon le projet de loi de finance, la bagatelle de 82,4 milliards d’euros, juste derrière le fruit de la TVA (97,5 Md €), mais bien avant celui de l’impôt sur les sociétés (39,5 Md €) ou de la fameuses TIPCE sur les carburants (18,4 Md €) qui avait pourtant occasionné le mouvement des Gilets jaunes et est source de débat permanent…

Affiche s’opposant à l’instauration d’un impôt sur le revenu, considéré comme confiscatoire et inquisitorial par la France conservatrice, finalement adopté en 1914 à l’instigation de Jacques Caillaux, ministre des finances du gouvernement de Georges Clémenceau (source © Nancy Buzz)

Rappelons aussi au passage que l’instauration même d’un impôt progressif sur le revenu, a suscité bien des réticences en France où elle n’a été adoptée qu’en juillet 1914 après plus de 60 ans de débats houleux et une opposition farouche de toute la droite conservatrice et libérale, certains comme Adolf Thiers s’étant particulièrement illustrés dans ce combat contre un tel outil de justice sociale qu’il qualifiait d’« atroce impôt », tandis qu’en 1907 le futur député Maurice Colrat de Montrozier allait jusqu’à dire de ce projet qu’il « porterait atteinte à la liberté individuelle, ruinerait le commerce et l’industrie et, par son caractère progressif, pourrait constituer aux mains des socialistes un véritable outil de spoliation »… Rien que ça ! Comme quoi, évoquer l’impôt sur le revenu pourrait mettre un peu de piment dans le débat électoral actuel…

L. V.

Honduras : une femme contre la corruption ?

3 février 2022

Situé en Amérique centrale, entre le Guatemala au nord et le Nicaragua au sud, le Honduras est tristement connu pour être l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine et l’un des pays du monde où le taux d’assassinats politiques est le plus élevé… En 2012, on y dénombrait plus de 90 homicides pour 100 000 habitants, un chiffre assez effrayant comparé à celui de la France (1,4 homicide pour 100 000 habitants) ou même à celui des USA qui est de 5,4. La deuxième ville du Honduras, San Pedro Sula détiendrait même le record mondial en la matière avec 173 homicides pour 100 000 habitants…

Manifestation de l’ONG Copinh en 2016 suite à l’assassinat de la militante écologiste Berta Caceres (photo © Orlando Sierra / AFP / RFI)

Le pays est considéré comme l’un des plus dangereux du monde pour les journalistes, les syndicalistes ou les militants écologistes : plus de 130 de ces derniers ont été assassinés en toute impunité entre 2009 et 2019 ! La présence de gangs mafieux ultra violents, dénommés maras, liés au trafic de stupéfiants et adeptes des extorsions de fonds en tous genre, alimentent copieusement ce climat d’insécurité, renforcé par le très haut degré de corruption des élus politiques et des forces de l’ordre, elles-mêmes considérées comme « pourries jusqu’à la moelle » selon l’expression d’un ancien officier de police, d’ailleurs abattu deux semaines après cette déclaration quelque peu irrévérencieuse…

Arrestation d’un membre présumé du gang Mara Salvatrucha 13 à Tegucigalpa, au Honduras, en novembre 2020, lors d’un vaste coup de filet (photo © AFP / TDG)

Il faut dire que, depuis que Christophe Colomb a débarqué en 1502 sur la côte atlantique du Honduras et lui a laissé en héritage le nom qu’il porte toujours, le pays, devenu indépendant en 1839 a connu bien des périodes d’instabilité. Le Honduras fut même brièvement envahi par le Salvador voisin en 1969 dans un contexte de fortes tensions liées à des mouvements migratoires et à la suite de matchs tumultueux entre les deux équipes nationales dans le cadre des phases éliminatoires pour la coupe du monde de football : il n’y a pas que dans les stades que le foot exacerbe les passions…

Sous gouvernement militaire entre 1972 et 1983 et bénéficiant d’une aide militaire massive de l’administration Reagan qui utilise le pays comme base arrière dans sa guerre contre les sandinistes du Nicaragua, le Honduras connaît en 2002 une crise agricole qui menace de famine des dizaines de milliers de personnes. En 2006 cependant, élu à la tête du pays, le représentant du Parti libéral, Manuel Zelaya met en œuvre une politique réformiste et s’attaque au redressement économique du pays et à la réduction des inégalités sociales en créant notamment un salaire minimum.

L’ancien président hondurien Manuel Zelaya, renversé par un coup d’État le 28 juin 2009, ici à Mexico en août 2009, alors qu’il est encore considéré par beaucoup comme le président légitime, démocratiquement élu (photo © Henry Romero / Reuters / L’Express)

Le 28 juin 2009 à l’aube, à quelques heures d’une consultation électorale en vue de convoquer une assemblée constituante, le président Zelaya est brutalement arrêté par l’armée et expulsé manu militari en pyjama vers le Costa Rica. Un coup d’État en bonne et due forme, organisé par l’élite économique hondurienne appuyée ouvertement par certaines multinationales dont la United Fruit Company. De retour au pays en 2011, il fonde un nouveau parti de gauche, sous le nom de Liberté et Refondation. En 2013, c’est son épouse, Xiomera Castro, qui se présente à la Présidence de la République sous les couleurs de ce parti, mais échoue dans un scrutin qui donne lieu à de graves accusations de fraudes.

Le nouveau président, Juan Orlando Hernández, du Parti national, gouverne le pays de manière autoritaire et est éclaboussé par de multiples scandales de corruption, ce qui ne l’empêche pas d’être réélu en 2017, à l’issue d’un scrutin encore très controversé et émaillé de nombreuses violences. En 2019, il doit faire face à la situation de son propre frère, lui-même ancien député, arrêté à l’aéroport de Miami et accusé de trafic de drogue pour avoir exporté plusieurs tonnes de cocaïne vers les États-Unis où il est condamné à la prison à vie. Le président Orlando est lui-même accusé d’avoir utilisé l’appui financier des narco-trafiquants pour le financement de ses campagnes électorales…

Le 28 novembre 2021, c’est donc Xiomera Castro, l’épouse du président déchu Zelaya, qui a été élue à la Présidence de la République du Honduras, à la tête d’une coalition avec le centriste Salvador Nasralla. Elle vient tout juste de prendre ses fonctions officielles, le 27 janvier 2022 et promet de lutter contre la corruption endémique qui mine son pays depuis des années.

Xiomara Castro, la nouvelle présidente hondurienne, prononçant son discours d’investiture à Tegucigalpa, le 27 janvier 2022 (photo © Freddy Rodriguez / Reuters / Le Monde)

Elle compte ainsi remettre en selle la commission de lutte contre la corruption en s’appuyant sur les Nations-Unies, modifier le Code pénal pour renforcer les sanctions contre le blanchiment d’argent, développer les programmes sociaux de lutte contre la pauvreté, ou encore bloquer le développement des Zones spéciales de développement économique, ces zones de non droit qui servent de refuges officiels à nombre de délinquants poursuivis par la Justice. Selon elle, près des trois-quarts des 10 millions d’habitants du Honduras vivraient en dessous du seuil de pauvreté : elle a donc du pain sur la planche !

Scène de pugilat à l’assemblée nationale du Honduras le 21 janvier 2022 à l’occasion de l’élection controversée de son nouveau président (photo © Orlando Sierra / AFP / Ouest France)

Mais on ne change pas si facilement un pays gangrené à ce point par des décennies de libéralisme et de corruption endémique. Avant même sa prise de fonction, le nouvelle présidente s’est retrouvée confrontée à la fronde d’une vingtaine de députés de son propre parti qui ont cédé à l’appât du gain et ont fait élire l’un des leurs à la tête du Congrès national avec le soutien du Parti national, ce qui permet à ce dernier de contrôler de facto l’assemblée législative et risque de bloquer fortement la volonté réformatrice de Xiomara Castro : on lui souhaite bien du courage…

L. V.

La gauche chilienne en exemple ?

27 janvier 2022

Le Chili, c’est cette étroite bande qui borde la côte ouest de l’Amérique du Sud sur plus de 4000 km, depuis le désert d’Atacama, au nord, à la frontière du Pérou, jusqu’au Cap Horn à l’extrémité sud du continent. Devenu indépendant dès 1810 en profitant des guerres napoléoniennes sur le sol espagnol, le Chili a connu bien des coups d’État jusqu’à celui du général Pinochet, qui, le 11 septembre 1973 et avec la bienveillance des États-Unis, renverse le gouvernement d’unité populaire de Salvador Allende et coûte la vie à ce dernier, retrouvé mort dans les décombres du palais présidentiel bombardé.

Le 11 septembre 1973, dans les rues de Santiago, lors du coup d’État de la junte militaire (source © Edimedia / WHA / Rue des Archives / Le Figaro)

Revenu à la démocratie en 1990 après plus de 15 ans de dictature militaire sanglante du général Pinochet, finalement arrêté à Londres en 1998 et décédé en 2006 après un retour triomphal dans son pays, le Chili n’en a pas fini avec son histoire mouvementée. Marqué par les deux mandats de la socialiste Michelle Bachelet, dont le père, général de l’armée de l’air, était mort en détention dans les geôles du régime Pinochet, le pays s’est lancé en octobre 2020 dans l’écriture d’une nouvelle constitution et a élu en avril 2021 une Assemblée constituante, selon un modèle qui rappelle furieusement les débuts de la Révolution française de 1789 !

Le 19 décembre 2021, c’est un jeune député, très actif dans le processus de réforme constitutionnelle qui vient d’être élu à la Présidence de la République où il devrait être investi dans ses fonctions le 11 mars 2022. Âgé de 35 ans et issu d’une famille d’origine croate, Gabriel Boric était l’une des figures du mouvement étudiant qui avait déclenché d’immenses manifestations très populaires en septembre 2011 contre le gouvernement ultralibéral de Sebastián Piňera. Élu député en 2014 pour le parti Convergence sociale, il s’engage durant son mandat contre les conflits d’intérêts et pour la défense des droits de l’Homme, et rejoint en 2017 la coalition du Frente Amplio qui regroupe des partis politiques et des mouvements citoyens allant de l’extrême gauche à la gauche libérale.

Gabriel Boric, nouveau président du Chili à 35 ans, ici à Santiago le 20 décembre 2021 (photo © Javier Torres / AFP / France Inter)

Son programme : renforcer les services publics, instaurer un système de retraite par répartition, renforcer les droits des femmes dont le droit à l’avortement, mettre un place un régime de fiscalité progressive, augmenter le salaire minimum, réduire la durée du temps de travail, mettre en œuvre des programmes de lutte contre le réchauffement climatique et développer la décentralisation. Des thèmes que la gauche française pourrait difficilement renier…

Vainqueur en juillet 2021 de la primaire de la coalition Approbation dignité face au candidat du Parti communiste, Daniel Jadue, tenant d’une ligne plus extrémiste, Gabriel Boric a donc été élu au second tour de la présidentielle avec 55,8 % des voix, face au candidat d’extrême droite, fils d’un ex-soldat de la Wehrmacht, José Antonio Kast, et ceci grâce à une forte mobilisation des classes populaires et des jeunes, alors même qu’il n’était pas forcément en bonne posture à l’issue du premier tour…

Gabriel Boric et José Antonio Kast, les deux finalistes de la présidentielle chilienne (source © Apk9to5)

La droite conserve certes la majorité au Sénat et à la Chambre des Députés, ce qui risque de compliquer fortement la tâche du futur jeune président chilien, lequel devra aussi affronter l’hostilité des médias majoritairement conservateurs, et celle des milieux économiques, effrayés et méfiants, comme à chaque victoire de la gauche.

Pour autant, Gabriel Boric se prépare et il a présenté, le 21 janvier 2022, son futur gouvernement composé de 24 ministres, dont 14 femmes, un signe incontestable d’ouverture et de modernité. La palette de cette coalition est assez large puisqu’elle va du Parti communiste au centre gauche. Le nouveau ministre des finances sera Mario Marcel, proche du Parti socialiste, plusieurs fois ministre dans des gouvernements de centre gauche depuis 1990 et président de la Banque centrale depuis 2016, de quoi rassurer les milieux d’affaires…

Gabriel Boric présentant son futur gouvernement devant le musée d’Histoire nationale, le 21 janvier 2022 (photo © Javier Torres / AFP / Novethic)

Quant au ministère de l’environnement, il échoit à la scientifique Maisa Rojas, une climatologue renommée, co-rédactrice du dernier rapport du GIEC, le groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat. Un signal fort et qui montre à quel point certains responsables politiques sont conscients de l’ampleur de ces enjeux environnementaux. La future ministre a d’ores et déjà annoncé qu’elle souhaitait « travailler pour un gouvernement qui fait face à la crise climatique : la crise de l’eau, la mise en œuvre de la loi sur le changement climatique, le service de la biodiversité et des aires protégées feront partie des priorités ». Une déclaration que n’aurait pas reniée un certain Nicolas Hulot, dont le bilan auprès d’Emmanuel Macron n’aura pourtant pas été des plus mémorables…

Maisa Rojas, climatologue du GIEC et future ministre de l’environnement du Chili (source © Conférence Transformations 2019)

La nouvelle ministre de l’Intérieur du Chili est aussi une femme, Izkia Siches, une jeune chirurgienne de 35 ans, qui fut à la tête de l’Ordre des médecins et s’est beaucoup impliquée dans la gestion de la pandémie de Covid. Ce sont des femmes également qui seront à la tête du ministère des affaires étrangères et de celui de la Défense. Le premier revient à Antonia Urrejola, une avocate de 53 ans, ex présidente de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, tandis que le second échoit à Maya Fernandez, qui n’est autre que la petite fille de l’ancien président socialiste Salvador Allende, tombé sous les balles des putschistes du général Pinochet en 1973 : tout un symbole !

L’avenir dira si ce gouvernement pluriel, jeune et très féminin tiendra le choc fasse aux défis qui attendent le nouveau président chilien, lequel a donné comme consigne à ses futurs ministres : « Nous devons dialoguer et surtout écouter. Écoutez deux fois plus que vous ne parlez ». Un conseil qui en vaut bien un autre et qui paraît plutôt gage d’une certaine ouverture d’esprit

L. V.

Primaires à gauche : pourquoi tant de haine ?

23 janvier 2022

C’est entendu, le pouvoir rend fou et l’aspiration à exercer le pouvoir y contribue largement… Avant chaque élection, c’est la même chose dans tous les partis : chacun s’étripe pour avoir une place et espérer être élu. Comme si exercer la lourde tâche de représenter ses concitoyens et prendre en leur nom les décisions souvent difficiles qui s’imposent pouvaient compenser le rythme épuisant et l’absence totale d’intimité familiale qui caractérisent la vie quotidienne de nos élus. A croire que la griserie du pouvoir et de l’exposition médiatique est une drogue à laquelle il est bien difficile de renoncer une fois qu’on y a goûté…

Dans moins de trois mois auront lieu les prochaines présidentielles et chacun a pu constater, à l’occasion des primaires des écologistes puis celles de la droite, comment des hommes et des femmes engagés en politique dans le même camp et partageant grosso modo les mêmes idées ont pu s’affronter violemment, uniquement pour avoir le privilège de présenter leur candidature devant les électeurs. Assurément, le régime présidentiel qui caractérise notre Cinquième République explique largement cette course à l’échalote liée à la personnalisation de la fonction de chef de l’État.

Les candidats de gauche disent pourtant tous la même chose… Un dessin signé Ganaga (source © Blagues et dessins)

Dans ce contexte, certains bords politiques s’en tirent plutôt bien, soit parce qu’ils ont un candidat naturel incontesté, comme Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, soit parce qu’ils ont réussi, malgré les obstacles et les frustrations immenses qui en découlent, à faire émerger un candidat à l’issue de primaires, comme c’est le cas de Valérie Pécresse pour le parti LR.

En revanche, la gauche se retrouve dans un véritable champ de ruines à quelques mois de l’échéance électorale avec toujours 7 candidats en lice malgré le retrait d’Arnaud Montebourg, dont la « remontada » annoncée avec panache le 4 septembre 2021 s’est finalement plutôt terminée en « degringolada » pour reprendre l’expression vacharde de nombreux médias et qui a donc jeté l’éponge le 19 janvier 2022 dans une video testament tournée sur le site gaulois de Bibracte au mont Beuvray…

Arnaud Montebourg sur le mont Beuvray annonçant qu’il renonce à sa candidature aux présidentielles (photo © capture d’écran Twitter / France TV info)

Si l’on excepte les candidatures d’extrême gauche de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud, qui n’ont aucune prétention à accéder aux responsabilités et seraient bien en peine de mettre en œuvre un programme de gouvernement cohérent, ce sont donc cinq personnalités de gauche qui se présentent pour l’instant à la candidature suprême, dont deux seulement ont déjà exercé des responsabilités ministérielles et qui toutes sont issues ou appartiennent encore aux partis historiques de la gauche française, associés au gouvernement lorsque la gauche était en responsabilité, sous François Mitterrand, dans le gouvernement de Lionel Jospin ou durant le quinquennat de François Hollande.

Jean-Luc Mélenchon en 1997, alors membre du parti socialiste, ici avec François Hollande et Lionel Jospin, dont il sera ministre délégué à l’enseignement supérieur (photo © Philippe Wojazer / Reuters / Le P’tit Libé)

Pourquoi alors cette incapacité totale à dialoguer et à envisager un programme commun de gouvernance alors que les différences idéologiques entre ces différentes composantes de la gauche sont pour le moins subtiles ? On pourrait certes pointer l’insistance de Fabien Roussel, candidat du Parti communiste, à vouloir développer coûte que coûte la filière nucléaire, ce qui a le don d’agacer un écologiste comme Yannick Jadot, lequel aurait pourtant bien du mal, même avec la meilleure volonté du monde, à tourner totalement la page du nucléaire s’il devait par miracle être élu à la tête du pays.

Pour peu que ces différentes personnalités politiques veuillent bien sortir de leurs positions les plus caricaturales, il ne leur serait sans doute pas très difficile de se rejoindre sur un socle commun et de gouverner ensemble sur la base de propositions pragmatiques. Avec à peine 25 % d’intentions de vote selon tous les sondages qui se succèdent à un rythme effréné depuis le début de cette campagne, la gauche est objectivement minoritaire dans le paysage politique actuel et il est donc parfaitement évident pour tout le monde qu’elle n’a pas la moindre chance d’arriver en tête de ces élections présidentielles, surtout si elle est incapable de surmonter ses querelles de préséances qui relèvent du pur enfantillage.

Christiane Taubira, une nouvelle candidature qui ne règle pas le problème de la gauche… Un dessin d’Emmanuel Chaunu publié dans Ouest France

La seule stratégie possible, dans un tel régime politique et avec les règles électorales qui sont les nôtres, est que les différents mouvements de gauche s’unissent et s’entendent sur un programme commun de gouvernement. C’est ce qui lui a permis d’arriver en responsabilité en 1981 (sans même remonter à 1936 !), en 1997 et en 2012. Comment dans ces conditions ne pas être désespéré par la situation actuelle où chacun des candidats refuse de faire le moindre compromis et de discuter avec ses alliés politiques naturels en vue d’élaborer une plateforme commune de gouvernement.

Arnaud Montebourg avait tenté de se placer dans cette dynamique mais a dû y renoncer. Christian Taubira tente désormais de s’y inscrire à son tour en s’appuyant sur la démarche de la Primaire populaire qui a tout tenté pour faire émerger cette candidature commune que la majorité des électeurs de gauche appellent de leurs vœux. Certains, autour du député européen Pierre Larrouturou et de la petite-fille de Stéphane Hessel, ont été jusqu’à entamer une grève de la faim pour alerter sur cette situation kafkaïenne.

Pierre Larrouturou entouré de militants écologistes en grève de la faim pour appeler à un sursaut de responsabilité en faveur d’une candidature unie à gauche (photo © Daniel Fouray / Ouest France)

Mais les réponses de certains des candidats et de leur entourage, notamment du côté de la France Insoumise, sont sans appel et rejettent catégoriquement ces appels au rassemblement, avec des mots d’une violence inouïe qui feraient presque passer ces alliés de la gauche écologiste ou social-démocrate pour des suppôts du capitaliste et en tout cas des ennemis à combattre, plus dangereux à leurs yeux que le clan LR ou même RN. La France de 2022 est en train de revivre le cauchemar de la république allemande de Weimar, lorsque communistes et sociaux-démocrates se déchiraient à qui mieux mieux, laissant finalement le champ libre au parti nazi en pleine ascension… Même le maire de Marseille, Benoît Payan, s’en est ému dans une interview à Libération, lui qui est bien placé pour savoir que seule une alliance de tous les mouvement de la gauche et de la société civile a permis de mettre fin au règne sans partage d’une droite marseillaise solidement implantée. « Nous sommes condamnés à être la gauche la plus bête du monde pendant encore combien de temps ? » a ainsi cinglé Benoît Payan, ajoutant : « Certains candidats de cette présidentielle ont été dans le même parti, d’autres ont soutenu les mêmes gouvernements. Ils dirigent ensemble des coalitions dans les villes et on essaie de nous faire croire que pour diriger le pays, ce n’est pas possible ? ».

Benoît Payan s’inquiète de la stratégie suicidaire de la gauche à 3 mois des présidentielles… (photo © Patrick Gherdoussi / La Croix)

Assurément, certains ont bien du mal à dépasser cette course égocentrique au pouvoir suprême qui les aveugle, oubliant que l’on ne gouverne pas seul mais en équipe et nécessairement en faisant des compromis pour pouvoir dégager des mouvements majoritaires. Aspirer à gouverner quant on est minoritaire ne peut fonctionner que sous un régime dictatorial, peut-être n’est-il pas inutile de le rappeler…

L. V.

Elyze : la lettre aux électeurs perdus

15 janvier 2022

La politique n’intéresse plus les jeunes, tout le monde le sait et l’affirme haut et fort. A moins de 3 mois de la prochaine élection présidentielle, chacun est persuadé que les moins de trente ans ne se déplaceront pas dans les bureaux de vote, sachant que moins de 20 % d’entre eux avaient voté à tous les tours lors des élections de 2017, présidentielles et législatives comprises.

L’abstention des jeunes, reflet d’une défiance ou d’une indifférence ? Un dessin signé Olivero (source © Huffington Post)

Et pourtant, certains se démènent pour inciter les plus jeunes électeurs à se prononcer lors des consultations électorales qui, quoi qu’on en pense et quoi qu’on vote, restent, pour les citoyens vivant en régime démocratique, un des moyens les plus déterminants de peser sur les grands choix de société susceptibles d’influer tant sur notre vie quotidienne que sur notre avenir commun, C’est le cas de ces jeunes entrepreneurs âgés de 19 à 24 ans, qui viennent de lancer, le 2 janvier 2022, une application pour smartphone qui fait fureur. Elyze, téléchargée plus de 600 000 fois en quelques jours, a justement pour objet d’aider les jeunes électeurs à s’y retrouver parmi les propositions des multiples candidats aux prochaines présidentielles, et surtout à retrouver le chemin des urnes le 10 avril prochain.

Parmi ces jeunes accros de la démocratie qui se démènent pour réconcilier les jeunes et la vie politique, Grégoire Cazcarra, 21 ans, étudiant en école de commerce, et François Mari, 19 ans, inscrit à HEC Paris, se sont retrouvés au sein du mouvement associatif Les Engagés, un mouvement citoyen créé en 2017 à Bordeaux, en réaction à ce second tour des législatives qui a vu plus de la moitié des électeurs français bouder carrément les bureaux de vote.

L’équipe conceptrice de l’application pour smartphone Elyze (photo © Grégoire Cazcarra – Elyze.app / France 3 régions)

Décidés à tout faire pour amener les jeunes générations à s’impliquer davantage dans le processus électoral démocratique, ils se sont associés notamment avec le youtubeur Gaspard Guermonprez et avec Wallerand Moullé-Berteaux, 24 ans, fondateur du média numérique Le Crayon, pour créer, avec l’appui de nombreux bénévoles, cette appli Elyze, dépourvue de publicité et disponible gratuitement sur Appel Store et Play Store, qui fait un tabac depuis son ouverture au public.

Réalisée sur le modèle de Tinder, l’appli destinée à favoriser les rencontres amoureuses et qui fait défiler des partenaires potentiels, Elyze met en avant des propositions issues des programmes politiques des différents candidats à l’élection présidentiels. Sur l’écran défilent ainsi des propositions comme « réduire à 32 heures le temps de travail hebdomadaire », « permettre la destitution des élus à tout moment », « rétablir de bonnes relations politiques avec la Russie », « réduire le nombre de fonctionnaires », ou encore « instaurer le droit de vote à 16 ans » ou bien « instaurer la gratuité des transports en commun ».

Elyze, l’appli politique qui cartonne… (photo © Magali Cohen / Hans Lucas / Libération)

Pour chacune d’elles, l’utilisateur décide s’il est d’accord ou non avec la proposition, sans savoir bien entendu de qui elle émane. Lorsqu’elle lui semble floue, la rubrique « en savoir plus » permet de préciser les contours de la proposition et de mieux la contextualiser. Au bout de 50, une première tendance se dessine mais on peut poursuivre le jeu jusqu’à 500 propositions. Et peu à peu se dessine le profil des candidats de qui on se trouve objectivement le plus proche, l’application les présentant sur un podium avec les 3 candidats qui se dégagent, classés par affinité avec nos choix programmatiques.

Le résultat est bluffant, ce qui explique sans doute le succès inouï d’Elyze, d’autant qu’on peut ensuite compléter son approche soit en balayant les propositions des uns et des autres, classées par grandes thématiques (environnement, éducation, économie, culture, international, institutions et territoires, etc.), soit en consultant le profil plus détaillé de chacun des candidats déclarés ou de celui avec qui on a le plus «matché », tout comme le fait Tinder pour décrire les particularités du partenaire qui a retenu notre attention.

Quelques écrans de l’application Elyze (source © RTL)

L’outil est ludique à souhait mais en même temps pédagogique car reposant sur un travail d’analyse très fouillé des déclarations des différents candidats, mené de manière aussi « neutre, apolitique et apartisane » que le revendiquent ses créateurs, ce qui en fait tout l’intérêt, et promet quelques surprises au citoyen paresseux qui se repose sur ses préjugés et découvre à cette occasion des propositions pour le moins surprenantes de la part de certains des candidats à la magistrature suprême…

Conçu pour réconcilier les jeunes avec la politique et les amener à s’intéresser aux enjeux de la prochaine présidentielle, Elyze a incontestablement réussi son pari et bien au-delà de sa cible initiale car chaque citoyen accro à son smartphone ne pourra que se prendre au jeu et se laisser porter par les propositions qui défilent, jusqu’à découvrir, parfois avec surprise, avec quel candidat il a le plus d’affinités en termes de proposition. Une manière finalement assez rationnelle d’orienter son vote.

Un dessin signé Cambon à l’occasion du second tour des présidentielles 2017 (source © C3V maison citoyenne)

Mais chacun sait bien qu’une élection ne se joue pas que sur la qualité d’un programme et la cohérence des propositions du candidat, la couleur de son parti ou celle de sa cravate n’étant pas non plus totalement étranger au choix final de l’électeur. Comme en matière de rencontres amoureuses, le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas toujours…

L. V.

Valérie Pécresse sur les pas de François Fillon ?

3 janvier 2022

Dans quatre mois seulement aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle française, le 10 avril prochain et l’on ne sait toujours pas avec certitude qui seront les prétendants. Ce ne sont pourtant pas les candidatures déclarées qui manquent, même si la principale d’entre elle, celle du Président de la République sortant, reste à venir, alors même que ce dernier est habituellement considéré comme le favori de ces élections. Ce serait même sans doute la première fois depuis le début de la Cinquième République, qu’un président en exercice aurait autant de chances d’être réélu, malgré l’absence de cohabitation qui avait permis, en leur temps, à François Mitterrand puis à Jacques Chirac, de se refaire une popularité suffisante pour enquiller un second mandat…

Présidentielle 2022 : la course est lancée, malgré le contexte sanitaire… un dessin de Fey, publié dans Le Progrès en août 2020

Face au président sortant, force est de reconnaître que les candidats de gauche risquent fort de ne faire que de la figuration. Les 7 candidats pour l’instant déclarés, hors candidature éventuelle de Christiane Taubira et hors hypothèse d’une nouvelle primaire permettant de départager certains d’entre eux, totalisent à eux tous à peine 25 % des intentions de vote, ce qui est bien peu pour construire une majorité, d’autant que celui qui fait le meilleur score, Jean-Luc Mélenchon, crédité de 8 à 12 % selon les sondages, est aussi l’une des personnalités politiques françaises qui suscite le plus de rejet dans l’opinion publique.

En 2017, un duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, largement remporté par le premier à l’issue d’un débat déséquilibré entre les deux tours (photo © Reuters / Huffington Post)

Tout le monde imaginait, jusqu’il y a peu, un nouveau duel au second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, comme en 2017, mais l’irruption dans l’arène du trublion Eric Zemmour a fortement rebattu les cartes. Alors que Marine Le Pen se positionnait clairement en outsider, créditée de plus de 20 % des intentions de vote jusqu’en septembre, elle se positionne désormais autour de 16 à 17 %, tandis qu’Eric Zemmour pointerait autour de 14 % même s’il est en baisse désormais, n’ayant pas réussi à rallier l’électorat populaire resté plus sensible au discours du Rassemblement national.

Évolution des intentions de vote au 1er tour des présidentielles de 2022 entre septembre et début décembre 2021 selon un sondage ELABE pour BMFTV, l’Express et SFR (source © BFMTV)

Dans ce contexte et au vu des sondages actuels, à prendre bien entendu avec toutes les précautions d’usage, il est donc probable que le second tour de la présidentielle, le 24 avril 2022, opposera à Emmanuel Macron la candidate issue des primaires LR, à savoir la présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse, un duel qui s’annonce d’ailleurs particulièrement serré et pas forcément en faveur du président sortant, lequel aura à assumer tous les inévitables mécontentements et frustrations accumulés au cours de son quinquennat.

Valérie Précresse, la candidate surprise, issue des primaires de la droite… un dessin signé Kak, publié dans l’Opinion le 6 décembre 2021

Il n’est donc pas sans intérêt de commencer à s’intéresser au programme de cette Valérie Roux, née en 1967 à Neuilly-sur-Seine, fille d’un ancien président de la société Bolloré Télécom. Pur produit de l’enseignement privé catholique, elle s’initia au russe à 15 ans dans un camp de jeunesse communiste à Yalta avant d’aller perfectionner son japonais en vendant des camescopes à Tokyo. Formée à HEC puis à l’ENA, elle devient maître des requêtes au Conseil d’État avant d’épouser en 1994 Jérôme Pécresse, actuel PDG de General Electric Renewable Energy où il vient de supprimer 800 emplois.

Ayant rejoint l’Elysée en 1998 comme chargée de mission auprès de Jacques Chirac, elle est élue députée des Yvelines dès 2002, puis nommée ministre de l’enseignement supérieur en 2007 dans le premier gouvernement de François Fillon. En 2011, elle devient ministre du budget et porte-parole du gouvernement, se vantant d’avoir réussi à supprimer 150 000 postes de fonctionnaires grâce à la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), permettant une économie de 9,5 milliards d’euros entre 2008 et 2011. Réélue députée en 2012, elle devient en décembre 2015 présidente de la Région Ile-de-France, mandat qu’elle a conservé lors des régionales de 2021.

Valérie Pécresse, probable finaliste de la prochaine élection présidentielle ? (photo © Delphine Goldsztejn / Le Parisien)

Fervente adapte du libéralisme économique, elle se définit elle-même « deux-tiers Merkel, un tiers Thatcher », tout un programme ! Dans la droite ligne de son ex mentor, l’ancien premier ministre François Fillon, elle promet, si elle est élue en 2022, de diminuer les dépenses publiques, de réduire encore les impôts sur les entreprises et les frais de succession, de supprimer les 35 heures, de faire passer l’âge de la retraite de 62 à 65 ans, de baisser les allocations chômage et de supprimer pas moins de 200 000 postes dans la fonction publique : exactement le programme que proposait Fillon en 2017…

Cette obsession de la droite à supprimer toujours davantage d’agents de la fonction publique ne laisse d’ailleurs pas d’interroger à l’heure où les Français réclament toujours plus de protection ainsi que des services publics plus proches et plus performants. La crise épidémique de Covid-19 a pourtant montré à quel point la population française attend de l’État un engagement total pour garantir sa sécurité sanitaire et économique via des investissements publics massifs, « quoi qu’il en coûte ».

Supprimer des fonctionnaires, mais lesquels ? … un dessin signé Deligne (source © La Montagne)

Toutes les enquêtes d’opinion indiquent que la population regrette, assez majoritairement, les politiques d’ajustement budgétaire qui se sont traduites, année après année, par une disparition des infrastructures hospitalières de proximité, une diminution drastique du nombre de lits en réanimation et une pénurie de personnel de santé, au point que les médecins sont désormais sollicités pour édicter des critères de tri des malades à sauver en cas de nouveau pic épidémique excédant nos capacités de prise en charge… Et pourtant, voilà que ces mêmes Français, à en croire les sondages, seraient séduits par ce discours ultralibéral un peu suranné qui vise avant tout à réduire le rôle de l’État en taillant dans les effectifs des services publics, au risque de détériorer encore davantage la qualité de nos écoles, de nos universités, de nos tribunaux, de nos transports publics, de nos commissariats de police ou de nos hôpitaux. Qui a dit que les Français étaient pétris de contradictions ?

L. V.