La gauche chilienne en exemple ?

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Le Chili, c’est cette étroite bande qui borde la côte ouest de l’Amérique du Sud sur plus de 4000 km, depuis le désert d’Atacama, au nord, à la frontière du Pérou, jusqu’au Cap Horn à l’extrémité sud du continent. Devenu indépendant dès 1810 en profitant des guerres napoléoniennes sur le sol espagnol, le Chili a connu bien des coups d’État jusqu’à celui du général Pinochet, qui, le 11 septembre 1973 et avec la bienveillance des États-Unis, renverse le gouvernement d’unité populaire de Salvador Allende et coûte la vie à ce dernier, retrouvé mort dans les décombres du palais présidentiel bombardé.

Le 11 septembre 1973, dans les rues de Santiago, lors du coup d’État de la junte militaire (source © Edimedia / WHA / Rue des Archives / Le Figaro)

Revenu à la démocratie en 1990 après plus de 15 ans de dictature militaire sanglante du général Pinochet, finalement arrêté à Londres en 1998 et décédé en 2006 après un retour triomphal dans son pays, le Chili n’en a pas fini avec son histoire mouvementée. Marqué par les deux mandats de la socialiste Michelle Bachelet, dont le père, général de l’armée de l’air, était mort en détention dans les geôles du régime Pinochet, le pays s’est lancé en octobre 2020 dans l’écriture d’une nouvelle constitution et a élu en avril 2021 une Assemblée constituante, selon un modèle qui rappelle furieusement les débuts de la Révolution française de 1789 !

Le 19 décembre 2021, c’est un jeune député, très actif dans le processus de réforme constitutionnelle qui vient d’être élu à la Présidence de la République où il devrait être investi dans ses fonctions le 11 mars 2022. Âgé de 35 ans et issu d’une famille d’origine croate, Gabriel Boric était l’une des figures du mouvement étudiant qui avait déclenché d’immenses manifestations très populaires en septembre 2011 contre le gouvernement ultralibéral de Sebastián Piňera. Élu député en 2014 pour le parti Convergence sociale, il s’engage durant son mandat contre les conflits d’intérêts et pour la défense des droits de l’Homme, et rejoint en 2017 la coalition du Frente Amplio qui regroupe des partis politiques et des mouvements citoyens allant de l’extrême gauche à la gauche libérale.

Gabriel Boric, nouveau président du Chili à 35 ans, ici à Santiago le 20 décembre 2021 (photo © Javier Torres / AFP / France Inter)

Son programme : renforcer les services publics, instaurer un système de retraite par répartition, renforcer les droits des femmes dont le droit à l’avortement, mettre un place un régime de fiscalité progressive, augmenter le salaire minimum, réduire la durée du temps de travail, mettre en œuvre des programmes de lutte contre le réchauffement climatique et développer la décentralisation. Des thèmes que la gauche française pourrait difficilement renier…

Vainqueur en juillet 2021 de la primaire de la coalition Approbation dignité face au candidat du Parti communiste, Daniel Jadue, tenant d’une ligne plus extrémiste, Gabriel Boric a donc été élu au second tour de la présidentielle avec 55,8 % des voix, face au candidat d’extrême droite, fils d’un ex-soldat de la Wehrmacht, José Antonio Kast, et ceci grâce à une forte mobilisation des classes populaires et des jeunes, alors même qu’il n’était pas forcément en bonne posture à l’issue du premier tour…

Gabriel Boric et José Antonio Kast, les deux finalistes de la présidentielle chilienne (source © Apk9to5)

La droite conserve certes la majorité au Sénat et à la Chambre des Députés, ce qui risque de compliquer fortement la tâche du futur jeune président chilien, lequel devra aussi affronter l’hostilité des médias majoritairement conservateurs, et celle des milieux économiques, effrayés et méfiants, comme à chaque victoire de la gauche.

Pour autant, Gabriel Boric se prépare et il a présenté, le 21 janvier 2022, son futur gouvernement composé de 24 ministres, dont 14 femmes, un signe incontestable d’ouverture et de modernité. La palette de cette coalition est assez large puisqu’elle va du Parti communiste au centre gauche. Le nouveau ministre des finances sera Mario Marcel, proche du Parti socialiste, plusieurs fois ministre dans des gouvernements de centre gauche depuis 1990 et président de la Banque centrale depuis 2016, de quoi rassurer les milieux d’affaires…

Gabriel Boric présentant son futur gouvernement devant le musée d’Histoire nationale, le 21 janvier 2022 (photo © Javier Torres / AFP / Novethic)

Quant au ministère de l’environnement, il échoit à la scientifique Maisa Rojas, une climatologue renommée, co-rédactrice du dernier rapport du GIEC, le groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat. Un signal fort et qui montre à quel point certains responsables politiques sont conscients de l’ampleur de ces enjeux environnementaux. La future ministre a d’ores et déjà annoncé qu’elle souhaitait « travailler pour un gouvernement qui fait face à la crise climatique : la crise de l’eau, la mise en œuvre de la loi sur le changement climatique, le service de la biodiversité et des aires protégées feront partie des priorités ». Une déclaration que n’aurait pas reniée un certain Nicolas Hulot, dont le bilan auprès d’Emmanuel Macron n’aura pourtant pas été des plus mémorables…

Maisa Rojas, climatologue du GIEC et future ministre de l’environnement du Chili (source © Conférence Transformations 2019)

La nouvelle ministre de l’Intérieur du Chili est aussi une femme, Izkia Siches, une jeune chirurgienne de 35 ans, qui fut à la tête de l’Ordre des médecins et s’est beaucoup impliquée dans la gestion de la pandémie de Covid. Ce sont des femmes également qui seront à la tête du ministère des affaires étrangères et de celui de la Défense. Le premier revient à Antonia Urrejola, une avocate de 53 ans, ex présidente de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme, tandis que le second échoit à Maya Fernandez, qui n’est autre que la petite fille de l’ancien président socialiste Salvador Allende, tombé sous les balles des putschistes du général Pinochet en 1973 : tout un symbole !

L’avenir dira si ce gouvernement pluriel, jeune et très féminin tiendra le choc fasse aux défis qui attendent le nouveau président chilien, lequel a donné comme consigne à ses futurs ministres : « Nous devons dialoguer et surtout écouter. Écoutez deux fois plus que vous ne parlez ». Un conseil qui en vaut bien un autre et qui paraît plutôt gage d’une certaine ouverture d’esprit

L. V.

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