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Roquefort : un château propriété de l’État algérien ?

12 Mai 2024

Contrairement à sa voisine, Carnoux-en-Provence, créée officiellement en 1966 seulement, la commune de Roquefort – La Bédoule, dont Carnoux est d’ailleurs largement issue, possède une riche histoire et de nombreux vestiges. On y connaît pas moins de trois oppida, ces anciens villages plus ou moins fortifiés, perchés sur des promontoires naturels et occupés au moins depuis l’époque de nos ancêtres celto-ligures, avant même la conquête romaine et peut-être même avant l’installation des colons phocéens sur le littoral. Celui de Rocca Fortis, qui correspond à l’ancienne implantation de Roquefort, aurait paraît-il été utilisé comme poste avancé par les armées romaines en 59 avant J.-C.

Plus à l’Est se situe l’ancien castrum de Juhlans, au-dessus de ce qui est actuellement le chemin des Bastides. L’oppidum de Fontblanche, qui s’étendait sur le plateau rocheux un peu plus au sud a largement disparu, ainsi que les ruines du château dont il ne subsiste plus qu’une partie du mur d’enceinte, mais on y observe désormais la belle chapelle de Saint-André, édifiée en 1240 et classée à l’Inventaire des Monuments historiques depuis 1987. Elle a d’ailleurs bénéficié d’une restauration remarquable, engagée par une association à partir de 1981 via des chantiers de jeunes, puis achevée par le Département des Bouches du Rhône, actuel propriétaire du site qui fait partie du domaine départemental de Fontblanche.

Chapelle Saint-André de Julhans, dans son état actuel, avec un fragment des vestiges du mur d’enceinte (photo © Thérèse Gaigé / Monumentum)

Vers la fin du Xe siècle, Guillaume II, comte de Provence, après avoir combattu victorieusement les Sarrasins, alors installés durablement dans le secteur de La Garde-Freinet, avait distribué à ses compagnons d’armes les territoires nouvellement libérés. Ce domaine de Julhans et Fontblanche avait alors échu au vicomte de Marseille, qui y édifie un premier château. On suit dès lors les différents propriétaires du domaine que Roncelin de Marseille cède en 1214 à l’abbaye Saint-Victor, puis qui échoit en 1223 à Hughes de Baux. Il reste dans la famille de Baux jusqu’en 1423, puis dans celle des Candole, avant d’échoir en 1583 à Hercule et Jean Granier. Ces derniers font alors restaurer la chapelle mais le château n’est déjà plus qu’une ruine et en 1639, les deux frères Granier, désormais seigneurs de Julhans, lancent l’édification d’un nouveau château dans la plaine, le long de la route reliant Roquefort à Cuges.

Carte postale montrant le château de Julhans dans les années 1950 (source © Grand Sud insolite)

A cette période, le péril des razzias barbaresques commence à s’estomper et la population peut dès lors abandonner les villages fortifiés perchés sur les hauteurs, pour s’installer plus près des terres cultivables, dans les hameaux de Roquefort et des Bastides. Une nouvelle chapelle Saint-André est édifiée à côté du château, mais celle perchée sur les hauteurs depuis le XIIIe siècle et alors connue sous le nom de Notre-Dame de la Sécheresse reste populaire pour les pèlerinages qui y sont organisés pour invoquer l’arrivée de la pluie.

A la Révolution, le château de Julhans, dont Pierre Garnier avait fait don à l’Église en 1690, est racheté par un riche armateur et négociant, François Clary, alors une des plus grosses fortunes marseillaises. Engagés dans l’armée d’Italie, les trois frères Bonaparte, l’ainé Joseph, nommé commissaire des guerres en 1793, et ses cadets Napoléon et Lucien, faisaient souvent halte au relais de poste de Cuges, mais passaient alors plutôt leurs soirées au château de Julhans, en compagnie des jeunes filles de la maison, dont la très belle Bernardine-Eugénie-Désirée, que Joseph envisage un temps d’épouser. Mais il jettera finalement son dévolu sur sa sœur ainée, Marie-Julie, alors âgée de 23 ans et qu’il épouse donc à Cuges en 1794. 

Marie-Julie Clary, ici en 1809 avec ses deux filles : tableau de François Gérard (source © Galerie Nationale d’Irlande / Wikipedia)

Nommé général de brigade en décembre 1793, après son rôle décisif dans la reprise de la ville de Toulon aux forces royalistes et anglaises, Napoléon Bonaparte fait alors une cour assidue à la sœur cadette, Désirée, qui devient officiellement sa fiancée en avril 1795. Mais le 15 octobre, le jeune Napoléon, tombe brusquement amoureux de la jeune veuve d’Alexandre de Beauharnais, un général de l’armée du Rhin guillotiné en 1794. Marie Josèphe de la Pagerie, née en Martinique, est plus âgée que le tout nouveau général en chef en partance pour l’Italie, mais ils se marient en mars 1796. Exit donc la belle Désirée Clary que Joseph Bonaparte présente peu après au général Bernadotte, avec qui elle se marie en 1798, ce qui lui vaudra de terminer sa vie à Stockholm où elle finit par rejoindre son mari, nommé prince héritier de Suède en 1810. 

Désirée Clary, ici en 1807, peinte par Robert Lefèvre (source © Plume d’histoire)

Toujours est-il qu’à partir de 1800, le vaste domaine de Julhans et le village des Bastides sont rattachés à la commune de Roquefort, laquelle englobe aussi, à partir de 1837 le village de La Bédoule, qui s’était développé au carrefour des 4 routes desservant Aubagne, Cassis, La Ciotat et Cuges-les-Pins pour y loger les nombreux ouvriers des carrières de chaux et de sable. En 1885, l’expansion de ce nouveau quartier est tel que la mairie et l’école y sont transférés et, en 1918, la commune prend le nom de Roquefort-La Bédoule. Mais dans les années 1940, l’activité industrielle liée aux carrières commence à péricliter et la commune compte moins de 1200 habitants en 1946. En 1944, le général allemand Hermann Schaeffer, affecté à Marseille pour contrer les velléités de débarquement des alliés qui aura lieu en aout à Fréjus, affectionne le château de Julhans où il vient faire du cheval avec le marquis de Villeneuve.

Dans les années 1950, des enfants juifs séjournent au château de Julhans en attendant leur départ pour Israël et, en 1959, c’est la CASOC, la Caisse d’assurance sociale de Constantine (CASOC), qui se porte acquéreur du domaine de 317 hectares pour en faire un site d’accueil pour les colonies de vacances des enfants pieds-noirs du Constantinois. En 1962, à l’issue de l’indépendance algérienne, le nouvel État algérien récupère logiquement la propriété du château de Julhans, au même titre que plusieurs centaines d’autres possessions sur le territoire de l’ancienne métropole. Mais le gouvernement algérien ne prend pas réellement possession des lieux et, dans les années 1970, EDF y organise un centre aéré pour les enfants de son personnel. En 1988 est créée, à l’initiative de mouvements pieds-noirs, l’Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d’Algérie, l’USDIFRA, pour tenter de récupérer, par la voie juridique, ces possessions de l’État algérien en France, dont le château de Julhans représente l’un des fleurons.

Vue aérienne du château de Julhans (source © Google maps / Châteaux de France)

Une sorte de collectivité pieds-noirs s’installe dès lors dans les lieux en attendant l’issue de la bataille juridique engagée. La chapelle est rebaptisée Notre-Dame des Pieds-noirs et des commémorations festives y sont organisées régulièrement tandis que le château lui-même fait l’objet d’une restauration hâtive qui lui fait perdre ses 4 tourelles pointues. En 2007, la valeur du domaine est évaluée à un peu plus de 18 millions d’euros, selon un rapport de la Cour des Comptes algérienne. Mais un jugement du Tribunal de grande instance de Marseille, en date du 29 septembre 2005, déboute l’association des ayants droits de la CASOC qui contestait le transfert de propriété à la Caisse nationale des assurances sociales des travailleurs salariés, l’équivalent algérien de la sécurité sociale. Un jugement confirmé le 15 septembre 2008 par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, et qui aurait dû mettre fin à cet imbroglio juridique.

Mais les pieds-noirs qui gèrent tant bien que mal et en toute illégalité ce domaine historique, entre deux commémorations festives, le mettent à disposition de personnes précaires qui peuvent s’y loger moyennant un loyer modique de 185 € par mois, perçu en liquide comme tout bon marchand de sommeil qui se respecte, ainsi que le détaille un article de la Marseillaise en 2009. Dans un tel contexte, le château de Julhans se dégrade rapidement et une partie du toit de la chapelle s’effondre, conduisant le maire de Roquefort à prendre, en décembre 2008, un arrêté de péril grave et imminent, sur la base d’un rapport alarmant d’un expert du Tribunal administratif. Un arrêté qui est aussitôt notifié à son propriétaire officiel, à savoir l’État algérien, par l’intermédiaire de son Consul à Marseille.

Vue aérienne de la chapelle Saint-André dans le domaine de Julhans (source © Google maps / Châteaux de France)

Bon prince, le consulat algérien exécute les travaux de mise en sécurité exigés par l’arrêté, mais sans pouvoir toujours prendre réellement possession des lieux qui restent largement squattés par des associations plus ou moins officielles. En mars 2021, le nouvel ambassadeur algérien à Paris, Mohamed-Antar Daoud, évoquait ce dossier en indiquant que le château de Julhans faisait partir des 46 propriétés de l’État algérien en France et qu’il était estimé entre 8 et 10 millions, ce qui signifie qu’il aurait perdu la moitié de sa valeur depuis 2007, du fait des nombreuses dégradations subies.

Si l’histoire du château de Julhans est relativement bien connue, son avenir est loin d’être tout tracé, personne, et surtout pas l’État algérien, ne semblant être très pressé d’engager les gros travaux de restauration et d’entretien exigés par une telle bâtisse…

L. V.

La nouvelle guerre des mondes

10 Mai 2024

Publié en 1898 et traduit en français en 1900 seulement, le célèbre roman d’anticipation du Britannique H. G. Wells raconte l’invasion de la Grande-Bretagne par des extraterrestres en provenance de Mars. L’histoire, supposée se dérouler en 1894, débute par l’observation de nombreuses explosions incandescentes à la surface de la planète rouge, suivie par une pluie de météores, puis, quelques jours plus tard par l’arrivée de premiers objets cylindriques non identifiés qui s’écrasent sur Terre.

Il en sort d’étranges machines à trois pieds, pourvues d’un rayon ardent et d’un gaz toxique qui ravagent tout sur leur passage. L’armée est rapidement débordée et les populations terrorisées s’enfuient dans un monde devenu chaotique, traqués par les créatures martiennes tentaculaires qui pompent le sang des rescapés tandis qu’une herbe rouge se répand en étouffant toute végétation. Un vrai cauchemar, jusqu’à s’apercevoir que les envahisseurs martiens ont fini par succomber aux microbes terrestres, venus malgré eux aux secours d’une humanité en déroute…

Une histoire, mainte fois reprise et adaptée, y compris par le réalisateur Steven Spielberg en 2005, et par bien d’autres depuis, qui, dans le contexte de l’époque, était une manière pour l’auteur d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de l’Empire britannique, alors au sommet de sa gloire, et dont l’emprise territoriale et économique s’étendait sur toute la planète.

C’est évidemment en référence à cette œuvre littéraire devenue un grand classique, que le géopoliticien français, Bruno Tertrais, vient de titrer son dernier ouvrage, publié en octobre 2023 aux éditions de l’Observatoire, La guerre des mondes – Le retour de la géopolitique et le choc des empires

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et conseiller scientifique auprès du Haut-commissaire au Plan, est un spécialiste de la géopolitique et des relations internationales. Il a écrit de nombreux ouvrages et vient d’ailleurs de récidiver en publiant aux éditions Odile Jacob son dernier essai, intitulé Pax atomica : théorie, pratique et limites de la dissuasion, paru en janvier 2024. Dans son ouvrage précédent, il n’évoque pas d’invasion martienne mais la remise en mouvement de la tectonique des plaques géopolitiques, quelque peu figées depuis la guerre froide, et ceci sous l’impulsion de ce qu’il nomme des néo-empires émergents, à savoir la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie.

Bruno Tertrais (source © Fondation pour la recherche stratégique)

Il observe ainsi comment le monde occidental libéral auquel l’Europe appartient, se retrouve confronté à ces nouveaux empires eurasiatiques, dirigés par des pouvoirs autoritaires et qui cherchent à s’imposer et à imprimer leur propre vision du monde, sous forme de revanche après des décennies de domination occidentale. De quoi alimenter bien des foyers de confrontation voire de conflits, en Ukraine comme à Taïwan ou au Proche-Orient, mais aussi sur le continent africain ou dans la compétition pour l’accès aux ressources naturelles dont le lithium, voire pour la maîtrise de l’espace ou des fonds sous-marins.

Une confrontation analysée avec beaucoup de finesse, dans un ouvrage très documenté et qui tord le cou à bien des idées simplistes. La supposée stratégie de joueur d’échec de Vladimir Poutine y est quelque peu battue en brèche, ce dernier étant plutôt présenté comme un autocrate paranoïaque et sans scrupules, dont le régime n’hésite pas à manipuler le peuple russe en s’appuyant sur des mythes messianiques et l’invocation de la famille traditionnelle et de la religion orthodoxe. Tertrais se montre sceptique sur la capacité de la Russie à vaincre en Ukraine et note une certaine vassalisation de la Russie vis-à-vis de la Chine, maintenant qu’elle semble avoir définitivement coupé les ponts avec l’Occident.

L’armée chinoise à la manœuvre, une force émergente de premier plan (source © Démocratie nouvelle)

Une Chine qui, en revanche, semble un adversaire autrement redoutable. Elle n’hésite plus désormais à revendiquer ouvertement et par l’intimidation si nécessaire la maîtrise complète des mers jusqu’au ras des côtes de ses voisins vietnamiens ou philippins et s’immisce partout où elle le peut pour développer ses nouvelles routes de la soie, investissant dans des ports ou des infrastructures qu’elle s’accapare lorsque les États hôtes s’avèrent incapables de rembourser. Entrée sans réelle réciprocité dans l’OMC, la Chine est en passe de s’imposer comme la première économie mondiale, prédatrice en matière de propriété intellectuelle et ne se contentant plus d’être l’atelier mondial fabriquant et exportant tout ce que les occidentaux consomment, mais devenu aussi le laboratoire où se testent les techniques les plus sophistiquées de contrôle social numérique des populations.

Le géopolitique qu’est Bruno Tertrais observe avec une certaine inquiétude cette arrogance retrouvée des dirigeants chinois qui préparent activement l’annexion de Taïwan pour les années à venir et ne devraient guère hésiter à le faire par une opération militaire un peu musclée, à la manière de l’opération spéciale engagée par la Russie sur le territoire ukrainien en février 2022. Il n’est cependant pas persuadé qu’une telle invasion sera aussi facile qu’il n’y paraît malgré l’écrasante supériorité numérique de l’armée chinoise, laquelle n’a cependant pas d’expérience récente d’un tel conflit armé. Il pense même qu’un tel conflit dans le Pacifique ne pourrait laisser les États-Unis indifférents, créant le risque d’un affrontement direct entre des puissances militaires et nucléaires de premier plan…

Site de forage de gaz de schiste à St Marys en Pennsylvanie  (photo © SIPA Press / L’Opinion)

Car l’auteur reste confiant dans la capacité des États-Unis à jouer un rôle majeur dans l’ordre mondial en pleine reconfiguration, malgré l’isolationnisme récurrent de ses dirigeants, estimant que ce pays fait preuve d’un dynamisme démographique très supérieur à celui de la Chine ou de la Russie, a désormais retrouvé le chemin de son indépendance énergétique grâce à l’exploitation à outrance des gaz de schistes, catastrophique sur le plan environnemental mais très profitable économiquement, et reste largement en tête de la course mondiale aux brevets et à l’innovation technologique.

La démocratie, force ou faiblesse de l’Europe ? (source © L’Indépendant)

Quant à l’Europe, objet de nombreux débats en cette période pré-électorale, Bruno Tetrais rappelle aux plus pessimistes qu’elle continue de peser un quart du PNB mondial et que les démocraties, malgré leurs faiblesses inhérentes liées à la nécessite de prendre en compte leur opinion publique parfois bien versatile vire pusillanime, peuvent se montrer plus résilientes qu’il n’y paraît face à des régimes autocratiques dirigés par des satrapes entourés de courtisans aux ordres, à condition toutefois de se débarrasser de sa naïveté originelle qui l’a transformée en « herbivore au milieu des carnivores » et à nouer avec la Chine notamment, une relation plus équilibrée que celle qui a consisté jusque-là à « fermer les yeux sur le néo-impérialisme de Pékin en échange de biens de consommation pas chers ». Une évolution que l’auteur appelle de ses vœux et qui concerne en particulier l’Allemagne, moteur de l’Europe et trop longtemps persuadée qu’elle pouvait sans risque « miser sur l’Amérique pour sa sécurité, la Russie pour son gaz et la Chine comme marché ».

Un nouvel ordre mondial est peut-être effectivement en train d’émerger sous nous yeux, en espérant qu’il sera plus équilibré et moins source de tensions que les précédents : rien n’est moins sûr !

L. V.

Le rocambolesque trésor de Lava

4 Mai 2024

Un procès hors normes vient de se tenir au tribunal correctionnel de Marseille, fin janvier 2024, celui de Félix Biancamaria, accusé de recel d’un bien culturel maritime considéré comme un « trésor d’État ». Le verdict a été rendu le 27 mars 2024 et condamne Félix Biancamaria à 12 mois de prison avec sursis et à une amende de 200 000 € à payer solidairement avec son ami Jean-Michel Richaud, également inculpé dans cette affaire. Les deux hommes ont déjà fait appel de ce jugement et l’affaire n’est donc pas terminée, même si cet épisode judiciaire fait un peu figure de n-ième rebondissement dans ce dossier rocambolesque qui dure depuis déjà près de 40 ans…

Jean-Michel Richaud et Félix Biancamaria (à droite) lors de leur procès à Marseille en janvier 2024, à l’issue duquel ils ont été condamnés pour recel de bien culturel maritime (source © Corse matin)

Tout aurait commencé le 6 septembre 1985, même si bien des points restent obscurs dans cette histoire où les principaux protagonistes ont changé maintes fois de version et reconnaissent ouvertement avoir passé leur temps à mentir pour préserver leurs intérêts. A l’époque, les deux frères Félix et Ange Biancamaria, deux fils de bonne famille corse, âgés alors de moins de 30 ans, s’adonnent avec leur ami Marc Cotoni, aujourd’hui décédé, à la pêche aux oursins, dans le golfe de Lava, face au rocher de Pietra Piumbata, à quelques kilomètres au nord d’Ajaccio. A entendre leur témoignage, recueilli récemment pour les besoins de l’émission Affaires sensibles de Fabrice Drouel, ils remplissaient alors de pleins sacs postaux d’oursins, sans grand souci de la préservation de l’environnement.

Les eaux limpides du golfe de Lava où les frères Biancamaria ont trouvé leur trésor romain (source © Archeobiblion)

Ils auraient découvert ce jour-là 3 pièces d’or collées au rocher à très faible profondeur, faciles à détacher avec leur couteau de plongeur. Des pièces recouvertes de dépôt calcaire, que les frères s’empressent de tremper dans l’acide chlorhydrique et qui révèlent alors tout leur éclat et leurs inscriptions latines. De quoi donner envie d’y retourner aussitôt ! Et les frères Biancamaria enchaînent dès lors plongées sur plongées, découvrant rapidement bien d’autres pièces d’or enfouies dans le sable à quelques mètres du rivage de la petite crique, parfois coincées sous quelques rochers qu’ils s’empressent de soulever à l’aide de crics et de barres à mine.

Les pièces d’or du trésor de Lava (photo © A M Felicisimo / Nice matin / CC-BY-SAA / Le Figaro)

Selon Félix Biancamaria, qui a raconté ses exploits dans un ouvrage publié en 2004 et dont il remet désormais en cause certains détails qui collent mal avec sa version judiciaire actuelle, il se serait alors rendu chez un numismate niçois pour tenter d’écouler ses trouvailles, rapidement identifiées comme des pièces romaines de grande valeur, datant d’environ 270 après J.-C. Rapidement réorienté vers le spécialiste national de l’époque, en l’occurrence Jean Vinchon qui tient une officine reconnue rue Richelieu, à Paris, Félix Biancamaria repart avec, selon lui 800 000 F en liquide dans son sac. De quoi motiver les deux frères à multiplier les fouilles dans les eaux turquoise de Lava…

Pendant des mois, ils accumulent ainsi au moins 400 à 600 pièces d’or, peut-être davantage, toutes datées de cette même époque, marquées de l’effigie des 4 empereurs romains qui se sont succédé entre 253 et 275 après J.-C., à savoir Gallien, Claude II le Gothique, Quintille et Aurélien. Certaines sont de simples aurei, des pièces minuscules pesant moins de 5 grammes, mais ils découvrent aussi des médaillons dits multiples, de plusieurs dizaines de grammes chacun, des œuvres d’art d’une valeur inestimables et d’une très grande rareté. Ils remontent aussi des bijoux et des anneaux d’or, qu’ils s’empressent de fondre, ainsi qu’un exceptionnel plat en or pesant 900 grammes, de forme incurvée et serti en son centre d’un médaillon sculpté à l’effigie de Gallien, découvert en juillet 1986 sous un rocher.

Le plat en or à l’effigie de l’empereur Gallien, découvert par Félix Biancamaria (photo © Stéphane Cavillon / DRASSM / France Bleu)

Les jeunes frères Biancamaria sont saisis par une véritable frénésie devant tout cet or qu’il suffit de ramasser dans l’eau limpide à très faible profondeur. Ils multiplient dès lors les allers-retours à Paris pour écouler leur trésor et amassent ainsi une véritable fortune qu’ils dépensent sans compter en voitures de collections, montres de luxe et chaussures en peau de crocodile. Ils étalent leur richesse sans se cacher le moins du monde, passant toutes leurs nuits à faire la fête avec leur cercle d’amis. Quarante ans plus tard, leurs yeux brillent toujours lorsqu’ils évoquent cette vie facile baignant dans le luxe, et ceci sans le moindre remord, confirmant que seul les intéressait l’argent qu’ils pouvaient tirer de ce trésor archéologique tombé fort opportunément entre leurs mains.

En novembre 1986, le numismate Jean Vinchon organise une vente exceptionnelle aux enchères à Monte Carlo d’une partie des pièces d’or du trésor de Lava. Mais le quotidien régional Le Provençal, alerté par une dénonciation anonyme, met les pieds dans le plat et s’interroge que l’on puisse ainsi vendre au plus offrant un patrimoine archéologique aussi inestimable, qui plus est d’origine sous-marine. La législation française prévoit en effet explicitement que ce type de trésor revient intégralement à l’État, contrairement à une découverte faite à terre dont le découvreur peut revendiquer la propriété à 50 %.

Fiche Interpol publiée dans les années 2010, rappelant que les pièces du trésor de Lava ne peuvent être écoulées librement sur le marché mondial où elles continuent à circuler… (source © La carte aux trésors)

Les douanes saisissent alors les 18 pièces d’or exceptionnelles destinées à être vendues aux enchères et une enquête de gendarmerie est ouverte. En 1994, Ange et Félix Biancamaria ainsi que leur complice Marc Cotoni et le numismate Jean Vinchon sont condamnés à 18 mois de prison avec sursis et 25 000 F d’amende. Une paille par rapport à la valeur du trésor découvert, estimé désormais à plusieurs dizaines de millions d’euros. Seuls 78 pièces au total sont finalement récupérées par l’État français, pour la plupart désormais conservées à la Bibliothèque nationale de France, mais des dizaines d’autres ont été vendues, souvent à l’étranger et sont désormais dispersées aux quatre coins du monde. Des faux ont même été fabriqués et saisis ultérieurement.

Si Félix Biancamaria s’est retrouvé de nouveau sur les bancs du tribunal en 2024, c’est parce qu’il a continué à écouler le trésor de Lava et notamment le fameux plat en or soigneusement caché pendant toutes ces années. Il s’est même fait aider pour cela par de nombreux intermédiaires, dont Gilbert Casanova, notable local, président de la Chambre de Commerce dans les années 1990, et qui reconnait avoir trimballé le fameux plat en or jusqu’en Floride pour tenter de le fourguer à de riches collectionneurs sans scrupules. Il raconte même avoir repêché le fameux plat dans le port d’Ajaccio, un jour où il le présentait à des clients potentiels sur son yacht, le plat ayant valsé par-dessus bord à cause de son chien exubérant, ce qui expliquerait que le fameux médaillon de Gallien qui en ornait le centre n’ait jamais été retrouvé…

Félix Biancamaria, prolixe devant les caméras de France TV pour l’émission Affaires sensibles (source © France TV)

Le plat, quant à lui, a bel et bien été récupéré, fin 2010, dans le sac de Félix Biancamaria, qui était aller le récupérer à Bruxelles car il avait une nouvelle piste pour tenter de l’écouler. Mais il ne savait pas qu’il était sur écoute et les gendarmes n’ont eu aucune peine à l’arrêter avec l’objet du délit, ce qui lui vaut d’ailleurs son récent procès où il a tenté une nouvelle fois, mais en vain, de convaincre que le fameux trésor n’avait jamais été trouvé en mer mais sur la terre ferme.

Un trésor dont on ignore toujours la véritable origine, du fait des mensonges répétés de ses découvreurs, même si l’on subodore que ces objets précieux et rarissime appartenaient à un riche dignitaire, peut-être un officier de haut rang ayant servi les 4 empereurs successifs, et ayant fui Rome vers 273 après J.-C. à bord d’une galère qui aurait pris feu au large d’Ajaccio, mais dont on n’a jamais retrouvé trace du naufrage. En dehors des objets en or du trésor de Lava qui a fait tourner la tête aux deux frères Biancamaria…

L. V.

Le moulin de Barbegal à Fontvieille

27 avril 2024

Située entre Arles et Les Baux-de-Provence, au sud-ouest du massif des Alpilles, la commune de Fontvielle doit son nom à la Fons vetus, l’ancienne source, située à proximité du lavoir municipal toujours visible et autour duquel le village s’est regroupé, probablement aux alentours du XIIe siècle. Vivant désormais surtout de l’agriculture et du tourisme, la commune a connu un essor économique important grâce à l’exploitation, dès la Renaissance, de la pierre de taille, un calcaire coquiller tendre à grains grossiers, d’âge Burdigalien, extrait aussi aux Baux et commercialisé sous le nom de pierre de Fontvieille. En 1862, la production locale était évaluée à 55 000 m3 par an, exportée à travers tout le bassin méditerranéen, surtout à partir de 1875, après l’ouverture de la ligne de chemin de fer entre Fontvieille et Arles, qui servit aussi au transport de la bauxite, une autre production locale.

Vue aérienne de la carrière de Fontvieille (source © Carrières de Provence)

La commune est désormais surtout connue pour son fameux moulin à vent de Daudet, en réalité le moulin de Saint-Pierre, construit en 1814 et qui est sans doute l’un des derniers de la commune à avoir fonctionné, jusqu’à son arrêt définitif en 1915. Contrairement à la légende, qui permet d’attirer bien des cars de touristes sur le site, depuis sa restauration en 1935, puis en 2016, l’écrivain Alphonse Daudet n’y séjourna jamais, lui qui logeait plutôt au château de Montauban lors de ses passages à Fontvieille.

Le moulin Ribet ou moulin de Saint-Pierre à Fontvieille (source © Fréquence Sud)

Son évocation du bâtiment telle qu’elle apparaît dans Les lettres de mon moulin, publiées en 1869, est d’ailleurs éloquente : « Une ruine ce moulin ; un débris croulant de pierres et de vieilles planches, qu’on n’avait pas mis au vent depuis des années et qui gisait, inutile comme un poète, alors que tout autour sur la côte la meunerie prospérait et virait à toutes ailes »…

Mais il est à Fontvieille un autre vestige de moulin, sans doute moins évocateur pour les touristes asiatiques qui débarquent en force dans ce coin de Provence. Il s’agit d’une ancienne meunerie industrielle nettement plus ancienne puisqu’elle fut aménagée au temps de la colonisation romaine. Un premier aqueduc fut construit à cet endroit aux alentours de 50 après J.-C., sous le règne de l’empereur Claude pour alimenter la ville d’Arles. Fondée en 45 avant J.-C., la colonie d’Arelate est alors une ville en plein expansion, reliée à Lugdunum par la via Aggripa et à Rome par la navigation fluviale et maritime.

Vestiges des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Cet aqueduc romain destiné à garantir l’alimentation en eau de la ville romaine captait des sources situées sur le versant nord des Alpilles, dont la source vauclusienne de Mas Crema, à Mollèges, et d’autres sans doute, peut-être jusqu’à Eygalières, ainsi que des sources situées sur le versant sud des Alpilles, notamment à Entreconque et Manville, près des Baux, et la source de l’Arcoule au nord de Paradou. Ces deux canalisations principales traversaient le vallon des Arcs sur un double aqueduc de 325 m de long et se rejoignaient dans un bassin d’où partait une conduite bifurquant plein ouest pour alimenter Arles après avoir traversé la plaine de Barbegal sur un pont en bois aujourd’hui disparu.

Tracé connu des aqueducs romains desservant en eau la ville d’Arles (source © Patrimoine Ville d’Arles)

Au début du IIe siècle après J.-C. l’ouvrage hydraulique est profondément remanié et la branche orientale, probablement créée à cette date, est prolongée par une tranchée taillée dans le rocher du chaînon de la Pène pour alimenter un complexe industriel de grande ampleur, un des plus vastes connus datant de cette époque romaine. Les fouilles réalisées par Fernand Benoit, entre 1937 et 1939, ont permis de reconnaître que les vestiges de maçonnerie qui dessinent un immense quadrilatère de 61 m de longueur et 20 m de largeur, dans la pente rocheuse en contrebas du chaînon de le Pène, sont les traces d’une ancienne meunerie industrielle qui a fonctionné au moins jusqu’au IIIe siècle après J.-C., à en juger par la datation des dépôts calcaires que l’on a retrouvés.

Vestiges de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Structurae)

Cette usine, qui appartenait probablement au propriétaire d’une riche villa voisine, était organisée autour d’un escalier central séparant deux travées constituées chacune de 8 biefs étagés en cascade, chacun d’eux étant équipé d’une roue à aube, actionnée par la chute d’eau et entraînant une meule en basalte destinée à broyer le grain. Le débit maximum de l’aqueduc étant de l’ordre de 260 l/s et la hauteur totale du dénivelé de 18 m, la puissance hydraulique de l’installation est donc évaluée à environ 50 kW, ce qui est remarquable pour un ouvrage hydraulique de cette période, peut-être attribué au charpentier arlésien Candidus Begninus, dont le sarcophage s’orne de l’inscription suivante (traduite du latin) : « il n’en fut pas de plus savant et personne ne le surpassa dans l’art des ouvrages de mécanique et dans la conduite des cours d’eau ».

Maquette reconstituant l’aspect de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Jean-Marie Borghino)

Certes, le débit aléatoire des sources des Alpilles ne permettait probablement pas au moulin de Barbegal de fonctionner toute l’année, d’autant qu’il devait sans doute ménager de longues périodes de maintenance pour assurer l’entretien d’une telle machinerie, sans compter les difficultés d’approvisionnement en céréales qui ne permettaient sans doute qu’un fonctionnement saisonnier. On considère néanmoins que la capacité de production de l’usine pouvait atteindre 5,5 tonnes par jour, ce qui est considérable et laisse penser que la farine ainsi produite ne servait pas seulement à alimenter les boulangeries d’Arles et de ses environs mais aussi à la fabrication de pain et de biscuits destinés aux nombreux navires transitant par le port fluvial d’Arelate.

Test de la roue à augets reconstituée du moulin de Barbegal (source © extrait vidéo YouTube)

Entre 2018 et 2020, une équipe de passionnés aidés de scientifiques s’était mis en tête de reconstituer une des roues à augets qui fonctionnaient sur le site de l’ancienne meunerie, sur la base des vestiges retrouvés sur place, notamment sous forme d’encroûtements calcaires déposés sur les pales de la roue. Une aventure extraordinaire, retracée dans un film et qui leur a permis de reconstruire minutieusement la roue et de la tester ensuite en vraie grandeur, avant de la mettre en exposition à l’office du tourisme de Fontvieille.

Arche dégradée des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Exposés à l’air libre sans la moindre protection, les vestiges de l’usine romaine et des aqueducs en amont se dégradent et le mortier romain, malgré sa bonne réputation, commence à sérieusement se déliter. Heureusement, le site fait partie des 18 heureux vainqueurs du Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern pour le millésime 2024. De quoi permettre d’engager enfin une restauration pour stabiliser ces vestiges particulièrement spectaculaires mais fortement abîmés. Une étude de diagnostic sanitaire menée en 2021 a confirmé l’état alarmant des voûtes de l’aqueduc encore debout, pourtant inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1937.

Partie en tranchée du canal d’amenée d’eau de l’ancienne meunerie, creusé à travers le chaînon de la Pène (photo © CPC)

L’intervention se fera sous forme de tranches successives à partir de janvier 2025, en commençant par le tronçon principal des aqueducs et en se prolongeant par les vestiges de la meunerie, puis le tronçon nord des aqueducs et le bassin de répartition, pour s’achever en 2028 si tout va bien, le tout pour un budget prévisionnel de 1,2 million d’euros. Pas de quoi remettre en service les aqueducs et l’activité industrielle induite, mais suffisamment pour sauver de la destruction définitive cet ouvrage hydraulique remarquable, témoin d’un passé prestigieux.

L. V.

Maitre Gims et les pyramides : l’Histoire réécrite…

22 avril 2024

On a coutume de dire qu’il faut connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir. C’est même la raison d’être des archéologues et des historiens que de mieux comprendre comment nos ancêtres plus ou moins lointains ont vécu et comment ils ont évolué pour en arriver où nous en sommes et expliquer certaines situations auxquelles nous sommes confrontées au quotidien, voire nous aider à mieux les gérer pour ne pas refaire éternellement les mêmes erreurs.

Mais comme pour toute science humaine, il existe une part de subjectivité dont il est parfois difficile de s’extraire. L’Histoire, plus que d’autres disciplines scientifiques, est exposée aux pressions politiques et les exemples abondent de régimes qui ont cherché à manipuler la réalité historique pour donner corps à leur propre vision, quitte à créer de toutes pièces des mythes qui orientent les esprits. Sans même évoquer les approches négationnistes qui visent à nier des faits historiques comme la Shoah, le génocide arménien ou le massacre des officiers polonais à Katyn en 1940 par l’armée de Staline, il suffit de voir comment, en France, la IIIe République, à la suite d’ailleurs de Napoléon III, a forgé son « Roman national » en mettant en avant le rôle majeur du chef arverne Vercingétorix, héros de la guerre de résistance contre l’invasion des légions romaines, quitte à tordre quelque peu la réalité historique en l’embellissant…

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, tableau peint en 1899 par Lionel Royer  (source © musée Crozatier, le Puy-en-Velay / Antique Limousin)

Une tendance que certains qualifient d’« archéologie romantique », et qui consiste à imaginer, à partir de faits historiques avérés mais parcellaires, des enchaînements hasardeux pour étayer une thèse présupposée. Certains n’hésitent pas à tordre ainsi la vérité historique pour justifier de la prééminence de tel ou tel peuple du fait de l’ancienneté de sa présence, tout particulièrement dans les zones de conflit territorial comme c’est le cas actuellement en Israël et notamment à Jérusalem, où toute fouille archéologique est sujette à débats…

Les pyramides de Méroé, dans le désert soudanais, vestiges des rois de Nubie et de la culture koushite (photo © Nigel Pavitt / AWL images / National Geographic)

Même l’Égypte antique n’est pas épargnée par ce phénomène. Les pasteurs noirs américains diffusent ainsi l’idée que Koush, fils de Cham et petit-fils noir de Noé, avait conquis le monde, en s’appuyant que le fait que le royaume koushite de Nubie, alors à l’apogée de sa puissance, avait même vaincu l’Égypte en 730 avant J.-C. Le roi Piye est ainsi devenu le premier de la 25e dynastie, cette fameuse lignée des pharaons noirs, qui dut cependant battre en retraite une soixantaine d’années plus tard, face à une invasion assyrienne, le royaume de Koush se repliant alors sur son territoire du Soudan actuel, autour de sa capitale Méroé. Il continua à prospérer parallèlement à son voisin égyptien, même après que ce dernier soit tombé dans l’escarcelle romaine, à la mort de Cléopâtre, en 30 avant J.-C.

La reine Cléopâtre, représentée sur un bas-relief du temple d’Hathor à Dendérah, entre 55 et 50 av. J.-C. (photo © Peter Horree / Hemis / Alamy / Beaux Arts)

De quoi en effet alimenter bien des fantasmes quant à la puissance historique de ce royaume noir qui a marqué l’histoire trop méconnue du continent africain, qui a connu bien d’autres empires, à l’instar de ceux du Ghana ou du Mali, en leur temps bien plus prospères que bien d’autres régions du monde. De quoi contribuer à démentir le sentiment trop largement ancré que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », comme avait osé l’affirmer Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 devant des étudiants à Dakar… Au point d’engendrer, notamment parmi la culture afro-américaine, un véritable engouement pour ces périodes antiques, au risque de prendre quelques libertés avec la vérité historique.

Le rappeur Maitre Gims, au micro de la chaîne Oui Hustle en avril 2023, pour un long dialogue avec LeChairman (source © You Tube)

C’est ainsi que l’on a vu en 2023, le géant américain Netflix produite un documentaire dans lequel la reine Cléopâtre elle-même, est jouée par une actrice noire. Et l’on a pu assister à la même époque, en avril 2023, à une interview assez étonnante de Maître Gims, un rappeur francophone, d’origine congolaise, qui dialogue longuement sur la chaîne YouTube Oui Hustle, en affirmant sans ciller que les pyramides de l’empire de Koush étaient recouvertes d’or et servaient en réalité d’antennes : « Les pyramides que l’on voit, au sommet il y a de l’or, et l’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité… C’était des foutues antennes ! Les gens avaient l’électricité (…) et les historiens le savent ».

Une affirmation un peu abrupte mais énoncée avec beaucoup d’aplomb par le chanteur et compositeur à succès, créateur du groupe Sexion d’assaut, et qui se présente comme « un fan d’Histoire », capable de disserter dans cette interview que le fait que si l’Afrique n’a plus d’archives sur son passé historique glorieux, c’est parce que ses bibliothèques ont été pillées et brulées, et que « l’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens », mais qu’ils ont été décimé par les Européens venant d’Asie, les Yamnayades, évoquant même la présence de chevaliers africains en Europe, « 50 000 ans avant les Européens ».

Illustration du morceau intitulé Hernan Cortes, de Maître Gims sorti en avril 2023 (source © You Tube)

Un joyeux fatras affirmé avec un énorme aplomb et de lourds sous-entendus complotistes, confirmé par l’illustration de l’album sorti peu après par le rappeur et montrant les fameuses pyramides d’Égypte avec leur sommet couvert d’or et les transformateurs à leur pied. Une affirmation que n’a jamais reniée depuis Maître Gims, malgré les innombrables interviews et réactions que ses affirmations à l’emporte-pièce ont suscitées. Même EDF s’est fendu d’une publicité reprenant à son compte ces élucubrations saugrenues et se présentant du coup comme « fournisseur officiel d’électricité des pharaons depuis – 2 000 ans »…

Une publicité satirique d’EDF qui surfe sur les élucubrations loufoques de Maitre Gims (source © Le Point)

De quoi brouiller légèrement les repères historiques et chronologiques d’une jeunesse parfois plus prompte à écouter en boucle ses idoles du show business que ses professeurs d’école. Car bien entendu, et peut-être faut-il le préciser, il n’a jamais été retrouvé de feuilles d’or sur les pyramidions en granite noirs qui surmontaient les pyramides égyptiennes (mais pas celle de Méroé), même si l’obélisque de Louxor, qui trône sur la place de la Concorde à Paris, est bel et bien orné d’un pyramidion en bronze et feuilles d’or, mis en place en 1998…

Quant à prétendre que l’Égypte antique était déjà largement électrifiée, voire que les pyramides servaient d’émetteurs wifi, personne en dehors du rappeur Maître Gims ne s’y était jusque-là hasardé, en dehors peut-être de quelques pochetrons avinés après une soirée trop arrosée, mais il y a fort à parier, au vu de l’audience et de la notoriété de Maître Gims, que des milliers de jeunes crédules sont désormais convaincus par cet afrocentrisme conspirationniste qui ne recule devant aucune ineptie pour réécrire l’histoire à sa manière, contribuant à l’obscurantisme et au communautarisme. Bon courage aux professeurs d’Histoire qui auront à lutter contre ce type de préjugés !

L. V.

Optitec : naissance, vie et fin d’un technopôle de la photonique

31 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 17 mars 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Le pôle de compétitivité Optitec a été absorbé début janvier 2024 par le pôle Solutions communicantes sécurisées (SCS) et la photonique provençale n’existe donc plus en tant que telle. C’est une aventure d’un quart de siècle qui se termineJacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, revient ici sur la genèse de l’un des précurseurs des pôles de compétitivité, le premier impliquant, à l’échelle de notre région, tous les acteurs académiques et industriels d’une même thématique sectorielle.

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

La photonique est la science et la technologie des photons, ces éléments constitutifs de la lumière, à la fois ondes et particules. Mais la photonique est en fait beaucoup plus que la lumière. Car la photonique se trouve derrière de très nombreuses technologies de la vie quotidienne. Et si l’éclairage, l’optique, la vision ou l’image restent des secteurs traditionnels de ce secteur technologique, d’autres applications majeures comme les télécommunications, la biophotonique, l’énergie ou la productique, lui ont donné un grand coup de booster depuis une trentaine d’années. Aujourd’hui, les liaisons internet, les smartphones, les ordinateurs portables, la médecine et la chirurgie, la robotique, ont vécu de véritables révolutions technologiques grâce à la photonique qui s’est révélée une source d’innovations considérable.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

La photonique, la science du XXIe siècle

C’est un volumineux rapport du National Research Council (NRC) américain qui lança en 1998 l’essor de la photonique mondiale. « Harnessing Light : Optical Science and Engineering for the 21 st Century » récapitulait les inventions (lasers, fibre optique, cristaux liquides, scanners médicaux, panneaux photovoltaïques, vision nocturne, couches minces, disques optiques, LEDs, …) au regard des potentialités de leurs utilisations (communications, informatique, écrans, santé, éclairage, détecteurs, défense, spatial, processus industriels, …). Selon ses conclusions, non seulement l’économie induite devait croître très rapidement, mais la photonique était promise à devenir la science du XXIe siècle, tout comme l’électronique fut celle du siècle précédent.

À la fin des années 1990, un bouillonnement est effectivement apparu dans certains pays et les premiers clusters de photonique avaient déjà vu le jour. En Amérique du Nord, plusieurs pôles se structuraient (Californie, Tucson, Québec). En Europe, l’Allemagne avait pris un peu d’avance avec deux associations industrielles régionales traditionnellement à forte composante optique (Jena, Berlin). En France, c’est d’abord en Île-de-France (Optics Valley), en Bretagne (Lannion autour des télécoms) et en Provence Alpes Côte d’Azur avec POPsud que le mouvement était le plus visible.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Le pôle optique et photonique POPsud 

La genèse de POPsud a sans doute été la plus originale, puisqu’elle a eu lieu autant à l’initiative de chercheurs universitaires et du CNRS, que de responsables ou cadres d’entreprises d’optique. La situation locale était tout à fait particulière : les principaux acteurs se connaissaient de longue date ! Les relations se regroupaient autour de deux grands sujets : l’astronomie et l’espace d’une part, la physique des matériaux de l’autre. Concernant la physique, par exemple, beaucoup d’entrepreneurs avaient gardé un lien avec le laboratoire où ils avaient étudié, suivi un stage, été parfois salariés, alors qu’une partie non négligeable de la recherche publique était financée sous contrats.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Le cas du spatial et de l’astronomie était différent. Les astronomes provençaux étaient largement impliqués et souvent même à l’initiative de la construction de grands instruments mondiaux (satellites, grands télescopes français à Hawaï ou européens au Chili). La fabrication de ces télescopes et l’instrumentation auxiliaire étaient régulièrement confiées à des industriels locaux. Le déclencheur du rapprochement a été la nécessité de renouveler fortement un équipement important (bancs de tests, chambres propres, refroidies ou à vide) à la fois dans les entreprises et les laboratoires. La complexité et le coût de ces équipements étaient incompatibles avec une utilisation à temps partiel. Aussi, les tout premiers projets financés par POPsud ont largement été consacrés à des « moyens mutualisés », localisés dans le privé ou le public, mais partagés.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Tout restait à inventer

Le principe de la création de POPsud avait été adopté en octobre 1999, lors d’une réunion de six fondateurs. Trois entrepreneurs : Gilbert Dahan, de SESO (13), Charles Palumbo, de Cybernetix (13) et Gérard Greiss, de SEOP (83). Trois chercheurs universitaires : François Flory, de l’Institut Fresnel (13), Farrokh Vakili, de l’Observatoire de la Côte d’Azur (06) et moi-même, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille (13). Nous ne savions pas du tout où nous allions. Tout restait à inventer. C’était grisant, mais nous étions d’accord pour tenter le coup d’une structure régionale, réellement nouvelle, qui n’avait de sens que si elle accélérait réellement le développement de la photonique dans notre région où les acteurs étaient déjà nombreux et souvent de niveau international. Notre petite histoire retiendra que nous nous étions engagés à nous reposer chaque année (et cela a été fait au moins jusqu’en 2013) la question de la prolongation du pôle. Il n’était pas question d’institutionnaliser une structure qui aurait perdu son dynamisme et son inventivité.

La Provence, une terre historique de recherche et d’essaimage industriel en optique

La Provence a été de longue date une terre de développement de l’optique, initialement autour de l’Observatoire de Marseille, initialement « Observatoire royal de la marine », créé en 1702 aux Accoules, puis transféré « en limite de la ville » en 1860 sur le plateau Longchamp. Marseille s’enorgueillit donc d’être la ville du troisième observatoire astronomique moderne construit au monde, juste après Paris (1667) et Greenwich (1675). Et surtout, Marseille fut dotée en 1865 du télescope de 80 cm de Foucault (que l’on peut toujours visiter), alors le plus grand au monde, le premier instrument associant un miroir parabolique et une réflexion par couche argentée, en rupture totale avec la tradition des lunettes astronomiques. C’est toujours le principe optique des télescopes actuels, terrestres ou spatiaux. L’instrument, révolutionnaire, disposait même d’un support de miroir actif, concept longtemps oublié, mais qui équipe aujourd’hui tous les télescopes géants modernes.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Vérifier la relativité générale d’Einstein

L’inventivité de Marseille en matière optique ne s’arrête pourtant pas là. En 1897, à l’université, alors sise rue Sénac de Meilhan en haut de la Canebière, deux physiciens, Alfred Perot et Charles Fabry, inventèrent l’interféromètre à ondes multiples qui porte leur nom, l’interféromètre de Fabry-Perot. Il s’agit d’une invention majeure de la métrologie, qui permit notamment la vérification observationnelle de la relativité générale d’Einstein lors d’une éclipse de Soleil en 1919. Aujourd’hui, elle est essentielle aux contrôles des surfaces optiques, à la mesure des déplacements infinitésimaux, aux filtrages de longueurs d’onde et est utilisée quotidiennement dans la recherche et l’industrie.

Un peu plus tard, à partir des années 1930, c’est un autre domaine d’excellence qui se développe à partir de Marseille : celui des couches minces métalliques, de quelques dizaines de microns au plus. Associées au départ à l’amélioration de l’interféromètre de Fabry-Perot, elles trouvent bien vite d’autres applications et sont aujourd’hui indispensables comme antireflet dans les composants photo-électroniques, la lunetterie, les cellules photovoltaïques.

SESO, pionnier de la photonique

Ce contexte académique a bien évidemment été déterminant dans la création en 1979 à Aix-en-Provence, de la société SESO (Société européenne de systèmes optiques), créée par des cadres issus de la société Bertin. SESO est spécialisée dans la conception et la fabrication de composants et de systèmes de précision dans le domaine de la photonique, notamment pour le secteur aéronautique et spatial.

En 1989, c’est le calcul optique qui vient compléter la panoplie, avec la création, par un jeune diplômé de l’École supérieure d’optique de Marseille, de la société Optis à La Farlède dans le Var. Avec le développement de la simulation et le prototypage virtuel en matière d’optique, Optis deviendra l’un des acteurs majeurs du secteur avant d’être rachetée en 2018 par le géant mondial de la réalité virtuelle Anzys, pour les véhicules autonomes.

Au début des années 2000, le projet Iter de fusion thermonucléaire à Cadarache s’intéresse aussi à la photonique. D’ailleurs, les contraintes d’intégration de capteurs, de lasers, d’imageurs dans un milieu radiatif hostile avec zéro défaut et zéro panne, s’apparentaient fortement à celles déjà présentes dans POPsud autour du spatial et des systèmes sous-marins.

C’est évidemment avant tout ce lien très fort existant entre une recherche universitaire établie dans le domaine des sciences de la lumière et un tissu industriel très riche dans les domaines de l’optique, qui a permis l’émergence, en 1999, du pôle d’optique et de photonique POPsud, simultanément avec la création d’Optics Valley en région parisienne, bien avant l’annonce, en 2005, des premiers pôles de compétitivité.

Un outil clé : les plateformes mutualisées

Les bonnes fées étaient présentes lors de la naissance de POPsud. Jean-Pierre Nigoghossian, ancien de Bertin, de l’Institut méditerranéen de technologie, puis directeur de la recherche et de la technologie en région, a accompagné de nombreux conseils, ce qu’il faut bien appeler une « aventure avant l’heure ». La première étude de faisabilité, réalisée par le cabinet parisien Atalaya confirmait à la fois l’anticipation du boom mondial de la photonique et les potentialités locales.

Jean-Pierre Nigoghossian (photo © CA / GoMet)

Cerise sur le gâteau, Pierre Bernhard, le fondateur et directeur de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) à Sophia-Antipolis, acceptait de présider le conseil scientifique de POPsud, alors que la photonique n’était vraiment pas sa spécialité. Mais ce recul s’avérera décisif dans la sélection et la réussite des premiers projets. Le principe novateur initial retenu fut également que 30 % du conseil stratégique ne soit pas directement lié à la photonique et que 30 % soit extérieur à la région. Tout était sur la table. Tout était à inventer. Un vrai défi collectif !

Pierre Bernhard, fondateur de l’INRIA à Sophia Antipolis (source © Sciences pour tous 06)

13 projets communs financés

Entre 2001 et 2005, 13 projets communs entreprises-laboratoires virent le jour pour un financement de sept millions d’euros, issu à 53 % du privé. Évidemment, la sélection en 2005 de POPsud (qui devient alors Optitec) dans le cadre de l’appel d’offres des pôles de compétitivité allait changer l’échelle du financement. Entre 2006 et 2012, chaque année en moyenne, dans le cadre du pôle de compétitivité, 15 à 20 projets mutualisés sont financés pour une quarantaine de millions d’euros (dont 50 % venant du privé). En 2010, Optitec s’étend à la région Languedoc-Roussillon.

15 000 emplois, 1 500 chercheurs

La labellisation comme pôle de compétitivité a indéniablement favorisé la croissance des entreprises. Selon les statistiques d’Optitec, qui ne compte strictement que les emplois liés à l’optique-photonique, en 2000, la filière régionale comptait 3 000 emplois qualifiés dans 15 000 emplois industriels associés et 1 500 chercheurs. Entre 2006 et 2012, 1 600 emplois directs qualifiés furent créés ainsi que 30 start-up avec un taux de survie de 82 %. La croissance annuelle locale était légèrement supérieure à la croissance mondiale de la photonique (15 %), ce qui en faisait un secteur régional très dynamique.

En 2013, le chiffre d’affaires des entreprises régionales de photonique atteignait 1 300 M€, concentrant 25 % des activités françaises de recherche et développement dans le secteur optique. En 2012 était inauguré, sur le technopôle de Château-Gombert, l’Hôtel Technoptic, accélérateur pour les start-up de l’optique, la photonique et des objets connectés IOT à la fois pépinière d’entreprises et hébergeur de plateformes technologiques. En 2010, Optitec était récompensé du Label de Bronze de cluster européen sous l’égide de la Commission Européenne.

Partie du Comité stratégique de POP Sud (source © archives J. Boulesteix / GoMet)

Avec un taux d’exportation de ses entreprises supérieur à 35 % à sa création et des laboratoires publics de recherche mondialement reconnus, POPsud/Optitec était naturellement tourné vers l’extérieur. Les accords d’échange et les visites d’entreprises à l’étranger furent nombreux : Singapour 2004, Israël 2004, Shangaï 2004 (Optochina), Canada 2002 et 2005, Iéna 2008 (Optonet/Zeiss), Royaume-Uni 2008, MIT et Boston University 2009, Shenzhen 2009, Brésil 2010, Espagne 2011 (SECPHO), Italie 2012 (OPTOSACANA), Russie 2011 et 2012, … En 2005, Optitec créait le Réseau optique méditerranéen (ROM), financé par l’Europe et réunissant les régions de Valence, Catalogne, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Toscane, Sardaigne, Crète et Israël.

La photonique : un domaine bouleversé par l’irruption de l’acteur chinois

Dès 2013, l’Union européenne avait identifié la photonique comme l’une des six technologies clés du XXIe siècle (KET, Key Enabling Technology). Les Chinois aussi, certainement. Car la Chine envahit alors rapidement le marché mondial de composants optiques à faible coût et rattrape à grand pas son retard sur les systèmes photoniques complexes. Avec une croissance dans ce secteur une fois et demi supérieure à celle de l’Europe et un immense marché intérieur, la Chine, qui y était quasiment absente dans les années 2000 rivalise de plein fouet avec la photonique européenne (et américaine). Le 4e plan quinquennal chinois (2021-2025) a d’ailleurs placé l’optique-photonique au cœur des technologies prioritaires. On savait déjà que la Chine était devenue le premier marché mondial de consommation des circuits intégrés avec une part du marché mondial de 34,4 %, contre 21,7 %, pour les États-Unis et 8,5 % pour l’Europe. C’est aussi le cas pour la photonique.

Pour bien en comprendre l’enjeu, il faut savoir que la science et les applications de la lumière représentent, en termes de PIB, environ 11 % de l’économie mondiale. C’est le secteur de plus forte croissance. Les revenus annuels mondiaux des produits photoniques dépassent 2 300 milliards d’euros. Cette industrie emploie plus de 4 millions de personnes. La chaîne de valeur de la photonique est très large. Elle va du verre aux systèmes très intégrés, en passant par l’éclairage, la fibre optique, les lasers, les imageurs, les panneaux photoélectriques. La photonique est présente dans tous les systèmes complexes : robots, avions, espace, smartphones, scanners médicaux, communications, ordinateurs, machines-outils, les véhicules autonomes, sans parler du militaire…

L’Hôtel Technoptic, accélérateur pour les start-up de l’optique  (source © Gomet)

Certes la France n’est pas démunie. Selon les statistiques de l’European Photonic Industry Consortium (EPIC), qui compte assez largement toutes les activités liées de près ou de loin à la photonique, l’écosystème photonique français représente 19 Md€ de chiffres d’affaires, une croissance de 7,5 % par an et 80 000 emplois. Ce n’est pas rien. D’autant plus qu’au-delà des groupes de taille mondiale comme Thales, Safran, Essilor ou Valeo, on estime le tissu riche de 1 000 entreprises dont 40 % ont moins de 10 ans. Elles génèrent une activité estimée à 15 Md€ avec plus de 80 000 emplois hautement qualifiés, opérant sur un marché mondial estimé à 525 Md€.

Le contexte de l’innovation dans lequel est né POPsud a profondément évolué en 25 ans

D’une part, contrairement à d’autres pays européens, le tissu industriel français le plus innovant à l’époque, clairement composé de PME partenaires de laboratoires de recherche publics, n’a pas vraiment réussi sa mutation vers des établissements plus importants (ETI) disposant d’une assise financière suffisante et de ressources humaines pour attaquer de gros marchés. La croissance, pourtant importante dans le secteur de la photonique, a plafonné.

À cette faiblesse structurelle très française, s’est ajouté, au fil du temps, un certain essoufflement des croisements entre les partenaires des pôles, dont les projets peinent, après quelques années, à échapper à une certaine consanguinité, qui n’a peut-être pas été assez anticipée. Or l’innovation, c’est aussi la découverte, la surprise d’un nouveau partenaire. D’où les nouvelles stratégies d’élargissement thématique et de fusion avec d’autres pôles. Enfin, les partenariats directs entre les entreprises à l’échelle mondiale se sont développés, chaque entreprise dynamique cherchant aujourd’hui à disposer d’un point d’appui sur chaque continent, au risque de créer des conflits à l’intérieur même des pôles. Le chacun pour soi s’est développé, s’éloignant toujours un peu plus de l’esprit des initiateurs des premiers pôles.

Il serait cependant bien hasardeux de penser que le renouveau des mécanismes d’innovation passe par une rationalisation ou une intégration à une échelle toujours plus grande. L’histoire enseigne que les idées naissent dans de petites entités, de petites équipes, plus favorables à l’ouverture et au dynamisme. Ce n’est pas le cas de la production ou de la percée sur les marchés, qui font appel à d’autres ressorts, pas forcément liés à une logique de pôles. C’est cette dualité que nous a permis de mieux comprendre, depuis 25 ans, l’expérience des pôles pionniers comme POPsud.

J. Bx.

Après les cagoles, les perruches de Marseille

18 mars 2024

Les cagoles, à Marseille, ce sont ces jeunes femmes que l’on ne peut que remarquer. Outrageusement maquillées, habillées de manière extravagante et souvent un peu provocante, elles se déplacent en groupe en piaillant fort, et ne passent pas inaperçu. L’humoriste Yves Pujol les a même comparées à du tuning, ces voitures que l’on personnalise pour mieux se faire remarquer dans la rue : « la cagole est à la femme ce que le tuning est à la voiture de série : un festival de couleurs, d’accessoires, de chromes aux oreilles, au cou, aux bras et bien sûr de pièces non d’origine pour une ligne toujours plus profilée, de jantes toujours plus larges et de pare-chocs toujours plus imposants ».

La cagole marseillaise, décryptée dans le documentaire « Cagole forever » diffusé en 2017 sur Canal + (source © Le Bonbon)

On ne sait même pas très bien d’où vient ce nom de cagole, si typiquement marseillais. Certains font le rapprochement hasardeux avec le verbe provençal « caguer », ce qui laisse penser une certaine filiation avec celle que le poète disparu, Georges Brassens, toute « misogynie à part », avait qualifiée de « véritable prodige / emmerdante, emmerdeuse, emmerderesse itou ». Mais d’autres évoquent plutôt un lien étymologique avec le terme provençal « cagoulo » qui désignait le tablier des femmes qui travaillaient dans les nombreuses usines d’ensachement de dattes, jadis florissantes à Marseille.

C’est notamment le cas de la société Micasar, fondée en 1948 et initialement implantée cours Julien avant de déménager boulevard Michelet, puis d’aménager en 1964 un autre atelier dans une ancienne savonnerie de la rue Roger Salengro, suivi en 1977 d’un troisième au 3 boulevard Louis Villecroze, dans des locaux autrefois occupés par les Pastis Berger. Cette dernière usine, rachetée en 2002 par la coopérative France-Prune, a fermé en 2007 seulement, faisant tomber dans l’oubli cette expression courante que bien des petites Marseillaises ont entendu dans leur enfance : « si tu ne travailles pas bien à l’école, tu iras travailler aux dattes ! ».

La cagole de Marseille, une figure qui sert même la bière locale… (source © La Cagole)

Il faut dire que le travail d’ensachage à l’usine était particulièrement pénible et très mal payé, au point que nombre de ces jeunes femmes arrondissaient leurs fins de mois en allant vendre leurs charmes dans le voisinage, d’où sans doute cette expression de « cagoles », tellement typique du patrimoine marseillais qu’une marque locale de bière, créée en 2003 par Yves Darnaud, certes désormais brassée à Douai mais avec un site de distribution basé à Gémenos, lui a même empruntée son nom.

Mais dans les rues de Marseille désormais, l’attention n’est plus attirée seulement par ces cagoles haut perchées en tenue léopard, mais aussi par les plumages criards et les piaillements tout aussi stridents de milliers de perruches qui envahissent par place le ciel de la cité phocéenne. Relâchées dans le parc Borély en 1990, les perruches à collier, Psittacula krameri, pour les intimes, pourtant originaires non pas des Calanques mais plutôt de la péninsule indienne ou de l’Afrique de l’Ouest, s’y sont acclimatées depuis des années, raffolant de cet endroit bruyant et fortement éclairé la nuit, où les rapaces, leurs plus dangereux prédateurs, n’oseraient jamais s’aventurer.

Une perruche à collier femelle, photographiée ici en Allemagne (photo © Andreas Eichler / CC BY-SA 4.0 / Wikipedia)

Cette invasion de perruches n’est pas propre à Marseille, loin s’en faut. A Bruxelles, où une quarantaine de perruches s’étaient fait la belle du zoo en 1973, on en dénombrait pas moins de 8000 quarante ans plus tard et sans doute autour de 20 000 à Londres… En Île-de-France, leur nombre atteignait un millier en 2008 et avait été évalué à 5000 en 2016 ! En 2019, France 3 se faisait l’écho des recensements réalisés à Marseille, deux fois par an par une docteur en écologie, Marie Le Louarn, près des trois principaux dortoirs où les perruches se rassemblent chaque soir pour passer la nuit en groupe dans les platanes de la place Rabatau notamment, mais aussi à Aubagne. On comptait alors près de 1500 individus et un nouveau reportage de BFM TV début mars 2024 indiquait que ce chiffre avait plus que doublé depuis et qu’on atteindrait désormais les 3500 individus dans le ciel de Marseille et sa proche banlieue !

Une conure veuve, photographiée ici dans le Mato Grosso, au Brésil (photo © Bernard Dupont / CC BY-SA 2.0 / Wikipedia)

Et voilà qu’une autre espèce de perruches les a désormais rejoints et a établi ses quartiers dans le secteur de la passerelle de Plombière, sur la place Burrel, en limite sud du 14e arrondissement. Il s’agit cette fois de perruches-souris, dites aussi conures veuves, ou Myiopsitta monachus de leur nom scientifique. Originaire d’Amérique du Sud, cette espèce de perruche, particulièrement colorée, a déjà colonisée une bonne partie des USA et est désormais présente dans les jardins publics d’un grand nombre de villes européennes. On en voir aussi en liberté à Montpellier ou à Toulon, mais aussi à Barcelone, Rome, Athènes ou Bruxelles.

La particularité de cette dernière espèce est son habitude de construire d’énormes nids collectifs à plusieurs entrées, constitués d’un incroyable enchevêtrement de brandilles et petits branchages, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre et peser jusqu’à 200 kg. De quoi inquiéter vaguement les riverains qui voient ces énormes amas faire ployer au-dessus de leur tête les branches de platanes déjà envahies de tigres.

Perruches près de leur nid à Marseille (photo © Gilles Bader / La Provence)

L’espèce vit en couple et les femelles pondent deux fois par an en moyenne 5 à 6 œufs, de quoi expliquer la forte croissance de l’espèce qui s’installe durablement dans le paysage marseillais, aux côtés des perruches à collier, plus nombreuses, qui vivent aussi en colonies mais font plutôt leur nid dans les anfractuosités des troncs de platanes, et de quelques perruches mitrées que l’on reconnait à leur tête tachetée de rouge qui dénote franchement de leur plumage d’un vert éclatant. Chez ces oiseaux-là, on aime se faire remarquer, ce qui explique peut-être pourquoi ils se sont aussi facilement acclimatés à l’ambiance marseillaise. Au point d’ailleurs que certains considèrent ces espèces parfaitement exotiques comme vaguement envahissantes, sources de nuisances sonores lorsqu’elles piaillent en chœur en regagnant leur dortoir chaque soir, mais aussi génératrices de nombreuses fientes sur l’espace public, et volontiers chapardeuses des baies, petits fruits, graines et jeunes pousses dont elles se nourrissent.

Perruche à collier confortablement installée dans un arbre creux pour nicher (photo © Franck Vassen / Flickr / Reporterre)

Considérées comme nuisibles pour les cultures en certains endroits de la planète, ce n’est pour l’instant pas le cas en France, surtout dans l’environnement urbain marseillais. Une vaste étude menée en 2019 a d’ailleurs conclu que cette augmentation spectaculaire des perruches en Europe ne pose pour l’instant pas de problème spécifique de concurrence avec les espèces locales, même si l’on subodore une certaine concurrence sur l’accès aux cavités arboricoles favorables pour nicher, en particulier avec une espèce de chauve-souris, la Grande Noctule. Mais pour la nourriture, les perruches, bien que plus imposantes que nombre d’espèces locales, tel le moineau, la mésange ou le rouge-gorge, ne semblent pas constituer une menace, pas plus en tout cas que les pies ou les tourterelles déjà bien implantées dans le paysage.

L’implantation de ces oiseaux exotiques dans les platanes de la cité phocéenne est donc probablement partie pour durer et tout laisse penser que désormais la perruche, comme la cagole, fait partie du paysage urbain marseillais…

L. V.

Alfons MUCHA, notes biographiques

16 mars 2024

Organisée en collaboration avec la Fondation Mucha à Prague, l’Hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, consacre cette année et jusqu’au 24 mars 2024, son exposition d’hiver au grand maître de l’Art nouveau, Alphonse Mucha (1860-1939). Plusieurs membres du Cercle progressiste carnussien ont visité cette exposition exceptionnelle, sous la conduite de Michel Motré qui avait préparé pour cela quelques notes biographiques. Leur version complète illustrée de nombreuses œuvres de l’artiste est accessible ici.

En voici les principaux repères qui retracent le parcours de cet artiste prolifique et visionnaire qui s’est adonné à de multiples domaines comme les affiches, la publicité, la décoration intérieure ou encore le théâtre de la Belle Époque, avec un style très particulier où se mêlent Art nouveau, mysticisme, symbolisme et identité slave.

Détail de l’affiche de l’exposition Mucha à l’hôtel de Caumont – Les Arts « la danse », lithographie en couleur de 1898, 60 x 38 cm, Prague (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

Alphons MUCHA nait en Moravie en 1860 et meurt à Prague en 1939.

Les débuts

Son aptitude au chant lui permet de poursuivre son éducation à Brno, la capitale Morave. Il dessine et lors d’un voyage il rencontre le dernier représentant de la peinture sacrée baroque dont les fresques d’Utsi et de Prague le marquent profondément. En 1875, de retour dans sa ville natale, après des travaux de greffier, il tente le concours d’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts de Prague et échoue. En 1879, après avoir réalisé quelques travaux décoratifs pour le théâtre, il émigre à Vienne afin de travailler pour la plus grande entreprise de théâtre de la ville et continue sa formation artistique. Il voyage et gagne sa vie comme portraitiste. C’est en 1881 que le Comte Karl Khuen Belasi le charge de décorer son château d’Emmahof puis il travaille pour le frère du Comte, Egon. En 1885 Egon finance ses études à Munich puis à Paris.

Affiche créée par Mucha pour Gismonda, avec Sarah Bernardt en 1894, lithographie en couleurs, 216 x 74,2 cm (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

La période parisienne

Dès ses débuts à Paris, il photographie ses modèles qui serviront à réaliser ses illustrations. A Paris, Mucha continue ses études dans des Académies (dont Julian où il rencontre Paul Sérusier). Il produit une revue, dessine pour des journaux, illustre des catalogues et des livres. Le parrainage du Comte Egon ayant pris fin après son suicide, Mucha cherche et trouve du travail en qualité d’illustrateur par la maison Armand Colin. Il s’installe près de l’académie au-dessus d’un restaurant pour lequel, avec son ami Sleweski, il décore la façade.

Seul artiste disponible chez son imprimeur Lemercier, il est sollicité le 24 décembre 1894 par Sarah Bernardt pour réaliser l’affiche publicitaire pour Gismonda, la pièce qu’elle doit jouer au Théâtre de la Renaissance début janvier 1895 ! Défi relevé, le 1er janvier 1895, les murs de Paris se couvrant des affiches qui sont appréciées. Sarah Bernardt l’engage pour six ans. Il réalisera ainsi, dans son style si personnel, les affiches pour Lorenzaccio, La Dame aux Camélias (1896), Hamlet et Médée (1898).

Parallèlement, il dessine d’autres affiches pour le papier à cigarettes JOB (1897) et Nestlé (1898) ainsi que des boites à biscuits pour Lefèvre-Utile (LU). Il compose des panneaux décoratifs, des calendriers et des programmes en recourant à ses thèmes préférés : la femme, les fleurs, les saisons, les heures… Il crée beaucoup : des bijoux (bracelet au serpent) ; des illustrations dont celles pour Islée, princesse de Tripoli de Robert de Flers (1897).

Durant ces années, outre Sérusier, il côtoie Gauguin, Toulouse Lautrec et de nombreux peintres. Mucha est sollicité pour l’exposition universelle de Paris de 1900 où il est chargé de la décoration du Pavillon de la Bosnie-Herzégovine ainsi que de la création d’affiches et autres éléments de communication (menu) pour le pavillon autrichien. Pour cela, il reçoit la médaille d’argent. En 1901, il conçoit la bijouterie Fouquet à Paris qui a été démontée puis reconstituées au musée Carnavalet de Paris.

Publicité pour le champagne Moët et Chandon Grand Clément Impérial créée par Mucha en 1899, lithographie en couleurs, 60 x 20 cm (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

Alfons Mucha est un artiste majeur de l’Art nouveau. Multiforme et international, le mouvement Art nouveau est celui des courbes et des arabesques. Librement inspiré par la nature, privilégiant aussi le thème de la femme, il est un pur produit de la Belle Époque (1890–1914). En France, c’est surtout Hector Guimard qui l’incarne, au travers des bouches de métro dont il est l’architecte, et l’École de Nancy, autour d’Émile Gallé. Céramiques, meubles, objets d’art, verreries…

L’Art nouveau offre un véritable univers esthétique idéalement mis à la portée de tous. L’un de ses apports majeurs est d’avoir fait tomber la barrière traditionnelle entre arts majeurs et arts mineurs, en élevant par exemple l’affiche aux rangs des beaux-arts.

« La symétrie n’est nullement une condition de l’art, comme plusieurs personnes affectent de le croire ; c’est une habitude des yeux, pas autre chose. » Hector Guimard

Alfons Mucha, Slavia tempera sur toile, 154 x 92,5 cm, 1908, Musée de Prague (source © Arthive)

Le séjour aux États Unis 1904 – 1910

Mucha quitte la France avec sa femme et rejoint les USA. Son séjour dure 5 ans. Il enseigne à l’Art Institute de Chicago. Il peint à l’huile mais sans succès et produit des affiches et des illustrations ainsi que les décors du German Théâtre de New York 1908. En 1909, il réalise les affiches de Leslie Carter et de Maud Adams (Jeanne d’Arc) : forts dessins au fusain et finesse des dessins au pastel.

Alfons Mucha travaillant sur l’une des peintures murales du salon du maire de la Maison municipale de Prague en 1910-1911 (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

Retour au pays

En 1910, il retourne dans son pays qui deviendra la Tchécoslovaquie en 1919. Il crée des timbres postaux et des billets de banque pour le nouveau pays et réalise de grandes peintures décoratives critiquées par les artistes modernes (contemporains). Humaniste, il est sensible aux misères du monde et des hommes.

Alfons Mucha, La célébration quand les dieux sont en guerre, le salut est dans les arts, huile sur toile, 610 x 810 cm, 1912, Musée de Prague (source © Institut Illiade)

Il travaille alors à un grand ensemble, « l’Épopée Slave ». Ce sont de grades toiles historiques qui conjuguent tradition, folklore et symbolisme. Ces œuvres sont exposées à l’étranger et sont maintenant conservées au musée de Prague.

Depuis 1938 il souffre de la pneumonie. Il est arrêté par les allemands qui ont envahi la Tchécoslovaquie pour son appartenance à la franc-maçonnerie. Il meurt en juillet 1939.

M. Motré

La région face à la mondialisation et aux nouveaux défis de l’innovation (1ère partie)

6 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 25 février 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle.

Souhaitant revenir sur les différentes initiatives prises localement en faveur de la recherche appliquée et du développement technologique, GoMet a sollicité Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS et élu à la mairie de Marseille de 1989 à 1995, alors chargé du développement des technopôles et des universités. Président-fondateur de POPsud en 2000 puis d’Optitec en 2006, il créa également le Comité national d’optique et photonique regroupant les pôles régionaux en optique ainsi que les industriels de la filière. A la fin des années 2000, administrateur de la plateforme européenne Photonics 21, il crée le réseau Optique Méditerranéen, ainsi que l’European Network of Optical Clusters (ENOC). Il dirigea de 2010 à 2018 le fond régional d’investissement Paca Investissement, aujourd’hui Région Sud Inves. Il a aussi été le premier président du Cercle progressiste carnussien et a été élu au Conseil municipal de Carnoux en 2020.

Cette chronique est le premier volet d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des différentes structures mises en place localement pour accompagner et favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité… Les deux autres volets de cette série, seront publiés ultérieurement, en décalé avec leur diffusion sur GoMet

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

1970-2000 : le fait technopolitain

La première initiative de mutation technologique de l’économie française s’est matérialisée par la naissance des technopôles, conçus comme des espaces protégés, consacrés aux hautes technologies, basés sur une stratégie territoriale simple et efficace : (re)localiser les entreprises technologiques sur un territoire susceptible d’accélérer leur développement en proximité d’écoles d’ingénieurs et de laboratoires de recherches. Sophia Antipolis constitua, dès 1969, un précurseur largement financé par l’État (Datar), suivi de Grenoble en 1971. Ils ne faisaient que s’inscrire dans le sillage de laRoute 128 (le “demi-cercle magique” de Boston), apparu à la fin des années 50 à proximité de l’Université de Harvardet du MIT, et de la Silicon Valley en Californie dans les années 60 autour des entreprises de semi-conducteurs et de l’Université de Stanford. 

Les technopôlessont donc avant tout, à cette époque, des lieux structurés pour favoriser les relations université-recherche-entreprises, avec l’idée simple de « transformer l’intelligence en richesse ». Dans les Bouches-du-Rhône, trois technopôles virent ainsi le jour. 

Premier en date, le technopôle de Luminy fut structuré en 1985 autour des bio-techs sur un site universitaire développé dans les années 1970 autour des mathématiques, de la physique, de l’architecture et du sport. Il s’étend sur une centaine d’hectares. 

Entrée du Laboratoire d’astrophysique de Marseille sur le technopôle de Château-Gombert (photo © Gomet)

Le technopôle de Château-Gombert date, lui, du début des années 1990 et correspondait plutôt à la thématique des sciences de l’ingénieur. Il fit l’objet d’une action à la fois financée par l’État avec la création de l’Institut Méditerranéen de Technologie (IMT) et par la ville de Marseille avec une opération foncière touchant 180 ha. L’implication de l’État, avec le déménagement d’écoles d’ingénieurs et celle de la Chambre de Commerce, avec la création de la Maison du Développement Industriel (MDI), furent déterminantes. Le scientifique et ministre Hubert Curien fut d’ailleurs président du Groupement d’Intérêt Public créé à cet effet.

Le technopôle de l’Arbois démarre, lui, en 1995, avec l’installation du Centre de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CeReGE) dans les locaux rénovés de l’ancien sanatorium. Il se développe vraiment dans les années 2000, sur 75 ha, autour de la thématique de l’environnement.

Le salon Envirorisk sur le technopôle de l’Arbois, reconnu par le label Parc+ (photo © Christian Apothéloz / Gomet)

De 1970 aux années 2000, la structuration du monde de l’innovation en France est donc marquée par la création de divers “technopôles” (au masculin), de “technopoles” (au féminin), de “parcs technologiques”, de “parcs scientifiques”, de “zones d’innovations”, de “vallées scientifiques”, de “polygones technologiques”, qui, quel que soit le vocable, se réfèrent tous au même concept : un espace spécifique protégé à vocation scientifique et technologique. Il y en a une cinquantaine en France.

Les technopôles : un bilan positif, mais contrasté

Le bilan de ces 40 années d’existence est contrasté. Bâtis sur le modèle américain de la Silicon Valley, ils sont loin d’avoir eu son dynamisme. Selon le réseau Retis et une enquête du journal Les Echos en 2022, les 43 technopôles référencés regroupent 14 000 entreprises et 180 000 salariés. C’est évidemment bien loin des 504 000 emplois du secteur de l’innovation localisés dans la Silicon Valley (auxquels il faudrait rajouter 571 000 emplois dans l’innovation en Californie du Sud). En fait, si les technopôles français ont largement contribué à développer les synergies entre les entreprises innovantes et la recherche publique, ils n’ont jamais vraiment réussi à concentrer les outils et les moyens de leur développement.

L’une des critiques est que la concentration d’activités technologiques les isole de fait du reste de la vie économique. Le croisement vertueux de la connaissance y reste limité. Les technopôles peinent à rayonner sur l’ensemble du tissu économique local. Les initiatives communes des différents acteurs publics et privés se heurtent rapidement aux clôtures-même du technopôle : il y a ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui sont à l’extérieur. Le développement du concept, théoriquement plus ouvert, de technopôles urbains (comme Château-Gombert) n’a pas pleinement répondu à cette difficulté.

Le campus de la faculté des sciences et du sport à Luminy, en bordure des Calanques (photo © Gomet)

Le second problème est que les technopôles n’ont pas réussi (à quelques exceptions près) à attirer un financement suffisant pour le développement de leurs entreprises. D’ailleurs, même aujourd’hui, si en France comme en Europe, la valeur des investissements en capital-risque a triplé en 10 ans, le fossé continue de se creuser avec les États-Unis où cet effort est plus du triple de celui de toute l’Europe et se concentre particulièrement sur les zones technologiques peu nombreuses, hébergées sur une dizaine d’États seulement. De plus, la part du capital-risque consacrée à l’innovation scientifique et technologique est inférieure à 50 % en Europe et supérieure à 85 % aux USA. Et la seule Silicon Valley concentre 20 à 25 % de tout l’investissement capital-risque américain en matière d’innovation…

Les politiques locales sont aussi parfois contestées : concernant les technopôles français, si les opérations foncières à maîtrise publique ont été déterminantes, elles ont été bien souvent, pour des raisons de rentabilité à court terme, alimentées par des opportunités de relocalisations d’entreprises existantes au détriment de l’aide aux startups. Même si les lieux d’hébergement dédiés (espaces de coworking, pépinières, incubateurs, accélérateurs) se multiplient, la fragmentation existe et elle n’est pas toujours favorable à l’innovation.

Les technopôles ne pouvaient donc répondre seuls au défi de l’innovation. D’ailleurs, les acteurs eux-mêmes l’avaient bien compris. En Provence, il y aurait eu place à un technopole marin et portuaire ou à un autre dans le domaine de l’aéronautique. Ces deux secteurs étaient développés, dynamiques, localisés et avaient besoin d’innovation. Mais dès les années 2000, le vent avait tourné. Le développement de réseaux, de nouveaux pôles, non localisés semblait plus prometteur.

J. Bx.

Aux grands hommes, Carcassonne reconnaissante…

4 mars 2024

Il n’y a pas qu’à Carnoux que les voisins sont vigilants. A Carcassonne, un riverain s’est étonné de la pose récente par la municipalité de deux nouvelles plaques orgueilleusement signées du logo prestigieux « Carcassonne – Patrimoine mondial » pour indiquer le nom de l’avenue Pierre Curie, une perpendiculaire à la RN 113, laquelle traverse la ville de part en part. L’un de ces deux nouveaux panneaux a d’ailleurs été mis en place pour remplacer l’ancien, jugé trop vétuste. Sauf que sur ces deux nouveaux panneaux installés par des agents municipaux, le nom du grand physicien français est orthographié de manière assez exotique « Pierre Curry ».

Une plaque de rue manifestement mal orthographiée à Carcassonne (source © Capture d’écran Facebook – Thierry Raynaud)

Notre voisin vigilant s’en est étonné et a signalé l’erreur sur son compte Facebook, déclenchant immédiatement une bronca des journalistes locaux toujours à l’affut d’une belle boulette. Contacté le samedi 24 février dans l’après-midi, le cabinet du maire indiquait ne pas être au courant. Mais dès 16h30, des agents des services techniques communaux étaient mobilisés, en dehors même des heures ouvrées, pour s’empresser de démonter les deux panneaux litigieux. Ce qui n’a cependant pas empêché la commune d’être la risée de tous les médias qui font depuis leurs gorges chaudes de ce petit loupé administratif.

Sans compter les réseaux sociaux qui s’en donnent à cœur joie, telle cette internaute qui réagit ainsi à la photo publiée sur Facebook : « C’est épicé : ça pique les yeux ! », tandis qu’un autre s’amuse : « Et Marie Basmati, alors ? »

Le curry, un mélange d’épices inventé par les colons britanniques de la Compagnie des Indes et qui agrémente largement la cuisine du sous-continent indien et très au-delà… (photo © Divya Kudua / Flickr)

Les services techniques de la Ville de Carcassonne ne sortent certes pas grandis de ce petit loupé peu glorieux qui laisse entendre que le recrutement de ses agents gagnerait à être plus exigeant en matière de maîtrise de la culture générale. Il est vrai que le physicien Pierre Curie, pas plus d’ailleurs que son homonyme culinaire qui désigne de multiples préparations épicées issues plutôt du sous-continent indien, n’est pas connu pour ses attaches locales dans le Carcassonnais. Né à Paris en 1859, il est décédé dans la même ville en 1906, d’un banal accident de la circulation, heurté malencontreusement par un camion hippomobile en voulant traverser la rue Dauphine.

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire à l’EMPCI, vers 1898 (source © Musée Curie coll. ACJC / Cote MCP80.02 / Université Paris sciences et lettres)

Alors responsable du laboratoire de physique de l’École municipale de physique et de chimie industrielle de la Ville de Paris, il épouse en 1895 une jeune thésarde polonaise qui ne s’appelait pas Marie Basmati mais Maria Sklodowska. Il abandonne alors ses brillantes recherches sur le magnétisme et travaille dès lors avec son épouse sur la radioactivité, l’aidant à traiter un stock d’une tonne de pechblende issu de Bohème, ce qui leur permet d’annoncer en 1898 la découverte de deux nouveaux éléments radioactifs, le polonium et le radium. Pierre Curie sera ainsi le premier à découvrir les potentialités de l’énergie nucléaire et à caractériser les différents rayonnements nucléaires.

En 1903, Pierre et Marie Curie reçoivent conjointement et avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique pour avoir réussi à déterminer la masse atomique du radium. Sa disparition tragique et brutale, alors qu’il venait d’être élu membre de l’Académie des Sciences en 1905, n’empêchera pas son épouse de poursuivre leurs recherches et de recevoir en 1911 un second prix Nobel, en chimie cette fois, pour sa découverte du polonium et du radium.

Marie Curie dans le laboratoire de la rue Cuvier vers 1913 (source © Henri Manuel / Musée Curie – coll. ACJC / Le journal du CNRS)

Elle codirige le nouvel institut du radium qui ouvre ses portes en 1914 rue d’Ulm et qui porte depuis son nom, et se mobilise avec toute son équipe durant la Première guerre mondiale en concevant des unités chirurgicales mobiles passées à la postérité sous le nom de « petites Curies ». Après la guerre, la découverte des vertus thérapeutiques du radium dans le traitement contre le cancer vaut à son institut une renommée mondiale. Atteinte de leucémie, elle meurt en 1934 mais sa fille, Irène Joliot-Curie reprend le flambeau et recevra en 1935 à son tour le prix Nobel de physique avec son mari, Frédéric Joliot, pour leurs travaux sur la radioactivité. Pierre et Marie Curie reposent depuis 1995 au Panthéon.

Une renommée mondiale incontestable donc, mais qui n’est manifestement pas arrivée aux oreilles de certains employés municipaux de la bonne ville de Carcassonne, probablement plus portés sur les vertus gustatives de la cuisine orientale : chacun ses centres d’intérêt !

L. V.

Grotte Loubière : les chauves-souris de retour ?

28 février 2024

C’est un article publié par Marsactu, mardi 27 février 2024, qui le signale : la Ville de Marseille vient tout juste de lancer une consultation pour une mission de « maîtrise d’œuvre en vue de la renaturation de la Grotte Loubière en faveur des chiroptères ». Un énoncé un peu sibyllin mais qui a aussitôt attiré l’attention, au point que le Figaro a repris dès le lendemain l’information à l’échelle nationale après en avoir vérifié la source auprès de Christine Juste, adjointe au Maire de Marseille en charge de l’environnement, de la lutte contre les pollutions, de l’eau et l’assainissement, de la propreté de l’espace public, de la gestion des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et de l’animal dans la ville, rien que ça… Avec ces galéjades de Marseillais, on n’est jamais trop prudent, et il vaut mieux vérifier ses sources deux fois qu’une !

L’état actuel de l’entrée de la grotte Loubière bouchée par des enrochements, ici en avril 2023 (photo © CPC)

Mais en l’occurrence, l’adjointe au Maire l’a bien confirmé : cette grotte située dans le massif de l’Étoile à quelques 2 km de Château-Gombert, a été identifié comme un ancien site de reproduction particulièrement favorable pour deux espèces de chauves-souris dont le Minioptère de Schreibers, sur les 23 espèces recensées dans les Bouches-du-Rhône, sans compter les deux espèces qui ont d’ores et déjà disparu, à savoir le Rhinolophe de Méhely et le Rhinolophe euryale. Car les colonies de chauves-souris font partie des espèces grandement menacées, victimes de l’urbanisation, de la destruction de leurs refuges traditionnels, de la pollution visuelle nocturne mais aussi et surtout des ravages faits par les pesticides.

Les chauves-souris bientôt de retour dans la grotte Loubière ? (photo © Benoît Morazé / Conseil départemental des Bouches du Rhône)

Une chauve-souris est en effet un véritable aspirateur à insectes qui dévore chaque nuit de l’ordre de 30 à 50 % de son propre poids et est donc particulièrement sensible aux effets des insecticides utilisés pour notre confort et pour la protection des cultures. En Camargue, où l’on estime à un peu plus de 10 000 la population de chauves-souris encore présentes, ce sont donc environ 40 kg, soit 6 à 10 millions de moustiques qui sont ainsi dévorés chaque nuit, soit de l’ordre de 2 milliards de moustiques qui finissent chaque année dans le ventre de ces précieux auxiliaires !

La grotte Loubière, éloignée de toute habitation, en plein massif de l’Étoile, paraît effectivement être un site intéressant pour ces chauves-souris qui ont de plus en plus de mal à trouver des refuges adaptés à leurs besoins. Mais l’entrée de cet ancien abri sous roche a été muré par de gros enrochements en mars 1989 et n’est plus accessible depuis. L’idée serait donc de réaménager les accès à la grotte et de rendre celle-ci plus propice à la fréquentation des chiroptères, après avoir nettoyé l’intérieur de certains aménagements artificiels.

Entrée de la Baume Loubière dans son état naturel avant qu’elle ne soit fermée par les services de la Ville de Marseille (source © Tourisme in Marseille)

Car cette grotte a connu bien des vicissitudes depuis sa découverte qu’on attribue à un certain J. Simonet, lequel a inscrit sur une stalactite son nom et la date de ses premières explorations, en 1829. Mais il n’est bien évidemment pas le premier humain à y avoir pénétré, loin s’en faut ! Dès 1893, une communication scientifique signée par E. Fournier et C. Rivière et présentée à la Société d’anthropologie de Paris, fait état d’importantes découvertes archéologiques attribuées au Néolithique, effectuées à faible profondeur dans le sol de la grotte : couteaux, racloirs, grattoirs, poinçons en os, tessons de poteries et éclats de silex y ont été retrouvés en nombre, témoignant que cette cavité souterraine s’ouvrant par un large porche bien exposé a été un abri très prisé de nombre de nos ancêtres.

Plan de la grotte Loubière dressé en 1899 (source © Gombertois)

A l’époque, les deux scientifiques décrivent en détail les principales salles de cette cavité karstique naturelle creusée dans le calcaire urgonien du massif et croient nécessaires de démentir au passage la rumeur que les galeries s’enfoncent jusqu’à rejoindre la ville d’Aix-en-Provence ! Mais en 1898, un drame se produit : on retrouve dans la Baume Loubière le corps sans vie d’une fillette violée et assassinée. Il faudra d’ailleurs attendre 1915 pour connaître le nom de son meurtrier, un berger des environs, qui soulage sa conscience avant de mourir, de quoi inspirer le romancier marseillais, Jean Contrucci, qui en a tiré une nouvelle enquête de son héros, Raoul Signoret, dans son ouvrage titré L’affaire de la Soubeyranne.

Ce fait divers fait tellement de bruit à l’époque que les autorités décident illico de murer les entrées de la grotte. Mais en 1930, une société privée décide d’investir dans l’exploitation touristique de la Baume Loubière et entreprend alors des travaux pour aménager un circuit de visite. A l’époque, on ne faisait pas dans la dentelle et les déblais de terrassement sont purement et simplement jetés à l’entrée où un archéologue, Georges Daumas, entreprend en 1931 quelques observations sommaires. Il découvre notamment une hache en serpentine polie, de nombreux colliers de coquillages et des fragments d’ustensiles ménagers qui lui permettent d’affirmer que cette grotte, spacieuse, facile à défendre et possédant d’abondantes réserves d’eau constitue la plus importante station préhistorique des environs de Marseille à l’âge de la Pierre polie.

État actuel de la grotte Loubière visitée en mai 2020 par des amateurs d’exploration urbex (extrait capture vidéo © YouTube)

En 1936, M. Dujardin-Weqer, membre de la Société de Géographie et de Spéléologie y fit la découverte d’un squelette préhistorique d’Homo-sapiens. Mais l’exploitation touristique de la grotte ne permit jamais de la fouiller correctement. A la fin des années 1980, le restaurant avec piscine, installé à l’entrée de la grotte connait une forte fréquentation : on y organise des mariages et des fêtes avec visite de la grotte qui se transforme de fait en boîte de nuit. Cette fréquentation perdura jusqu’en 1989, date à laquelle la mairie décide de fermer purement et simplement l’entrée de la grotte avec des grilles puis de gros blocs de pierres encore renforcés en 2021 pour éviter tout risque d’intrusion. Le restaurant quant à lui est resté encore ouvert quelques années jusqu’en 1994 avant d’être abandonné, puis squatté et finalement rasé.

L’avenir dira si ce lieu chargé d’histoire mais bien malmené au cours du dernier siècle, retrouvera un jour sa quiétude pour servir d’abri aux chauves-souris avant que celles-ci ne finissent par disparaître totalement…

L. V.

Russie : Poutine réécrit l’Histoire et tend les frontières

26 février 2024

Le président russe Vladimir Poutine, ancien officier du KGB au pouvoir depuis le 31 décembre 1999, il y a donc bientôt un quart de siècle, s’apprête à se faire réélire pour un nouveau mandat présidentiel lors des prochaines élections prévues du 15 au 17 mars 2024. Une simple formalité, jouée d’avance, surtout après le décès suspect au goulag, de son seul opposant politique déclaré, Alexei Navalny, déclaré mort par les autorités russes le 16 février 2024, un mois avant l’échéance électorale.

Pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, il y a tout juste 2 ans, Vladimir Poutine vient de se livrer à un exercice peu fréquent en acceptant de se faire interviewer, au Kremlin, le 6 février dernier, par un journaliste occidental, en l’occurrence l’Américain Tucker Carlson, ex-animateur de Fox News et proche de Donald Trump. Une interview qui a en réalité tourné au monologue, le journaliste laissant le président russe déployer sa propagande, avec notamment un argumentaire de 23 minutes sans interruptions, au cours duquel Poutine a largement réécrit l’histoire de l’Ukraine, présentée comme le berceau de l’empire russe et un État totalement artificiel, manipulé par les volontés expansionnistes de l’OTAN et que la Russie s’emploie actuellement à dénazifier.

Le président russe Vladimir Poutine face au journaliste américain Tucker Carlson, au Kremlin, le 6 février 2024 (photo © President of Russia Office / Apaimages / SIPA / 20 minutes)

Vladimir Poutine n’a pas hésité pour cela à remonter jusqu’au IXe siècle, à l’époque où se met en place l’État de la Rus’, qui englobe le nord de l’Ukraine actuelle, la Biélorussie, et une petite partie occidentale de la Russie. Sa démonstration pseudo historique lui a d’ailleurs attiré un petit rappel à l’ordre de la part de l’ancien président de la Mongolie, Tsakhia Elbegdorj, qui s’est permis de lui rappeler, cartes à l’appui, que ses ancêtres Mongols, à la suite d’ailleurs des Tatars, envahirent au XIIIe siècle l’essentiel de ce territoire et fondèrent un des plus vastes empires du monde.

L’expansion de l’empire russe et son extension maximale en 1914 (source © L’Histoire)

Il fallut alors aux Russes attendre 1462 pour reconquérir Moscou et sa région, et finalement l’avènement de Pierre-le-Grand, au XVIIIe siècle pour que l’empire russe débute son expansion territoriale qui a marqué son apogée à la veille de la Première guerre mondiale. Le fait que la Russie ait alors fortement perdu de son emprise territoriale à la suite de la révolution bolchévique de 1917 et de la guerre civile qui s’en est suivie, est de fait soigneusement occultée par le pouvoir actuel qui a une fâcheuse tendance à vouloir réécrire l’Histoire.

Une scène de la guerre du Caucase, peinte par Franz Roubaud, une guerre coloniale menée par l’Empire russe entre 1775 et 1864 (source © Areion24)

La démarche n’est pas nouvelle et Staline avant Poutine l’a pratiqué à grande échelle. Mais elle est désormais institutionnalisée depuis la réforme constitutionnelle de 2020 qui a permis, outre le maintien au pouvoir de Vladimir Poutine jusqu’en 2036, d’acter le devoir impérieux de « défendre la vérité historique » et de « protéger la mémoire de la Grande Guerre Patriotique » qui désigne pour les Russes la Seconde guerre mondiale. Selon le discours officiel, ceux qui s’écartent du narratif officiel sont « les équivalents modernes des collaborateurs nazis ». Sous le régime de Poutine, on ne fait pas dans la dentelle et on ne s’encombre guère des nuances qui font toute la richesse de l’analyse historique… Pour le Kremlin évoquer le pacte germano-soviétique de 1939, le massacre de Katyn auquel se sont livrés les Russes contre des officiers polonais en avril-mai 1940, ou encore la présence de hauts dignitaires nazis sur la place Rouge pour le défilé militaire du 1er mai 1941, et surtout l’occupation brutale des pays d’Europe de l’Est par les forces armées soviétiques après 1945, relève de la provocation et du révisionnisme antipatriotique.

Parade militaire sur la place Rouge à Moscou le 7 novembre 2019, en souvenir du départ des troupes russes en novembre 1941 pour contrer l’invasion allemande suite à la rupture du pacte germano-soviétique (photo © Dimitar Dilkoff / AFP / L’Express)

Une position qui répond manifestement à l’attente d’une majorité de la population qui cherche à renouer avec la grandeur passée de l’Empire Russe, et que le pouvoir de Vladimir Poutine entretient consciencieusement. En 2009 a ainsi été créée la Commission présidentielle de la Fédération de Russie de lutte contre les tentatives de falsifier l’histoire, puis en 2012 la Société historique militaire russe, destinées à entretenir au sein de la population une vision historique glorieuse et quelque peu biaisée de l’histoire du pays, dans l’optique d’accréditer l’idée que les Russes ont besoin d’un pouvoir fort, héritier d’une tradition militaire conquérante.

De nouvelles lois mémorielles ont été promulguées qui pénalisent non seulement l’apologie du nazisme mais simplement « l’irrévérence envers les symboles de la gloire militaire russe, le fait de répandre des informations qui manquent de respect envers les jours fériés liés à la défense du pays, ou le fait de diffuser consciemment des fausses informations sur les activités de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ». Un arsenal législatif qui a été notamment utilisé pour condamner des internautes qui s’émouvaient des interventions militaires russes en Syrie ou en Crimée.

Soldats russes en répétition avant le défilé militaire prévu le 9 mai 2022 sur la place Rouge à Moscou (photo © Maxim Shipenkof / EPA-EFE / Ouest France)

La guerre de conquête et d’annexion que mène actuellement la Russie en Ukraine s’inscrit assez clairement dans cette volonté expansionniste que Catherine II elle-même avait exprimée dès la fin du XVIIIe siècle, déclarant alors « je n’ai d’autres moyens de défendre mes frontières que de les étendre ». Une analyse qui s’appuie sur une réalité géographique, faute de frontières naturelles à l’ancien Empire Russe, mais que ne renierait pas Vladimir Poutine, lui qui, en 2016, alors qu’il remettait des prix dans les locaux de la Société russe de géographie, reprenait un écolier qui énumérait avec brio les frontières actuelles du pays, le reprenait en ces termes : « Non, non les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ! ».

Etat actuel des relations frontalières de la Russie avec ses 14 voisins (source © Le Monde)

De fait, une infographie publiée récemment dans Le Monde et analysée notamment sur France Culture, met en évidence que sur les 20 000 km de frontières de la Russie actuelle, avec pas moins de 14 pays, une bonne partie fait l’objet de relations tendues. Seules la Chine, la Corée du Nord, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie (par où les troupes russes ont pénétré en Ukraine) entretiennent de bonnes relations stratégiques avec leur voisin russe. A l’ouest en revanche, et sans même parler de l’Ukraine en guerre, la frontière est désormais totalement fermée avec les pays baltes mais aussi avec la Pologne et même avec la Finlande depuis que cette dernière a pris peur et cherche la protection de l’OTAN. Même la Géorgie, qui dispose pourtant depuis 2022 d’un gouvernement ouvertement prorusse, s’inquiète du bellicisme de son voisin qui a purement et simplement annexé les deux enclaves d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il ne fait pas bon vivre trop près de la tanière de l’ours russe quand il sort de sa torpeur…

L. V.

Il y a 80 ans, le dernier épisode de la bataille de l’eau lourde

21 février 2024

Il arrive parfois que des événements historiques soient tellement rocambolesques qu’ils dépassent les meilleurs scénarios de fiction. Ils en deviennent par conséquent une source d’inspiration inépuisable pour les auteurs de thrillers et de films d’action. C’est le cas de ce qui est resté dans l’Histoire comme « la bataille de l’eau lourde ». Cet épisode a inspiré dès 1947 un premier film franco-norvégien du même nom, sorte de docu-fiction dans lequel la plupart des vrais protagonistes jouent leur propre rôle. C’est aussi la toile de fond du film sorti en 1965 et intitulé Les héros de Telemark, dans lequel jouait notamment Kirk Douglas, mais aussi de celui réalisé en 2003 par Jean-Paul Rappeneau et intitulé Bon voyage. Une série norvégienne Les soldats de l’ombre, diffusée en 2015 en 5 épisodes, relate également en détail cette histoire qui a inspiré bien d’autres auteurs…

Extrait de la série norvégienne Heavy Water War : les soldats de l’ombre (source © Bulles de culture)

Pour se remettre dans le contexte, rappelons que les principes de la fission nucléaire, pressentis de manière théorique par Enrico Fermi et son équipe dès 1934, sont réellement décrits dans une publication cosignée par l’Allemand Otto Hahn, le 17 décembre 1938, lequel précise ensuite, début 1939, les résultats du bombardement d’un atome d’uranium par des neutrons. Le physicien danois Niels Bohr, alerté par les Autrichiens Lise Meitner, ancienne collaboratrice d’Otto Hahn, et son neveu Otto Frisch, évoque le sujet avec Albert Einstein, alors installé à Princeton après avoir fui l’Allemagne nazi.

Les physiciens Niels Bohr et Albert Einstein, ici en 1930 (source © P. Ehrenfest / Futura Science)

Ces scientifiques voient en effet se dessiner les impacts militaires d’une réaction de fission nucléaire qui dégage une énergie importante, au point qu’Albert Einstein, pacifiste convaincu, décide de cosigner le 2 août 1939 une lettre au président Roosevelt, l’alertant sur le risque d’une telle arme nucléaire sur laquelle travaillent les Allemands. On sait désormais que ces derniers n’ont jamais été en mesure d’aller au bout de ce projet mais qu’en revanche, les Américains en ont saisi rapidement l’intérêt et ont aussitôt créé l’Uranium Committe qui aboutira en 1942 au projet Manhattan puis à la première bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945. Au point que le physicien Albert Einstein regrettera publiquement avoir ainsi attiré l’attention du président américain…

En février 1939, c’est le Français Frédéric Joliot-Curie qui, avec Hans Halban et Lew Korwarski, démontre expérimentalement que la réaction en chaîne liée à la fission nucléaire peut se produire. Dès le mois de mai 1939, son équipe dépose plusieurs brevets qui sont, ni plus ni moins, que ceux du principe de la bombe atomique. Passé directement sous la houlette du ministère des armées alors que la France est d’ores et déjà en guerre avec l’Allemagne, Frédéric Joliot-Curie s’emploie à assurer l’approvisionnement de la France en uranium via un contrat avec l’Union minière du Haut-Katanga.

Frédéric Joliot (à gauche), Hans Halban et Lew Korwaski en 1933 (source © Wikipedia)

Mais il a aussi besoin d’eau lourde, dans laquelle les atomes d’hydrogène sont remplacés par son isotope, le deutérium, car cet élément est nécessaire pour contrôler la réaction en chaîne et éviter l’emballement en laboratoire. Les filières civiles des réacteurs nucléaires, dites à eau pressurisée, utilisent désormais de l’eau ordinaire comme modérateur de neutrons car ils fonctionnent avec de l’uranium enrichi, mais à l’époque, l’eau lourde est considérée comme le modérateur idéal pour limiter les collisions stériles avec l’uranium 238.

Il existe alors une seule usine au monde capable de produire de l’eau lourde, située à Vemork, en Norvège, et appartenant à la compagnie Norsk-Hydro, un opérateur d’hydro-électricité par ailleurs fabricant d’engrais azoté et qui a développé depuis 1935 la production commerciale d’eau lourde comme un sous-produit de son activité industrielle. En février 1940, le ministre français des armées, Raoul Dautry, organise donc une mission secrète et envoie des émissaires en Norvège pour négocier le rachat de la totalité du stock d’eau lourde disponible, soit 185 kg répartis dans 26 bidons. La Norvège est alors neutre mais l’Allemagne s’apprête à l’envahir et a été informée des projets français alors qu’elle-même souhaite s’approvisionner en eau lourde pour ses propres projets.

Salles d’électrolyse pour la production de l’eau lourde à l’usine de Vemork (source © Association du fort de Litroz)

Le précieux liquide est finalement rapporté en Écosse en mars 1940 après avoir été planqué dans la légation française à Oslo grâce à l’aide de résistants norvégiens. Rapatrié en France, le précieux chargement ne peut y rester suite à l’invasion allemande et le 18 juin 1940, Frédéric Joliot-Curie expédie à Londres ses deux précieux collaborateurs d’origine juive, Hans Halban et Lew Korwarski, qui parviennent à embarquer à Bordeaux à bord d’un navire charbonnier britannique, avec les bidons d’eau lourde et les brevets de la bombe atomique…

Mais ce n’est que la première manche de la bataille de l’eau lourde… Les Allemands ayant finalement envahi la Norvège contrôlent désormais l’usine stratégique de Vémork qui continue à produire de l’eau lourde et ils comptent bien s’en servir comme modérateurs à neutrons pour leurs expériences en vue de produire une bombe au plutonium. Alertés par la Résistance norvégienne, les services secrets britanniques décident de détruire l’usine.

Les résistants norvégiens en éclaireurs pour aller saboter l’usine, extrait du film La bataille de l’eau lourde, tourné en 1947 par Jean Dréville et Titus Vibe-Müller (source © L’heure de la sortie)

En octobre 1942, ils parachutent sur place 4 éclaireurs norvégiens, suffisamment loin de la zone pour ne pas être repérer. Ces derniers mettront d’ailleurs 15 jours pour rejoindre le site à ski et déclencher la seconde phase du plan qui consiste à envoyer 2 planeurs avec les commandos destinés à faire sauter l’usine. Lancée le 19 novembre 1942, l’opération est une succession de catastrophes. Les deux avions tracteurs et les planeurs s’écrasent les uns après les autres loin de leur cible et les seuls qui survivent aux crashs successifs sont capturés par les Allemands qui les exécutent : c’est un fiasco total, d’autant que les Allemands découvrent quelle était la cible et renforcent aussitôt la sécurité.

Les Anglais ne se découragent pas pour autant et préparent une nouvelle action. Ils larguent de nouveaux parachutistes qui rejoignent les éclaireurs restés sur place et le 27 février 1943, neuf d’entre eux parviennent à pénétrer dans l’usine grâce à un complice. Ils placent des charges sous les cuves à électrolyse et détruisent partiellement les installations ainsi qu’un stock de 500 kg d’eau lourde, parvenant même à s’échapper et à rejoindre la Suède après un périple de 400 km à ski en plein hiver !

Mais la production reprend et en novembre 1943, les Britanniques décident de renouveler l’opération. Cette fois, ils ne font pas dans la dentelle et envoient une véritable armada de 143 forteresses volantes pour un bombardement massif de l’usine. Le raid aérien est un échec total : les bombes ratent totalement leur cible et font 21 victimes civiles : un véritable désastre…

Le ferry D/F Hydro à l’embarcadère du lac Tinnjå en 1942 (source © Le Populaire)

Face à un tel acharnement, les Allemands décident de rapatrier en Allemagne le précieux stock d’eau lourde qui est alors de 16 tonnes. Le 19 février 1944, les bidons sont chargés discrètement dans un ferry, le D/F Hydro pour leur faire traverser le lac Tinnsjå. Mais les résistants norvégiens ont eu vent de l’opération et deux d’entre eux parviennent à s’introduire dans le bateau transbordeur pour y placer des charges explosives. Le bateau appareille au matin du dimanche 20 février 1944 et coule au milieu du lac par 430 m de fond. Son épave sera d’ailleurs retrouvée par un sous-marin en 1993 et des prélèvements ont même été effectués dans les bidons qui se trouvaient à bord, confirmant qu’il s’agissait bien d’eau lourde.

Il semble néanmoins que les Allemands s’étaient méfiés et ont pu malgré tout rapatrier à Berlin l’essentiel du stock du précieux liquide qui a ainsi été au cœur d’une lutte sans merci pendant tant d’années, alors que l’on sait maintenant qu’il n’a manifestement pas suffi au régime nazi pour mener à bien son propre programme de bombe atomique…  

L. V.

Renaissance du RPR : et de deux !

19 février 2024

Décidément, les hommes politiques français de droite ont la tête dans le rétroviseur et cherchent continuellement dans le passé des références plus ou moins glorieuses pour attirer le chaland. On a vu ainsi le parti présidentiel pourtant « en marche » depuis sa création en avril 2016 par Emmanuel Macron, décider brusquement de changer de nom en avril 2022 pour devenir le parti « Renaissance », une référence directe à une période historique un peu datée puisqu’elle a été initiée en Italie au XVe siècle et est classiquement considérée comme la fin du Moyen-Âge. Son nouveau président d’honneur, toujours le même Emmanuel Macron en expliquait d’ailleurs ainsi l’ambition à l’occasion du congrès fondateur de ce nouveau parti, le 17 septembre 2022 : « Nous allons reconquérir ces terres qui ont abandonné la politique après qu’elle les a abandonnées ».

Des membres éminents du parti Renaissance lors de sa soirée de lancement, le 17 septembre 2022 (photo © Julien de Rosa / AFP / Challenges)

Une ambition qui évoque donc implicitement la Reconquista, cette reconquête militaire qui s’est étalée sur plusieurs siècles en Espagne et qui a abouti en 1492 à la chute du royaume de Grenade, dernier bastion aux mains des occupants issus du monde arabo-musulman qui, au VIIIe siècle, administraient la quasi-totalité de la péninsule ibérique. « Reconquête ! », tel est d’ailleurs le nom choisi par Éric Zemmour pour son nouveau parti créé fin 2021 et qui fait clairement référence à ce mouvement de la reconquête du territoire espagnol par les royaumes chrétiens du nord, principalement au cours du XIIIe siècle, bien avant donc l’épisode des rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.

Jacques Chirac transforme en 1976 l’UDR en Rassemblement pour la République, pour en faire une machine de guerre électorale à son profit (source © AFP / La Dépêche)

Et voilà qu’une partie de la droite politique française se met à avoir la nostalgie du RPR, le Rassemblement pour la République, ce mouvement que Jacques Chirac avait créé en 1976 après avoir brusquement démissionné de son poste de Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et après avoir pris la tête, deux ans plus tôt, de l’UDR, cet ancien parti gaulliste. Devenue une formidable machine de guerre électorale, le RPR avait servi les intérêts de Jacques Chirac et de bien des barons locaux du chiraquisme jusqu’à sa transformation, en 2002, en UMP, l’Union pour la majorité présidentielle, pour les besoins de la campagne présidentielle du même Jacques Chirac, après le choc qu’avait constitué la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles.

Mais le RPR a remporté tellement de succès politiques que nombreux à droite sont nostalgiques de cette étiquette. A commencer par Marine Le Pen qui, en 2017 avait chargé un de ses amis de racheter la marque, avec dans l’idée de l’utiliser pour tourner la page du Front national hérité de son père, avant de préférer finalement opter pour le Rassemblement national. L’acronyme n’est pas perdu pour autant et il a été repris en 2022 par Franck Allisio qui se targue donc depuis cette date d’être le nouveau président du RPR, issu lui-même des rangs LR, Les Républicains, le nouveau nom que Nicolas Sarkozy avait voulu donner à l’UMP en 2015, lors de sa tentative de come-back, pour faire oublier son échec à la présidentielle de 2012 et surtout le naufrage de l’affaire Bygmalion et de son trucage délibéré de ses comptes de campagne qui lui valent d’ailleurs une nouvelle condamnation en appel à 6 mois de prison ferme.

Éric Le Dissès et Franck Allisio annoncent en juin 2023 la création de leur nouvelle association dénommée RPR (photo © A. L. / La Provence)

Élu député en juin 2022 dans la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône sous l’étiquette du RN, Franck Allisio a donc annoncé en grandes pompes, le 23 juin 2023, aux côtés du maire LR de Marignane, Éric le Dissès, la transformation du RPR en une nouvelle association d’élus de droite (très à droite !) dont la charte graphique et le logo en forme de croix de Lorraine rappellent furieusement les référence de l’ex RPR gaulliste de Chirac et Pasqua…

Une tentative de récupération qui n’a pas beaucoup plus à droite, dans les rangs de ceux qui se réclament du chiraquisme… Renaud Muselier, toujours aussi excessif, a immédiatement hurlé à l’imposture, accusant les deux compères de crime de lèse-majesté, eux qui ont osé reprendre comme symbole la croix de Lorraine du Général de Gaulle qui, à l’entendre serai un don de son propre grand-père à la France. Il est vrai que le vice-amiral Émile Muselier, déjà à la retraite, avait rejoint le Général de Gaulle à Londres dès le 30 juin 1940 et avait alors été chargé de créer les Forces françaises navales libres qu’il dirigea jusqu’en 1942 avant de démissionner du Comité national de libération national puis de rejoindre le général Giraud à Alger en 1943 où il est relevé de ses fonctions quelques mois plus tard.

Renaud Muselier, ici dans l’émission Les quatre vérités sur France 2 Télématin le 30 juin 2023 (source © France TV)

Le président de la région PACA ne perd naturellement jamais une occasion de rappeler ce brillant passé de son grand-père, laissant entendre que cela fait nécessairement de lui-même le premier des gaullistes et le dernier rempart de la nation contre les errements du Rassemblement national. Une posture qui ne l’a pourtant pas empêché de claquer violemment la porte des LR pour rejoindre le parti d’Emmanuel Macron qui n’a pourtant rien de gaullien mais qui a l’avantage d’être au pouvoir.

Toujours est-il que ce même Renaud Muselier vient de publier un manifeste signé par 77 élus locaux de son entourage qui acte la création du RPR sud, comme l’a relayé le Figaro le 14 février 2024. Ce tout nouveau RPR vient donc faire concurrence à celui relancé en juin 2023 par Franck Allisio et qui vient tout juste d’ouvrir une antenne dans le Vaucluse, coordonnée par Marc Jaume, un conseiller municipal LR de Carpentras et qui avait invité pour l’occasion la député RN d’Avignon, Catherine Jaouen. C’est donc en réaction que Muselier et ses amis, parmi lesquels Martine Vassal, Christian Estrosi ou encore le député Lionel Royer-Perreaut, viennent de (re)créer leur propre RPR, le Rassemblement pour la Région et de déposer à leur tour la marque RPR.

Renaud Muselier à l’occasion d’une réunion de son micro parti Cap sur l’Avenir, le 18 janvier 2023 (photo © Julie Rampal-Guiducci / GoMet)

Ce n’est pas un parti puisque Renaud Muselier a déjà le sien, intitulé Cap sur l’Avenir, et d’ailleurs personne ne sait très bien à quoi sert ce RPR bis sinon à contrer l’initiative du RN qui s’est ainsi approprié un sigle depuis longtemps tombé en désuétude mais qui d’un seul coup reprend un attrait inattendu auprès de ces nostalgiques de Jacques Chirac. C’est d’ailleurs ainsi que le présente le manifeste qui affirme, de manière quelque peu grandiloquente : « Nous sommes entièrement déterminés à défendre le sens historique, remarquable, de ce sigle ancré dans l’histoire de notre pays (…), qui ne faisait aucune concession à l’extrême droite ». Un bien noble combat pour des valeurs tellement profondes que l’initiative risque de laisser pantois le citoyen lambda qui se souvient peut-être qu’en 1986 le RPR n’avait pas ces pudeurs de violette pour s’allier ouvertement avec le Front national d’alors et s’octroyer ainsi la présidence de plusieurs conseils régionaux dont celui de PACA.

Un épisode que Renaud Muselier a sans doute oublié, n’étant pas encore élu à cette époque, lui qui vise simplement avec ce RPR bis dont il se vante d’avoir acquis la propriété intellectuelle, les prochaines élections régionales, prévues en 2028 seulement, mais pour lesquelles il a déjà choisi le nom de sa future liste qui s’appellera donc RPR Sud. A défaut de programme, voilà qui devrait séduire son électorat…

L. V.

Des législatives mouvementées au Pakistan

11 février 2024

On votait au Pakistan ce jeudi 8 février 2024, pour élire les 336 membres de l’Assemblée nationale de cette république islamique, coincée entre l’Inde, la Chine, l’Iran et l’Afghanistan. Créé en 1947 d’une partition de l’Inde, suivie d’émeutes sanglantes qui ont fait plusieurs centaines de milliers de morts, avant d’être amputé en 1971 de sa partie occidentale devenue le Bengladesh, le Pakistan fait partie de ces pays à la vie politique mouvementée. Les épisodes démocratiques qu’il a connus ont été marqués par une forte instabilité politique avec, par exemple, 7 Premiers ministres qui se succèdent entre 1947 et 1958, et ont été entrecoupés par trois coups d’État militaires, avec une armée toute puissante qui fait et défait les gouvernements.

Le général Pervez Musharraf, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1999 (source © AFP / la Tribune de Genève)

Le dernier putsch militaire en date est celui conduit par le général Pervez Musharraf en 1999, qui destitue le Premier ministre d’alors, Nawaz Sharif. L’armée reste au pouvoir jusqu’en 2008, confrontée à des insurrections violentes des talibans dans le Nord-Ouest du pays, puis à un mouvement de contestation populaire animé par des avocats et des juges. L’ancienne Première ministre Benazir Bhutto ayant été assassinée en 2007, son mari accède à la Présidence de la République en 2008 mais en 2013 c’est son rival de la Ligue musulmane, Nawaz Sharif, qui revient au pouvoir pour la troisième fois. Inculpé par la Cour suprême pour corruption et évasion fiscale, il doit quitter le gouvernement en 2017…

L’ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan, désormais en prison, ici en juin 2021 (photo © Saiyna Bashir / Reuters / Paris Match)

A l’issue des dernières législatives en 2018, c’est un ancien joueur international de cricket, Imran Khan, fondateur et président du PTI, le Mouvement du Pakistan pour la Justice, qui accède au poste de Premier ministre. Mais il est renversé dès 2022 et remplacé à son poste par Shehbaz Sharif, le propre frère de son prédécesseur ! Des centaines de cadres de son parti sont arrêtés par la police et plus de 100 procédures judiciaires sont lancées à son encontre pour le neutraliser. Il échappe le 3 novembre 2022 à une tentative d’assassinat par balles puis à plusieurs tentatives d’arrestations, avant d’être enlevé violemment par des paramilitaires en pleine salle d’audience du tribunal, le 9 mai 2023. Il croupit depuis en prison et a été encore condamné le 30 janvier 2024 à 10 ans de prison et 5 ans d’inéligibilité, puis, le lendemain, à 14 ans de prison ferme supplémentaires !

Partisans de l’ancien Premier ministre Imran Khan à Islamabad le 8 février 2024 (photo © Charlotte Greenfield / Reuters / Le Monde)

Non seulement Imran Khan n’avait pas la possibilité de se présenter lors de ces élections législatives du 8 février 2024, mais son parti n’était pas autorisé non plus à concourir, ce qui obligeait ses candidats à se présenter comme indépendants. L’un d’entre eux a par ailleurs été assassiné en pleine campagne électorale, au cours de laquelle la police a attaqué certains meetings du PTI, procédant à de multiples arrestations arbitraires.

Une ambiance délétère qui s’explique en partie par l’état alarmant du pays, exposé au risque d’un défaut de paiement de la dette extérieure et qui a subi entre juin et octobre 2022 des inondations catastrophiques ayant affecté plus de 33 millions d’habitants et causé au moins 1700 morts et la destruction de plus de 250 000 maisons. Dans ce pays très jeune, où 50 % de la population a moins de 22 ans, les perspectives économiques ne sont guère encourageantes avec un taux d’inflation qui dépasse les 40 % et des difficultés d’approvisionnement en céréales du fait de la guerre en Ukraine.

Policiers pakistanais en faction devant un bureau de vote à Peshawar le 8 février 2024 (photo © Fayaz Aziz / Reuters / Le Monde)

Pas étonnant, dans ce contexte, que les élections du 8 février 2024 aient été émaillées de multiples incidents. Plusieurs attentats à la bombe et des fusillades ont éclaté près de bureaux de vote. Des membres des forces de l’ordre ont été tués et les irrégularités du scrutin semblent particulièrement nombreuses. Surtout, le scrutin a été marqué par une absence totale de réseau de téléphone mobile et d’internet, officiellement pour cause de panne, mais en tout cas de nature à perturber fortement les opérations de contrôle.

Sous prétexte de cette panne de réseau, il a fallu attendre longuement pour connaître les premiers résultats du vote, dont la sincérité est jugée douteuse par de nombreux observateurs. Alors que le parti de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, opportunément rentré de son exile londonien en octobre 2022, était donné comme largement vainqueur, ses partisans ne remportent que 71 sièges contre 100 aux candidats du PTI d’Imran Khan. Mais ceux-ci ne pourront prétendre à diriger le gouvernement puisqu’ils se présentaient de fait comme indépendants. Leurs résultats ne sont pas non plus pris en compte pour l’attribution, à la proportionnelle, des 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités, encore une spécificité du mode de scrutin pakistanais…

Nawaz Sharif, qui pourrait bien être, de nouveau et pour la quatrième fois, Premier ministre du Pakistan à l’issue de ces élections (photo © AFP / NDTV)

L’inoxydable et très libéral Nawaz Sharif a donc d’ores et déjà prononcé son discours de victoire, avant même la proclamation définitive des résultats électoraux, tendant la main à d’autres partis, y compris le Parti du Peuple Pakistanais de Benazir Bhutto, qui a fait un score très honorable avec au moins 53 élus. Le Pakistan risque donc d’être gouverné par une alliance un peu contre nature, destinée à barrer le chemin à l’ancien joueur de cricket qui risque fort de finir ses jours en prison. La politique au Pakistan est loin d’être un long fleuve tranquille…

L. V.

Cerexagri, l’usine qui enfume les voisins

8 février 2024

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le passé industriel très actif de Marseille n’est pas complètement mort, lui qui a laissé de multiples stigmates avec ses innombrables terrils riches en métaux lourds qui jonchent encore le littoral en bordure du Parc national des Calanques et dont la dépollution reste un casse-tête. La production d’alumine, à partir de la bauxite locale, a contribué à la richesse locale avec un site majeur de production à Saint-Louis des Aygalades mais aussi de multiples dépôts de boues rouges, résidus de cette production industrielle et dont on ne sait plus très bien que faire désormais.

Mais il subsiste encore sur le territoire de Marseille quelques sites industriels majeurs toujours en activité, parmi lesquels l’usine Arkema à Saint-Menet, toujours en activité depuis 1954 et classée site Seveso seuil haut, dont le plan particulier d’intervention, révisé récemment, s’étend désormais jusqu’à la commune de Carnoux qui pourrait être sérieusement touché en cas de fuite massive de chlore par temps de Mistral.

Usine Arkema à Saint-Menet, source de risque industriel majeur pour l’Est marseillais (photo © Georges Robert / La Provence)

Un autre site industriel majeur, implanté depuis 1983 dans le quartier de Saint-Louis des Aygalades, fait aussi parler de lui pour ses nuisances environnementales. Il s’agit de l’usine Protec Métaux Arenc, rachetée récemment par Satys, et spécialisée dans la fabrication de peintures spéciales pour l’aéronautique. En 2013, des fuites de chrome VI, une substance toxique fortement cancérigène et mutagène, ont été repérées fortuitement dans le tunnel ferroviaire de Soulat situé en contrebas, à 400 m de là. Les investigations, qui n’ont été rendue publiques qu’en 2019, ont révélé que le produit avait provoqué une pollution majeure du ruisseau des Aygalades et persistait encore dans la nappe, ce qui a obligé les autorités à prendre des mesures drastiques d’interdiction d’utilisation des puits domestiques du secteur.

Entrée de l’usine PMA désormais Satys, implantée dans le quartier de Saint-Louis, à l’origine d’une grave pollution au chrome VI de la nappe et du ruisseau des Aygalades (source © Google Maps / Marsactu)

A ce jour, les travaux de dépollution, que l’industriel est mis en demeure d’engager depuis 2018, ne sont toujours pas réalisés même si des tests in situ ont bien été effectués en 2021 après le rachat du site par Satys. Il était question que l’usine déménage en 2023, pour s’installer dans une zone d’activité dédiée à Marignane, mais les riverains du secteur s’y sont bruyamment opposé et l’industriel a dû battre en retraite. L’usine et ses installations vieillissantes en pleine zone urbaine reste donc toujours en place à ce jour, freinant les travaux de dépollution qui peuvent difficilement être réalisés tant que l’activité de production se poursuit…

Portail de l’antenne marseillaise de Cerexagri au Canet (photo © Etienne Bonnot / Marsactu)

Et voilà qu’une autre usine marseillaise, défraie à son tour la chronique et fait les choux gras de Marsactu. Installée au Canet, entre l’autoroute A7 et la L2, à proximité immédiate des grandes tours de la cité Jean Jaurès, l’usine existe depuis 1909. A l’époque, les bâtiments, immenses cathédrales de béton armé aux toits voûtés, étaient exploités par les Raffineries Internationales de Soufre. Peu à peu, l’usine s’est retrouvée en pleine ville, encerclé d’immeubles d’habitations, de pavillons et même d’écoles. La production quant à elle s’est toujours poursuivie mais l’usine a changé de main et a été intégrée à Cerexagri, une filiale d’Arkema qui regroupe les activités agrochimiques issues de Total. L’usine continue à fabriquer du soufre destiné à être utilisé comme fongicide dans l’agriculture.

Les vastes salles voûtées du site marseillais de Cerexagri (source © AGAM)

Fin 2006, Arkema a cédé sa filiale Cerexagri dont le chiffre d’affaires était alors estimé à 200 millions d’euros avec ses trois usines de production situées, outre Marseille, à Bassens près de Bordeaux, et à Mourenz dans les Landes. L’heureux repreneur est le géant indien de l’agrochimie, le groupe UPL (United Phosphorus Ltd), l’un des cinq géants mondiaux des pesticides, présent dans 130 pays avec plus de 10 000 salariés dans le monde.

En mars 2010, un incendie s’était déjà produit dans les locaux de l’usine marseillaise de Cerexagri. Rapidement maîtrisé par les marins-pompiers, le feu avait néanmoins provoqué la formation d’un spectaculaire nuage de soufre qui s’était lentement dirigé vers les barres d’immeubles de la cite Jean Jaurès dont les habitants étaient aux premières loges pour bénéficier gratuitement d’une inhalation soufrée qui, semble-t-il n’avait pas fait de victime directe.

Site de l’usine Cerexagri (toitures blanches), entre l’autoroute A7 et la L2, en bordure de la cité Jean Jaurès et à côté de l’école Canet Jean Jaurès (source © Google Maps)

A l’époque, l’usine était classée site Seveso seuil haut, mais en 2021, les services de l’État ont accepté de le déclasser, actant le fait que les volumes de produits toxiques stockés sur place étaient désormais en dessous des seuils. La même année pourtant, un autre site de l’indien UPL faisait parler de lui en Afrique du Sud. Suite à des émeutes urbaines, un hangar de stockage de produits chimiques situé dans la zone portuaire de Durban avait été incendié, provoquant une grave contamination des plages voisines où les autorités ont dû interdire la pêche et la baignade. Selon France Info, l’enquête avait montré que la multinationale indienne n’avait pas les autorisations environnementales pour cette activité et il avait fallu retirer 13 000 tonnes de déchets toxiques et 24 000 m3 de liquides contaminés pour les enfouir en décharge contrôlée.

Incendie du site de stockage UPL près de Durban en juillet 2021 : une véritable catastrophe écologique (source © IOL)

C’est pourtant cette même année 2021, comme l’indiquent les révélations récentes de Marsactu, que la direction marseillaise de Cerexagri, profitant de l’assouplissement des exigences environnementales à son encontre, décide de modifier son procédé de convoyage de la poudre de soufre vers la chaine d’ensachage, en remplaçant son ancien dispositif mécanique par un système plus performant à air comprimé, qui permet de meilleurs rendements. Le seul (petit) inconvénient du nouveau process est qu’il rejette dans l’atmosphère un gaz éminemment toxique, mortel à fortes concentrations, l’hydrogène sulfuré H2S. Selon le Code du Travail, dès que la concentration de ce gaz dans l’air dépasse 5 ppm dans un espace confiné, la production doit être immédiatement stoppée. Or le nouveau dispositif génère des concentrations 30 fois supérieures !

Qu’à cela ne tienne : la direction fait installer en toute discrétion une seconde ligne d’échappement qui permet d’évacuer l’essentiel du gaz toxique à l’extérieur, juste au-dessus d’une porte par laquelle transitent les salariés du site. Cette installation n’étant pas déclarée, les services de contrôle mesurent les rejets à la sortie de l’échappement principal tandis que l’essentiel des rejets passe par l’échappement secondaire, ni vu ni connu…

Banderole sur l’usine Cerexagri de Bassens en 2021 à l’occasion d’un mouvement social (photo © Ezéquiel Fernandez / Radio France)

N’ayant pas été informés du stratagème, les salariés ne se doutent de rien sauf qu’ils sont régulièrement incommodés en passant près de l’endroit sensible, au point de finir par faire des mesures à l’aide de capteurs individuels, découvrant avec effarement que leur capacité de mesure est allègrement dépassée ! Une fois le pot aux roses découvert, les salariés déclenchent une alerte pour danger grave et imminent et décident de l’arrêt de l’activité. Cinq jours plus tard, des inspecteurs du travail se rendent sur place avec un expert et mettent en demeure la direction du site de mettre son installation en conformité, ce qui est fait une semaine plus tard, sans que l’on sache à ce jour si les rejets récurrents d’H2S à forte concentration ont pu avoir un impact sur les habitants des logements voisins dont les fenêtres donnent directement sur l’usine.

On apprend d’ailleurs à cette occasion qu’en 2023 déjà le même site industriel s’était fait rappeler à l’ordre par les services de l’État qui s’était rendu compte que l’usine rejetait directement dans le réseau pluvial, sans le moindre traitement, ses eaux de purges des chaudières, provoquant une atteinte grave à l’environnement. De quoi écorner quelque peu la réputation de la multinationale indienne dont la communication institutionnelle est portant fortement axée sur la sécurité et le bien-être de ses employés ainsi que sur le respect de l’environnement, un thème récurrent dans la bouche de bien des pollueurs !

L. V.

Un pigeon voyageur accusé d’espionnage…

6 février 2024

En ces temps troublés de tensions internationales et de conflits armés, les accusations d’espionnage ne sont pas à prendre à la légère. Un modeste pigeon voyageur vient d’en faire les frais. Capturé en mai 2023 à proximité des installations portuaires de Bombay, il avait été trouvé en possession d’un anneau à chaque patte, auquel était attaché un message écrit en chinois. Un comportement jugé éminemment suspect par les autorités indiennes, très chatouilleuses quant à la souveraineté de leur espace aérien national, et pas en très bons termes avec son voisin chinois avec qui les escarmouches ne sont pas rares. Le cas avait été jugé suffisamment sérieux par la police de Bombay pour qu’une enquête soit diligentée et le volatile placé en détention provisoire dans une clinique vétérinaire locale.

Incarcéré pendant 8 mois pour une accusation d’espionnage, les risques du métier de pigeon voyageur (source © Shutterstock / Peuple animal)

Après 8 mois d’enquête approfondie, il a néanmoins pu être établi que le pigeon en question participait en réalité à une compétition à Taïwan et qu’il s’était malencontreusement égaré sur le sol indien, comme l’a rapporté le Times of India. Même chez les sportifs de haut niveau, connus pour leur sens légendaire de l’orientation, une défaillance est toujours possible. Blanchi de toute accusation d’espionnage, le pigeon voyageur a donc été officiellement relâché par les autorités indiennes le 30 janvier 2024, au grand soulagement de l’association de défense des animaux Péta.

Le pigeon voyageur détenu depuis 8 mois pour accusation d’espionnage a enfin été relaxé et relâché, mardi 30 janvier 2024 (photo © Anshuman Poyrekar / AP / SIPA / 20 minutes)

Mais ce n’est pas la première fois qu’un pigeon se retrouve ainsi incarcéré dans les geôles indiennes pour un tel motif. En 2020 déjà, un pigeon voyageur appartenant à un pêcheur pakistanais avait été capturé par la police du Cachemire sous contrôle indien après avoir illégalement traversé la frontière fortement militarisée qui sépare les deux pays. Lui aussi avait pu être blanchi après enquête qui avait révélé que les inscriptions éminemment suspectes portées sur le message qui lui était attaché étaient en réalité le numéro de téléphone de son propriétaire, pour le cas où l’animal perdrait son chemin. Une sage précaution mais il faut dire que la police indienne est sur les dents et fait preuve d’une extrême méfiance envers les pigeons voyageurs.

Déjà en octobre 2016, la police des frontières indienne avait attrapé et incarcéré plusieurs volatiles de ce type dans la région de Pathankot, au Penjab. L’un d’eux portait accroché à la patte un message clairement menaçant, rédigé en ourdou et adressé au Premier Ministre : « Modi, nous ne sommes plus les mêmes qu’en 1971. Désormais, chaque enfant est prêt à combattre l’Inde ». Une allusion transparente au dernier conflit armé en date entre l’Inde et le Pakistan, qui avait abouti à la sécession du Bangladesh. Considéré comme un dangereux terroriste djihadiste, le pauvre volatile avait immédiatement placé sous les barreaux, de même qu’un autre de ses congénères dont les ailes portaient des inscriptions en ourdou. Chacune des plumes de ce dernier avait été passée aux rayons X par la police scientifique indienne et le suspect enfermé dans une cage surveillée par trois agents selon Le Monde qui rapportait l’incident, mais il semble finalement que le pigeon ait pu être relâché à l’issue de ces investigations.

De telles suspicions paraissent quelques peu démesurées mais les autorités indiennes rappellent à qui veut l’entendre que les pigeons voyageurs, placés entre les mains de terroristes déterminés, constituent une arme redoutable et que les Moghols, qui régnèrent sur une partie du sous-continent indien jusqu’au milieu du XIXe siècle, avaient experts dans l’art de dresser ces oiseaux. Ce n’était d’ailleurs pas les premiers puisque les pigeons voyageurs étaient déjà utilisés par les navigateurs égyptiens, 3000 ans avant notre ère, pour avertir de leur arrivée prochaine au port. Les Grecs en étaient également très friands et les employaient pour communiquer les résultats des Jeux Olympiques, bien avant que les médias internationaux ne se disputent leurs droits de diffusion mondiale.

Lâcher de pigeons (photo © Le Républicain Lorrain)

Les pigeons voyageurs possèdent de fait un sens de l’orientation aiguisé, lié peut-être à la présence de minuscules cristaux de magnétite dans leur cerveau qui leur permettraient de se guider sur le champ magnétique terrestre pour retrouver à coup sûr (ou presque) le chemin de leur colombier. Capables de parcourir rapidement des distances considérables, jusqu’à 1 200 km en 16 heures, avec des pointes à 120 km/h par vent favorable, certains sont restés célèbres pour leurs exploits comme celui qui a parcouru 11 590 km en 24 heures entre Saïgon et le nord de la France. Tout repose sur le fait que quelque soit l’endroit où on les lâche, leur principale préoccupation est de revenir au plus vite au bercail, auquel ils sont particulièrement attachés. Les mâles sont mus, paraît-il par le désir de retrouver leur conjointe et les femelles plutôt par celui de retrouver leurs petits, chacun ses motivations…

Un pigeon équipé avec ses bagues et les numéros de téléphone de contact (photo © Bernard Moiroud / Le Progrès)

Un pigeon peut ainsi aisément transmettre un message, attaché à sa patte, mais aussi un mini appareil de prise de vue, ce qui en fait des auxiliaires précieux pour aller discrètement survoler les lignes ennemies et rapporter quelques clichés stratégiques. Le limite du système est que le voyage ne fonctionne que dans un sens, toujours vers le colombier d’origine, ce qui suppose au préalable de transporter les précieux auxiliaires vers le point de départ des messages, et de ne pas l’y laisser trop longtemps de peur qu’il ne finisse par s’habituer à sa nouvelle demeure ! Les pigeons voyageurs ont ainsi servi à plusieurs reprises pour expédier des messages depuis les villes assiégées, depuis celle de Modène en 43 avant J.-C. jusqu’à celle de Paris en 1870.

Soldats lâchant des pigeons voyageurs munis de messages pendant la Première guerre mondiale (source © Rue des archives / PVDE / 1 jour 1 actu)

Pendant la Première guerre mondiale, l’armée française utilisa ainsi plus de 30 000 pigeons voyageurs pour assurer le service de messagerie aérienne en cas de défaillance (fréquente) des lignes téléphoniques. L’un d’entre eux fut même cité à l’Ordre de la Nation pour avoir vaillamment transporté l’ultime message du commandant Raynal, défenseur du Fort de Vaux à Douaumont en juin 1916. Pendant la Seconde guerre mondiale, ce sont pas moins de 16 500 pigeons qui sont parachutés sur le sol français par les alliés britanniques pour faciliter les transmissions avec la Résistance. L’armée française continue d’ailleurs d’entretenir une petite escouade de pigeons voyageurs au colombier militaire du Mont Valérien et il se murmure que la Chine entretient des dizaines de milliers de pigeons solidement entraînés pour assurer ses transmissions militaires en cas de défaillance technique : on n’est jamais trop prudent…

L. V.

Égypte : Alexandrie sous les eaux ?

19 janvier 2024

Avec le réchauffement climatique en cours, le niveau des océans monte, principalement sous l’effet d’un phénomène physique de base : un liquide qui s’échauffe se dilate. A cela s’ajoutent bien d’autres phénomènes dont une modification de régime des précipitations ou encore la fonte des glaciers et des calottes polaires qui rendent les choses plus complexes et risquent d’amplifier le mouvement. Toujours est-il que depuis 1880, toutes les observations confirment que le niveau des mers s’élève, et même de plus en plus vite. Entre 1901 et 2015, cette élévation moyenne avait été estimée autour de 1,7 mm par an. Sur la période 2006-2018, elle serait plutôt de l’ordre de 3,7 mm/ an, donc plus du double. Et les projections du GIEC annoncent une augmentation comprise, selon les scénarios, entre 5,2 et 12,1 mm/an pour la période 2080-2100.

L’élévation du niveau de la mer, un phénomène inéluctable déjà bien engagé (photo © Bruno Marty / INRAE)

Une étude récente publiée le 18 décembre 2023 par trois chercheurs de l’Institut national de géophysique et de volcanologie, basés à Bologne et à Rome, s’attache à suivre les mouvements du niveau de la Méditerranée à partir des données satellite qui enregistrent ces données en continu par visée radar et sont disponibles depuis 1996. Or ces données révèlent une hausse du niveau relatif de la mer Méditerranée localement très supérieure car se cumulent non seulement l’élévation du niveau de la mer mais aussi l’enfoncement du sol sous l’effet des mouvements tectoniques toujours en cours.

L’effet de ces mouvements géologiques de subsidence varie fortement d’un point à un autre mais leur prise en compte modifie fortement l’impact de cette élévation du niveau de la mer : lorsque celle-ci monte en même temps que le sol s’enfonce, les effets en termes d’érosion du littoral ou de salinisation des terres, déjà bien visibles dans certaines régions comme la Camargue ou la presqu’île de Gien dans le Var, en sont décuplés ! Sur certaines stations de mesure, notamment dans le nord de l’Adriatique, on observe ainsi, dès à présent, des vitesses d’élévation relative de la mer par rapport au littoral qui atteignent 17 mm par an ! Inversement, à certains endroits, la côte se soulève comme c’est le cas des Champs Phlégréens près de Naples avec une élévation relative de 39 mm par rapport au niveau de la mer, malgré la hausse de ce dernier.

Principales plaines côtières du pourtour méditerranéen, directement menacées par l’élévation en cours du niveau des eaux (source © A. Vecchio et al., Environmental Research Letters)

Selon cette étude, les 19 000 km de côte méditerranéenne risquent néanmoins de subir une élévation relative moyenne du niveau de la mer plus importante que celle imaginée par le GIEC dont les projections ne tiennent pas compte de ces mouvements tectoniques. Un phénomène qui sera particulièrement marqué dans les grands deltas alluviaux, dont ceux du Rhône (Camargue), du Pô (côte vénitienne) et surtout du Nil, dans la région d’Alexandrie, de loin la plus exposée.

Vue aérienne de l’entrée du port d’Alexandrie avec la citadelle mamelouke de Qaitbay, édifiée au XVe siècle avec les pierres de l’ancien phare antique (photo © Getty Image / Norwegian Cruise Line)

Sur ce dernier point, l’information n’est pas nouvelle et l’on mesure déjà depuis des années un enfoncement de la grande cité égyptienne de 6 millions d’habitants, qui dépasse allègrement les 3 mm/an, ce phénomène étant en l’occurrence renforcé depuis la construction des barrages sur le Nil qui empêchent le transit sédimentaire permettant de recharger, année après année, le cône alluvial menacé par les intrusions marines. Le GIEC avait déjà annoncé dans un de ses rapport qu’on s’attend ici à une augmentation du niveau de la mer de 1 m d’ici 2050 et que « un tiers des terres ultra-fertiles du delta du Nil et des villes historiques comme Alexandrie seront inondées ».

Pluies sur Le Caire, ici le 12 mars 2020 : durant cet hiver, les inondations ont fait une vingtaine de morts en Égypte (photo ©  Mohamed el-Shahed / AFP / Arabnews)

Dans le delta du Nil, la mer a déjà avancé de 3 km depuis les années 1960. Le phare de Rosette, construit à la fin du XIXe siècle par le khédive Ismaël Pacha a d’ores et déjà été englouti dans les années 1980. Selon les projections de l’ONU, une simple élévation de la mer de 50 cm se traduirait par l’inondation de 30 % de la ville d’Alexandrie et le déplacement d’au moins 1,5 millions d’habitants, lesquels ont déjà dû évacuer en 2015 et en 2020 des dizaines d’immeubles fragilisés par les inondations récurrentes. Dans son discours d’ouverture de la COP 26, à Glasgow, en novembre 2021, l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson, toujours provocateur, n’avait d’ailleurs pas hésité à prononcer ses « adieux » à la ville d’Alexandrie, invitant chacun à s’y rendre s’en tarder pour la visiter avant qu’il ne soit trop tard…

Reconstitution par l’équipe de Franck Goddio de la cité antique de Thônis-Hérakléion dans la baie d’Aboukir (source © Bilan)

Il faut dire que la région connait déjà au moins un précédent avec la disparition de l’ancien port antique de Thônis-Hérakléion, érigé sur une île à l’embouchure du Nil, et qui repose désormais sous plusieurs mètres de fond dans les eaux de la Méditerranée où ses vestiges, ainsi que ceux de la ville voisine de Canope, ont été découverts en 1999-2000 par l’archéologue sous-marin français, Franck Goddio, dans la baie d’Aboukir, à plusieurs kilomètres des côtes égyptiennes actuelles. L’ancien port grec d’Hérakléion jouait pourtant un rôle majeur dans le commerce naval antique et était même le principal port de toute la Méditerranée jusqu’à la fondation d’Alexandrie en 331 avant J.-C.

Les ruines de la cité antique engloutie de Thônis-Hérakléion, par 6 m de fond (source © Arkeonews)

Au milieu du IIe siècle avant notre ère, un violent tremblement de terre détruisit le temple du dieu Amon. D’autres cataclysmes ont suivi, avec des phénomènes de liquéfaction des sols liés aux séismes, emportant sous les eaux la totalité de la ville engloutie définitivement au VIIe siècle de notre ère et dont les plongeurs continuent à fouiller les vestiges, confirmant, s’il en était besoin, que lorsque les forces telluriques s’allient à l’élévation du niveau de la mer sous l’effet du réchauffement climatique, il ne fait pas bon habiter trop près du littoral…

L. V.

La tension monte en Corée

11 janvier 2024

Décidément, ce début d’année 2024 est particulièrement belliqueux. En pleine trêve des confiseurs et alors que l’usage est de se souhaiter à tous plein de bonheur et une bonne santé, les armes grondent un peu partout à nos portes. En Ukraine, les combats violents se poursuivent depuis 2 ans maintenant et les contre-attaques meurtrières s’enchaînent de part et d’autre dans un conflit qui s’enlise. A Gaza, l’armée israélienne continue de bombarder les civils dans sa folie destructrice, en représailles aux attentats barbares menés par les militants fanatisés du Hamas, chaque camp ne voulant rien céder à l’autre dans sa haine guerrière qui aurait déjà fait de l’ordre de 23 000 morts, pour l’essentiel des civils palestiniens. Quant aux rebelles houthis, insurgés depuis 2014 et largement soutenus par l’Iran, ils s’attaquent de plus belle aux navires de commerce qui s’engagent en Mer Rouge par le détroit de Bab el-Mandeb, menaçant directement le trafic marchand international qui passe à 40 % par cette route.

Attaque des forces houthis contre le navire marchand Galaxy Leader le 19 novembre 2023 (photo © Houthi Media Center / AP / SIPA / 20 minutes)

Et voilà que par-dessus le marché la tension monte de nouveau d’un cran en Corée. Le 18 décembre dernier, la Corée du Nord avait tiré deux missiles balistiques dont l’un de longue portée, capable d’atteindre le sol des États-Unis. Il n’est pas allé jusque-là et s’est abîmé en mer après un peu plus d’une heure de vol, mais quand même ! D’autant que le régime de Pyongyang en est à son quatrième lancement de missile balistique depuis le début de l’année, en violation des résolutions des Nations-Unies dont le Conseil de Sécurité s’est d’ailleurs réuni en urgence suite à cette nouvelle provocation.

Mais la Chine a jugé utile de rappeler à tous, par la bouche du chef de sa diplomatie, son soutien indéfectible au régime nord-coréen tandis que les observateurs avisés faisaient remarquer que le lancement de ce missile balistique de longue portée coïncidait avec l’anniversaire de la mort en 2011 de l’ancien dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, le père du président actuel Kim Jong-un : un cadeau d’anniversaire pour célébrer la mort de son papa, quoi de plus touchant en vérité ?

Restes d’un missile en cours d’identification, probablement d’origine nord-coréenne, tiré par l’armée russe sur le sol ukrainien (source © Boursorama)

La Corée du Nord se sent le vent en poupe avec le soutien appuyé de la Chine mais aussi de la Russie à qui elle livre des milliers d’obus pour alimenter sa guerre offensive en Ukraine. Deux porte-containers russes chargés d’armes à destination du front ukrainien multiplient les allers-retours depuis la dernière rencontre officielle qui a eu lieu en septembre 2023 entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un. La Corée du Nord aurait ainsi fourni plus de 1000 containers d’armes et de munitions et aurait même fourni des missiles balistiques et des lanceurs de missile comme les Ukrainiens en ont désormais la preuve, l’un de ces missiles ayant été retrouvé dans un champ le 30 décembre dernier.

Lancement d’une fusée contenant le satellite espion nord-coréen Malligyong-1, lancée depuis la province de Gyeongsang du Nord, le 21 novembre 2023 (photo © KCNA / Reuters / Le Figaro)

Un échange de bons procédés puisque, à l’occasion de cette visite à Moscou, le dirigeant nord-coréen a demandé de l’aide pour perfectionner son lanceur de satellite espion, après avoir essuyé deux échecs successifs en mai et en août 2023. Les conseils de tonton Vladimir ont été manifestement judicieux puisque la Corée du Nord a finalement réussi en novembre à placer sur orbite son premier satellite militaire espion, Malligyong-1. Pas forcément très rassurant pour la détente des relations internationales…

Carte de la zone frontalière entre Corée du Nord et du Sud, dans le district insulaire d’Ongjin (source © Wikipedia)

Et voilà que le 5 janvier 2024, Pyongyang s’est mis en tête de bombarder soudainement deux îles proches de ses côtes mais situées de l’autre côté de la frontière maritime ouest qui sépare les deux États, la fameuse Northern Limit Line. Celle-ci avait été tracée lors de la conférence de Yalta en 1945 mais mise en pratique en 1953 seulement, à l’issue de l’armistice qui mit fin à la guerre de Corée. Sa partie maritime a été tracée par les Nations-Unies et les plans ont été adressés au régime de Pyongyang qui n’a jamais daigné répondre mais s’est mis en tête, en 1973, de les contester, souhaitant repousser cette frontière plus au sud car cet espace maritime parsemé de plusieurs îles s’est avéré riche en crustacés. Les deux pays rivaux se le sont âprement disputé depuis, notamment en 1999, à l’occasion de ce qui est resté dans les annales comme « la guerre du crabe »…

Tirs d’artillerie par l’armée nord-coréenne lors d’un exercice, le 6 octobre 2022 (photo © STR / KCNA VIA KNS / AFP / i24)

En novembre 2010, la tension est montée d’un cran lorsque l’armée nord-coréenne s’est mise à bombarder l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, située à une dizaine de kilomètre seulement au sud de la frontière et à 115 km de Séoul, faisant 4 morts et 18 blessés parmi la population civile et militaire de l’île, et ceci en protestation contre les exercices militaires engagés par la Corée du Sud. Et voilà que la fièvre est de nouveau monté d’un cran en ce vendredi 5 janvier 2024, date à laquelle la Corée du Nord a tiré pas moins de 200 obus d’artillerie à proximité des deux îles de Yeonpyeong et Baengnyeon, de quoi alarmer les populations civiles qui ont été sommées par les autorités sud coréennes d’évacuer et de se mettre à l’abri, avant que l’armée nationale ne se mette à riposter à son tour en procédant à des tirs d’exercice à munitions réelles au moyen d’obusiers automoteur.

L’armée sud-coréenne prompte à la riposte avec ses tirs d’obusier automoteur (photo © AFP / La Nouvelle République)

Un véritable feu d’artifice donc sur cette malheureuse île de Yeonpyeong qui compte à peine 2000 habitants, le premier du genre depuis novembre 2018, lorsque les deux pays ennemis, dans un rare moment de sagesse, avaient décidé de retirer mutuellement leurs troupes de cette zone frontalière sensible et d’arrêter d’y faire des exercices militaires souvent considérés comme un geste de provocation par le voisin. La Chine toute proche a aussitôt appelé « toutes les parties au calme et à la retenue », tout en rappelant son soutien indéfectible à son allié nord-coréen. Ce qui n’a pas empêché Pyongyang de tirer de nouveau 60 obus supplémentaires, dès le lendemain 6 janvier, toujours à proximité immédiate de l’île de Yeonpyeong.

Kim Yo Jong, petite sœur du dictateur nord-coréen Kim Jong-un et membre du politburo depuis avril 2020, ici aux côtés de son frère (photo © Aflo / ABACA / Le Figaro)

Mais la propre sœur du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, Kim Yo Jong, s’est fendue le lendemain d’un communiqué officiel, laissant croire que les 60 obus tirés la veille n’étaient que des leurres, de simples charges explosives imitant le son du canon, destinés à mettre à vif les nerfs des militaires sud-coréens. Elle a ainsi ironisé sur leur manque de sang-froid et de discernement, en écrivant : « A l’avenir, ils prendront même le grondement du tonnerre dans le ciel du nord pour un tir d’artillerie de notre armée ». L’humour n’étant pas la caractéristique la plus répandue dans les États-majors, surtout en période de forte tension internationale, il n’est pas certains que les généraux sud-coréens aient vraiment goûté à la plaisanterie de leurs voisins un peu trop taquins…

L. V.

Tourbières du Congo : un équilibre en sursis

9 janvier 2024

Le fleuve Congo est considéré comme le deuxième du monde derrière l’Amazone, de par son débit moyen colossal de 41 000 m3/s à la station de Brazzaville, située à environ 700 km en amont de l’embouchure, et de par la superficie de son bassin versant qui s’étend sur 3,68 millions de km2, soit bien davantage que ceux du Mississippi ou du Nil.

La forêt tropicale de part et d’autre du fleuve Congo (source © Greenpeace / Euroactiv)

La majeure partie de cet immense bassin versant qui s’étend de part et d’autre de l’Équateur, se situe dans ce qui est actuellement la République démocratique du Congo, un immense pays, vaste comme quatre fois la France, le plus grand d’Afrique derrière l’Algérie. Propriété privée du roi des Belge à partir de 1885, le pays subi pendant des années une exploitation intensive de sa population soumise au travail forcé dans les plantations d’hévéa et accède à l’indépendance en 1960. Le général Mobutu Sese Seko y prend rapidement le pouvoir, avec l’aide américaine après avoir fait assassiner Patrice Lumumba, et gère d’une main de fer le pays, rebaptisé Zaïre, jusqu’à son éviction en 1997 par Laurent-Désiré Kabila. Assassiné en 2001, ce dernier est remplacé par son fils, Joseph Kabila qui cède le pouvoir en 2019 à Félix Tshisekedi, actuel président de cette république dont les immenses richesses minières en cuivre, cobalt et diamant notamment attirent bien des convoitises.

Exploitation minière de cuivre et de cobalt à Tenke Fungurume, au nord-ouest de Lubumbashi, dans le sud de la République démocratique du Congo, par la société minière China Molybdenum Co. Ltd. en 2013 (source © Amnesty International)

Sur l’aval du bassin versant et en rive droite du fleuve s’étend un autre pays, actuellement dénommé République du Congo et dont la capitale, Brazzaville, se situe juste en face de Kinshasa. Ancienne colonie française devenue indépendante en 1960, un temps appelée République populaire du Congo sous la première présidence de Denis Sassou-Nguesso jusqu’en 1992, cette jeune nation a déjà vécu, comme sa voisine, plusieurs guerres civiles et coups d’État, le dernier en date en 1997 ayant vu le retour au pouvoir du président Sassou-Nguesso toujours en place et encore réélu en mars 2021 avec un peu plus de 88 % des voix, face à un adversaire décédé le lendemain du scrutin…

Au-delà de ces péripéties politiques, le bassin du Congo est surtout caractérisé par l’immensité de sa forêt équatoriale et tropicale, la deuxième la plus vaste du monde derrière l’Amazonie. On y recense plus de 10 000 espèces végétales, 1000 espèces d’oiseaux, 700 de poissons et 400 de mammifères dont l’emblématique gorille des montagnes.

Gorilles dans le Parc national de Bukima en République démocratique du Congo (source © WWF)

Mais cet écosystème particulièrement riche, domaine traditionnel des populations pygmées est fortement menacé. L’exploitation forestière y bat son plein, malgré un moratoire mis en place en 2002, et Greenpeace estime que la République démocratique du Congo pourrait avoir perdu 40 % de son couvert forestier d’ici 2050, sous l’effet des exploitations minières et forestières, aggravées par l’accroissement démographique qui amène les populations locales à défricher toujours davantage pour cultiver et cuisiner au charbon de bois.

Exploitation forestière au Congo (source © Reporterre)

En 2014, Simon Lewis, chercheur en écologie végétale à l’université britannique de Leeds, engage des investigations sur les sols marécageux qui s’étendent de part et d’autre du fleuve Congo, dans cet immense entrelacs forestier encore mal connu. Les conclusions auxquelles il arrive, publiées en 2107 dans la revue Nature, sont ébouriffantes. Il met en effet en évidence que l’on trouve dans ce secteur plus de 167 000 km3 de tourbières tropicales, de loin les plus étendues du monde et que ce territoire stocke à lui seul pas moins de 30,6 milliards de tonnes de carbone, soit autant que toute la forêt  du bassin et l’équivalent de 3 années complètes de nos émissions mondiales de gaz à effet de serre !

La tourbe, qui s’est accumulé sur une épaisseur qui atteint par endroit jusqu’à 6 m, s’est formée par dépôts successifs de bois et de feuilles mortes dans un environnement marécageux. Normalement, l’humus qui se dépose ainsi sous couvert forestier se décompose très rapidement, mais ce n’est pas le cas lorsqu’il est dans l’eau : faute d’oxygène, la décomposition est beaucoup plus lente et les dépôts ligneux, riches en carbone, peuvent alors se conserver, formant ces sols tourbeux bien connus en Écosse ou en Finlande où ils servent de combustibles depuis des millénaires.

Paysage de la forêt congolaise près du village de Lokolama où ont été prélevées des carottes de sols tourbeux pour analyse (photo © Gwenn Dubourgthoumieu / Reporterre)

Depuis cette découverte majeure, les équipes britanniques et congolaise poursuivent leurs investigations scientifiques en analysant, sur des carottes de sols tourbeux prélevés en divers endroits du bassin, l’âge des dépôts, leur degré de décomposition mais aussi la nature et les caractéristiques des pollens conservés pour reconstituer les climats du passé. Il en résulte que l’accumulation de dépôts ligneux dans ce bassin a débuté localement il y a plus de 17 500 ans, mais elle s’est fortement ralentie entre 7 500 et 2 000 ans avant nos jours, du fait probablement d’un assèchement relatif du climat qui s’est traduit par une accélération de la décomposition de l’humus. Au moins 2 m de tourbe auraient ainsi disparu durant cette période mais depuis 2000 ans, le cycle a repris et la zone est redevenue marécageuse, permettant de nouveau l’accumulation de dépôts tourbeux.

Un processus qui est donc éminemment fragile et qui peut s’interrompre dès lors que la zone évolue, sous l’effet de la déforestation et de la progression des plantations et aménagements de toute sorte qui se traduisent inéluctablement par des drainages et un assèchement des espaces marécageux. Un sol tourbeux qui n’est plus inondé et s’assèche à l’air libre, en climat tropical, non seulement subit des processus de décomposition rapide avec relargage de gaz à effet de serre, mais peut aussi prendre feu du fait des pratiques locales de cultures sur brûlis, et provoquer des incendies qui couvent ensuite pendant des années, se traduisant par des rejets massifs de CO2 dans l’atmosphère.

Répartition du couvert forestier et des zones de tourbières dans le bassin du Congo (source © ESA Climate Change Initiative / Reporterre)

Ce processus d’assèchement est justement à l’œuvre dans cet immense bassin forestier jusque-là relativement préservé mais où la population a doublé en 20 ans et continue sa progression démographique au même rythme. Malgré les efforts de régulation, les projets d’exploitation minière se multiplient, l’exploration pétrolière débute, et la déforestation s’accélère, avec de nombreuses concessions désormais accordées à des investisseurs asiatiques notamment. Le bassin du Congo prend le chemin de l’Indonésie où les plantations de palmier à huile ont depuis longtemps remplacé la forêt primaire, transformant ce massif forestier en zone émettrice de gaz à effet de serre.

On considère actuellement que le bassin du Congo est encore un des puits de carbone majeur de notre planète, un des rares endroits encore fonctionnels où la capacité naturelle d’absorption de gaz à effet de serre dépasse les émissions, absorbant chaque année de l’ordre de 1,5 milliards de tonnes de CO2. On considère, selon le dernier bilan du Global Carbon Project qu’en 2023, les émissions mondiales de CO2 ont atteint 40,9 milliards de tonnes de CO2, en hausse depuis 3 ans consécutifs après le petit coup de mou lié à la pandémie de Covid, bien loin des scénarios validés, COP après COP, qui visent tous une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement climatique. Les tourbières du Congo ne suffiront pas éternellement à absorber un tel flux, surtout si on les laisse se dégrader au rythme actuel…

L. V.