Après l’enquête publique qui s’était déroulée cet été et qui avait abouti à un avis favorable de la part des commissaires enquêteurs, le sort des rejets en mer de l’usine Alteo de Gardanne semblait scellé. Les associations de défense de l’environnement ont bien essayé de lancer une ultime campagne de mobilisation et le président des pêcheurs professionnels de La Ciotat, Gérard Carrodano, a bien tenté d’interpeller par courrier, dès le 9 novembre 2015, la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, elle qui avait vivement réagi face à la décision surprenante du Parc national des Calanques et avait clairement exprimé son souhait d’un arrêt total des rejets industriels en mer, en plein coeur d’une aire marine protégée, conformément aux stipulations de la convention de Barcelone.
Pour tous ceux qui se sont penchés un tant soit peu sur les arcanes de ce dossier, il semble en effet incontestable que la composition des effluents liquides que l’industriel se propose de continuer à déverser en mer après avoir filtré la phase solide qui constitue les boues rouges actuelles n’a rien de très ragoûtant. Chargés en soude mais aussi en fer, arsenic et métaux lourds divers, ces effluents dépassent allègrement les normes pour au moins 7 paramètres distincts, ce qui nécessitait donc une procédure dérogatoire pour continuer à autoriser la poursuite de ces déversements directs en mer, surtout en plein coeur d’un Parc national, dans un secteur à forts enjeux, non seulement du fait de sa richesse en biodiversité mais aussi du fait de sa forte fréquentation tant par les touristes, plaisanciers et plongeurs que par les pêcheurs traditionnels.
Mais l’économie a ses raisons que l’écologie ne connaît pas. Le 4 décembre dernier, le Conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), présidé par le préfet de Région Stéphane Bouillon, a, à son tour, rendu un avis favorable pour la poursuite des rejets de ces effluents liquides en mer par 14 voix pour et seulement 2 contre. Le maire communiste de Gardanne, Roger Meï qui, selon La Marseillaise, assistait à la séance, s’est d’ailleurs dit soulagé de cette décision, de même qu’un grand nombre d’élus locaux, de la maire d’Aix-en-Provence Maryse Joissains au député ex-EELV François-Michel Lambert, tous engagés aux côtés du fonds de pension anglo-saxon propriétaire du site, avec en ligne de mire la sauvegarde des emplois concernés.
Pourtant, là encore, le premier Prud’homme de pêche de La Ciotat avait fait l’effort d’adresser un courrier aux membres du CODERST pour les alerter, photos à l’appui, de l’état de dégradation plus qu’inquiétant de la conduite qui court sur 7 km au large de Cassis pour permettre le déversement de ces rejets dans le canyon de la Cassidaigne déjà partiellement comblé par les boues rouges accumulées depuis 1963. Mais manifestement, ses arguments n’ont pas convaincu…
Invité à s’exprimer pendant 10 mn seulement en réunion de CODERST, en compagnie du professeur Henry Augier, président de l’Union Calanques Littoral, porte-parole des associations environnementales et universitaire spécialiste de pollution marine et de toxicologie, qui a souligné la dangerosité des produits contenus dans les effluents d’Alteo pour la flore et la faune marines ainsi que pour les consommateurs des produits de la mer, leur discours n’a pas suffi à contrebalancer les arguments économiques mis en avant par la délégation d’Alteo, ainsi que le rapporte Michel Mazzolini dans son blog très documenté sur le sujet.
Du coup, dès le 18 décembre 2015, comme le rapporte La Provence, le préfet Stéphane Bouillon, s’est dit favorable à accorder à l’industriel la dérogation tant attendue pour permettre de poursuivre ses rejets en mer au-delà de la date fatidique du 31 décembre. Il attendait pour cela un dernier avis du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT). Ce dernier, qui regroupe des représentants de l’État, des industriels, des syndicats et des associations de consommateurs et de défense de l’environnement, s’est réuni le 22 décembre et a également statué dans le même sens.
Selon les représentants de France Nature Environnement qui siègent au sein de cette commission, les discussions ont été assez longues et la décision finale préconise de réduire à 6 ans la période dérogatoire de rejets alors que le projet d’arrêté préfectoral avait fixé cette durée à 10 ans. La création d’une commission de suivi des sites de Gardanne et de Mange-Garri est par ailleurs préconisée, ainsi que la réalisation de bilans intermédiaires en 2017 et 2019. Une petite victoire donc pour les opposants et une pression supplémentaire pour l’industriel qui devra se montrer plus réactif qu’il ne l’a été au cours des 50 dernières années au cours desquelles il a clairement joué la montre sans trop se soucier des conséquences de ses déversements de boues rouges en mer ! La décision finale du CSPRT n’a d’ailleurs été prise qu’avec une majorité toute relative avec 16 voix pour et 7 contre pour 13 abstentions.
Toujours est-il que le préfet a annoncé sur la base de ces différents avis concordant, le 29 décembre 2015, sa décision d’accorder à Alteo cette autorisation de rejet pour une durée de 6 ans, ce qui suppose donc que ce dernier s’efforce d’ici fin 2021 de mettre au point des procédés de traitement plus efficaces pour réduire la nocivité des effluents ainsi déversés.
Une décision que la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a désapprouvé dès le lendemain, expliquant au passage que ce choix avait été dicté par le premier ministre lui-même et indiquant qu’elle-même n’avait pas changé d’avis sur le sujet, ainsi que le rapporte La Provence, considérant qu’il s’agit « d’une mauvaise décision essentiellement suscitée par le chantage à l’emploi » et estimant « qu’il aurait fallu avoir le courage d’imposer à l’entreprise une mutation du site et une dépollution ». Pas de quoi émouvoir Manuel Valls dont les services ont fait aussitôt savoir que cela n’est « qu’un cas relativement classique de désaccord entre deux cabinets ministériels, ceux de l’économie et de l’écologie ». On se doutait en effet que, quoi qu’en disent les tenants du fameux et fumeux « développement durable » les deux approches ne sont pas si facilement conciliables qu’on veut bien le dire…
L. V.