Voici le résumé des derniers ouvrages abordés par les lecteurs de Katulu ? dans le numéro 42 de janvier 2015 dont le texte intégrable est téléchargeable (Katulu42).
La couleur du lait
Nell Leyshon
C’est un roman très court, de toute beauté, qui se situe entre 1830 et 1831 dans la campagne anglaise. Un livre poignant, écrit sans ponctuation ni majuscules avec des mots simples, qui se déroule au fil des saisons : les paysans ne sachant ni lire ni écrire se repéraient aux changements de temps.
Nell Leyshon
A 15 ans, Mary est la plus jeune d’une fratrie de quatre filles « mes cheveux ont la couleur du lait », petite paysanne vive, pipelette, considérée par sa famille comme un fardeau supplémentaire à cause de sa jambe boiteuse. Toute la famille passe ses journées à travailler jusqu’à l’épuisement. Aussi quand le pasteur Graham propose de la prendre à son service, le père accepte sans hésiter d’échanger sa fille contre de l’argent. Grâce à la femme du pasteur, elle réalise son rêve d’accéder à l’alphabet « J’écris ces mots de ma main et j’en suis fière » mais elle va payer cher ce péché d’orgueil dans l’Angleterre puritaine et conservatrice des années 1830. Seule sans soutien elle va subir les humiliations et les assauts sexuels du pasteur jusqu’au dénouement tragique…
C’est un peu comme un thriller : ça débute comme une petite histoire gentillette et petit à petit devient d’une intensité insoutenable…et d’une grande poésie. A noter la remarquable traduction de K. Lalechere.
Suzanne
Le collier rouge
Jean-Christophe Rufin
Ce roman évoque la guerre 14-18 mais, si celle-ci en est le fond historique, le thème essentiel est la fidélité d’un chien pour son maître. A travers cela, c’est la double assimilation de l’homme-soldat de la guerre 14-18, en animal : il est devenu une bête ! Et celle du chien en être humain : ce chien ne représente-t-il pas l’ennemi que l’on a en face de soi et avec qui on ne parle pas alors qu’il souffre autant que nous ?
Un chien aboie sans arrêt, des hurlements insupportables qui « rendaient fous ! En fait ce chien souffre, son maître est privé de liberté, emprisonné ». Pourquoi ? C’est l’énigme du livre. Ce roman devient une intrigue que le lecteur doit déchiffrer, à travers l’enquête du juge militaire commis dans cette affaire et cela le tient en haleine, apprenant au fur et à mesure des informations sur le prisonnier mais sans comprendre le fin mot de l’histoire. Le chien fait toujours partie de l’interrogatoire : « c’était le chien du régiment ? », nommé Guillaume, « à cause du kaiser ».
Jean-Christophe Ruffin
Ce livre est le livre du silence : silence du prisonnier vis à vis de son chien, du juge, de la femme qu’il a aimée ! L’enfermement de celui qui a vécu la guerre et les horreurs du front. Et si la légion d’honneur lui a été attribuée, il a fini par considérer que son chien méritait plus que lui cette décoration ?« c’était lui le héros ».
Tiré d’un fait divers réel, un livre de réflexion sur les conséquences de la guerre, tout en nuance, d’une écriture magnifique.
Josette J.
LE PIANISTE
Wladyslaw Szpilman
Wladyslaw Szpilman en 1948
« Le Pianiste », dont le titre original était « Une ville meurt », est un livre autobiographique écrit juste à la fin de la guerre par W. Szpilman, un pianiste fort connu à Varsovie où il résidait avec sa famille. Rédigé en polonais, le livre sera « oublié » durant un demi siècle et ne sera traduit en français qu’en 1998. C’est en 2002 que Roman Polanski en tire un film éponyme qui obtient d’emblée plusieurs prix dont la palme d’or à Cannes.
Il raconte la vie de ce pianiste qui erre seul, complètement seul, dans Varsovie écrasée sous les bombes et désertée par sa population de 1942 à 1945. L’histoire vous tient en haleine mais ce qui surprend c’est le style, clair, je dirais même élégant, de ce texte, pourtant écrit dans l’urgence par un rescapé qui a tout perdu : son travail, son pays, sa famille……
Précédé d’une préface écrite par le fils de Wladyslaw, Andrzej, le récit est suivi d’une post face due à un de ses amis, Wolf Bierman. Enfin, peut être le plus émouvant, des extraits du journal de Wilm Hosenfeld terminent l’ouvrage. Wilm Hosenfeld est cet officier allemand qui lui sauve la vie en lui donnant du pain un jour qu’il le découvre par hasard dans une maison à moitié en ruines. Cet homme, qui n’était pas nazi et que Wladyslaw essaiera de retrouver sans succès, mourra dans un camp de prisonniers six ans plus tard.
Une belle histoire. On aurait voulu que, comme dans les contes de fées, tous les bons s’en sortent, mais nous ne sommes pas ici, dans un conte de fées… Hélas !
Annie
PAS PLEURER
Lydie Salvayre (Prix Goncourt 2014)
Le sujet du livre est la guerre civile d’Espagne en 1936 : « une tâche de sang qu’une mer d’eau bénite ne pourra effacer ». Le titre « PAS PLEURER » sonne donc comme une litanie, une incantation : « Pas pleurer pour ne pas s’effondrer, pour témoigner, pour défendre la pureté, la beauté, la Liberté, pour agir, réagir, pour lutter contre l’obscurantisme, le fanatisme, pour combattre la mort abjecte, l’assassinat tranquille, banal au bord d’un fossé, au bord de la nuit, mort anonyme, froide au nom d’une idéologie fanatique ».
Pas pleurer, c’est donc une fresque macabre qui pourtant déborde de vie. Ce roman est le portrait d’une Espagne, celle des années 1936-37, bruyante, chantante, enthousiasmante. La force de ce livre je l’ai trouvée dans sa pudeur extrême. Humilité devant l’ombre de Bernanos et de toutes les voix héroïques qui ont osé dénoncer la barbarie déguisée et auréolée de foi chrétienne, celle du franquisme, de toutes ces voix qui ont deviné si tôt le grand scandale du siècle le nazisme.
Lydie Salvayre
La narratrice nous rapporte les souvenirs de sa mère : « j’écoute ma mère ». Le style alors se colore. Fraîcheur, légèreté, grossièreté. Mélange des langues Espagnol, Français : glissement de sens, racines mêlées d’idiomes et de phonétiques et les phrases parfois restent en suspens comme dans la vie. L’Espagne de 36 revit avec ses traditions de deuil qui durent toute une vie, avec ses hommes qui giflent sans vergogne leurs épouses indociles, qui jouent à la jota ou aux dominos tandis que les femmes sont à l’église ou derrière leurs fourneaux à cuisiner des« mantecados ».
L’Espagne est présentée dans sa division, au cœur d’une république discréditée par ses « scandales financiers, ses fraudes, ses vols, ses ruses manœuvrières, son impuissance politique, sa déconsidération ». L. Salayre peut glorifier ceux qui ont porté une voix libre dans un monde qui ne l’était pas et qui ont risqué leur vie pour elle et un idéal de liberté.
Ce livre est sans doute un hommage émouvant à cette mère qui a pensé toute sa vie : « no es una vida » (ce n’est pas une vie). Elle n’avait que 17ans en arrivant à Argelès, une petite fille dans ses bras et surtout l’héritage d’une lignée de pauvres avec « l’empreinte sur sa gueule, dans sa chair, une empreinte laissée par les acceptations sans gloire, les renoncements sans prestige, les révoltes sans cris ».
Nicole
L’AMOUR ET LES FORÊTS
Eric Reinhardt
Ce roman a été inspiré à l’auteur par un fait réel. Il avait rencontré par hasard une lectrice qui voulait lui parler de son dernier livre qu’elle avait aimé.
C’est donc l’histoire d’une lectrice, Bénédicte Ombredanne, appréciant son écriture qui se rapproche de lui pour converser au sujet de ses romans. Elle lui écrit pour le rencontrer ! « cette lettre était comme une urgente échappatoire » et l’auteur sent confusément que cette personne «n’allait pas très bien », elle attendait des livres « qu’il vienne la sauver ». Pour elle le romancier aide le lecteur à voir clair en lui-même, à s’accepter comme personne unique tiraillée entre plusieurs facettes ; grâce au livre, elle avait compris « le fait qu’il soit possible d’inventer sa propre vie et qu’elle soit belle ! ».
En fait cette femme, voulait sortir de son quotidien insipide par la lecture de Reinhardt pour « retrouver son propre éclat. Elle lui dit aimer aller vers l’obscurité, régions inconnues aux confins du réel… où peuvent s’entendre les échos de nos rêves », « je préfère le profond (…) ce en quoi il est envisageable de s’engloutir, de se dissimuler : l’Amour et les forêts ».
C’est le portrait d’une femme humiliée, harcelée par son mari, entravée par la vie de famille et incapable de créer la rupture, de se libérer de ses chaînes. Elle ne croit qu’au pouvoir salvateur des mots, la sublimation par la littérature. Le style du livre est très riche, bien que la forme soit parfois trop compacte où même les dialogues ne sont pas mis en évidence. Il renferme beaucoup de détails, des narrations de longues tranches de vie, ou bien on plonge dans le monde de l’internet, celui de l’expression libre, de tous les fantasmes. On y trouve aussi beaucoup de romantisme… et un certain suspens qui tient le lecteur en haleine jusqu’à une fin que l’on attend pas !
Josette J.
Le torrent et la digue
Alger, du 13 mai aux barricades
Général Jacques Massu
« Le rôle que les événements m’ont fait jouer en Algérie en 1958 et 1959 m’autorise à livrer ce nouveau témoignage (…) Je souhaite apporter ainsi ma contribution à la sauvegarde du capital spirituel et moral de l’armée toute entière… ». Ainsi le Général Massu présente en avant-propos cet ouvrage publié en 1972, 10 ans après l’indépendance de l’Algérie.
Un livre qui passionne. La lecture en est aisée, aussi bien par le style de l’écriture, même si de nombreuses citations, discours et articles de presse sont insérés pour éclairer le débat, que par l’histoire racontée, cette « Histoire » que toute une génération a vécue avec déchirement et souffrances pour beaucoup.
Ce livre apporte une certaine connaissance des événements, de la politique suivie par le Général De Gaulle et surtout de l’homme qu’était le Général Massu. Un homme sans concession qui supporte mal l’accommodement du politique ; il n’est pas dans la justification : il a une mission, l’armée la remplit, il exécute.
Le général Jacques Massu
Au soir de sa vie, dans un entretien au journal Le Monde, le 22 juin 2000, il déclara « Non la torture n’est pas indispensable en temps de guerre, on pourrait très bien s’en passer. Quand je repense à l’Algérie, cela me désole, car cela faisait partie d’une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment ».
Massu se révèle comme un homme passionné, attentif et émotif, émouvant dans sa foi dans les hommes, dans ce qu’il espérait être la société algérienne future où l’égalité entre les communautés européennes et musulmanes triompherait. « Je me sentais dans l’obligation de témoigner de cette croyance et c’est pourquoi j’accueillis sans hésiter l’occasion qui me fut donnée par deux fois en 1958 et 1959, d’introduire dans ma famille des enfants de souche arabe et de les élever comme si j’étais leur père ».
Quant au titre du livre, il reprend tout simplement les mots de De Gaulle à Massu évoquant le 13 mai et la constitution des Comités de Salut Public : « Vous avez été le torrent et la digue ».
Marie-Antoinette
Cherchez la femme
Alice Ferney
L’auteur, née en 1961, est une femme engagée. Avec 54 autres femmes elle a signé un manifeste contre le projet de loi sur la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui.
Ce roman est l’histoire d’un homme Serge Korol depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Alice Ferney s’applique à démontrer l’influence de l’éducation, de l’environnement familial sur l’enfant que nous avons été et les conséquences affectives sur l’adulte que nous devenons.
A sa naissance, Mina a été prise en charge par sa grand-mère, elle a été l’otage de l’amour de sa mère qui lui a manqué, et celle de son mari qui l’a enfermée, puis de ses enfants qui l’ont occupée. Mère à 17 ans « elle était incapable de calmer l’angoisse enfantine de Serge étant elle-même la source de sa terreur ».
L’auteur évoque aussi les causes sociales et culturelles : Serge a été idolâtré par ses parents, une mère trop jeune, un père en admiration devant ce fils, qui est devenu complètement narcissique et n’a pu s’intéresser aux autres qu’au regard de lui-même. Est-ce que on devient un génie parce que les parents le souhaitent ?
Les mères ont le premier rôle dans cette histoire : comment faire pour donner à ses enfants le maximum de chance de devenir des adultes construits, heureux, qui vont pouvoir faire face aux aléas de la vie. Là est toute la question, trop d’amour ou pas assez, quelle tâche difficile !
J’ai beaucoup aimé l’histoire de cette famille bien que beaucoup de détails rendent le récit parfois un peu brouillon, mais cette analyse profonde des méandres de l’âme humaine fait vraiment réfléchir et permet de retrouver ses propres émotions devant certains événements qui nous rappellent des situations vécues.
Suzanne
Patrick Modiano
A l’annonce de l’attribution du Prix Nobel de littérature à Patrick Modiano et après la lecture de son dernier livre « Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier », j’ai recherché une biographie pour mieux connaître l’homme. C’est ainsi que j’ai découvert un livre-CD, édité par « Cultures France » dans la collection « Auteurs ».
Le livre, écrit par Nadia Buteau, est une analyse de l’œuvre de Modiano, du contenu et de son style. Elle met en exergue différentes thématiques et les illustrent par de longues citations des différents ouvrages de l’auteur. Un livre d « étude », d’une belle écriture qui demande à être lu et relu. Il a aussi l’intérêt de vous donner envie de lire l’écrivain.
C’est ainsi que j’ai lu « Pedigree », que l’on peut qualifier d’autobiographie. Modiano y dévoile son enfance et son adolescence et par là même donne la clef de tous ses livres. Dans son discours de remise du Prix Nobel, il y fait allusion : « …je crois que certains épisodes de mon enfance ont servi de matrice à mes livres […] Cette volonté de résoudre des énigmes sans y réussir vraiment […] m’a donné l’envie d’écrire, comme si l’écriture et l’imaginaire pourraient m’aider à résoudre enfin ces énigmes et ces mystères ».
Le CD est l’interview de Jacques Chancel, dans le cadre de son émission Radioscopie. Patrick Modiano a 27 ans et vient de recevoir le grand prix de l’Académie Française (1972) suite à la parution « Les boulevards de ceinture ». L’écoute de cet enregistrement est passionnant, étonnant. A cet âge-là P. Modiano s’exprime beaucoup plus facilement que des années plus tard quand il participera à des émissions comme Apostrophes de B. Pivot.
Il dit être intéressé par le style et définit le roman « comme devant transmettre une émotion, et cela se fait par le style. La phrase est une petite musique émotionnelle ». Aux questions de J. Chancel, il évoque son père, l’occupation, l’atmosphère de mystère de ces années de guerre… tout ce que seront ses futurs livres.
Marie-Antoinette