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La sécheresse s’installe en Catalogne

9 mars 2024

« La Catalogne souffre de sa pire sécheresse depuis un siècle » a annoncé le 1er février 2024 Pere Aragonès, président du gouvernement régional catalan, avant de déclencher l’état d’urgence pour Barcelone et sa périphérie, soit plus de 6 millions d’habitants directement concernés. Depuis 3 ans, le littoral catalan, tant en France qu’en Espagne, connait en effet un déficit pluviométrique majeur, le plus important jamais observé depuis le début des observations météorologiques locales en 1916. A Barcelone, les pelouses des jardins publics, qui ne sont plus arrosées depuis des mois, sont totalement desséchées, de même que les voies enherbées des tramways. Plus de 500 arbres d’alignement sont morts l’an dernier du fait de la sécheresse et on déplore même la mort d’une jeune femme tuée par la chute brutale d’un palmier à bout de souffle…

Le lac réservoir de Sau, partiellement asséché en février 2024, avec son église du XIe siècle actuellement émergée (photo © Lluis Gene / AFP / Sud Ouest)

L’approvisionnement en eau potable de la métropole catalane, située dans une zone de plus en plus aride, sans ressources hydrographique majeure, a toujours été problématique, mais il devient un véritable casse-tête pour les autorités. La principale source d’approvisionnement est le lac-réservoir de Sau, planifié dès 1931 mais mis en service en 1963 seulement, sur le fleuve Ter, avec deux autres aménagements, ceux de Susqueda, en aval, et celui de Pasteral, destinés à alimenter notamment Barcelone, Gerone et la Costa Brava.

Long de 17 km, le lac de Sau contient un volume total de 177 millions de m3. Mais début février, le réservoir ne contenait plus que 16 % de sa capacité, ce qui a entraîné le déclenchement du seuil d’alerte. Et depuis, la situation ne fait que s’aggraver malgré les quelques pluies de ces derniers jours, le seuil de remplissage étant descendu sous la barre des 10 % début mars. Le 7 mars 2024, la commission sécheresse de la Generalitat de Catalogne s’est donc de nouveau réunie pour décider du passage à la phase 2 de l’état d’urgence du plan sécheresse, qui se traduit par un net durcissement des restrictions, concernant pour l’instant uniquement 12 communes du nord-est de la Catalogne.

Le lac réservoir de Darnius-Boadella en temps normal (source © M2lux) et fin février 2024… (photo © generalitat de Catalunya / France TV info)

Celles-ci dépendent d’un autre barrage-réservoir, celui de Darnius-Boadella, un ouvrage de 63 m de haut, achevé en 1969 sur la rivière Muga et qui ne contient plus que 7 millions de m3, soit à peine 11 % de sa capacité totale de stockage ! En phase 2 de l’état d’urgence du plan sécheresse, la consommation maximale d’eau autorisée par habitant est réduite à 180 litres par jour et il est totalement interdit d’arroser les jardins ou les espaces verts. Même les douches des installations sportives sont désormais interdites d’utilisation !

Pour les 227 autres communes qui restent au niveau 1, les restrictions sont déjà très conséquentes. L’agriculture doit réduire sa consommation habituelle d’eau de 80 %, les éleveurs de 50 % et l’industrie de 25 %, tandis que le plafond maximum autorisé est de 200 litres par jour et par habitant. Cette dernière valeur reste d’ailleurs plutôt confortable, la consommation moyenne quotidienne des Barcelonais se situant autour de 106 litres alors qu’elle est de l’ordre de 150 litres en France mais qu’elle dépasse allègrement les 250 litres dans les zones touristiques…

Piscine de l’hôtel GHT à Tossa de Mar sur la Costa Brava (source © Trip advisor)

C’est justement la question des piscines qui fait débat. Dès le niveau 1 du plan sécheresse, il est en principe interdit de remplir et même d’ajuster le niveau des piscines. Mais des assouplissements ont d’ores et déjà été accordés face à la bronca des hôteliers qui s’alarment de ces mesures de restriction à quelques semaines du démarrage de la saison touristique.

Le syndicat des hôteliers de Lloret de Mar, une station balnéaire très fréquentée de la Costa Brava qui accueille chaque année près d’un million de touristes, a ainsi annoncé son intention d’investir dans l’achat d’une station de dessalement de l’eau de mer. Installée à même la plage et alimentée par un puits creusé dans le sable, l’usine permettra de produire 50 m3 d’eau douce à l’heure, de quoi alimenter les 40 000 piscines des établissements hôteliers concernés, pour la modique somme de 1,5 million d’euros… Un tel projet fait débat mais les hôteliers ont prévu de reverser leurs surplus d’eau dessalinisée dans le réseau d’eau potable de la ville, ce qui devrait achever de convaincre les autorités de leur donner le feu vert malgré les réticences de l’Agence de l’Eau catalane.

En 2008 déjà, Barcelone avait dû être alimentée en eau potable par bateaux-citernes (photo © Joseph Lago / AFP / Sud Ouest)

Déjà en 2008, la Catalogne avait dû faire face à une sécheresse intense et avait alors fait venir de l’eau par bateaux-citernes depuis Tarragone et même depuis Marseille : de l’eau prélevée dans le Verdon par la Société du Canal de Provence et revendue ainsi pour alimenter les piscines et les golfs de la Costa Brava alors que les éleveurs des Alpes de Haute-Provence restreignaient leur consommation. Pourtant, en 2008, le niveau de remplissage des 6 principaux barrages-réservoirs de Catalogne n’était pas descendu en dessous de 21 % de leur capacité maximale alors qu’il est désormais en dessous du seuil critique de 16 % !

Usine de dessalinisation de l’eau de mer près de Barcelone (source © France TV info)

Une usine de dessalinisation de l’eau de mer avait d’ailleurs été construite dans la banlieue sud de Barcelone, à la suite de cette sécheresse de 2008. Elle produit 200 000 m3 d’eau douce par jour grâce à la technique de l’osmose inverse, mais ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux immenses besoins de la métropole catalane et de son littoral touristique surfréquenté. Il est d’ailleurs question désormais de faire venir par bateau de l’eau douce issue d’une autre usine de dessalinisation située à Sagunto près de Valence.

Une solution prônée en dernier ressort par le ministère espagnol de la transition écologique qui doit faire face en parallèle à un épisode de sécheresse et de pénurie d’eau tout aussi inquiétant dans le sud du pays, en Andalousie et qui n’a pas trouvé d’autre solution que d’organiser des transferts d’eau douce par bateaux citernes probablement depuis l’usine de dessalinisation d’Escombreras, près de Carthagène.

La culture intensive sous serres en Andalousie, près d’Alméria, dans une région soumise à une forte tension des ressources en eau (source © Mr Mondialisation)

C’est le ministère central qui assumera les coûts de dessalinisation tandis que l’exécutif régional se chargera de régler la facture du transport maritime vers les ports d’Alméria, de Malaga, de Cadix, et d’Algésiras, pour un coût de l’ordre de 60 à 70 centimes par m3 d’eau ainsi transporté. Une facture qui devrait s’élever à plus de 20 millions d’euros pour cet été, de quoi faire réfléchir le gouvernement régional andalou à la nécessité d’adapter son agriculture pour réduire sa consommation d’eau dans un secteur en voie de désertification avancé mais qui continue d’inonder toute l’Europe avec ses fruits et légumes produits sous serres…

L. V.

Grotte Loubière : les chauves-souris de retour ?

28 février 2024

C’est un article publié par Marsactu, mardi 27 février 2024, qui le signale : la Ville de Marseille vient tout juste de lancer une consultation pour une mission de « maîtrise d’œuvre en vue de la renaturation de la Grotte Loubière en faveur des chiroptères ». Un énoncé un peu sibyllin mais qui a aussitôt attiré l’attention, au point que le Figaro a repris dès le lendemain l’information à l’échelle nationale après en avoir vérifié la source auprès de Christine Juste, adjointe au Maire de Marseille en charge de l’environnement, de la lutte contre les pollutions, de l’eau et l’assainissement, de la propreté de l’espace public, de la gestion des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et de l’animal dans la ville, rien que ça… Avec ces galéjades de Marseillais, on n’est jamais trop prudent, et il vaut mieux vérifier ses sources deux fois qu’une !

L’état actuel de l’entrée de la grotte Loubière bouchée par des enrochements, ici en avril 2023 (photo © CPC)

Mais en l’occurrence, l’adjointe au Maire l’a bien confirmé : cette grotte située dans le massif de l’Étoile à quelques 2 km de Château-Gombert, a été identifié comme un ancien site de reproduction particulièrement favorable pour deux espèces de chauves-souris dont le Minioptère de Schreibers, sur les 23 espèces recensées dans les Bouches-du-Rhône, sans compter les deux espèces qui ont d’ores et déjà disparu, à savoir le Rhinolophe de Méhely et le Rhinolophe euryale. Car les colonies de chauves-souris font partie des espèces grandement menacées, victimes de l’urbanisation, de la destruction de leurs refuges traditionnels, de la pollution visuelle nocturne mais aussi et surtout des ravages faits par les pesticides.

Les chauves-souris bientôt de retour dans la grotte Loubière ? (photo © Benoît Morazé / Conseil départemental des Bouches du Rhône)

Une chauve-souris est en effet un véritable aspirateur à insectes qui dévore chaque nuit de l’ordre de 30 à 50 % de son propre poids et est donc particulièrement sensible aux effets des insecticides utilisés pour notre confort et pour la protection des cultures. En Camargue, où l’on estime à un peu plus de 10 000 la population de chauves-souris encore présentes, ce sont donc environ 40 kg, soit 6 à 10 millions de moustiques qui sont ainsi dévorés chaque nuit, soit de l’ordre de 2 milliards de moustiques qui finissent chaque année dans le ventre de ces précieux auxiliaires !

La grotte Loubière, éloignée de toute habitation, en plein massif de l’Étoile, paraît effectivement être un site intéressant pour ces chauves-souris qui ont de plus en plus de mal à trouver des refuges adaptés à leurs besoins. Mais l’entrée de cet ancien abri sous roche a été muré par de gros enrochements en mars 1989 et n’est plus accessible depuis. L’idée serait donc de réaménager les accès à la grotte et de rendre celle-ci plus propice à la fréquentation des chiroptères, après avoir nettoyé l’intérieur de certains aménagements artificiels.

Entrée de la Baume Loubière dans son état naturel avant qu’elle ne soit fermée par les services de la Ville de Marseille (source © Tourisme in Marseille)

Car cette grotte a connu bien des vicissitudes depuis sa découverte qu’on attribue à un certain J. Simonet, lequel a inscrit sur une stalactite son nom et la date de ses premières explorations, en 1829. Mais il n’est bien évidemment pas le premier humain à y avoir pénétré, loin s’en faut ! Dès 1893, une communication scientifique signée par E. Fournier et C. Rivière et présentée à la Société d’anthropologie de Paris, fait état d’importantes découvertes archéologiques attribuées au Néolithique, effectuées à faible profondeur dans le sol de la grotte : couteaux, racloirs, grattoirs, poinçons en os, tessons de poteries et éclats de silex y ont été retrouvés en nombre, témoignant que cette cavité souterraine s’ouvrant par un large porche bien exposé a été un abri très prisé de nombre de nos ancêtres.

Plan de la grotte Loubière dressé en 1899 (source © Gombertois)

A l’époque, les deux scientifiques décrivent en détail les principales salles de cette cavité karstique naturelle creusée dans le calcaire urgonien du massif et croient nécessaires de démentir au passage la rumeur que les galeries s’enfoncent jusqu’à rejoindre la ville d’Aix-en-Provence ! Mais en 1898, un drame se produit : on retrouve dans la Baume Loubière le corps sans vie d’une fillette violée et assassinée. Il faudra d’ailleurs attendre 1915 pour connaître le nom de son meurtrier, un berger des environs, qui soulage sa conscience avant de mourir, de quoi inspirer le romancier marseillais, Jean Contrucci, qui en a tiré une nouvelle enquête de son héros, Raoul Signoret, dans son ouvrage titré L’affaire de la Soubeyranne.

Ce fait divers fait tellement de bruit à l’époque que les autorités décident illico de murer les entrées de la grotte. Mais en 1930, une société privée décide d’investir dans l’exploitation touristique de la Baume Loubière et entreprend alors des travaux pour aménager un circuit de visite. A l’époque, on ne faisait pas dans la dentelle et les déblais de terrassement sont purement et simplement jetés à l’entrée où un archéologue, Georges Daumas, entreprend en 1931 quelques observations sommaires. Il découvre notamment une hache en serpentine polie, de nombreux colliers de coquillages et des fragments d’ustensiles ménagers qui lui permettent d’affirmer que cette grotte, spacieuse, facile à défendre et possédant d’abondantes réserves d’eau constitue la plus importante station préhistorique des environs de Marseille à l’âge de la Pierre polie.

État actuel de la grotte Loubière visitée en mai 2020 par des amateurs d’exploration urbex (extrait capture vidéo © YouTube)

En 1936, M. Dujardin-Weqer, membre de la Société de Géographie et de Spéléologie y fit la découverte d’un squelette préhistorique d’Homo-sapiens. Mais l’exploitation touristique de la grotte ne permit jamais de la fouiller correctement. A la fin des années 1980, le restaurant avec piscine, installé à l’entrée de la grotte connait une forte fréquentation : on y organise des mariages et des fêtes avec visite de la grotte qui se transforme de fait en boîte de nuit. Cette fréquentation perdura jusqu’en 1989, date à laquelle la mairie décide de fermer purement et simplement l’entrée de la grotte avec des grilles puis de gros blocs de pierres encore renforcés en 2021 pour éviter tout risque d’intrusion. Le restaurant quant à lui est resté encore ouvert quelques années jusqu’en 1994 avant d’être abandonné, puis squatté et finalement rasé.

L’avenir dira si ce lieu chargé d’histoire mais bien malmené au cours du dernier siècle, retrouvera un jour sa quiétude pour servir d’abri aux chauves-souris avant que celles-ci ne finissent par disparaître totalement…

L. V.

La Grave : le téléphérique de la discorde

12 novembre 2023

Avec le réchauffement climatique, le sort de la plupart des glaciers alpins est d’ores et déjà réglé, condamnés à fondre inexorablement jusqu’à disparaître tandis que la faune et la flore de haute altitude vont devoir s’adapter rapidement pour survivre aux nouvelles conditions climatiques qui s’imposent, à une vitesse jamais observée jusque-là. D’ici la fin du siècle, autrement dit dans 75 ans seulement, la moitié des 215 000 glaciers répertoriés dans le monde auront probablement disparu selon une étude scientifique publiée en janvier 2023 dans la revue Science. Et encore, cette modélisation ne vaut que si on maintient la trajectoire du réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C, ce qui semble désormais totalement illusoire. Avec un réchauffement de 4 °C, nettement plus réaliste au vu des observations actuelles, ce sont 83 % des glaciers actuels qui auront disparu en 2100 ! Dans le massif alpin, seuls quelques plaques de glace résiduelles pourraient encore subsister à plus de 4000 m d’altitude…

La Meige vue du Chazelet, un hameau de La Grave (photo © Éric Beallet / Oisans)

Une bien triste perspective pour des villages comme La Grave, symbole du tourisme alpin. Cette petite commune du nord des Hautes-Alpes, située dans la haute vallée de la Romanche, sur un axe routier important, reliant Grenoble à Briançon, et au-delà vers l’Italie par le col de Montgenèvre, ne compte, malgré sa position stratégique juste en dessous du col du Lautaret, que 477 habitants, répartis entre le bourg et différents hameaux qui s’étagent tous entre 1300 et 1900 m d’altitude.

La Grave a surtout la chance de se trouver au pied même du massif de la Meije, le deuxième plus haut sommet du massif des Écrins, culminant à 3 983 m d’altitude et dont la face nord surplombe majestueusement le village. Dernier sommet majeur des Alpes à être gravi par l’homme, après au moins 17 tentatives avortées depuis 1870, il a fallu attendre le 16 août 1877 pour qu’un alpiniste français, Emmanuel Boileau de Castelnau, parvienne au sommet du Grand Pic de la Meije, guidé par le local de l’étape, Pierre Gaspard et son fils. Depuis lors, La Meije est devenue un haut-lieu du tourisme alpin, avec l’ouverture d’un premier hôtel dès 1857.

Face sud de la Meije avec son point culminant, le Grand Pic de la Meije, à 3 983 m (photo © Freddi Meignan / Isère tourisme)

A la fin des années 1950 apparaît le besoin d’un déneigement hivernal du col du Lautaret pour répondre à la demande émergente des sports d’hiver et une première station de ski, celle du Chazelet, est aménagée à La Grave. La création du Parc national des Écrins, en 1958, freine le projet de construction du téléphérique de la Meije, déjà dans les cartons mais dont le projet devra nécessiter un ajustement des limites du Parc, après moult discussions… Déjà à l’époque, les polémiques sont vives entre le maire qui prône un développement touristique tous azimuts et une partie de la population qui insiste pour préserver le cadre naturel exceptionnel du site. Un premier tronçon finit quand même par être achevé en 1976 mais quelques mois plus tard, un plasticage à l’explosif retarde la poursuite des travaux, si bien que le second tronçon ne sera mis en service qu’en 1978.

Les cabines du téléphérique de la Gave à la Meije (source © Ski passion)

Ces téléphériques qui fonctionnent avec des trains de 5 cabines chacun, comportent donc une gare intermédiaire située à 2424 m d’altitude, la gare d’arrivée du tronçon supérieur étant à 3 173 m. Exploités depuis 2017 par la Société d’aménagement touristique de la Grave, une filiale de la SATA, basée à l’Alpe d’Huez, ces téléphériques permettent de desservir l’hiver un téléski qui conduit les skieurs sur le glacier de la Girose jusqu’à 3 600 m d’altitude. Mais ce vieux téléski, fonctionnant encore au fuel, est mal placé par rapport à la configuration actuelle du glacier qui s’est fortement rabougri ces dernières années et les skieurs doivent se faire tracter sur 800 m par une dameuse pour le rejoindre depuis l’arrivée du téléphérique… D’où le projet de construire un troisième tronçon de téléphérique qui prendra la suite des deux précédents et conduira directement les passagers jusqu’à 3 600 m.

Mais voilà que, comme il y a 50 ans mais avec encore plus de vigueur, ce projet déchaîne les passions et suscite une forte opposition, de la part de ceux qui considèrent qu’aller faire du ski hors-piste sur les pentes de la Meije à plus de 3 500 m d’altitude est une activité obsolète qui ne peut plus être encouragée de nos jours alors que le réchauffement climatique  fait fondre à grande vitesse les derniers glaciers alpins et que l’on a enfin pris conscience de la nécessité de préserver ce qu’il reste de notre environnement naturel. Des associations se sont mobilisés et ont engagé des actions en justice pour tenter de faire obstacle à ce projet d’un autre temps. Mais en vain ! Leurs référés successifs ont tous été rejetés par le Tribunal administratif…

Manifestation d’opposants au projet sur le glacier de la Girose le 24 septembre 2023 (photo © Mountain Wilderness / Montagnes magazine)

Les travaux ont donc démarré comme prévu fin septembre pour construire ce troisième tronçon de téléphérique sur 1800 m de longueur avec le même flux de passagers que les deux tronçons inférieurs, soit 400 passagers par heure dans des cabines de 40 places de quoi embarquer 1000 à 1200 personnes par jour jusqu’à 3 600 m d’altitude. La station de La Grave accueillant des touristes été comme hiver, le téléphérique servira pour les skieurs comme pour les adeptes de l’alpinisme ou de la randonnée en altitude, mais aussi pour les simples flâneurs venus admirer le paysage et profiter du restaurant d’altitude situé à l’arrivée du deuxième tronçon ainsi que du glaciorium qu’il est prévu d’aménager, lieu de conférence et d’exposition sur les glaciers et la haute montagne.

Images de synthèse de la future gare d’arrivée du troisième tronçon du téléphérique de la Meije, à 3 600 m d’altitude (source © SATG / Montagnes magazine)

Le chantier, dont le coût est estimé à 15 millions d’euros, est prévu sur 3 ans avec une ouverture programmée à l’hiver 2025, sachant que les entreprises ne peuvent travailler que 4 mois par an, entre la fin de la saison estivale et les premières grosses neiges, ainsi qu’au printemps. Cet automne, les travaux doivent porter sur la protection préalable des espèces végétales impactées ainsi que sur les fondations du pylône intermédiaire qui sera implanté sur un éperon rocheux émergeant du glacier. Mais les opposants au projet se sont invités dans le jeu : début octobre, une quinzaine de militants, issus principalement des Soulèvements de la Terre, sont venus interrompre les travaux, déployant leurs banderoles à 3 400 m d’altitude et bloquant les travaux pendant une petite semaine, au grand dam des entreprises engagées dans une course contre la montre pour tenter de respecter leur planning très serré.

Les militants écologistes manifestant sur le site du chantier du téléphérique de la Meije début octobre 2023 (photo © Les Soulèvements de la Terre / France 3 régions)

Une autre marche était organisée en parallèle, le 7 octobre 2023, par deux autres associations opposées à ce projet : La Grave autrement et Mountain Wilderness, tandis que les commerçants et associations sportives locales organisaient de leur côté une contre-manifestation, le 14 octobre, pour exprimer leur soutien au projet, porteur d’emploi local et de retombées économiques positives, tout en soulignant le moindre impact environnemental du futur téléphérique par rapport au vieux téléski actuel.

De quoi aviver les tensions entre partisans d’une exploitation touristique à tout prix de la montagne, et militants d’une adaptation aux réalités du changement climatique, particulièrement sensible dans ces milieux alpins de haute altitude. Un dialogue de sourd qui risque bien de reprendre au printemps lorsque les travaux du chantier reprendront…

L. V.

A Cassis, la fondation Camargo

4 novembre 2023

Le lieu est idéalement situé, à deux pas de la mer et face au cap Canaille. Les touristes qui séjournent à Cassis et se rendent à la plage du Bestouan, passent devant par milliers chaque jour, en été, mais bien peu remarquent la plaque discrète qui indique que ce bel ensemble de villas provençales avec son crépi beige, ses volets à persienne vert amande et ses balcons en fer forgé, cachés derrière de somptueux pins d’Alep, est en réalité une fondation américaine, qui fait office de résidence d’artistes.

Vue de la fondation Camargo depuis la mer, entre l’entrée du port de Cassis et la plage du Bestouan (photo © Viviana Peretti / Fondation Camargo / PNC)

Le lieu est pourtant ouvert au public, le mercredi et le vendredi, permettant aux curieux de venir déambuler dans ses jardins et admirer la vue magnifique sur l’entrée du port de Cassis avec en arrière-plan les falaises orangées majestueuses du Cap Canaille qui surplombent le bleu intense de la Méditerranée.

Jerome Hill, fondateur de la fondation Camargo (source © Fondation Camargo)

C’est ce panorama exceptionnel qui a attiré ici un riche Américain, Jerome Hill, né à Saint-Paul dans le Minesota en 1905, petit-fils d’un entrepreneur d’origine canadienne qui fit fortune dans la construction et l’exploitation de lignes de chemins de fer. Formé à Yale en composition musicale, le jeune Jerome Hill voyage en Europe où il s’initie à la peinture et à la photographie. Il découvre le petit port de Cassis au début des années 1930 et en fait sa ville d’attache, y séjournant régulièrement 4 à 5 mois par an jusqu’à la fin de sa vie, même si sa villégiature régulière est plutôt en Californie et surtout à New York où il meurt en 1972.

Quelques-uns des bâtiments de la fondation Camargo servant de résidence d’artiste (source © Parc national des Calanques)

En 1939, il décide d’acquérir un vaste terrain en bord de mer, sur lequel la seule construction alors existante est une cabane de pêcheur, dénommée « le cabanon des Aubagnais » et qui aurait dit-on été édifié par des soldats de Napoléon. Il y fait construire plusieurs maisons assez vastes pour y recevoir ses amis et aménage de beaux jardins en terrasse, et même un petit odéon à l’antique dans lequel il organise des festivals de théâtre et de musique en plein air, dans un cadre naturel admirable.

Artiste éclectique, Jerome Hill se passionne notamment pour le cinéma et réalise plusieurs court-métrages, documentaires et fiction, dont un film assez étonnant, titré « Film portrait », réalisé peu avant sa mort et présenté en 1972 au festival de Cannes, sorte de mémoire cinématographique dans lequel il alterne archives de vieux films de son enfance et scènes plus ou moins oniriques, pour certaines animées et coloriées à la main.

En 1964, habité par la volonté d’utiliser sa fortune personnelle pour aider à la création artistique, Jerom Hill crée une fondation destinée à promouvoir l’émergence de nouvelles formes artistiques et à soutenir de jeunes artistes de New York et du Minesota. Puis en 1967, il crée la fondation Camargo dans les murs de sa résidence cassidaine, pour marquer son attirance pour la culture artistique française et ce lieu auquel il est attaché. L’origine même du nom de Camargo choisi par son fondateur reste mystérieuse. Certains y voient une référence à la Camargue, pourtant bien éloignée des calanques de Cassis, mais que Jerome Hill adorait également, comme son grand ami, Lucien Clergue, à l’origine des Rencontres de la photographies à Arles. D’autres y voient les réminiscences d’un travail de recherche artistique que Jerome Hill avait mené sur une brillante danseuse française du XVIIIe siècle, Marie-Anne de Cupis Camargo, dite La Camargo, qui l’aurait fortement inspiré.

Jerome Hill, avec son chevalet de peintre dans sa maison de Cassis (source © Fondation Camargo)

Toujours est-il que la fondation Camargo est restée jusqu’en 2011 une sorte d’enclave américaine en terre provençale, pilotée principalement depuis les États-Unis et accueillant chaque année des dizaines d’artistes et de chercheurs en sciences humaines et sociales, presque tous d’origine américaine, venant chercher sur les rives méditerranéennes le calme et la lumière propices à la création artistique et à la réflexion. La fondation s’est depuis davantage ouverte et c’est plus d’un millier d’artistes et de chercheurs qui ont désormais été accueillis ici depuis 1971. La fondation dispose d’un capital confortable de 10 millions d’euros et d’un budget annuel de 600 000 € avec une dizaine de salariés, ce qui lui permet d’accueillir chaque année une vingtaine de personnes en résidence, avec désormais des partenariats qui se nouent avec le MuCEM, le Festival international de cinéma de Marseille ou encore le Centre national de la danse de Pantin.

Le petit amphithéâtre en plein air aménagé dans les jardins de la fondation Camargo avec le cap Canaille et la mer en arrière-plan (photo © Viviana Peretti / France Bleu)

En 2018, l’ensemble de villas de la fondation Camargo a été labellisée « Maison des illustres » par le Ministère de la Culture, un label créé en 2011 et qui distingue plus de 200 lieux de mémoire qui rappellent ainsi la vie, et souvent l’œuvre d’hommes et de femmes qui se sont illustrés dans l’histoire politique, sociale ou culturelle de la France. On y trouve ainsi la maison natale de Napoléon Bonaparte à Ajaccio, la maison de Jean Giono à Manosque ou celle de Paul Cézanne à Aix-en-Provence, ou encore le cabanon du Corbusier à Roquebrune-Cap Martin. Un bel hommage pour le jeune américain à l’esprit curieux, tombé amoureux de la belle lumière provençale et des pierres des calanques, et suffisamment altruiste pour léguer sa fortune personnelle au profit de la création artistique…

L. V.

Icon of the Seas : le nouveau monstre des mers !

29 septembre 2023

Lors de sa mise en service en 1912, le Titanic, comme son frère jumeau l’Olympic, achevé un an auparavant, était le plus long paquebot jamais construit avec 269 m de long pour un poids en déplacement de 66 000 tonnes. De véritables mastodontes, commandés par la White Star Line pour des traversées transatlantique, réalisés dans un chantier naval de Belfast et destinés à surpasser les deux fleurons de la compagnie concurrente, la Cunard Line, le Lusitania et le Mauretania, dont la longueur de 240 m était déjà assez impressionnante. A côté, la plus grosse baleine bleue jamais répertoriée, avec ses 190 tonnes et ses 30 m de long, est ridiculement petite !

Le Titanic en avril 1912 (source © Southampton City Council / AFP / RTL)

Mais ce n’était alors que le début d’une véritable course au gigantisme des paquebots. En 1935, le Normandie, construit par les chantiers navals de Penhoët, à Saint-Nazaire, pour le compte de la Compagnie générale transatlantique, mesurait déjà 314 m de long, surpassé d’un cheveu par le Queen Elisabeth II lancé en 1940, puis par le France, achevé en 1962, toujours à Saint-Nazaire. Le développement du transport aérien a mis un frein sérieux à cette filière de transport maritime de passagers et il a fallu attendre ensuite les années 2000 pour que revienne la nécessité de construire des bateaux aussi gigantesques pour le transport de passagers, non plus pour desservir des lignes régulières mais pour les besoins de la croisière de tourisme qui connaît alors un nouvel engouement.

Le paquebot France construit dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, baptisé le 11 mai 1960 par Yvonne De Gaulle (source © Presse Océan / Ouest France)

En 2004 est ainsi achevé, dans les chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire alors en pleine renaissance, le Queen Mary 2, un paquebot de 345 m de longueur, commandé par la Cunard Line et destiné à assurer des liaisons transatlantiques d’avril à décembre et des croisières autour du monde le reste de l’année. Il restera le paquebot le plus grand jamais construit jusqu’en 2009, date à laquelle est mis en service l’Oasis of the Seas, un véritable immeuble flottant de 360 m de longueur, pesant 100 000 tonnes et capables de transporter 6296 passagers pour les besoins de la Royal Caribbean International.

L’Oasis of the Seas en croisière (photo © Royal Caribbean / Cruise Hive)

Cette compagnie maritime américano-norvégienne, fondée en 1968 et désormais basée à Miami, détient actuellement 26 bateaux de croisière. L’Oasis of the Seas, comme son clone, l’Allure of the Seas, livré en 2010, a été construit par les chantiers naval de Turku en Finlande. Trois autres paquebots de la même catégorie ont ensuite été livrés par les chantiers de l’Atlantique : l’Harmony of the Seas, achevé en 2016 et devenu alors le plus long paquebot du monde avec 362 m de longueur, puis le Symphony of the Seas, livré en 2018 et enfin le Wonder of the Seas, lancé en 2020. Ce dernier est alors le navire de croisière au plus fort tonnage jamais construit, avec une jauge brute de 236 000 tonneaux, soit cinq fois le Titanic !

A bord du Wonder of the Seas (photo © Royal Caribbean / United Cruise)

Mais cette course au gigantisme n’est pas finie car le secteur de la croisière de masse est en plein essor après un passage à vide lié à la pandémie de covid et à la forte médiatisation des déboires du Diamond Princess, bloqué en quarantaine au Japon en février 2020 avec 634 cas de Covid déclarés dont 7 décéderont. Depuis, les affaires ont repris de plus belle et les clients se pressent pour embarquer dans ces usines à touristes. La compagnie Royal Caribbean International dont les affaires sont florissantes lance donc en 2021 la construction d’un nouveau navire de croisière encore plus vaste et plus luxueux que les précédents, de la classe Oasis. Le moteur de cette course au gigantisme est de faire des économies d’échelle : plus le bateau est gros, plus on peut diversifier les activités à bord et plus on peut entasser de passagers avec un équipage qui n’augmente pas de manière proportionnelle. Autrement dit, on gagne sur les frais de personnel…

L’Icon of the Seas en vie d’achèvement dans les chantiers navals de Meyer Turku en Finlande avec son immense dôme à l’avant surplombant la salle de spectacle (photo © Royal Caribbean / Mer et Marine)

Le nouveau fleuron de la compagnie, baptisé Icon of the Seas, l’icône des mers en bon français, a été lui aussi réalisé dans les chantiers navals de Turku, au sud de la Finlande et il vient d’être lancé pour effectuer ses premiers essais en mer en juin 2023, pour une mise en service officielle prévue début 2024. C’est donc à ce jour le plus gros navire de croisière jamais construit, avec 365 m de long, soit 96 m de plus que le Titanic. Il pèse 250 000 tonnes et est équipé de 20 ponts avec plus de 2000 cabines, de quoi accueillir 7600 passagers pour 2350 membres d’équipage. On y trouve 7 piscines, un immense parc d’attractions aquatiques avec ses immenses toboggans en plastique multicolore du dernier chic, de nombreux restaurants, des salles de spectacle et même une patinoire.

Activités nautiques à bord de l’Icon of the Seas (source © Twitter All Word Travel Amarillo / La Tribune)

Le navire suscite une telle curiosité que les réservations pour ses premières croisières prévues en janvier prochain dans les Caraïbes affichent déjà complet. Pour une semaine de croisière, le prix n’est pourtant pas donné à 1500 euros minimum la semaine par personne et même jusqu’à 75 000 € pour la suite avec balcon, machine à pop-corn, karaoké et toboggan pour se rendre directement au salon : quand on aime, on ne compte pas…

L’Icon of the Seas lors de ses premiers essais de navigation dans la baie de Turku en juin 2023 (photo © Royal Caribbean / Meyer Turku / Le Marin)

Pourtant, le lancement de navire de croisière d’un tel gabarit en fait tousser plus d’un. A l’heure où chacun se demande comment amorcer enfin cette transition écologique vitale pour la survie de l’humanité et comment se projeter dans un mode de vie plus sobre en énergie, on pourrait en effet imaginer que l’urgence n’est pas à développer ainsi de tels monstres des mers, surtout quand on sait à quel point les bateaux de croisière participent à la pollution de l’air à chacune de leurs escales. Certes, l’Icon of the Seas ne fonctionne pas au fuel lourd comme la plupart des navires actuellement en activité, mais au gaz naturel liquéfié dont il consommera quand même la bagatelle de 175 000 litres par jour, du méthane issu comme il se doit de l’exploitation de gaz de schistes, avec un impact environnemental non négligeable. Chaque passager émettra ainsi 106 kg de CO2 par jour, soit l’équivalent d’un trajet de 450 km avec une voiture à essence : on connait loisir plus écologique que la croisière de masse en mer à bord de tels mastodontes…

L. V.

Le tombolo d’Hyères a un pied dans la tombe…

9 septembre 2023

Le double tombolo qui relie la ville varoise d’Hyères-les-palmiers à l’île de Giens, situé à 5 km plus au sud, fait partie de ces curiosités géographiques que l’on ne retrouve qu’à quelques autres endroits sur terre, notamment à Orbetello en Toscane. Vu depuis les hauteurs de la colline de Costebelle, on dirait deux bras gigantesques qui retiennent l’île de Giens et l’arriment solidement à la terre ferme, comme le raconte si bien Michel Augias dans ses vidéos et sur son site consacré à l’histoire locale de l’eau. Mais cette solidité n’est qu’apparente et d’ailleurs toute récente à l’échelle des temps géologiques…

Vue aérienne de la presqu’île de Giens avec les anciens marais salants en premier plan, la zone pavillonnaire de la Capte à gauche et la plage de l’Almanarre à droite (source © TPM)

Il y a 18 000 ans seulement, à l’occasion de la dernière glaciation, le niveau de la mer était 125 m plus bas et tout le secteur était totalement émergé, le littoral se situant à plusieurs kilomètres au sud des îles actuelles de Giens mais aussi de Porquerolles ou de Port-Cros, alors accessibles à pied sec par nos lointains ancêtres. La remontée progressive du niveau de la mer a ensuite isolé ces îles mais l’on considère que le cordon littoral qui constitue le tombolo ouest s’est mis en place il y a 5 000 ans seulement, déposé par-dessus des dépôts lagunaires récents.

Le cordon oriental, lui, est sensiblement plus récent et les dépôts de sable sont nettement plus épais puisqu’il faut descendre à plus de 24 m de profondeur pour retrouver les dépôts vaseux sous-jacents. Il a probablement émergé sous l’accumulation progressives des apports alluvionnaires des fleuves côtiers voisins, dont le Gapeau, mais aussi le Pansard et le Maravenne, qui charrient vers la mer des matériaux issus de l’érosion des massifs en amont. Depuis l’émergence de ce second tombolo sableux, il y a peut-être 2 à 3 000 ans, à plus d’1 km à l’Est du précédent, le tombolo ouest n’est plus alimenté par ces apports détritiques et est donc soumis à une érosion constante.

Vue aérienne de la presqu’île de Giens reliée par son double tombolo à la ville d’Hyères, avec l’emprise du site classé en 2005 (source © Google earth / Thierry Boisseaux / IGEDD)

Les archives historiques indiquent d’ailleurs que la morphologie du secteur a considérablement évolué depuis. Un peu avant notre ère, les Grecs qui s’étaient déjà implantés à Marseille, vers 600 avant J.-C. fondent, à l’extrémité nord du tombolo ouest un comptoir dénommé Olbia, qui passera ensuite aux mains des Romains, lesquels organisent l’exploitation des premiers marais salants, près de l’embouchure du Gapeau. En 1480, un canal est créé qui récupère les eaux du Roubaud et les conduit vers l’étang des Pesquiers, situé entre les deux tombolos, provoquant un afflux d’eau douce qu’il faut évacuer en créant une brèche dans le tombolo est, le Grand passage, que l’on équipe alors de bourdilles pour piéger les poissons.

Mais les crues du Gapeau viennent régulièrement endommager les pêcheries tandis que le paludisme décime les habitants, si bien qu’en 1824 sont entrepris de gros travaux de drainage et le détournement des eaux du Roubaud au nord de la bastide du Ceinturon. En parallèle, l’exploitation du sable des cordons dunaires connait alors un essor quasi industriel, en particulier pour alimenter le chantier d’aménagement du port de Toulon. Le tombolo ouest, déjà privé d’apports sédimentaires et subissant les effets de l’érosion naturelle, est l’objet, à partir de 1848, de gros travaux de terrassement en vue de l’exploitation des marais salants sur toute la partie nord de l’étang des Pesquiers, exploitation qui durera jusqu’en 1994, avant le rachat du site par le Conservatoire du Littoral en 2001.

Exploitation des marais salants de la presqu’île de Giens (source © Histoire d’eau à Hyères)

En 1930, une conduite d’évacuation des eaux usées est mise en place sur 1,2 km de long au nord du tombolo ouest, partiellement enterrée puis posée sur les fonds marins, pour rejeter les eaux usées en mer à 10 m de profondeur, contribuant encore à décimer les bancs de posidonies qui protégeaient tant bien que mal le cordon dunaire de l’érosion. Enfin, en 1969, une route goudronnée, « la route du sel » est construite sur le tombolo ouest sur lequel on installe aussi une ligne à haute tension et dans lequel on enfouit une conduite d’adduction d’eau potable, les pelleteuses détruisant sans état d’âme la maigre végétation qui maintient le cordon dunaire. Puis c’est l’essor massif du tourisme balnéaire avec ses cortèges de voitures pour lesquelles il faut bien aménager des parkings le long de la magnifique plage de l’Almanarre, tandis que les vacanciers piétinent joyeusement le reste de végétation dunaire et que l’on enlève systématiquement les bancs de posidonies qui protègent les plages de l’érosion.

La plage de l’Almanarre très prisée des estivants, malgré sa tendance à se réduire comme peau de chagrin (source © Recoin de France)

Dès lors, à chaque grosse tempête se créent des brèches à travers le cordon dunaire du tombolo ouest où la plage a, par endroits, quasiment disparu. Après chaque coup de mer, il faut reboucher les trous, mettre des enrochements, parfois fermer les plus grosses brèches avec des épaves de bateau lestées de pierres, et conduire de gigantesques travaux de terrassement pour tout remettre en état. La conduite d’eau potable puis la route elle-même sont emportées et ont dû être reconstruites en arrière pour les besoins du tourisme car la presqu’île de Giens, qui ne compte que 3000 habitants permanents, reçoit pas moins de 1 million de visiteurs par an !

La protection du tombolo ouest contre l’érosion marine : un travail de Sisyphe sans cesse recommencé…  (photos © Commune de Hyères / IGEDD)

Côté Est, où des zones d’érosion active menacent les zones bâties et les installations portuaires, des tubes en géotextile remplis de sable ont été lestés au fond de la mer pour protéger de la houle les tronçons les plus exposés. Mais pour ce qui est du tombolo ouest, les solutions techniques envisagées pour protéger ce qui reste de l’érosion, tenter de maintenir un maigre cordon dunaire et empêcher la submersion marine périodique de la route du sel et des anciens marais salants en arrière, sont nettement plus lourdes car les fonds marins sont désormais profondément érodés. Des modélisations très poussées ont été faites pour évaluer l’efficacité d’infrastructures qui s’apparentent à des digues sous-marines implantées à une centaine de mètres du rivage et qui affleurent le niveau de la mer, laissant un tirant d’eau de 40 cm à 1 m, selon les projets, pour l’usage balnéaire.

Chaque hiver, le ballet incessant des engins de chantier pour recharger la plage de l’Almanarre sur le tombolo ouest… (photo © Luc Boutria / Var Matin)

Des investissements particulièrement lourds estimés au minimum à 2 millions d’euros pour la version la moins coûteuse, élaborée en 2017 par le bureau d’études spécialisé Artelia, et dont beaucoup doutent de l’efficacité réelle. Les écologistes locaux, menés par Benoit Guérin, du collectif Hyères écologie citoyenne, sont vent debout contre ce projet, estimant qu’il est temps de laisser faire la nature et de supprimer la route du sel, dans une logique de repli stratégique face à l’inexorable montée du niveau de la mer, redoutant par ailleurs les impacts environnementaux de travaux de génie civil d’une telle ampleur dans un milieu marin déjà très fragilisé.

Une vision que n’est pas loin de partager le ministère qui a confié en 2021 une étude au Conseil général de l’environnement et du développement durable. Le rapport qui en découle insiste évidemment sur les points d’interrogations encore en suspens, recommande de nouvelles études et investigations pour comparer différentes alternatives, voire vérifier quelles seraient les conséquences en cas de non intervention. Bref, une manière polie de gagner du temps et de ne surtout pas se positionner…

Jean-Pierre Giran, le maire de Hyères-les-palmiers (photo © Rémi Brancato / Radio France)

Une attitude qui a le don d’agacer profondément le maire UMP de Hyères, Jean-Pierre Giran, devenu tout récemment président de Toulon Provence Métropole, à la faveur de la démission forcée d’Hubert Falco, et qui trépigne d’impatience pour engager les pelleteuses. Un dossier emblématique en tout cas du dilemme qui va se poser de plus en plus fréquemment à nos élus locaux confrontés aux effets croissants de l’érosion littorale et au risque accru qui pèse sur les enjeux touristiques associés : face aux phénomènes naturels, l’homme n’aura pas nécessairement partout le dernier mot !

L. V.

Le Canal de Panama victime de la sécheresse

28 août 2023

Il n’y a pas qu’en France que l’on s’inquiète de la baisse des ressources en eau après des mois de déficit pluviométrique. Au Panama, ce petit pays d’Amérique centrale coincé entre le Costa Rica, à l’ouest, et la Colombie, à l’Est, dans la partie la plus étroite de l’isthme qui sépare l’Atlantique du Pacifique, la sécheresse sévit aussi. A la fin de la saison sèche, qui dure ici entre décembre et avril, les réserves en eau du pays étaient au plus bas. Mais depuis le mois de mai il ne pleut guère et, le 21 juin 2023, un communiqué du Ministère français des affaires étrangères alertait les touristes sur les risques de pénurie d’eau, y compris à l’hôtel, dans le secteur très prisé de Bocas del Toro avec ses plages paradisiaques sur la côte caraïbe.

Les plages paradisiaques de la région de Bocas del Toro, au nord-ouest de Panama (photo © Joly W. / Tripadvisor)

Conséquence de cette sécheresse qui dure et du niveau très bas des lacs de retenue, la société qui exploite le canal de Panama a dû restreindre, dès la fin du mois d’avril, la circulation sur cette voie d’eau. Une mesure qu’il a même fallu renforcer cet été : depuis le 30 juillet, et pour une durée d’au moins un an, sauf à ce que des pluies exceptionnelles s’abattent d’ici la fin de la saison, le nombre de navires autorisés chaque jour à emprunter le canal a été réduit de 40 à 32 et leur tirant d’eau est désormais limité à 44 pieds, soit 13,4 m, ce qui revient à en limiter fortement la charge pour les bateaux dimensionnés en fonction des nouvelles configurations de l’ouvrage, élargi en 2016 à l’issue de 9 années de chantier pharaonique, et surnommés New-Panamax.

La traversée du canal par de gros porte-containers, ici le 24 avril 2023, désormais entravée par le manque d’eau (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Si les mensurations du canal de Panama sont aussi importantes, au point de servir d’étalon pour la morphologie des porte-containers du monde entier, c’est que cet ouvrage de franchissement est devenu au fil du temps un site stratégique où transite pas moins de 6 % du trafic maritime mondial. En 2022, ce sont ainsi 518 millions de tonnes de marchandises qui sont passées par le canal de Panama, où les plus gros navires autorisés transportent 18 000 containers, contre 4000 seulement avant l’élargissement !

Deux navires dans les écluses de Gatún en 2011 (photo © Michel Lecumberry / Saga in Panama)

Cette réduction de trafic va donc se traduire par une forte baisse des rentrées d’argent pour le Panama, estimée à au moins 200 millions de dollars sur un an, sachant que le chiffre d’affaires du canal avait dépassé les 3 milliards de dollars en 2022 selon l’Autorité du Canal de Panama. Depuis l’annonce de cette nouvelle restriction, des embouteillages se sont formés à l’entée du canal où l’on a compté en août jusqu’à 160 navires en attente. Ils étaient encore 130 la semaine dernière à patienter, sachant que la durée d’attente, qui atteint généralement de 3 à 5 jours, est montée jusqu’à 19 jours… De quoi perturber fortement le trafic, en particulier entre la Chine et les États-Unis, principaux utilisateurs de cet ouvrage qui permet, moyennant un trajet de 80 km, parcouru en 9 h seulement, de raccourcir de plus de la moitié le trajet d’un navire reliant New York à San Francisco (9 500 km via le canal de Panama contre 22 500 en passant par le Cap Horn !).

Des bateaux de croisière sont aussi nombreux à emprunter le canal (source © Société de géographie)

Si l’on en est arrivé à une telle situation, c’est que le transit des navires par le canal de Panama exige énormément d’eau : il fait en effet près de 200 millions de litres d’eau pour remplir les écluses permettant le passage d’un seul navire d’un océan à l’autre ! Non pas de l’eau de mer, mais de l’eau douce qui provient de deux lacs de retenue, Gatún et Alajuela, lesquels servent par ailleurs à alimenter en électricité et en eau potable la moitié des 4,2 millions d’habitants du pays ! Il faut ainsi chaque année de l’ordre de 5,2 milliards de m3 d’eau douce pour permettre au canal de fonctionner et déjà en 2019, lors d’une vague de sécheresse précédente, il n’avait pu disposer que de 3 milliards, un déficit qui ne cesse de se creuser, d’autant que les prévisions météorologiques ne sont pas très optimistes pour la poursuite de la saison des pluies 2023 à cause du phénomène El Niňo prévu pour la fin de l’année.

Une situation jugée alarmante par l’Autorité du Canal de Panama dont un des administrateurs déclarait en avril dernier : « nous ne voulons pas en arriver à un conflit philosophique entre l’eau pour les Panaméens et l’eau pour le commerce international »… C’est pourtant bien ainsi que la question se présente et le conflit risque de ne pas rester indéfiniment « philosophique » si des restrictions d’alimentation en eau potable devaient être instaurées pour permettre aux porte-containers chinois de continuer à déverser leur cargaison de tee-shirts en direction de la côte Est des États-Unis…

Vue aérienne du lac Alajuala à Panama, le 21 avril 2023 (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Un cas de figure qui, bien sûr n’avait pas été anticipé mais que le changement climatique met en lumière cruellement. A l’origine, lorsque Ferdinand de Lesseps, auréolé par la réussite du percement récent du Canal de Suez, lance le chantier de Panama, le 1er janvier 1882, il n’était pas question d’écluses pour rejoindre les côtes Caraïbe et Pacifique. L’opposition farouche des États-Unis et les déboires liés aux éléments naturels, d’abord un fort séisme, puis les crues dévastatrices du rio Chagres et enfin les effets de la malaria qui déciment les équipes, douchent l’enthousiasme de l’entrepreneur français et font chuter les actions en bourse de sa société.

Travaux de percement du canal de Panama en 1907 (source © La 1ère France TV info)

C’est son ami, l’ingénieur Gustave Eiffel qui vient alors à sa rescousse et conçoit un système de 10 écluses pour faire traverser l’isthme panaméen par le canal, avec un point haut situé à 26 m au-dessus du niveau de la mer. La faillite de la Compagnie universelle du canal transocéanique de Panama, en 1889, ne permettra pas au projet d’aboutir, mais les Américains reprennent le projet à partir de 1902, s’arrogent par la force un droit de protectorat sur le Panama qu’ils détachent de la Colombie, et imaginent la création d’un lac artificiel pour alimenter 3 jeux d’écluses, sur la base d’un projet imaginé initialement par l’ingénieur français Adolphe Godin de l’Épinay. A partir de 1907, un gigantesque barrage est édifié sur le rio Chagres et en 1913 est ainsi créé le lac Gatún, à l’époque le plus grand lac artificiel du monde et dont le plan d’eau constitue un tronçon majeur du canal lui-même, emprunté sur plus de 32 km par les navires qui traversent.

Un vraquier de 255 m de long franchit le 9 juin 2016 la nouvelle écluse d’Agua Clara qui vient d’être achevée, côté Atlantique (photo © ACP / Mer et marine)

Inauguré le 15 août 1914, alors que le chantier a coûté la vie à environ 22 000 ouvriers, le canal de Panama reste aux mains des Américains jusqu’en 1999, date à laquelle Jimmy Carter accepte enfin de le rétrocéder aux Panaméens, ce qui conduit ces derniers à entreprendre, à partir de 2007, d’ambitieux travaux d’élargissement et la construction de deux jeux d’écluses supplémentaires. Face aux difficultés d’approvisionnement en eau, déjà mis en évidence lors de la vague de sécheresse de 2019, il est désormais question d’envisager la création d’un troisième lac de retenue, au détriment bien évidemment de l’environnement encore préservé de cette zone riche en biodiversité : une logique de fuite en avant qui consiste à engager des travaux de plus en plus pharaoniques pour tenter de capter toujours davantage de ces ressources naturelles déjà surexploitées, plutôt que d’adapter nos besoins à ce qui est raisonnable, éternel débat…

L. V.

Aiguiers du Luberon : une gestion ancestrale de l’eau

22 août 2023

S’étendant dans les départements de Vaucluse et des Alpes de Haute-Provence, les massifs montagneux du Luberon (au sud) et des Monts de Vaucluse (au nord) font partie de ces massifs calcaires en milieu méditerranéen, couverts de garrigues et de forêts, où la gestion de l’eau a longtemps posé problème à l’homme. En dehors des cours d’eau comme le Calavon-Coulon qui s’écoule dans la plaine d’Apt entre ces deux massifs et qui, lui-même, est parfois à sec au cœur de l’été, les ressources en eau sont rares, surtout sur les hauteurs de ces reliefs calcaires où l’eau de pluie s’infiltre à travers les fissures de la roche, forme des réseaux karstiques souterrains et ressort parfois à des kilomètres de là, comme c’est le cas à la Fontaine de Vaucluse notamment.

Barrage de Saint-Saturnin lès Apt, avec ses deux voûtes successives, lors de la vidange en août 2023 (photo © CPC)

Du coup, l’implantation humaine sur les hauteurs reste rare et regroupée dans quelques villages souvent perchés, dont certains ont dû même faire de gros travaux pour assurer leur alimentation en eau. C’est le cas par exemple du petit village de Saint-Saturnin-lès-Apt, implanté sur les contreforts des Monts de Vaucluse et dont le château est répertorié au moins depuis l’an mil. Le bourg a construit dès 1763 un barrage juste au-dessus du village, pour stocker les eaux qui coulent dans le petit thalweg au pied de l’éperon rocheux fortifié. Réhaussé en 1835, ce barrage a été doublé en 1902 par un second ouvrage juste en aval du précédent et l’ensemble a assuré les besoins en eau du village jusqu’en 1954, date à laquelle l’alimentation du village a enfin pu être sécurisée grâce au raccordement au Canal de Provence qui irrigue désormais une bonne partie du département.

Aiguier à l’air libre avec la rigole permettant son alimentation, près de Travignon (photo © CPC)

Mais sur les hauteurs, constituées de crêtes boisées, on peut marcher des heures sans rencontrer âme qui vive, en dehors des chevreuils et des sangliers. Plusieurs anciens hameaux ont été abandonnés et les fermes isolées restent rares, en partie du fait de ces difficultés d’alimentation en eau. Pourtant, les hommes ont fait de tout temps preuve d’une grande ingéniosité pour tenter d’y remédier en retenant et en stockant l’eau pour pallier les périodes de sécheresse estivale, lorsque hommes et troupeaux tirent la langue en attendant un hypothétique orage.

Réservoir de l’aiguier de Travignon, avec son toit voûté (photo © CPC)

On voit ainsi, un peu partout, près des petits hameaux d’altitude et des bergeries, des aiguiers qui sont des citernes creusées dans la roche et souvent recouvertes de constructions en pierres sèches voûtées à la manière des bories. Ces citernes sont parfois alimentées par l’eau qui ruisselle des toitures et qui était alors recueillie précieusement. Mais on voit aussi nombre d’aiguiers situés en contrebas d’une grande dalle calcaire naturelle, souvent creusée de sillons qui canalisent l’eau de ruissellement jusque dans la citerne creusée à même le rocher.

Impluvium de l’aiguier de Jairon, à Saint-Saturnin lès Apt, avec les rigoles creusées dans le rocher (photo © CPC)

Un bassin de décantation est souvent aménagé en amont pour permettre de filtrer les gros éléments en cas de forte pluie et les ouvrages les plus sophistiqués qui datent pourtant généralement de plusieurs siècles, disposent même de plusieurs citernes en cascade, séparées par des murets en pierre sèche qui assurent une certaine filtration de l’eau recueillie.

Aiguier de Baralié avec sa double coupelle en encorbellement et ses deux citernes en cascade (photo © CPC)

La citerne elle-même est creusée dans le massif calcaire sain pour éviter les pertes par infiltration mais la partie inférieure de la cavité était parfois enduite à la chaux pour en parfaire l’étanchéité. Les parties en élévation, en revanche, étaient systématiquement édifiées en pierres sèches, selon un appareillage très soigné qui assurait la pérennité de l’édifice mais restaient perméable aux infiltrations. Ces voûtes en pierre protégeaient l’eau stockée de l’évaporation et des pollutions aériennes tout en garantissant à l’eau ainsi stockée une extrême fraicheur pendant les mois d’été.

Réservoir de l’aiguier des Tavannes, à Saint-Saturnin lès Apt, taillé dans le rocher avec sa couverture en pierres sèches (photo © CPC)

Lorsqu’on se promène dans les Monts de Vaucluse, on découvre ainsi des centaines de ces aiguiers, dont la tradition remonte au moins au XVIIe siècle selon les traces laissées dans les chroniques locales et dont plusieurs sont encore en usage, en complément de l’alimentation du réseau pour les fermes encore habitées et désormais reliées. Ces ouvrages hydrauliques sont parfois d’une extrême sophistication et leur construction particulièrement soignée atteste de l’importance vitale que revêtait dans ces contrées arides une gestion durable des ressources en eau, bien rare tombé du ciel selon un calendrier capricieux et qu’il faut impérativement conserver pour tenir jusqu’aux prochaines pluies. Ils ne servaient pas nécessairement pour l’eau potable mais constituaient des réserves précieuses pour certains usages comme l’abreuvement des troupeaux ou l’arrosage du potager voire la lessive.

Abreuvoirs taillés dans la pierre près de l’aiguier des Tavannes, à Saint-Saturnin lès Apt (photo © CPC)

Ces réserves servaient ainsi à abreuver chèvres et moutons, qui constituaient la principale richesse des populations rurales implantées sur ces crêtes boisées battues par les vents, au moins jusqu’à la Première guerre mondiale. On y trouve donc généralement à proximité de multiples abreuvoirs, souvent taillés directement dans le rocher et alimentés gravitairement par le surplus des aiguiers ou que les hommes remplissaient en puisant dans le réservoir souterrain juste en amont.

Trop plein de l’aiguier de Travignon, permettant d’alimenter une autre citerne en aval (photo © CPC)

Ces ouvrages hydrauliques du passé, encore largement utilisés de nos jours, témoignent sans conteste de l’importance vitale accordée dans ces contrées rurales à une gestion parcimonieuse des ressources en eau. Une pratique ancestrale de développement durable que l’on peine à retrouver lorsqu’on constate comment certaines activités modernes sont capables de gaspiller de manière éhontée ce don du ciel, à l’instar du festival Insane de musique techno, capable d’attirer près de 50 000 spectateurs en plein mois d’août dans la petite ville d’Apt et qui n’hésite pas, une fois les installations repliées, à vider purement et simplement sur le sol les immenses cuves d’eau disposées autour du site pour la prévention du risque incendie, au nez et à la barbe des agriculteurs locaux interdits d’arroser leurs cultures pour cause d’arrêté sécheresse préfectoral : la gestion de l’eau comme celle des autres ressources naturelles obéit désormais à une logique parfois déroutante…

L. V.

Titan et les migrants : le choix des médias

29 juin 2023

L’affaire a fait beaucoup de bruit et toute l’actualité internationale a vibré à l’unisson autour de cet évènement dramatique qui a tenu en haleine la planète entière à partir du 18 juin 2023. Ce jour-là en effet, le petit sous-marin de poche, dénommé Titan, appartenant à la société américaine OceanGate, avait plongé avec 5 hommes à bord pour aller visiter l’épave du Titanic, ce paquebot britannique présumé insubmersible qui avait coulé lors de sa première traversée transatlantique le 15 avril 1912 après avoir malencontreusement heurté un iceberg et dont l’épave git désormais à 650 km au sud-est de Terre-Neuve, par 3 851 m de fond.

Le Titan amorçant sa plongée vers les abysses (source © OceanGate / Reuters / Le Temps)

La plongée du Titan, largement médiatisée, devait durer 7 heures. C’était la première de l’année 2023 mais d’autres avaient déjà eu lieu en 2021 et 2022. Construit en 2017, le Titan est un cylindre de 6,70 m de long, en oxyde de titane recouvert de fibres de carbone, actionné par 4 moteurs électrique mais à autonomie très limitée. Il nécessite l’usage d’un navire pour l’amener sur site et le récupérer. La plongée vers l’épave dure 2 heures et autant pour la remontée vers la surface, laissant quelques heures pour vadrouiller autour de l’épave que les passagers peuvent observer au travers d’un vaste hublot.

C’est d’ailleurs probablement le point faible de l’engin car le hublot en question n’est homologué que jusqu’à 1300 m de profondeur. Un ancien dirigeant de la société Oceangate, David Lochridge, avait d’ailleurs démissionné en 2018, inquiet pour la sécurité des passagers de l’appareil du fait de l’absence de vérification du comportement de ce hublot à une telle profondeur. Des incidents avaient déjà été signalés et le scénariste américain Mike Reiss, qui avait plongé en 2022 à bord du même sous-marin, confirmait le 19 juin à la BBC : « On perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments et ce genre de trucs ».

Plateforme de mise à l’eau du Titan, ici en 2018 lors des premiers essais de plongée (photo © MacKenzie Funk / New York Times)

Il faut dire que le submersible en question ne dispose pas de système de géolocalisation et que les communications avec la surface sont très sommaires. Le confort est spartiate, chacun étant simplement assis à même le plancher avec des réserves en oxygène limitées donnant une autonomie maximale de 96 heures. Les passagers, qui payent pourtant la bagatelle de 250 000 dollars pour avoir ce privilège d’observer de visu à travers le fameux hublot les vestiges rouillés du Titanic, sont donc amplement prévenus des dangers de l’opération et doivent signer, avant de monter à bord, une décharge confirmant qu’ils sont bien conscients que tout cela peut très mal tourner…

Le bastingage du Titanic vu depuis le hublot du Titan (sans Leonardo DiCaprio ni Kate Winslet) par près de 4 000 m de fond (source © OceanGate)

Cinq passagers étaient à bord du submersible lors de cette fameuse plongée du 18 juin 2023. Le pilote de l’engin était le fondateur et PDG d’OceanGate en personne, Stockton Rush, accompagné par le Français Paul-Henri Nargeolet, un ancien officier de marine ayant servi comme plongeur-démineur, puis devenu responsable à l’IFREMER des programmes de submersibles Cyana et Nautile. Il avait plongé dès 1987 à bord d’un Nautile vers l’épave du Titanic. Chasseur d’épaves invétéré et passionné du Titanic, il avait rejoint la société RMS Titanic Inc comme responsable des opérations sous-marines, ce qui lui avait permis en 1993 de remonter les premiers objets de l’épave. Depuis 2018, il était consultant pour l’entreprise Caladan Oceanic qui organise également des plongées vers l’épave du Titanic mais avec un sous-marin homologué pour descendre jusqu’à 11 000 m. A 77 ans, il était sans conteste l’un des meilleurs spécialistes de l’épave du Titanic.

Paul-Henry Nargeolet, l’ancien officier de marine passionné par l’épave du Titanic (photo © Vincent Michel / Ouest-France / MaxPPP / L’Indépendant)

De quoi attirer de riches passionnés désireux de dépenser leur fortune pour participer à une expédition touristique hors du commun avec frissons garantis, de quoi agrémenter en savoureuses anecdotes leurs prochains dîners d’affaires. Ainsi, le Britannique Hamish Harding, qui faisait partie du voyage, est le PDG d’Action Aviation, une société de courtage d’avions, basée à Dubaï, après avoir notamment développé le tourisme d’affaire vers l’Antarctique. Il avait déjà plongé au plus profond de la fosse des Mariannes, à 11 000 m, et avait participé à un vol spatial en 2022 à bord de la fusée New Shepard. L’autre businessman qui l’accompagnait, Shahzada Dawood, un Britannique d’origine pakistanaise, était le richissime vice-président du conglomérat pakistanais Engro Corporation qui fait dans les engrais et l’industrie chimique. Ce dernier avait même traîné dans l’aventure son jeune fils de 19 ans, Suleman, étudiant à Gmasgow.

Ce 18 juin 2023, le navire de surface Polar Prince, un brise-glace canadien, perd le contact avec le petit sous-marin Titan après 1h45 de plongée. A l’heure prévue pour la fin de mission, il ne remonte pas et un dispositif de recherche s’enclenche alors. Deux avions équipés de sonar sont engagés sur zone tandis qu’un troisième largue des bouées acoustiques pour tenter de capter des sons provenant du submersible. L’IFREMER mobilise de son côté son navire l’Atalante avec à son bord un robot capable de plonger à 6 000 m de profondeur. Toute la presse mondiale se mobilise et le monde entier est tenu en haleine par les moindres péripéties des recherches en cours. Les meilleurs spécialistes mondiaux se perdent en conjecture sur tous les plateaux télé pour supputer les chances de retrouver vivant l’équipage dont on sait qu’il ne dispose que de réserves limitées en oxygène.

Bref, personne sur Terre ne peut ignorer que quelque part dans l’Atlantique nord, des moyens colossaux sont déployés pour tenter de retrouver ces 5 touristes intrépides alors même que tout indique que leur sous-marin de poche s’est désintégré sous l’effet de la pression dans les premières heures de plongée. Une hypothèse qui sera d’ailleurs confirmée le 28 juin par un communiqué des garde-côtes américaines, précisant que le submersible a bien implosé et que ses restes ont été repêchés à 500 m de l’épave du Titanic.

Fragment de l’épave du Titan repêchée en mer et rapportée à Saint-Jean de Terre-Neuve au Canada, le 28 juin 2023 (photo © Paul Daly / The Canadian Press / AP / Le Monde)

Il n’en reste pas moins que cette opération a mobilisé pendant plusieurs jours des moyens importants et capté l’essentiel de l’attention médiatique, alors que bien d’autres événements au moins aussi dramatiques étaient quasiment passés sous silence.

C’est le cas notamment de la catastrophe qui est survenue quelques jours plus tôt, dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, près des côtes grecques du Péloponnèse. Un bateau de pêche vétuste, contenant sans doute entre 400 et 750 migrants, fait naufrage alors que des navires des garde-côtes grecques l’avaient repéré et approché mais l’empêchaient d’accoster. Les passeurs égyptiens dont le capitaine du navire qui l’avait abandonné avant l’entrée dans les eaux profondes du Péloponnèse ont été arrêtés depuis. Mais le bilan est lourd avec pas moins de 82 corps sans vie qui ont été repêchés tandis que 104 rescapés, principalement égyptiens, syriens et pakistanais, ont pu être secourus, les autres étant à jamais disparus en mer.

Un dessin de Daniel Glez (source © Jeune Afrique)

Un drame malheureusement devenu banal dans cette Méditerranée que des milliers de jeunes venus du Sud tentent de traverser au péril de leur vie, attirés par l’Eldorado européen, et que les médias ont finalement bien vite éclipsé, au profit des aventures plus croustillantes du petit sous-marin Titan. Même Barak Obama s’est ému de cette distorsion dans le traitement de l’actualité et le médiateur de Radio-France a largement relayé les innombrables réactions d’auditeurs indignés par une vision aussi biaisée.

Il n’en reste pas moins que les médias ne font que répondre à la demande et savent pertinemment que la curiosité humaine sera davantage captée par le sort de 5 riches explorateurs intrépides perdus près de l’épave emblématique du Titanic que par celui de centaines de pauvres gens qui sombrent jour après jour dans les eaux de la Méditerranée en espérant fuir la misère : toutes les vies se valent, mais certaines valent quand même manifestement plus que d’autres…

L. V.

L’énergie positive du Bhoutan…

14 Mai 2023

Face au défi du changement climatique, la France s’est engagée officiellement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une véritable gageure quand on sait que cela signifie diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’est bien évidement pas envisageable sans un changement drastique de notre mode de vie et de nos comportements individuels. Mais sait-on que trois pays au moins, non seulement ont déjà atteint ce stade mais l’ont même largement dépassé en consommant davantage de CO2 qu’ils n’en émettent ?

Bien sûr, ces trois pays ne sont que de minuscules confettis à l’échelle mondiale et il vaut mieux ne pas compter uniquement sur leurs efforts pour espérer inverser un tant soit peu la trajectoire actuelle qui nous conduit tout droit dans le mur du réchauffement climatique global selon une trajectoire déjà largement engagée. Ces trois pays ont d’ailleurs en commun d’être des États peu peuplés et peu industrialisés, couverts de zones forestières bien préservées puisqu’il s’agit du Surinam, du Panama et du Bhoutan.

Paysage verdoyant du Bhoutan (photo © Jean-Pierre Michel / Géo)

Ce dernier pays intrigue bien des Occidentaux après avoir été dans les années 1970 le chantre du Bonheur national brut. Une notion on ne peut plus sérieuse que le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, tout juste intronisé en 1972, s’empresse de mettre en avant comme indicateur de développement, en lieu et place du traditionnel Produit national brut auquel les économistes traditionnels nous ont davantage habitué.

L’idée était novatrice et plutôt séduisante puisque basée sur 4 critères principaux, à savoir le développement économique responsable, la conservation de la culture locale, la sauvegarde de l’environnement et la bonne gouvernance… Une feuille de route plutôt consensuelle en apparence, bien que poussée un peu à l’extrême. Au nom du respect des valeurs traditionnelle, les habitants du pays durent ainsi attendre jusqu’en 1999 pour que soit enfin autorisés la télévision et l’accès à internet !

Dans un verger de pommiers, au pays du bonheur national brut… (photo © Matthieu Ricard / Voyageurs du monde)

Et, en fait de bonne gouvernance, le Bhoutan est resté une monarchie absolue jusqu’en 2006, date à laquelle le bon roi susnommé a abdiqué en faveur de son fils, Jigme Khesar Wangchuck, couronné en 2008, à l’âge de 28 ans. Le régime s’est alors transformé en monarchie constitutionnelle et en 2013, le Premier ministre est quelque peu revenu sur la notion de Bonheur national brut en expliquant en substance que ses prédécesseurs ont beaucoup glosé sur ces notions abstraites mais peu agi en conséquence face aux véritables défis qui se posent au pays, dont le chômage, l’endettement, la crise monétaire et la corruption. Une vision plus réaliste mais qui ne l’a pas empêché d’être balayé lors des élections suivantes en octobre 2018 : le peuple est parfois bien ingrat…

Le bâtiment du parlement à Thimphou, capitale du Bhoutan (source © Décisions durables)

Toujours est-il que ce petit pays, plus étendu que la Belgique mais moins que la Suisse et qui compte à peine 800 000 habitants (moins que la ville de Marseille !), fait rêver bien des écologistes avec ses forêts qui absorbent trois fois plus de gaz carbonique que le pays n’en émet. Coincé entre l’Inde et la Chine, le Bhoutan présente des plaines subtropicales dans sa partie sud tandis que le nord s’élève dans le massif himalayen avec des sommets qui culminent à plus de 7 000 m d’altitude.

Les rivières impétueuses du Bhoutan, source inépuisable d’hydroélectricité (photo © National Geographic / Le Bhoutan)

Si son bilan carbone est aussi flatteur, c’est que 70 % de la superficie du pays est couvert de forêts, grâce à une politique active de préservation, la constitution interdisant même de descendre en dessous d’un taux minimum de 60 %… Grâce à son relief escarpé, le Bhoutan tire l’essentiel de ses ressources énergétiques de la production hydroélectrique dont les équipements sont d’ailleurs largement financés par l’Inde qui en tire également profit. L’agriculture est restée principalement vivrière mais l’élevage traditionnel de yack, dans les zones de montagne, ne représente plus qu’à peine 3 % de la consommation nationale de beurre, de viande et de fromage.

Le monastère bouddhiste de Taksang, surnommé « la tanière du tigre », site sacré du Bhoutan (source © Shanti Travel)

C’est néanmoins ce côté traditionaliste qui donne au Bhoutan son attrait touristique, depuis que le pays s’est ouvert au tourisme en 1974, à tel point que cette activité représente désormais plus de 20 % des ressources nationales. Une activité extrêmement encadrée avec visa obligatoire pour les étrangers et paiement à une agence de voyage locale d’un droit de séjour d’environ 200 dollars par jour, sensée couvrir les frais d’hébergement et de déplacement des touristes, tout en contribuant de manière substantielle au développement des infrastructures du pays. Au Bhoutan, l’accès aux centres médicaux est gratuit, de même que la scolarité jusqu’au lycée, ce qui contribue sans doute au Bonheur national brut sinon à la bonne santé de l’économie nationale dont l’endettement atteint désormais 125 % du PIB. Au Bhoutan, le revenu mensuel moyen par habitant est inférieur à 300 dollars : c’est trois fois moins que la moyenne asiatique et 12 fois moins qu’en France, mais le bonheur n’a pas de prix !

L. V.

Réserve des Monts d’Azur : la source aux bisons

21 mars 2023

Patrice Longour fait partie de ces amoureux de la nature qui consacrent leur vie à tenter de défendre la biodiversité, de plus en plus menacée par l’explosion de l’activité humaine et qui est victime d’une extinction massive comme la Terre en a rarement connues. Une menace qui pèse sur les cigales de notre environnement quotidien comme sur les éléphants du Mozambique lointain ! C’est justement auprès de cette faune africaine que Patrice Longour, alors jeune diplômé de l’école vétérinaire de Lyon a choisi de s’investir, au sein de l’association Préserve, dans delta de l’Okavango au Botswana.

Éléphants dans le delta de l’Okavango au Botswana (source © Terre d’aventure)

Cet immense delta intérieur alimenté par les eaux qui ruissellent des hauteurs de l’Angola va ensuite se perdre dans les sables du désert du Kalahari, mais il constitue un habitat naturel relativement préservé, très favorable au développement d’une faune et d’une flore diversifiée. On y dénombre plus de 400 espèces d’oiseaux et l’on peut y observer éléphants, rhinocéros, buffles, impalas, guépards, crocodiles, hyènes, hippopotames et on en passe…

Au début des années 2000, Ian Khama, chef de la tribu des Bamangwatos et futur président de la République du Botswana qu’il dirigea pendant 10 ans à partir d’avril 2008, fait observer au jeune vétérinaire français que les Européens ne sont pas forcément les mieux placés pour donner des leçons de préservation de la faune, et qu’ils feraient mieux de s’investir dans leur propre pays pour sauver ce qui peut encore l’être.

Patrice et Alena Longour sur le site de la réserve des Monts d’Azur au début de l’aventure il y a 20 ans (source © Wikipedia)

Un message reçu 5 sur 5 par Patrice Longour qui finit par abandonner son cabinet vétérinaire et rachète avec son épouse Aléna le vaste domaine de 700 ha du Haut-Thorenc, sur la commune d’Andon dans les Alpes-Maritimes, perdu sur les hauteurs de Grasse à plus de 1000 m d’altitude, constitué de forêts et de friches au pied d’une grande barre rocheuse. Un ancien manoir jadis transformé en école mais abandonné depuis 30 ans trône au milieu du plateau. Une villa bioclimatique et des écolodges sont construits à proximité pour y accueillir des touristes.

Patrice Longour, le créateur de la réserve biologique des Monts d’Azur, devant les bisons réintroduits par ses soins (photo © Ian Hanning / REA / Le Point)

Une source, qui débite toute l’année, traverse le domaine lorsque Patrice Longour le rachète en 2003. Cette source des Termes, qui se perd sur la plateau calcaire est alors captée depuis 1965 par Suez pour le compte du Syndicat des Trois Vallées, basé dans le village voisin de Caille, qui alimente en eau potable 6 communes des environs. Sauf que le syndicat en question n’a jamais racheté les terres autour de la source comme il s’y était engagé dans le cadre de la déclaration d’utilité publique et s’était contenté d’une convention avec la Caisse d’assurance maladie, alors propriétaire de la source elle-même. Lorsque cette dernière a vendu son terrain à Patrice Longour pour y créer ce qui est devenue la réserve biologique des Monts d’Azur, celui-ci a donc engagé un véritable bras de fer avec Suez afin de récupérer, au profit de la biodiversité locale et des zones humides du plateau, cette source qui est principalement captée pour alimenter les canons à neige de la station de ski de Gréolières-les-Neiges, située un peu plus haut.

La source des Termes, convoitée par Suez pour les canons à neige de Gréolières-les-Neiges (photo © Frédéric Lewino / Le Point)

Le bras de fer juridique n’est probablement pas terminé malgré deux arrêts de la Cour de cassation, mais cela n’a pas empêché la réserve biologique d’aménager deux plans d’eau, ce qui a permis à Patrice Longour de réintroduire sur le site de Thorenc, entre 2005 et 2006, deux espèces disparues d’Europe occidentale : le bison d’Europe et le cheval de Przewalski.

Les bisons d’Europe prenant leur bain dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Océane Sailorin / Côte d’Azur)

Les bisons d’Europe, que Charlemagne s’amusait encore à chasser dans les forêts d’Aix-la-Chapelle, ont disparu depuis la Première guerre mondiale et seule quelques individus survivaient encore en captivité jusqu’aux premières tentatives de réintroduction dans les années 1950. Quant au cheval de Przewalski que nos ancêtres du Néolithique avaient coutume de représenter sur des parois des grottes ornées, il n’a été redécouvert qu’en 1879, en Dzoungarie, dans les Monts Altaï qui bordent le désert de Gobi, mais plusieurs sites ont récemment permis sa réintroduction, à l’instar de celui de la réserve des Monts d’Azur qui renferme aussi des élans d’Europe, des cerfs élaphes ou encore des daims et totalise plus de 800 espèces naturelles dans son site entièrement clôturé.

Harde de cerfs élaphes dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Rv Dols / Œil PACA)

La réserve biologique des Monts d’Azur fête cette année ses 20 ans d’existence et s’enorgueillit de recevoir près de 40 000 visiteurs par ans, dont beaucoup de scolaires mais aussi de simples curieux venus voir de près ces animaux en semi-liberté, dans le cadre de visites guidées, à pied mais aussi en calèche voire en traineau pendant la saison hivernale. Certains y voient une activité un peu trop commerciale tournée avant tout vers l’accueil touristique dans un cadre naturel attractif. Mais on ne peut dénier à Patrice Longour d’avoir eu le courage de prendre au mot les conseils du chef bantou Ian Khama et d’avoir fait de gros efforts pour créer sur ce plateau de Thorenc un véritable havre de biodiversité, quitte à détourner, au profit de la nature, le débit tant convoité de la petite source des Termes…

L. V.

Carnoux : une table d’orientation mal placée…

18 février 2023

Les amateurs de marche dans la colline sur le chemin qui mène de Carnoux à Roquefort la Bédoule via le passage par la croix, avaient constaté que la plaque de l’ancienne table d’orientation était fort dégradée et par conséquent illisible, l’émail étant écaillé par endroits.

Par ailleurs, et depuis l’érection de la nouvelle croix sur un haut socle pyramidal, après un acte de vandalisme qui avait affecté l’ancienne, la table d’orientation située à son pied ne permettait plus d’admirer la totalité du vaste panorama qui s’étend des collines de Carpiagne jusqu’au massif de la Sainte Baume.

L’ancienne table d’orientation de Carnoux avant intervention
(photo © CPC)

La page 4 du numéro 67 de la revue municipale Le Messager d’octobre 2022 a annoncé « la réhabilitation du panorama de la croix », information confirmée dans le numéro 68 de janvier 2023 qui évoque son installation par l’ONF ainsi que le réaménagement et le nettoyage des abords.

Les marcheurs ont pu suivre les différentes opérations de restauration et quelques-uns ont interrogé les ouvriers de l’ONF quand ils étaient occupés à sceller le cercle de métal destiné à recevoir la nouvelle plaque émaillée d’orientation. Ils leur ont suggéré que son socle soit déplacé de quelques mètres sur la droite de la croix aux abords du surplomb afin d’offrir une meilleure efficacité de la table d’orientation. Il leur a été répondu que seuls les ordres du responsable de l’ONF pouvaient les conduire à opérer le déplacement du socle de la table.

La nouvelle table d’orientation restaurée mais dont le panorama est masqué derrière un ouvrage en pierres : une incitation à imaginer le paysage, à défaut de pouvoir l’observer…(photo © CPC)

Quelques jours plus tard, ils constatèrent que leur requête de bon sens n’avait pas été suivie d’effets et que la nouvelle table était scellée avec pour conséquence l’impossibilité de situer, par exemple, le Garlaban cher à Marcel Pagnol.

Cette opération de réhabilitation, au coût non négligeable, financée par la commune de Carnoux et par le département des Bouches du Rhône, aurait mérité une étude préalable afin d’offrir aux promeneurs, une lecture du panorama plus complète. Notons aussi que le point de vue sur les collines qui surplombent Roquefort la Bédoule est occulté par des pins qui ont été préservés.

Table d’orientation de la Cadière d’Azur, avec sa vue dégagée à 360°

Il existe pourtant dans notre région des exemples d’aménagements qui offrent au large panorama sur le paysage environnant. Ainsi, à la Cadière d’Azur, dans le Var, c’est une vision à 360° qui est permise comme le montre la photographie. Dans d’autres régions, comme à Rosenwiller en Alsace, la table d’orientation est semi-circulaire et cible ainsi le seul panorama visible.

A Carnoux, il faut une vision surnaturelle pour observer le paysage depuis le panorama de la croix… (source © Tuxboard)

Les marcheurs qui visitent les collines de Carnoux ne possédant pas les yeux laser des super-héros comme ceux de Superman, il leur faudra attendre que la science les dote de lunettes capables de voir au travers de la matière pour repérer les différents massifs mentionnés sur la table d’orientation de Carnoux, mais cela relève encore de la science-fiction.

Maroiller

La mer Morte est-elle menacée de mort ?

4 août 2022

Cléopâtre et la reine de Saba déjà l’avaient remarqué en leur temps : la mer Morte est particulièrement riche en sels minéraux et notamment en potassium, si bien que les boues issues de ses rives étaient déjà réputées pour leurs bienfaits thérapeutiques et cosmétiques dès l’Antiquité. Une tradition qui perdure et qui continue à drainer des milliers de touristes venus faire des cures thermales et surtout flotter comme un bouchon en faisant la planche tout en lisant le journal. Une capacité portante exceptionnelle liée à cette forte teneur en sels qui peut atteindre jusqu’à 340 g/l alors que celle de la Méditerranée ne dépasse pas 38 à 40 g/l et que celle de la mer Rouge atteint tout au plus 50 à 58 g/l. Aucun animal marin ni même les algues ne peuvent survivre dans un tel milieu, ce qui lui vaut d’ailleurs son nom de mer Morte…

Les eaux turquoise de la mer Morte, tellement salées qu’on y flotte sans peine (source © Get your guide)

Sauf que rien n’est totalement immuable et que la reine de Saba ne reconnaîtrait pas les rives de la mer Morte si d’aventure elle devait repasser par là… En l’espace de 50 ans, cette mer fermée a perdu un tiers de sa superficie, tout comme la mer d’Aral ou le lac Tchad, et son niveau baisse en moyenne de 70 cm par an, une baisse qui s’est encore accélérée depuis et peut atteindre jusqu’à 1,45 m par an ! En 1900, la surface de l’eau était à – 390 m sous le niveau des mers et elle se trouve désormais à – 426 m, soit une baisse de près de 40 m depuis…

Le lac de Tibériade et ses berges verdoyantes (photo © AFP / i24)

Bien entendu, le réchauffement climatique n’améliore pas la situation en augmentant les périodes de forte chaleur qui accentuent l’évaporation, la mer Morte n’étant que l’exutoire ultime du Jourdain, ce fleuve biblique issu du lac de Tibériade et dont les eaux viennent se perdre dans la mer Morte où elles s’évaporent naturellement. Mais la cause de cet assèchement brutal est principalement liée à l’activité humaine. Dans les années 1960, l’État d’Israël, en plein expansion a eu besoin d’énormes quantités d’eau pour alimenter ses colonies de peuplement et assurer la mise en culture du désert du Néguev. Un barrage a alors été construit au sud du lac de Tibériade et plus des trois-quarts de son débit est depuis purement et simplement détourné pour les besoins des Israéliens, ne laissant plus qu’un débit qui ne dépasse pas celui de la Seine à Paris !

Vue aérienne de la mer Morte en voie d’assèchement, avec à gauche la partie sud exploitée en bassins de décantation pour extraire la potasse (source © France TV Info)

Depuis lors, les apports du Jourdain ne suffisent plus à compenser l’évaporation de la mer Morte qui s’assèche à vue d’œil. En parallèle, Israéliens et Jordaniens se sont mis à exploiter la potasse contenue dans les eaux de la mer Morte pour en faire des engrais agricoles. Toute la partie sud de la mer Morte a été transformée en gigantesques bassins de décantation pour extraire le précieux minerai, ce qui accentue fortement la vitesse de réduction du plan d’eau qui rétrécit comme peau de chagrin.

En se retirant, la mer laisse des dépôts souterrains de sols riches en sels. Le ruissellement sur les rives vient dissoudre peu à peu ces poches souterraines de sels et on assiste depuis des années à d’innombrables effondrements qui viennent miner les berges : plus de 6000 cratères d’effondrement, dont certains atteignent plusieurs kilomètres de diamètre, se sont ainsi formés, transformant les abords de la mer Morte, en de nombreux endroits, en un paysage lunaire traversé de multiples crevasses, routes et infrastructures étant peu à peu englouties au fur et à mesure que la mer se retire et que les berges s’effondrent.

Cratères d’effondrement et recul du rivage sur les berges de la mer Morte (source © Pour la science)

Pour pallier cette situation catastrophique, personne n’envisage de réduire les prélèvements en eau dans une région qui en manque déjà cruellement. En 2006, sous l’égide de la Banque Mondiale, c’est un autre projet pharaonique qui a vu le jour, consistant à construire une immense usine de dessalement d’eau de mer sur les rives de la mer Rouge, puis à creuser un gigantesque canal à travers le désert pour conduire vers la mer Morte les saumures issues du traitement, espérant que ces eaux permettraient de réalimenter suffisamment le plan d’eau en cours d’assèchement.

Les bords de la mer Morte devenue un haut lieu du tourisme également fort gourmand en eau potable (photo © You matter)

Les études ont néanmoins permis de cerner les coûts pharamineux d’un tel projet estimé à près de 10 milliards de dollars, et surtout les risques écologiques majeurs induits. Il aurait fallu pomper l’eau à plus de 120 m de profondeur pour ne pas aspirer toute la vie organique excessivement riche associée aux récifs coralliens de la mer Rouge, et sans garantie que les saumures déversées dans la mer Morte ne viennent rapidement faire virer au blanc (du fait de précipités de gypse) ou au rouge (par suite du développement de micro-algues associées aux milieux lagunaires sursaturés) les eaux de la mer Morte réputées pour leur belle couleur turquoise… Par ailleurs, la canalisation souterraine de 180 km de long envisagée pour transporter les saumures vers la mer Morte risquait fort de se rompre en cas de séisme, fréquent dans la région, au risque de rendre définitivement impropre à tout usage la nappe souterraine exploitée le long de son tracé !

La ville israélienne d’Eilat et sa voisine jordanienne d’Aqaba, au bord de la mer Rouge (photo © Hadas Parush / Flash 90 / Times of Israel)

En juin 2021, les apprentis sorciers ont finalement renoncé au projet mais la Jordanie a alors annoncé officiellement qu’elle lançait le projet de construction d’une usine de dessalement sur les rives de la mer Rouge, dans le golfe d’Aqaba, afin de fournir au pays 250 à 300 millions de m³ d’eau potable par an d’ici 2026. Un projet chiffré à 1 milliard de dollars en comptant tout le réseau de distribution d’eau à réaliser, la ville d’Aqaba étant situé à l’extrémité sud du pays, à plus de 300 km de la capitale Amman… En parallèle, la Jordanie va tenter de limiter l’urbanisation sur les zones côtières et Israël envisage de taxer les industries minières pour freiner l’extraction de la potasse.

Reste à mettre en point le dispositif pour développer une usine de dessalement d’une telle ampleur en essayant de privilégier le recours à l’énergie solaire car les conditions d’ensoleillement sont idéales pour cela en Jordanie qui par ailleurs manque de ressources énergétiques propres et produit déjà 20 % de ses besoins énergétiques à base de renouvelable. A défaut de freiner l’évaporation des eaux de la mer Morte, le soleil contribuera du moins à favoriser l’approvisionnement des Jordaniens en eau potable…

L. V.

Le sorcier de Christchurch, victime d’un coup du sort

20 octobre 2021

La cité de Christchurch, troisième plus grande ville de Nouvelle-Zélande, vient de nouveau de faire parler d’elle. Elle avait déjà été au centre de l’actualité mondiale lorsque, le 15 mars 2019, un terroriste d’extrême droite, Brenton Tarrant, y avait commis une série d’attentats meurtriers contre deux mosquées de la ville, faisant pas moins de 51 morts et 49 blessés. Pour ce pays paisible qui compte huit fois plus de moutons que d’habitants et qui présente l’un des taux d’homicide les plus faibles de la planète, cette tuerie de masse perpétrée par un suprématiste blanc de 28 ans, d’origine australienne, avait fait l’effet d’un vrai traumatisme.

Recueillement après la tuerie de Christchurch en mars 2019 (photo © Carl Court / Getty Image / Radio Canada)

Dans le manifeste intitulé The Great Replacement, qu’il avait diffusé avant de passer à l’acte, le tueur faisait d’ailleurs explicitement référence, parmi les raisons de sa radicalisation, à des théories identitaires voire xénophobes, popularisées par l’extrême droite française, allant même jusqu’à laisser entendre que la défaite de Marine Le Pen, à l’élection présidentielle de 2017, avait contribué à sa volonté de passer à l’acte, à l’exemple d’Anders Behring Breivik, autre militant d’extrême droite qui avait décleché lui aussi, et pour les mêmes raisons idéologiques, une tuerie de masse causant 77 morts à Oslo et sur l’île norvégienne d’Utøya.

Mais c’est à une autre forme de remplacement que la ville de Christchurch, fondée en 1850 par un groupe de pèlerins anglais, pétris de l’esprit pionnier de l’époque, doit de défrayer de nouveau la chronique. La municipalité de Christchurch a en effet purement et simplement décidé de licencier son sorcier !

Ian Brackenbury Channel au jardin botanique de Christchurch le 21 mars 2019, juste après les attentats terroristes qui avaient fait 51 victimes (photo © William West / AFP / BFM TV)

L’affaire pourrait prêter à sourire, d’autant que le sorcier en question, âgé de 88 ans, toujours vêtu d’une longue robe noire et arborant un chapeau pointu de carnaval sur une longue chevelure hirsute et une barbe interminable tout aussi ébouriffée, fait plutôt penser à un charlatan dont le seul rôle était d’amuser les touristes et de faire parler de lui… Ian Breckenbury Channell, d’origine britannique, n’a d’ailleurs atterri à Christchurch qu’en 1974 après des études de psychologie et de sociologie à l’université de Leeds, et un début de carrière comme pilote d’avion à la Royal Air Force.

Rien ne le prédestinait donc à cette balle carrière de sorcier sinon sans doute un goût immodéré pour se montrer en spectacle, n’hésitant pas à haranguer les foules devant la cathédrale de Christchurch, dans ce qui tenait lieu, jusqu’en 2013 de Speaker’s corner, à l’instar de celui de Hyde Park à Londres. A ses débuts, le personnage était tellement allumé que le conseil municipal avait carrément demandé son arrestation, voire son internement.

La cathédrale anglicane de Christchurch, menacée d’effondrement après le séisme de février 2011 (source © Structurae)

Mais le sorcier a acquis au fil du temps une belle popularité, ne se contentant pas de fustiger les responsables politiques et leurs idées loufoques comme celle de vouloir repeindre en bleu les antiques cabines téléphoniques rouges qui font la fierté des vestiges de l’empire britannique. N’hésitant pas à effectuer la danse de la pluie quand il le fallait ou à jeter des sorts pour influer sur le résultat des grands matchs de rugby qui passionnent les Néozélandais, le personnage est devenu tellement indispensable que dans les années 1980 c’est le conseil municipal de Christchurch qui l’a même supplié de rester alors que le sorcier fantasque menaçait de se retirer, soumis à certaines critiques parce que le sortilège qu’il avait lancé en faveur de l’équipe locale de rugby n’avait pas eu l’effet escompté.

Bien que pas vraiment infaillible, Ian Brackenbury Channel, était donc devenu au fil du temps, une des attractions de la ville de Christchurch. En 1990, le premier ministre Mike Moore n’avait d’ailleurs pas hésité à le nommer officiellement « Magicien de Nouvelle-Zélande ». Et depuis 1998, il était officiellement rémunéré par la municipalité de Christchurch qui lui versait une rente d’un peu moins de 10 000 euros par an pour exercer ses talents de sorcier et, accessoirement, attirer les visiteurs curieux de rencontrer ce personnage quelque peu excentrique.

Le sorcier de Christchurch était dévenu une véritable attraction touristique (photo © William West / AFP / Slate)

Seulement voilà, le conseil municipal de Christchurch a brutalement décidé de mettre fin au contrat du sorcier, estimant que la magie noire ne correspondait plus vraiment à l’image de ville dynamique, diverse et moderne dont la grande métropole néozélandaise souhaitait se prévaloir. Une simple évolution donc de la politique de communication de la municipalité actuelle, dont le vieux sorcier fait les frais, selon un schéma classique qui touche toute les institutions du monde, lorsqu’un nouveau responsable du marketing décide d’imprimer sa marque.

L’adjointe en charge du dossier au sein du conseil municipal, a d’ailleurs annoncé l’affaire en recourant à la langue de bois la plus classique en usage dans ce cas de figure, déclarant mielleusement : « C’est une décision difficile de mettre fin à ce contrat. Le conseil lui est reconnaissant pour sa contribution précieuse et spéciale à la vie culturelle de notre ville et il fera à jamais partie de notre histoire ». De profundis…

Ian Brackenbury Channel, le sorcier passé de mode à Christchurch (photo © Mark Baker / AP / SIPA / 20 minutes)

Evidemment, le Gandalf de Christchurch n’a guère apprécié et il n’a pas caché sa fureur à l’issue de cette décision irrévocable de la municipalité, déclarant à qui voulait l’entendre : « C’est une bande de bureaucrates qui n’ont aucune imagination. Ils ne pensent pas aux moyens de promouvoir Christchurch à l’étranger ». Voilà une nouvelle preuve en tout cas que la chasse aux sorcières (et aux sorciers) est plus que jamais d’actualité, même dans le monde policé et tout ouvert à la diversité culturelle que se veut être la Nouvelle-Zélande. Espérons néanmoins que le sorcier éconduit ne jettera pas un mauvais sort aux conseillers municipaux de Christchurch qui ne doivent pas dormir très tranquillement ces derniers temps…

L. V.

Après le pass sanitaire, le pass calanques ?

28 juillet 2021

Les Calanques de Marseille sont victimes de leur succès ! En 8 ans, le nombre de visiteurs a triplé, atteignant désormais les 2 500 personnes par jour pendant la saison estivale, avec même des pointes à 3 500 personnes. L’an dernier, près de 3 millions de touristes ont été dénombrés sur le territoire marseillais pour les seuls mois de juillet et août 2020 : un record d’affluence qui se traduit par une surfréquentation dramatique sur les sites naturels vulnérables qui constituent le massif des Calanques.

Les sols fragiles à la végétation clairsemée sont piétinés sans vergogne par des bataillons de vacanciers, tongs aux pieds et glacière à la main, croyant se rendre à la plage et souvent mal équipés pour arpenter les chemins caillouteux et escarpés qui conduisent aux calanques. Attirés par des images de criques paradisiaques où l’eau est couleur turquoise, ils s’engagent parfois imprudemment sur des sentiers de montagne exposés aux chutes de pierres et au soleil qui cogne, jetant négligemment leurs papiers gras derrière les buissons de cistes, faute de poubelles installées le long des chemins.

La calanque d’En-Vau, prise d’assaut en période estivale (photo © Z. Bruyas / Parc national des Calanques)

Une surfréquentation qui se traduit aussi par des embouteillages sur les rares routes d’accès, des batailles homériques pour la moindre place de parking et de nombreux accidents qui obligent à mobiliser les services de secours au-delà du raisonnable. Bref, tout le monde en est conscient : il est temps de réguler un minimum l’accès à ce milieu naturel préservé mais particulièrement exposé, pour ne pas voir ce patrimoine magnifique se dégrader inexorablement. Les responsables du Parc national des Calanques le clament haut et fort depuis plusieurs années déjà et son président, Didier Réault, affirme que les calanques « ne pourront pas supporter longtemps une telle surfréquentation ».

Un avis que la Ville de Marseille partage désormais. Le 21 avril 2021, l’adjoint en charge du tourisme durable, Laurent Lhardit, a ainsi estimé qu’il « faut amplifier les moyens dévolus à l’accueil des touristes et réduire ceux dévolus à la promotion de la ville ». Une position qui va clairement à l’encontre de celle de l’Office métropolitain du tourisme, aux mains de la Métropole, qui a prévu pour 2021 un budget de plus d’un million d’euros pour des actions de communication destinées à attirer encore davantage de touristes… Au contraire, le site officiel du Parc national des Calanques affiche la couleur et cherche à dissuader le chaland, photos à l’appui, en dépeignant d’entrée les calanques comme un « massif montagneux en bord de mer qui offre peu de plages. Situées au creux des criques, dénuées d’équipements, elles sont souvent difficiles d’accès, exiguës et prises d’assaut pendant la période estivale »…

Surfréquentation en été dans la calanque de Sugiton (photo © Valérie Vrel / La Provence)

Mais les messages de prévention sont manifestement insuffisants pour dissuader l’afflux de visiteurs qui a doublé à En-Vau et Sormiou au cours de l’été 2020 et qui n’en finit pas de croître. Depuis le mois de mai 2021, le mouillage des embarcations dans les calanques d’En-Vau et de Port Pin est dorénavant interdit. Et le 13 juillet 2021, le Parc national des Calanques a annoncé que, dès 2022, il sera désormais nécessaire de réserver sa place pour pouvoir accéder au massif, via une application en ligne qui permettra de limiter à tout moment la jauge de fréquentation entre 400 et 500 personnes.

L’accès restera gratuit (pour le moment !) et la réservation sera possible jusqu’à 4 semaines à l’avance mais c’est quand même un rude coup porté à la liberté des amoureux de ce massif naturel et l’on entend déjà les commentaires outrés hurlant à l’atteinte intolérable contre les libertés individuelles fondamentales et se déchaînant contre les oukases des ayatollahs de l’environnement qui prendraient prétexte de la nécessité de préserver le patrimoine naturel pour en interdire l’accès de manière abusive…

Ballade dans le massif des Calanques (photo © Sylvain Paret / Trekking et voyage)

Les adeptes des ballades dans ce milieu naturel exceptionnel qu’est le massif des Calanques ne pourront bien évidemment que regretter qu’il faille passer par des mesures de régulation aussi draconiennes pour endiguer l’afflux de visiteurs. Mais il faut raison garder et admettre que la préservation de cet espace fragile mérite bien quelques contraintes individuelles. A force de déclamer que « le client est roi », que chacun doit pouvoir « jouir sans entrave » et que le respect des libertés personnelles est la première des valeurs, notre monde consumériste et libéral nous ferait presque oublier que la vie en société exige aussi que l’on respecte certaines règles communes qui peuvent être perçues comme des contraintes mais qui sont nécessaires pour assurer le bien être de tous et la survie de notre environnement que nous léguons aux générations futures…

Une évidence que la plupart des sociétés humaines, souvent dépeintes comme primitives, avaient pourtant parfaitement intégrée mais que certains d’entre nous ont parfois tendance à oublier. Accepter ce qui est perçu comme une contrainte individuelle parce que cela participe de l’intérêt général ne va plus de soi pour tout le monde…

Manifestation à Marseille contre le pass sanitaire le 24 juillet 2021 (photo © Clément Mahoudeau / AFP / Info TV5 Monde)

Il en est d’ailleurs de même dans le domaine sanitaire. Malgré la pandémie de Covid-19 et ses conséquences dramatiques pourtant largement mises en avant par les médias, certains individus continuent à vouloir privilégier leur confort individuel en s’opposant à toute contrainte imposée par l’État, depuis le port du masque et le respect des gestes barrières jusqu’à la vaccination qui est par essence une mesure de prophylaxie collective et ne peut être efficace que si elle est pratiquée à grande échelle et non pas soumis aux caprices et aux croyances personnelles.

Garder son libre arbitre et faire preuve d’esprit critique face aux décisions politiques qui peuvent relever d’un certain arbitraire, voila qui est tout à l’honneur d’un citoyen éclairé et vigilant. Attention cependant à ne pas tomber dans l’excès inverse en perdant de vue le sens de l’intérêt général à force de vouloir trop mettre en avant sa propre liberté individuelle !

L. V.

Posidonies : le poumon vert de la Méditerranée ?

30 mars 2021

Les posidonies, ce sont ces accumulations de rubans brunâtres qui s’entassent sur les plages de Bandol ou de Cassis à la suite des grandes tempêtes d’hiver, ces « largades », qui poussent dans les moindre crique de nombreux débris flottants ou arrachés aux fonds marins par les courants violents. Ces masses peu ragoutantes qui s’entassent sur les plages et dans lesquelles on s’enfonce et on se prend les pieds, ne font pas bon effet pour les touristes qui se pressent sur les rivages méditerranéens dès les beaux jours revenus, faisant même craindre à certains un risque d’intoxication.

Présence de posidonies sur une plage de Sanary-sur-Mer (photo © Sophie Glotin / Radio-France)

Et pourtant, rien à voir avec les algues vertes qui se décomposent sur les rivages bretons ou ceux de l’étang de Berre, dont la croissance est stimulée par les afflux de nitrate issus de l’agriculture intensive et des rejets d’eaux usées, et dont la décomposition à l’air libre provoque des accumulations d’hydrogène sulfuré potentiellement mortel. Rien à voir non plus avec les algues bleues, ces cyanobactéries, capables de se développer soudainement dans certains plans d’eau douce lorsque les conditions climatiques et les apports de nutriments sont favorables, mais qui peuvent contenir des cyanotoxines très dangereuses également.

Herbier de posidonies (photo © Mimichaps / GoMet)

D’ailleurs ces longs rubans verts qui ondulent au fond de l’eau le long des rivages méditerranéens et qui brunissent lorsqu’ils sont rejetés sur les plages, ne sont pas des algues mais bien des plantes à fleurs aquatiques ! La Posidonie de Méditerranée (Posidonia oceanica de son petit nom latin) est en réalité une angiosperme monocotylédone (tout comme les orchidées ou les graminées) mais sous-marine. A ce titre, elle présente une racine, une tige sous forme de rhizome et de longues feuilles rubanées pouvant mesurer jusqu’à 1 m de long et disposées en touffes de 6 ou 7. Cette plante verte, endémique des bords de la Méditerranée fleurit à l’automne et donne au printemps des fruits qui flottent et que les Italiens nomment joliment olive di mare

Formant de vastes herbiers qui peuvent s’étendre jusqu’à 40 m de fond, les posidonies constituent de fait l’écosystème majeur des côtes méditerranéennes. C’est en leur sein que s’abritent et se nourrissent la plupart des organismes marins qui font la richesse des rivages de Méditerranée. L’enchevêtrement des racines et des rhizomes peu putrescibles forme un épais matelas dénomme « matte », plus ou moins colmaté par les sédiments piégés et dont l’accumulation au fil des ans peut atteindre plusieurs mètres d’épaisseur.

Banquette de posidonies sur une plage (source © Mémoire de fin d’étude Alizée Martin)

Ces accumulations protègent les rivages de l’érosion, y compris sur les plages et dans les criques. C’est pourquoi, les communes qui, comme Bandol, nettoient consciencieusement leurs plages de tout fragment à l’approche de l’été pour que les touristes puissent trouver un sable nickel, conforme à leur fantasme, stockent ces amas et les remettent en place à l’automne afin d’éviter l’érosion marine.

Raclage des posidonies sur une plage de La Seyne-sur-Mer à l’approche de l’été (photo © P. F. / Var Matin)

Mais l’on sait désormais que ces herbiers à posidonies jouent aussi un rôle majeur dans l’oxygénation de l’eau de mer et dans la fixation du gaz carbonique. Des études scientifiques, menées notamment depuis plusieurs années par l’équipe Écosystèmes littoraux de l’université de Corse, ont bien mis en évidence cette importante capacité de stockage du carbone au sein des mattes de posidonies. Selon Gérard Pergent, l’un des responsables de ce programme scientifique, « les herbiers fixent 10 à 15 % du carbone océanique. Les mattes de Méditerranée fixent 4 à 5 fois plus de carbone que les autres espèces d’herbiers ». Sachant que le littoral corse est entouré de 53 000 ha d’herbiers à posidonies, certains estiment même que le bilan carbone de l’île serait positif, du seul fait de l’existence de ces herbiers !

La plage de Santa Severa, à Luri, dans le Cap Corse, recouverte de posidonies (photo © Angèle Chavasas / Corse Matin)

C’est peut-être aller un peu vite en besogne, d’autant que ces herbiers sont particulièrement menacés, non seulement pas l’élévation de la température, la pollution, l’augmentation de la turbidité de l’eau, la compétition avec certaines espèces invasives, mais aussi par les ravages que font les ancres des bateaux de plaisance et surtout la pratique du chalutage. Dès les années 1970, le pêcheur Georges Cooper avait mis en point une technique pour tenter de reconstituer, par bouturage, des herbiers menacés entre Hyères et Gien, dans le Var.

Dans le Parc national des Calanques, on estime à plus de 100 000 ha la superficie de fonds marins recouverts d’herbiers de posidonies. Mais, depuis 1960, on considère que entre 13 et 38 % de leur surface aurait disparu sous l’effet de différents facteurs, dont le développement de la navigation côtière. Le 18 mars 2021, le Parc a donc lancé un nouveau programme de protection des herbiers de posidonies, financé dans le cadre d’un projet pilote de compensation carbone. Intitulé Prométhée-Med, et mené en partenariat avec la société EcoAct, ce programme est principalement financé par le groupe Schneider Electric et la société néerlandaise Interxion, tous deux gros émetteurs de gaz à effets de serre du fait de leurs activités industrielles, et qui trouvent ainsi un moyen de se racheter une conscience écologique.

Ces fonds vont permettre de positionner des bouées d’amarrage permettant de limiter le dégât des ancres de bateaux, ainsi que des balises pour délimiter des zones où le mouillage est strictement interdit. Cette démarche pilote, qui s’inscrit dans le cadre du Label bas-carbone créé par le Ministère de la transition écologique, pourra peut-être servir d’exemple sur d’autres territoires impactés. Sachant qu’un hectare d’herbier à posidonies est capable de stocker pas moins de 1500 tonnes de CO2, soit 7 fois plus qu’une forêt de feuillus française et 3 à 5 fois davantage qu’une forêt tropicale, voilà en effet une piste à suivre pour lutter contre les émissions toujours croissantes de gaz à effet de serre. Parmi toutes les options à l’étude pour tenter de séquestrer de grandes quantités de gaz carbonique, celle du développement des herbiers à Posidonies de Méditerranée paraît prometteuse : de quoi donner des idées au milliardaire Elon Musk qui promet 100 millions de dollars à qui trouvera le moyen de stocker 10 milliards de tonnes de dioxyde de carbone d’ici 2050…

L. V.

Cassis : lessivage et bétonnage au Bestouan

9 mars 2021

A Cassis, la plage du Bestouan, située en contrebas de la route en allant vers la Presqu’île fait partie des spots balnéaires noirs de monde dès que les beaux jours arrivent. Des cartes postales anciennes assemblées sur l’excellent site « Le Gabian déchaîné » montrent d’ailleurs qu’il en était déjà de même au tout début du siècle dernier. A croire que tout le monde a oublié que c’est sur les hauteurs de cette même plage, à l’endroit où se dresse depuis l’hôtel de charme « Le jardin d’Émile », qu’ont été enterrées les 214 victimes cassidennes de la peste de 1720, juste au dessus du vallat des Brayes qui longe le parking du Bestouan et dont la plage constitue le cône de déjection naturel.

La plage du Bestouan à Cassis vers 1900 (carte postale ancienne source © Le Gabian déchaîné)

Un parking qui, certains l’auront sans doute constaté, est actuellement inaccessible car recouvert d’étranges bâches noires gonflées tout à fait incongrues dans ce paysage balnéaire… Ces deux immenses outres en géotextile noir servent en fait au ressuyage des sédiments qui sont en cours de dragage dans le port de Cassis. Une opération de nettoyage qui n’avait pas été entreprise depuis les années 1960 alors que le port de Cassis est l’exutoire naturel de tous les ruissellements pluviaux souvent très chargés qui dévalent des rues au moindre orage et qui charrient dans les eaux du port tout ce qui traîne au sol.

Vue du port de Cassis (source © My PACA)

Ces apports de matériaux s’accumulent dans le fond du port au rythme de 10 cm tous les 4 ans en moyenne, ce qui, à la longue, réduit considérablement le tirant d’eau et conduit à l’envasement inéluctable. Ces opérations de dragage sont donc indispensables. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de voir le sort des anciens ports antiques de Fréjus ou de Marseille, depuis longtemps enfouis au milieu des terres. A Cassis, c’est le Conseil départemental qui est gestionnaire du port et comme Martine Vassal ne peut rien refuser à la maire de Cassis, Danièle Milon, par ailleurs 2e vice-présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, l’affaire était dans le sac. Après une rapide enquête publique menée au pas de charge l’été dernier, les travaux ont commencé cet hiver et sont en voie d’achèvement, pour la modique somme de 1,75 millions d’euros payée par le Département.

Les matériaux du port ont été aspirés par une drague sur une épaisseur variant selon les endroits entre 65 cm et 1,50 m. Le mélange d’eau et de sédiments est refoulé par une conduite qui court au fond de la mer jusqu’à la plage du Bestouan sur une longueur de 650 m. La conduite traverse la route par la buse du vallat des Brayes et vient se déverser dans les deux gros géotubes où le mélange reçoit au passage une poudre de perlimpinpin qui facilite la floculation. Le ressuyage se fait naturellement à travers les mailles du géotextile et l’eau qui filtre est recueillie et décantée puis renvoyée par une autre conduite au fond du port. A l’issue de la phase de décantation, les outres seront éventrées et les sédiments seront chargés dans des camions bennes pour être évacués en décharge car, bien évidemment, leur taux de pollution est tel qu’aucune valorisation de ces déchets n’est envisageable.

Schéma des installations de traitement des sédiments sur la parking du Bestouan à Cassis (source © Conseil départemental des Bouches-du-Rhône)

Malgré les belles images de cartes postales, le fond du port de Cassis n’est en effet jamais qu’un cloaque immonde, même si la Ville n’apprécie guère ce type de constat, au point d’intenter, comme l’avait rapporté Marsactu, un procès en diffamation contre France Télévision qui avait eu l’outrecuidance, en juillet 2017, de diffuser un reportage évoquant diverses sources de pollution des calanques, dont les rejets de la station d’épuration de Cassis, pourtant récemment rénovée !

De fait, la municipalité de Cassis ne cache pas son ambition de faire de Cassis un site de villégiature pour une clientèle fortunée et veille à son image tout en n’hésitant pas à attribuer à tour de bras des permis de construire pour des villas de plus en plus luxueuses sur tout le littoral où l’on voit fleurir des grues jusqu’au bord même des espaces naturels encore préservés. A Cassis, la maire déplore qu’il n’y ait aucun espace disponible, du fait des multiples contraintes environnementales et réglementaires, pour construire les logements sociaux qui font tant défaut. Le taux de logement sociaux ne dépasse d’ailleurs pas 8,7 %, ce qui handicape fortement la population active qui travaille en particulier dans la restauration et l’hôtellerie locale, souvent dans des conditions très précaires.

Vue aérienne du site du Bestouan à Cassis (source © Géoportail)

En revanche, la Ville trouve toujours une petite place pour autoriser la construction d’équipements hôteliers et de résidences luxueuses, sans doute plus faciles à insérer dans le paysage local. C’est le cas pour le projet emblématique envisagé justement sur les hauteurs du Bestouan, sur le carreau d’une ancienne carrière à ciel ouvert, au dessus des anciennes installations industrielles connues sous le nom de « l’usine à fer ». Un vestige de ce qui s’apparente à une tentative de sidérurgie sur l’eau, bien avant celle de Fos-sur-mer puisque initiée sous le Second Empire, en 1856. Le projet était ambitieux puisqu’il s’agissait de construire 3 hauts-fourneaux pour traiter du minerai de fer extrait dans une concession minière située près d’Alméria, en Andalousie, et transportée jusque-là par bateau. Ce fut un fiasco et l’usine n’a jamais été mise en service. La charpente métallique des bâtiments a même été démontée pour être récupérée et il subsiste juste quelques murs et une haute cheminée de 33 m de hauteur en pierres et en briques.

Vestiges de l’usine à fer du Bestouan (source © PLUi Aix-Marseille-Povence Métropole)

Malgré ce vestige industriel quelque peu incongru dans le paysage, la carrière située plus haut constitue une belle plateforme remarquablement située au dessus de la plage et face au cap Canaille, un emplacement qui ne peut qu’attirer le regard des investisseurs. Ses propriétaires actuels, Jean-Jacques Garella et Alexandre Besoian, projettent depuis des années d’y construire un vaste complexe hôtelier 5 étoiles de 63 chambres, avec restaurant, spa et piscine, ainsi qu’une dizaine de villas, sur les 4,5 hectares considérés comme constructibles du site. Le Plan local d’urbanisme, adopté par la Métropole fin 2019, intègre d’ailleurs une Opération d’aménagement et de programmation spécifique sur ce secteur, qui prévoit explicitement le projet envisagé et en dresse l’esquisse. Le permis de construire a déjà été déposé par le promoteur immobilier Quartus.

Le carreau de l’ancienne carrière où est prévue la construction d’un complexe hôtelier (photo © Anne Jaujard / Marsactu)

Certes, un avis de l’autorité environnementale, publié le 25 janvier 2021 par la DREAL PACA, émet quelques réserves sur ce projet dans une zone aussi sensible et réclame une étude d’impact. La création d’une nouvelle route est rendue nécessaire pour permettre l’accès au site, y compris pour les moyens de secours et de lutte contre l’incendie, dans un secteur déjà bien engorgé l’été et dépourvu de tout transports en commun.

Insertion paysagère du projet selon l’esquisse figurant dans le PLUi

Mais cela ne devrait guère freiner le projet sur lequel planche le cabinet d’architectes 331 Corniche et qui provoque l’enthousiasme communicatif de la maire de Cassis, laquelle déclare à Marsactu : « J’ai pu voir un premier plan, il s’agit d’une très belle réalisation qui s’intégrera bien dans le paysage ». Une pure merveille en effet, en plein cœur du Parc National des Calanques qui n’en est plus à ça près…

L. V.

La grotte Cosquer prépare sa réplique

20 janvier 2021

A Marseille tout le monde se demande depuis des années, en réalité depuis sa construction, à quoi allait bien pouvoir servir cette Villa Méditerranée bizarrement conçue avec son immense porte-à-faux en forme d’équerre juste à côté du Mucem. Après bien des tergiversations, il semble bien cette fois que les dés soient jetés et que la Région, propriétaire du bâtiment, ne reviendra pas sur son projet d’en faire un centre d’interprétation de la Grotte Cosquer.

Le futur centre d’interprétation de la Grotte Cosquer à la Villa Méditerranée (extrait vidéo Région PACA)

Découverte en 1985 par le plongeur cassidain Henri Cosquer, cette grotte sous-marine dont l’entrée s’ouvre par 37 m de fond, à proximité du Cap Morgiou, dans la calanque de la Triperie, est un long boyau noyé de 175 m de long qui remonte progressivement jusqu’à déboucher dans des salles hors d’eau où le plongeur avait eu la surprise, lors de ses premières explorations en solitaire, de découvrir des empreintes de main et des silhouettes d’animaux peints sur les parois.

Officiellement déclarée en 1991 seulement, après que trois plongeurs y aient trouvé accidentellement la mort, et classée dès lors comme monument historique, la grotte est depuis 1992 totalement inaccessible en dehors des besoins de recherche scientifique.

Des traces de main sur une paroi ornée de draperies dans la grotte Cosquer (
photo © Michel Olive / DRAC / Archéologie.culture.fr)

Une quarantaine de datations au carbone 14 ont été effectuées sur des fragments de charbon de bois retrouvés sur place. Il en ressort que le site semble avoir connu deux périodes successives de fréquentation humaine. La première qui date d’il y a plus de 27 000 ans a laissé un grand nombre d’empreintes de mains dont les contours apparaissent en noir ou en ocre selon la technique du pochoir. La seconde, plus récente, datée d’environ 19 000 ans, comporte surtout des gravures et peintures figuratives représentant principalement des animaux : un bestiaire exceptionnellement riche puisqu’on y a dénombré au moins 177 figures issues de 11 espèces différentes, principalement des chevaux, des bouquetins, des cerfs, des chamois, des bisons, des aurochs, des mégaceros, mais aussi des phoques, des grands pingouins, des méduses ou encore des cétacés.

A l’époque préhistorique, les hommes qui fréquentaient le site n’y habitaient pas mais semblaient l’utiliser plutôt comme un sanctuaire. Le climat était alors périglaciaire, ce qui explique la présence de nombreuses espèces aujourd’hui disparues mais plutôt typiques des régions froides. Surtout, le niveau de la mer Méditerranée se trouvait au moins 120 m plus bas et le rivage était donc à plusieurs kilomètres de l’entrée par laquelle on pénétrait à pied sec. La remontée du niveau de la mer à l’issue de la dernière glaciation, il y a environ 10 000 ans a noyé une bonne partie du réseau et fait perdre sans doute les quatre cinquièmes des représentations pariétales qui se sont définitivement effacées sous les dépôts algaires et les encroûtements.

Des peintures menacées par la montée des eaux… (photo © Michel Olive / DRAC / Marsactu)

Malgré ces vicissitudes, la grotte Cosquer reste l’une des principales grottes ornées de France, au même titre que Lascaux (en Dordogne) ou la grotte Chauvet (en Ardèche). Totalement inaccessible au public et inéluctablement vouée à disparaître sous l’effet de la pollution et de la montée des eaux (évaluée à 3 mm par an en moyenne dans le secteur mais qui peut atteindre plusieurs dizaines de centimètres lors de certains épisodes atmosphériques), la grotte fait l’objet de campagnes périodiques de fouilles et va surtout être l’objet de l’établissement d’une réplique, comme ses deux homologues, réplique qui sera donc visible dans les sous-sols de la Villa Méditerranée à partir de 2022.

C’est d’ailleurs la société Kléber Rossillon, qui exploite, parmi une douzaine de sites touristiques, la réplique de la grotte Chauvet à Vallon-Pont d’Arc, qui a obtenu le contrat de concession du futur centre d’interprétation de la grotte Cosquer. L’investissement projeté est colossal puisqu’il s’élève à 23 millions d’euros dont 9 millions apportés par la Région PACA. Le site espère recevoir 500 000 visiteurs par an, ce qui paraît ambitieux mais pas irréaliste, comparé aux 350 000 qui se pressent chaque année pour visiter la réplique de la grotte Chauvet.

Vue du futur hall d’entrée du centre d’interprétation de la grotte Cosquer avec son ponton dans le hall de la Villa Méditerranée (source © Kléber Rossillon)

Les futurs visiteurs traverseront sur un ponton le bassin d’eau de mer qui occupe le hall du bâtiment avant de s’immerger dans l’ambiance du club de plongée d’Henri Cosquer à Cassis puis d’embarquer, casque audio sur les oreilles, à bord de petits véhicules électriques guidés qui les feront cheminer en 40 minutes à travers les parties reconstituées de la grotte Cosquer pour admirer ses ornements pariétaux mais aussi ses gours d’eau limpide et ses stalactites somptueuses, avant de déambuler dans des salles du centre d’interprétation archéologique consacré à l’art pariétal préhistorique et à la montée du niveau de la mer.

Une reconstitution totalement artificielle bien entendu, qui est en cours de réalisation, dispersées dans trois ateliers distincts, à partir d’un relevé numérique complet de la grotte. A Montignac, près de la grotte de Lascaux, la société créée par le plasticien Alain Dalis et joliment nommée Arc&Os fabrique des panneau de polystyrène armé de résine pour reconstituer fidèlement les différentes parties de la grotte avec une précision de l’ordre du dixième de millimètre. Les représentations pariétales sont dessinées en partie dans l’atelier d’Arc&Os et en partie par la société Déco Diffusion, située à l’Union, au nord de Toulouse. Dans les deux cas, il s’agit de reproduire à l’identique des dessins réalisés par nos ancêtres en retrouvant la même dynamique des tracés et du rendu, ce qui demande parfois plusieurs tentatives.

L’archéologue et préhistorien Gilles Tosello en train de reproduire des peintures de la grotte Cosquer sur un panneau de la future réplique, dans l’atelier de la société toulousaine Déco Diffusion (photo © Corentin Belard / FranceTélévision)

Les éléments de coques ainsi décorés seront ensuite assemblés les uns et autres et accrochés à une armature en béton destinée à reconstituer l’ouvrage. Pour restituer l’ambiance générale de la grotte, il reste à reproduire les stalactites, stalagmites, et autres spéléothèmes de la galerie souterraine. C’est l’œuvre de Stéphane Gérard, installé dans l’ancienne friche industrielle des Frigos, dans le 13e arrondissement de Paris. Ancien sculpteur du musée Grévin, lui aussi s’est fait la main pendant 4 ans sur la réplique de la grotte Chauvet et il a mis au point ses recettes personnelles à base de polymères et de composés organiques pour rendre l’éclat particulier d’une paroi rocheuse mouillée ou d’une concrétion de calcite.

Chacun pourra constater de visu, à partir de juin 2022 si le calendrier prévisionnel est respecté, le résultat de cette œuvre titanesque et minutieuse. Nul doute en tout cas que cette réplique de la grotte Cosquer devrait attirer les curieux et permettre de justifier, enfin, l’édification de cette Villa Méditerranée qui intrigue tant.

L. V.

Le Costa Rica, pionnier de la transition énergétique ?

26 août 2020

Le Costa Rica fait partie de ces pays que bien peu de gens, en dehors de ceux qui ont voyagé en Amérique Centrale, savent placer correctement sur un planisphère… Coincé entre le Nicaragua, au nord, et le Panama au sud, cette mince bande de terre de 200 km seulement de largeur en moyenne qui sépare la mer des Caraïbes de l’océan Pacifique, se caractérise par plus de 1200 km de littoral, cette fameuse « côte riche » telle que Christophe Colomb lui-même l’a appelée lorsqu’il en a abordé le rivage en 1502.

Rivage du Costa Rica, sur la côte Pacifique, parc national marin Ballena (source © Yonder)

Mais les richesses naturelles de ce pays de 5 millions d’habitants, dont la superficie dépasse de peu celle de la Suisse ou des Pays-Bas, ne se sont pas révélées à la hauteur des espoirs de l’explorateur génois. Il a fallu attendre les années 1830 pour que, grâce à la production de café, le pays connaisse une certaine prospérité qui lui a permis d’accéder à l’indépendance effective en 1848.

José Figueres Ferrer, qui rétablit la république au Costa Rica en 1948 et présidé le pays à trois reprises jusqu’en 1974 (source © Sol de Medianoche)

Un siècle plus tard, alors que le pays a été durement touché par les effets de la crise économique de 1929 et que les élections de 1948 ont dû être annulées après qu’un incendie a malencontreusement détruit le bâtiment où étaient entreposés les bulletins de vote, une guerre civile éclate. José Figueres Ferrer, à la tête des Forces armées de libération nationale, prend le pouvoir, fait adopter une constitution démocratique, lutte contre la corruption, accorde au passage le droit de vote aux femmes et aux noirs, et supprime purement et simplement l’armée, tout en conservant une force de maintien de l’ordre d’environ 100 000 hommes.

Surnommé depuis lors « la Suisse de l’Amérique centrale », le Costa Rica a connu depuis cette période une relative stabilité politique, tout en traversant, dans les années 1980, une grave crise économique avec un très fort taux d’endettement. Son économie dépend beaucoup du tourisme, de l’exportation de produits agricoles, dont le café mais aussi la banane, le sucre, le cacao, l’ananas et les fleurs. Elle est boostée depuis une trentaine d’années par l’implantation, dans des zones franches, de multinationales de services et de haute technologie, qui profitent du bon niveau de formation de la population.

Exploitation de café au Costa Rica, Hacienda Espíritu Santo à Naranjo (source © Mandaley)

Les marges budgétaires dégagées par l’absence de forces armées ont permis d’investir massivement dans l’électrification du pays et le développement des aménagements hydrauliques, mais aussi de lancer une politique très volontariste en matière de préservation des ressources naturelles et de production d’énergie renouvelable. Plus de 25 % du territoire national est ainsi occupé par des réserves naturelles et des parcs nationaux, dans un pays qui concentre sur une territoire minuscule 6 % de la biodiversité mondiale et où l’on découvre quelques 160 nouvelles espèces chaque année en moyenne…

Forêt tropicale dans le parc national de Piedras Blancas au Costa Rica (source © Costa Rica Découverte)

Alors que l’élevage avait entraîné une forte déforestation du pays, le Costa Rica s’est lancé, à la fin des années 1980, dans une politique très ambitieuse de reboisement qui a permis de doubler en quelques années les superficies forestières, profitant largement, pour financer une telle stratégie, des mécanismes dits de « compensation carbone » mis en place par l’ONU. Le principe est simple : un opérateur qui reforeste permet d’absorber des gaz à effet de serre émis par un producteur d’énergie fossile et le second verse donc au premier une compensation financière pour rémunérer ce service. Selon Planète Énergie, dès 1996, le Costa Rica a ainsi vendu à des producteurs d’énergie norvégiens pour 200 000 tonnes de réduction d’émissions assurées par ses opérations de reboisement : une aubaine !

Barrage sur le lac de Cachi (source © Les ptits curieux globetrotter)

Mais le Costa Rica se distingue surtout par sa politique ambitieuse en matière de développement des énergies renouvelables. Situé dans un contexte tropical avec des reliefs escarpés, de nombreux cours d‘eau et une pluviométrie abondante, le Costa Rica exploite à fond son potentiel hydroélectrique. Le premier barrage y a été mis en service dès 1966 sur le lac de Cachi, dans la province de Cartago et sa capacité initiale de 32 MW a été portée depuis à 102 MW, en attendant un nouveau projet d’extension. Grâce à une politique très ambitieuse d’aménagements hydroélectriques, le pays couvrait, dès 1990, 97,5 % de ses besoins en électricité grâce à l’énergie hydraulique.

Depuis, les aménagements se sont très largement poursuivis puisque la production hydro-électrique du Costa Rica est passée de 3 382 GWh en 1990 à 8 026 en 2016. Un bond en avant remarquable qui a permis en quelques années d’atteindre un niveau de production comparable à celui de la région PACA, l’une des mieux équipée de France et qui, selon EDF, a produit 7 912 GWh en 2017, soit 15 % de la production hydro-électrique française, production qui stagne en France depuis des années.

Centrale géothermique au pied du volcan Miravalles (source © Coucou du Costa Rica)

Mais au Costa Rica, les besoins en électricité ont fortement augmenté et atteignent désormais de l’ordre de 11 000 GWh par an selon une analyse du site Les Smart Grids. Mais qu’à cela ne tienne, le Costa Rica a d’autres ressources et valorise depuis 1990 son formidable potentiel géothermique, estimé selon L’instituto Costarricense de Electricidad, l’opérateur public national d’électricité, à 850 MW. Cinq centrales géothermiques ont ainsi été installées sur les flancs du volcan Miravalles où 25 puits ont été forés pour aller capter la chaleur à 1600 m de profondeur. Une nouvelle centrale a encore été mise en service fin juillet 2019 sur le volcan Rincon de la Vieja, dans le nord-ouest du pays, et de nouveaux projets sont programmés dans les années à venir, ce qui devrait porter la puissance installée à 330 MW d’ici une dizaine d’années.

Quant à l’énergie éolienne, le Costa Rica s’y est lancé plus récemment, au début des années 2000, mais le terrain est également favorable, du moins sur les hauteurs du pays où les vents sont vigoureux et réguliers. En janvier 2019, le Costa Rica comptait ainsi déjà 18 fermes éoliennes pour une puissance totale installée de 414 MW. Cela paraît peu par comparaison avec les 13 600 MW installées en 2017 en France (dont 50 MW seulement pour la région PACA qui n’est guère en pointe dans ce domaine), mais c’est néanmoins la quatrième puissance éolienne de toute l’Amérique latine !

Éoliennes de Santa Ana au Costa Rica (source © Français du Monde)

Avec un tel mix énergétique, le Costa Rica s’approche désormais de la barre symbolique des 100 % de la production électrique grâce aux énergies renouvelables. En mai 2019, cette barre a été frôlée puisque 99,9 % de l’électricité produite était d’origine renouvelable (dont 80 % d’hydro-électricité, 13 % de géothermie et 7 % d’éolien, sans compter un peu de biomasse et de solaire) : qui dit mieux ? Le pays a ainsi pu arrêter ses importations de pétrole destinées à alimenter son unique centrale thermique active et s’apprête désormais à revendre à ses voisins une partie de l’électricité produite.

Carlos Alvarodo, actuel président du Costa Rica (source © El Mundo)

Une politique énergétique qui est au centre des préoccupations du pays puisque son Président, Carlos Alvarodo a déclaré lors de son élection en mai 2018 : « nous avons la tâche titanesque et magnifique de supprimer l’utilisation des énergies fossiles dans notre économie pour laisser la place à l’utilisation d’énergies propres et renouvelables ». Une ambition dont la France pourrait aussi s’inspirer, même si la vérité oblige à dire que le Costa Rica est encore très loin de la neutralité carbone… Si son électricité est remarquablement propre, elle ne représente que 22 % de l’énergie totale consommée dans le pays et le bilan est nettement moins glorieux pour les autres domaines, en particulier celui des transports qui sont largement responsables de la part importante (62 %) des produits pétroliers dans cette consommation énergétique globale, laquelle a doublé entre 1990 et 2016 : il reste un (gros) effort à faire…

L. V.

La balançoire bat des records

24 août 2020

Quoi de plus innocent qu’une balançoire ? Une planche attachée par deux cordes à une branche d’arbre, et il suffit de s’élancer ! Ce jeu, qui agrémente de nombreux jardins publics pour le grand bonheur des plus petits,n’est pas récent puisque la tradition le fait remonter à la plus haute antiquité grecque, du temps d’Œbalus, roi de Laconie et père de Pénélope (l’épouse d’Ulysse, pas celle de Fillon, bien entendu).

Satyre poussant la balançoire, dessin figurant sur un vase trouvé en 1816 à Chiusi et conservé au musée de Berlin (source © Enkidoublog)

Les jeux icariens lancèrent alors l’usage de l’escarpolette, une simple corde attachée entre deux arbres et sur laquelle on se balance. Une tradition largement reprise par les Romains lors des fêtes des vendanges, et dont l’objectif semble être de permettre une purification par l’air lors du balancement.

Au XVIIIe siècle, l’escarpolette avait perdu cette signification bacchique mais restait néanmoins un jeu empreint de frivolité comme en attestent les tableaux de Fragonard qui a représenté plusieurs situations de badinage amoureux, liées à ce qui n’était alors qu’un divertissement. Son célèbre tableau où l’on voit une jeune femme mutine, poussée par ce que l’on suppose être son mari, plus ou moins masqué par l’ombre des arbres et tirant sur les cordes pour donner de l’élan au mécanisme, s’élever jusqu’à envoyer élégamment valser sa mule, tandis que son amant, rouge d’excitation, ne perd rien du spectacle des jambes de la belle, affalé dans les buissons au pied de la balançoire.

Détail du tableau de Jean-Honoré Fragonard, « Les Hasards heureux de l’escarpolette », vers 1767 – huile sur toile, Wallace Collection, Londres (source © Wikimédia Commons)

« Jeune fille à la balançoire », huile sur bois peintre en 1845 par Paul Delaroche – Nantes, Musée d’Arts (source © Réunion des Musées Nationaux)

 

Une légèreté et un sentiment de liberté que l’on retrouve dans nombre d’œuvres artistiques représentant des enfants ou des jeunes filles se balançant nonchalamment, comme celle représentée par le peintre Paul Delaroche vers 1845, simplement suspendue sur un morceau d’étoffe attachée à la branche d’un arbre, le dispositif le plus simple qui puisse exister.

Krishna enfant sur une balançoire, miniature indienne datée vers 1755

Et l’Occident n’est pas le seul à avoir trouver de l’attrait à ce jeu de balancement. On connaît ainsi, dans la tradition indienne, de multiples représentation de Krishna enfant ou adulte, profitant des joies de la balançoire, seul ou accompagné de sa bonne amie Radha. Quel que soit le contexte culturel, il semble bien que le fait de se balancer, assis sur une planche ou sur une simple corde, ne soit jamais totalement dénué d’une certaine sensualité…

Mais les jeux de l’amour et du hasard associés à l’escarpolette d’antan ont bien souvent laissé place à une volonté de griserie et de frisson.

Balançoire russe, mieux que la roulette… (source © Circus concept)

Le cirque s’est emparé de la balançoire pour en faire un outil de propulsion permettant de faire de la voltige aérienne. La balançoire russe permet ce type d’acrobatie comme le montrent de nombreuses videos sur internet. Et chacun voudrait aller toujours plus haut, toujours plus vite. Sur une balançoire comme dans de nombreux domaines, le jeu et le divertissement badin s’effacent progressivement devant le geste sportif, la volonté de dépassement de soi, la recherche du record…

Sur la balançoire du bout du monde, à 2600 m d’altitude, face au volcan Tungurahua (photo © Mike Theiss / National Geographic / Amusing Planet)

On a ainsi aménagé des balançoires dans les lieux les plus improbables pour les amateurs de sensations fortes. L’une d’elles est la Casa del Arbol, perchée à 2600 m d’altitude au bord d’une falaise qui surplombe un canyon, près de la petite ville de Baños, en Equateur, à 180 km de la capitale Quito. Cette région volcanique très escarpée et proche de la forêt amazonienne est un haut lieu du tourisme sportif avec de nombreuses activités telles que le rafting ou le canyoning, mais la « balançoire du bout du monde » fait partie des attractions locales qui ne laissent pas indifférent. Attachées à une cabane, elle même perchée sur un arbre au bord du vide, les balançoires s’élancent directement au dessus du vide et donnent l’impression de voler en plein ciel, sans aucune sécurité spécifique : ce n’est pas le moment de lâcher les cordes !

Une balançoire dans le Wansheng Ordovician Park, près de Chongqing, pour ceux qui ont le coeur bien accroché (source © French China)

Un art de l’extrême que les Chinois semblent cultiver eux aussi puisque les visiteurs du Wansheng Ordovician Park, un site touristique près de Chongqing, dans le comté de Yunyang, au sud-ouest de la Chine, propose de son côté des balançoires accrochées à un portique de 21 m de hauteur, lui-même perché au sommet d’une falaise de plusieurs centaine de mètres de dénivelée. Une expérience qui met les nerfs à rude épreuve, au point qu’il est désormais proposé une « pilule du regret » pour ceux qui se rendent compte, mais un peu tard, alors que la balançoire est à son plus haut point au dessus du vide, que ce n’est décidément pas fait pour eux et qu’ils auraient mieux fait de faire gentiment la queue devant le stand de barbe à papa plutôt que de vouloir faire les malins en s’asseyant sur cette planche vraiment peu sécurisée…

Quoi qu’il en soit, les Chinois semblent apprécier l’exercice puisque d’autres balançoires du même type ont été installées fin 2018 au bord d’une autre falaise de 198 m de hauteur, près du mont Tianzishan à Qingyuan, dans la province du Guangdong, toujours au sud-ouest de la Chine. Après une période d’essai qui a quand même duré quatre mois, selon le média French China, les balançoires ont été ouvertes au public pour le plus grand bonheur des amateurs de sensations fortes.

La plus haute balançoire du monde, récement inaugurée en Chine (source © Euronews)

Et voilà que les Chinois, qui cherchent toujours à se démarquer pour impressionner la Terre entière, viennent de mettre en service, en juillet 2020, la plus haute balançoire du monde, homologuée par le Livre Guiness des Records. L’installation n’a, à première vue, rien d’une balançoire. C’est en réalité un immense arc de 100 m de hauteur formé d’un assemblage de tubes métalliques peints aux couleurs de l’arc en ciel et qui est perché au sommet d’une falaise. Un mât métallique peint en jaune et culminant à 108 m a été implanté à quelque distance.

Prêts pour le départ ? Et c’est parti pour un vol plané en plein ciel… (source © Euronews)

Les amateurs de sensations fortes se hissent dans la tour de lancement jusqu’à la plateforme de départ située à 88 m de hauteur. Là ils sont harnachés par groupe de trois, en position allongée, et ils sont propulsés au bout d’un câble attaché au sommet de l’arche, ce qui leur permet d’atteindre la vitesse maximale de 130 km/h et d’avoir l’impression de voler en plein ciel au dessus du vide ! On est loin de l’escarpolette de Fragonard ou de l’éléphant de la comptine enfantine « qui se balançait sur une toile d’araignée » ! Foin de la poésie et de la badinerie, la balançoire n’est plus un jeu d’enfant ni un divertissement d’amoureux, mais rentre dans le registre des sports de l’extrême : on aura tout vu…

L. V.