Archive for the ‘Santé’ Category

Créances : les carottes sont cuites…

8 Mai 2024

La petite commune de Créances, qui compte à peine plus de 2000 habitants, située sur le littoral ouest du Cotentin, n’est pas seulement connue pour sa belle plage de sable fin bordée de dunes sauvages et, objectivement assez peu fréquentée car battue par les vents… Du sable omniprésent sur cette côte très plate et tournée vers le large où l’on pratique surtout la pêche à pied, mais que certains ont eu l’idée de valoriser pour le maraîchage. Il se raconte localement que c’est un cadet de Normandie qui, privé d’héritage terrien par son aîné, a eu l’idée, il y a déjà quelques siècles, d’exploiter ces terres sableuses littorales en les enrichissant avec force d’apport de varech et goémon.


La belle plage de sable blond de Créances (source © Comité départemental de tourisme de la Manche)

Les terres légères et sableuses sont de fait propices à la culture de certains légumes à racines profondes comme les céleris-raves, les navets, les radis noirs, les topinambours ou les carottes. Tant et si bien que de nombreux maraîchers se sont mis à cultiver ces « mielles », une appellation locale qui désigne de petites parcelles sableuses gagnées sur les dunes et où prolifèrent désormais poireaux et carottes. Ces dernières, arrachées à la main dans la terre sableuse entre juillet et avril, présentent un goût légèrement iodé et une belle couleur orangée qui a assuré leur réputation commerciale, au point de créer en 1960 une appellation d’origine contrôlée, tandis que, chaque année, se déroule désormais une fête de la carotte à Créances !


La fête de la carotte, à Créances, haut-lieu de l’exploitation maraîchère (source © Ville de Créances)

Une société dénommée Jardins de Créances a même été créée en 1991, rattachée au GPLM, un groupe coopératif producteur de légumes, qui commercialise les productions maraîchères issues de Créances, dont sa fameuses carotte des sables, et de deux autres sites, à Roz-sur-Couesnon, près du Mont-Saint-Michel, et dans le val de Saire, à l’extrémité nord-est du Cotentin. Disposant dune station de lavage et de sites de conditionnement, cette société alimente principalement la grande distribution avec sa gamme de légumes variés, intégrant même des variétés anciennes comme le panais ou le rutabaga.


Les carottes de Créances, cultivées dans les terres sableuses des mielles (photo © Pierre Coquelin / Radio France)

Mais voilà qu’en juin 2020 la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires qui relève de la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, fait un signalement au Parquet de Coutances, après avoir procédé à des analyses qui confirment l’importation illicite et l’épandage massif par plusieurs maraîchers producteurs de carottes des sables de Créances, d’un pesticide interdit à la vente depuis 2018, le dichloropropène, déclenchant l’ouverture d’une enquête de gendarmerie.

Ce dérivé chloré toxique du propène, considéré comme cancérigène et très préjudiciable à l’environnement, a été développé et commercialisé comme nématicide, pour tuer les vers nématodes qui ont tendance à creuser leurs galeries dans les racines de carottes. Ce composé chimique est interdit d’utilisation depuis 2009 par une directive européenne datant de 2007. Jusqu’en 2017, le gouvernement français a néanmoins accordé une dérogation permettant aux producteurs de Créances de continuer à utiliser ce produit, au prétexte qu’il n’existe pas d’alternative économique pour poursuivre leur production agricole.


Récolte de carottes de Créances (source © Ouest-France)

Mais en 2018, le ministère a finalement décidé de mettre fin à cette dérogation pour « urgence phytosanitaire », alors que 4 pays européens (Espagne, Portugal, Italie et Chypre) continuent à y avoir recours jusqu’à aujourd’hui : il ne suffit pas de voter à Bruxelles des réglementations protectrices de l’environnement, encore faut-il ensuite les faire appliquer par les États membres ! En avril 2018, les maraîchers normands ont tenté d’user de leur fort pouvoir de lobbying pour faire céder le ministère et obtenir une n-ième dérogation. Faute d’obtenir satisfaction, ils se sont tournés vers la contrebande et ont importé en toute illégalité et via un intermédiaire, 132 tonnes de dicholoropropène d’Espagne.

Selon les investigations menées en 2020, ce sont près de 100 tonnes de ce produit qui ont ainsi été épandus sur une dizaine d’exploitations maraîchères de carottes de Créances et les enquêteurs ont retrouvé 23 tonnes encore stockées. Cinq des exploitations incriminées ont fait l’objet d’une destruction des récoltes, ce qui a déclenché la fureur des agriculteurs concernés pourtant pris la main dans le sac. Les maraîchers incriminés ont alors déposé un recours en référé auprès du tribunal administratif, qui l’a rejeté. Ils reprochent en effet à l’État « une analyse très incomplète voire erronée du risque », l’absence d’indemnisation du préjudice et l’exposition à une « rupture d’égalité au sein du marché européen et donc à une concurrence déloyale ».


Des carottes des sables vendues avec la terre…et le pesticide (photo © Sixtine Lys / Radio France)

Le procès des maraîchers a eu lieu en mai 2021. Leurs avocats ne leur ont pas permis de s’exprimer et ont tout mis en œuvre pour tenter de discréditer à la fois les enquêteurs de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, mais aussi les nombreuses associations de défense de l’environnement et même la Confédération paysanne, qui s’étaient portées partie civile, cette dernière estimant que l’affaire porte atteinte à l’image et à la crédibilité de toute la filière agricole dans ses efforts en vue d’une agriculture plus vertueuse.

En l’occurrence, les seules justifications des maraîchers de Créances pour continuer à utiliser ainsi un produit toxique interdit, sont exclusivement économiques. L’alternative est en effet parfaitement identifiée : il suffit d’alterner les cultures, comme des générations de paysans ont appris à le faire, les vers nématodes ne se développant que sur des parcelles exclusivement cultivées en carottes d’une année sur l’autre. Mais cela implique une légère baisse de rentabilité et un peu plus de technicité, que les maraîchers poursuivis ont préféré éviter par un traitement phytosanitaire, même avec un produit nocif et illégal…

En première instance, 13 exploitant avaient écopé d’amendes allant de 10 000 à 30 000 €, en partie avec sursis tandis que le commerçant ayant servi d’intermédiaire écopait de 80 000 € d’amende et l’entreprise ayant procédé aux épandage, de nuit et en toute discrétion, était condamnée à 20 000 € d’amende. Ayant fait appel de ce jugement, les maraîchers ont vu leur condamnation confirmée et même alourdie pour l’intermédiaire par la Cour d’appel de Caen qui avait prononcé son verdict le 10 février 2023.

Malgré ces peines plutôt clémentes, les avocats des exploitants ont voulu porter l’affaire devant la plus haute juridiction de l’État. Mais voilà que le 23 avril 2024, la Cour de cassation vient de rejeter leur pourvoi, rendant ainsi définitives les condamnation antérieures. Les carottes sont donc cuites pour les maraîchers tricheurs de Créances, une commune dont l’étymologie serait pourtant en relation avec la racine latine qui désigne la confiance et qui a donner le mots français « créance ». Un signal plutôt positif en tout cas pour ces milliers de maraîchers qui font l’effort de conduire leur exploitation de manière rationnelle en tenant compte des impacts de leur activité sur l’environnement et en veillant à la pérennité des sols, sans recours à ces pesticides dont on connaît désormais les effets délétères tant pour la santé humaine que pour la biodiversité.

L. V.

Le futur hôpital d’Aubagne aux Gargues…

24 avril 2024

La zone des Gargues, c’est ce dernier carré de verdure coincé entre l’autoroute A52 et la zone commerciale des Paluds, à l’entrée d’Aubagne, en venant de Carnoux. Plusieurs vieilles fermes provençales perdues au milieu de vastes prairies où paissent encore régulièrement des moutons à l’abri d’un pin parasol tutélaire et des champs de blés encore ensemencés chaque année, le tout en surplomb de la plaine inondable et marécageuse des Paluds, désormais couverte de hangars industriels et de grands magasins hideux, avec en toile de fond le massif de la Sainte-Baume.

Le site des Gargues, avec la Sainte-Baume en toile de fond (photo © François Rasteau / La Provence)

C’est pourtant sur ces terres agricoles résiduelles, également occupées par la jardinerie Tirand, que l’ancienne municipalité de gauche d’Aubagne, aux manettes de la ville comme de l’agglomération jusqu’en 2014, avait prévu une ZAC. Il était alors question de bétonner 42 hectares sur lesquels auraient été construits pas moins de 850 logements ainsi qu’une crèche, une école, des installations sportives, des bureaux et surtout un nouveau centre commercial luxueux et un immense complexe cinématographique, le tout desservi par de nouvelles infrastructures routières, un boulevard central et même une nouvelle ligne de tramway dans le prolongement de l’avenue de la République.

Validé en 2012, malgré un avis négatif de l’autorité environnementale, ce projet ambitieux avait été confié en 2013 à un opérateur privé, la SAPAG, une société constituée spécifiquement et rassemblant alors l’entreprise de BTP Guintoli, le bailleur social Grand Delta Avignon et Immochan, la société foncière du groupe Auchan qui avait patiemment et depuis des années, acquis l’essentiel de ce foncier, à proximité de son hypermarché, l’un des plus vastes et des plus profitables de France. Le contrat de concession qui prévoyait près de 500 millions d’investissement privé et 19 millions pour les aménagements publics, avait été signé en bonne et due forme le 24 février 2014, quelques jours avant le premier tour des élections municipales.

Sage précaution de la part de la SAPAG car le basculement à droite de la ville et de son agglomération d’alors, a largement rebattu les cartes, Gérard Gazay, le nouveau maire, ayant justement fait campagne contre le projet de tramway et de création de ce centre commercial qui aurait nécessairement porté préjudice aux commerces du centre-ville. La SAPAG a continué pourtant à avancer comme si de rien n’était, présentant en novembre 2016 son nouveau projet, rebaptisé écoquartier Bonne nouvelle, du nom de la rue qui en marque la limite nord. Un aménagement dont une bonne partie des logements initialement prévus a disparu, laissant la place à un vaste projet de centre commercial et d’espace de loisir.

Le projet ambitieux d’écoquartier Bonne nouvelle, imaginé et porté par la SAPAG sur la ZAC des Gargues (source © Made in Marseille)

Mais la ville d’Aubagne avait d’ores et déjà donné un avis négatif sur ce projet en septembre 2015 et la communauté d’agglomération l’a purement et simplement rejeté, fin 2016, juste avant de disparaître pour céder le pas à la nouvelle Métropole. En parallèle, et pour bien enfoncer le clou, la commune d’Aubagne a adopté en 2016 son PLU dans lequel les règles d’urbanisme imposées sur le périmètre de la ZAC des Gargues devenaient incompatibles avec le projet envisagé. Une véritable déclaration de guerre pour la SAPAG qui a aussitôt enclenché la bataille juridique et obtenu, en mars 2018, l’annulation du PLU pour vice de procédure. En parallèle, elle attaque la Métropole, désormais en charge de la patate chaude, lui réclamant pas moins de 289 millions d’euros de dédommagement si elle s’obstine à bloquer la mise en œuvre de la concession pourtant dûment validée.

Le 20 décembre 2022, le Tribunal administratif a fini par trancher ce différent en condamnant la Métropole à verser la bagatelle de 5,6 millions d’euros aux sociétés concessionnaires qui s’estiment lésées par ce revirement. Une belle somme qui aurait sans doute mieux trouver à s’employer pour développer les services publics que pour engraisser encore les actionnaires de la grande distribution et du BTP, mais qui reste néanmoins très en deçà du montant délirant réclamé par le groupe privé qui, entre temps, s’était rebaptisé Nhood…

Vue aérienne du terrain des Gargues (source © Géoportail)

La métropole ayant repris la compétence a fini par produire un nouveau PLU, désormais intercommunal, entré en application le 6 juillet 2022, malgré de fortes oppositions locales. Et voilà que le 17 janvier 2024, la Métropole a engagé la concertation publique en vue de procéder à la deuxième modification de ce PLUI pourtant tout récemment adopté. En réalité, ce sont deux modifications qui sont soumises en parallèle à la concertation. La première devrait permettre de mieux intégrer la prise en compte des risques naturels liés notamment à l’inondation par ruissellement pluvial, jamais considéré jusqu’à présent sur ce territoire pourtant fortement exposé en cas de gros orage

La seconde, quant à elle, concerne précisément le devenir de cette fameuse zone des Gargues qu’il est désormais question d’ouvrir de nouveau à l’urbanisation après l’épisode du précédent PLU et de la bataille juridique qui s’en est suivie. Mais plus question désormais d’un implanter un centre commercial et un complexe de loisir à faire pâlir d’envie nos amis californiens. L’objectif visé est désormais d’utiliser ce terrain agricole idéalement situé aux portes d’Aubagne pour y reconstruire l’hôpital Edmond Garcin vieillissant et jugé inadapté. Baptisé en 2002 du nom de cet ancien député communiste décédé en 1999, instituteur engagé dans la Résistance, devenu maire d’Aubagne en 1965 et qui l’est resté sans interruption jusqu’en 1987, cet hôpital d’Aubagne avait été inauguré en 1971. Desservant une aire de près de 140 000 habitants de l’est du département et de l’ouest du Var, ce centre hospitalier remplit des missions de service public avec son service d’urgence ouvert H24, ses différents services de médecine, son bloc opératoire de 6 salles, sa maternité tout juste rénovée, son centre de gérontologie et son laboratoire de biologie médicale partagé avec l’hôpital de La Ciotat.

L’actuel hôpital Edmond Garcin à Aubagne (source © Centre hospitalier d’Aubagne)

Mais malgré de lourdes rénovations et extensions, menées justement à l’initiative d’Edmond Garcin, le centre hospitalier d’Aubagne, menacé à plusieurs reprises de fermeture, face à la concurrence des cliniques privées et dans une optique à courte vue de réduction des dépenses publiques, est un peu à l’étroit sur sa parcelle de 2 hectares en plein site urbain. Une fois ce constat partagé et avec l’accord de l’ARS, la directrice du centre hospitalier, Stéphanie Luquet, à la tête de l’établissement depuis mai 2020, a orienté le projet vers une reconstruction totale sur un autre site plus vaste.

Mohamed Salem, président de la commission médicale de l’hôpital Edmond Garcin et Stéphanie Luquet, directrice, aux côtés du maire d’Aubagne, Gérard Gazay, en juin 2023 (photo © Catherine Vingtrinier / La Marseillaise)

Arrêté mi-2023, le projet de nouvel hôpital aura une capacité d’accueil augmentée de 20 % avec des lits et des blocs opératoires supplémentaires, ainsi qu’une maternité agrandie pour répondre au besoin des 1300 accouchements réalisés chaque année. Le projet a été décrié par plusieurs acteurs qui le trouvent insuffisamment ambitieux par rapport à l’offre de soins actuelles. Toujours est-il que le début de la construction est prévu à partir de 2027 pour une entrée en service espérée en 2030, et c’est donc le site des Gargues qui a été retenu pour sa future implantation. L’emprise des bâtiments devrait atteindre 26 000 m2, sur un terrain de 7 à 9 hectares, bordé à l’ouest par l’A52 et au sud par la RDN8, englobant donc l’actuelle jardinerie Tirand jusqu’au chemin des Gallègues, avec encore des possibilités d’extension future, au nord ou à l’est.

Plan schématique de l’emplacement du futur hôpital d’Aubagne (source © Made in Marseille)

Le coût du projet est estimé à au moins 130 millions d’euros et l’État a d’ores et déjà promis depuis décembre 2021 d’y injecteur 92 millions dans le cadre du Ségur de la Santé, tandis que Martine Vassal s’est engagée en septembre 2023 à hauteur de 10 millions pour la Métropole et 6 millions pour le Département. La commune d’Aubagne devrait se charger de fournir le terrain et la Région pourrait abonder à hauteur de 3 millions.

Martine Vassal annonçant l’engagement financier de la Métropole et du Département en faveur du projet de reconstruction de l’hôpital d’Aubagne, le 8 septembre 2023 (photo © François Rasteau / La Provence)

L’établissement lui-même, étant structurellement déficitaire avec un déficit de l’ordre de 10 millions par an pour un budget hospitalier annuel de 78 millions, n’est pas en capacité d’apporter de l’autofinancement. Le tour de table n’étant pas complètement encore bouclé, il faudra probablement que l’Agence régionale de santé (ARS) mette aussi la main à la poche et que l’établissement emprunte pour le reste. Un projet de longue haleine donc mais qui permettra peut-être de doter le secteur d’un centre hospitalier flambant neuf et plus performant, d’ici quelques années…

L. V.

IHU : le caprice de Renaud Muselier

15 avril 2024

Créé en 2011, l’Institut hospitalo-universitaire en maladie infectieuses de Marseille, plus connu sous son abréviation IHU-MI, a ouvert ses portes en 2018. Ce concept d’IHU, relativement récent dans le spectre de la recherche médicale française, résulte de la mise en œuvre des programmes d’investissement d’avenir lancés en 2009 par Nicolas Sarkozy pour favoriser la relance économique après la crise des subprimes. Ces instituts ont alors pour vocation de constituer des pôles d’excellence pour la recherche médicale en attirant et en formant des spécialistes dans leur domaine de compétence. Le but est d’obtenir des retombées économiques via « le développement de produits de santé innovants » et « d’accroître l’attractivité de la France pour les industries de santé ».

Les locaux majestueux de l’IHU de Marseille à la Timone (photo © Gérard Julien / AP / Le Monde)

Sur les 19 projets qui sont alors présentés, seuls 6 ont été retenus par un jury international constitué en 2010, un septième projet y étant ajouté en 2018. Les trois premiers d’entre eux sont ceux présentés par les hôpitaux de Paris et de Strasbourg, et justement celui de Marseille, défendu par le professeur Didier Raoult, au nom de l’Université Aix Marseille et de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille).

L’IHU est organisé sous forme de fondation, pour permettre de bénéficier des fonds provenant à la fois du public et du privé, histoire de manger à tous les râteliers. Celui de Marseille regroupe également parmi ses membres fondateurs l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service français des Armées, BioMérieux et l’Établissement français du sang. Mais l’essentiel de ses financements initiaux, qui s’élèvent au total à 160 millions d’euros et qui lui ont permis de se construire un immense bâtiment bien en vue, juste à côté de l’hôpital de la Timone, provient d’une subvention colossale de 72,4 millions, la plus grosse jamais accordée par l’Agence nationale de la recherche et de la technologie, dont 48,8 millions pour la seule édification du bâtiment.

Inauguration des locaux de l’IHU en mars 2018, en présence de l’incontournable Renaud Muselier, de Jean-Claude Gaudin et de Martine Vassal, tous inconditionnels de Didier Raoult (photo © Benoît Gilles / Marsactu)

Pourtant, dès 2015, une mission de l’Inspection générale de l’action sociale s’inquiète des dérives autoritaires du professeur Raoult, ce médecin tonitruant aux faux airs de Gandalph qui aurait mis en place un système de décision ultra-centralisé dans lequel il décide de tout et en toute opacité. En 2017, un nouveau rapport du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dénonce à son tour « un management autocratique » et « un mode de gouvernance vertical [qui] a facilité l’expression de comportements hautement condamnables : harcèlement moral mais également sexuel, mépris des personnes, ignorance des réglementations, hostilité à l’égard des regards extérieurs, défaut de concertation avec les tutelles ».

L’accusation n’est pas bénigne et conduit en 2018 le CNRS et l’INSERM, les deux autorités de tutelles, à se désengager du projet pour cause de « désaccord stratégique » et « d’évaluation scientifique défavorable ». Le coup est rude mais le bon professeur Raoult s’en moque comme d’une guigne, affichant le plus profond mépris pour ces instances nationales de la recherche scientifique, et n’hésitant pas à déclarer haut et fort : « l’INSERM, aujourd’hui je m’en fous » : on ne saurait être plus clair !

Didier Raoult et Renaud Muselier, deux anciens copains de fac inséparables, ici en septembre 2020 (source © compte Facebook Renaud Muselier)

D’autant que Didier Raoult connaît début 2020 son heure de gloire lorsque l’IHU lance un dispositif de dépistage du Covid-19 alors que toute la France panique face au développement de la pandémie, et que tous les responsables politiques locaux viennent se faire soigner à l’IHU où ils se font administrer la fameuse hydroxychloroquine du bon docteur Raoult. Un traitement qui n’a jamais fait ses preuves et qui peut être à l’origine de graves effets secondaires pour certains patients. Mais cette position assure au président de l’IHU de Marseille une position médiatique sans précédent. Il se répand dans tous les médias où son franc-parler fait merveille, lui qui fustige à longueur de journée les décisions technocratiques visant à confiner la population pour limiter la propagation du virus. Les Marseillais passés par l’IHU le vénèrent comme un dieu, arborent des tee-shirts à son effigie de druide celte réincarné, et applaudissent à chacune de ses sorties cinglantes contre les élites parisiennes.

Le professeur Didier Raoult, mis en cause pour ses méthodes quelques peu cavalières (photo © Christophe Simon / AFP / France 3)

Pourtant, dès 2020, des voix s’élèvent pour s’inquiéter d’essais cliniques humains effectués sans autorisation tandis que les procédures pour diffamation s’enchaînent et que des enquêtes sont diligentés pour fraude à la Sécurité sociale en lien avec des hospitalisations de jour facturées pour permettre d’administrer le fameux traitement anti Covid. De son côté, l’Agence française anti-corruption dénonce un conflit d’intérêt de la part du président de l’IRD, Jean-Paul Moatti, qui avait signé avec sa propre épouse, Yolande Obadia, alors directrice de l’IHU, une convention accordant une subvention aussi généreuse que peu justifiée.

En août 2021, l’AP-HM et l’Université Aix Marseille annoncent enfin le renouvellement de la présidence et la mise à la retraite de Didier Raoult de plus en plus controversé. Il est remplacé en septembre par un de ses proches, Pierre-Edouard Fournier, tandis qu’en septembre 2022, la directrice de l’IHU cède sa place à Emmanuelle Prada-Bordenave.

Mais il n’est pas si aisé de tourner la page de l’ère Raoult. Le journal La Provence s’est ainsi fait l’écho, vendredi 12 avril d’un épisode assez surréaliste survenu la veille, à l’occasion de la réunion du conseil d’administration de l’IHU, au cours duquel devait notamment être validée la composition du nouveau conseil scientifique de l’établissement. Il était prévu de nommer à sa tête l’immunologiste réputé, Eric Vivier, un scientifique mondialement reconnu, fondateur du cluster Marseille Immunopôle et par ailleurs président du Paris Saclay Cancer Cluster. Une nomination qui faisait l’unanimité parmi la communauté scientifique, désireuse de redonner plus de crédibilité à l’IHU de Marseille, empêtré dans les affaires judiciaires.

Le professeur Eric Vivier aux côtés du Président de Région Renaud Muselier, ici à l’occasion d’une visite ministérielle en 2022 (photo © Franck Pennant / La Provence)

Mais c’était sans compter sans le président de la Région PACA, l’imprévisible Renaud Muselier, qui, une fois n’est pas coutume, s’est invité en personne à ce conseil d’administration où il n’avait pas mis les pieds depuis plus de 2 ans. Ce dernier n’a jamais caché sa grande admiration pour le professeur Raoult, un ancien copain de fac dont il est resté très proche. En septembre 2021, alors qu’il sortait d’une affection de Covid, justement soignée à l’hydroxychloroquine dans les locaux de l’IHU, Renaud Muselier évoquait au micro de France bleu sa confiance aveugle en Didier Raoult, précisant : « Oui, j’ai toujours tout suivi chez Raoult. J’ai confiance en lui donc je fais confiance à mon médecin ». Et d’insister : « Moi, je l’ai toujours soutenu. Et il a eu des résultats : quand on a eu notre cluster avec un tiers de la région contaminée, on a fermé, on a envoyé tout le monde chez Raoult se faire tester, on a soigné ceux qui le voulaient et on a envoyé personne en réanimation. J’ai confiance en Raoult ».

Une confiance qui ne faiblit pas et qui a donc conduit le président de la Région PACA à s’opposer frontalement, lors de ce conseil d’administration mémorable du 11 avril 2024, à la nomination au sein du conseil scientifique de l’IHU, du professeur Vivier, ainsi qu’à celle de deux autres éminents scientifiques, Diane Descamps et Aude Bernheim. Selon les autres participants à cette réunion, Renaud Muselier a mis son veto sans discussion possible, arguant que ces nominations relèvent d’un pur parisianisme et menaçant de couper le robinet des subventions s’il n’était pas suivi.

Un dessin signé Deligne, publié dans Var Matin en août 2021 : 4 ans plus tard, le professeur Raoult tire toujours les ficelles !

Un argument qui a manifestement porté, d’autant que la Région finance grassement l’IHU, y compris via les fonds européens qui sont instruits par ses propres services. En comptant les subventions régionales qui transitent par l’AP-HP, cela représenterait plusieurs dizaines de millions par an. De quoi donner à Renaud Muselier une force de conviction très dissuasive, au point que personne n’a osé le contredire et lui rappeler que le « parisien », Eric Vivier, vit à Marseille depuis 31 ans, où il a fondé le centre d’immunologie de Luminy et où il exerce en tant que professeur d’immunologie à l’université Aix Marseille et médecin hospitalier à la Timone.

Il semble donc que l’IHU de Marseille ne soit pas encore prêt à tourner la page Raoult et que ce dernier puisse encore compter sur le soutien aveugle de son ami Muselier, quitte à ruiner la crédibilité scientifique de cet institut. La Provence se fait ainsi l’échos d’un chercheur, désespéré de voir que « l’IHU fait beaucoup d’efforts pour redresser la barre. C’est catastrophique de voir tout cela ruiné par des comportements qui relèvent du fait du prince », estimant, désabusé : « il s’agit surtout d’une lutte de pouvoir. A Marseille, certains veulent rester dans leur entre-soi ». Un travers décidément très développé localement

L. V.

Cerexagri, l’usine qui enfume les voisins

8 février 2024

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le passé industriel très actif de Marseille n’est pas complètement mort, lui qui a laissé de multiples stigmates avec ses innombrables terrils riches en métaux lourds qui jonchent encore le littoral en bordure du Parc national des Calanques et dont la dépollution reste un casse-tête. La production d’alumine, à partir de la bauxite locale, a contribué à la richesse locale avec un site majeur de production à Saint-Louis des Aygalades mais aussi de multiples dépôts de boues rouges, résidus de cette production industrielle et dont on ne sait plus très bien que faire désormais.

Mais il subsiste encore sur le territoire de Marseille quelques sites industriels majeurs toujours en activité, parmi lesquels l’usine Arkema à Saint-Menet, toujours en activité depuis 1954 et classée site Seveso seuil haut, dont le plan particulier d’intervention, révisé récemment, s’étend désormais jusqu’à la commune de Carnoux qui pourrait être sérieusement touché en cas de fuite massive de chlore par temps de Mistral.

Usine Arkema à Saint-Menet, source de risque industriel majeur pour l’Est marseillais (photo © Georges Robert / La Provence)

Un autre site industriel majeur, implanté depuis 1983 dans le quartier de Saint-Louis des Aygalades, fait aussi parler de lui pour ses nuisances environnementales. Il s’agit de l’usine Protec Métaux Arenc, rachetée récemment par Satys, et spécialisée dans la fabrication de peintures spéciales pour l’aéronautique. En 2013, des fuites de chrome VI, une substance toxique fortement cancérigène et mutagène, ont été repérées fortuitement dans le tunnel ferroviaire de Soulat situé en contrebas, à 400 m de là. Les investigations, qui n’ont été rendue publiques qu’en 2019, ont révélé que le produit avait provoqué une pollution majeure du ruisseau des Aygalades et persistait encore dans la nappe, ce qui a obligé les autorités à prendre des mesures drastiques d’interdiction d’utilisation des puits domestiques du secteur.

Entrée de l’usine PMA désormais Satys, implantée dans le quartier de Saint-Louis, à l’origine d’une grave pollution au chrome VI de la nappe et du ruisseau des Aygalades (source © Google Maps / Marsactu)

A ce jour, les travaux de dépollution, que l’industriel est mis en demeure d’engager depuis 2018, ne sont toujours pas réalisés même si des tests in situ ont bien été effectués en 2021 après le rachat du site par Satys. Il était question que l’usine déménage en 2023, pour s’installer dans une zone d’activité dédiée à Marignane, mais les riverains du secteur s’y sont bruyamment opposé et l’industriel a dû battre en retraite. L’usine et ses installations vieillissantes en pleine zone urbaine reste donc toujours en place à ce jour, freinant les travaux de dépollution qui peuvent difficilement être réalisés tant que l’activité de production se poursuit…

Portail de l’antenne marseillaise de Cerexagri au Canet (photo © Etienne Bonnot / Marsactu)

Et voilà qu’une autre usine marseillaise, défraie à son tour la chronique et fait les choux gras de Marsactu. Installée au Canet, entre l’autoroute A7 et la L2, à proximité immédiate des grandes tours de la cité Jean Jaurès, l’usine existe depuis 1909. A l’époque, les bâtiments, immenses cathédrales de béton armé aux toits voûtés, étaient exploités par les Raffineries Internationales de Soufre. Peu à peu, l’usine s’est retrouvée en pleine ville, encerclé d’immeubles d’habitations, de pavillons et même d’écoles. La production quant à elle s’est toujours poursuivie mais l’usine a changé de main et a été intégrée à Cerexagri, une filiale d’Arkema qui regroupe les activités agrochimiques issues de Total. L’usine continue à fabriquer du soufre destiné à être utilisé comme fongicide dans l’agriculture.

Les vastes salles voûtées du site marseillais de Cerexagri (source © AGAM)

Fin 2006, Arkema a cédé sa filiale Cerexagri dont le chiffre d’affaires était alors estimé à 200 millions d’euros avec ses trois usines de production situées, outre Marseille, à Bassens près de Bordeaux, et à Mourenz dans les Landes. L’heureux repreneur est le géant indien de l’agrochimie, le groupe UPL (United Phosphorus Ltd), l’un des cinq géants mondiaux des pesticides, présent dans 130 pays avec plus de 10 000 salariés dans le monde.

En mars 2010, un incendie s’était déjà produit dans les locaux de l’usine marseillaise de Cerexagri. Rapidement maîtrisé par les marins-pompiers, le feu avait néanmoins provoqué la formation d’un spectaculaire nuage de soufre qui s’était lentement dirigé vers les barres d’immeubles de la cite Jean Jaurès dont les habitants étaient aux premières loges pour bénéficier gratuitement d’une inhalation soufrée qui, semble-t-il n’avait pas fait de victime directe.

Site de l’usine Cerexagri (toitures blanches), entre l’autoroute A7 et la L2, en bordure de la cité Jean Jaurès et à côté de l’école Canet Jean Jaurès (source © Google Maps)

A l’époque, l’usine était classée site Seveso seuil haut, mais en 2021, les services de l’État ont accepté de le déclasser, actant le fait que les volumes de produits toxiques stockés sur place étaient désormais en dessous des seuils. La même année pourtant, un autre site de l’indien UPL faisait parler de lui en Afrique du Sud. Suite à des émeutes urbaines, un hangar de stockage de produits chimiques situé dans la zone portuaire de Durban avait été incendié, provoquant une grave contamination des plages voisines où les autorités ont dû interdire la pêche et la baignade. Selon France Info, l’enquête avait montré que la multinationale indienne n’avait pas les autorisations environnementales pour cette activité et il avait fallu retirer 13 000 tonnes de déchets toxiques et 24 000 m3 de liquides contaminés pour les enfouir en décharge contrôlée.

Incendie du site de stockage UPL près de Durban en juillet 2021 : une véritable catastrophe écologique (source © IOL)

C’est pourtant cette même année 2021, comme l’indiquent les révélations récentes de Marsactu, que la direction marseillaise de Cerexagri, profitant de l’assouplissement des exigences environnementales à son encontre, décide de modifier son procédé de convoyage de la poudre de soufre vers la chaine d’ensachage, en remplaçant son ancien dispositif mécanique par un système plus performant à air comprimé, qui permet de meilleurs rendements. Le seul (petit) inconvénient du nouveau process est qu’il rejette dans l’atmosphère un gaz éminemment toxique, mortel à fortes concentrations, l’hydrogène sulfuré H2S. Selon le Code du Travail, dès que la concentration de ce gaz dans l’air dépasse 5 ppm dans un espace confiné, la production doit être immédiatement stoppée. Or le nouveau dispositif génère des concentrations 30 fois supérieures !

Qu’à cela ne tienne : la direction fait installer en toute discrétion une seconde ligne d’échappement qui permet d’évacuer l’essentiel du gaz toxique à l’extérieur, juste au-dessus d’une porte par laquelle transitent les salariés du site. Cette installation n’étant pas déclarée, les services de contrôle mesurent les rejets à la sortie de l’échappement principal tandis que l’essentiel des rejets passe par l’échappement secondaire, ni vu ni connu…

Banderole sur l’usine Cerexagri de Bassens en 2021 à l’occasion d’un mouvement social (photo © Ezéquiel Fernandez / Radio France)

N’ayant pas été informés du stratagème, les salariés ne se doutent de rien sauf qu’ils sont régulièrement incommodés en passant près de l’endroit sensible, au point de finir par faire des mesures à l’aide de capteurs individuels, découvrant avec effarement que leur capacité de mesure est allègrement dépassée ! Une fois le pot aux roses découvert, les salariés déclenchent une alerte pour danger grave et imminent et décident de l’arrêt de l’activité. Cinq jours plus tard, des inspecteurs du travail se rendent sur place avec un expert et mettent en demeure la direction du site de mettre son installation en conformité, ce qui est fait une semaine plus tard, sans que l’on sache à ce jour si les rejets récurrents d’H2S à forte concentration ont pu avoir un impact sur les habitants des logements voisins dont les fenêtres donnent directement sur l’usine.

On apprend d’ailleurs à cette occasion qu’en 2023 déjà le même site industriel s’était fait rappeler à l’ordre par les services de l’État qui s’était rendu compte que l’usine rejetait directement dans le réseau pluvial, sans le moindre traitement, ses eaux de purges des chaudières, provoquant une atteinte grave à l’environnement. De quoi écorner quelque peu la réputation de la multinationale indienne dont la communication institutionnelle est portant fortement axée sur la sécurité et le bien-être de ses employés ainsi que sur le respect de l’environnement, un thème récurrent dans la bouche de bien des pollueurs !

L. V.

Eau en bouteilles : une escroquerie à grande échelle

4 février 2024

L’affaire est sortie récemment dans les médias, très exactement le lundi 29 janvier 2024 à 7 h du matin, par un article assez anodin publié dans le journal économique Les Echos, qui ne fait que reprendre les propos lénifiants de Nestlé Waters, numéro 1 de l’eau minérale en France et filiale du géant mondial de l’industrie agroalimentaire Nestlé, dont le siège est à Vevey en Suisse. Selon cet article, dicté par le service communication de la multinationale, Nestlé Waters aurait délibérément enfreint depuis des années la réglementation française « au nom de la sécurité alimentaire » en mettant en place un système de traitement de ses eaux en bouteille, par charbon actif, traitement aux ultraviolets et microfiltration, dictée uniquement par le souci de la santé et de la sécurité des consommateurs, tout en reconnaissant que ceci constitue une (petite) entorse aux normes (toujours tatillonnes à l’extrême, comme chacun sait…), mais comme le précise d’emblée l’article : « faute avouée, faute à demi pardonnée »…

Bâtiments de l’usine d’embouteillage de Nestlé Waters à Contrexéville, dans les Vosges (photo © Alain Delpey / MaxPPP / Reporterre)

Sauf que ce communiqué aimablement relayé par un média complaisant est suivi le lendemain par une publication plus détaillée d’une enquête relayée simultanément par Le Monde et par Radio France et ses multiples satellites. Et l’on apprend ainsi, notamment de la part de Marie Dupin, une journaliste qui a investigué sur le sujet, et de Jacques Monin, le directeur des enquêtes de Radio France, que cet article des Echos est en réalité un coup de communication de Nestlé pour tenter de faire diversion avant la publication imminente d’une vaste enquête, initiée depuis des mois et qui met en pratique un système bien rôdé, visant à détourner purement et simplement la réglementation française sur les eaux minérales et les eaux de source, avec la bienveillance des autorités politiques.

L’affaire commence il y a 3 ans, en décembre 2020, par un signalement d’une salariée du groupe Sources Alma qui produit une trentaine de marques d’eau en bouteille, commercialisées notamment sous les marques Cristalline, autoproclamée « l’eau préférée des Français » mais aussi Vichy Célestins ou Saint-Yorre. Selon cette source, le groupe se livre à des pratiques illégales, ce que confirme après enquête la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui constate que l’entreprise fait subir à ses eaux minérales des traitements non conformes à la réglementation tels que l’injection de sulfate de fer et de gaz carbonique industriel, la microfiltration à des seuils non autorisés, et même le mélange pur et simple avec de l’eau du robinet !

Campagne publicitaire pour les eaux en bouteille Cristalline en 2007 (photo © Martin Bureau / AFP / Le Monde)

Une information judiciaire a d’ailleurs été ouverte en juillet 2023 suite à ces révélations. Rappelons en effet que la législation française distingue trois catégories d’eau vendues en bouteille. Les eaux de table se distinguent de l’eau du robinet uniquement par leur conditionnement en flacons : il s’agit d’eaux rendues potables par traitement, dont la nature varie selon les caractéristiques de l’eau prélevée et les risques sanitaires associés. Plus l’eau pompée est potentiellement contaminée ou riche en éléments indésirables, plus les traitements peuvent être lourds.

Les deux autres catégories d’eaux embouteillées sont les eaux de source et les eaux minérales naturelles. Leur point commun est qu’il s’agit exclusivement d’eaux souterraines, pompées en profondeur dans un aquifère où elles sont supposées être protégées naturellement de toute contamination ou pollution, si bien que tout traitement avant commercialisation est strictement interdit. La seule différence entre elles est que les eaux de source respectent naturellement les critères de potabilité d’une eau destinée à la consommation humaine, ce qui n’est pas le cas des eaux minérales naturelles, généralement chargées de manière excessive en certains sels minéraux, ce qui est supposé leur conférer des propriétés médicinales spécifiques.  

Mais l’enquête de la DGCCRF révèle que cette pratique de traitement illicite ne concerne pas que le groupe. En analysant le fichier client des principaux fournisseurs de filtres, elle découvre en effet que le groupe Nestlé Waters, qui arrose plus d’un tiers du marché français des eaux en bouteilles avec ses deux sites d’embouteillage des Vosges (Vittel, Contrex, Hépar) et du Gard (Perrier), y a également recours et se livre donc également à une fraude massive.

Visite d’une chaîne de production de Nestlé Waters sur l’atelier nord de Vittel en 2019 (photo © Éric Tiébaut / Vosges Matin)

Un peu gêné, ce dernier sollicite alors un entretien avec le cabinet du ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, entrevue qui a lieu fin août 2021, à Bercy, en toute confidentialité. Les représentants de Nestlé y reconnaissent benoîtement enfreindre depuis des années la législation française en toute connaissance de cause, mais justifient leur position par le fait que les nappes sont tellement polluées qu’ils n’ont d’autre choix que de traiter l’eau avant de la commercialiser s’ils veulent pouvoir poursuivre leur business. Autrement dit, la loi étant trop contraignante, il est normal qu’un industriel la contourne, tout en continuant à baser tout son marketing sur la pureté originelle de son eaux de source aux propriétés miraculeuses, vendue 100 fois plus chère que l’eau du robinet…

Nestlé, une politique industrielle et commerciale agressive, peu soucieuse de la préservation des ressources naturelles à long terme… Un dessin signé Besot

Le plus curieux est que les fonctionnaires de Bercy, qui auraient dû, en toute rigueur et comme la loi les y oblige, dénoncer cette situation via un signalement au Procureur, tout en alertant immédiatement la Commission européenne et les autres États membres, non seulement s’en abstiennent soigneusement, mais de surcroît accordent à Nestlé l’autorisation de poursuivre ses manipulations frauduleuses tout en promettant d’étudier un assouplissement de la loi !

Le gouvernement charge néanmoins, en octobre 2021, l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales d’un enquête administrative sur les conditions de traitement utilisés par les industriels du secteur et leur impact sanitaire. Avec l’aide des Agences régionales de la santé (ARS), pas moins de 32 inspections sont menées auprès de différents industriels et un rapport est remis en juillet 2022 dont le constat est accablant : au moins un tiers des eaux en bouteilles vendues en France a subi un traitement non conforme à la législation, mais c’est probablement bien davantage faut d’avoir pu accéder à nombre de sites où ces pratiques sont délibérément dissimulées, et c’est le cas de la totalité des eaux commercialisées par Nestlé Waters !

Un employé de Nestlé Waters inspecte une chaîne d’embouteillage à Contrexéville (photo © Sébastien Bozon / AFP / Radio France)

On y apprend ainsi que la totalité des usine du groupe Nestlé a recours à des pratiques formellement interdites comme le traitement aux ultra-violets ou le charbon actif, mais que ces traitement sont soigneusement masqués pour ne pas être facilement détectés en cas d’inspection et que les points de prélèvement destinés aux agents de surveillance sanitaire missionnés par l’ARS sont placés en aval de ces traitements, ce qui ne leur permet pas de connaître la qualité de l’eau brute prélevée, supposée indemne de toute contamination. Un dispositif de fraude bien rôdé, destiné à masquer le fait que les nappes dans lesquels Nestlé puise son eau de source sont malheureusement contaminées à grande échelle depuis des années et ne sont plus potables en l’état.

En octobre 2022, l’ARS Grand-Est a fini par saisir la Justice et le 31 janvier 2024, à la suite des révélations du Monde et de Radio France, le Procureur de la République à Épinal a ouvert une enquête pour tromperie. De leur côté, des sénateurs socialistes ont écrit à Catherine Vautrin, la nouvelle ministre du Travail et de la Santé, pour demander la publication du rapport de l’IGAS, resté confidentiel, tout en demandant des éclaircissements quant au traitement politique de cette affaire par le gouvernement et sa complaisance manifeste envers les industriels impliqués. On apprend en effet qu’en février 2023, une réunion interministérielle s’est tenue sous la houlette du cabinet d’Élisabeth Borne, alors Premier Ministre, pour examiner l’affaire, suite à laquelle il a été accordé à Nestlé la possibilité de poursuivre, comme si de rien n’était, ses activités de microfiltration des eaux minérales naturelles, en contradiction flagrante avec la législation en vigueur…

Une affaire en apparence très technique mais qui reflète bien la collusion entre responsables politiques et industriels, au mépris complet de la réglementation en vigueur et sans le moindre souci de transparence vis-à-vis du citoyen et consommateur. Pas vraiment de nature à rétablir la confiance entre ce dernier et ses représentants au plus haut niveau de l’État !

L. V.

La société Alteo mise en examen

28 janvier 2024

C’est le quotidien national Le Monde qui l’a révélé le 19 janvier 2024 : la société Alteo, propriétaire de l’usine de production d’alumine de Gardanne, a été mise en examen le 17 octobre 2023, près de 4 ans après l’ouverture d’une information judiciaire, pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

Vue aérienne de l’usine d’alumine d’Alteo à Gardanne, ici en 2019 (source © Made in Marseille)

C’est le nouveau procureur de la République à Marseille, Nicolas Bessone, qui a confirmé l’information en précisant que l’usine Alteo de Gardanne est soupçonnée d’avoir à Gardanne et à Cassis, entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, « laissé s’écouler dans les eaux de la mer dans la limite de la mer territoriale, directement ou indirectement, une ou des substances dont l’action ou les réactions ont même provisoirement entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune ». Le parquet de Marseille estime donc, après 4 ans d’enquête, avoir rassemblé suffisamment d’éléments venant étayer les arguments avancés depuis des années par des riverains et des associations de défense de l’environnement qui s’époumonent en vain pour dénoncer les pollutions multiples occasionnées par cette usine.

Le sujet n’est pas nouveau puisque les résidus de traitement de l’usine, les fameuses « boues rouges », ont toujours été purement et simplement rejetées dans la nature depuis que le site a été mis en service, il y a plus d’un siècle en 1894. A l’époque, le procédé industriel utilisé, inventé par Karl Joseph Bayer en 1887, était fortement innovant et le site de Gardanne est le premier au monde à l’utiliser ainsi de manière industrielle, après quelques tâtonnements. Il consiste à dissoudre à chaud à l’aide de soude concentrée le minerai de bauxite, alors exploité dans les mines toutes proches du Var, pour en extraire l’alumine, cette poudre blanche qui donne ensuite l’aluminium par électrolyse.

Vue aérienne du site de Mange-Garri, à Bouc-Bel-Air, près de Gardanne, où sont entreposées les résidus solides de la fabrication d’alumine, les fameuses « boues rouges » (photo © Colin Matthieu / Hemis.fr / France TV info)

Mais ce procédé produit des quantités importantes de déchets, ces fameuses boues rouges, alors à raison de 1,5 tonne pour 1 tonne d’alumine produite, des résidus riches en oxydes de fer qui leur donnent cette couleur caractéristique, mais aussi en soude résiduelle, très caustique, et en métaux lourds de type plomb, mercure, cuivre, chrome ou cadmium, ainsi qu’en arsenic et en éléments radioactifs. Des boues toxiques qui ont été longtemps stockées dans tous les vallons situés autour de l’agglomération marseillaise. Jusqu’à ce que Péchiney, alors propriétaire de l’usine de Gardanne, ait la brillante idée de les rejeter directement en mer, au large de Cassis, via une conduite qui court sur plus de 50 km et se rejette en mer à quelques kilomètres du littoral, dans le canyon de la Cassidaigne.

Les canalisations d’effluents toxiques qui partent de l’usine de Gardanne et courent à travers bois jusqu’à Cassis, enterrées sur une partie de leur trajet comme dans la traversée de Carnoux (photo © Guillaume Origoni et Hans Lucas / AFP / Le Monde)

Mise en service en 1966 malgré la protestation des pêcheurs et des écologistes de l’époque, cette conduite, qui traverse toute la commune de Carnoux où elle est repérée en surface par de petites bornes orange, a rejeté plus de 30 millions de tonnes de boues rouges toxiques, directement en mer, en plein cœur du Parc national des Calanques, déposant des sédiments rougeâtres que l’on retrouve dans les fonds marins de Toulon jusqu’à Fos !

La conduite qui rejette en mer à 7 km des côtes de Cassis, les effluents liquides toxiques issus de l’usine d’alumine de Gardanne (photo © Boris Horvat / AFP / 20 minutes)

Il a fallu attendre le 1er janvier 2016 pour que cessent enfin ces déversements directs en mer des boues rouges toxiques, en application de la Convention de Barcelone signée 10 ans plus tôt en 1995 et fixait une date limite au 31 décembre 2015 pour de tels rejets. Une enquête publique mouvementée avait été lancée en août 2015, qui vit le ministre de l’écologie d’alors, Ségolène Royal, se faire désavouer publiquement par le Premier ministre de l’époque, un certain Manuel Vals, il a été accordé une nouvelle autorisation à l’usine de Gardanne, passée entre temps des mains de Péchiney à celle d’Alcan, puis de Rio Tinto, et rachetée en 2012 par un fonds d’investissement anglo-saxon HIG Capital qui l’a regroupé au sein de son nouveau pôle baptisé Alteo.

Les envols de poussières toxiques autour du site de stockage de Mange-Garri empoisonnement la vie des riverains et de l’environnement proche (photo © Boris Horvat / AFP / Géo)

Grâce à la générosité de l’Agence de l’Eau, financée pour l’essentiel par les redevances des usagers sur leur consommation d’eau potable, le fonds d’investissement HIG a pu équiper l’usine de Gardanne de filtres-presses destinés à extraire la phase solide des boues rouges, stockée depuis à l’air libre dans les immenses bassins de Mange-Garri à Bouc-Bel-Air, à raison de 350 000 tonnes supplémentaires chaque année, au grand dam des riverains exposés, en période venteuse, aux envolées de poussières éminemment toxiques. Le reste des effluents liquides continue à être rejeté en mer par les mêmes canalisations, sans autre traitement, moyennant une autorisation préfectorale accordée pour 6 ans et fixant des teneur limites à ne pas dépasser pour certains paramètres de ces effluents, en dérogation avec les seuils réglementaires habituellement appliqués.

Les rejets en mer des boues rouges, désormais arrêtés, mais qui se poursuivent par des rejets d’effluents liquides peu ragoutants : un dessin du caricaturiste Z, publié dans Charlie Hebdo le 24 août 2020

Un montage qui s’apparente fort, comme de nombreux responsables politiques l’ont alors dénoncé, à une lâche concession faite à l’industriel pour lui permettre de continuer à polluer allègrement, moyennant le versement d’une redevance, elle-même minorée de manière totalement dérogatoire, ceci pour répondre à son habile chantage à l’emploi et en échange de vagues promesses de se doter un jour d’une véritable station d’épuration digne de ce nom. Un échéancier avait été alors accordé à l’entreprise pour se mettre progressivement en règle mais les échéances ont été repoussées à de multiples reprises, faute d’atteindre dans les délais les seuils fixés dans l’arrêté. Alteo avait même mis en avant cette pression environnementale pour placer l’usine en redressement judiciaire fin 2019 et organiser son rachat en 2021 par le groupe de logistique minière franco-guinéen United Mining Supply.

Et pourtant, malgré ce traitement de faveur totalement dérogatoire, les services de l’État en charge de contrôler cette installation industrielle ont enregistré, via les quelques analyses effectuées, que même les valeurs dérogatoires concédées n’étaient pas respectées, loin s’en faut. Un prélèvement inopiné réalisé en 2016 indiquait ainsi des dépassements colossaux par rapport aux seuils fixés dans l’arrêté préfectoral, et ceci s’est reproduit depuis malgré les multiples mises en demeure du Préfet et ceci même au-delà de septembre 2020, data à laquelle Alteo s’est vanté d’avoir enfin mis en service une unité de traitement biologique pour traiter ses effluents avant rejet dans le milieu naturel.

Modélisation de l’extension des dépôts de boues rouges au large de Cassis (source © Wild Legal)

Ce sont ces multiples et répétées infractions aux différents arrêtés préfectoraux pourtant largement dérogatoires, qui valent aujourd’hui cette mise en examen suite aux plaintes déposées dès 2018 par huit plaignants représentant des riverains, des pêcheurs et des associations de défense de l’environnement dont ZEA, plaintes qui avaient débouché sur l’ouverture d’une enquête en mars 2019 par le pôle santé du Tribunal judiciaire.

Après des années d’errements, la Justice semble enfin se donner les moyens d’agir sur ce type de pollution industrielle à grande échelle, effectuée au vu et au su de tous, avec la complicité active et revendiquée de nombre de responsables politiques voire scientifiques, et au mépris de toutes les législations et réglementations pourtant plutôt laxistes mises en place. Une belle victoire pour ceux qui se battent depuis des années voire des décennies contre ce type d’impunité !

L. V.

L’agriculture néerlandaise au pied du mur ?

18 octobre 2023

La France et les Pays-Bas ont au moins un point commun : la part de l’agriculture dans le Produit intérieur brut, autrement la richesse produite par le pays, y est comparable, de l’ordre de 1,6 % ! Un niveau ridiculement bas qui montre à quel point ces deux nations où l’agriculture et l’élevage occupaient l’essentiel de la population il y a encore quelques siècles, ont totalement délaissé ces pratiques nourricières au profit d’autres activités plus lucratives. On compte en France désormais de l’ordre de 29 millions d’hectares agricoles (alors que ce chiffre atteignait encore les 40 millions dans les années 1950, soit près des trois-quarts du territoire national !) dont environ 18 millions de terres cultivées. Au Pays-Bas, dont la superficie est 13 fois plus faible, on ne compte plus que 1,8 millions de terres agricoles dont 1 million de terres arables, ce qui paraît ridicule, surtout pour un pays de 17,5 millions d’habitants qui possède une densité de peuplement très élevée.

Paysage traditionnel de polder hollandais : les moulins de Zaanse Schans  (source © OK voyage)

Et pourtant, les Pays-Bas sont le deuxième exportateur mondial de produits agricoles, juste derrière les États-Unis dont la superficie est 270 fois supérieure ! En 2019 l’agriculture néerlandaise a exporté pour 96 milliards d’euros de produits agricoles quand sa voisine française se limitait à 64 milliards, pour un niveau d’importation assez comparable entre les deux pays. Les échanges bilatéraux de produits agricoles entre la France et le Pays-Bas sont d’ailleurs deux fois plus élevés, en faveur de nos voisins néerlandais…

De tout temps, les Néerlandais ont façonné le sol de leur pays, dont un quart se situe sous le niveau de la mer, grignotant peu à peu de nouvelles terres arables au prix d’un travail colossal d’endiguement et de drainage, au point qu’un dicton local prétend que « Dieu a créé la Terre, sauf les Pays-Bas, puisque les Néerlandais s’en sont chargés eux-mêmes ». Après la guerre et l’épisode terrible de l’hiver 1944-45, durant lequel 22 000 néerlandais sont morts de famine sous le joug de l’occupation allemande, le pays s’est lancé dans une modernisation extrême de son secteur agricole, à grands renforts d’engrais, de pesticides, de mécanisation poussée et de serres ultra sophistiquées, poussant au maximum tous les curseurs de l’agriculture industrielle hors-sol, totalement déconnectée des cycles naturels.

Dans la région de Westland, d’immenses serres en verre à perte de vue (source © Hortimedia)

On trouve désormais aux Pays-Bas les serres les plus modernes du monde où tout est réglé par ordinateur. L’éclairage et la température sont programmés pour reproduire les conditions climatiques idéales permettant d’y faire pousser aussi bien du basilic, des tomates ou des poivrons que des bananes ou des ananas. Pas besoin même de terre dans la plupart de ces serres où le substrat utilisé est une solution hydroponique ou un substrat organique mitonné aux petits oignons pour obtenir des rendements que le paysan moyen n’ose même pas imaginer. Les Pays-Bas détiennent les records mondiaux de rendements pour la culture de tomates, de poivrons ou de concombres, alors que leur climat est loin d’y être particulièrement favorable !

Les serres néerlandaises ultra modernes en verre éclairées par Led et régulées de manière automatique (photo © Luca Locatelli / Institut for National Geographic)

Avec de telles pratiques, pas étonnant que ce pays minuscule inonde la planète avec ses fruits et légumes. Les Pays-Bas se placent ainsi en tête des pays européens pour la production d’oignons. Ils fournissent aussi la moitié des semences mondiales. Mais le pays se caractérise également par un élevage très développé puisque l’on compte un cheptel total d’environ 100 millions de têtes de bétail, dont 23 millions de porcs, un ratio par habitant rarement rencontré ailleurs dans le monde ! Un élevage hyper intensif et de plus en plus concentré : les élevages actuels de porcs ne sont plus que 3000 environ alors qu’on en comptait 25 000 dans les années 1980, mais ils sont devenus de véritables usines, un tiers d’entre aux comptant plus de 1000 têtes de bétail.

Élevage hors-sol de 320 000 poulets de chair sur étagères aux Pays-Bas, sans le moindre éclairage naturel (photo © Julien Goldstein / Le Monde)

Ces élevages industriels produisent des quantités d’azote et de phosphore que l’environnement n’est plus en capacité d’intégrer. Les éleveurs néerlandais en sont d’ailleurs à exporter une grosse partie de leur lisier en Allemagne où le coût du traitement est moindre… Le gouvernement a ainsi été amené à contingenter les élevages depuis déjà une trentaine d’années. Ce qui n’empêche pas les algues vertes de pulluler sur tout le littoral et l’opinion publique de s’émouvoir à la fois du mal-être animal dans ces élevages intensifs et de l’impact environnemental sur la pollution des sols et surtout des cours d’eau, en voie d’eutrophisation massive. Le pays produit depuis 2010 plus de 250 kg d’azote par hectare, très au-dessus de la moyenne des terroirs agricoles européens qui se situe autour de 170.

Une situation explosive qui a obligé la Justice à intervenir. Dès 2015 un tribunal a demandé au gouvernement de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, en grande partie liés à l’activité agricole dans ce pays. Une décision confirmée en appel en 2018 puis renforcée en 2019 par une décision de la Cour suprême qui oblige alors le gouvernement à engager une réforme ambitieuse visant notamment à réduire le cheptel de vaches laitières dont les émissions de méthane sont redoutables en matière de production de gaz à effet de serre. Sauf que le gouvernement a été rapidement obligé de céder face aux manifestations d’agriculteurs en colère, un millier d’entre eux s’étant mobilisés en octobre 2019 pour bloquer les routes avec leurs tracteurs.

Blocus d’agriculteurs en colère sur l’autoroute A1 près de Rijssen, aux Pays-Bas, le 29 juin 2022 (photo © Vincent Jannink / ANP / AFP / Le Monde)

Un ressentiment des gros éleveurs industriels et des milieux de l’agro-industrie qui pourrait bien peser lourd lors des prochaines élections législatives qui se profilent pour novembre 2023, dans un climat politique assez incertain. Ces élections, qui n’étaient prévues que dans 2 ans, ont été convoquées de manière anticipée suite à la chute du gouvernement dirigé par Mark Rutte, premier ministre depuis maintenant 12 ans mais qui a dû démissionner en juillet dernier. Son parti, d’obédience libéral-conservateur, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie, souhaitait imposer des mesures nettement plus restrictives pour empêcher l’arrivée de nouveaux migrants, ce qui faisait tousser ses alliés démocrates et l’a donc conduit à jeter l’éponge.

Bien malin à ce stade qui pourrait dire ce qu’il ressortira de ce scrutin national, d’autant que plusieurs ténors de la vie politique néerlandaise en profitent pour passer la main et que les gouvernements dans ce pays sont toujours le fruit de coalitions plus ou moins hétéroclites. Une chose est sûre : la crise environnementale des excédents d’azote à résorber à tout prix pour respecter enfin les normes européennes en matière de préservation des milieux aquatiques sera l’un des enjeux majeurs de cette campagne !

Caroline van der Plas (au centre avec le collier) célébrant la victoire du BBB lors des élections régionales de mars 2023 (source © Le Grand Continent)

Les efforts entrepris par le gouvernement depuis 2019, pour tenter de réduire les concentrations de cheptel ont en effet fait naître dans le pays une opposition déterminée, incarnée notamment par le Mouvement agricole-citoyen (BBB pour Boer Burger Beweging), créé fin 2019 par Caroline van der Plas, élue au Parlement dès 2021 sous cette étiquette et dont le parti a fait un tabac aux dernières élections régionales de mars 2023, arrivant largement en tête dans toutes les provinces : une première dans le pays ! Ce raz de marée électoral, dont beaucoup redoutent la réédition le mois prochain à l’occasion des législatives, traduit un véritable sursaut de l’électorat rural. Ce dernier est vent debout contre les réformes à visée environnementale que tentent vainement de mettre en place les élites urbaines confrontées à une véritable impasse du système productiviste agricole néerlandais poussé à son extrême. Voilà qui promet un beau débat de société en perspective !

L. V.

Une pluie de plastique sur Carnoux…

30 août 2023

Attention aux retombées de plastique quand il pleut : les chercheurs ont mis en évidence l’augmentation très significative des teneurs en micro fragments de plastique dans l’air ambiant en période de pluie. Du coup, la fondation australienne Minderoo a développé un outil de modélisation, accessible sur internet, qui permet d’annoncer, pour l’instant uniquement à Paris, la quantité totale de plastique que l’on peut s’attendre à voir se répandre sur l’ensemble de la ville en fonction de la météo du jour : de l’ordre de 40 jusqu’à plus de 400 kg par jour selon le type de précipitations et les conditions météorologiques !

Nos déchets en plastique envahissent toute la planète et se retrouvent dans toutes les chaînes alimentaires (source © Makigo)

Oui, nous sommes envahis de microplastiques. Ces minuscules particules plastiques de moins de 5 mm sont partout, dans l’atmosphère au fond des océans, de l’Arctique à l’Antarctique, dans les glaciers, dans notre nourriture… Nous en mangeons quotidiennement : près d’1 gramme par jour, soit l’équivalent d’une carte de crédit grignotée chaque semaine ! Entre 10 et 100 particules de microplastiques tombent dans notre assiette à tous les repas, et nous en buvons une dizaine dans une bouteille d’eau en plastique, mais aussi dans notre viande, dans le lait, dans le poisson, dans les moules : nous absorbons ainsi jusqu’à 1500 particules de microplastiques par kilogramme de produit de la mer, soit l’équivalent de 2 bouchons de bouteille…

Nombre de micro-particules de plastique ingérées dans un litre d’eau en bouteille selon leur provenance (source © Appenzeller/Hecher/Sack / Wikimedia commons)

Et cela, parce que tous ces micro-fragments sont issus de l’altération des plastiques que nous utilisons ou que nous n’utilisons qu’à peine : les emballages, les verres, les couverts autrefois si répandus, les pneus des voitures qui s’usent sur la route, le linge synthétique (2000 microplastiques sont relarguées à chaque lessive). Tous ses micro-déchets de plastiques sont disséminés dans notre environnement. On les retrouve dans les boues de nos stations d’épuration qu’on utilise en épandage sur les cultures, mais aussi dans les cours d’eau et ils finissent dans la mer…

Quantité de plastique épandue dans les champs chaque année dans différents pays européens (source © Atlas du plastique 2020 Nizetto / Heinrich Böll Stiftung)

Il y aurait 25 000 milliards de ces particules, soit entre 82 000 et 578 000 tonnes, dans l’océan… Et la Méditerranée est la mer la plus polluée au monde… Et dans ce schéma, la France est le plus grand pollueur sur le pourtour méditerranéen !!!

Depuis les années 70, on se doute que les plastiques ont un impact. Mais, c’est une science récente, les chercheurs n’ont pas encore prouvé l’impact direct sur l’homme. Par contre, l’impact environnemental est avéré. Indestructibles durant plusieurs dizaines voire centaines d’années, les microplastiques voyagent sur des milliers de kilomètres et servent de radeaux à de nombreuses espèces unicellulaire (bactérie et virus…) qui en profitent pour parcourir l’océan. Cela risque de déséquilibrer les écosystèmes et la biodiversité en participant à l’arrivée d’espèces invasives et de nouvelles pathologies, notamment chez les animaux tels que les oiseaux marins : un déséquilibre de la flore intestinale a déjà été observée pour certains oiseaux marins, par exemple.

Les oiseaux de mer, premières victimes des accumulations de plastique dans les océans (photo ©  Istock / Novethic)

Ces microplastiques tendent aussi à s’opposer à la pompe biologique si efficace pour absorber le carbone de l’air, au risque d’accentuer le changement climatique. Dans l’atmosphère, certaines de ces particules reflètent la lumière, mais d’autres l’absorbent, comme le noir de carbone et pourraient accentuer les effets du changement climatique. Elles pourraient aussi interagir avec les nuages et contribuer au changement climatique selon des mécanismes encore mal connus.

En laboratoire, les chercheurs ont mis en évidence que cette pollution entraîne une diminution de la fécondité des oursins et des bivalves, ainsi qu’un ralentissement du développement des larves des animaux marins, augmente les maladies auto-immunes, etc. Ils ont montré que cela entraîne le blanchiment du corail et la mortalité du zooplancton ou de juvéniles de poisson. La transposition à l’homme n’est pas immédiate, mais il est permis de s’interroger…

On estime en effet qu’un adulte absorberait entre 39 000 et 59 000 micro-particules de plastique par an et qu’un bébé en ingérerait jusqu’à 1 million par an, résultat de sa manie de tout mettre à la bouche, tétine comme jouet en plastique, et il respirerait environ la même quantité. Une part est rejetée mais le reste circule dans notre organisme : nous en trouvons dans le lait maternel, le placenta, le cerveau …

Ingestion de plastique : Alertez les bébés ! (photo © Dimarik / Istock / Pourquoi docteur ?)

Par mesure de précaution, il est donc important d’éviter d’en absorber plus que nécessaire et donc de réduire autant que possible l’utilisation de plastique lorsqu’on peut le remplacer par d’autres matériaux moins nocifs. C’est d’ailleurs un des arguments qui a guidé le choix de la Commission européenne qui a décidé d’interdire dans 5 ans les terrains de sport sur pelouse synthétique. Un message que la commune de Carnoux pourrait peut-être entendre, elle qui s’apprête à arracher le gazon naturel de son stade de foot pour le remplacer par des fibres en plastique dont les micro-débris finiront fatalement dans les poumons de nos jeunes sportifs et dans l’estomac des poissons de nos calanques…

C. Chevalier

A quand une sécurité sociale de l’alimentation ?

15 août 2023

L’agriculture française est en crise. Les agriculteurs, qui représentaient les deux tiers de la population active lors de la Révolution française, n’en constituaient plus qu’un peu plus de 40 % au début du XXe siècle et ce taux ne cesse de décroître : tombé à 15 % environ en 1968, il est de l’ordre de 7 % au début des années 1980 et désormais inférieur à 2 % : moins de 400 000 personnes en France sont désormais exploitants agricoles et ce chiffre devrait encore diminuer de 10 % dans les 10 ans à venir.

Exploitation maraîchère bio du Pas de Calais (photo © Sandrine Mulas / Terre de Liens / Le Figaro)

La France reste un gros pays exportateur de produits agricoles, principalement pour les vins et les spiritueux, mais aussi pour les pommes de terre, les eaux minérales en bouteilles et les céréales. Mais ses importations de produits agricoles n’arrêtent pas d’augmenter, ayant plus que doublé au cours des 20 dernières années : la France importe désormais massivement non seulement le soja brésilien, mais aussi les tomates, les fraises, les bananes, les olives, le café, le cacao ou les fruits de mer, et de plus en plus des produits transformés comme le beurre, les pâtisseries, la bière, le fromage, ou la volaille, autant de produits qui pourraient être davantage produits sur le sol français moyennant un mode d’organisation différent de notre système agricole. La France importe désormais en masse son alimentation d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie, autant de pays européens où les conditions de production devraient pourtant être proches des nôtres !

Augmentation des importations de volaille en France : elles représentent désormais près de la moitié de la consommation intérieure !  (source © Plein Champ)

Parallèlement à cette crise de l’agriculture française, dominée par le productivisme et le triomphe de l’agrobusiness, qui ne répond plus aux besoins, tout en détruisant irrémédiablement la biodiversité, les sols et nos ressources en eau, à coup d’engrais chimiques et de pesticides, se pose chaque jour davantage le défi de permettre à chacun de se nourrir correctement. En France aujourd’hui, 8,5 millions d’adultes soufrent d’obésité du fait de la malbouffe, et plus de 5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire.

Distribution d’aide alimentaire par les Restos du Cœur à Marseille en mars 2021 (photo © Nicolas Turcat / AFP / Reporterre)

Depuis le lancement des Restos du Cœur dans les années 1980, le montant de l’aide alimentaire en France n’a cessé d’augmenter et atteint désormais 1,5 milliard d’euros par an (en comptant la valorisation du travail des bénévoles associatifs qui en assurent la distribution). Une part importante de ce coût est en réalité apporté sous forme de défiscalisation des entreprises de la grande distribution pour leur permettre d’écouler ainsi à bon compte leur stock d’invendus et de produits proches de la péremption. Si bien que ce système profite en réalité surtout à l’industrie agro-alimentaire et à la grande distribution en lui servant de variable d’ajustement pour gérer sa surproduction.

C’est ce double constat de dysfonctionnement de notre système agricole et de nos politiques publiques d’aide alimentaire qui a conduit en 2017 un groupe d’étudiants d’Ingénieurs sans frontières, réunis dans le cercle de réflexion AgriSTA (Agriculture et souveraineté alimentaire), à élaborer la notion de sécurité sociale alimentaire (SSA) au point de lancer en 2019 un Collectif national en se regroupant avec une dizaine de partenaires associatif dont la Confédération paysanne, le réseau CIVAM pour des campagnes vivantes, l’Atelier paysan, le collectif Les pieds dans le Plat, ou encore l’association VRAC.

Extrait de la bande dessinée élaborée par ISF-Agrista et illustrée par Claire Robert, publiée en 2021 (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le confinement lié à la pandémie de Covid19, à partir de mars 2020, a mis en lumière le besoin criant d’aide alimentaire pour de nombreuses catégories de travailleurs précaires et d’étudiants privés de cantine, tandis que s’aggravait la crise du monde paysan. Face à ce constat, l’idée est de reconnecter les politiques agricoles et d’aide alimentaire en instaurant un système démocratique et participatif basé, non pas sur la croyance aveugle dans les vertus du marché libre et non faussé, mais sur des valeurs proches de celles qui ont conduit après-guerre le Conseil national de la résistance à instaurer la Sécurité sociale, toujours en œuvre malgré les attaques incessantes du libéralisme débridé.

L’objectif est de favoriser l’accès à tous à une alimentation saine et de qualité, produite par des paysans dans le respect de l’environnement, un peu à la manière des AMAP ou autres dispositifs de circuits courts, mais à grande échelle sans aucune exclusion. Ce principe d’universalité reposerait donc sur la base d’une cotisation obligatoire et se traduirait par une sorte de carte Vitale bis permettant d’allouer à chacun une allocation alimentaire d’un montant identique, utilisable uniquement pour acheter les produits conventionnés issus de l’agriculture équitable française.

Une nouvelle carte Vitale qui porterait bien son nom ? (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le montant reste à fixer, mais on évoque une somme de l’ordre de 150 € par mois, ce qui correspond plus ou moins à la médiane des dépenses alimentaires par personne (hors boisson et produits extérieurs), sachant que cette somme est plutôt de l’ordre de 100 € pour les ménages pauvres. Le coût global d’une mesure aussi ambitieuse atteint près de 130 milliards par an, financé par un système de cotisations qui reste à imaginer, l’idée étant d’instaurer des caisses locales au fonctionnement démocratique pour récolter les cotisations et choisir les produits et exploitations conventionnées.

D’autres alternatives sont aussi envisageables, comme celle proposée en 2022 par le collectif Hémisphère gauche qui consiste à distribuer des chèques services aux ménages les plus modestes pour acheter des produits issus de l’agroécologie. Moyennant une aide de 100 € par mois pour les 10 % les plus nécessiteux, de 60 € pour les 10 % suivants et de 50 € pour la tranche suivante de 10 %, le coût se réduit à 7,5 milliards par an. Une somme qui peut être entièrement couverte par l’instauration d’une taxe de 1,5 % sur le chiffre d’affaires de la grande distribution, une taxe additionnelle sur les ventes d’alcool et la suppression partielle de la niche fiscale sur la restauration.

Distribution des Paniers marseillais, ici en 2019 (photo © Marion Esnault / Reporterre)

Les idées ne manquent donc pas pour tenter de remettre sur les rails de la raison notre agriculture en pleine dérive tout en améliorant les conditions d’alimentation de la population française mise à mal par des décennies de malbouffe et de triomphe d’une industrie agro-alimentaire dépourvue d’éthique. Une vingtaine d’expérimentations locales de cette démarche de sécurité sociale de l’alimentation ont déjà vu le jour, dont le Marché du lavoir, à Dieulefit dans la Drôme, ou encore les Paniers marseillais, un regroupement local d’AMAP qui distribue depuis mai 2021 des paniers solidaires à 3 € dans certains quartiers nord de Marseille, grâce à des subventions de collectivités publiques : des pistes qui méritent d’être creusées pour un projet qui ne manque pas d’ambition…

L. V.

Carnoux : une pelouse synthétique bientôt interdite ?

14 juillet 2023

Pour la commune de Carnoux-en-Provence, ce sera l’investissement majeur de l’année 2023 : le stade de football Marcel Cerdan, dans laquelle la commune a déjà injecté des millions depuis des années, va utiliser l’essentiel de son budget d’investissement annuel avec près de 1,3 millions d’euros programmé pour remplacer les ampoules et le grillage mais surtout pour arracher toute la pelouse et la remplacer par du gazon synthétique en plastique. Car notre maire en est convaincu : le plastique est l’avenir de l’humanité et un stade qui se respecte doit forcément présenter un revêtement en gazon synthétique qui permet une utilisation plus intensive du terrain, même si le coût de l’opération est colossal, pour une durée de vie qui ne dépasse pas une dizaine d’années.

Le stade Marcel Cardan à Carnoux avec ses deux terrains de jeu (source © Carnoux Football Club / Foot méditerranéen)

Le bilan environnemental d’un tel choix est catastrophique, d’autant que les déchets générés lors du remplacement d’un tel revêtement sont énormes et quasi impossibles à recycler. Cette décision paraît même quelque peu anachronique à l’heure où l’on essaie tant bien que mal de s’extraire de notre dépendance aux hydrocarbures dont l’utilisation à outrance depuis bientôt deux siècles a réussi à modifier de manière irréversible le climat de notre planète. Certes, les volumes d’eau nécessaires à l’arrosage du stade en seront un peu diminués (mais pas supprimés pour autant) et il paraît même, comme cela a été évoqué en séance du conseil municipal, que cela dissuaderait les gens du voyage à venir s’installer sur le stade de Carnoux lors de leur passage annuel, en l’absence d’aire d’accueil, toujours en gestation depuis des décennies faute de la moindre volonté politique de respecter la loi…

Coupe de principe d’un terrain de sport avec sa sous-couche et ses rouleaux de gazon synthétique lestés de sable fin avec un remplissage de granulés en caoutchouc en en liège (source © Realsport)

Mais voilà que la Commission européenne envisage désormais sérieusement d’interdire totalement l’usage du gazon synthétique d’ici quelques années. En 2018 pourtant, l’ANSES (Agence nationale de la sécurité alimentaire, de l’alimentation et du travail), avait estimé que ce type de revêtement synthétique de terrains de sport était surtout dommageable pour l’environnement mais a priori peu dangereux pour la santé humaine, le risque principal étant lié à l’utilisation, pour ce type de terrains, de granulats constitués de pneumatiques usagés broyés, lesquels peuvent relarguer quantité de produits indésirables mal identifiés, tels que métaux lourds, benzène, composés organiques volatiles et autres produits potentiellement cancérigènes.

Remplissage d’un gazon synthétique au moyen de granulés en caoutchouc à base de pneus usagés (photo © kvdkz/ Actu environnement)

Le gazon synthétique lui-même est fabriqué à partir de microfibres à base de polyéthylène et de polyamide, ce dernier polymère étant parfois considéré comme un perturbateur endocrinien. Les dalles de gazon synthétiques sont généralement recouvertes d’un lit de sable fin puis de microgranules de caoutchouc, issues de la récupération et du recyclage des pneus usagés dont on ne sait trop que faire et qui trouvent ici un de leur principal débouché. Ces matériaux s’insinuent entre les fibres et ne sont pas visibles mais ils contribuent fortement au confort et à la souplesse du terrain, tout en limitant son échauffement qui est l’un des gros défauts des gazons synthétiques, pouvant même provoquer des risques de brûlure en plein été.

Le stade n° 4 du complexe sportif Léo Lagrange à Toulon avec son revêtement synthétique à base de noyaux d’olives concassées (source © mes infos)

Pour remplacer les granulés à base de pneus usagés qui servent à lester les dalles de gazon synthétique, des alternatives existent, notamment à base de noyaux d’olive concassés, comme cela a été testé par la ville de La Ciotat qui a inauguré en janvier 2020 le premier terrain de sport réalisé en France par une entreprise d’Ollioules, Méditerranée Environnement, avec cette technique sur le stade Bouissou en remplacement d’un revêtement en stabilisé (simple mélange de terre, de sable et de gravillon tassé). Cette technique qui présente l’avantage de recycler un matériau issu de l’agriculture local (il a fallu 60 tonnes de noyaux d’olives en provenance du Muy pour le stade de La Ciotat !), sans aucun risque pour l’environnement ni la santé humaine, présente un léger surcoût par rapport à une solution classique mais pour une durée de vie plus longue, tout en laissant diffuser un infime parfum d’huile d’olive, très couleur locale.

Remplissage en noyaux d’olives concassés du terrain de sport Léo Lagrange à Toulon (source © Toulon Provence Méditerranée)

Un succès qui a incité la métropole Toulon Provence Méditerranée à lui emboîter le pas en lançant tout récemment la rénovation de deux terrains de sport jusque-là recouverts avec des granulés de pneus. A l’automne 2022, le complexe sportif Léo Lagrange à Toulon a ainsi été refait par la même entreprise qu’à La Ciotat, également à base de noyaux d’olives concassées. Et l’été dernier, le terrain de rugby de la base nature du Vallon du soleil à La Crau, a quant à lui été refait avec du liège qui permet d’utiliser des fibres plus longues (de 60 mm). Plus coûteuse et davantage soumise à l’érosion en cas de fortes pluies, cette solution technique présente néanmoins de multiples avantages, ce matériau s’avérant très résistant à l’usure, ne se compactant pas au fil du temps et ne générant pas de poussière.

Pour autant, on se rend compte désormais que les impacts environnementaux et probablement sanitaires de ce type de gazon à base de microplastiques sont nettement plus importants que ce l’on imaginait. Le sol situé sous un gazon synthétique devient très rapidement totalement stérile, les micro-organismes et les vers de terre étant dans l’incapacité d’y subsister. La surface recouverte est totalement hostile à toute vie, les oiseaux en particulier ne pouvant plus y trouver la moindre subsistance. Un terrain de sport enherbé constitue de fait un puits de carbone, un espace de biodiversité et un îlot de fraicheur en période de canicule alors que le même espace recouvert d’un gazon en plastique devient une zone stérile, hostile à toute vie et qui en réfléchissant les rayons solaires accentue encore le réchauffement climatique.

Un dessin signé Vrob (source © Vrob / blog Médiapart)

Mais on constate désormais que de surcroît les innombrables microfibres en polymère qui constituent l’essentiel des gazons synthétiques se désagrègent rapidement et se dispersent dans l’environnement sous forme de microparticules non dégradables qui sont emportées par l’eau et le vent et qui finissent généralement dans la mer. La France à elle-seule déverserait ainsi dans la mer Méditerranée pas moins de 11 000 tonnes de pastique chaque année ! Une partie de ces minuscules fragments de plastique est ingéré par les poissons et se retrouvent donc dans notre chaîne alimentaire, en sus des fragments que nous ingérons directement chaque fois que le mistral souffle…

Pour ces différentes raisons, de nombreuses villes comme Boston ont d’ores et déjà décidé d’interdire le gazon synthétique sur leur territoire. En 2021, le Sénat s’était également prononcé à l’unanimité en faveur d’une interdiction totale à compter de 2026 de tout nouveau terrain synthétique, estimant que le plastique est devenu le fléau des temps modernes à éradiquer en priorité. Cette date de 2026 risque fort d’être de toute façon la limite que retiendra la Commission européenne pour interdire tout nouveau revêtement en gazon synthétique et il serait vraiment regrettable que notre commune de Carnoux n’anticipe pas cette échéance et s’obstine à vouloir implanter une pelouse en plastique sur son stade de foot pour le seul plaisir de quelques acharnés qui veulent pouvoir taper dans leur ballon quelques heures de plus par semaine : l’avenir de notre planète mérite peut-être ce petit sacrifice…

L. V.

Il y a le ciel, le soleil et, à défaut de la mer, la piscine et le chlore…

18 Mai 2023

Il fait beau. On débâche, on nettoie le bassin, le filtre et on stérilise l’eau. En France, 3 millions de piscines privées et plus de 4000 publiques.

Les joies de la piscine en famille (photo © CPC)

Le chlore, excellent biocide, anti-algues, désinfectant est le plus utilisé. Facile à produire, peu onéreux, il est utilisé depuis plus d’un siècle pour stériliser l’eau du robinet d’abord, puis celle des piscines privées ou publiques. Par ailleurs, les bienfaits de la natation sont évidents sur le plan cardio-vasculaire, respiratoire et ostéo-musculaire. Tous les âges sont concernés, du nourrisson à l’enfant d’âge scolaire, sportifs et adultes. Mais les avantages doivent être regardés avec attention car le chlore peut avoir des effets délétères sur la santé.

Les produits les plus couramment utilisés pour l’entretien des piscines sont les agents de chloration qui libèrent du « chlore » lorsqu’ils sont dissous dans l’eau. Il existe plus de 600 produits issus de la chloration. Pour le chlore, plusieurs formes sont commercialisées :

– acide trichloroisocyanurique, dichloroisocyanurate de sodium sous forme de galets ou de granulés,
– hypochlorite de calcium sous forme de galets,
– hypochlorite de sodium (eau de javel) sous forme liquide.

Les bienfaits d’une eau, pas trop chlorée… (source © CNRS / PRC)

Effets du chlore sur l’organisme à forte concentration dans l’eau :

Il réagit sur les muqueuses (irritations oculaires, respiratoires et cutanées). Il réagit aussi avec les matières organiques apportées par les nageurs (urine, salive, sueur, mais aussi crème solaire, déodorant …) qui entraînent la libération de sous-produits de la chloration. Par exemple, l’irritation oculaire est essentiellement causée par les trichloramines (gaz insoluble et très volatil, immédiatement libéré dans l’air, conférant aux piscines intérieures leur odeur si caractéristique). L’eau de piscine constitue un cocktail d’innombrables produits toxiques. 

Attention aux réactions aux dérivés chlorés… (photo © evgeniyasheydt – 123RF / Le Journal des Femmes)

Les nageurs sont exposés aux produits de chloration essentiellement par inhalation, respirations buccales et nasales, par ingestion sensible notamment pour les jeunes enfants et en particulier les bébés nageurs et par absorption cutanée. Leur peau peut présenter une sécheresse, des démangeaisons et des rougeurs (érythèmes), ainsi qu’une allergie de contact (urticaire) et un risque accru d’eczéma. Parmi les effets chroniques, il existe de nombreuses affections allergiques : asthme, rhume des foins et rhinite allergique, le tout favorisé par des antécédents familiaux. Il existe aussi des infections respiratoires (bronchiolite, infections récurrentes…)

Attention aux effets du chlore sur les jeunes enfants (source © Bio à la une)

Comme le note le CNRS dans une récente étude, pour maintenir un bon équilibre sanitaire, il existe dans le commerce, outre les produits chlorés, toute une variété de produits chimiques désinfectants et assainissants à base de brome, de sel, de bicarbonate ou d’oxygène actif. Il est conseillé de manipuler ces produits avec prudence car ils sont souvent incompatibles entre eux, c’est-à-dire qu’ils peuvent conduire à des réactions dangereuses.

Ces agents de chloration « organiques » et « inorganiques » ont des propriétés chimiques similaires et pourtant ils doivent être maintenus éloignés les uns des autres. Leur mise en contact, en présence d’humidité, peut être à l’origine d’accidents domestiques tels qu’incendie ou explosion. Il est donc important d’informer les utilisateurs des propriétés physico-chimiques de ces agents pour une meilleure sécurité lors de leur manipulation et de leur stockage.

Traitement de piscine : à manier avec modération… (source © Aquapolis)

Ainsi, le CNRS formule-t-il des consignes de prévention à mettre en œuvre avec ces produits :

– préparer les solutions en versant les produits dans une grande quantité d’eau, idéalement directement dans l’eau de la piscine,

– ne jamais prélever directement dans le flacon ni y replacer ce qui est en excès pour éviter les contaminations. Il faut utiliser une tasse à mesure propre, en métal ou en plastique pour chaque produit chimique à prélever,

– ne jamais réutiliser les flacons vides, il est préférable de les rincer puis de les déposer dans les déchetteries,

– limiter les quantités stockées et le temps de stockage pour éviter une humidification lente des produits.

Précautions d’emploi : les conseils de l’ANSES

Les produits chimiques utilisés pour la désinfection des eaux de piscine sont des produits qui possèdent une réactivité chimique qu’il faut connaître et ne pas négliger car elle peut être source d’incidents voire d’accidents. Avant toute manipulation de produit, il est important de lire les étiquettes, les documents d’information fournis lors de l’achat du produit ou de demander conseil auprès des fournisseurs. Le local de stockage doit être bien ventilé et protégé de fortes sources de chaleur.

On n’omettra pas aussi de prendre en compte le risque chimique majeur présenté par ces produits générateurs de chlore qui provient de leurs incompatibilités avec un grand nombre de produits chimiques utilisés pour nettoyer, par exemple, les abords de la piscine.

La période du printemps qui est généralement dévolue à la remise en eau des piscines, sera en 2023 une période de traitement des eaux de piscine (pénurie d’eau exige) et donc de sur-chloration. Attention et prudence.

C.B.

Sources scientifiques :

CNRS – équipe Prévention du risque chimique (PRC) : les dangers des produits désinfectants des eaux de piscine

CNRS – PRC : Eaux de piscines privées – produits désinfectants et risque chimique

Médisite : Piscines – 4 dangers méconnus du chlore

ANSES : Désinfectants pour piscines et spas – respecter les précautions d’emploi

Autres sources :

Le Monde : Comment traiter sa piscine sans produits chimiques ?

SAMSE : Quelle désinfection choisir pour sa piscine ?

Icair : un nouvel indice de suivi de la pollution

6 mars 2023

Mesurer la pollution de l’air ambiant en région PACA et mettre cette information à disposition d’un large public, telle est la mission que s’est fixée AtmoSud, une structure associative agrée par le ministère de la transition écologique. Regroupant dans sa gouvernance à la fois des collectivités territoriales, des services de l’État et des représentants des industriels mais aussi des associations de protection de l’environnement et des consommateurs, elle est considérée comme un outil de mesure aussi objectif que possible de la pollution atmosphérique à laquelle nous sommes exposés quotidiennement.

Comme tous les membres de la fédération AtmoFrance, elle a pour fonction principale de gérer, sur son territoire, en l’occurrence toute la région PACA, un observatoire de référence permettant de mesurer, analyser et diffuser des données quotidiennes sur la qualité de l’air. Son champ d’action est donc relativement large puisqu’il englobe aussi bien les polluants atmosphériques que les émissions de gaz à effets de serre mais aussi les nuisances (sonores notamment, mais aussi olfactives), les résidus de pesticides ou encore les pollens.

Station de mesure d’AtmoSud pour le suivi de la qualité de l’air (source © AtmoSud)

Regroupant une soixantaine d’agents, AtmoSud a été créé en 2012 par fusion des associations préexistantes AIRFOBEP (fondée en 1972 pour surveiller la qualité de l’air dans l’ouest des Bouches-du-Rhône, surtout autour de l’étang de Berre) et AtmoPACA créée plus tardivement, en 2006, pour couvrir le reste de la région.

Depuis 1996, la législation française impose la publication d’un indice Atmo disponible dans chaque commune et qui représente une moyenne quotidienne d’exposition à la pollution atmosphérique dominante, le plus souvent le taux d’ozone. Mais la réalité est nécessairement plus complexe car cette pollution atmosphérique, liée pour l’essentiel à la circulation automobile, varie d’heure en heure, si bien que les moyennes journalières n’ont pas beaucoup de sens.

Les gaz d’échappement des véhicules, source principale de pollution de l’air en ville (photo © Shutterstock / Kit embrayage)

Elle est par ailleurs la résultante de nombreux facteurs, le niveau d’ozone n’étant que l’un d’entre eux, même s’il est souvent prédominant en site urbain. On sait en effet que les particules fines (surtout inférieures à 2,5 µm) en suspension dans l’air sont aussi particulièrement nocives, de même que les composés organiques volatiles (issus des gaz d’échappement et de l’utilisation de solvants), le dioxyde d’azote (qui résulte surtout de la circulation automobile), le dioxyde de soufre (provenant principalement des systèmes de combustion et chauffage, de même que le monoxyde de carbone) ou encore les métaux lourds (issus de l’activité industrielle et de la combustion).

Il était donc grand temps d’affiner un peu ce suivi de la pollution atmosphérique et c’est ce que vient de faire AtmoSud en rendant public un nouvel indice présenté le 1er mars 2023 dans les locaux de l’observatoire régional. Dénommé Icair, cet indice permet de visualiser heure par heure 4 paramètres principaux qui donnent une bonne idée de la pollution atmosphérique mesurée mais aussi prévisionnelles pour les heures à venir. Ces 4 composantes ainsi détaillées sont l’ozone, l’oxyde d’azote et 2 classes de particules fines (inférieures à 10 µm et à 2,5 µm).

Carte de la qualité de l’air en région PACA le 2 mars 2023 à 20h et zoom sur le secteur de Carnoux (source © AtmoSud)

Le site grand public d’AtmoSud permet donc désormais de suivre en temps réel la pollution de l’air ambiant sur l’ensemble de notre région avec une résolution très précise, selon une maille formée de carrés de 25 m de côté. Bien entendu, cette représentation cartographique repose principalement sur une modélisation car les données de base sont recueillies dans un réseau qui ne comporte au total que 60 stations de mesure réparties sur toute la région PACA. Ainsi, les 2 stations les plus proches de Carnoux se situent respectivement à La Penne-sur-Huveaune (près de la gare SNCF) et à Aubagne (au niveau du cimetière des Passons).

Le mail dans la traversée de Carnoux-en-Provence (source © Google Maps)

Malgré la circulation automobile particulièrement intense qui traverse notre commune, évaluée à près de 20 000 véhicules par jour sur le mail, la ville de Carnoux ne dispose donc d’aucune station de mesure de la qualité de l’air que respirent les habitants dont les fenêtres donnent pourtant directement sur cet axe routier très chargé aux heures de pointe. C’est donc par simple modélisation qu’est évaluée la charge en particules fines et en dioxyde d’azote qui atteint à certains moments des pics inquiétants le long de cet axe de circulation.

Indices mesurés et prévisions pour Carnoux le 3 mars 2023 et variations horaires de l’indice global Icair (source © AtmoSud)

Les taux de pollution varient en effet fortement dans la journée, en fonction du trafic routier mais aussi des conditions météorologiques. Il vaut donc mieux connaître ces fluctuations pour éviter de se promener le long du mail aux pires heures de la journée, le soir notamment, lorsque les taux de pollution sont au maximum.

Encore faudrait-il pour cela disposer de mesures locales plus fines de la pollution en installant un capteur à Carnoux même, afin de mieux informer la population qui y est exposée, d’autant que les norias de camions supplémentaires qui s’annoncent du fait du projet de remblaiement de la carrière Borie vont encore aggraver la situation pour les 3 ans à venir ! Un système d’affichage en temps réel alimenté par les données issues de ces capteurs constituerait un bon outil d’information, ce qui ne paraît pas très difficile à mettre en place en utilisant le panneau lumineux déjà existant.

Il ne manque finalement qu’un minimum de volonté politique car ce n’est évidemment pas un problème financier, des micro-capteurs étant désormais disponibles sur le marché pour quelques centaines d’euros seulement et une station de mesure complète coûte de l’ordre de 15 000 €, c’est-à-dire grosso modo ce que dépense chaque année notre commune pour la maintenance de ses 37 caméras de vidéosurveillance : la santé de nos concitoyens ne mériterait-elle pas un petit effort ?

L. V.

Les PFAS, ces « polluants éternels » omniprésents…

26 février 2023

Le génie inventif de l’homme est sans limite ! Il a même mis au point des « polluants éternels », très largement utilisés dans l’industrie et dont on comprend aujourd’hui qu’ils sont quasiment omniprésents comme le révèle Le Monde qui vient de diffuser, le 23 février 2023, sa « carte de la pollution éternelle » établie dans le cadre d’un vaste partenariat avec 16 autres grands médias européens et l’aide de scientifiques spécialistes du sujet.

Carte des sites européens de contamination détectée ou potentielle aux PFAS (source © Le Monde)

Cette carte montre la localisation de plus de 17 000 sites où la présence de ces composés chimiques ultra toxiques, constitués de substances per- et polyfluoroalkylées, PFAS de leur petit nom, a été enregistrée à des taux très supérieurs aux normes admissibles, ainsi que la vingtaine de sites industriels produisant ces substances et plus de 20 000 endroits potentiellement pollués du fait de leur activité industrielle en lien avec l’utilisation de ces composés chimiques : pas très rassurant…

On estime qu’il existe plus de 4700 composés chimiques différents se rapportant à cette famille des PFAS. Tous ont en commun de ne pas exister à l’état naturel mais d’être le résultat exclusif du génie chimique créatif humain, qui, comme chacun le sait, est sans limite. Leur invention date des années 1940, lorsqu’a été synthétisée pour la première fois la molécule d’acide perfluorooctanoïque (PFOA en anglais), dans le cadre du projet militaire Manhattan qui a conduit à la fabrication de la bombe atomique.

La poêle Téfal, à base de teflon et d’aluminium, inventée en 1951 par Marc Grégoire et commercialisée à partir de 1956 (source © Téfal / Deco)

Ce produit miracle, caractérisé par une liaison carbone-fluor extrêmement stable, présente de fait de multiples propriétés très recherchées puisqu’il résiste à tous les liquides, y compris l’huile et les graisses et est particulièrement résistant à la chaleur. Pendant la seconde guerre mondiale, les Américains l’ont donc utilisé pour étanchéifier leurs chars d’assaut et, en 1949, DuPont de Nemours a introduit ce composé chimique dans ses chaînes de fabrication industrielles de poêles à frire miraculeuses vendues sous le nom de Téflon. Ce sont d’ailleurs les multiples contaminations des populations vivant à proximité des sites de production de DuPont, à Dordrecht aux Pays-Bas et à Parkesburg, en Virginie, qui ont contribué à mieux connaître les effets sanitaires de ces molécules.

Usine DuPont, désormais Chemours, à Dordrecht (source © Trouw)

Il faut dire que depuis, les PFAS ont connu un succès fou. On les retrouve désormais un peu partout, non seulement dans les ustensiles de cuisine antiadhésifs, mais dans de nombreux emballages alimentaires, dans certains vêtements textiles imperméables, dans les moquettes résistant aux tâches, dans les peintures anti-corrosives, dans les revêtements de fils électriques, comme matériau permettant de réduire l’usure mécanique ou encore dans la composition des mousses utilisées par les pompiers pour combattre les feux de liquides inflammables dangereux.

De qui expliquer pourquoi on retrouve désormais des résidus de ces composés chimiques ultrastables et quasi indestructibles dans les sols et l’eau, un peu partout et pour des millénaires. On mesure ainsi des concentrations importantes de ces PFAS dans plusieurs cours d’eau du secteur, dans le ruisseau des Aygalades comme dans l’Huveaune ou l’Arc, mais aussi dans l’étang de Berre du fait des exercices répétés des services d’incendie sur les pistes de l’aéroport de Marignane.

Exercice d’extinction de feu à Marignane par les pompiers, à l’aide d’une mousse enrichie en PFAS (photo © Christian Valverde / BMPM / Pompiers sans frontières)

Le hic, c’est que ces composés chimiques indestructibles pénètrent facilement dans le corps des organismes vivant, si bien qu’on le retrouve aisément dans le sang humain un peu partout dans le monde. Et cette présence n’est malheureusement pas anodine car de nombreuses études ont permis de mettre en évidence les impacts sanitaires non négligeables de ces substances qui provoquent, entre autres, une augmentation du taux de cholestérol, une modification des enzymes du foie et du système thyroïdien, des risques d’hypertension artérielle, une réduction de la réponse aux vaccinations et des risques accrus de cancer du rein et des testicules notamment…

Le risque a d’ailleurs été jugé tel que l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) a drastiquement réduit en septembre 2020 la dose maximale admissible de PFAS de 270 à 0,63 ng/kg de masse corporelle, ce qui en dit long sur la dangerosité estimée de cette famille de produits chimiques. Le PFOA est lui-même désormais interdit depuis juillet 2020. En parallèle, la Directive européenne adoptée le 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine impose désormais que les PFAS soient systématiquement recherchés et que la somme de leurs différents composés ne dépasse pas 500 ng/l.

Affiche du film Dark waters sorti en 2020 en France, avec Mark Ruffalo dans le rôle de l’avocat de Cincinnati qui enquête sur une pollution massive aux PFAS (source © Réseau environnement)

Il faut dire que plusieurs alertes sanitaires sérieuses ont attiré l’attention sur l’impact sanitaire et environnemental désastreux de ces produits. Le film américain Dark waters, sorti en 2019, relate des faits réels qui se sont produits en 1999 sur à Parkersburg où le bétail a été décimé et au moins 70 000 personnes contaminées par la présence massive de PFOA dans la nappe du fait de l’activité industrielle d’un site de production de DuPont qui avait stocké 7100 tonnes de PFOA dans le centre d’enfouissement de Dry Run.

Action de Greenpeace devant l’usine Mitanie en Vénétie en octobre 2018 (photo © L. Moscia / Greenpeace / Libération)

En Vénétie italienne, ce sont pas moins de 350 000 personnes qui ont été plus ou moins intoxiquées par une pollution massive et durable de la nappe phréatique au PFOA entre Vérone, Vicence et Padoue, du fait de l’activité industrielle de l’usine chimique Miteni, implantée à Tressino dans les années 1960 jusqu’à sa faillite en novembre 2018 et qui rejetait allégrement des quantités colossales de PFAS dans la petite rivière voisine.

En février 2021, le chantier de construction d’un tunnel sous la zone estuarienne de Middle Harbour à Sydney en Australie, a dû être interrompu pendant plus d’un an, suite à la découverte d’une pollution massive aux PFAS et aux métaux lourds des sédiments, créant des risques excessifs de contamination du chantier en cas d’infiltrations d’eau. On n’a pas fini d’entendre parler des PFAS…

L. V.

Carrière Borie : une noria de camions à Carnoux

12 février 2023

Quand on arrive à Carnoux par l’autoroute A50 en direction de la Ciotat, on ne peut pas la rater ! La colline autrefois verdoyante qui surplombe l’autoroute côté Est, juste au-dessus de l’ancienne route qui reliait autrefois Cassis à Aubagne en longeant le petit ruisseau du Merlançon, est désormais totalement éventrée par une immense carrière à ciel ouvert, la seule encore en activité sur le territoire d’Aubagne.

La carrière exploitée par la société Carrières et bétons Bronzo-Perasso sur le site du vallon de l’Escargot, à Aubagne (source © Justacote)

Désormais exploitée par la société Carrières et bétons Bronzo-Perasso, cette carrière dit « du vallon de l’Escargot », qui s’étend sur pas moins de 150 ha, appartient à la famille Bronzo qui l’exploite depuis 2009 et détient une autorisation d’exploiter régulièrement renouvelée. Cette autorisation porte sur une quantité de 1,6 million de tonnes de calcaire par an, ce qui est colossal puisque la production annuelle totale de granulats calcaires de tout le département des Bouches-du-Rhône s’élevait en 2016 à 8,9 millions de tonnes seulement et à 20 millions de tonnes environ pour toute la région PACA, tout juste de quoi couvrir les besoins locaux du BTP dans le cadre d’un marché très tendu.

Rares sont en effet les localités qui acceptent l’ouverture d’une carrière de ce type à proximité, alors même que les besoins en matériaux de construction ne diminuent pas. Force est de reconnaître que les tirs d’explosifs qui ponctuent chaque semaine l’exploitation de la carrière Bronzo à proximité immédiate du quartier des Barles, à l’entrée de Carnoux, ne sont pas de nature à rassurer quant à l’impact environnemental d’une telle exploitation. Pas plus d’ailleurs que les envols de poussières qui suivent les énormes camions qui déboulent régulièrement de la carrière, chargés à ras bord de granulats concassés, et qui s’engagent à une vitesse folle sur la route départementale en contrebas, au mépris total de la circulation locale.

Une centrale à béton fonctionne sur le site et une centrale à enrobés bitumineux à chaud y avait même été implantée en 2015 par la société Colas (groupe auquel est rattaché Perasso) pour alimenter notamment le chantier de la L2. De quoi créer de multiples nuisances pour le voisinage, sans compter l’aspect esthétique puisque la colline boisée est en train d’être grignotée à grande vitesse par l’exploitation, se transformant en un paysage purement minéral constitué de fronts de taille verticaux en gradins.

Installations de tri et recyclage sur le site de Bronzo Perasso à l’Escargot (source © Bronzo / Google maps)

C’est justement pour pallier ces nuisances environnementales liées à l’exploitation des carrières que les entreprises du BTP cherchent au maximum à valoriser les déchets issus des chantiers de démolition. Après concassage et tri, on peut en effet en recycler une partie sous forme de granulats directement utilisables pour refaire du béton, tandis que le reste et notamment les fractions les plus fines, dépourvues en principe d’éléments putrescibles ou polluants, est considéré comme déchet inerte pouvant servir au remblaiement des anciennes carrières. Ces dernières sont en effet désormais tenues de provisionner des fonds pour assurer leur comblement et leur renaturation en fin d’exploitation.

La carrière Bronzo de l’Escargot a justement installé depuis 2015 une telle plateforme de récupération et recyclage des déchets du BTP, issus de chantiers de terrassement ou de démolition, ce qui permet aux entreprises les plus vertueuses de ne pas se contenter de benner ces déchets dans des lieux un peu reculés le long des routes, ni vu ni connu, voire en pleine nature, comme on le constate encore trop fréquemment. Mais il est prévu de poursuivre l’exploitation de la carrière de l’Escargot pendant encore 2 ou 3 ans et Bronzo considère que l’utilisation de ces déchets inertes, issus de cette activité de recyclage, ne pourra pas se faire sur ce site avant l’arrêt complet de l’exploitation.

Vue aérienne de l’ancienne carrière Borie à Aubagne (source © géoportail)

En attendant, il faut bien s’en débarrasser et Bronzo a eu l’idée pour cela d’utiliser la carrière Borie, une ancienne exploitation de calcaire à ciel ouvert située sur La Pérussonne, à Aubagne, à l’abandon depuis 1965. Depuis cette date, le site, désormais propriété de la commune d’Aubagne, a été laissé en friche, avec ses fronts de taille en l’état, qui s’éboulent peu à peu. La zone est ouverte au public et sert de lieu de promenade aux habitats du quartier.

L’ancienne carrière Borie à la Pérussonne, sur Aubagne (photo © François Rasteau / La Provence)

Une convention a donc été négociée entre la commune et le carrier qui souhaite y entreposer 225 000 m3 de déchets inertes moyennant le versement à la Ville d’une redevance de 180 000 €. Une bonne opération pour la société Bronzo qui se débarrasse ainsi à bon compte de ces matériaux dont elle ne sait que faire, tout en permettant à la commune d’argumenter que cela permettra de combler cette ancienne carrière devenue dangereuse avec ses front de taille instables et non sécurisés dans une zone pavillonnaire très fréquentée.

L’intérêt du site est bien entendu sa proximité avec la plateforme de tri, ce qui permet de minimiser les transports par camion, mais pour autant, le bilan environnemental de l’opération est loin d’être neutre ! Ce sont en effet 29 camions par jour en moyenne, soit près de 1000 par mois (sauf pendant les mois d’été, en pleine période touristique) qui relieront le vallon de l’Escargot à l’ancienne carrière Borie. Et comme ils ne pourront pas traverser les zones pavillonnaires de la Pérussonne aux voiries étroites et inadaptées à un tel trafic, Bronzo propose de faire transiter cette noria de gros camions par la commune de Carnoux-en-Provence !

Visite de l’ancienne carrière Borie le 27 janvier 2023 par la députée européenne Marina Mesure (source © Collectif Carrière Borie / Facebook)

Notre ville va donc prochainement être parcourue quotidiennement par plusieurs dizaines de poids-lourds chargés de déchets inertes qui la traverseront de part en part depuis les Barles jusqu’à l’entrée du camp militaire de Carpiagne où ils bifurqueront pour traverser tout le camp et redescendre ensuite vers Aubagne par l’ancien chemin de Cassis puis une piste DFCI qui devra être élargie au gabarit des camions. Une opération qui va durer pendant 3 ans jusqu’au remblaiement complet du site qui fera ensuite l’objet de travaux d’aménagements paysagers pendant 2 années supplémentaires.

Sauf que les riverains ont vu rouge en prenant connaissance d’un tel projet et que le conseil municipal qui s’est tenu à Aubagne le 15 novembre 2022 et au cours duquel a été délibérée la mise à disposition du site par la commune a tourné à la foire d’empoigne. Les habitants du quartier de la Pérussonne sont vent debout contre un tel projet, estimant que l’ancienne carrière a retrouvé un nouvel équilibre écologique et qu’elle est devenu un lieu de ballade très fréquenté, point de ralliement du GR 2013, qu’elle n’a nul besoin d’un tel projet de comblement et qu’aucune garantie n’est apportée quant au contrôle effectif de la nature des matériaux qui y seront enfouis par Bronzo. C’est en tout cas ce que dénonce avec force le collectif Carrière Borie qui s’est créé dans la foulée et a déjà obtenu 40 000 signatures pour sa pétition en ligne destinée à fédérer les oppositions au projet.

Extrait d’un article de presse publié par La Marseillaise le 15 novembre 2022 (source © Collectif Carrière Borie / Facebook)

Il faut bien reconnaître que le discours des autorités n’est pas très rassurant quant à la nature des matériaux que Bronzo prévoit de déverser sur ce site. Seul un autocontrôle est prévu, à charge exclusive de l’exploitant donc, les inspecteurs des installations classées de la DREAL se contentant de quelques contrôles inopinés épisodiques, sous réserve que leurs effectifs le permettent…

On comprend dans ces conditions les inquiétudes des riverains même si les plus impactés seront en réalité les habitants de Carnoux qui vont voir défiler pendant 3 ans de suite un millier de camions supplémentaires lourdement chargés de déchets qui traverseront à vive allure notre commune de part en part, semant au passage une nuée de poussières et ajoutant encore à la pollution routière liée aux 6 millions de véhicules qui transitent annuellement à travers Carnoux, en faisant un des points noirs de la circulation routière dûment répertoriés dans le département. C’est peut-être enfin le moment d’y implanter, comme cela avait été largement évoqué lors de la dernière campagne municipale mais toujours pas mis en œuvre depuis, des capteurs de suivi de la qualité de l’air pour surveiller ce que cette circulation exceptionnellement intense fait respirer chaque jour aux riverains du Mail…

L. V.

Droit à l’avortement : la menace américaine

8 juillet 2022

Le droit des femmes à l’avortement est un long combat qui s’est toujours heurté au conservatisme et au fondamentalisme religieux, qu’il soit catholique, protestant, orthodoxe, juif ou musulman… Aux États-Unis d’Amérique, pays conservateur par excellence, l’avortement était interdit partout en 1973, jusqu’à la publication de ce fameux arrêt Roe vs Wade, rendu par la Cour suprême, avec l’accord de sept des neuf juges qui la composaient à l’époque.

Un dessin signé de l’Algérien Dilem (source © Cartooning for Peace)

Jane Roe était une jeune Texane de 21 ans qui souhaitait avorter de son troisième enfant après avoir abandonné le précédent et qui avait donc engagé une procédure judiciaire pour cela, l’interruption volontaire de grossesse étant alors totalement illégale et quasi impossible aux USA. Après trois ans de bataille judiciaire acharnée contre l’État du Texas, représenté par l’avocat Henry Wade, la Cour suprême avait donc tranché le 22 janvier 1973, en reconnaissant que le 14e amendement de la Constitution américaine garantissait un droit des femmes à avorter et que les États ne pouvait pas les en priver.

Depuis, la même Cour avait précisé, en 1992, que ce droit était valable tant que le fœtus n’est pas considéré comme « viable », soit jusqu’à 22 à 24 semaines de grossesse. Mais malgré cet arrêt, le droit à l’avortement aux USA reste fragile et soumis à de multiples attaques de la part des lobbies fondamentalistes. Le 1er septembre 2021, le Texas a ainsi adopté une nouvelle loi qui interdit l’IVG quatre semaines après la fécondation, et ceci même en cas d’inceste ou de viol. A ce jour, ce sont pas moins de 31 États sur les 50 que compte les USA qui ont ainsi introduit des propositions de lois restreignant le droit à l’avortement.

Un dessin signé Large (source © Twitter)

Et voila que le 3 mai 2022, une fuite délibérée a révélé que la Cour suprême était en train de concocter une décision remettant en cause ce fameux arrêt de 1973 et laissant chaque État décider de sa position en matière de droit à l’avortement. Une décision qui a finalement été confirmée le 24 juin dernier, votée par cinq des neufs juges, dont le fameux juge Clarence Thomas, 74 ans, nommé à ce poste en 1991 par Georges W. Bush, et qui ne cache pas sa volonté de revoir toutes les jurisprudences un tant soit peu libérales, y compris celles autorisant les rapports entre personnes du même sexe. Son collègue, Samuel Alito, également nommé par Bush, l’a rejoint dans cette décision, de même que les trois juges nommés par Donald Trump, à savoir l’ultra religieuse Amy Coney Barett, le conservateur Neil Gorsuch et le juge Brett Kavanaugh, lui-même accusé d’agression sexuelle. Le président de la Cour suprême, John Roberts, ne les a pas suivis mais avait lui-même approuvé une loi du Mississippi, interdisant l’avortement au-delà de 15 semaines…

Le président des États-Unis, Joe Biden, en visioconférence le 1er juillet 2022 avec des gouverneurs après la décision de la Cour suprême révoquant le droit à l’avortement (photo © Tom Brenner / Reuters / RFI)

Cette offensive conservatrice contre le droit des femmes à disposer de leur corps a bien entendu déclenché de nombreuses protestations indignées. Le président Joe Biden lui-même a dénoncé sans équivoque cette « décision terrible et extrême » qui « chamboulera des vies », tout en reconnaissant son impuissance, dans le rapport de forces actuel, à s’y opposer faute de majorité progressiste suffisante au Sénat et à la Chambre des représentants. Il appelle d’ailleurs ses compatriotes à profiter des élections de mid-term qui se profilent en novembre prochain, pour conforter sa majorité et lui permettre de revenir sur cette décision.

En attendant, trois nouveaux États se sont déjà appuyés sur l’arrêt du 24 juin pour interdire l’avortement et 19 avaient déjà anticipé la décision des juges suprêmes. On estime désormais que plus de la moitié des États, principalement dans le sud et le centre du pays, le plus conservateur, devraient restreindre fortement le droit à l’IVG à très court terme. Pourtant, l’on considère qu’environ 25 % des femmes américaines ont eu recours un jour à l’avortement et que un million d’entre elles en bénéficie chaque année pour différentes raisons, suite à un viol, à une grossesse non désirée ou pour des raisons de pathologie.

Un dessin de Chapatte, publié dans le Canard enchaîné

Il est donc étonnant qu’il puisse ainsi se dégager une telle majorité politique pour imposer à ces femmes des conditions qui vont totalement à l’encontre de leur souhait le plus profond, et ceci pour des raisons purement idéologiques voire strictement religieuses. A l’instar d’autres nations, les États-Unis d’Amérique, malgré leur long attachement à un parcours démocratique, libéral et progressiste, ont bien du mal à lutter contre ces vieux démons du fondamentalisme le plus obtus et le plus rétrograde qui constitue une menace permanente contre les avancées, même les plus intimes, de la société humaine. Et tout laisse à penser que d’autres pays ne sont pas à l’abri d’un tel risque de retour en arrière : «Rien n’est jamais acquis à l’Homme… » rappelait le poète !

L. V.

Gratuité des transports : une avancée sociale et écologique

3 juin 2022

L’association Carrefour Citoyen de Roquefort-la-Bédoule a organisé le 19 mai 2022 au Centre André Malraux une conférence présentée par Maurice Marsaglia, président de l’association Se déplacer en liberté (ASDEL), intervention intitulée « Gratuité des transports : avancée sociale et écologique ? » , suivie d’un échange avec l’assistance.

En Introduction, Maurice Marsiglia précise le contexte : la disparition des Conseils de territoire, entités transitoires maintenues au sein de la Métropole Aix-Marseille-Provence, et notamment celle du conseil de territoire du Pays d’Aubagne et de l’Étoile qui assurait la totalité du financement des transports en commun, pose la question du maintien de leur gratuité dans l’aire locale.

Une réunion publique sur ce sujet est d’ailleurs prévue le 3 juin 2022 salle Reynaud à Roquevaire.

Désormais, le financement des transports en commun sur l’ensemble de son territoire relève de la Métropole. Or cette dernière, par la voix de sa présidente Mme Martine Vassal, s’est positionnée défavorablement sur la gratuité des transports en commun, position partagée par l’opérateur RTM (Régie des Transports Métropolitains).

L’objectif des associations citoyennes locales vise à pérenniser la gratuité et aussi à l’étendre à l’ensemble de la Métropole.

Le conférencier, Maurice Marsaglia, président de l’association Se déplacer en liberté (source © CPC)

Quelques constats chiffrés

Avant 2009, date de l’instauration de la gratuité dans le Pays d’Aubagne et de l’Étoile, les entreprises contribuaient pour le transport à hauteur de 0,6 %. Depuis 2009, la population ayant dépassé le seuil des 100 000 habitants, et en 2014 le tramway ayant été installé, le taux a été augmenté pour atteindre 1,6 %. Les entreprises adhèrent d’autant plus qu’elles sont tenues de rembourser 50 % des frais des déplacements de leurs employés en transports en commun.

Rappelons que pour les transports en commun pour le Pays d’Aubagne et de l’Étoile, 7 % du coût (billetterie) était à la charge des usagers et 93 % à celle de la collectivité. A Marseille, la part financée par les usagers oscille entre 25 et 30 %, et pour la Métropole il est évalué à 20 %,

Bus gratuit à Aubagne (source © Banque des Territoires)

La mise en place de la gratuité a eu deux effets positifs :

– l’augmentation de plus de 200 % de la fréquentation des transports en commun

– la diminution de la pollution urbaine due aux véhicules thermiques. Une étude récente du Sénat évalue à plus de 100 millions d’euros le coût sanitaire de cette pollution urbaine : maladies cardiaques, respiratoires entraînant environ 50 000 décès par an en France et près de 5 000 en région PACA !

Quel est l’impact de la gratuité ?

Il est d’abord humain. Selon les familles concernées, le gain de pouvoir d’achat mensuel est compris entre 45 et 50 €. En termes de fonctionnalité, la gratuité à permis d’enregistrer une fréquentation qui est passée de 2 millions de trajets par an en 2009 à 6 millions de trajets annuels en 2017-2018. Cette augmentation a aussi été enregistré dans d’autres villes qui ont adopté cette mesure (Dunkerque, Niort …). On observe que des familles ont fait le choix de ne garder qu’une voiture.

On enregistre aussi une hausse de la fréquentation intergénérationnelle ainsi que de la convivialité et la disparition des fraudes. L’offre de transport s’est accrue avec une hausse des fréquences et un élargissement des plages horaires. Cela a été rendu possible par des créations d’emplois d’agents, dont des chauffeurs. Enfin, l’impact a aussi été constaté sur le tourisme.

Mais ce qui est aussi sensible, c’est l’impact écologique. Moins de véhicules thermiques circulent et en 2024-2025, la mise en place de zones à faibles émissions va interdire l’usage des véhicules les plus polluants (vignettes 4 et 5).

En France, plus de 35 communes ont instauré la gratuité des transports en commun. Certaines limitent la gratuité aux week-ends. Sur le territoire de la Métropole, il n’existe qu’un seul opérateur, la RTM, ce qui devrait favoriser la mise en œuvre de la gratuité.

Une assemblée peu nombreuse mais attentive pour cette conférence (source © CPC)

Quelles pistes pour une gratuité sur l’ensemble de la métropole ?

L’association Se Déplacer en Liberté a travaillé avec les élus. Cependant se pose la question du financement. Le coût évalué par l’association est de 120 millions d’euros alors que la Métropole l’évalue à 200 millions d’euros ! Si la Métropole participe par une subvention d’équilibre, on peut envisager des subventions d’État, de la Région et de l’Europe.

Les transports en commun ne résoudront cependant pas tous les problèmes. Ainsi se pose la question de la création d’aires de stationnement pour les véhicules, condition pour permettre aux habitants des zones péri-urbaines désireux de rejoindre les lignes de transports en commun. Vaste sujet quand on sait qu’actuellement certaines villes en sont privées dont Carnoux-en-Provence.

Toutes ces questions méritent un large débat public organisé par bassins d’emplois et par bassins de vie. Puisse cette réunion d’information contribuer à un changement de point de vue des élus de la Métropole.

MM

Quelques références :

Rapport du Sénat

Travaux de Maxime Huré rapportés dans un magazine d’urbanisme

Beauté fatale, esthétique toxique…

17 avril 2022

« La beauté gagne quelquefois à être regardée de loin », disait, avec philosophie et, probablement, une certaine expérience, le poète romantique britannique Byron, mort à 36 ans en tentant de participer à la guerre d’indépendance des Grecs alors sous le joug de l’empire ottoman. C’est en tout cas le parti pris esthétique d’un reportage de la réalisatrice Anne-Lise Carlo, intitulé Toxic tour et diffusé sur Arte. De courtes interviews de témoins locaux, géographes ou biologistes, qui connaissent bien les lieux, et de nombreuses vues aériennes par drones qui montrent, de loin, de drôles de paysages à la beauté sublime.

Six magnifiques cartes postales sur papier glacé de lieux aux couleurs éclatantes, mais qu’il vaut mieux en effet regarder de loin. Car ces sites enchanteurs à la beauté fatale ne sont en réalité que des lieux ravagés par l’activité industrielle humaine qui y a stocké ses déchets les plus toxiques en pleine nature, sans réels égards pour la biodiversité qui s’y trouvait…

Vue aérienne du site de stockage de boues rouges à Mange Gari (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Et bien évidemment, l’un de ces sites emblématique de cette tournée toxique n’est autre que le bassin de stockage des boues rouges de Gardanne à Mange Gari, à deux pas de chez nous… Certes, les images vues du ciel sont envoûtantes, avec cette étendue rouge Colorado qui tranche admirablement avec le vert tendre des forets de pins d’Alep, le tout sous le soleil éclatant de Provence, avec la Montagne Sainte-Victoire en arrière-plan.

Le géographe Olivier Dubuquoy, contempteur des boues rouges de Gardanne (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Mais celui qui fait les honneurs de cette visite, le géographe Olivier Dubuquoy, n’a pas de mots assez durs pour critiquer la beauté toxique de ces immenses bassins de stockage qu’il dénonce depuis des années, lui que les écologistes avaient d’abord désigné comme tête de file pour les élections régionales de 2021 en PACA, avant de l’exclure du parti EELV pour sa volonté de rassemblement unitaire à gauche.

Ces boues rouges, qu’un porte-parole de Péchiney, ancien propriétaire de l’usine d’alumine de Gardanne, toute proche, décrit comme étant simplement de la « terre rouge », totalement inoffensive et purement locale, sont les déchets de la transformation de bauxite importée en alumine, après attaque chimique à la soude selon le procédé Bayer, produits à raison de 3 tonnes de boues rouges pour 2 tonnes d’alumine extraite.

Un lac couleur Colorado qui renferme de nombreuses substances toxiques (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Oliver Dubuquoy insiste, pour sa part, sur la caractère toxique de ces boues rouges, sous-produit industriel faiblement radioactif mais surtout riche en métaux lourds : fer, nickel, titane, chrome, vanadium, cadmium, arsenic, mercure et on en passe… Un cocktail guère appétissant et que tout le voisinage inhale contre son gré lorsque, les jours de mistral, le vent soulève des nuages de poussière qui viennent se déposer sur les maisons de Gardanne et des villages voisins, recouvrant tous les potagers alentours de fines particules dont l’accumulation est potentiellement cancérigène…

Un paysage de mort autour des bassins de stockage des boues rouges (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’autres sites similaires en Europe, issus aussi de l’activité industrielle, et en particulier celle du Rio Tinto, ce fleuve côtier espagnol qui traverse la ville de Huelva en aval d’une zone minière exploitée de manière particulièrement intensive depuis l’antiquité romaine pour ses ressources en cuivre, plomb, or, argent, zinc. Une activité minière multiséculaire qui a culminé en 1973 avec le rachat au gouvernement espagnol et pour une bouchée de pain de l’ensemble des activités minières de la région par la société nouvellement créée sous le nom de Rio Tinto par l’industriel britannique Hugh Matheson, avec l’aide de la Deutsche Bank. Passée en 1888 sous le contrôle de la famille Rothschild, cette société s’illustra notamment la même année par la répression féroce qui fit plus de 200 morts parmi les habitants de la région qui protestaient en vain contre la pratique de la calcination à l’air libre de la pyrite, laquelle provoquait des émanations permanentes de fumées toxiques très nocives.

Exploitation à ciel ouvert avec son eau rouge sang dans le secteur minier de Rio Tinto (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

C’est d’ailleurs cette même société Rio Tinto qui a racheté en 2007 le groupe canadien Alcan, devenant ainsi le premier producteur mondial d’aluminium, et récupérant au passage l’usine d’alumine de Gardanne créée initialement par Péchiney. Et depuis 2015, l’activité minière a repris sur le site de Rio Tinto où se poursuit le grignotage de pans entiers de montagne tandis que l’on remplit d’immenses bassins de décantation renfermant des eaux aux couleurs étranges retenues par des digues dont la rupture entrainerait une véritable catastrophe écologique comme on en a connu récemment en Hongrie et au Brésil dans un contexte comparable.

Bassins de décantation de la mine de Rio Tinto (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Le fleuve lui-même est désormais connu pour la couleur rouge sang de ses eaux. Une coloration tout sauf naturelle qui constitue même une attraction touristique pour ceux qui viennent rechercher dans ce paysage dévasté par des siècles d’exploitation minière à outrance, une sensation vaguement martienne… Cette couleur de mercurochrome est en réalité due à des bactéries qui vivent dans des milieux extrêmes, comme celui de ce fleuve totalement impropre à toute autre vie piscicole avec ces eaux acides dont le pH oscille entre 1,7 et 2, et ses concentration énormes en fer et autres métaux lourds toxiques…

Le biologiste Lucas Barero, devant le Rio Tinto aux eaux de sang… (source © extrait vidéo Toxic tour / Arte)

Une ambiance surréaliste que l’on retrouve sur les autres sites évoqués dans ce reportage étrange illustré aussi par une immense mine de lignite en Allemagne, un lac de Roumanie où un ancien village prospère a été englouti sous les eaux issues d’une des plus grande exploitation minière de cuivre d’Europe, une plage italienne où se rejettent les eaux de process de l’usine Solvay et même les loups qui se baladent dans le secteur contaminé par l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Autant de sites à la beauté étrange qu’il vaut mieux regarder de loin, selon les conseils du poète perspicace…

L. V.

Une nouvelle forêt au nord de Paris ?

5 mars 2022

On a un peu tendance à l’oublier, mais la gestion de l’eau dans une grosse agglomération urbaine est toujours un casse-tête. Alimenter les habitants avec une eau potable de qualité n’est déjà pas simple, mais évacuer et traiter les eaux usées et les eaux pluviales l’est souvent encore moins.

Paris ne fait pas exception et a longtemps été victime de son accroissement démographique effréné. Dès 1778, la Compagnie des Eaux de Paris, créée par les frères Périer, permet d’installer un premier réseau de distribution d’eau « potable » (pompée directement dans la Seine) par canalisations enterrées, tandis que la mise en service du canal de l’Ourcq en 1822 améliore considérablement la quantité d’eau mise à disposition des habitants, mais en 1832, une épidémie de choléra cause plus de 18 000 morts dans la capitale !

Nouveau collecteur sous le boulevard Sébastopol inauguré en 1858 (source © Le Monde illustré / Aimable faubourien)

C’est à cette époque que le réseau d’égouts commence vraiment à s’étendre sous Paris pour remplacer peu à peu les fosses d’aisance peu étanches et qu’il fallait curer régulièrement, la matière étant ensuite séchée puis revendue aux agriculteurs comme engrais. A partir de 1894, le préfet Eugène Poubelle interdit de déverser ses ordures et eaux usées en dehors du réseau d’égouts alors bien développé grâce aux travaux remarquables de l’ingénieur Belgrand. L’année suivante, l’émissaire de Clichy est prolongé jusqu’à Asnières, en aval de Paris.

A l’époque, les eaux usées ne subissent aucun traitement et sont directement déversées dans les champs, dédiés principalement à la culture maraîchère pour alimenter la capitale. Trois vastes plaines d’épandage voient ainsi le jour. La première, celle d’Achères, dans les Yvelines, en rive gauche de la Seine, est exploitée dès 1895. A partir de 1899, l’épandage se fait aussi en rive droite, toujours dans les Yvelines, entre les communes de Carrières-sous-Poissy et Triel-sur-Seine. La troisième plaine d’épandage, la plus étendue couvre plus de 2000 ha au nord de la Seine, dans le Val d’Oise, entre Pierrelaye et Méry-sur-Oise.

Vestige du dispositif d’épandage des eaux usées sur la plaine de Pierrelaye (source © Paris myope)

Sur cette dernière, les eaux usées brutes sont déversées directement dans les champs sans le moindre traitement de 1899 jusqu’en 1998, soit pendant près d’un siècle ! A partir de 1999, la pratique se poursuit mais en utilisant désormais des eaux partiellement traitées, issues de la station d’épuration de Colombes puis, depuis 2007, de celle d’Achères aval.

Entre temps, l’activité maraîchère de cette vaste plaine agricole proche de Paris a été largement rattrapée par l’urbanisation. Les anciens champs copieusement arrosés par les égouts de la capitale laissent peu à peu la place à des lotissements qui poussent comme des champignons. Dès 2004, plus de la moitié des surfaces agricoles qui servaient de plaine d’épandage depuis 1899 ne sont plus cultivées et sont désormais recouvertes de pavillons et de bâtiments commerciaux et industriels.

Pierrelaye. 13 familles d’un lotissement tranquille situé rue des Saules à Pierrelaye ont assigné en justice leur promoteur immobilier. Ils lui reprochent de leur avoir caché la pollution de leurs terrains lors de la vente.

Dès la fin des années 1990, certaines associations s’inquiètent des pollutions apportées par cette pratique prolongée et intensive de l’épandage d’eaux brutes. Des analyses de sol sont effectuées et bien évidemment elles mettent en évidence la présence massive de différents résidus peu ragoûtants dont beaucoup de métaux lourds : plomb, cadmium, mercure, arsenic, et on en passe… Une étude de 2001 indique que les accumulations représentent pas moins de 8 kg de cadmium et 1,6 tonnes de zinc à l’hectare, sans parler des résidus d’antibiotiques présents en masse ! Il n’y a pas que sur les anciens sites industriels des calanques que l’on trouve de telles polluants dangereux pour la santé humaine, en particulier pour les jeunes enfants et certaines populations vulnérables.

D’ailleurs, dès 1999, un arrêté préfectoral interdit la commercialisation des productions maraîchères issues de ces zones d’épandage, suivi en mars 2000 d’un second arrêté interdisant cette fois la production de toute culture légumière ou aromatiques dans les secteurs concernés : après avoir fait la richesse de ces terres agricoles, l’épandage des eaux usées parisiennes en provoque la ruine ! Que faire alors de cette vaste plaine de Pierrelaye, traversée par l’autoroute A15 mais devenue suspecte pour bien des usages ? Les études se succèdent au fil des années, tandis que la plaine se couvre de dépôts de déchets sauvages et sert d’implantation pour une forte population de gens du voyage.

Dépôt sauvage sur l’ancien centre équestre de Bessancourt, dans la plaine de Pierrelaye (source © La Gazette du Val d’Oise)

Peu à peu émerge, à l’initiative du SMAPP (syndicat mixte d’aménagement de la plaine de Pierrelaye) un projet qui consiste à construire des habitations en périphérie et à reboiser la partie centrale pour reconstituer une véritable forêt reliant l’Oise à la Seine sur pas moins de 1350 ha. On parle d’un million d’arbres à planter pour un coût total d’aménagement estimé à 85 millions d’euros, financés en grande partie par la société du Grand Paris qui veut en profiter pour y stocker une partie des déblais issus des immenses chantiers de terrassement occasionnés par les nouvelles lignes de métro en construction.

Emprise de la future zone reboisée entre Oise et Seine dans la plaine de Pierrelaye (source © Valparisis)

L’affaire n’est pas simple, d’autant que le secteur concerné est morcelé en plusieurs milliers de propriétaires qui ne voient pas tous d’un très bon œil ce projet très parisien. Certains préfèrent vendre leurs parcelles aux gens du voyage déjà bien implantés avant que ne se mette en place la procédure d’expropriation, à l’issue d’un interminable processus d’enquêtes publiques et d’études en cascades, notamment par l’ONF qui cherche à sélectionner les espèces de feuillus les plus adaptées y compris dans un contexte de réchauffement climatique.

Cérémonie de plantation du premier arbre, le 25 novembre 2019, en présence de nombreuses personnalités dont Valérie Pécresse (photo © Antoine Chéret / ONF)

Enfin, le 25 novembre 2019 a lieu la cérémonie de plantation des premiers arbres, en présence notamment du Préfet de région Michel Cadot, de la présidente du Conseil régional, Valérie Pécresse, et du président du SIAAP, le syndicat interdépartemental d’assainissement de l’agglomération parisienne, le gestionnaire des eaux usées de la capitale. Pas de chance, l’été qui suit s’avère particulièrement sec et, malgré tous les efforts engagés par les techniciens de l’ONF pour choisir, en fonction des natures de sol, les espèces les plus aptes à résister, un bon tiers des sujets plantés durant l’hiver sur 14 ha au total, ont séché sur pied.

Inspection d’une parcelle reboisée en 2019 (photo © MB / ONF)

Cette première expérience confirme néanmoins la bonne adaptation de certains espèces, dont l’érable. Dès l’année suivante, ce sont à nouveau 22 000 plants qui sont mis en terre, sur 8,8 ha tandis que se poursuivent les opérations de nettoyage pour enlever quelque 13 000 tonnes de déchets accumulés ! Et l’opération devrait ainsi se poursuivre pendant encore une bonne dizaine d’années, à raison de 240 000 nouveaux plants par an dès cette année. Un effort de reboisement gigantesque qui pourrait permettre à terme de voir se développer une nouvelle forêt entre celle de Montmorency, au nord, et celle de Saint-Germain-en-Laye, au sud. En espérant que les arbres s’accommodent de tous les résidus polluants accumulés dans le sol à l’issue d’un siècle d’épandage à tire larigot…

L. V.

Des résidus médicamenteux dans nos cours d’eau…

23 février 2022

On le savait depuis longtemps mais voilà qu’une étude mondiale vient de le caractériser : les cours d’eau charrient de très nombreuses molécules chimiques issues de médicaments de synthèse, et la présence massive de ces produits dans l’écosystème n’est pas vraiment rassurante…

C’est l’université britannique d’York qui a supervisé cette vaste étude à laquelle ont participé plus de 80 instituts de recherche internationaux, dont l’INRAE, l’Institut national de recherche agronomique et environnementale. Au total, ce sont 258 cours d’eau répartis dans une centaine de pays sur toute la planète qui ont fait l’objet de prélèvements (pas moins de 1052 au total, tous selon le même protocole pour permettre des comparaisons fiables) et d’analyses particulièrement complètes puisqu’elles portaient sur l’identification de 61 substances médicamenteuses, là où on se contente habituellement d’en rechercher une vingtaine au maximum.

Des résidus de médicaments présents un peu partout en rivière… (source © Santecool)

Les cours d’eau ainsi investigués sont d’ampleur très variable mais incluent certains géants comme l’Amazone, le Mississippi ou le Mékong, tandis que les sites d’échantillonnage englobent aussi bien de grandes mégapoles comme New-York ou Dehli, que des zones reculées telles ce village Yanomami en pleine jungle vénézuélienne, voire des zones en guerre comme en Irak. Et le résultat n’est pas brillant puisque partout, les chercheurs ont retrouvé quantités de molécules médicamenteuses présentes dans les cours d’eau, parfois en quantités impressionnantes comme au Pakistan ou en Bolivie. Un quart des sites étudiés présentent de fait une concentration potentiellement dangereuse pour l’environnement, notamment pour certains antibiotiques, un antihistaminique et un produit utilisé contre l’hypertension.

Prélèvement d’eau en rivière pour une analyse chimique (source © SIPIBEL)

Le tableau est particulièrement sombre pour certains pays du Sud, en Afrique subsaharienne, en Amérique du Sud et en Asie, où les concentrations relevées sont inquiétantes et s’expliquent par la faiblesse des moyens de traitement des eaux usées. Ce sont en effet principalement par ce canal qu’arrivent les résidus médicamenteux qui se retrouvent dans nos urines et fèces. Mais les élevages industriels sont aussi un gros contributeur du fait des traitements vétérinaires utilisés en masse (en 1999, la consommation de médicaments à usage animal était du même ordre de grandeur que celle destinée aux humains!), sans compter les rejets issus des centres de pisciculture et certains rejets industriels des sites de productions de médicaments. Les médicaments périmés et usagés jetés en décharge, contribuent aussi à cette contamination des eaux, même si cette source est désormais mieux maîtrisée dans certains pays où la collecte est organisée.

Les rejets d’eaux usées même partiellement retraitées, une source majeure d’apport de micropolluants (source © Futura Science)

La généralisation des stations d’épuration des eaux a certes permis d’améliorer la situation dans nombre de pays. On constate cependant que leur efficacité reste limitée pour éliminer la plupart des résidus médicamenteux, notamment certaines molécules telle l’aspirine, pour lesquelles il est nécessaire de recourir à des procédés de traitement tertiaires coûteux à base d’osmose inverse ou de charbon actif. En France, ces traitements ne sont pas encore obligatoires et rares sont les stations qui sont équipées pour traiter correctement ces micropolluants même si la tendance est désormais d’encourager les collectivités à adopter des procédés de traitement de plus en plus performant.

La qualité physico-chimique des cours d’eau impacte directement la vie aquatique et peut être à l’origine de mortalités piscicoles (photo © SOS LRC / Humus)

Car l’enjeu est de taille pour le milieu naturel, voire directement pour la santé humaine. La prolifération des antibiotiques rejetés en masse dans les cours d’eau et les nappes, contribue fortement à développer des phénomène de résistance des bactéries, ce qui limite à terme l’efficacité même de ces traitements pharmaceutiques. Mais ces molécules issues de médicaments ont bien d’autres effets néfastes sur la faune, notamment aquatique, perturbant leurs capacités de reproduction et pouvant même se traduire par des changements de sexe sous l’effet d’œstrogènes. Des changements de comportement ont aussi été observées chez des perches devenues fortement agressives du fait de la présence dans l’eau d’un résidu d’antidépresseur. Sans même évoquer les effets d’interférences liées à la présence simultanée de plusieurs molécules dont on connaît mal les effets indésirables…

Dessin publié sur le site Méli Mélo du Graie (Groupe de recherche, d’animation technique et d’information sur l’eau)

Une des voies à explorer, outre l’amélioration des stations de traitement des eaux usées, est certainement la réduction de la consommation de médicaments. Dans les élevages français, on est ainsi arrivé à réduire de 30 % la consommation d’antibiotiques vétérinaires entre 2006 et 2011, ce qui va dans le bon sens. Mais l’on consommait encore en 2011 pas moins de 750 tonnes d’antibiotiques en France, nettement plus que dans le reste de l’Europe, une consommation qui tend à baisser progressivement depuis. Il est temps si l’on veut limiter la pollution irréversible de nos cours d’eau…

L. V.

A Mycène, le détartrage des dents laissait à désirer…

12 janvier 2022

Votre dentiste vous l’a certainement déjà rappelé plus d’une fois : même réalisé consciencieusement deux fois par jour, un bon brossage des dents ne suffit pas à éliminer totalement la plaque dentaire, surtout dans les endroits difficiles d’accès. Les bactéries finissent toujours par s’y accumuler et, en se minéralisant, sous l’effet de la précipitation des ions carbonate et phosphate de la salive, à y former un dépôt solide, le tartre dentaire, qu’une simple brosse à dents ne suffit pas à éliminer et qui vient peu à peu fragiliser les dents, surtout à la limite avec la gencive. C’est pourquoi, un détartrage au moins une fois par an chez le dentiste est fortement recommandé par tous les praticiens. Un mauvais moment à passer, mais qui permet d’éliminer ce dépôt peu esthétique et qui vient fragiliser les dents à long terme.

Le tartre dentaire, un dépôt qui se minéralise à la base des dents… (source © Le courrier du dentiste)

Forcément, nos ancêtres, les Gaulois comme tous les autres, ne pouvaient bénéficier de soins dentaires tels qu’ils sont pratiqués de nos jours et la qualité de leur dentition s’en ressentait inévitablement. Pour autant, l’émail des dents est un matériau particulièrement solide qui résiste au temps, si bien que les paléontologues en ont fait depuis longtemps un objet d’étude privilégié, dont l’observation permet de reconstituer les cas de malnutrition mais aussi les conséquences de maladies infantiles dont les traces restent gravées dans l’émail de nos dents.

Depuis quelques années cependant, ils s’intéressent aussi au tartre dentaire, dont l’analyse optique, couplée à des datations au Cabone 14, donne de précieux renseignements sur les habitudes culinaires de ceux qui nous ont précédé. Le tartre dentaire, une fois minéralisé, conserve en effet l’ADN humain mais aussi celui des protéines et les bactéries d’origine salivaire, permettant de reconstituer ce que nos ancêtres avaient l’habitude d’ingérer. Des grains d’amidon et des pollens se retrouvent ainsi fossilisés au sein du tartre dentaire : leur identification permet donc de savoir quelles étaient les habitudes alimentaires du propriétaire des dents…

Fragment de mâchoire humaine du Moyen-Âge présentant des résidus de tartre (photo © Christina Warinner / Sciences et Avenir)

Ainsi, en 2016, des échantillons de tartre prélevés sur des dents humaines découvertes dans la grotte de Qesem, en Israël, datées du Paléolithique, entre 420 000 et 200 000 ans av. J.C., avaient permis d’identifier des micro fragments de charbon de bois et des grains de pollen de pin : de quoi conclure que ces populations vivaient dans une atmosphère perpétuellement enfumée au fond de leur grotte. La même année, d’autres archéologues avaient analysé le tartre dentaire prélevé sur de nombreux restes humains datés de 1450 à 700 ans av. J.C. sur un site mexicain : ils y avaient découvert des grains d’amidon, mais aussi des diatomées (révélant une alimentation en eau potable dans un étang proche), des spores fongiques du charbon de blé (confirmant que ces populations consommaient déjà du blé) et du pollen de pin (fréquent dans la région).

Site de la grotte de Qesem, en Israël, où nos ancêtres du Paléolithique souffraient déjà d’un air domestique pollué (photo © Jack Guez / AFP / Cnews)

Aux États-Unis, des dents appartenant à 8 individus ayant vécu entre 880 et 1020 av. J.C. sur le site de Danbury, dans l’Ohio, avaient permis d’identifier la présence, dans le tartre dentaire, de microfibres de coton, suggèrent que ces populations utilisaient leurs dents comme outils de tissage pour la confection de textiles ou de cordes en coton.

Dernièrement, une étude publiée dans Scientific reports le 17 décembre 2021, et dont Sciences et Avenir notamment s’est fait l’écho, rapporte comment une équipe internationale d’archéologues, sous la direction de l’Allemand Philipp Stockhammer, s’est intéressée au tartre dentaire prélevé sur 67 individus retrouvés sur différents sites mycéniens, afin de reconstituer les habitudes alimentaires de cette civilisation qui s’est développée dans le sud de la Grèce et en Crête à l’âge du bronze, entre 1600 et 1100 avant notre ère.

Mycène : les murs cyclopéens autour de la porte des lionnes (source © Voyage away)

Connues dès l’antiquité, les ruines de la cité de Mycène et de son vaste palais ceinturé de murs cyclopéens ont notamment été fouillées à la fin du XIXe siècle par Heinrich Schliemann qui y a en particulier découvert, dans un des cercles de tombes situées près de la porte des lionnes, le fameux masque mortuaire en or, dit d’Agamemnon, du nom du roi de Mycène qui s’était illustré lors de la guerre de Troie, selon Homère. Cette civilisation antique, remarquable pour ses palais monumentaux, l’était aussi pour la qualité de sa production en masse d’objets en bronze et en céramique. Une telle production, il y a plus de 3000 ans, a d’ailleurs toujours étonné les archéologues, car elle suppose le recours à d’énormes quantités de combustible pour alimenter les fours de cuisson et les forges pour la fusion du métal.

Masque funéraire en or retrouvé dans une tombe à Mycène et daté de 1500 av. J.C. (source © Chercheurs de vérités)

En examinant le tartre dentaire d’individus issus de cette période, les archéologues y ont retrouvé des protéines et des micro résidus caractéristiques du régime alimentaire de l’époque, mais aussi de la suie issue des dispositifs de combustion alors utilisés. Sans surprise, cette suie provient pour l’essentiel de la combustion des espèces les plus fréquentes dans cette zone méditerranéenne : pin noir, pin pignon et sapin de Céphalonie. Ils ont retrouvé aussi, mais en moindre quantité, des suies révélant l’utilisation de quelques feuillus dont le chêne et l’olivier, ainsi que le fumier séché, un combustible encore traditionnellement utilisé en Afrique ou en Inde notamment, lorsque le bois vient à manquer.

Mais grande a été leur surprise de constater, sur les restes d’individus provenant du palais mycénien de Tirynthe et du port crétois de La Canée, des suies révélatrices de la combustion de lignite, ce charbon jadis extrait à Gardanne et dont on sait, par les écrits de Théophraste, qu’il était en effet utilisé dans la Grèce antique pour l’industrie métallurgique, mais beaucoup plus tardivement, vers 300 av. J.C. Certes, les Chinois utilisaient déjà le lignite vers 1600 avant notre ère, mais cette étude montre donc que les Mycéniens et les Crétois l’employaient déjà eux-mêmes au 13e voire au 14e siècle av. J.C., manifestement pour alimenter les fours de cuisson et de fusion destinés à la fabrication du métal et des poteries, dans un environnement où le bois commençait sans doute déjà à se faire rare autour des grands palais mycéniens.

Coupe à boire réalisée par des artisans mycéniens à l’âge du bronze, témoignant d’un savoir faire remarquable pour l’époque (source © Royal Ontario Museum)

Le lignite utilisé à Tirynthe était alors extrait à 150 km de là, près d’Olympie, ce qui suppose l’organisation de méthodes d’extraction et d’acheminement sophistiquées. Les objets artisanaux produits par les artisans mycéniens en grande quantité, sous forme de récipients, de vases, d’épées, étaient principalement destinés à l’exportation puisqu’on les retrouve dans une vaste zone allant de l’Espagne jusqu’à la Syrie : les prémices d’une mondialisation en marche, à une époque où l’on ne souciait guère de son impact sur le changement climatique…

L. V.