Archive for décembre 2021

Camp de Sarlier à Aubagne : un patrimoine historique réapparaît…

30 décembre 2021

L’histoire ancienne de la ville d’Aubagne reste encore largement à écrire. On s’accorde certes à reconnaître que le nom de la ville apparaît pour la première fois dans différentes chartes de l’abbaye de Saint-Victor, datées du tout début du XIe siècle, dont l’une mentionne dès 1005 un lieu de culte « in villa que vocatur Albanea », ce nom d’Albanea étant l’origine du vocable actuel de la commune. Mais, si au Moyen-âge la ville tend à se développer sur les hauteurs, en surplomb de l’Huveaune, à l’époque gallo-romaine, le site était probablement plutôt caractérisé par un habitat dispersé au milieu d’une vaste plaine agricole. On a ainsi retrouvé quelques vestiges d’implantation de fermes romaines près de la gare et dans les secteurs de Napollon et de la Font de Mai.

Lors du siège de Marseille en 49 avant J.-C., Jules César mentionne la présence, dans le massif du Garlaban, de montagnards albiques, une tribu celto-ligure établie entre le Luberon et les monts de Vaucluse, venue prêter main forte à ses alliés marseillais assiégés par l’armée romaine et qui donnera bien du fil à retordre aux légions de César. Lui-même avait d’ailleurs donné le nom d’Albania à cette zone située au pied du Garlaban, ce qui pourrait être une des origines possibles du nom actuel de la localité.

Toujours est-il que des fouilles archéologiques récentes, effectuées entre mars et novembre 2021 sous la direction de Denis Dubesset à la demande du Service régional d’archéologie, sur 9000 m² sont en voie d’apporter de nouvelles informations sur l’histoire ancienne d’Aubagne.

Vue panoramique de la zone de fouille du Camp de Sarlier à Aubagne ( photo © Denis Dubesset / INRAP)

Le site ainsi exploré se situe au lieu dit Le camp de Sarlier, un vaste terrain d’une vingtaine d’hectares, en forme de triangle qui se développe à l’entrée est de la ville, coincé entre la voie ferrée et la RD 43a côté ouest, l’autoroute A 52 et la zone des Paluds côté est, et la RD2 ainsi que l’Huveaune au nord. Ce secteur est traversé par le Fauge (appelé ici la Maïre), un petit ruisseau qui dévale depuis le parc de Saint-Pons, est busé sous le village de Gémenos et la zone commerciale des Paluds avant de finir en fossé pluvial très dégradé qui vient se jeter dans l’Huveaune à l’ouest d’Aubagne après avoir été rejoint par le Merlançon qui vient de Roquefort-La Bédoule et de Carnoux.

Vue aérienne du site du Camp de Sarlier, à l’est d’Aubagne (source © Modification 3 du PLUi d’Aubagne / Carnoux citoyenne)

Autrefois cultivées, ces terres alluvionnaires très fertiles sont désormais parsemées de friches, de quelques maisons d’habitation dans la partie nord et d’entrepôts industriels et commerciaux épars. Un nouveau complexe de bureaux y a été édifié sur 2 ha, au nord-est de la zone, le long de l’autoroute, à l’emplacement d’une ancienne boîte de nuit, l’Alta Rocca, qui a donné son nom à ce nouveau pôle d’activité ouvert en 2019 après 3 ans de travaux. Comportant 7 bâtiments conçus par l’architecte Franck Gatian, dont un hôtel, ce centre est exclusivement dédié aux activités tertiaires et médicales, pour ne pas gêner les commerces du centre-ville, déjà bien mis à mal par la concurrence redoutable des Paluds, même si le projet des Gargues , toujours dans les cartons, n’a pas encore vu le jour.

Le centre d’affaire Alta Rocca à Aubagne, achevé depuis fin 2019 (source © Ville d’Aubagne)

C’est d’ailleurs la même société, Foncière GM, gérée par Pierre Meguetounif, qui se lance désormais dans une extension de ce projet, toujours le long de l’autoroute, dans le prolongement sud des premiers bâtiments, déjà tous occupés. Le Patio de l’Alta qui devrait s’étendre sur 1,2 ha, comprendra 4 nouveaux bâtiments, offrant 9200 m² supplémentaires de bureaux dans un secteur particulièrement bien desservi, y compris demain par le futur Chronobus, un bus à haut niveau de service qui devrait relier, d’ici 2024, la gare d’Aubagne au pôle d’activité de Gémenos.

Le futur Chronobus qui devrait relier en 2024 sur 6,5 km la gare d’Aubagne au pôle d’activité de Gémenos (source © Façonéo)

C’est donc en prévision de ce nouveau chantier que l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) s’est vu confier la réalisation de fouilles archéologiques. Et les résultats dépassent toutes les espérances, comme le relate un article très documenté publié par La Marseillaise le 21 décembre dernier.

Article paru dans La Marseillaise le 21 décembre 2021

Les fouilles ont en effet mis à jour de nombreux vestiges d’une implantation du Néolithique moyen, il y a peut-être plus de 4 000 ans avant notre ère. L’emplacement des anciens poteaux permet de reconstituer la trace d’au moins un vaste bâtiment d’habitation et de nombreux silos et greniers servant à stocker les récoltes dans cette zone alors déjà bien cultivée. Un grand foyer aménagé avec un lit de pierres chauffées sur la braise prouve que nos lointains ancêtres étaient déjà de grands amateurs de pierrade… Des sépultures et des fragments de céramique ont aussi été datés de cette époque préhistorique.

Foyer à pierres chauffantes du Néolithique en cours de dégagement (photo © Denis Dubesset / INRAP)

Une nécropole plus récente datant de la fin de l’âge du Bronze (entre 900 et 600 av. J.-C., avant donc l’arrivée des Phocéens) a aussi été exhumée sur ce même site, avec notamment un tumulus enfermant 6 corps. Des éléments de parures métalliques en alliage cuivreux y ont été retrouvés, même si ces sépultures anciennes ont pour certaines été manifestement remaniées voire pillées. Outre ces restes de bijoux, une épée datant du tout début de l’âge du Fer, a pu être exhumée, encore protégée dans son fourreau d’origine.

Sépulture datant du premier âge du Fer découverte au Camp de Sarlier (photo © Nicolas Bourgarel / INRAP)

Les archéologues ont aussi mis au jour un tronçon de voie romaine dégagée sur une petite centaine de mètres de longueur et qui pourrait avoir été aménagée par les armées de César, lors du siège de Massalia, en 49 av. J.-C. comme en témoigne la date des nombreuses pièces de monnaie qui ont pu y être récoltées.

Vestiges de l’antique voie romaine dans le secteur du Camp de Sarlier en bordure de l’autoroute A52 (photo © Denis Dubesset / INRAP)

Large de 12 à 13 m entre ses deux fossés bordiers, cette voie a manifestement servi au passage de lourds convois car on y a retrouvé de très nombreux hipposandales, ces protections métalliques que les Romains attachaient sous les sabots de leurs chevaux de trait. A l’époque de Jules César, le tracé de l’autoroute différait donc légèrement de l’actuel et ce n’était pas Vinci qui percevait les péages, mais la circulation y était déjà intense…

L. V.

Vaccination : certains ne savent pas calculer !

28 décembre 2021

On dit souvent que les Français manquent de formation en économie et qu’ils ont parfois du mal à calculer, ce qui expliquerait leurs réticences à se couler dans le moule de la mondialisation heureuse et de la spéculation financière débridée… Foutaises, bien entendu ! En revanche, l’actualité récente vient, une fois encore, de démontrer que certains de nos responsables politiques ont un peu de mal à jongler avec les réalités mathématiques, au point que leurs manipulations des données statistiques relève plutôt de la manipulation mentale, pour ne pas dire de la malhonnêteté intellectuelle !

Contexte sanitaire aidant, la dernière polémique en date ne porte pas sur les chiffres cachés du chômage ou ceux de l’immigration clandestine comme à l’accoutumée, mais sur le nombre de malades du Covd-19. C’est Philippe de Villiers qui a dégainé le premier, à l’occasion d’une intervention sur Europe 1 le 20 décembre 2021, dans une diatribe déchaînée où le tribun de la droite conservatrice affirme, ni plus ni moins : « le pass sanitaire, c’est de l’apartheid » avant de s’en prendre à l’efficacité même de la vaccination, estimant que «  le vaccin ne marche pas (…). Le gouvernement fait n’importe quoi, ce sont des amateurs (…). Ils veulent le contrôle total de la population »…

Philippe de Villiers au micro d’Europe 1 le 20 décembre 2021 (source © Europe 1)

Et à l’appui de sa démonstration, le désormais soutien d’Eric Zemmour, brandit une fiche Bristol sur laquelle sont scrupuleusement notés les chiffres qu’il assènent à l’antenne pour confirmer sa théorie selon laquelle le vaccin ne sert à rien : « 63 % des décès sont des vaccinés (…). On nous ment (…). Si on est dans la situation où on est aujourd’hui, c’est que le vaccin n’a pas marché ». Un chiffre qu’un autre responsable politique de droite, Nicolas Dupont-Aignan, candidat à l’élection présidentielle de 2022 et que le maire de Carnoux juge « extrêmement sympathique », au point de lui accorder régulièrement son parrainage, a repris à l’identique 2 jours plus tard, au micro de RTL, pour appuyer sa propre théorie selon laquelle le vaccin devrait être strictement réservé aux seules personnes à risque.

Une analyse du dessinateur algérien Karim (source © Pinterest)

Pourtant, ce n’est pas tant le chiffre lui-même qui est contestable que l’interprétation un peu hâtive qui en est faite par des personnages dont l’audience publique est importante, ce qui mériterait de leur part sans doute un peu plus de circonspection. Le chiffre ainsi mis en avant est de fait, à une petite exagération près, issu directement d’une étude publiée le 17 décembre 2021 par la DARES, la direction des études statistiques du Ministère de la Santé et qui porte justement sur l’analyse de l’efficacité du vaccin contre le Covid sur la période toute récente qui court du 8 novembre au 5 décembre 2021.

Sur cette période en effet, ce sont bel et bien 62 % des personnes décédées du Covid-19 qui étaient vaccinées, et même, pour quelques-uns d’entre elles avec une troisième dose de rappel. Faut-il pour autant en déduire, comme le suggèrent avec beaucoup d’aplomb ces deux politiciens, que le vaccin ne sert strictement à rien ? En réalité, ces chiffres traduisent simplement le fait que la vaccination s’est généralisée dans la population malgré l’existence de quelques réfractaires, puisqu’à ce jour il ne reste plus que 9 % des plus de 20 ans qui n’ont encore reçu aucune dose de vaccin. Le jour où toute la population française sera vaccinée, gageons sans aucun risque de se tromper, que 100 % des morts du Covid seront à jour de leur vaccination et que ces chiffres traduiront simplement le fait que toute vaccination n’est jamais efficace à 100 %. Il est donc pour le moins réducteur de s’en tenir à ce seul indicateur !

Répartition entre juin et décembre 2021 des décès liés au Covid en fonction de leur parcours vaccinal (source des données © DARES ; Infographie © Datawrapper / Marianne)

L’évolution de ces mêmes chiffres montre d’ailleurs qu’entre juin et septembre, les décès liés au Covid étaient presque exclusivement le fait de personnes encore non vaccinées. La généralisation de la vaccination, alliée au fait que l’efficacité de la protection vaccinale s’érode au fil du temps (d’où l’importance de la dose de rappel), ont fait que désormais les victimes du Covid se rencontrent aussi parmi des personnes vaccinées, surtout lorsqu’elles souffrent de comorbidité où sont fragilisées par le grand âge.

Pour autant, il n’est reste pas moins que, statistiquement et quoi qu’en pensent nos deux trublions, une personne non vaccinée, est nettement plus exposée à décéder du Covid-19 qu’une personne comparable vaccinée. Il suffit pour s’en convaincre de rapporter ces chiffres de décès constatés à la taille de ces deux populations. Si 38 % des décès observés concernent des non-vaccinés alors que seule 9 % de la population française n’est pas vaccinée, cela signifie mathématiquement que sur cette période, un individu non vacciné a quand même six fois plus de risque de mourir du Covid que s’il était vacciné. Il suffit d’ailleurs de rapporter les chiffres de la DARES à chacune des populations correspondantes pour s’en convaincre : sur 10 millions de personnes, le nombre de décès du Covid dépasse désormais 60 parmi les non-vaccinés alors qu’il atteint à peine 10 pour les vaccinés après avoir oscillé autour de 5 au cours des 6 derniers mois.

Nombre de décès liés au Covid en fonction du parcours vaccinal, rapportés à une population de 10 millions de personnes de plus de 20 ans (source des données © DARES ; Infographie © Datawrapper / Marianne)

Et encore, la DARES fait totalement abstraction, dans son analyse, des cas pourtant manifestement fréquents, de faux pass sanitaires qui viennent perturber ces statistiques, nombre de malades étant enregistrés comme vaccinés alors qu’on se rend compte, parfois après leur décès et sans que cela puisse être pris en compte dans les statistiques officielles, qu’en réalité ils ne l’étaient pas…

En réalité, le bénéfice statistique du vaccin est encore plus flagrant quant on élargit l’analyse au nombre de personnes hospitalisées en soins intensifs et pas seulement aux décès. Malgré une proportion croissante de personnes désormais vaccinés, il est flagrant de constater que l’essentiel des malades graves qui viennent encombrer les services de réanimation et désorganiser notre système hospitalier restent, pour une large part, des personnes qui ont refusé de se faire vacciner malgré le travail intense de mise à disposition d’une couverture vaccinale facilement accessible et gratuite. Comme le rappelle la DARES, sur cette période de novembre-décembre 2021, pourtant peu favorable à sa démonstration, les 9 % de personnes encore non-vaccinées parmi les plus de 20 ans en France, représentent à elles seules 25 % des tests PCR positifs, 41 % des hospitalisations pour Covid, 52 % des admissions en soins critiques et 38 % des décès.

Répartition entre juin et décembre 2021 des entrées en soin critique liés au Covid en fonction de leur parcours vaccinal (source des données © DARES ; Infographie © Datawrapper / Marianne)

Des chiffres qui traduisent néanmoins une baisse indéniable d’efficacité de l’injection au fil du temps. Sur leur base, la DARES en déduit que, pour les adultes de plus de 40 ans pour lesquels on dispose de davantage de recul, la protection vaccinale contre le risque de décès reste élevée, de l’ordre de 90 à 95 % dans les premiers mois, pour redescendre ensuite progressivement autour de 80 %, la dose de rappel permettant de remonter vers 98 %.

Au delà de ces données statistiques assez convaincantes, l’actualité regorge d’exemples concrets qui ne peuvent que confirmer l’intérêt d’une telle couverture vaccinale, non seulement comme outil de politique publique, mais aussi à l’échelle du bénéfice individuel. Ainsi, aux Antilles où les manifestations, parfois violentes, se poursuivent contre l’obligation vaccinale faite aux professionnels de santé et à la généralisation du pass sanitaire.

Stanislas Cazelles, Préfet de la Martinique (source © France TV info)

Le 6 décembre 2021, le Préfet de la Martinique, Stanislas Cazelles, annonçait ainsi avoir été testé positif au Covid après une réunion de travail avec plusieurs représentants de l’intersyndicale, suite aux manifestations monstres du 22 novembre 2021 à l’issue desquelles un appel à la grève générale avait été lancée. Mis à l’isolement pendant quelques jours, le préfet qui était dûment vacciné, avait continué d’assumer ses fonctions en télétravail et n’avait ressenti que quelques légers symptômes peu invalidants. En revanche, deux représentants syndicaux contaminés en même temps, Alain Decaille, président de la fédération des taxis indépendants de Martinique, et Aimé Agat, président du syndicat pour la défense des artistes martiniquais, qui protestaient contre le pass sanitaire et refusaient obstinément l’idée même de vaccination, sont décédés le 20 décembre 2021. Puisse cet exemple, parmi tant d’autres, contribuer à convaincre les derniers récalcitrants…

L. V.

2021 : la magie de Noël se perd…

24 décembre 2021

Ah la féerie de Noël… Ses illuminations dans les rues, ses vitrines alléchantes et luxueusement décorées, les montagnes de cadeaux, les yeux des enfants qui brillent et les repas de famille interminables et joyeux.

Sauf qu’en temps de crise et de pandémie mondiale, forcément, la fête est un peu moins glamour. S’étriper entre la dinde et la bûche sur la montée des extrémismes, la peur des mouvements migratoires, la désindustrialisation, la désorganisation des services hospitaliers ou l’angoisse des effets du réchauffement climatique, forcément ça crispe un peu et c’est de nature à altérer l’ambiance festive…

Heureusement, certains savent encore prendre les choses à la légère et faire sourire des situations même les plus anxiogènes. Un petit dessin vaut toujours mieux qu’un long discours, surtout s’il s’agit d’un dessin humoristique, et surtout s’il permet de faire baisser la pression pour se souhaiter à tous, envers et contre tout, un joyeux Noël 2021 !

L. V.

Un dessin signé Phil (source © DNA)
Un dessin signé Deligne (source © Pinterest)
Un dessin signé Ixène
Un dessin signé Geluck (source © Pinterest)
Un dessin signé Nathalie Jomard (source © Pinterest)
Un dessin signé du Mexicain Boligan (source © Cartooning for Peace)

Marseille s’engage vers plus de déontologie

21 décembre 2021

L’Agence française anti-corruption (AFA), dirigée par le magistrat Charles Duchaine et placée auprès du Ministère de la Justice, a été créée en 2017 pour renforcer la lutte contre la corruption, le trafic d’influence, le détournement de fonds publics, le favoritisme et la prise illégale d’intérêt dans les entreprises, les services de l’État et les collectivités territoriales. Or cette agence étatique a rendu, en juillet 2021, un rapport sur la gestion de la Ville de Marseille, réalisé à partir de septembre 2020 et qui porte donc pour l’essentiel sur les pratiques antérieures au changement de municipalité, autrement dit sur les dernières années de l’ère Gaudin, resté à la tête de la deuxième ville de France pendant plus de 25 ans.

Charles Duchaine, magistrat à la tête de l’Agence française anti-corruption (source © Graces community)

Ce rapport sur Marseille est bien entendu confidentiel mais plusieurs médias ont pu le consulter et son contenu est donc largement connu, d’autant qu’il a été présenté en conseil municipal le 17 décembre 2021, lors d’une séance au cours de laquelle ont justement été adoptées par la municipalité actuelle, deux chartes de déontologie, l’une à l’attention des élus et l’autre destinée aux agents municipaux. Des document destinés à rappeler à chacun ses devoirs, comme l’a indiqué Olivia Fortin, rappelant que « l’exemplarité et la probité sont deux axes forts de notre campagne ».

L’adoption de telles chartes faisait d’ailleurs partie des principales recommandations de l’AFA dont le rapport pointe de graves dérives liées à la gestion municipale passée et regrette « une insuffisante culture de la probité » au sein de la ville : qu’en termes élégants, ces choses-là sont dites…

Un rapport présenté au conseil municipal de Marseille (photo © David Rossi / La Provence)

On retrouve dans ce rapport de 118 pages bien des errements déjà largement identifiés et épinglés par la Chambre régionale des Comptes, parmi lesquels la gestion des buvettes de stades ou celle du temps de travail au sein du Samu social, mais d’autres sont pointées du doigt, en particulier au sein du service en charge des autorisations d’urbanisme.

On y apprend ainsi que tous les agents du service ont accès au logiciel interne qui régit l’instruction des permis de construire, permettant à tout un chacun d’y apporter en toute discrétion et sans la moindre traçabilité toutes les modifications désirées : bien pratique pour rendre service en cas de besoin ! Et les contrôleurs de l’AFA se sont rendus compte que certains permis, pour lesquels les instructeurs préconisaient un refus pour cause d’illégalité, étaient purement et simplement gelés par la hiérarchie jusqu’à délivrance tacite, une fois le délai d’instruction atteint, comme le prévoit désormais la règle, par souci de simplification administrative. Là encore, une procédure bien pratique pour accorder de facto des permis de construire qui ne répondent pourtant pas aux règles d’urbanisme qui s’imposent…

Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille de 1995 à 2020 (photo © MaxPPP / France Bleu)

L’AFA est ainsi tombée sur plusieurs permis de construire accordés contre l’avis des agents instructeurs, au bénéfice par exemple de la CMA CGM ou de l’association diocésaine de Mazargues, la paroisse du bon chrétien Jean-Claude Gaudin… Certains permis, comme dans le cas d’un dossier déposé par le Cercle des nageurs, étaient même carrément discutés au sein d’une commission issue du seul cabinet du Maire, histoire de s’extraire des contingences réglementaires liées au droit des sols.

Forcément, l’AFA pointe dans son analyse « le nombre important de fonctionnaires ayant fait l’objet de plaintes pénales pour des faits d’atteinte à la probité » et toujours en poste sans avoir jamais été sanctionnés. On se souvient notamment de l’affaire de la double billetterie du musée Cantini mise en place à leur profit par des agents municipaux indélicats, ou de celle liée à la vente de faux tickets d’entrée dans certaines piscines municipales…

Un dessin signé Na ! (source © Le Ravi)

Des élus sont aussi pointés du doigt dans ce rapport, parmi lesquels Stéphane Ravier, l’ancien maire de secteur FN et sa nièce Sandrine d’Angio qui lui a succédé. L’AFA pointe en particulier les vœux annuels à plus de 100 000 €, l’occasion pour le tribun frontiste de se mettre en avant aux frais du contribuable, dans ce secteur plutôt déshérité des quartiers nord de Marseille. L’AFA s’étonne aussi de cette facture de 22 500 € payée à une entreprise pour l’organisation d’un cocktail sans la moindre mise en concurrence. Elle mentionne aussi la mise à disposition au maire et à plusieurs fonctionnaires de cartes carburants, largement utilisées pour leurs propres véhicules y compris pendant les périodes de congés, ce qui pourrait relever d’une qualification pénale de détournement de fonds publics. Le recrutement du propre fils de Stéphane Ravier comme contractuel jusqu’à sa titularisation, fait aussi tousser les magistrats de l’AFA…

Stéphane Ravier, alors maire du 13-14, présentant ses vœux le 11 janvier 2017 (photo © Patrick Gherdoussi / Divergence / Libération)

Mais d’autres mairies de secteur se sont aussi fait repérées par l’AFA, dont celle du 4-5, l’ancien fief du LR Bruno Gilles qui avait tenté de faire cavalier seul lors des dernières municipales. Les magistrats ont ainsi eu la surprise de constater que la mairie, outre sa tendance à recruter une armée pléthorique de collaborateurs de cabinet, avait pris l’habitude de distribuer des cadeaux à ses administrés, pour un montant global de plus de 170 000 € : qui a dit que l’argent public devenait rare ? Un marché avait ainsi été passé par la mairie de secteur pour acheter des confiseries, à hauteur de 20 000 €, histoire d’offrir des boîtes de chocolat aux administrés à choyer : on ne peut qu’être touché par tant de sollicitude !

Bruno Gilles, épinglé pour ses largesses à la mairie de secteur (photo © MaxPPP / France Bleu)

C’est l’amitié aussi sans doute qui a poussé l’ancien maire, Jean-Claude Gaudin, à garder auprès de lui certains de ses fidèles bien au-delà de l’âge limite de départ en retraite et à leur faire bénéficier d’un niveau de rémunération sans commune mesure avec ce que la loi autorise dans la fonction publique territoriale : jusqu’à 115 433,04 € par an selon l’AFA pour Claude Bertrand, son ancien directeur de cabinet, ce qui a d’ailleurs valu à ce dernier quelques heures de garde à vue en février 2021, dans le cadre d’une information judiciaire pour détournement de fonds publics.

A Marseille, une page est peut-être en train de se tourner après ces années folles marquées par des dérives bien éloignées de la notion même de service public…

L. V.

Nouvelle-Calédonie : les gros sabots de Macron

18 décembre 2021

Les Néocalédoniens ont donc décidé, le 12 décembre 2021, lors du troisième et dernier référendum prévu par l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, de rester français, à ceci à une large majorité de 96,5 % des suffrages exprimés. Le Président de la République, Emmanuel Macron, s’en est immédiatement félicité, estimant, un brin lyrique, : « Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester », tout en reconnaissant : « nous ne pouvons ignorer que le corps électoral est resté profondément divisé ».

Emmanuel Macron lors d’un déplacement en Nouvelle-Calédonie en mai 2018 (photo © Ludovic Marin / AFP / Les Echos)

De fait, les résultats de ce troisième référendum sont bien différents des deux précédents et laissent perplexe. Certains comme Jean-Luc Mélenchon considèrent d’ailleurs carrément ce vote comme « pas légitime » car entaché par une abstention massive, plus de 56 % des 185 000 électeurs appelés à y participer ne s’étant pas déplacés. Ce taux d’abstention n’a certes plus rien d’exceptionnel par les temps qui courent, celui observé en métropole lors du second tour des dernières municipales, en juin 2020, étant encore supérieur ! Pour autant, le contexte est ici bien différent. Lors du premier référendum qui s’était déroulé le 4 novembre 2018, le non à l’indépendance l’avait déjà emporté mais avec 56,7 % seulement des suffrages exprimé et un taux de participation supérieur à 81 %. Deux ans plus tard, le second référendum, organisé le 4 octobre 2020, voyait une mobilisation encore plus forte, de 85,7 % et une légère progression du vote indépendantiste, le non ne l’emportant plus qu’avec 53,3 % des suffrages exprimés et seulement 2000 voix d’avance.

Trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie mais un dossier toujours en suspens… (photo © Charles Baudry / Outremer 360)

Pour cette troisième consultation, le scrutin s’annonçait donc particulièrement serré et nombre d’Européens vivant en Nouvelle-Calédonie s’inquiétaient sérieusement d’une victoire possible du oui, susceptible de déboucher sur une indépendance où ils n’auraient plus forcément les coudées aussi franches. Mais en septembre 2021, l’archipel, jusque-là totalement épargné par la pandémie mondiale de Covid grâce à des mesures de protection assez drastiques, se retrouve confronté à une vague brutale de cas de Covid avec près de 300 morts enregistrés en quelques mois. Les Kanak, particulièrement touchés, mettent en avant ce contexte sanitaire défavorable pour demander un report du référendum, estimant qu’il ne peut pas se tenir dans de telles conditions, alors que de nombreuses familles sont préoccupées par les cérémonies de deuil, très importantes dans la culture kanake.

Mais le gouvernement a préféré passer en force et est resté totalement sourd à cette demande de report de quelques mois qui aurait probablement permis d’organiser ce suffrage dans de meilleures conditions. Confronté à un tel bras de fer, les indépendantistes du FLNKS et d’autres mouvements ont donc appelé, dès le mois d’octobre, au boycott, lequel a été scrupuleusement respecté par leur électorat, ce qui a conduit à cette situation totalement surréaliste au soir du 12 décembre : seules ou presque les populations d’origine européenne se sont exprimées, aboutissant à ce véritable plébiscite du refus de l’indépendance. Mais que vaut un référendum binaire si seuls les partisans d’une des deux options s’expriment ?

Panneaux électoraux lors du référendum de Nouvelle-Calédonie (photo © MaxPPP / Midi Libre)

Certes, l’histoire n’est probablement pas définitive, même si nombre de représentants des Caldoches expriment désormais bruyamment leur satisfaction et considèrent que l’affaire est entendue. Pour autant, les négociations vont devoir reprendre durant la période de transition de 18 mois qui s’ouvre désormais et qui doit aider à définir les modalités de gouvernance à venir, via la rédaction d’un nouveau statut pour l’archipel, lequel devra faire l’objet d’une adoption via un nouveau référendum. Les indépendantistes ont d’ores et déjà annoncé qu’il préféraient attendre, pour reprendre les discussions, le futur gouvernement dont la France devrait se doter à l’issue de la présidentielle puis des législatives du printemps 2022.

On n’a donc pas fini d’entendre parler de l’avenir de la Nouvelle Calédonie, cet archipel situé dans le Pacifique sud, à plus de 16 000 km de la France et un peu plus de 1 400 km des côtes australiennes ou de celles de la Nouvelle-Zélande. Ce territoire ne couvre qu’un peu plus de 18 000 km², soit environ trois fois le département du Var, mais donne accès à 14 % de l’espace maritime national et abrite la plus grande base militaire française dans le Pacifique, sans compter ses richesses en nickel qui représenteraient près du quart des ressources mondiales connues alors que ce métal est très utilisé comme alliage et pour la fabrication de batteries électriques, un marché en plein essor. La Chine s’intéresse d’ailleurs de très près à ce territoire qui pourrait aussi renfermer des ressources minérales sous-marines stratégiques sous forme d’hydrocarbures (gaz naturel et hydrate de méthane) et de nodules polymétalliques.

Exploitation de nickel en Nouvelle-Calédonie (photo © AFP / Sud Ouest)

Pour autant, les conflits interethniques rendent la situation sociale fragile sur cet archipel qui compte un peu plus de 270 000 habitants dont les deux-tiers sont concentrés dans l’agglomération urbaine de Nouméa, à l’extrémité sud de l’île principale. La population autochtone kanak est issue de vagues successives de navigateurs austronésiens provenant des Philippines, d’Indonésie et de Nouvelle-Guinée, qui auraient commencé à peupler l’archipel il y a environ 3000 ans. Les premiers européens à avoir accosté sont les Britanniques de l’expédition de James Cook, en 1774, qui donne d’ailleurs ce nom de New Caledonia à l’archipel. Les premiers comptoirs y sont installés à partir des années 1820 pour les besoins de la chasse à la baleine et aux tortues, mais c’est en 1853, sous Napoléon III, que la France s’installe pour fonder une nouvelle colonie et y ouvrir un bagne où seront déportés de nombreux communards (dont Louise Michel) mais aussi plusieurs milliers d’Algériens résistants à l’occupation française.

Volontaires kanaks s’engageant en 1941 dans le Bataillon du Pacifique (carte postale © source Ville de Nouméa)

Le statut de l’indigénat, adopté en 1887, est à l’origine de la création de véritables réserves où sont parqués les autochtones tandis que les colons européens s’emparent des meilleures terres pour y développer l’agriculture. La pression accrue de la métropole qui exige de ses colonies un effort de guerre en hommes et en ressources, déclenche en 1917 une violente révolte, sévèrement réprimée et qui préfigure les affrontements des années 1980. Une embuscade tendue par des militants caldoches aboutit en 1984 au massacre de 10 indépendantistes à Hienghène, dont 2 frères du leader du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou. L’acquittement des assassins par un jury d’Européens provoque un sursaut de colère fin 1987, qui débouchera en avril 1988, en pleine élection présidentielle, à la prise d’otage d’Ouvéa. L’assaut, décidé par Jacques Chirac malgré les réticences du Président François Mitterrand, est mené au lance-flammes et aboutit à un véritable massacre. Michel Rocard lui-même, qui sera à l’origine des accords de Matignon signés en juin 1988, confirme que des blessés kanak ont été achevés à coups de bottes après l’assaut par des militaires français.

Funérailles des militants kanaks tués suite à l’assaut de la grotte d’Ouvéa le 5 mai 1988 (photo © Rémy Moyen / AFP / Le Figaro)

Un contexte qui explique largement les tensions manifestement toujours vives entre la communauté kanak, dont se revendiquent plus de 110 000 résidents, et les européens caldoches (descendants de colons) ou « Zoreilles » (d’origine métropolitaine) qui totalisent un peu plus de 65 000 personnes, le reste de la population étant constituée de métis mais aussi d’habitants issus de nombreux autres pays, dont Wallis et Futuna, l’Indonésie, le Vietnam, la Chine et la Polynésie notamment. Un melting pot qui est encore bien loin de former une communauté unie et apaisée…

L. V.

Téléthon 2021 : Katulu joue sur le suspense…

13 décembre 2021

Cette année, comme à son habitude, le club de lecture « KATULU ? », composante du Cercle Progressiste Carnussien, a organisé dans le cadre de ses activités une séance publique, le 3 décembre 2021, consacrée à la présentation de romans sélectionnés par les lectrices sur le thème original : « Le suspense dans le roman ». Le détail des analyses est accessible : .

Présentation de Katulu ? le 3 décembre 2021 par Marie-Antoinette Ricard (photo © CPC)

En plus de l’intérêt littéraire de cette manifestation, le public a pu exprimer sa générosité au profit de l’AFM-Téléthon car cette séance était inscrite au programme des manifestations 2021 organisées par le Lions Club en collaboration avec la ville de Carnoux-en-Provence, suivie le lendemain par une vente publique de livres d’occasion, toujours au profit de l’AFM Téléthon.

Au cours de cette séance publique les lectrices de Katulu ? ont su faire partager les émotions esthétiques que révèlent ces romans à énigmes, romains noirs ou thrillers, pas forcément catalogués comme « romans policiers », qui questionnent sur notre identité, avec un style souvent direct ou décrivant des personnages originaux, nous entraînant dans des milieux interlopes aux langages particuliers, parfois même où l’auteur est un personnage du récit (reportage d’investigation) dont l’épilogue reste inquiétant.

Un public venu partager avec Katulu ? son goût pour le suspense dans les romans (photo © CPC)

Les six ouvrages suivants qui ont servi de support à cette lecture publique sont les suivants :

Trois jours et une vie de Pierre Lemaître (prix Goncourt 2013), présenté par Nicole Bonardo ;

Article 353 du Code Pénal de Tanguy Viel (Grand prix RTL-LIRE, prix François Mauriac), présenté par Marie Antoinette Ricard, également un roman à énigmes sur un suspens juridique ;

La Police de fleurs et de la forêt de Romain Puértolas (prix Jules Verne), présenté par Mireille Barbero, un roman à suspens loufoque ;

Paname underground de Zarca, présenté par Roselyne Salle, un roman noir argotique ;

Pars vite et reviens tard de Fred VARGAS (prix des libraires),présenté par Annie Monville San Nicolas, un roman policier d’atmosphère ;

Dans la peau d’une Djihadiste de Anna Erelle, présenté par Cécile Tonnelle, un récit, un reportage d’investigation qui se lit comme un thriller.

A l’issue de cette séance, un apéritif offert au public a permis de commenter, à loisir, les impressions sur ces romans et récits dans une ambiance conviviale.

Trois jours et une vie

Pierre Lemaitre

C’est Antoine, le héros de ce roman, il a douze ans et il vient de tuer Rémi son ami sept ans… La force du roman est dans cetragique. Il a suffi de trois jours : la mort d’un chien, un orage violent, une catastrophe naturelle l’événement grain de sable, pour que tout bascule, que le destin tranquille d’Antoine s’efface.

Ce roman opère sur nous le charme de son genre. Il s’agit d’un polar, un roman noir, à la facture originale car nous détenons le secret dès les premières pages. L’auteur installe une complicité entre nous et le héros. Il nous plonge dans la sidération parfaite face à ce mal absolu, ce crime qui s’incarne dans un enfant à la gueule d’ange et la mort injuste du petit Rémi. Le suspense ici n’est pas de trouver l’auteur du crime mais de côtoyer, regarder, juger Antoine et le monde qui l’entoure.

Lemaître nous met face aux limites de nos choix, à l’ambiguïté de nos sentiments, aux paradoxes de nos opinions, il ajoute dans son récit le poids des secrets et des hasards qui justifient autant nos conduites que nos jugements. A travers « Trois jours et une vie » il éveille donc tour à tour indulgence, pardon, sanction, doute, émotion. Il nous plonge ainsi dans un suspense psychologique.

Le roman décrit l’ennui, la misère d’une ville de province. Il pose son regard sur les conflits de classes d’une société étriquée au fond d’une province pauvre, cancanière. Il jette un œil ironique sur les autorités locales : maire, médecin, curé, gendarmes, tous empêtrés dans leurs rôles et aveugles finalement devant la vérité qui est là tout près d’eux : ils ne découvrent pas le criminel ! Comment soupçonner Antoine élevé sans père, bon élève, bon fils d’une mère besogneuse, la sage Mme Courtin. Comment le condamner ?

Ce roman présente donc un criminel très ordinaire dans petite ville banale. Le roman à travers sa galerie de portraits montre ici toute sa richesse réaliste et ironique et nous tend un miroir de nos sociétés. L’art de Pierre Lemaître est de semer tels des petits cailloux, les détails, les faits petits et grands qui causent en cascade une série de troubles et de rebondissements. Il relate des actes de la vie quotidienne qui ailleurs seraient sans conséquence et qui ici déclenchent des tragédies. L’auteur tout au long du récit va ainsi faire surgir péripéties et incidents, autant d’obstacles à l’éclosion de la vérité. Antoine finira-t-il par être confondu, puni ? La force de ce roman est dans ce mouvement lent des rebondissements inattendus. Cette curiosité bouleversée par l’ordre du monde qui nous échappe.

A travers cette histoire Lemaître pose non seulement un regard sombre sur nos défaillances : Police, Justice, Église, Morale, nos petits arrangements, nos lâchetés, nos compromissions. Mais aussi notre fragilité avec cette part irréductible de hasards qui pèse sur nos destins, cette part de fatalités, de déterminisme. Il nous rappelle qu’il suffit de peu, de rien pour nous faire basculer vers l’insondable, vers l’irrésistible. La conscience veille mais la justice est-elle passée pour autant ?

Nicole B

Article 353 du Code Pénal

Tanguy Viel

Le décor est posé dès les premières pages : le meurtre… ou l’accident ? Un bateau de 9 m, à 5 milles des côtes. A son bord deux hommes dans la cinquantaine relèvent des casiers à homard. L’un d’eux tombe à l’eau. L’autre Martial Kermeur pousse la manette des gaz, rentre au port… et attend la gendarmerie.

Le récit est vif, direct et le lecteur s’investit dans l’histoire. Puis c’est l’accusé face au juge : un long monologue. A la première personne il parle au juge, il se parle à lui-même. Il explique, il constate, se dévoile, garde ses secrets. Une écriture adaptée au personnage : un quinquagénaire, ouvrier licencié des chantiers navals, courageux, bosseur. Par petites touches et longues phrases on découvre le pourquoi et le comment des usures quotidiennes.

Ce roman, on pourrait le qualifier de roman social dans la France des années 80, les années « fric » et la question : la violence physique est-elle légitime face à la violence des puissances de l’argent ? Pour comprendre l’épilogue, il faut lire la narration de la désindustrialisation d’une région, de la lutte des ouvriers, le marasme, la déchéance, la honte collective et personnelle. Cet épilogue c’est l’impression de la marée montante qui avance calmement mais inexorablement balayant tout sur son passage, comme une revanche, la revanche sur le monde de l’argent, sur le capitalisme aveugle broyeur des hommes et des âmes.

« Quand je regarde la mer depuis la fenêtre de ma cuisine, quand je respire l’air libre de la mer qui se prosterne en contrebas, je récite à voix haute les lignes de l’art. 353, comme un psaume de la bible écrit par Dieu lui-même, avec la voix du juge qui résonne encore à mes oreilles, lui, me regardant plus fixement que jamais, disant, un accident, Kermeur, un malheureux accident. »

Un livre d’une force et d’une intensité impressionnantes non seulement par les idées qu’il défend mais aussi par son style d’écriture.

Marie-Antoinette

La police des fleurs, des arbres et des forêts

Romain Puértolas

Romain Puértolas est capitaine de police. Son premier roman « L’extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire » a tenu, plusieurs semaines, la première place des livres les plus vendus. Publié dans 50 pays il a été adapté au cinéma en 2018.

Il ne faut pas se fier au titre de « La police des fleurs, des arbres et des forêts », publié en 2020, titre qui s’annonce comme le premier alexandrin d’un sonnet bucolique. Il est préférable de se concentrer sur le mot police, car il s’agit bien d’une enquête ouverte suite à la découverte du corps démembré d’un certain Joël, 16 ans, retrouvé dans la cuve d’une usine de confiture, seule industrie d’un petit village perdu quelque part en France.

Dès le départ on est étonné par la placidité et l’émotion mesurée des villageois face à un crime aussi affreux. Joël était un être atypique ! Il fuguait souvent, habitait chez l’un chez l’autre, disparaissait, reparaissait. On évoque une certaine maltraitance de la part de l’un de ses hébergeurs. L’assistant du jeune policier n’est autre que le garde-champêtre, amateur d’herbier plutôt que d’enquêtes criminelles. On apprend que c’est le vétérinaire qui a réalisé l’autopsie et qui a fait enterrer Joël.

Techniquement, sur le déroulement de l’enquête rien ne choque. On sent le policier percer sous l’écrivain, cela donnant une certaine crédibilité à l’affaire plutôt déroutante, en augmentant la perplexité du lecteur. Grâce à la vitalité et à la spontanéité des personnages, on se plaît de plus en plus dans cette enquête burlesque, dans ce village perdu sans nom, comme le pauvre Joël, sans parents et sans nom de famille. L’inspecteur tombera sous le charme de la fleuriste qui va lui donner quelques leçons de botanique, entre autres. L’amour sèmera des pétales de gaillarde, belle fleur rouge sombre à pointes jaunes qui, par le fruit du hasard savamment dirigé, sera la pièce à conviction qui permettra à l’inspecteur de dénouer l’affaire.

L’auteur a semé des indices volatiles tout au long d’une histoire déroutante, ambiguë, d’une enquête improbable, brouillant les cartes sans cesse. Cependant dès les premières pages on était prévenu : une histoire policière pas comme les autres… la découverte du coupable n’est pas… disons… le plus important… il y a une grande surprise à la fin. Oui il y a une surprise qui ne tient pas dans un pochette mais plutôt dans un chaudron de confiture. Attention si vous y mettez le doigt vous irez jusqu’au bout sans répit.

Mireille

Paname underground

Zarca

Paname underground paraît en 2017 aux éditions La Goutte d’Or sous une couverture élégante, jaquette noire et bande rouge, qui évoque la couverture de la célèbre série noire Gallimard. L’année suivante, le prix de Flore attribué à un jeune écrivain prometteur assure le succès du livre et de la nouvelle maison d’édition créée pour la circonstance par trois copains. L’un d’eux est l’auteur. Il a trente ans et s’appelle Johann Zarca.

A vingt ans, il a quitté sa banlieue bourgeoise de Bry-sur-Marne pour une école parisienne de journalisme qu’il l’abandonne rapidement. Il vit de petits boulots, fréquente le Bois de Boulogne by night et y trouve la matière de son premier roman en langue argotique : Le Boss de Boulogne paru aux éditions Don Quichotte en 2013. Et pourquoi pas un guide des quartiers chauds de Paname?

A l’instar de ses prédécesseurs et « pour palper du blé en scratchant vite fait un petit guide » Zarca plonge dans ce Paris des travailleurs ou des loosers, ce « Paname underground » sans arrondissement défini. Il est à l’écoute d’une population bigarrée causant l’argot parisien. Il part de Saint-Denis street où marnent des gagneuses surveillées par leurs macs. Il loge un temps au Love Hôtel où le rejoint parfois la jolie tapineuse Dina, « sa pote, son amie et plus que ça ». Puis en cémer, en bécane, en tromé, il trace avec ses soces, s’arrache, jacte avec ses potos et enfin les interroge parce qu’« un man a essaye de le fumer! Il s’est arrêté en bécane a sorti un brelic et lui a tiré dessus ».

Il s’inquiète plus encore en apprenant que Dina est aux urgences. Se précipite à Lariboisière où Dina agonise d’une overdose, à cause d’une piquouze dans le bras. Impossible ! Elle ne touchait pas à l’héroïne ! Alors qui a voulu sa mort ? Il part pécho des renseignement. Il traîne à Belleville chez les lascars ennemis des vendeurs de fringues de Besbar, prolonge vers la Chapelle où zonent les toxicos et où s’approvisionnent les drogués des beaux quartiers. Seul, il va chercher le coupable.

Il traverse la Seine et pénètre dans les backrooms de Montpar et de Saint-Mich où, grâce à Seb, un vieux copain du Val de Marne, il visite les fachos et les néonazis qui s’encanaillent dans leurs vestes cossues et avec leur « portecase » de luxe. Il repart rive droite pour assister à Auber à un combat interdit au milieu d’un cercle de fans. Les parieurs sont des renois, des rebeus et des toubabs. Du nord au sud et même aux Catacombes, il chasse l’indice, mais rien.

Enfin dans son cerveau embrumé se fait un lien. Pour Zarca, c’est la déglingue, l’écœurement ! Il a pas besoin des Keufs. Il tient la vérité, veut rendre justice. Alors au calibre, au surin, en combat singulier, « l’écrivain » dessoude tous les responsables de la disparition de Dina. C’est glauque, voir bien dégueu… Mais on est prévenu au début du roman.

L’auteur ne fait pas de psychologie fine, pas de sentimentalisme. L’histoire de Dina n’est que le fil rouge qui introduit une déambulation dans la capitale. Les faits bruts s’accompagnent de dialogues sommaires entre des individus appartenant à un groupe. Chaque groupe humain est une entité subissant les aléas chaotiques d’une vie marginalisée. Leur langage argotique très naturel et très moderne adoucit la brutalité du récit. C’est un voile jeté sur la dureté d’une vie difficile sans possibilité et sans espoir. Le vrai sujet d’un livre qui attire sans séduire. Cimer Zarca pour ce renouvellement du roman noir. Tu as bien mérité ta parution en Poche. Bravo, Mec.

Roselyne

Pars vite et reviens tard

Fred Vargas

Fred Vargas est le pseudonyme, évoquant Ava Gardner dans la « Comtesse aux pieds nus », de Frédérique Audoin-Rouzeau. Elle écrit depuis 35 ans. En 2008 elle battait un record : plus d’un million de ses ouvrages étaient vendus. «Pars vite et reviens tard », paru en 2001, a reçu le prix des lectrices de Elle et le prix des Libraires.

L’histoire se passe sur la place Edgard Quinet à Montparnasse. Un vieux marin, Joss Le Guern, y a pris l’habitude de lire des nouvelles qu’on lui glisse dans une boite aux lettres fixée à un tronc d’arbre. Les gens du quartier y proposent des trucs à vendre (œufs, meubles, livres…). On y pose des questions, on s’engueule entre voisins, on y fait des développements pseudo-philosophiques.

Soudainement le ton des nouvelles change : on y sent une angoisse qui monte. Les textes parfois en latin ou en ancien français prédisent des catastrophes imminentes. La police va s’en mêler et c’est là qu’on va découvrir un commissariat parisien avec ses flics plus ou moins originaux :(personnages principaux de tous les romans suivants de Fred Vargas). A sa tête, Jean-Baptiste Adamsberg, rêveur pyrénéen, à la vie sentimentale déglinguée qui flaire la solution de l’enquête en flânant sur les bords de Seine. Son adjoint, Adrien Danglard, un veuf, père de cinq enfants qui noie sa solitude dans le vin blanc. Et puis tous les autres, Violette Retancourt la fidèle enquêtrice, Veyrenc qui s’exprime en alexandrins etc…

L’enquête se poursuit avec ses innombrables digressions entre Provence, Normandie ou Québec. L’angoisse monte encore avec l’apparition de signes cabalistiques sur les portes de certains immeubles dont un 4 inversé qui inquiète le quartier.

Je ne veux pas vous en dire plus ni déflorer la conclusion qui, je vous l’assure, sera cataclysmique, mais je vous conseille de commencer par ce roman si vous ne connaissez pas encore Fred Vargas qui a le don de croquer une série de marginaux, clodos, misanthropes de la plus belle eau ! Ce qui fait selon moi, le charme essentiel de son écriture.

Annie

Dans la peau d’une djihadiste

Anna Erelle

Anna Erelle est l’auteur de ce livre, mais ce n’est pas sa vraie identité. Elle est journaliste ou plus exactement pigiste dans deux journaux parisiens. Elle est chargée de rendre compte de ce que vivent les familles dont les enfants sont partis en Syrie. A la suite d’un échec de diffusion d’un article qu’elle avait écrit, cette journaliste décide d’essayer elle-même de se faire passer pour une jeune fille convertie récemment à l’Islam sous le nom de Mélodie et de prendre contact avec Daech par Internet, ceci en accord avec la direction de son journal.

Elle va tomber de façon extrêmement rapide et facile par Internet sur un chef djihadiste qui va la harceler, nuit et jour, la féliciter pour sa beauté, lui promettre très rapidement le mariage et la vie facile en Syrie en accord avec l’Islam, avec la soumission de la femme et évidemment la guerre contre les impies. Elle se dédouble : Mélodie, la jeune fille en mal de trouver une raison de vivre qui va très vite être dominée par ce garçon et la journaliste Anna qui cherche à approfondir la technique de recrutement d’une jeune fille par un djihadiste chevronné, imbu de lui-même et sûr de lui dans sa faculté de séduction.

Le livre détaille les relations qui se nouent par skype entre cette pseudo jeune fille de 20 ans et cet homme de 38 ans. Les rendez vous se passent en présence d’un photographe du journal qui se tient en dehors du champ de la caméra de Mélodie. Le récit se déroule pendant un mois très intense que la journaliste va vivre de façon schizophrène. A plusieurs reprises, son photographe veut la persuader d’arrêter ce reportage. Elle refuse et veut aller jusqu’au bout. Comme on s’en doute, Bilel découvre qu’il a été roulé et entre en furie noire contre Mélodie à qui il envoie des messages de haine. Anna devra donc se cacher, pour éviter de possibles représailles.

Un livre qui se lit très vite comme un thriller, avec des moments très intenses pour ne pas soulever de soupçons du côté de Bilel, la chambre, les bruits divers et surtout quand elle est à Amsterdam pour rejoindre la Syrie où tout doit être improvisé avec les mesures nécessaires pour ne pas pas être repéré  : les téléphones, les réseaux… Ce livre met bien en évidence le rôle de première importance que jouent les réseaux sociaux auprès des jeunes prêts à vivre une aventure qui va les sortir de la morosité de leur vie, de leur non reconnaissance par leur entourage, répondant à des arguments finalement relativement peu convaincants pour des personnes adultes… Comment lutter contre ces enrôlements que l’on sait très importants, quand on voit aujourd’hui qui sont les auteurs des attentats de ces dernières années ?

Cécile

Chute de météorite ou l’accident improbable

10 décembre 2021

Comme chacun sait, nos ancêtres les Gaulois ne craignaient qu’une chose, que le ciel leur tombe sur la tête. Une crainte a priori pas totalement injustifiée quand on sait que plusieurs dizaines de milliers de météorites d’une masse supérieure à 10 g viennent percuter annuellement le sol de notre planète, ce qui représente en moyenne une masse totale de l’ordre de 40 tonnes susceptible de s’abattre sur notre tête chaque année. Sans compter bien évidemment les micrométéorites, ces poussières d’étoiles qui ressemblent à de la cendre de cigarettes, qui croisent en permanence la trajectoire de la terre mais dont l’essentiel est consumé dans l’atmosphère.

Un dessin signé Besse, publié par Marianne le 18 novembre 2021

Bien évidemment, la plupart de ces météorites ou astéroïdes qui viennent ainsi régulièrement heurter notre planète ne présentent pas de danger, même s’il ne soit pas exclu qu’ils aient été à l’origine d’événements cataclysmiques par le passé, car ils ont toutes les chances de s’abattre dans la mer, qui couvre les deux-tiers de la surface terrestre, ou sur des zones désertiques puisque les espaces urbanisés ne représentent finalement qu’environ 3 % de la superficie du globe. On dénombre pourtant, bon an mal an, entre 5 et 25 chutes de météorites dûment observées et qui sont donc susceptibles de causer des dégâts.

De là à recevoir une telle météorite sur la tête, ce serait vraiment jouer de malchance… Mais pourtant, il semble que le cas se soit déjà produit, et sans doute même à de multiples reprises. L’exemple le plus récent, bien que faisant l’objet de controverses, notamment de la part de la NASA, remonte au 6 février 2016. Un chauffeur de bus indien, du nom de Kamaraj, a été tué ce jour là alors qu’il se promenait sur le campus d’une université près de Natrampalli, dans l’État indien du Tamil Nadu, et trois autres personnes ont été blessées aux alentours où les vitres des bâtiments les plus proches et celles d’un bus scolaire ont été brisées par le souffle.

Investigation autour du cratère d’impact où un homme a été tué le 6 février 2016 (source © KK Productions / ABC news)

Il n’a pas été retrouvé de traces d’explosif sur le site, ce qui exclut a priori la thèse de l’attentat, et les témoins racontent avoir entendu un bruit strident et vu un objet volant « ressemblant à un drone ». Les enquêteurs ont aussi retrouvé sur les lieux de l’accident, dans le cratère de 60 cm de profondeur, des pierres étranges, dont un fragment de 11 g, qui pourraient s’apparenter à des restes de météorites. Un impact similaire avait d’ailleurs été signalé peu auparavant, le 26 janvier 2016 à Alangayam, un autre village du même district de Vellore.

Sur la base des calculs statistiques faits par les spécialistes, être ainsi frappé par une météorite est très improbable. Mais il semble bien que ce chauffeur indien ait été victime d’un karma particulièrement défavorable…

Pour autant, l’histoire récente fait état d’autres personnes qui ont été percutées par un bout de météorite. C’est le cas notamment d’Ann Elizabeth Hodges qui avait été réveillée en sursaut alors qu’elle faisait tranquillement la sieste sur son canapé dans sa maison de Oak Grove, un faubourg de Sylacauga, en Alabama. Ce 30 novembre 1954, par une belle après-midi d’automne, de nombreux témoins observent la boule de feu qui traverse le ciel et se fragmente. Un des morceaux, de la taille d’un ananas de près de 4 kg traverse le toit de la maison de Mme Hodges, vient rebondir sur un meuble avant de réveiller en sursaut la propriétaire des lieux qui s’en tire avec de graves contusions. Le fragment de météorite, réquisitionné par l’United States Air Force, est désormais exposé au Museum d’histoire naturelle de l’Alabama, après avoir fait l’objet d’un contentieux avec les propriétaires des lieux qui voulaient le vendre aux enchères pour payer les réparation de leur toit…

Ann Hodges avec le morceau de météorite qui l’a percutée dans son canapé (source © Alabama Museum of Natural History)

On cite aussi dans les annales le cas d’une malheureuse vache tuée net le 15 octobre 1972 sur les terres de la ferme El Tinajero, près de Valera, au Vénézuela. Ce jour-là, les témoins observent une lumière brillante accompagnée d’une déflagration, et le lendemain matin, le fermier découvre sa vache morte à proximité de trois fragments de météorites dont le plus gros pèse pas moins de 38 kg. De là à penser que le pauvre Karamaj, décédé en 2016, serait une réincarnation de la vache d’El Tinajero, l’hypthèse ne semble même pas avoir été examinée par les scientifiques…

En revanche, des chercheurs ont découvert, en avril 2020 selon la revue Meteoritics & Planetory Science, en fouillant dans des archives de la Présidence de la République de Turquie, trois vieux manuscrits qui font état de rapports très circonstanciés adressés par le gouverneur de Sulaymaniiyah, actuellement en Irak, à Abdul Hamid II, alors sultan de l’empire ottoman. Ces documents expliquent que le 22 août 1888, une boule de feu a embrasé le ciel à proximité de la ville, sans doute du fait de l’explosion dans l’atmosphère d’une météorite. Pendant quelques minutes, les témoins ont vu une pluie de météorites s’abattre sur une colline. Un homme en est mort et un autre est resté paralysé, touchés par les impacts car au mauvais endroit, au mauvais moment… Les champs aux alentours auraient aussi subi des dégâts importants mais l’échantillon de météorite qui était supposé accompagner le rapport manuscrit reste introuvable à ce jour.

Des boules de feu dans le ciel… (photo © Aliaksandr Marko / Adobe Stock / Futura Science)

L’Histoire a aussi retenu le cas d’un chien qu’un marchand aurait vu se faire pulvériser en 1911 à Nakhla en Egypte, probablement sous l’impact d’une petite météorite. En juin 2009,un jeune Allemand de 14 ans, Gerrit Blank, a aussi raconté avoir vu une boule de feu dans le ciel avant de ressentir une violente douleur à la main où un fragment de météorite de la taille d’un petit pois l’a frôlé, lui laissant une petite cicatrice, avant de finir sa course dans le bitume où les scientifiques ont pu le récupérer pour l’analyser.

Des événements bien anodins comparés à celui qui s’est produit le 15 février 2013, dans le sud de l’Oural, lorsqu’un météore de 15 à 17 m de diamètre, pesant probablement autour de 12 000 tonnes, s’est fragmenté dans l’atmosphère, créant une onde de choc qui a causé de nombreux dégâts dans la ville de Tcheliabinsk, une métropole de plus d’un million d’habitants. Le toit d’une usine a été fortement endommagé et des milliers de vitres ont été soufflées, blessant plus de 1 000 personnes, principalement du fait des éclats de verre.

Trace dans le ciel du passage de la météorite de Tcheliabinsk, en Russie, le 15 février 2013 (photo © Alex Alishevskikh / Futura Science)

Un siècle plus tôt, le 30 juin 1908, une gigantesque explosion avait été observée dans la taïga sibérienne, dans un secteur de collines boisées drainées par la Toungouska pierreuse, un affluent de l’Ienisseï. Quelques éleveurs de rennes autochtones ont vu passer une énorme boule de feu dans le ciel, peu avant l’explosion qui s’est produite à une soixantaine de kilomètres de Vanavara.

Arbres soufflés par la comète de la Toungounska en 1908 (source © Astrosurf / Luxorion)

L’absence de cratère observé laisse encore planer des doutes sur la nature de cet évènement qui pourrait cependant être lié à l’impact d’une comète s’étant désagrégée dans la basse atmosphère. Toujours est-il que la déflagration qui s’en est suivie est estimée à 1000 fois celle de la bombe d’Hiroshima et qu’elle a totalement détruit la forêt sur un rayon de 20 km.

De quoi alimenter les fantasmes de ceux qui redoutent la chute inopinée d’une météorite géante sur une mégapole : c’est peu probable, mais pas totalement exclu…

L. V.

Trafic induit ou évaporé : peut-on se passer du BUS ?

8 décembre 2021

Le BUS, ou boulevard urbain sud, c’est ce vieux serpent de mer qui échauffe les esprits depuis des années et provoque des crispations entre la Ville de Marseille et la Métropole. Destiné à prolonger la L2 pour achever le contournement Est de Marseille que les automobilistes appellent de leurs vœux depuis des décennies, le BUS est supposé relier, par une voie rapide de 8,5 km de longueur, la L2 et l’A50, au niveau de l’échangeur Florian, jusqu’au secteur de Pointe Rouge sur le littoral.

Un vieux projet dans les cartons depuis 1933 mais qui a connu un brusque coup d’accélérateur avec la création de la Métropole Aix-Marseille-Provence qui, en accord avec l’ancienne municipalité de Jean-Claude Gaudin, en avait fait un de ses objectifs emblématiques. Gauche et droite s’étaient copieusement écharpées à ce sujet durent la campagne des municipales début 2020. Sitôt arrivée à la tête de la mairie, la nouvelle majorité s’est donc mise en tête de moduler la suite des opérations en revenant, dès le 9 juillet 2021, sur la décision de l’ancienne municipalité de mettre à disposition les parcelles communales nécessaires à la poursuite des travaux de cette rocade urbaine à grand gabarit.

Carte des parcelles mises à disposition par la Ville à la Métropole pour les derniers tronçons du futur Boulevard urbain sud et gelées au Conseil municipal du 9 juillet 2020 (source © Marsactu)

Débutés en 2017 avec la construction d’un nouveau pont sur l’Huveaune, avant même la mise en service de la L2 survenue en octobre 2018, les travaux avaient permis d’ouvrir à la circulation, dès le 1er juillet 2020, une première section jusqu’au chemin du Vallon de Toulouse, les travaux se poursuivant actuellement sur toute la tranche 1, de 3 km, entre l’échangeur Florian et le boulevard de Sainte-Marguerite.

Vue aérienne du chantier du Boulevard urbain sud au droit de la tranchée couverte sud près de la rue Verdillon (source © Métropole AMP)

Certes, il ne s’agit plus d’une simple autoroute urbaine comme la L2, mais d’un large boulevard qui facilitera aussi la circulation des transports en commun. Pour autant, les principales critiques apportées à ce projet, outre le fait qu’il fera définitivement disparaître certains espaces naturels et agricoles résiduels situés le long de son tracé, est qu’il va contribuer à drainer davantage de voitures dans ce secteur déjà chroniquement saturé. Bien entendu, les défenseurs du projet, Lionel Royer-Perreaut en tête, soutiennent le contraire, en assurant que la création de ce nouvel axe urbain va désengorger tout le quartier et régler comme par enchantement les bouchons récurrents.

Esquisse du futur Boulevard urbain sud au niveau du boulevard Paul Claudel (source © Lettre Info Travaux)

Sauf que la réalité n’est pas aussi simple, comme l’ont montré depuis des années les très nombreuses analyses effectuées sur l’impact de ce type de projet dans le monde et qui sont résumés de manière très pédagogique dans un article publié le 29 novembre 2021 dans The Conversation, par deux brillants urbanistes français, Frédéric Héran et Paul Lecroart.

Dès 1961, la sociologue Jane Jacobs avait parfaitement décrit l’impact majeur du trafic automobile dans les grandes villes américaines. En s’appuyant sur l’exemple du grand axe routier qui traversait le parc Washington à New York, elle avait montré que la fermeture, initialement temporaire, de cette voie, au lieu de provoquer les embouteillages monstres que prédisait le maire de l’époque, avait engendré une baisse significative de la circulation automobile dans tout le secteur, comme si les voitures s’étaient évaporées…

Le trafic induit : un concept facile à observer… Un dessin signé Côté (source © Grenelle Annecy)

Depuis, cette observation a été confirmée à de multiples reprises partout dans le monde et constitue désormais un fait acquis, même si les modèles de simulation de trafic peinent encore à l’intégrer car il mobilise des évolutions comportementales complexes. Schématiquement, chaque fois que l’on augmente les capacités de circulation automobile dans un secteur chroniquement embouteillé, soit en élargissant la voie, soit en en créant une nouvelle, cela contribue à attirer un trafic supérieur à celui modélisé par simple report.

Ce trafic supplémentaire « induit » provient du fait que les usagers, profitent de cette nouvelle voie de circulation pour augmenter leurs déplacements. Ainsi, toute nouvelle autoroute urbaine rend plus aisés les déplacements quotidiens vers la périphérie, favorisant l’étalement urbain, et incitant les habitants à faire leurs courses dans les centres commerciaux excentrés et à s’installer dans des banlieues plus lointaines où le foncier est plus accessible et le cadre de vie plus agréable.

Embouteillages : les rocades urbaines ne font que concentrer le problème en drainant toujours davantage de circulation… (photo © Reuters / Le JDD)

Inversement, lorsque l’on réduit, accidentellement ou volontairement, la capacité d’une voie de circulation, on se rend compte qu’une partie du trafic routier disparaît purement et simplement, comme s’il s’évaporait (les spécialistes parlent de « trafic déduit »). Du fait de l’allongement des temps de transport, certains usagers se reportent sur d’autres modes de déplacement, dont la marche et le deux-roues, et à plus long terme, rapprochent leur lieu d’habitation des centre villes.

Depuis les années 1990, ce phénomène est parfaitement connu de tous les urbanistes, sauf peut-être de certains élus des quartiers sud de Marseille, qui restent accrochés au mythe de la voiture en ville, cher à Georges Pompidou à la fin des années 1960. Le développement des transports en commun en site propre, sous forme de tramways, souvent accompagné par une requalification des grands axes urbains se traduit généralement par une forte restriction de la circulation automobile, et ceci dès les phases de travaux.

La requalification des voies urbaines pour faire passer le tramway s’accompagne d’une réduction de la place laissée aux voitures, ici le T6 à Bron en région lyonnaise (source © Transports urbains)

Depuis plusieurs décennies, cette démarche s’est généralisée dans toutes les grandes agglomérations françaises et partout, cela s’est traduit par une réduction significative des déplacements urbains en voiture et un report massif sur d’autres modes de déplacements moins polluants, à conditions de développer en parallèle des transports en commun performant et de favoriser les déplacements en mode doux.

C’est désormais l’enjeu auquel est confronté l’agglomération marseillaise, avec un peu de retard sur nombre d’autres métropoles françaises, mais mieux vaut tard que jamais, à condition de ne pas s’arc-bouter sur des fausses illusions du passé…

L. V.

Que nous enseigne l’histoire ?

6 décembre 2021

Au XIXe siècle, l’Afrique constitue l’enjeu principal de la rivalité coloniale franco-britannique. Le contrôle du haut Nil dans l’actuel Soudan provoque l’incident de Fachoda à l’automne 1898. A cette date, la France s’est lancée dans la « course au Tchad », pour relier le Maghreb aux territoires conquis en Afrique équatoriale et occidentale. Jusqu’en 1914, les deux puissances constituent en Afrique deux blocs quasi continus. Les autres nations européennes se partagent ce qui reste du continent africain. En 1914, seul le Liberia constitue un état indépendant car l’Éthiopie est placée depuis la fin du XIXe siècle sous protectorat italien.

Carte de l’Afrique en 1914 (source © Jacques Leclerc, 2014)

Pourquoi afficher ces cartes en 2021 ? Parce que quand certaines personnes, souhaitant candidater à de hautes fonctions comme la Présidence de la République, disent, en parlant des Africains, qu’« ils devraient rester dans leur pays », il est difficile de ne pas se rappeler qui a commencé à aller dans le pays des autres !

Comme le développe l’historien Pascal Blanchard, « jusqu’en 1870, la France est un pays qui se construit surtout dans son hexagone ; elle est en train de fédérer l’idée de nation, de citoyenneté et les frontières de son rayonnement. La question coloniale est certes présente, mais pas omniprésente, malgré la conquête de l’Algérie en 1830, et celle de plusieurs autres territoires, associés notamment sous le Second Empire aux vieilles colonies. Depuis la Révolution de 1789, la France essaie de bâtir ce qu’on pourrait appeler l’identité française. Et puis arrivent la défaite de Sedan (1870) et la nécessité de trouver une nouvelle forme de nationalisme et de grandeur de la France pour les tenants de la IIIe République naissante. C’est la période de l’apogée des empires coloniaux européens, c’est le moment où il y a une forme de concurrence entre la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre, l’Italie. On peut y voir, pour la France une sorte de revanche après la défaire de Sedan en 1870 !

Composition de géographie dans une classe de fin d’études du Premier degré, samedi 25 février 1933. Sujet : La carte de l’Afrique du Nord

Se fabrique alors une forme d’idéal national, de grandeur patriotique qui peut se construire ailleurs, dans les espaces coloniaux. La IIIe République, non sans de vrais débats, engage une politique coloniale. La Première Guerre mondiale est un déclencheur absolu : c’est la preuve que l’Empire (grâce à ses richesses, mais surtout grâce aux combattants qui peuvent être mobilisés) permet de prendre sa revanche face à l’Allemagne et qu’il peut apporter une puissance économique à la Nation. Cela donne naissance à une nouvelle forme de nationalisme. La victoire de la Grande Guerre donne raison à ceux qui prônaient l’expansion coloniale ».

Les populations de l’Empire colonial ont contribué à la victoire de la Guerre de 1914-1918

L’Armée d’Afrique était l’un des plus importants contingents, principalement avec ses unités militaires venues d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Le recrutement concernait aussi l’Afrique noire. Ces hommes vaillants et courageux étaient souvent envoyés en première ligne. Ils ont participé à de nombreuses batailles historiques, comme celles de la Somme ou de Verdun, et leur sacrifice mérite d’être honoré. De 1914 à 1918, un peu plus de 800.000 indigènes ont été enrôlés comme soldats ou comme travailleurs dans l’ensemble des territoires constituant l’empire colonial français (Afrique, Indochine, notamment). Près de 57.000 d’entre eux ont été tués et plus de 14.000 portés disparus.

Tirailleurs sénégalais en 1914-18 (source © carte postale Phot-Express 1915 / Gusmann / Leemage / France TV Info)

L’Armée d’Afrique dépendait de l’armée française et était composée de plusieurs corps d’armée. Parmi les plus célèbres, il y avait les Tirailleurs algériens et marocains, les Spahis, les Zouaves, les Goumiers marocains, la Légion étrangère ou encore les Chasseurs d’Afrique. L’Armée d’Afrique est une force de l’armée française au même titre que la Coloniale (troupes coloniales).

Tirailleurs sénégalais au campement pendant la guerre de 1914-18 (source © Senenews)

Ainsi, les tirailleurs algériens et marocains étaient pour l’essentiel des musulmans encadrés par des officiers français. Les spahis étaient à l’origine des cavaliers indigènes mis au service de la France dès 1830 (conquête de l’Algérie). Les zouaves étaient des soldats algériens originaires de Kabylie qui constituaient des unités d’infanterie légère au sein de l’Armée d’Afrique. Il existait aussi un régiment d’infanterie coloniale du Maroc composé de goumiers et de tabors. Le terme Goum signifie compagnie et Tabor signifie bataillon. Les tirailleurs sénégalais, contrairement à ce que l’appellation pourrait supposer, étaient recrutés dans plusieurs pays de l’Afrique Occidentale française, qui regroupe les actuels Sénégal, Côte d’Ivoire, Bénin, Guinée, Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie et Madagascar. Tous ces contingents étaient placés sous commandement français.

Troupes de tirailleurs sénégalais en compagne pendant la guerre de 1914-18 (source © Pierre Pansier / ECPAD / Défense / Paris Match)

L’Afrique du Nord n’a pas seulement contribué à l’effort de guerre dans les tranchées mais a aussi fourni des milliers de bras pour les usines. « Durant quatre ans, l’Afrique du Nord va envoyer 180 000 travailleurs en métropole, dont beaucoup vont rester sur place après la fin des hostilités. 100 000 Algériens et 40 000 Marocains ont été envoyés en France métropolitaine, essentiellement dans les grandes villes comme Paris, Marseille, Lyon et Saint-Etienne, mais aussi quelquefois dans les campagnes, afin de remplacer la main-d’œuvre masculine partie au front. Les premiers quartiers historiques maghrébins de France se sont constitués à cette époque : la Goutte-d’Or à Paris ou encore Vénissieux à Lyon. C’est de la Première guerre mondiale que date l’immigration maghrébine en France ».

Une contribution majeure lors de la deuxième guerre mondiale (1939-1945)

Vingt ans plus tard, en mai 1940, ce sont environ 300 000 soldats nord-africains et autant des autres « colonies » qui sont engagés sur plus de 5 millions de soldats qui composent l’armée française, dont en métropole, 85 000 soldats nord-africains et 50 000 « coloniaux ».

Ces combattants se sont battus avec acharnement dans tous les secteurs du front en y subissant des pertes sévères. Ils subissent aussi les crimes ennemis sous la forme d’exécutions sommaires de prisonniers sur le théâtre même des combats : Sénégalais du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) à Airaines et à Dromesnil (Somme), Sénégalais du 25e RTS à Chasselay (Rhône), Marocains à Febvin-Palfart (Pas-de-Calais) pour n’en citer que quelques exemples. De plus, dès le 19 août 1940, l’occupant édicte un ordre interdisant « de toucher aux tombes des soldats noirs, d’orner leurs sépultures, de déplacer leurs corps… ».

Tirailleurs sénégalais à l’instruction le 4 décembre 1939 (source © Archives / 20 Minutes)

De nombreux soldats originaires d’Afrique sont aussi intégrés à l’Armée de la France Libre constituée sous l’autorité du général de Gaulle et participent ainsi, après le débarquement allié de novembre 1942 en Afrique du Nord, à la campagne de Tunisie aux cotés des Anglo-Américains. Ces forces comprennent des troupes de l’armée d’Afrique, placées sous les ordres du général Juin, et des forces françaises libres (1ère DFL du général de Larminat et force L commandée par le général Leclerc).

Durant la campagne d’Italie, deux divisions marocaines, une division d’infanterie algérienne et deux groupes de tabors marocains sont partie intégrante du corps expéditionnaire avec la 1ère division de la France Libre et luttent aux côtés des Alliés. Après la prise de Rome, le 4 juin 1944, et de Sienne le 3 juillet, les troupes sont relevées et retirées du front courant juillet pour être intégrées au sein de l’armée B (future 1ère armée française) commandée par le général de Lattre de Tassigny, pour débarquer en Provence en août 1944. Au sein de cette armée forte de 260 000 hommes, on estime qu’environ la moitié était des combattants provenant de toutes les possessions françaises d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne, des Antilles, des territoires français du Pacifique… La majorité d’entre eux foulaient le sol de France pour la première fois de leur vie.

Troupes coloniales sur le sol français après le débarquement de Provence en 1944 (source © Ministère de la Défense)

Les troupes coloniales débarquées en Provence ont notamment participé à la prise de Toulon et de Marseille, avec un mois d’avance, en subissant de lourdes pertes. Comme le rappelle Nicolas Bouland, ce sont ces troupes, avec en particulier « le 6ème Goum qui s’empare de la colline de Carnoux, avant d’occuper le camp de Carpiagne, point d’appui pour filer vers Marseille par le col de la Gineste, tandis que des unités de génie s’emploient à déminer la route Aubagne-cassis qui traverse le vallon de Carnoux (…) Le 17ème Tabor, commandé par le colonel Jacques Masset du Biest, est chargé de nettoyer les abords de La Ciotat et de Cassis ».

Une participation active à l’effort de reconstruction et d’industrialisation

Dès la Libération, la reconstruction et l’industrialisation du pays mobilisent un nombre croissant d’étrangers. Le Conseil National de la Résistance instauré par le général de Gaulle est favorable à leur venue. L’opinion publique s’estime redevable à leur égard. Quant aux industriels, ils manquent désespérément de bras. Les responsables politiques et les acteurs économiques s’accordent sur la nécessité de faire appel à un million et demi d’immigrants, dont on planifie l’arrivée sur cinq ans.

Travailleur nord-africain sur le chantier de construction de la Tour Maine-Montparnasse à Paris en 1971 (source © CB cours)

Pour éviter de laisser au secteur privé des marges de manœuvre dont il a pu bénéficier dans l’entre-deux guerres, L’État crée deux organismes : le Haut comité de la population et de la famille, d’une part, et d’autre part le Secrétariat général à la famille et à la population. Deux ordonnances sont promulguées en octobre et novembre 1945 qui définissent, pour la première, les conditions d’accès à la nationalité française, et pour la seconde, les conditions d’entrée et de séjour en France. Ces ordonnances n’évoquent cependant pas les conditions d’accueil de ces travailleurs. Ainsi, dans certaines villes comme, par exemple dans le quartier des Bigarelles à Bourges (Cher), les ouvriers natifs d’Algérie étaient cantonnés dans l’ancien camp de prisonnier pour les soldats allemands.

Un des bidonvilles de Nanterre dans les années 1960 où logent majoritairement des travailleurs immigrés nord-africains (source © Archives / Défense-92)

Les évènements qui marquent l’histoire de notre pays dans la première moitié du XXème siècle, dont les plus tragiques, les deux guerres mondiales et leurs conséquences, montrent qu’il est indispensable de se rappeler la contribution des personnes originaires de territoires colonisés dans les combats militaires mais aussi dans la production industrielle durant et après la fin des conflits.

Sauf à considérer comme négligeable l’apport des troupes issues des territoires colonisés et aussi celui des travailleurs dans les usines d’armement ou les entreprises industrielles, comment ne pas être choqué par l’ingratitude de ceux qui prônent le retour dans leur pays de tout migrant et surtout qui passent sous silence le fait qu’à l’origine, les peuples d’Afrique n’avaient pas sollicité d’être colonisés !

M. Motré

Z : de Jean Zay à Costa-Gavras, l’Histoire zozote

4 décembre 2021

Avec la lettre Z, l’Histoire zozote souvent. Cette lettre, la dernière de notre alphabet, a toujours posé problème. Son exotisme, qui lui vaut d’être épelée Zoulou dans l’alphabet international, ne masque pas une certaine inquiétude due à son aspect acéré, aussi tranchant qu’une dent de scie, aussi inquiétant qu’une signature de la pointe d’une épée.

Z comme don Diego, une bande dessinée parodique de Zorro écrite par Fabcaro et illustrée par Fabrice Erre (source © éditions Dargaud)

Et si elle traîne en dernière place, c’est évidemment parce qu’elle a fait polémique. Les romains, qui s’étaient inspirés de l’alphabet grec (caractère ζήτα), l’ont supprimée durant trois siècles, puis rajoutée par commodité, avec le Y, pour les mots empruntés au grec et contenant un phonème étranger au latin.

Martianus Capella (III 261) rapporte que c’est Appius Claudius Caecus (censeur romain en 312 av. J.-C.) qui aurait donné l’ordre de supprimer cette lettre : « z uero idcircuo Appius Claudius detestatur, quod dentes mortui, dum exprimitur, imitatur » [Appius Claudius repoussa ce Z, parce que, quand il était prononcé, il imitait les dents d’un mort]. Tout est dit. Le Z faisait déjà peur.

Après ça, même si zéro est le seul nombre qui ne puisse être négatif, il ne faut pas s’étonner que le Zirconium soit si toxique, que le Zeppelin ait explosé, et que le gaz Zyclon B ait contribué d’une manière aussi efficace et criminelle à la Shoah.

DVD du film réalisé par Costa-Gavras en 1969 avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant

Mais la lettre Z, c’est aussi autre chose. C’est d’abord ce remarquable roman au sobre titre « Z » de l’écrivain grec Vassílis Vassilikós, paru en 1967 et porté à l’écran par Costa-Gavras en 1969. Ce livre passionnant raconte l’assassinat du député grec de gauche Grigoris Lambrakis en mai 1963 à Tessalonique, organisé par des éléments de la police et de la gendarmerie et camouflé au départ en accident. Ce triste fait réel n’était que l’avant-goût d’un épisode encore plus dramatique pour la Grèce, le coup d’état militaire qui plongea le pays dans l’ombre fasciste de 1967 à 1974. La dictature s’installe. Des tribunaux militaires extraordinaires sont créés dans dix grandes villes de Grèce. Les partis politiques et syndicats sont interdits, les opposants politiques, pourchassés, sont placés en résidence surveillée, emprisonnés, déportés sur des îles désertes de l’Égée. Plus de six mille détenus sont envoyés à Yaros «l’île du Diable» où la torture est alors une pratique courante.

La lettre Z, c’est aussi Jean Zay, ministre de l’éducation nationale du Front Populaire, assassiné en 1944 par la milice de Pétain. Afin qu’il ne soit pas identifié, les tueurs le déshabillent, lui ôtent son alliance, jettent sa dépouille dans la crevasse du Puits-du-Diable et y lancent quelques grenades pour cacher le corps par des éboulis.

Le ministre Jean Zay dans son bureau (source © Archives nationales)

Résistant, républicain et humaniste, Jean Zay entrera en 2015 au Panthéon. Il aura créé le CNRS, le musée de l’Homme, le festival de Cannes, le musée d’Art moderne et a été l’initiateur de l’ENA. Il favorisa la création artistique et défendit les droits des écrivains. Il fut sans relâche violemment attaqué par l’extrême-droite française, comme anti-français, anti-munichois, juif et franc-maçon.

La lettre Z n’est certainement pas condamnée à la tragédie. Mais, alors que certains tentent toujours de réhabiliter Pétain et excusent les putsch militaires, l’actualité politique nous rappelle que l’histoire peut toujours se répéter.

Sans une grande vigilance, l’avenir pourrait aussi ressembler à un mauvais film de série Z…

J. Boulesteix

Cet article est issu du site Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire

L’armée française critiquée au Sahel

2 décembre 2021

Souvenons-nous de ce début d’année 2013 qui avait bien mal commencé au Mali, alors soumis à un conflit armé qui, depuis un an, était en train de s’intensifier de manière inquiétante entre les forces armées maliennes et les rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Ce conflit larvé ne datait pas d’hier même si le MNLA n’avait été créé qu’en 2010, mais il prenait la suite d’autres mouvements indépendantistes touaregs déjà très actifs dans le nord Mali, entre Tombouctou, Gao et Kidal, dès le début des années 1990.

Combattants djihadistes d’Ansar Dine près de Tombouctou le 24 avril 2012 (photo © Romaric Ollo Hien / AFP / L’Express)

En 2013 cependant, ces rebelles indépendantistes ont reçu d’importants renforts et stocks d’armes issus de la chute du régime libyen de Kadhafi, et surtout ils se sont désormais alliés à différents mouvements islamistes dont le groupe salafiste Ansar Dine qui revendique l’installation d’un régime islamique et l’instauration de la charia.

Le 10 janvier 2013 à l’aube, les rebelles djihadistes attaquent la ville de Konna, un gros bourg du delta intérieur du Niger, situé à une soixantaine de kilomètres seulement au nord de Mopti. Dans la journée, l’armée malienne lâche prise et se replie en hâte vers Mopti et sa voisine Sévaré, ville aéroportuaire stratégique située sur la route de la capitale Bamako. La France est immédiatement appelée à la rescousse par le président malien Dioncounda Traoré qui saisit en parallèle le conseil de sécurité de l’ONU. Dès le lendemain, le président François Hollande réunit un conseil de défense et donne immédiatement son accord pour intervenir militairement.

Soldats de l’opération Serval en opération au nord Mali (source © EMA / Ministère des Armées)

C’est le début de l’opération Serval. Les premiers bombardements ont lieu dans la nuit du 11 au 12 janvier par des Mirages de l’opération Épervier, déjà déployée au Tchad depuis 1986, rapidement épaulés par des avions Rafale partis de leur base de Saint-Dizier. Les djihadistes poursuivent néanmoins leur progression et s’emparent, le 14 janvier, de la ville de Diabaly, se rapprochant encore de Bamako. Dès lors, le déploiement rapide des forces armées françaises permet de regagner du terrain. Gao, qui était aux mains des islamistes depuis mars 2012, est reprise le 26 janvier 2013, Tombouctou le 28 janvier et Kidal le 31. La président Hollande peut alors se permettre une visite de terrain à Tombouctou où il est accueilli en héros le 2 février 2013 dans une ville en liesse.

François Hollande en visite à Tombouctou le 2 février 2013 (source © aBamako.com)

Le 13 juillet 2014, considérant les opérations militaires terminées mais face à une menace terroriste toujours très présente, Jean-Yves Le Drian annonce la fin de l’opération Serval et le début de la mission Bakhane. Une annonce saluée dès le lendemain par une attaque meurtrière menée par un kamikaze contre une patrouille blindée française…

Cette nouvelle opération Bakhane, dirigée contre des groupes islamistes liés à Al-Qaïda ou à l’État islamique, a été conçue en partenariat avec les 5 pays du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, Burkina Faso) et son poste de commandement est d’ailleurs basé à N’Djaména. Les effectifs français mobilisés sont importants, dépassant les 5 000 hommes à partir de février 2020 alors que le nombre de combattants islamistes ne dépasse probablement pas quelques milliers dont peut-être 1 000 à 1 400 tout au plus sur le territoire malien. La fin de l’opération Barkhane a d’ailleurs été annoncée le 10 juin 2021 par le président Emmanuel Macron, alors même que les combats se poursuivent avec encore un chasseur alpin français tombé au combat le 24 septembre 2021 près de Gossi.

Soldats français de l’opération Barkhane patrouillant dans le village malien d’In-Tillit en novembre 2017 (photo © Daphné Benoit / AFP / L’Express)

Il semble temps en effet de reconsidérer cet engagement des forces armées françaises qui draine le mécontentement d’une partie des Maliens, surtout dans la moitié sud du pays, plus éloignée du théâtre des affrontements. Dès le 23 novembre 2013, une première manifestation avait rassemblée un bon millier de personnes à Bamako pour demander le retrait de l’armée française. Le 12 décembre 2015, l’imam Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique malien, n’hésite pas à affirmer que le djihadisme est une « création des Occidentaux » pour « recoloniser le Mali »…

En 2019, des tensions interethniques se développent dans le centre du pays, opposant notamment éleveurs peuls et cultivateurs dogons, sur fond de rivalité pour la terre, à laquelle se mêle la religion, sous l’influence du prédicateur peul Amadou Kouffa qui a fondé le Front de libération du Macina et a prêté allégeance à Al-Qaïda en mars 2017. Le conflit prend de l’ampleur et le 23 mars 2019, des chasseurs dozos attaquent sauvagement le village peul d’Ogassagou, près de Bankas, assassinant plus de 160 personnes et déclenchant de multiples autres attaques en représailles.

Soldat malien sur les lieux de la tuerie d’Ogasagou en mars 2019 (source © Présidence malienne / Jeune Afrique)

Un tel climat de violence exacerbée ne fait qu’animer le sentiment anti-français, chacun se demandant bien à quoi servent ces militaires surarmés et surprotégés dans leurs engins blindés, mais incapables de venir à bout d’une poignée de terroristes aux abois et d’une insécurité endémique.

Certains n’hésitent pas à mettre de l’huile sur le feu comme ce Groupe des patriotes du Mali qui manifeste régulièrement contre la présence française et produit une pétition signée par 8 millions de Maliens réclamant le départ de la France et le recours à l’armée russe, considérée comme plus fiable et dépourvue de l’ambition néocolonialiste qu’ils prêtent à Paris. L’empressement avec lequel Emmanuel Macron s’est rendu aux obsèques du président tchadien Idris Déby pour adouber son fils, ne fait que renforcer cette impression que l’influence française n’est pas dépourvue d’arrières pensées…

Le 22 septembre 2021, des milliers de manifestants étaient encore rassemblés à Bamako pour protester contre ce qu’ils considèrent être une « ingérence extérieure » insupportable, alors même que le nouveau président de transition, le colonel Assimi Goïta, responsable du deuxième coup d’État militaire en 9 mois au Mali, négocie un accord d’intervention avec la société militaire privée russe Wagner, de plus en plus entreprenante sur le sol africain.

Manifestation contre la France à Bamako le 22 septembre 2021 (photo © AFP / SIPA / Jeune Afrique)

Le 27 novembre dernier, un convoi militaire français ralliant la Côte d’Ivoire au nord Mali s’est retrouvé bloqué pendant une semaine au Burkina Faso, en butte à de violentes manifestations anti-françaises, avant de faire face, dans l’ouest du Niger à une nouvelle attaque de la population, l’obligeant même à faire usage de la force pour se dégager, au prix de 2 morts et 18 blessés : un nouvel incident qui ne peut qu’exacerber encore ce sentiment anti-français latent qui est en train de se développer dans tout le Sahel du fait de cette présence militaire prolongée.

Toute intervention armée dans un pays souverain, même justifiée par les meilleures intentions du monde, reste un exercice à haut risque et les exemples historiques ne manquent pas pour le confirmer. Reste qu’un retrait n’est pas non plus dénué de risques, y compris et surtout pour les autochtones qui ont coopéré durant l’intervention, comme l’a illustré encore récemment le retrait des troupes alliées d’Afghanistan : un fragile numéro d’équilibriste en perspective…

L. V.