Archive for décembre 2023

2023 : à l’heure du bilan

31 décembre 2023

Même les meilleures choses ont une fin. Ce n’est peut-être pas ainsi que l’on serait tenté de qualifier l’année 2023 qui s’achève, avec son lot de catastrophes, de conflits armés, d’attentats, de crise économique et d’inflation exacerbée, le tout sur fond de déclin irréversible de la biodiversité et de dégradation croissante de notre environnement.

Mais, comme chaque année, au milieu de tous ces cataclysmes, réels ou annoncés, chacun y a puisé aussi mille petites joies et satisfactions au quotidien. De quoi sourire et oublier ces angoisses qui dépriment et inquiètent. C’est justement ce à quoi s’emploient, jour après jour, les dessinateurs de presse qui ont l’art de présenter, de manière décalée et humoristique, l’actualité la plus sombre, histoire d’en rire plutôt que d’en pleurer…

Quoi de plus réjouissant donc, à l’heure du bilan de l’année écoulée, que de ressortir quelques-uns de ces dessins qui ont ponctué l’actualité de l’année 2023 : de quoi se remémorer quelques événements au hasard. Ce ne sont pas forcément ceux-là que l’on retiendra de l’année qui s’achève, et probablement pas de la manière dont ces dessinateurs de talents les ont mis en lumière, mais peu importe…

C’est en tout cas l’occasion pour ceux qui animent ce blog sans prétention, qui s’efforce seulement de partager, de manière plus ou moins régulière, les sujets qui nous sont chers, nous interrogent ou simplement nous interloquent, voire nous offusquent, de souhaiter à tous nos lecteurs, épisodiques ou fidèles, une excellente nouvelle année 2024. Comme les précédente, celle-ci charriera sans doute son lot de désillusions et de désespérance, mais peut-être nous apportera-t-elle aussi quelques bonnes surprises et, sait-on jamais, de nouvelles raisons d’espérer !

Janvier : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, peaufine sa nouvelle loi contre l’immigration, déjà dans les cartons depuis l’été 2022, et dont l’avant-projet a été déposé au Conseil d’Etat en décembre. Un véritable numéro d’équilibrisme politique destiné avant tout à séduire la frange la plus droitière de l’électorat… un dessin signé Aurel, publié dans Politis le 18 janvier 2023

Février : Le 10 février, l’humoriste Pierre Palmade, sous l’emprise de stupéfiants, provoque un grave accident de la route. Assigné à résidence dans un centre de désintoxication, il est victime d’un accident vasculaire cérébral 15 jours plus tard, puis placé en détention préventive, une situation qui prend une place démesurée dans nombre de médias français… un dessin signé Dubus, publié le 1er mars 2023 dans Soir Mag

Mars : La réforme des retraites, visant à repousser à 64 minimum l’âge de départ en retraite, suscite une vague de manifestations sans précédent dans le pays. Le 7 mars, le nombre de manifestants sur l’ensemble du pays atteint entre 1,28 et 3,5 millions selon les estimations, un record ! Ce qui n’empêche pas le gouvernement d’Élisabeth Borne de maintenir le cap comme si de rien n’était, confessant seulement un déficit de pédagogie… Un dessin signé Chapatte, publié dans le Canard enchaîné

Avril : Le 14 avril, le Conseil constitutionnel valide l’essentiel du texte de loi sur la réforme des retraites, sur lequel le gouvernement avait engagé sa responsabilité le 16 mars, via l’article 49-3 de la Constitution, pour éviter un risque de rejet à l’Assemblée nationale. Le texte est promulgué dans les heures qui suivent par Emmanuel Macron, soulagé et pressé de tourner la page … Un dessin signé Oli

Mai : Au 76e festival de Cannes, qui se déroule du 16 au 27 mai, avec l’actrice italienne Chiara Mastroianni en maîtresse de cérémonie, on fait officiellement attention à son empreinte carbone pour rester dans l’air du temps… Un dessin signé Tommy, publié par Reporterre

Juin : Le 6 juin, un article publié dans Ouest France dénonce la destruction volontaire, dans le cadre d’un chantier d’un supermarché M. Bricolage, de 39 menhirs situés chemin de Montauban à Carnac, considérés comme particulièrement anciens et répertoriés dans le cadre de la candidature pour l’inscription au patrimoine de l’UNESCO, le début d’une polémique nationale qui enflamme les médias et déclenche les passions… Un dessin signé Sié (source © Urtikan)

Juillet : Après les violentes émeutes urbaines et les scènes de pillage déclenchées suite à la mort du jeune Nahel, abattu par un policier le 27 juin 2023, le bilan matériel est très lourd et les personnes interpellées et jugées se révèlent souvent être des mineurs, sans réelle motivation politique… Un dessin signé Chaunu, publié le 7 juillet 2023 dans Ouest France

Août : Une vague de fortes chaleurs s’abat sur tout le sud et l’est de la France entre le 16 et le 24 août avec jusqu’à 19 départements placés en vigilance rouge canicule… Un dessin signé Bauer publié le 23 août 2023 dans Le Progrès

Septembre : Le 22 septembre, le pape François vient en visite officielle à Marseille et plaide, comme il le fait depuis le début de son pontificat, pour un accueil inconditionnel des immigrés alors que des vagues massives de migrants débarquent sur l’île de Lampedusa, en Sicile… Un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

Octobre : Le 7 octobre, des miliciens du Hamas lancent des intrusions et des frappes sanglantes sur Israël, déclenchant une réplique militaire massive et aveugle de la part de l’armée israélienne qui bombarde depuis sans discontinuer la bande de Gaza avec un bilan qui dépasse déjà les 20 000 morts côté palestinien… Un dessin signé Mykaia (source © Cartooning for peace)

Novembre : Le 14 novembre, le couple présidentiel, accompagné de plusieurs membres du gouvernement, se rend dans le Pas-de-Calais pour exprimer sa solidarité avec les habitants qui subissent depuis 15 jours une vague d’inondations sans précédents, alors qu’il s’est abstenu de participer à la manifestation contre l’antisémitisme qui a eu lieu le 12 novembre à Paris… Un dessin signé Glon (source © Blagues et dessins)

Décembre : Le projet de loi asile et immigration, finalement adopté le 19 décembre 2023 et en cours d’examen par le Conseil constitutionnel, durcit fortement les droits des migrants sur le sol français et a été adopté avec l’appui de la droite et de l’extrême-droite qui se réjouissent de l’adoption de mesures qu’ils réclament depuis des années. C’est en tout cas un signe fort en faveur des idées du Rassemblement national, même si officiellement, le gouvernement ne les partage pas… un dessin signé Kak publié le 22 décembre 2023 dans l’Opinion

La droite marseillaise se donne en spectacle

29 décembre 2023

La dernière séance du conseil municipal de Marseille, le 15 décembre 2023, a donné lieu à une scène totalement surréaliste et, à vrai dire, parfaitement ridicule. Il suffit, pour s’en convaincre de visionner les débats puisque, à Marseille comme dans la plupart des communes françaises désormais (sauf à Carnoux, néanmoins), non seulement les séances du conseil sont publiques, mais elles sont de surcroît enregistrées, traduites en simultané pour les rendre compréhensible aux malentendants, et diffusées en libre accès à qui veut les consulter. Une mesure de base pour qui considère que la démocratie locale suppose un minimum de transparence, chaque habitant étant ainsi en capacité de suivre en direct ou en différé, les décisions prises en son nom par ses élus de proximité et qui concernent sa vie quotidienne et l’avenir de l’espace public dans lequel il évolue, vit, travaille, fait ses courses, se soigne et se divertit.

La première délibération qui ouvrait l’ordre du jour de ce conseil municipal portait sur l’adoption du rapport sur la situation en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. La conseillère qui la présente, en l’occurrence Nathalie Tessier, ne peut s’empêcher de revenir en introduction sur les propos tenus la veille par Renaud Muselier. Le président de droite de la Région Provence Alpes Côte d’Azur, qu’il persiste à appeler Sud au mépris des institutions républicaines, ne cache plus guère ses ambitions de briguer prochainement le fauteuil de maire de Marseille. Le poste lui était déjà passé sous le nez après qu’il avait échoué en 2008 à se faire élire à la présidence de la Communauté urbaine d’alors, malgré une large majorité de droite, à la suite d’une basse manœuvre de la part de Jean-Claude Gaudin et de quelques maires voisins qui lui avaient préféré le socialiste Eugène Caselli… Un véritable camouflet pour cet affairiste ambitieux.

Renaud Muselier, sur le plateau de BFM TV le 14 décembre 2023, accusant Benoît Payan de féminicide politique (capture vidéo)

Invité la veille au soir sur le plateau de BFM TV, Renaud Muselier s’est donc laissé aller à une charge en règle contre le bilan à mi-parcours du maire de Marseille, Benoît Payan. Un bilan jugé inexistant par le président de la Région, qui fait évidemment tout ce qui est en son pouvoir pour saper le travail de la municipalité marseillaise, réservant l’essentiel des financements de la Région à ses amis de Nice ou de Toulon, tandis que sa complice, Martine Vassal, déverse les financements du Département et de la Métropole partout, sauf à Marseille !

En tout cas, Renaud Muselier n’a pas fait dans la nuance en affirmant tout à trac : « Benoît Payan a un savoir-faire politique incontestable. Il a fait quelque part un féminicide politique en éliminant tranquillement Mme Rubirola dans une stratégie personnelle ». Un féminicide, rien de moins !  Et le Président de la Région d’insister lourdement en précisant, pour ceux qui n’auraient pas bien saisi que Michèle Rubirola est « une femme verte, médecin, qui a été élue par les Marseillais et qui a été éliminée par un mâle blanc ». Il fallait oser ce choc des couleurs, mais certains osent tout…

Nathalie Tessier lors du conseil municipal de Marseille le 15 décembre 2023 (capture vidéo © event.novialys)

De quoi provoquer l’étranglement de la conseillère déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, Nathalie Tessier, qui s’offusque donc, le lendemain, en séance de conseil municipal, de ce rapprochement outrancier et rappelle à Renaud Muselier que la notion de féminicide fait référence à une réalité bien plus tragique qui solde le destin de beaucoup trop de femmes qui vivent l’enfer au quotidien et dont la vie parfois s’arrête sous les coups d’un proche qui ne se contrôle plus.

Mais ce rappel à la réalité et à davantage de dignité dans ses paroles politiques glisse sur la droite marseillaise comme l’eau sur les plumes d’un canard. Catherine Pila, une proche de Martine Vassal, réclame aussitôt le micro pour une intervention théâtralisée dans laquelle elle remonte à Olympe de Gouges pour célébrer le combat des femmes françaises en vue de plus d’égalité civique entre les sexes. Son cours d’histoire, soigneusement rédigé et donc mûrement réfléchi s’attarde même sur la « femme des années 80 » chantée par Michel Sardou, une référence en matière de sociologie politique historique comme chacun sait…

Catherine Pila lors du conseil municipal de Marseille le 15 décembre 2023 (capture vidéo © event.novialys)

Et elle en arrive, là où personne ne l’attendait, à savoir qu’il y a 3 ans, jour pour jour, Michèle Rubirola, élue maire de Marseille l’été précédent, choisissait de laisser son fauteuil à son premier adjoint, Benoît Payan. Une décision largement expliquée par la maire démissionnaire, que la presse avait surnommée « la maire éphémère » et qui n’avait jamais eu beaucoup d’appétence pour ce poste éminemment exposé et qui nécessite un engagement et une énergie de tous les jours.

Michèle Rubirola avait accepté de conduire la liste d’union du Printemps marseillais dans une bataille très incertainela droite partait largement favorite. Pour avoir une chance de l’emporter, les différentes composantes de la gauche et des mouvements citoyens issus de la société civile devaient se rassembler et se choisir une tête de liste, rôle que Michèle Rubirola avait accepté de tenir, dans le cadre d’une campagne collective. Issue des rangs écologistes, elle n’avait pas hésité pour cela à tourner le dos à la stratégie de son propre parti qui préférait s’engager, derrière Sébastien Barles, dans une aventure individuelle vouée à l’échec.

Cette approche collective et rassemblée s’était révélée payante, même si la droite marseillaise a tout tenté pour empêcher l’élection de Michèle Rubirola comme maire de Marseille. Il est donc plus que cocasse d’entendre, trois ans plus tard, les mêmes élus de droite, se lamenter que cette dernière n’ait pas souhaité rester à cette fonction et ait préféré la laisser à Benoît Payan, plus expérimenté et plus apte qu’elle à l’assumer au quotidien. Sauf que Catherine Pila voudrait faire croire qu’il s’agit d’un véritable putsch, une odieuse machination ourdie par Benoît Payan pour éliminer sa rivale, une faible femme qui plus est ! Pour un peu, elle laisserait presque entendre que Michèle Rubirola, victime d’un « assassinat politique » a eu bien de la chance de ne pas se retrouver lestée au fond du Vieux-Port. Et pour enfoncer le clou, elle sort de derrière son siège une plaque sur laquelle est inscrit le nom de Michèle Rubirola, maire de Marseille du 28 juin au 15 décembre 2020, et vient la remettre solennellement à l’intéressée qui siège à la tribune aux côtés de Benoît Payan, tandis que les élus de droite chantonnent « Joyeux anniversaire »…

Catherine Pila, avec sa pancarte parodique, dans l’hémicycle du Conseil municipal de Marseille, le 15 décembre 2023 (photo © Valérie Vrel / La Provence)

Un épisode burlesque qui détourne totalement le sens même de la passation de pouvoir qui avait eu lieu fin 2020 à la tête de la municipalité marseillaise, et qui laisse Benoît Payan consterné par cette tragico-comédie qui frise le ridicule. Michèle Rubirola elle-même ressent le besoin d’y répondre pour rappeler une fois de plus que c’est volontairement qu’elle a choisi de laisser la place de maire son premier adjoint, plus apte selon elle à l’exercer pleinement, et qu’elle n’est pas morte politiquement malgré le diagnostic de l’ex directeur de clinique Renaud Muselier, mais qu’elle privilégie une approche collective dans son combat politique. Le maire, quant à lui, enfonce le clou en citant Marc Twain à l’attention du président de la Région PACA, pour lui rappeler qu’il vaut mieux garder la boucher fermée et passer pour un imbécile que de l’ouvrir et de lever tous les doutes

@rubirola2026, un nouveau site parodique qui matraque le message de la droite marseillaise, selon laquelle Benoît Payan serait un usurpateur

Une chose est sûre en tout cas, la droite marseillaise a déjà lancé la prochaine campagne municipale même si les prochaines élections ne sont prévues qu’en 2026. On voit d’ailleurs déjà surgir des comptes parodiques à l’instar de @rubirola2026 sur X (ex Twitter) qui reprend tous les codes couleurs de la campagne d’affichage électoral du Printemps marseillais en 2020 et qui laisse entendre que Michèle Rubirola serait prête à se battre pour retrouver en 2026 le fauteuil de maire qu’elle a très volontiers cédé en 2020 à son colistier Benoît Payan. Une véritable obsession pour la droite marseillaise qui peine manifestement à comprendre qu’on puisse s’investir en politique pour mettre en œuvre collectivement des actions d’intérêt général et pas seulement pour accéder individuellement à des fonctions purement honorifiques : un choc de culture ?

L. V.

Jérusalem, histoire d’une ville chargée d’Histoire

28 décembre 2023

Une fois n’est pas coutume, nous commenterons une … bande dessinée. Ce style d’expression, parfois littéraire, souvent instructif, peut s’apparenter, lorsqu’il concerne l’histoire ou la société, à un raccourci. Nous sommes bien loin de la caricature politique ou sociétale de Daumier ou Gill au 19e siècle ou des séries un peu infantiles de Tintin ou d’Astérix. La BD se veut aussi aujourd’hui, sérieuse, pédagogique, parfois encyclopédique. C’est toute l’ambition de ce style fortement renouvelé depuis le début des années 2000. Sur les terres d’Horus1, qui se situe à Thèbes, sous le règne de Ramsès II (~1300 av J.C.) ou Les aigles de Rome2, qui nous replonge dans l’antiquité du 1 er siècle, respectaient déjà toutes les exigences d’essais historiques irréprochables. Le summum de ce genre étant sans nul doute l’Histoire dessinée de la France3 composée d’une vingtaine d’albums pilotés par des historiens connus. C’est un fait, la BD aujourd’hui acquis de nouveaux titres de noblesse et s’adresse dorénavant tous.

C’est un raccourci de 260 pages qui nous intéresse aujourd’hui. L’Histoire de Jérusalem4 de Vincent Lemire et Christophe Gaultier nous raconte l’histoire quadri-millénaire et tri-religieuse de cette ville mythique, clé de la compréhension de la tragédie actuelle. Vincent Lemire est un historien universitaire spécialiste de la ville sainte. Il a dirigé le Centre de recherche français à Jérusalem de 2019 jusqu’en août 2023. Cette bande dessinée vaut tous les ouvrages trop érudits ou trop partisans qui ne reflètent souvent que l’un des aspects d’une réalité finalement très complexe.

Au cœur du récit, Zeïtoun, un tranquille olivier installé au sommet du Mont des Oliviers, est en quelque sorte le narrateur de cette histoire universelle. Sa position et son retrait lui permettent de tout voir, tout ressentir, tout vivre. A la fois témoin acteur et victime, il nous conte la longue histoire de la ville et surtout de ses habitants. Les agressions, les massacres, les incompréhensions, les vexations, les impasses. Les solidarités et les exclusions. Les instincts les plus vils comme les plus grandes noblesses.

Tout est passionnant. Les périodes biblique, babylonienne, romaine, byzantine, ottomane, moderne. Six ans de travail méticuleux d’historien5 et de dessins délicats. Un vrai chef d’œuvre ! On est loin des clichés. Le ciel, parfois bleu, varie au gré des saisons, des orages, des tempêtes de sable, voire de neige.

On comprend aussi que Jérusalem n’est pas qu’une ville de pierres ou de monuments empilés, mais s’est aussi construite sur la chair, le sang et les lamentations. Trois religions monothéistes pour une même ville. L’olivier Zeïtoun ne nous dit pas ce qu’il en pense, mais on comprend dans ce livre que ses plaies et ses souffrances sont celles de tous.

J. Bx.

1. Sur les terres d’Horus, d’Isabelle Dethan, 8 volumes, éditions Delcourt, 2001-2010

2. Les aigles de Rome, d’Enrico MARINI, 5 tomes, éditions Dargaud, à partir de 2007

3. Histoire dessinée de la France, en 20 volumes, est le fruit d’une coédition entre les éditions La Découverte et La Revue dessinée. Lancée en 2017, elle est pilotée par l’historien Sylvain Venayre.

4. Histoire de Jérusalem, de Vincent Lemire et Christophe Gaultier, éditions Les Arènes, 2022

5. Un catalogue bibliographique historique et religieux très complet est donné en annexe de la BD

Île de Nauru : un mode de gestion peu durable…

26 décembre 2023

La République de Nauru fait partie de ces micro États dont on a bien du mal à croire en la viabilité en tant que nation souveraine… Ce n’est certes pas le pays le moins étendu ni le moins peuplé du monde. Avec sa superficie hors norme de 0,44 km2 et ses 800 habitants, soit 8 fois moins que la commune de Carnoux, tant en surface qu’en population, le Vatican remporte sans conteste la palme mondiale, mais qui peut se comprendre de par son histoire et sa position si singulière. Quant à Monaco, qui occupe la seconde place mondiale au rang des nations les plus minuscules, avec ses 2,02 km2, la principauté se rattrape largement avec une population qui dépasse désormais les 39 000 habitants, soit davantage que la République de San Marin ou même que le Liechtenstein.

Image satellite de l’île de Nauru prise en 2002 (source © Wikipedia)

Pour autant, la République de Nauru fait quand même figure de confetti, tenant toute entière sur un îlot minuscule de 21,3 km2 qui culmine à l’altitude notable de 71 m au-dessus de la mer, perdu justement dans l’immensité du Pacifique sud, proche de l’Équateur, situé entre les îles Marshall au nord, les îles Salomon au sud et l’archipel des Kiribati à l’est. L’île Banaba, la plus proche voisine de Nauru, se situe à près de 300 km de là, tandis que les îles Salomon sont à plus de 1000 km…

On connait mal l’histoire du peuplement de cette île de Micronésie mais il semble que les populations d’origine, de source mélanésienne voire polynésienne se sont retrouvées mêlées avec d’autres issues des rivages philippins et arrivées vers 1200 avant notre ère. La société Nauru est traditionnellement organisée en 12 tribus, parlant chacune son dialecte et qui sont symbolisées par l’étoile à 12 branches figurant sur le drapeau du pays.

Pêcheurs de Nauru avec une frégate utilisée pour la pêche traditionnelle (photo © Bettmann Archive / Every Culture)

Un capitaine britannique découvre l’île en 1798 mais ce sont des commerçants allemands, accompagnés de missionnaires protestants venus de Brême, qui s’y installent à partir de 1872, alors que l’îlot servait de refuge à des contrebandiers et des déserteurs. Les Allemands commencent à exploiter le coprah car les cocotiers sont nombreux sur l’île, un ancien volcan recouvert de calcaire corallien. En 1900, on découvre que l’île est particulièrement riche en phosphate qui forme par endroit des accumulations sur 7 à 8 m d’épaisseur entre les dépôts de calcaire corallien. L’origine de ce phosphate reste sujet à controverses mais on l’attribue généralement à des résurgences d’eaux profondes riches en phosphore qui ont percolé à travers le massif corallien et précipité sous forme de phosphates.

Le rivage et les fonds marins de Nauru, désormais dévastés par les stigmates de l’exploitation industrielle des phosphates (photo © Winston Chen / Unsplash / Reporterre)

Quoi qu’il en soit, l’exploitation industrielle de ces épaisses accumulations de phosphate débute dès 1906, suscitant la venue de nombreux travailleurs étrangers. En 1914, l’Australie qui faisait partie des Alliés vainqueurs de la Première guerre mondiale, récupère l’île à son profit, malgré les protestations de la Nouvelle-Zélande qui la réclame également. Entre les deux guerres, la demande mondiale en engrais phosphatés explose, sous l’effet du développement de l’agriculture intensive et l’exploitation décolle. Mais en 1940, la marine allemande bombarde les installations, suivie en 1942 par les troupes japonaises qui occupent l’île jusqu’en 1945. Dès 1947, les Nations-Unies réattribuent l’île à l’Empire britannique qui en confie la gestion à l’Australie. Les exploitations de phosphate reprennent alors de plus belle, au point que les Australiens envisagent même en 1964 de déporter la totalité de la population nauruane sur une autre île pour couper court aux velléités d’indépendance de cette dernière…

Exploitation minière de phosphate sur l’île de Nauru (photo © Bettmann Archive / Le Parisien)

Mais en 1968, les Australiens doivent se rendre à l’évidence et finissent par accorder l’indépendance à Nauru qui devient dès lors la plus petite république du monde avec seulement 9000 habitants à l’époque. L’entreprise minière est nationalisée et c’est le jackpot pour la population, d’autant que les cours du phosphate atteignent des sommets dans les années 1970. En 1974, le pays engrange pour 225 millions d’euros de bénéfices et se targue alors du deuxième PIB par habitant le plus élevé au monde, juste derrière l’Arabie Saoudite et loin devant les États-Unis eux-mêmes !

Vestiges d’installations industrielles portuaires sur le littoral de Nauru (source © Population Data)

Les habitants accèdent à la société de consommation et le pays investit massivement sa nouvelle fortune dans l’immobilier, construisant de luxueux buildings à New-York et Melbourne. Un golf somptueux est aménagé sur l’île et une compagnie aérienne est créée, qui rayonne dans tout le Pacifique. Mais dans les années 1990, les réserves minières s’épuisent et il apparaît rapidement que les dirigeants du pays ont très mal anticipé cette perte de revenus pourtant facilement prédictible. La gestion des finances publiques s’avère catastrophique, caractérisée par la corruption et le détournement de fonds, ce qui oblige l’Etat à revendre la plupart de ses actifs détenus à l’étranger. La compagnie aérienne nationale est même cédée à Taïwan, en échange d’un soutien diplomatique appuyé à ce pays…

Paysage lunaire sur l’île de Nauru, suite à l’exploitation de phosphate (photo © Reuters / France TV info)

Nauru fait alors face à une véritable crise économique, mais aussi écologique, l’environnement naturel de l’île ayant été complètement ravagé par une exploitation minière à outrance. La plupart des espèces naturelles ont disparu tandis que les sols sont dévastés par la pollution industrielle et l’érosion, les anciennes exploitations minières ayant laissé la place à un paysage lunaire de cratères. Par-dessus le marché, l’élévation progressive du niveau de la mer commence à menacer chaque jour davantage la survie même de cet îlot minuscule où les seules terres fertiles et la totalité de la population se concentrent sur la frange côtière la plus exposée. A cela s’ajoute une crise sanitaire d’ampleur : les années d’opulence ont développé chez les habitants de très mauvaises habitudes alimentaires et le pays doit faire face à un taux d’obésité qui touche plus de 95 % de la population selon l’Organisation mondiale de la santé : un véritable désastre !

Pêcheur de Nauru (source © Seatizens)

Face au tarissement des rentrées d’argent du pays, ses dirigeants tentent de multiples expédients tels le blanchiment d’argent via la mise en place d’un paradis fiscal, ainsi que la vente de passeports internationaux. En 2001, l’Australie y voit un moyen de traiter la gestion des migrants qui affluent sur ses côtes et que sa marine traque en mer pour les empêcher d’accoster. Deux centres de transit sont aménagés sur l’île de Nauru et la marine australienne y parque des milliers de demandeurs d’asile de toute origine. Le gouvernement de Nauru y voit un intérêt financier non négligeable, recevant des subsides de la part de l’Australie pour l’aider à gérer ce qui est alors dénommé « solution du Pacifique ». Une solution qui génère de multiples protestations internationales et déclenche plusieurs grèves de la faim de réfugiés afghans puis sri-lankais. Début 2008, l’Australie est contrainte de renoncer et de fermer ces camps de transit, mais a depuis réactivé le dispositif dès 2012.

Camp de transit sur l’île de Nauru, réactivé en 2012 (photo © AFP / Le Temps)

Depuis lord, l’île de Nauru végète et ses habitants dépriment. Nul ne sait si cette république atypique a encore un avenir tant sa situation est cauchemardesque. Les caisses de l’État sont vides, l’environnement naturel est dévasté, l’état de santé de la population est déplorable et la survie même de l’île est menacée. Après avoir connu une véritable euphorie et un niveau d’opulence sans égal, la petite république du Pacifique vit un véritable cauchemar, emblématique d’une gestion minière qui consiste à épuiser ses richesses naturelles sans penser au lendemain…

L. V.

2023 : Noël au balcon ?

24 décembre 2023

Chaque année, la fête de Noël cristallise bien des états d’âme. Célébration religieuse destinée à rappeler la naissance de Jésus, elle est surtout devenue le symbole du consumérisme, à mille lieues des préceptes chrétiens de sobriété et de partage. On s’empiffre en famille et on dépense des fortunes en cadeaux, pas toujours appréciés, et qui finiront de plus en plus revendus sur le Bon Coin ou e-Bay. A l’heure où l’on commence à prendre enfin conscience que les ressources terrestres sont limitées et qu’il convient d’arrêter le gaspillage, c’est l’esprit même de Noël qui en prend un coup…. Quant à la tradition des Noëls sous la neige, elle est de plus en plus mise à mal par les effets du réchauffement climatique…

La magie de Noël opère-t-elle encore ? Elle est en tout cas toujours source d’inspiration pour les dessinateurs de presse, bourrés de talent, et qui savent en tirer les paillettes et le sel pour nous faire rire ou au moins sourire : c’est toujours ça de pris !

Alors, joyeux Noël à tous et bonne lecture !

L. V.

Encore un Noël sous la pluie ?…Un dessin signé Ygreck (source © Le Journal du Québec)
Dernières angoisses à l’approche de Noël… Un dessin signé Deligne, publié dans Nice Matin
Le Père Noël n’a plus autant la cote auprès des enfants… Un dessin signé Alex
D’ailleurs, peut-on encore croire au Père Noël en 2023 ?… Un dessin signé Patrick Chapatte, publié dans Le Temps
Les états d’âme du consumériste à l’approche des fêtes… Un dessin signé Ganaga (source © Blaques et dessins)
La revente des cadeaux sur internet, une pratique en pleine expansion… Un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 18 décembre 2022
Le recyclage du sapin de Noël : un casse-tête permanent… Un dessin signé Geluck (source © Pinterest)

Les oubliettes du château de Saint-Marcel

23 décembre 2023

Malgré ses 2600 ans d’existence revendiqués, et contrairement à bien d’autres cités françaises pourtant plus récentes, la ville de Marseille ne détient quasiment aucun patrimoine architectural datant du Moyen Âge. Les deux maisons emblématiques qui subsistent près de l’hôtel de Ville, vestiges préservés des dynamitages opérés par l’armée d’occupation allemande en février 1943 sur toute la rive nord du Vieux-Port, la maison diamantée et l’hôtel de Cade, datent de la Renaissance seulement.

Mais il subsiste néanmoins, à l’extérieur de Marseille, les vestiges d’un château fort médiéval, peu connu et difficile d’accès, dont les ruines, en partie envahies par la végétation, bordent pourtant les villas modernes en contrebas et dominent les barres grisâtres des Néréides et du Bosquet. Édifié sur un promontoire rocheux en bordure nord du massif de Carpiagne / Saint-Cyr, entre la Valbarelle et la Barasse, sur une crête orientée Est-Ouest du rocher de Saint-Clair, le site est stratégiquement judicieux. De ce promontoire qui surplombe le quartier de Saint-Marcel et la vallée de l’Huveaune en contrebas, la vue s’étend depuis la Sainte-Baume jusqu’à la rade de Marseille et à la colline de la Garde.

Vue du castrum de Saint-Marcel depuis le nord-est avec en pointillé une reconstitution de l’ancien chemin d’accès médiéval (photo © N. Bourgarel / INRAP)

Un lieu défensif particulièrement bien choisi donc et qui a très probablement été utilisé par nos lointains ancêtres celto-ligures qui affectionnaient les implantations en hauteur pour y édifier leurs oppida, à l’instar du Baou de Saint-Marcel qui se situe juste en vis-à-vis, sur l’autre rive de l’Huveaune. Une campagne de fouilles préventives vient tout juste de se tenir sur ce site du castrum de Saint-Marcel, pilotée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) en prévision d’un projet d’ouverture du site au public par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône qui est propriétaire des lieux. Elle a justement permis de conforter la présence humaine sur cet éperon rocheux à l’époque proto-historique, avec quelques fragments de poteries retrouvés à la base du site, dans les anfractuosités de la roche mère.

Vue aérienne des vestiges du castrum de Saint-Marcel (photo © N. Bourgarel et B. Sillano / INRAP)

A ce stade, rien ne permet néanmoins de confirmer qu’un oppidum habité avait été édifié à cette époque ou s’il s’agissait simplement d’un lieu de campement épisodique. Les Romains n’y ont pas laissé beaucoup de traces non plus, en dehors de quelques tessons retrouvés en surface, datés du IIe siècle après J.-C. Il semble pourtant que le lieu ait servi de poste de guet lors du siège de Massalia conduit par les armées de Jules César en 49 avant notre ère, mais les vestiges attestant de cette période ancienne restent encore à retrouver.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que les ruines encore bien visibles sont celles d’un castrum qui a été édifié au Ve siècle sur cet étroit éperon rocheux dont la largeur ne dépasse pas une douzaine de mètres. Ce site fortifié abritait un village en contrebas et un château fort sur les hauteurs, le tout enserré dans une même enceinte défensive qui s’appuie sur la topographie naturelle escarpée de cet éperon rocheux datant du Crétacé moyen et dont la roche fournit la matière première, pour les blocs de pierre comme pour la chaux.

Reconstitution des différents états successifs du castrum (source © DAO G. Frommherz / INRAP)

C’est justement ce mortier servant de liant entre les pierres de maçonnerie qui permet de dater les différents états du château qui, comme tout fortin de nature défensive, a subi plusieurs vicissitudes au fil des siècles. Une histoire qui vient plus ou moins confirmer l’analyse qu’en avait faite en 1888 le marquis de Forbin dont la propre demeure se trouvait juste en contrebas et qui avait alors lancé une campagne de fouilles archéologiques de grande ampleur. Les chercheurs de l’INRAP, après débroussaillage des lieux, ont constaté effectivement que tout le site avait déjà été soigneusement fouillé et que l’essentiel des couches de démolition avait déjà été enlevé.

C’est d’ailleurs cette monographie du marquis de Forbin qui conclut à une première destruction du château fort de Saint-Marcel en 732, à l’occasion d’une razzia des Sarrasins. En 1057, on retrouve dans les archives de l’abbaye de Saint-Victor une première mention écrite du château sous le nom de sanctus Marcellus castellum Massiliense, autrement dit Saint-Marcel, château marseillais. Propriété successive de l’évêché, des vicomtes de Marseille et de l’abbaye de Saint-Victor, le château est alors une pièce maîtresse du système défensive marseillais et il se dit : « Qui tient les clefs de Saint-Marcel, tient celles de Marseille ».

Les vestiges du castrum de Saint-Marcel avec sa vue imprenable sur la vallée de l’Huveaune et la rade de Marseille (source © La Marseillaise)

Au début du XIIIe siècle, la ville de Marseille commence à s’émanciper du pouvoir de ses vicomtes et acquière son autonomie en rachetant en 1214 l’ensemble des droits souverains de la vicomté. L’évêque lui-même finit par reconnaître en 1220 les droits de la commune. Mais en 1246, Charles d’Anjou, le frère du roi Louis IX (plus connu sous le nom de Saint-Louis), acquiert en dot la Provence suite à son mariage avec Béatrice de Provence. Les grandes villes de la région, en plein essor économique, lui tiennent la dragée haute, d’autant qu’il doit embarquer dès 1248 pour les croisades. Revenu illico en 1251, il soumet rapidement Arles puis Avignon et assiège Marseille dès le mois d’août. La ville capitule l’été suivant mais, dès 1261 une nouvelle révolte éclate et des insurgés s’emparent du castrum de Saint-Marcel. Charles d’Anjou rétablit rapidement la situation après avoir soumis la ville à un blocus, et il occupe à son tour le fameux castrum de 1264 à 1276, y faisant construite la tour sud, encore bien conservée.

La tour sud du castrum, œuvre de Charles d’Anjou, toute proche des immeubles et des villas en contrebas (photo © B. Sillano / INRAP)

En 1423, le torchon brûle entre Louis III, comte d’Anjou et de Provence, sacré roi de Naples en 1419, et Alphonse V, roi d’Aragon, passionné par la Renaissance italienne et qui brigue, lui aussi le Royaume de Naples. Alors que Louis III et le pape Martin V tentent de convaincre le duc de Milan de rassemble une flotte pour leur venir en aide, Alphonse V décide de retourner précipitamment en Espagne où son beau-frère, le roi de Castille, menace ses propres États. En chemin, il décide de s’en prendre à la ville de Marseille, qui a mis toute sa flotte au service de Louis III et se trouve largement désarmée avec à peine 360 soldats pour garder les remparts. Le 18 novembre 1423, la flotte catalane, composée de 18 galères et 12 vaisseaux, est signalée et, le surlendemain, les premiers contingents d’assaillants catalans débarquent, dans l’anse qui prendre plus tard justement le nom de plage des catalans, mais pour une tout autre raison, liée à l’installation des pêcheurs catalans après la peste de 1720.

Les Catalans s’emparent sans difficulté de la chapelle Saint-Nicolas et de l’abbaye Saint-Victor, sur la rive sud non défendue du Vieux-Port, puis s’en prennent à la tour Maubert dans le fort Saint-Jean, qui défend l’entrée du port avec ses 2 énormes chaînes métalliques de 15 m chacune, tendues en travers de la passe pour en contrôler l’accès. La nef de Bertrand Forbin qui défendait l’accès au port est coulée, la chaîne brisée et les galères catalanes pénètrent dans le port de Marseille. Les soldats catalans mettent à sac la ville faiblement défendue, brûlant et pillant les maisons pendant 3 jours consécutifs, avant de se retirer en emportant notamment comme butin les précieuses reliques de Saint-Louis d’Anjou, originaire de Brignoles et ancien évêque de Toulouse, ainsi que les deux fragments de la chaîne du port. Les reliques ont fini par être restituées en 1956 mais les chaînes sont toujours exposées sur les murs de la cathédrale de Valence, en Espagne…

Les chaînes qui protégeaient jadis l’entrée du port de Marseille, brisées lors du sac de la ville par la flotte catalane en 1423, ornent toujours les murs de la cathédrale de Valence, en Espagne (photo © Joanbanjo / CC-BY-SAB / Anecdotrip)

Toujours est-il que certains attribuent à ce fameux sac des Catalans la destruction du castrum de Saint-Marcel. Il ne s’en est jamais relevé et les ruines que l’on voit actuellement datent donc de cette époque. En 1473, le roi René le transfert à l’évêché de Marseille qui, en 1647 le cède aux échevins de la Ville jusqu’à la Révolution. Il faudra ensuite attendre la curiosité du marquis Michel Palamède Forbin d’Oppède, alors propriétaire du terrain à la fin du XIXe siècle, à proximité de l’ancien relai de chasse acquis par sa famille au XVe siècle et transformé en 1865 en un magnifique château, pour s’intéresser de nouveau à l’histoire de ces derniers vestiges  du passé médiéval de Marseille, largement méconnu.

L. V.

Niveau scolaire : la douche PISA…

19 décembre 2023

Publiée le 5 décembre 2023, la dernière étude PISA, portant sur l’année 2022, a fait l’effet d’une douche froide. La France se trouve certes dans la moyenne des 81 pays de l’OCDE qui ont participé à l’étude, avec des résultats assez comparables à ceux de ses voisins allemands, italiens ou espagnols notamment. Elle n’en recule pas moins de 46 points par rapport à 2018, date de la dernière publication de ces tests, et alors même que la dominante pour ce cru 2022 portait sur les mathématiques, un domaine où la France a plutôt bonne réputation avec ses nombreuses médailles Fields et ses filières d’excellence que s’arrachent les start-ups et le monde de la finance anglo-saxonne.

Les résultats PISA 2022 : la douche froide pour le ministre Gabriel Attal… Un dessin signé Kak, publié dans l’Opinion le 5 décembre 2023

Un score tellement alarmant que le ministre de l’Éducation nationale, le fougueux Gabriel Attal a jugé nécessaire d’annoncer le même jour une série de mesures choc, destinées à accréditer l’idée qu’il prend le sujet à bras le corps et va y remédier fissa ! Une fois de plus, le ministre annonce une refonte totale des programmes tout en exigeant désormais que l’enseignement des mathématiques se fasse exclusivement selon la méthode dite « de Singapour » qui aurait fait ses preuves, du moins pour les bons élèves. Il propose aussi la création de groupes de niveau et le retour du redoublement à l’initiative des enseignants.

De mauvais résultats en mathématiques, mais pas seulement… Un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France

Des mesures diversement appréciées du milieu enseignant lui-même et qui ne semblent guère répondre aux failles de notre système scolaire telles que les tests PISA les décèlent. Notons d’ailleurs au passage que la France n’est pas la seule à perdre des points au classement PISA, par rapport à 2018. La tendance est même générale, avec des dégringolades spectaculaires comme celles de la Norvège ou de la Finlande qui a longtemps fait figure d’élève modèles que tous les autres pays européens s’acharnaient à vouloir copier. Seuls les dragons asiatiques que sont notamment Singapour, le Japon ou la Corée du Sud, s’en tirent haut la main, eux qui caracolent en tête du classement et qui gagnent encore des points.

Extrait du classement PISA 2022 des pays de l’OCDE (source © Vie Publique)

Il faut bien dire que l’écart est spectaculaire et guère reluisant pour l’école française. Rappelons que ces tests PISA (qui signifie « Programme international pour le suivi des acquis des élèves »), lancés en 1997, ont concerné en 2022 pas moins de 690 000 élèves de 15 ans, dont 7 000 Français, ce qui leur confère une représentativité indéniable. Basés sur des exercices à traiter sur ordinateur, ils portent sur les mathématiques, au travers d’exercices pratiques de la vie courante, sur la compréhension de textes et sur les sciences.

Des domaines dans lesquels les élèves français ne brillent donc guère. Les meilleurs élèves, qui atteignent le niveau 5 voire 6 en mathématiques sont très minoritaires dans notre pays, ne dépassant pas 7 % alors que leur proportion atteint 41 % à Singapour, ce qui donne une idée du décalage de niveau ! De surcroît, la France s’illustre aussi comme étant l’un des pays où l’origine sociale est la plus discriminante, le système scolaire ayant beaucoup de mal à réduire l’impact de l’origine socio-économique des élèves. C’est aussi, avec le Cambodge, l’un de ceux où les directeurs d’établissements signalent le plus d’enseignants non remplacés…

Le redoublement n’est pas forcément la panacée… Un dessin signé Nom, publié en 2017 dans le Télégramme

De tels résultats sont bien évidemment à relativiser, de même d’ailleurs que l’effet des mesures phares annoncées illico par notre ministre de l’Éducation nationale. Lorsque les études PISA ont été lancées, elles avaient mis en évidence que la France était la championne du monde du redoublement, plus de 40 % des élèves de 15 ans ayant déjà redoublé au moins une fois, sans que cela ne se traduise dans les résultats de notre pays qui a, depuis, presque totalement abandonné le recours au redoublement. On se doute bien que le fait d’y revenir ou de faire des groupes de niveau ne va pas avoir une incidence très significative sur les résultats de la prochaine étude PISA…

Les mauvais résultats de la France aux tests PISA, déjà en 2013 : serait-ce lié au niveau des enseignants ?… Un dessin signé Vissecq (source © Pointe à mines)

Le fait que les résultats baissent dans la plupart des pays de l’OCDE montre d’ailleurs, s’il en était besoin, que le phénomène est loin d’être franco-français. Le décrochage de la Finlande par exemple, qui s’aggrave d’année en année depuis 2011, s’explique en partie par une pénurie croissante d’enseignants et des inégalités socio-économiques qui augmentent, en lien direct avec l’arrivée de nombreux enfants allophones issus de l’immigration et souvent de milieux sociaux défavorisés.

Des constats qui s’appliquent aussi en France où l’école a le plus grand mal à corriger les inégalités sociales. Mais à cela s’ajoutent des handicaps liés plus spécifiquement au mode de recrutement et de formation des enseignants, voire de rémunération de ces derniers. La France a en effet de plus en plus de mal à recruter des enseignants de bon niveau, surtout dans les matières scientifiques, en lien sans doute avec une valorisation sociale insuffisante de ces métiers par ailleurs de plus en plus exposés à des problèmes de discipline dans les classes. Ce dernier point est d’ailleurs l’une des caractéristiques qui ressort de ces études PISA, la moitié des collégiens français se plaignant du bruit et du désordre qui règne trop souvent en classe, alors que ces situations paraissent nettement moins répandues dans la plupart des pays de l’OCDE. Les élèves français se sentent aussi moins soutenus par leurs professeurs que dans la plupart des autres pays, ce qui là encore revient à pointer la question de la qualité pédagogique des enseignants français.

Le niveau des enseignants français serait-il insuffisant ?… Un dessin signé Ransom (source © Le Parisien)

Il n’y a certainement pas de recette magique pour rendre l’école française plus performante et s’aligner sur les systèmes qui cartonnent, à l’image de celui de l’Estonie qui se classe en tête des pays européens en 2022, avec pourtant un niveau de rémunération de ses enseignants inférieur à celui de la France et très loin de celui de l’Allemagne ou du Luxembourg, champions en la matière. La formation des enseignants, leur mode de recrutement, l’autonomie qui leur est laissée pour s’adapter au mieux aux besoins et au niveau des élèves, mais aussi la valorisation de leur place dans la société, semblent néanmoins des paramètres à prendre en compte pour tenter d’améliorer l’efficacité de notre système scolaire : un beau chantier en perspective !

L. V.

COP 28 à Dubaï : quel bilan ?

17 décembre 2023

Organisée par les Émirats Arabes Unis à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre 2023, la 28e Conférence des parties, 8 ans après la COP 21 de Paris, s’est donc terminée et beaucoup s’interrogent sur le bilan de cette nouvelle grand-messe planétaire qui se réunissait, comble du paradoxe, dans un pays qui doit toute sa prospérité à l’exploitation de ses réserves en hydrocarbures fossiles, gaz et pétrole, dont il détient les 7e réserves les plus importantes de la planète.

Derniers préparatifs avant la COP 28… Un dessin de Georges Chapatte, publié dans le Temps (source © X)

Celui qui présidait aux destinées de la COP 28, Sultan al-Jaber, est d’ailleurs un acteur incontournable et iconique de l’exploitation pétrolière à l’origine du réchauffement climatique planétaire qu’il s’agit désormais de contenir pour que l’humanité ait encore une chance de survivre. Président de l’Adnoc, la toute-puissante compagnie pétrolière nationale émiratie, il a étudié le génie chimique et pétrolier et le droit des affaires aux États-Unis, ce qui ne le prédisposait guère à piloter cette réunion de la dernière chance dont les scientifiques attendaient beaucoup… La société civile était d’ailleurs très sceptique quant à la capacité de Sultan al-Jaber de conduire cette nouvelle COP vers de réelles avancées malgré ses grandes ambitions en matière de développement des énergies renouvelable et de décarbonation de l’exploitation pétrolière elle-même.

Avant de commencer, autant se poser les bonnes questions… Un dessin signé Hermann, publié dans la Tribune de Genève (source © Cartooning for Peace)

Elle avait probablement raison d’être inquiète car, objectivement, à l’heure du bilan, celui de la COP 28 qui vient de s’achever est plutôt mitigé… La présence sur place de pas moins de 2500 lobbyistes de l’industrie pétrolière n’était certes pas de nature à rassurer ceux qui comptaient sur ce grand raout mondial pour acter une sortie de la dépendance aux énergies fossiles à l’origine de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre, surtout quand le secrétaire général de l’OPEP, le Koweitien Haithman al-Ghais, profite de l’événement pour inviter solennellement ses membres et leur représentants à la COP 28 à rejeter toute proposition qui viendrait gêner l’exploitation des hydrocarbures : on ne saurait être plus clair !

Offre spéciale COP 28… Un dessin signé Adene (source © X)

Le président de la COP 28, Sultan al-Jaber lui-même, s’est d’ailleurs distingué dès la première semaine en affirmant qu’il n’existait aucune preuve de l’impact des énergies fossiles sur le réchauffement climatique global, puis en indiquant que sortir de l’ère du pétrole impliquerait de revenir à l’âge des cavernes : une appréciation tout en nuances qui n’a pas dû faire beaucoup rire les scientifiques du GIEC…

Et pourtant, tous les observateurs ont salué une avancée réelle, dès le premier jour de la COP 28, sur le dossier du Fonds pour les pertes et dommages, dont la création avait été décidée lors de la COP 27, l’an dernier à Charm el-Cheikh. Depuis 1 an, les 24 pays en charge de sa préfiguration n’avaient jamais réussi à tomber d’accord quant à la manière de le rendre opérationnel et surtout de l’abonder pour aider financièrement les pays les pauvres à faire face aux dommages irréversibles causés par les sécheresses, inondations et autres cyclones devenus de plus en plus fréquents et dévastateurs.

Après les inondations en Inde près de Darrang, en août 2023, des dommages en lien direct avec le réchauffement climatique global (photo © AFP / Les Echos)

Voilà donc ce fonds doté d’engagements financiers à hauteur de 700 millions de dollars, dont 100 millions d’euros annoncés de la part de la France qui fait donc plutôt figure de bon élève en la matière… Et en parallèle, le Bureau des Nations-Unies pour la réduction des risques de catastrophes a décidé d’héberger le secrétariat du Réseau de Santiago, destiné justement à éviter les pertes et dommages consécutives aux risques naturels conséquences du changement climatique. Comme quoi, il est toujours plus facile de se mettre d’accord pour aider les victimes des catastrophes naturelles que de lutter contre l’origine même de ces risques, surtout si cela va à l’encontre des intérêts économiques majeurs…

L’heure du bilan… Un dessin signé Gobi (source © Facebook / Noirs Dessins)

De ce point de vue, les avancées issues de la COP 28 sont plutôt d’ordre sémantique que réellement engageantes. Il y a été rappelé, comme lors de la COP 26 à Glasgow, qu’il serait bien de sortir progressivement du charbon, mais sans réelle engagement. Et pour la première fois depuis que les COP se réunissent, il a été évoqué la question d’une sortie progressive du recours aux énergies fossiles. Les mots de l’accord final ont été soigneusement choisis pour éviter de froisser ceux qui tirent leurs ressources de l’exploitation des hydrocarbures, se contentant d’affirmer des objectifs finaux tels que la neutralité carbone d’ici 2050, qui reste la finalité de la COP 21, mais sans trop préciser comment y parvenir.

Sous l’influence de Sultan al-Jaber, il est évoqué un scénario qui continue de tirer le meilleur profit des hydrocarbures tout en supposant que les avancées technologiques permettront de développer rapidement des procédés de séquestration du CO2, de telle sorte que l’impact carbone de l’industrie extractive pétrolière sera considéré comme neutre pour la planète. Une utopie qui n’est guère étayée par l’état actuel des avancées scientifiques, mais qui a le mérite de permettre la poursuite du busines as usual

La climatisation contre le réchauffement climatique… Un dessin de Georges Chapatte, publié dans The Boston Globe (source © Chatillonnais en Bourgogne)

La COP 28 a aussi annoncé son ambition de tripler d’ici 2023 le recours aux énergies renouvelables, même si cette démarche reste ambiguë car l’expérience montre que ces énergies ne font que s’ajouter à celle issues des hydrocarbures et du charbon, sans s’y substituer, si bien que les émissions mondiales de gaz à effet de serre, loin de diminuer, continuent à augmenter d’année en année ! Quant à la France, elle s’enorgueillit d’avoir réussi, avec une vingtaine d’autres pays dont les USA et les Émirats Arabes Unis, à promouvoir l’énergie nucléaire comme la panacée universelle en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans pour autant renoncer au gaspillage énergétique auquel on s’est si bien habitué. On sent que l’humanité a fait incontestablement un grand pas en avant à l’occasion de cette COP 28 au pays de l’or noir…

L. V.

Téléthon 2023 : Le CPC s’investit

16 décembre 2023

Cette année, pour la sixième fois, le club de lecture « KATULU ? », composante du Cercle Progressiste Carnussien, a organisé une séance publique, le 30 novembre 2023, consacrée à la présentation de romans sélectionnés par les lectrices sur le thème : « Fiction-Réalité ».

En plus de l’intérêt littéraire de cette manifestation, le public a pu exprimer sa générosité au profit de l’AFM-Téléthon car cette séance était inscrite au programme des manifestations 2023 organisées par la « Force T » en collaboration avec la ville de Carnoux-en-Provence : une quarantaine de participants, 100 tickets de tombola vendus.

Présentation de 5 œuvres littéraires par les membres de Katulu ? le 30 novembre 2023, dans la salle du Clos Blancheton à Carnoux (photo © CPC)

L’introduction de cinq livres a été faite par un diaporama où, dans des extraits d’interviews collationnés par un membre du CPC, les auteurs se sont exprimés sur leur intention d’écriture : les uns ont illustrés la place grandissante du Virtuel et de l’Artificiel dans nos sociétés (Les enfants sont roisAdmirable), les autres la soif d’une réalité maîtrisée, métamorphosée, transfigurée grâce à la poésie (Mahmoud ou la montée des eaux), par la science (Des fleurs pour Algernon), ou par l’histoire via l’uchronie (Civilizations).

Extrait de la vidéo présentée par le Cercle progressiste de Carnoux à l’occasion de la séance publique Katulu ? du 23 novembre 2023 (photo © CPC)

Ces romans mêlent, entremêlent des visions où le passé, le présent, le réel, l’irréel et le virtuel se fondent. L’écriture se veut prophétique, elle enchante l’utopie, adoucit le mal par la poésie. Enfin elle rend à nos auteurs leur rôle et leur pouvoir ainsi que le définit Le Clezio : « l’écrivain n’est le garant de rien d’autre que de la vie dans le langage, invention la plus extraordinaire de l’humanité, elle précède tout. »

Le stand de vente de livres d’occasion tenu par le Cercle progressiste de Carnoux le 1er décembre 2023, dans le gymnase du Mont Fleury à Carnoux (photo © CPC)

La participation au Téléthon s’est prolongée le lendemain soir, 1er décembre 2023, à la salle du Mont Fleury, où le CPC a tenu un stand de vente de livres d’occasion, venant de dons de Carnussiens : livres pour la jeunesse, livres d’art, romans, vendus entre 1 et 3 euro pièce.

La somme de 315 euros a ainsi été collectée et remise au Téléthon par le CPC, somme modeste diront certains, mais ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières !

Merci à tous ceux qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour l’organisation de cette manifestation. Merci à tous ceux qui par leur présence et leur générosité permettent que le Téléthon continue d’apporter l’espérance à tous ceux qui souffrent.

M. A. Ricard

Pour aller plus loin dans la découverte de ces 5 livres :

Katulu ? n° 70

13 décembre 2023

Le cercle de lecture carnussien Katulu ? rattaché au Cercle progressiste carnussien, se réunit chaque mois pour échanger sur ses lectures et partager ses découvertes. Si vous aussi vous avez plaisir à lire et envie de venir discuter, en toute convivialité, de vos derniers coups de cœur tout en découvrant de nouveaux auteurs, n’hésitez-pas à nous rejoindre.

Voici en attendant, un petit aperçu des dernières notes de lectures du groupe, dont il a été question au cours du troisième trimestre 2023, l’intégralité de ces notes étant accessible ci-dessous :

Vivre vite

Brigitte GIRAUD

Le Prix Goncourt 2022 a été attribué à Brigitte Giraud pour « Vivre vite » ! Dans ce roman autobiographique, l’autrice analyse, vingt ans après la mort de son mari dans un accident de moto, les circonstances malheureuses, les mauvais choix qui ont conduit à ce malheur dont elle a eu beaucoup de mal à se remettre. Elle attribue à la maison achetée depuis peu une place primordiale à l’enchaînement des faits qui ont conduit au drame.

Cet écrivain nous permet, grâce au récit, de passer de l’intime, du particulier à un roman vers l’Universel, qui touche tout le monde et nous fait réfléchir sur notre vie dans la société actuelle, notre civilisation où « Vivre vite » est souhaité pour être efficace et rentable.

Josette J.

Au soleil redouté

Michel BUSSI

Ce roman est, pour reprendre la formule d’un critique, « un huis clos à ciel ouvert ».

L’intrigue est amorcée par un concours organisé par les éditions Servane Astine de Paris. Intitulé Plumes lointaines, il s’adresse à des lectrices tentées par le gain d’une invitation exceptionnelle à un atelier d’écriture encadré par l’écrivain Pierre-Yves François, célèbre auteur de best-sellers. Le lieu de l’atelier fait rêver puisqu’il se situe en Polynésie sur l’île d’Hiva Oa qui fait partie des îles Marquises, l’archipel polynésien connu notamment pour avoir été le lieu de séjour de Paul Gauguin puis de Jacques Brel. Le titre Au soleil redouté est d’ailleurs un extrait de la chanson Les Marquises, créée par Jacques Brel en 1977.

Outre l’écrivain animateur de l’atelier d’écriture dont l’intérêt pour les femmes n’est pas un secret, on fait la connaissance de cinq femmes. Martine de Belgique, mamie connectée. Éloïse, une belle femme brune dont la nostalgie confine à la tristesse. Clémence, la bonne élève qui a pour ambition d’être éditée. Marie-Ambre, qui détonne par son snobisme, est accompagnée de sa fille Naïma de 16 ans. Enfin, Faryène, d’origine scandinave, est commandante de police, et voyage avec son mari Yann, gendarme.

Ce roman de près de 500 pages, qui nous entraîne au cœur de la forêt tropicale, intrique plusieurs contenus que l’auteur tisse avec subtilité. La trame est construite à partir de la première consigne donnée aux lauréates par Pierre-Yves François qui engage chacune à écrire dans son journal, outre ce qu’elle perçoit, ressent, sa réponse ou ses réponses à la question : « Avant de mourir, je voudrais … ».

La forme du livre conjugue des pages de ces différents journaux avec le récit dans lequel l’auteur sème des indices qui ne prendront sens qu’au terme de la lecture. Il nous fait ainsi découvrir cinq étranges statues typiques des Marquises (les tikis) qui symbolisent la gentillesse, l’intelligence, l’argent, la créativité et la mort, et qui étrangement ressemblent aux apprenties écrivaines. Il y a aussi l’histoire d’un tatoueur, et comme fil conducteur, une disparition qui va transformer le séjour en un jeu meurtrier dans lequel Yann le gendarme et Maïna l’adolescente se retrouvent pour tenter d’élucider un mystère qui ne se révélera qu’à la fin du roman.

Au soleil redouté, c’est un peu « Dix petits nègres » aux Marquises, mais elles ne sont que cinq !

                                                                       Michel M.

La nuit tombée

Antoine Choplin

Un tout petit roman d’une incroyable douceur pour une virée à « la nuit tombée » dans la ville fantôme qu’est Tchernobyl

Gouri, écrivain, poète, réfugié à Kiev, s’est lancé dans un projet fou. Derrière sa vieille moto, il a ficelé tant bien que mal une remorque, roule et s’enfonce dans des zones toujours contaminées autour de Tchernobyl. Maisons murées ou effondrées, la nature qui survit, ces signes mystérieux et inquiétants qui disent que le danger est toujours là.

En route il retrouve Iakov qui est retourné « nettoyer » la zone, à la demande des autorités et qui le paie désormais au prix fort. Un instant, il trouve l’énergie pour se souvenir de l’avant, des scènes sidérantes se reconstituent pour dire l’innommable… Et puis il y avait eu cette hébétude, le 3ème jour. Eux tous, lestés du strict nécessaire. Évacués…

Gouri réussit à s’introduire à Pripiat, sa ville, malgré les barbelés, les rondes des gardiens. Son appartement a été pillé comme tant de maisons, de bâtiments publics. « Des trafiquants, des bandits, des gros bras. Dans ce coin là ils font ce qu’ils veulent. Vaut mieux pas les croiser. »

Il est venu dans un but bien précis, pour pas grand-chose… Récupérer la porte de la chambre de sa fille bariolée de ses dessins d’enfants, sa fille aujourd’hui adolescente malade, contaminée.

Cette histoire forte, ramassée, s’achève au lever du jour. Sans drame il rentre à Kiev

Tout ce texte est ainsi tissé par l’écriture pudique de l’auteur, tout en retenue. L’horreur de cet événement est dit par ellipses. Il y a une poésie à la fois lumineuse et saisissante qui dit simplement le drame humain qui s’en est suivi pour des milliers de familles : « il y a eu la vie ici / il faudra la raconter à ceux qui reviendront / et s’en souvenir nous autres en allés »…

                                                                                                          Marie-Antoinette

Les huit montagnes

Paolo Cognetti

Ce récit est avant tout un parcours initiatique, une histoire de vie et d’amitié entre deux garçons du même âge que tout sépare, Pietro, un garçon de Milan, et Bruno, un montagnard. Pietro est un enfant de la ville. L’été ses parents louent une maison à Grana, au cœur de la vallée d’Aoste. Là-bas, il se lie d’amitié avec Bruno, un vacher de son âge. Tous deux parcourent inlassablement les alpages, les forêts et les chemins escarpés dans cette nature sauvage, près du Mont Rose, si bien décrite. Le garçon découvre également une autre facette de son père qui, d’habitude taciturne et colérique, devient attentionné et se révèle un montagnard passionné.

Vingt ans plus tard il revient sur les traces de ce passé, après avoir refusé à l’adolescence de suivre son père sur les sentiers d’altitude et s’être éloigné de cette montagne de l’enfance pour s’inventer sa propre vie. Ce père lui a légué un terrain à 2000 m d’altitude, avec une ruine adossée à la roche sur un aplat surplombant un lac de montagne.

Il retrouve son ami d’enfance, devenu maçon qui l’aidera à reconstruire cette maison et découvre que celui-ci était devenu très proche de son père, comblant le vide laissé par son absence. Quel message, ce père taiseux, dont il ignore le passé, a-t-il voulu lui envoyer ?

Un livre de vie puissant, où le désenchantement et le doute sans cesse se confrontent à l’émerveillement et à l’espoir dans les décors majestueux du val d’Aoste. Où la nature y est décrite avec beaucoup de justesse et de poésie. Dans une langue pure et poétique, Paolo Cognetti mêle l’intime à l’universel. Il signe un grand roman d’apprentissage et de filiation.

                                                                                               Dany

Triste Tigre

Neige Sinno

Le sujet : son viol par son beau-père. Les faits datent des années 1986 à 1991, entre ses 7 ans ou 9 ans jusqu’à ses 14 ans, selon la plainte déposée en justice. Neige Sinno évoque ici un viol reconnu par la justice et par le coupable lui-même et qui a abouti à une peine de 9 années de prison, ce qui est un verdict exceptionnel.

TRISTE TIGRE bénéficie d’une large couverture médiatique en cette rentrée littéraire. Le succès est mérité, justifié par le parti pris d’un style original. Comme beaucoup d’autres récits de ce genre il s’appuie sur l’outil autobiographique mais sans suivre une ligne linéaire ou chronologique. L’auteur illustre son propos de références littéraires nombreuses.

Les faits sont exposés, revisités selon l’éclairage de plusieurs regards, de différentes époques dans un style humble et émouvant. Reflet d’une obsession, d’un questionnement douloureux et inassouvi. Neige Sinno ne raconte pas volontiers le déroulement sordide du viol, malgré un style cru, le ton reste pudique, honteux.

Elle pose évidemment le problème du consentement. Ce moment d’ « extrême violence sans violence », les zones grises, les franges d’incertitude. Il reste toujours l’humiliation. Les conséquences du viol sont l’ébranlement systémique des fondements de l’être, conduisant au suicide parfois, au développement possible de maladies futures. Ainsi ses kystes et son cancer des ovaires sont « sa poche de larmes ». Elle constate : « même si on s’en sort, on ne s’en sort pas vraiment ».

Dans ses rapports avec la société elle énonce : « La parole fait la réputation, la dénonciation l’opprobre ». Elle ajoute : « Il faut être prêt à perdre beaucoup de choses quand on décide de parler ». Dans son cas, son approche de la littérature ne l’a pas sauvée

Ce livre témoin de ce Tigre sorti de sa cage, ce livre qui manie l’introspection, le réquisitoire, le démonstratif, le didactique, le journalistique, la poésie, ce livre nous entraîne dans des mondes irréconciliables, inconciliables. Sauvage ou lisse en apparence l’auteur tisse avec nous lecteurs, des liens invisibles. Des liens avec nos fantômes, ou des frères de croisade et nous enjoint de « trébucher, mais ne pas tomber ».

                                                                                   Nicole

Les enfants sont rois

Delphine de Vigan

Sous forme de thriller, Les enfants rois met en scène de jeunes enfants victimes de l’addiction des adultes aux réseaux sociaux. L’action, située entre 1986 et 2030, met en parallèle la vie de deux jeunes femmes contemporaines.

Mélanie Claus naît en 1986 dans le Sud-Ouest. En 2001, la famille suit avec passion l’émission télévisée « love-story » qui met en vedette Loana. Mélanie se rêve alors en héroïne de téléréalité. En 2011, elle épouse Bruno et cesse de travailler à la naissance son petit garçon Sammy. Trois ans plus tard, à la naissance d’une fille appelée Kinny, la famille s’embourgeoise et s’installe à Chatenay-Malabry, banlieue aisée de Paris.

Clara Roussel, quant à elle, naît à Paris la même année. Fille unique de parents intellectuels, contestataires et activistes qui l’emmènent très jeune dans les défilés et les manifestations populaires. Après des études brillantes en fac de droit et un succès au concours de l’école de police, Clara réalise son rêve en entrant à « la Crim » comme procédurière, et s’investit profondément dans un boulot pour lequel elle renonce à toute romance intime.

Mélanie adore sa famille mais s’ennuie dans la routine. Découvrant les réseaux sociaux, elle met en scène son fils Sammy dans une première vidéo qui remporte un certain succès. Elle y ajoute bientôt bébé Kinny. L’affaire est lancée. C’est une véritable entreprise dont la réussite met la famille au rang des millionnaires.

Mais quel retentissement sur la santé mentale et affective des enfants ? Un jour, la petite Kinny, âgée de six ans, disparaît. Clara Roussel, chargée de l’affaire, désire travailler avec discrétion mais les réseaux sociaux ne tardent pas à se mêler de l’affaire….

Delphine de Vigan met en lumière le « rôle du virtuel » dans la réalité de la « vie réelle ». Des situations extrêmes qui ouvrent une réflexion sur notre société privilégiant le vivre en virtualité et bientôt le rôle de l’intelligence artificielle.

                                                                                                          Roselyne

Tigré : la guerre passée sous les radars

10 décembre 2023

Depuis le 7 octobre 2023, le monde entier à les yeux rivés sur la bande de Gaza, ce territoire palestinien minuscule aux confins du désert égyptien, d’où est partie l’attaque meurtrière des fous de Dieu du Hamas, et qui croule désormais sous les bombardements sauvages de l’armée israélienne. La première aurait fait, selon les derniers décomptes israéliens de l’ordre de 1200 morts, principalement des civils auxquels s’ajoutent les 240 personnes enlevées comme orages et dont tous n’ont pas encore été libérés. Côté palestinien, le bilan de l’attaque israélienne qui se poursuit est incontestablement plus lourd, se rapprochant désormais des 18 000 morts si l’on en croit les chiffres officiels du Ministère de la Santé de Gaza. Et les opérations militaires se poursuivent malgré les protestations horrifiées de la plupart des agences humanitaires internationales qui assistent impuissantes à cette rage destructrice aveugle de l’armée israélienne, encouragée par son indéfectible allié américain. A ce jour, Tsahal ne reconnait la perte que de 80 soldats, ce qui en dit long sur le côté asymétrique de cette guerre.

Pompiers palestiniens s’efforçant d’éteindre l’incendie d’une maison bombardée par l’armée israélienne le 9 décembre 2023, à Khan Younis, au sud de Gaza (photo © Ibrahim Abu Mustafa / Reuters / ICI Radio Canada)

En comparaison, le conflit en cours sur le sol ukrainien que l’armée russe de Vladimir Poutine s’est mise en tête d’envahir après avoir purement et simplement annexé la Crimée en 2014, conflit qui focalise lui-aussi l’attention des médias du monde entier, a très probablement fait davantage de victimes mais sur une durée incomparablement plus longue puisqu’il dure désormais depuis bientôt 2 ans. Là aussi, les chiffres avancés sont à manier avec la plus extrême prudence car la propagande fait rage, des deux côtés, et il n’est pas toujours aisé de démêler le vrai du faux…

Rue de la ville de Marioupol, théâtre de combats sanglants entre forces russes et ukrainiennes, ici le 4 mai 2022 (photo © Valery Melnikov / Sputnik / FranceTVinfo)

Le nombre de civils ukrainiens tués, souvent à la suite de bombardements aériens ou de tirs de missiles, parfois très loin des zones de combat est évalué à plus de 40 000 par les autorités ukrainiennes et a minima entre 10 et 30 000 selon les sources occidentales les plus fiables. A cela s’ajouteraient au moins 20 à 60 000 morts dans les rangs des forces armées ukrainiennes et peut-être entre 30 et 120 000 du côté russe. Les fourchettes sont larges et la guerre fait toujours rage, si bien que l’on ne connaitra peut-être jamais le décompte exhaustif des victimes de cette guerre d’un autre âge et qui s’avère particulièrement meurtrière.

Bien d’autres conflits sont en cours sur la planète, en ce moment même, notamment au Yémen, en proie à une guerre civile qui dure depuis 2015, lorsque les rebelles chiites houthistes se sont emparés du palais présidentiel à Sanaa. Une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite s’oppose par les armes à ce mouvement houthiste appuyé par l’Iran, bombardant parfois sans trop de discernements écoles et hôpitaux aux mains du mouvement rebelle. En mai 2022, plusieurs instances des Nations-Unies évaluaient le bilan à au moins 380 000 morts parmi la population civile yéménite, dont peut-être 150 000 liés directement aux combats et probablement 2,5 millions de déplacés…

Rassemblements d’habitants après le bombardement d’une maison à Sanaa, au Yémen, le 26 août 2017, faisant 14 morts (photo © Muhammed Huwais / AFP / France 24)

La Syrie fait aussi partie de ces théâtres de confrontation où les populations civiles ont payé un lourd tribut. En juin 2022, le Haut-Commissariat aux Réfugiés, une instance onusienne, évaluait ainsi à près de 307 000 le nombre de civils tués dans ce pays en 10 ans de guerre, entre le 1er mars 2011 et le 31 mars 2022. La guerre civile y était née d’une volonté d’émancipation démocratique liée au Printemps arabe, en 2011, dirigée contre le régime autoritaire et répressif de Bachar el-Assad.

Tentative de sauvetage après un bombardement à Alep, en Syrie, le 11 septembre 2016 (photo © Amir Al Halbi / AFP / Le Pélerin)

Réprimé sauvagement, le mouvement s’est rapidement transformé en rébellion armée dans laquelle l’Armée syrienne libre se voit peu à peu supplantée par des groupes djihadistes dont l’état islamique à partir de 2014. La Russie soutient massivement, dès 2015, le régime de Bachar el-Assad, pourtant à l’origine de la plupart des morts civils par bombardements aériens, gazage à l’arme chimique, voire torture dans les geôles du régime. La Turquie y joue aussi un rôle majeur, d’abord contre les troupes de l’État islamique, puis contre les combattants kurdes qui avaient pourtant largement contribué à l’affaiblissement de ce dernier…

Mais l’un de ces conflits récents mérite une mention spéciale même s’il s’est pour l’essentiel déroulé à l’abri des regards extérieurs. Il s’agit de la guerre du Tigré, qui a eu lieu sur le sol éthiopien entre novembre 2020 et novembre 2022, date de la signature d’un accord sous l’égide de l’Afrique du Sud. Cette guerre civile est née de la volonté du Premier ministre d’alors, Abyi Ahmed, de mettre fin en 2019 au système politique en vigueur qui permettait au Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, une coalition de partis ethniques, de diriger le pays depuis 1994. Cela déclenche la révolte du FLPT, le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), une organisation régionaliste créée en 1975 pour combattre le régime autoritaire de Mengistu Hailé Mariam. Ce parti très majoritaire dans la région du Tigré, avait abandonné en 1990 ses références marxistes-léninistes et soutenait depuis lors le parti national majoritaire.

Monastère de Debre Dabo, fondé au VIe siècle après J.-C., perché sur une plateforme rocheuse à 2200 m d’altitude dans la région du Tigré (photo © Shutterstock / Aleteia)

Le Tigré, c’est cette région montagneuse du nord de l’Éthiopie, l’une des 13 qui divisent administrativement le pays depuis 1995, frontalière avec l’Érythrée et avec le Soudan. La région, grande comme l’Autriche et qui compterait de l’ordre de 6 millions d’habitants, est notamment connue pour ses nombreux barrages et ses églises taillées dans le rocher, parfois perchées au sommet de falaises peu accessibles comme c’est le cas de l’ancien monastère Debre Dabo. Les Tigréens ne représentent que 6 % de la population éthiopienne et ils ont donc vu d’un mauvais œil la tentative d’Abyi Ahmed de sortir le pays de ses coalitions ethniques pour créer un parti national dans lequel l’ethnie Oromo, largement majoritaire, se taille la part du lion.

Le FLPT entre donc en rébellion ouverte et attaque, le 4 novembre 2020, les forces armées éthiopiennes à Makelé, capitale régionale du Tigré, et à Dansha, dans l’ouest de la région. La moitié des forces armées du pays sont alors stationnées dans le secteur, suite au conflit encore récent avec l’Érythrée voisine, devenue indépendante en 1993. Mais le FLPT peut compte sur le soutien engagé d’environ 250 000 miliciens et l’appui tacite de la population. La réaction du gouvernement est brutale. Les troupes armées éthiopiennes, appuyées par les forces armées érythréennes et par les milices Amhara, issue de la région limitrophe au sud du Tigré, se déchainent contre la population locale, n’hésitant pas à l’affamer et à se livrer à d’atroces exactions envers les civils, provoquant de multiples massacres et des viols systématiques.

Epave de char de combat détruit par une attaque de drone près de la ville de Haïk, le 12 janvier 2022 (photo © J. Countess / Getty Images / Géo)

Pendant 2 ans, la région est quasiment coupée du monde et nul n’est en mesure d’estimer avec précision le bilan de ce conflit, considéré, à ce jour, comme le plus meurtrier du XXIe siècle. Selon une enquête minutieuse, réalisée par l’universitaire belge Jean Nyssen et évoquée notamment fin janvier 2023 dans le quotidien espagnol El Pais le conflit aurait causé la mort de 100 à 200 000 combattants des deux côtés et probablement de l’ordre de 600 000 civils, souvent victimes indirectes, tués surtout par la faim et les épidémies déclenchées par les combats et la volonté du gouvernement de mater la population locale.

On est certes encore très en deçà des bilans effrayants de la Seconde guerre mondiale avec ses près de 60 millions de morts dont plus de 17 millions de combattants, les civils payant un tribut de plus en plus lourd dans ces conflits dits « modernes », mais le XXIe siècle vient tout juste de commencer et on peut faire confiance dans la rage destructrice des hommes pour combler rapidement ce petit retard…

L. V.

Marseille : plus vieille la ville ?

4 décembre 2023

Chacun, ou presque, sait que la ville de Marseille a été créée il y a exactement 26 centenaires, comme le rappelle le parc du même nom, aménagé sur un peu plus de 10 hectares, près de la place Castellane, à l’emplacement de l’ancienne gare du Prado et inauguré en 1999. A cet endroit avaient été installés en 1875 les ateliers de la société PLM qui exploitait alors la liaison Paris-Lyon-Marseille et, en 1878, le site avait pris une importance accrue pour le transport de marchandises avec le percement du nouveau tunnel Prado-Carénage permettant le transport de fret sous la ville directement vers les bassins du port. Mais en 1993, cet ancien tunnel ferroviaire, surcreusé et allongé, a été transformé en tunnel routier à péage et la gare du Prado a été définitivement abandonnée après avoir servi longtemps pour charger les trains d’ordures à destination de l’ancienne décharge d’Entressen avant la mise en service de l’incinérateur de Fos-sur-mer.

Vestiges encore visibles de l’ancienne gare de marchandise du Prado, dans le parc actuel du 26e centenaire (source © Made in Marseille)

Toujours est-il que si ce nom étrange a été choisi pour désigner un des rares grands parcs urbains que compte la ville de Marseille, quelque peu défiguré par les travaux récents du tunnel Schloesing, c’est parce que chacun s’accorde à penser que la cité phocéenne a été fondée, comme son surnom l’indique, par une poignée de navigateur grecs débarqués vers 600 avant J.-C. sur les rivages du Lacydon, cette calanque naturelle qui a donné le Vieux-Port actuel.

Reconstitution de la calanque du Lacydon à l’époque des Phocéens (source © Le journal de joli rêve)

A l’époque, des populations d’origine celto-ligures, désignées souvent sous le terme de Salyens et dont la confédération s’étendait du Rhône jusqu’au fleuve Var, avec pour capitale la ville d’Entremont, située sur les hauteurs d’Aix-en-Provence, étaient déjà établies avec de nombreux oppidums installés sur toutes les parties hautes de la zone. Les Gaulois Salyens sont alors de fait les principaux habitants de la région jusqu’à l’occupation de la Narbonnaise par les troupes romaines à partir de 125 avant J.-C. puis la prise de Massalia par les armées de Jules César en 49 avant J.-C qui romanisent le nom de la cité en Massilia.

A l’époque, ceux qui sont installés sur les hauteurs de Marseille, dans l’oppidum de Saint-Marcel, au-dessus de la vallée de l’Huveaune, mais aussi dans celui de Saint-Blaise, sur la commune actuelle de Saint-Mitre-les-Remparts, près de l’étang de Berre, sont des Ségrobriges, l’une des tribus réunies dans la confédération salyenne. C’est à un historien romain nettement plus tardif, Marcus Junianus Justinus, ayant probablement vécu vers l’an 250 voire 400 après J.-C., que l’on doit le récit, sous doute largement imaginaire, de la création de la colonie grecque de Massilia par un groupe de colons ioniens, dirigés par Simos et Protis, venus de la cité antique de Phocée, en Asie Mineure.

Les noces de Protis et Gyptis, tableau du peintre marseillais Joanny Rave, de 1874 (source © Landkaart)

Selon Justin, les commandants grecs de la flotte rendent visite au roi des Ségobriges, dans son oppidum du Baou de Saint-Marcel, un certain Nanus, justement occupé à régler le mariage de sa fille Gyptis. Selon la coutume locale, un banquet est organisé, au cours duquel la future mariée doit verser de l’eau à celui destiné à être son époux. Par courtoisie, les visiteurs étrangers sont invités au banquet et, contre toute attente, la jeune Gyptis choisit de remplir la coupe du séduisant Protis, au grand dam des autres prétendants locaux.

Le roi des Ségobriges attribue du coup aux colons grecs un emplacement près du Lacydon où les Grecs fondent donc leur première colonie, sur les hauteurs du Panier actuel. La suite de la cohabitation avec les Ségobriges locaux fut vraisemblablement moins idyllique, ce qui n’empêcha pas la colonie grecque de prendre de l’ampleur et de fonder bien d’autres colonies aux alentours, à l’emplacement actuel de Cassis, d’Avignon, d’Agde, d’Antibes, de Nice, de Monaco et d’Aléria notamment, certaines d’entre elles, dont celle de Béziers étant même d’ailleurs antérieures comme le montrent les fouilles les plus récentes.

Le jardin des vestiges à côté du Centre-Bourse de Marseille avec les restes des quais de l’ancien port grec du Lacydon, mis à jour en 1967 (source © Tourisme Marseille)

Mais voilà que certains remettent en cause ce mythe de la fondation de Marseille par les Grecs et l’attribuent aux Phéniciens, estimant que cette création aurait peut-être eu lieu deux siècles plus tôt, après la fondation de Cartage, qui date d’environ 800 avant J.-C., mais avant celle de Rome daté de l’an 753 avant notre ère. Une théorie que soutient mordicus l’ancien journaliste du Méridional, Gabriel Chakra, qui a publié en août 2022 aux éditions Maïa, un livre intitulé Marseille phénicienne – Chronique d’une histoire occulte, dans lequel il tente de démontrer qu’avant même l’arrivée des Grecs de Phocée, le site de Marseille abritait un comptoir phénicien et que le mot Marsa, qui signifie « port » en Phénicien et que l’on retrouve dans l’appellation des villes anciennes de Mers-el-kébir (en Algérie), de Marsala (en Sicile) ou de Marsaxlokk (ancienne Malte) serait aussi à l’origine du nom de Marseille.

En réalité, l’essentiel de son argumentation repose sur la découverte en 1845, dans le quartier de la Major, avant même le début du chantier de Notre-Dame de la Major, débuté en 1852, d’un bloc de pierre recouverte d’inscriptions. Etudiée alors par l’abbé Bargès, professeur d’hébreu, la petite tablette retrouvée brisée en deux, révèle 21 lignes écrites en caractères phéniciens, qui détaillent le prix de différents sacrifices (vache, porc, poule) destinées au dieu Baal. Connu sous le nom de « tarif de Marseille », cette tablette d’origine indubitablement phénicienne a été examiné peu après sa découverte par l’archéologue Charles Texier qui y reconnait sans le moindre doute des caractères phéniciens et conclut d’un simple coup d’œil que le bloc de calcaire sur lequel a été gravé ce message antique est indubitablement issue des carrières de pierre de Cassis, alors exploitées de longue date.

Une analyse partagée par l’abbé Bargès, qui avait publié dès 1847, sous le nom de Temple de Baal à Marseille, une notice décrivant cette découverte historique majeure et qui récidive donc en publiant une autre note historique en 1868, dans laquelle il reconnait néanmoins que, après étude géologique plus approfondie, la pierre en question ne provient absolument pas des carrières de Cassis mais des environs de Carthage, ce qui confirme le caractère importé de l’objet.

Mais à cette période, les Phéniciens sont à la mode ! Gustave Flaubert, parti se faire oublier en Afrique du Nord après le scandale déclenché par la sortie de Madame Bovary, publie en 1862 son roman historique Salammbô qui relate la guerre des mercenaires, opposant au IIIe siècle avant J.-C. les Carthaginois aux mercenaires barbares employés durant la première guerre punique. Il y évoque une action qui se situé « à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar », et la France entière se passionne alors pour cette civilisation phénicienne dont la reine Didon, celle-là même qui « dina, dit-on, du dos dodu d’un dodu dindon » comme chacun l’a appris en cours de diction, fonda en 814 avant notre ère la ville de Carthage, dont la puissance ébranla, bien des années plus tard, celle de Rome elle-même.

Salammbô, huile sur toile peinte par Jean-Paul Sinibaldi en 1885 (source © Wikipedia)

Toujours est-il qu’en 1885, dans son Histoire de l’art dans l’Antiquité, qui fera référence pendant toute la fin du XIXe siècle, Georges Perrot reprend à son compte l’histoire du tarif phénicien de Baal qui aurait été gravé sur un bloc de pierre de Cassis, accréditant l’idée d’une colonie phénicienne alors bien implantée sur les rives du Lacydon. On sait désormais que cette pierre, en réalité extraite près de Carthage et probablement gravée au IVe siècle seulement avant J.-C., a sans aucun doute été importée par bateau et que sa présence à Marseille traduit simplement la réalité des échanges nombreux à cette époque entre Grecs et Phéniciens.

Quant à la fondation de Massalia par des colons phocéens, elle ne fait guère de doute aux yeux des historiens qui ont largement documenté les vestiges de l’implantation grecque au VIe siècle avant notre ère, même si la vérité oblige à dire que la présence humaine autour de Marseille est en réalité nettement plus ancienne comme en attestent les datations effectuées sur les peintures rupestres de la grotte Cosquer dont les plus anciennes remontent à 33 000 ans, à une époque où, comme le rappelle 20 minutes, il n’y avait ni Grec ni Phénicien dans les calanques de Marseille, mais surtout des phoques et des pingouins

L. V.

Un record mondial de plongée souterraine

1 décembre 2023

Le 3 novembre 2023, le Marseillais Frédéric Swierczynski a réalisé un véritable exploit en battant le record mondial de profondeur en plongée souterraine, en descendant à -308 m dans la résurgence de Font Estramar, située dans les Pyrénées orientales. L’exploit est passé assez inaperçu, même si la presse s’en est fait les échos, mais il mérite d’être salué car une telle pratique n’est pas à la portée du premier venu !

Frédéric Swierczynski, se préparant à plonger (source © blog Francis Le Guen)

Plonger en apnée est vieux comme le monde. La pratique est fréquente depuis des millénaires dans nombre de civilisations vivant de la pêche et de la récolte des coquillages, de la nacre ou du corail. Au Japon, les Amas, des femmes exclusivement, plongent ainsi traditionnellement depuis au moins 4000 ans dans la baie de Nago, sur l’île d’Okinawa, pour cueillir algues, escargots de mer, poulpes et oursins, même si la pratique est actuellement en train de disparaître.

Mais la plongée récréative en apnée s’est depuis très largement développée, popularisée notamment par le célèbre film de Luc Besson, Le Grand Bleu, qui, en 1988, mettait en scène la rivalité entre deux plongeurs, le Sicilien Enzo Maiorca, premier homme à descendre en apnée sous la barre des 50 m, et le Français Jacques Mayol, qui fut le premier à descendre en apnée à plus de 100 m de profondeur en novembre 1976. Depuis certains ont fait beaucoup mieux, notamment l’Autrichien Herbert Nitsch, détenteur de plusieurs records du monde dont celui de profondeur en immersion libre à 120 m et celui de la technique dite « no limit », qui consiste à descendre en apnée à l’aide d’une gueuse lestée puis de remonter le long du câble ou avec un ballon gonflé d’air, ce qui lui a permis d’atteindre en 2007 la profondeur incroyable de 214 m au large de l’île grecque de Spetses.

Les interprètes du film le Grand Bleu, du réalisateur Luc Besson, incarnant les apnéistes Enzo Maiorca et Jacques Mayol (source © Cinésérie)

Mais c’est une tout autre discipline que la plongée profonde avec bouteilles, développée grâce à l’incroyable démocratisation qu’a connue cette discipline. Au-delà de 20 m, la pratique demande une qualification spécifique, et à partir de 60 m, les plongeurs ne peuvent plus utiliser des bouteilles d’air comprimé classiques car l’azote, au-delà d’une certaine pression partielle devient toxique pour le corps humain. La plongée profonde requière donc le recours à des mélanges spécifiques et surtout exige une adaptation physiologique car le corps humain est sujet, au-delà d’une certaine profondeur, à des risques spécifiques tels que la narcose, dite aussi « ivresse des profondeurs », à l’hyperoxie, due à un excès d’oxygène dans le mélange utilisé, voire au syndrome nerveux des hautes pressions, mis en évidence dès 1962 à l’occasion de plongées de la COMEX en caisson hyperbare à 362 m de profondeur.

L’entreprise marseillaise est d’ailleurs détentrice du record mondial de profondeur atteinte en caisson hyperbare en 1992, à 701 m de profondeur et en scaphandre à 675 m de profondeur ! En plongée à saturation, qui consiste à saturer préalablement l’organisme des plongeurs en les laissant séjourner plusieurs jours dans des caissons, des plongeurs professionnels de la COMEX ont atteint en 1988 la profondeur record de 534 m. Bien entendu, la plongée avec bouteilles ne permet pas de descendre aussi profondément, mais le nageur de combat égyptien Ahmed Gamal Gabr a néanmoins atteint en 2014 la profondeur de 332 m, battant de peu le record mondial détenu depuis 2005 par le Français Pascal Bernabé, descendu en 2005 à 330 m de profondeur au large de Propriano en scaphandre autonome.

Le plongeur Pascal Bernabé, détenteur d’un record de profondeur de plongée entre 2005 et 2014 (photo © François Brun / Paroles de plongeurs)

De plus en plus, les plongeurs utilisent des recycleurs à la place des bouteilles de gaz classiques. Le principe ne date pas d’hier puisque c’est un Britannique qui l’a inventé, dès 1620, fabriquant de l’oxygène par chauffage de salpêtre pour remplir son prototype de sous-marin immergé dans la Tamise ! Depuis les techniques, développés notamment à des fins militaires pour les nageurs de combat, se sont bien développées et a technique permet aux plongeurs de respirer en circuit fermé après retraitement du gaz expiré. Avec ce type de matériel, le record mondial de profondeur a été atteint en octobre 2018 par Jarek Macedonian, descendu à 316 m dans le lac de Garde en Italie.

Xavier Méniscus, ex détenteur du record de profondeur de plongée souterraine à Font Estramar depuis le 30 décembre 2019 (source © Grand Sud)

Et c’est le même type de matériel qui est utilisé en plongée souterraine et qui a donc permis à Frédéric Swierczynski d’atteindre tout dernièrement cette profondeur incroyable de 308 m, pulvérisant le dernier record de profondeur en plongée souterraine, détenu depuis le 30 décembre 2019 par un autre Français, Xavier Méniscus, plongeur professionnel à l’origine de nombreuses avancées dans l’exploration des rivières souterraines de Cassis, qui était alors descendu à 286 m de profondeur dans cette même résurgence de Font Estramar.

Résurgence de Font Estramar avec son eau limpide en surface (source © Plongée infos)

Cette dernière, qui se situe en bordure de l’autoroute A9, sur la commune de Salses-le Château, dans le Roussillon, s’ouvre au pied d’un imposant escarpement rocheux, correspondant à la faille de la Têt, et draine une bonne partie du massif des Corbières pour alimenter l’étang de Salses. Les premières plongées y datent de 1949, avec des équipements développés par Cousteau, mais il a fallu attendre les années 1970-80 pour que les plongeurs dont Claude Touloumdjian puis Francis Le Guen s’aventurent en profondeur dans son immense réseau de galeries noyées. En 1997, Pascal Bernabé y atteint la profondeur de 185 m puis, à partir de 2013, Xavier Méniscus, équipé de recycleurs, permet aux explorations du réseau de faire de grands pas, jusqu’à son record de profondeur réalisé en 2019, à plus de 1 km de l’entrée.

Frédéric Swierczynski en plongée dans la galerie de Port-Miou (photo © Alexandre Legrix / blog Francis Le Guen)

Cette nouvelle avancée, réalisée en novembre 2023 par Frédéric Swierczynski, explorateur spéléonaute marseillais, spécialiste de la plongée en recycleur qu’il pratique depuis ses 18 ans, lui-même découvreur de galerie dans le réseau noyé de Port-Miou, n’est évidemment pas le fruit du hasard mais le résultat d’une expédition soigneusement préparée, accompagné d’une dizaine d’autres plongeurs spéléonautes aguerris, tel qu’il le raconte notamment sur son site. Car un tel exploit demande un matériel très spécifique, redondant pour palier toute défaillance, mais aussi une parfaite maîtrise de soi et une condition physique à toute épreuve, de nombreux plongeurs ayant récemment perdu la vie en plongeant sur ce même site.

Elle demande aussi une solide organisation avec plusieurs plongeurs pour faire les relais aux paliers de décompression. Tracté par un scooter, la descente du plongeur se fait à grande vitesse, accompagné par un autre plongeur jusqu’à 190 m de profondeur. Puis c’est la plongée en solitaire jusqu’à – 260 m atteint en 15 mn seulement mais qui vaut au plongeur pourtant aguerri un déclenchement de syndrome nerveux des hautes pressions, heureusement passager et qui ne l’empêche pas de poursuivre, jusqu’à cette profondeur encore jamais atteinte, explorant pour la première fois des galeries noyées où l’homme n’avait jamais pénétré.

Frédéric Swierczynski remontant à travers le réseau noyé de Font Estramar après son record mondial de profondeur (source © blog Francis Le Guen)

Mais il n’est pas raisonnable de poursuivre car le retour vers la surface s’annonce déjà très long avec des paliers de décompression interminables et douloureux. Pour une descente qui a duré moins de 30 mn, il lui faudra patienter plus de 6h30 pour arriver à émerger de nouveau ! Un exploit remarquable et qui n’est sans doute pas le dernier pour ce plongeur chevronné qui poursuit par ailleurs depuis 2013 ses explorations dans le siphon de la Mescla, dans les Alpes-Maritimes où il avait atteint en août 2016 la profondeur de – 267 m dans le siphon terminal, en attendant la suite…

L. V.