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Les oubliettes du château de Saint-Marcel

23 décembre 2023

Malgré ses 2600 ans d’existence revendiqués, et contrairement à bien d’autres cités françaises pourtant plus récentes, la ville de Marseille ne détient quasiment aucun patrimoine architectural datant du Moyen Âge. Les deux maisons emblématiques qui subsistent près de l’hôtel de Ville, vestiges préservés des dynamitages opérés par l’armée d’occupation allemande en février 1943 sur toute la rive nord du Vieux-Port, la maison diamantée et l’hôtel de Cade, datent de la Renaissance seulement.

Mais il subsiste néanmoins, à l’extérieur de Marseille, les vestiges d’un château fort médiéval, peu connu et difficile d’accès, dont les ruines, en partie envahies par la végétation, bordent pourtant les villas modernes en contrebas et dominent les barres grisâtres des Néréides et du Bosquet. Édifié sur un promontoire rocheux en bordure nord du massif de Carpiagne / Saint-Cyr, entre la Valbarelle et la Barasse, sur une crête orientée Est-Ouest du rocher de Saint-Clair, le site est stratégiquement judicieux. De ce promontoire qui surplombe le quartier de Saint-Marcel et la vallée de l’Huveaune en contrebas, la vue s’étend depuis la Sainte-Baume jusqu’à la rade de Marseille et à la colline de la Garde.

Vue du castrum de Saint-Marcel depuis le nord-est avec en pointillé une reconstitution de l’ancien chemin d’accès médiéval (photo © N. Bourgarel / INRAP)

Un lieu défensif particulièrement bien choisi donc et qui a très probablement été utilisé par nos lointains ancêtres celto-ligures qui affectionnaient les implantations en hauteur pour y édifier leurs oppida, à l’instar du Baou de Saint-Marcel qui se situe juste en vis-à-vis, sur l’autre rive de l’Huveaune. Une campagne de fouilles préventives vient tout juste de se tenir sur ce site du castrum de Saint-Marcel, pilotée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) en prévision d’un projet d’ouverture du site au public par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône qui est propriétaire des lieux. Elle a justement permis de conforter la présence humaine sur cet éperon rocheux à l’époque proto-historique, avec quelques fragments de poteries retrouvés à la base du site, dans les anfractuosités de la roche mère.

Vue aérienne des vestiges du castrum de Saint-Marcel (photo © N. Bourgarel et B. Sillano / INRAP)

A ce stade, rien ne permet néanmoins de confirmer qu’un oppidum habité avait été édifié à cette époque ou s’il s’agissait simplement d’un lieu de campement épisodique. Les Romains n’y ont pas laissé beaucoup de traces non plus, en dehors de quelques tessons retrouvés en surface, datés du IIe siècle après J.-C. Il semble pourtant que le lieu ait servi de poste de guet lors du siège de Massalia conduit par les armées de Jules César en 49 avant notre ère, mais les vestiges attestant de cette période ancienne restent encore à retrouver.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que les ruines encore bien visibles sont celles d’un castrum qui a été édifié au Ve siècle sur cet étroit éperon rocheux dont la largeur ne dépasse pas une douzaine de mètres. Ce site fortifié abritait un village en contrebas et un château fort sur les hauteurs, le tout enserré dans une même enceinte défensive qui s’appuie sur la topographie naturelle escarpée de cet éperon rocheux datant du Crétacé moyen et dont la roche fournit la matière première, pour les blocs de pierre comme pour la chaux.

Reconstitution des différents états successifs du castrum (source © DAO G. Frommherz / INRAP)

C’est justement ce mortier servant de liant entre les pierres de maçonnerie qui permet de dater les différents états du château qui, comme tout fortin de nature défensive, a subi plusieurs vicissitudes au fil des siècles. Une histoire qui vient plus ou moins confirmer l’analyse qu’en avait faite en 1888 le marquis de Forbin dont la propre demeure se trouvait juste en contrebas et qui avait alors lancé une campagne de fouilles archéologiques de grande ampleur. Les chercheurs de l’INRAP, après débroussaillage des lieux, ont constaté effectivement que tout le site avait déjà été soigneusement fouillé et que l’essentiel des couches de démolition avait déjà été enlevé.

C’est d’ailleurs cette monographie du marquis de Forbin qui conclut à une première destruction du château fort de Saint-Marcel en 732, à l’occasion d’une razzia des Sarrasins. En 1057, on retrouve dans les archives de l’abbaye de Saint-Victor une première mention écrite du château sous le nom de sanctus Marcellus castellum Massiliense, autrement dit Saint-Marcel, château marseillais. Propriété successive de l’évêché, des vicomtes de Marseille et de l’abbaye de Saint-Victor, le château est alors une pièce maîtresse du système défensive marseillais et il se dit : « Qui tient les clefs de Saint-Marcel, tient celles de Marseille ».

Les vestiges du castrum de Saint-Marcel avec sa vue imprenable sur la vallée de l’Huveaune et la rade de Marseille (source © La Marseillaise)

Au début du XIIIe siècle, la ville de Marseille commence à s’émanciper du pouvoir de ses vicomtes et acquière son autonomie en rachetant en 1214 l’ensemble des droits souverains de la vicomté. L’évêque lui-même finit par reconnaître en 1220 les droits de la commune. Mais en 1246, Charles d’Anjou, le frère du roi Louis IX (plus connu sous le nom de Saint-Louis), acquiert en dot la Provence suite à son mariage avec Béatrice de Provence. Les grandes villes de la région, en plein essor économique, lui tiennent la dragée haute, d’autant qu’il doit embarquer dès 1248 pour les croisades. Revenu illico en 1251, il soumet rapidement Arles puis Avignon et assiège Marseille dès le mois d’août. La ville capitule l’été suivant mais, dès 1261 une nouvelle révolte éclate et des insurgés s’emparent du castrum de Saint-Marcel. Charles d’Anjou rétablit rapidement la situation après avoir soumis la ville à un blocus, et il occupe à son tour le fameux castrum de 1264 à 1276, y faisant construite la tour sud, encore bien conservée.

La tour sud du castrum, œuvre de Charles d’Anjou, toute proche des immeubles et des villas en contrebas (photo © B. Sillano / INRAP)

En 1423, le torchon brûle entre Louis III, comte d’Anjou et de Provence, sacré roi de Naples en 1419, et Alphonse V, roi d’Aragon, passionné par la Renaissance italienne et qui brigue, lui aussi le Royaume de Naples. Alors que Louis III et le pape Martin V tentent de convaincre le duc de Milan de rassemble une flotte pour leur venir en aide, Alphonse V décide de retourner précipitamment en Espagne où son beau-frère, le roi de Castille, menace ses propres États. En chemin, il décide de s’en prendre à la ville de Marseille, qui a mis toute sa flotte au service de Louis III et se trouve largement désarmée avec à peine 360 soldats pour garder les remparts. Le 18 novembre 1423, la flotte catalane, composée de 18 galères et 12 vaisseaux, est signalée et, le surlendemain, les premiers contingents d’assaillants catalans débarquent, dans l’anse qui prendre plus tard justement le nom de plage des catalans, mais pour une tout autre raison, liée à l’installation des pêcheurs catalans après la peste de 1720.

Les Catalans s’emparent sans difficulté de la chapelle Saint-Nicolas et de l’abbaye Saint-Victor, sur la rive sud non défendue du Vieux-Port, puis s’en prennent à la tour Maubert dans le fort Saint-Jean, qui défend l’entrée du port avec ses 2 énormes chaînes métalliques de 15 m chacune, tendues en travers de la passe pour en contrôler l’accès. La nef de Bertrand Forbin qui défendait l’accès au port est coulée, la chaîne brisée et les galères catalanes pénètrent dans le port de Marseille. Les soldats catalans mettent à sac la ville faiblement défendue, brûlant et pillant les maisons pendant 3 jours consécutifs, avant de se retirer en emportant notamment comme butin les précieuses reliques de Saint-Louis d’Anjou, originaire de Brignoles et ancien évêque de Toulouse, ainsi que les deux fragments de la chaîne du port. Les reliques ont fini par être restituées en 1956 mais les chaînes sont toujours exposées sur les murs de la cathédrale de Valence, en Espagne…

Les chaînes qui protégeaient jadis l’entrée du port de Marseille, brisées lors du sac de la ville par la flotte catalane en 1423, ornent toujours les murs de la cathédrale de Valence, en Espagne (photo © Joanbanjo / CC-BY-SAB / Anecdotrip)

Toujours est-il que certains attribuent à ce fameux sac des Catalans la destruction du castrum de Saint-Marcel. Il ne s’en est jamais relevé et les ruines que l’on voit actuellement datent donc de cette époque. En 1473, le roi René le transfert à l’évêché de Marseille qui, en 1647 le cède aux échevins de la Ville jusqu’à la Révolution. Il faudra ensuite attendre la curiosité du marquis Michel Palamède Forbin d’Oppède, alors propriétaire du terrain à la fin du XIXe siècle, à proximité de l’ancien relai de chasse acquis par sa famille au XVe siècle et transformé en 1865 en un magnifique château, pour s’intéresser de nouveau à l’histoire de ces derniers vestiges  du passé médiéval de Marseille, largement méconnu.

L. V.