Archive for 13 décembre 2023

Katulu ? n° 70

13 décembre 2023

Le cercle de lecture carnussien Katulu ? rattaché au Cercle progressiste carnussien, se réunit chaque mois pour échanger sur ses lectures et partager ses découvertes. Si vous aussi vous avez plaisir à lire et envie de venir discuter, en toute convivialité, de vos derniers coups de cœur tout en découvrant de nouveaux auteurs, n’hésitez-pas à nous rejoindre.

Voici en attendant, un petit aperçu des dernières notes de lectures du groupe, dont il a été question au cours du troisième trimestre 2023, l’intégralité de ces notes étant accessible ci-dessous :

Vivre vite

Brigitte GIRAUD

Le Prix Goncourt 2022 a été attribué à Brigitte Giraud pour « Vivre vite » ! Dans ce roman autobiographique, l’autrice analyse, vingt ans après la mort de son mari dans un accident de moto, les circonstances malheureuses, les mauvais choix qui ont conduit à ce malheur dont elle a eu beaucoup de mal à se remettre. Elle attribue à la maison achetée depuis peu une place primordiale à l’enchaînement des faits qui ont conduit au drame.

Cet écrivain nous permet, grâce au récit, de passer de l’intime, du particulier à un roman vers l’Universel, qui touche tout le monde et nous fait réfléchir sur notre vie dans la société actuelle, notre civilisation où « Vivre vite » est souhaité pour être efficace et rentable.

Josette J.

Au soleil redouté

Michel BUSSI

Ce roman est, pour reprendre la formule d’un critique, « un huis clos à ciel ouvert ».

L’intrigue est amorcée par un concours organisé par les éditions Servane Astine de Paris. Intitulé Plumes lointaines, il s’adresse à des lectrices tentées par le gain d’une invitation exceptionnelle à un atelier d’écriture encadré par l’écrivain Pierre-Yves François, célèbre auteur de best-sellers. Le lieu de l’atelier fait rêver puisqu’il se situe en Polynésie sur l’île d’Hiva Oa qui fait partie des îles Marquises, l’archipel polynésien connu notamment pour avoir été le lieu de séjour de Paul Gauguin puis de Jacques Brel. Le titre Au soleil redouté est d’ailleurs un extrait de la chanson Les Marquises, créée par Jacques Brel en 1977.

Outre l’écrivain animateur de l’atelier d’écriture dont l’intérêt pour les femmes n’est pas un secret, on fait la connaissance de cinq femmes. Martine de Belgique, mamie connectée. Éloïse, une belle femme brune dont la nostalgie confine à la tristesse. Clémence, la bonne élève qui a pour ambition d’être éditée. Marie-Ambre, qui détonne par son snobisme, est accompagnée de sa fille Naïma de 16 ans. Enfin, Faryène, d’origine scandinave, est commandante de police, et voyage avec son mari Yann, gendarme.

Ce roman de près de 500 pages, qui nous entraîne au cœur de la forêt tropicale, intrique plusieurs contenus que l’auteur tisse avec subtilité. La trame est construite à partir de la première consigne donnée aux lauréates par Pierre-Yves François qui engage chacune à écrire dans son journal, outre ce qu’elle perçoit, ressent, sa réponse ou ses réponses à la question : « Avant de mourir, je voudrais … ».

La forme du livre conjugue des pages de ces différents journaux avec le récit dans lequel l’auteur sème des indices qui ne prendront sens qu’au terme de la lecture. Il nous fait ainsi découvrir cinq étranges statues typiques des Marquises (les tikis) qui symbolisent la gentillesse, l’intelligence, l’argent, la créativité et la mort, et qui étrangement ressemblent aux apprenties écrivaines. Il y a aussi l’histoire d’un tatoueur, et comme fil conducteur, une disparition qui va transformer le séjour en un jeu meurtrier dans lequel Yann le gendarme et Maïna l’adolescente se retrouvent pour tenter d’élucider un mystère qui ne se révélera qu’à la fin du roman.

Au soleil redouté, c’est un peu « Dix petits nègres » aux Marquises, mais elles ne sont que cinq !

                                                                       Michel M.

La nuit tombée

Antoine Choplin

Un tout petit roman d’une incroyable douceur pour une virée à « la nuit tombée » dans la ville fantôme qu’est Tchernobyl

Gouri, écrivain, poète, réfugié à Kiev, s’est lancé dans un projet fou. Derrière sa vieille moto, il a ficelé tant bien que mal une remorque, roule et s’enfonce dans des zones toujours contaminées autour de Tchernobyl. Maisons murées ou effondrées, la nature qui survit, ces signes mystérieux et inquiétants qui disent que le danger est toujours là.

En route il retrouve Iakov qui est retourné « nettoyer » la zone, à la demande des autorités et qui le paie désormais au prix fort. Un instant, il trouve l’énergie pour se souvenir de l’avant, des scènes sidérantes se reconstituent pour dire l’innommable… Et puis il y avait eu cette hébétude, le 3ème jour. Eux tous, lestés du strict nécessaire. Évacués…

Gouri réussit à s’introduire à Pripiat, sa ville, malgré les barbelés, les rondes des gardiens. Son appartement a été pillé comme tant de maisons, de bâtiments publics. « Des trafiquants, des bandits, des gros bras. Dans ce coin là ils font ce qu’ils veulent. Vaut mieux pas les croiser. »

Il est venu dans un but bien précis, pour pas grand-chose… Récupérer la porte de la chambre de sa fille bariolée de ses dessins d’enfants, sa fille aujourd’hui adolescente malade, contaminée.

Cette histoire forte, ramassée, s’achève au lever du jour. Sans drame il rentre à Kiev

Tout ce texte est ainsi tissé par l’écriture pudique de l’auteur, tout en retenue. L’horreur de cet événement est dit par ellipses. Il y a une poésie à la fois lumineuse et saisissante qui dit simplement le drame humain qui s’en est suivi pour des milliers de familles : « il y a eu la vie ici / il faudra la raconter à ceux qui reviendront / et s’en souvenir nous autres en allés »…

                                                                                                          Marie-Antoinette

Les huit montagnes

Paolo Cognetti

Ce récit est avant tout un parcours initiatique, une histoire de vie et d’amitié entre deux garçons du même âge que tout sépare, Pietro, un garçon de Milan, et Bruno, un montagnard. Pietro est un enfant de la ville. L’été ses parents louent une maison à Grana, au cœur de la vallée d’Aoste. Là-bas, il se lie d’amitié avec Bruno, un vacher de son âge. Tous deux parcourent inlassablement les alpages, les forêts et les chemins escarpés dans cette nature sauvage, près du Mont Rose, si bien décrite. Le garçon découvre également une autre facette de son père qui, d’habitude taciturne et colérique, devient attentionné et se révèle un montagnard passionné.

Vingt ans plus tard il revient sur les traces de ce passé, après avoir refusé à l’adolescence de suivre son père sur les sentiers d’altitude et s’être éloigné de cette montagne de l’enfance pour s’inventer sa propre vie. Ce père lui a légué un terrain à 2000 m d’altitude, avec une ruine adossée à la roche sur un aplat surplombant un lac de montagne.

Il retrouve son ami d’enfance, devenu maçon qui l’aidera à reconstruire cette maison et découvre que celui-ci était devenu très proche de son père, comblant le vide laissé par son absence. Quel message, ce père taiseux, dont il ignore le passé, a-t-il voulu lui envoyer ?

Un livre de vie puissant, où le désenchantement et le doute sans cesse se confrontent à l’émerveillement et à l’espoir dans les décors majestueux du val d’Aoste. Où la nature y est décrite avec beaucoup de justesse et de poésie. Dans une langue pure et poétique, Paolo Cognetti mêle l’intime à l’universel. Il signe un grand roman d’apprentissage et de filiation.

                                                                                               Dany

Triste Tigre

Neige Sinno

Le sujet : son viol par son beau-père. Les faits datent des années 1986 à 1991, entre ses 7 ans ou 9 ans jusqu’à ses 14 ans, selon la plainte déposée en justice. Neige Sinno évoque ici un viol reconnu par la justice et par le coupable lui-même et qui a abouti à une peine de 9 années de prison, ce qui est un verdict exceptionnel.

TRISTE TIGRE bénéficie d’une large couverture médiatique en cette rentrée littéraire. Le succès est mérité, justifié par le parti pris d’un style original. Comme beaucoup d’autres récits de ce genre il s’appuie sur l’outil autobiographique mais sans suivre une ligne linéaire ou chronologique. L’auteur illustre son propos de références littéraires nombreuses.

Les faits sont exposés, revisités selon l’éclairage de plusieurs regards, de différentes époques dans un style humble et émouvant. Reflet d’une obsession, d’un questionnement douloureux et inassouvi. Neige Sinno ne raconte pas volontiers le déroulement sordide du viol, malgré un style cru, le ton reste pudique, honteux.

Elle pose évidemment le problème du consentement. Ce moment d’ « extrême violence sans violence », les zones grises, les franges d’incertitude. Il reste toujours l’humiliation. Les conséquences du viol sont l’ébranlement systémique des fondements de l’être, conduisant au suicide parfois, au développement possible de maladies futures. Ainsi ses kystes et son cancer des ovaires sont « sa poche de larmes ». Elle constate : « même si on s’en sort, on ne s’en sort pas vraiment ».

Dans ses rapports avec la société elle énonce : « La parole fait la réputation, la dénonciation l’opprobre ». Elle ajoute : « Il faut être prêt à perdre beaucoup de choses quand on décide de parler ». Dans son cas, son approche de la littérature ne l’a pas sauvée

Ce livre témoin de ce Tigre sorti de sa cage, ce livre qui manie l’introspection, le réquisitoire, le démonstratif, le didactique, le journalistique, la poésie, ce livre nous entraîne dans des mondes irréconciliables, inconciliables. Sauvage ou lisse en apparence l’auteur tisse avec nous lecteurs, des liens invisibles. Des liens avec nos fantômes, ou des frères de croisade et nous enjoint de « trébucher, mais ne pas tomber ».

                                                                                   Nicole

Les enfants sont rois

Delphine de Vigan

Sous forme de thriller, Les enfants rois met en scène de jeunes enfants victimes de l’addiction des adultes aux réseaux sociaux. L’action, située entre 1986 et 2030, met en parallèle la vie de deux jeunes femmes contemporaines.

Mélanie Claus naît en 1986 dans le Sud-Ouest. En 2001, la famille suit avec passion l’émission télévisée « love-story » qui met en vedette Loana. Mélanie se rêve alors en héroïne de téléréalité. En 2011, elle épouse Bruno et cesse de travailler à la naissance son petit garçon Sammy. Trois ans plus tard, à la naissance d’une fille appelée Kinny, la famille s’embourgeoise et s’installe à Chatenay-Malabry, banlieue aisée de Paris.

Clara Roussel, quant à elle, naît à Paris la même année. Fille unique de parents intellectuels, contestataires et activistes qui l’emmènent très jeune dans les défilés et les manifestations populaires. Après des études brillantes en fac de droit et un succès au concours de l’école de police, Clara réalise son rêve en entrant à « la Crim » comme procédurière, et s’investit profondément dans un boulot pour lequel elle renonce à toute romance intime.

Mélanie adore sa famille mais s’ennuie dans la routine. Découvrant les réseaux sociaux, elle met en scène son fils Sammy dans une première vidéo qui remporte un certain succès. Elle y ajoute bientôt bébé Kinny. L’affaire est lancée. C’est une véritable entreprise dont la réussite met la famille au rang des millionnaires.

Mais quel retentissement sur la santé mentale et affective des enfants ? Un jour, la petite Kinny, âgée de six ans, disparaît. Clara Roussel, chargée de l’affaire, désire travailler avec discrétion mais les réseaux sociaux ne tardent pas à se mêler de l’affaire….

Delphine de Vigan met en lumière le « rôle du virtuel » dans la réalité de la « vie réelle ». Des situations extrêmes qui ouvrent une réflexion sur notre société privilégiant le vivre en virtualité et bientôt le rôle de l’intelligence artificielle.

                                                                                                          Roselyne