La salle du Clos Blancheton de Carnoux a réuni, jeudi 23 mai 2019, une assistance composée des adhérents du Cercle Progressiste Carnussien et de personnes intéressées par les questions économiques et de société, toutes et tous venus pour écouter notre conférencier apporter des réponses à la question « Mais où est donc passé le bien commun ? » et proposer une démarche de valorisation de ce capital.
Le conférencier, Thierry Fellmann, à Carnoux le 23 mai 2019 (photo © CPC)
C’est Thierry FELLMANN, chercheur en Économie du Bien Commun, qui nous a éclairé sur le bien commun pour lequel, en introduction, il a demandé aux personnes présentes de bien vouloir énoncer ce qui pour elles le constituaient : climat, eau, air, santé, patrimoine biologique, éthique de la vérité, liberté, fraternité, paix, temps, parmi d’autres, ont été cités.
De cet échange sur le bien commun et ses enjeux, Thierry Fellmann propose dans un premier temps, des dispositifs pour dynamiser ces derniers dans « une économie de solutions ».
Le bien commun renvoie à la notion d’intérêt général qui peine à rendre compte des enjeux actuels. Sa prise en compte est liée aux risques de dégradation ou de perte d’un acquis collectif. Le bien commun peut se rattacher à trois composantes : l’environnement, le sociétal et le souci des générations futures.
Pour chaque composante, le conférencier met ensuite en évidence qu’à chacun des maux communs correspond un bien commun. Ainsi, au dérèglement climatique est associé son versant positif le climat, au stress hydrique c’est l’eau, à la manipulation génétique il associe le patrimoine biologique, à la pauvreté et l’exclusion, l’égalité, aux conflits, la paix….
Il existe des initiatives pour renforcer le bien commun. Parmi eux, nous retiendrons les financements responsables, l’économie du partage, l’économie circulaire et la croissance verte, ainsi que l’économie de fonctionnalité qui valorise l’usage plutôt que la propriété, la mobilisation citoyenne…
Ces initiatives peuvent être concentrées pour générer des processus voire des écosystèmes, générateurs de bien commun.
Reste posée la question de la gouvernance.
Les réponses peuvent être mondiales comme le proposent les Nations Unies :
source © ONU Femmes France
Les réponses peuvent être aussi et en priorité locales :
- Les projets de territoire, les villes durables, la consommation responsable …
- Les actions publiques exemplaires pour le développement de « communs » : association culturelle, village vert, pôle petite enfance, maison du livre, jardins partagés …
- Des « communs » reliés à l’écosystème économique : espace de travail en commun, relations d’entreprises, label « Village vert » …
- Un pilotage stratégique et opérationnel exemplaire : une vision stratégique, des ressources dynamiques, une gouvernance partenariale, un management relationnel et des projets.
Exemple de modèle vertueux de gouvernance « LS »
Au terme de la première partie de l’exposé, Thierry Fellmann propose une typologie de biens communs :
Dans un deuxième temps, le conférencier envisage une phase plus conceptuelle dans laquelle il montre la nécessité de remettre en question la pensée économique classique à partir d’une intention : l’économie du bien commun constitue un référentiel à partager….
Pourquoi renouveler l’analyse économique ?
La pensée économie classique montre ses limites :
- Nous traversons une crise générale (écologique, sociale, politique, économique, financière) qui manifeste un déséquilibre structurel.
- Les critiques pointent une économie essentiellement fondée sur la croissance de la production et un consumérisme exacerbé.
- Les conséquences se manifestent en terme de dégradation des ressources naturelles et des écosystèmes, de production de pauvreté et d’inégalité, de gaspillage et de marchandisation généralisée.
- Le PIB comme unique critère d’évaluation de la situation est insuffisant et requiert d’adjoindre des indicateurs de développement humain, de bien être…
Il en est de même pour l’économie publique classique :
- Nous vivons un moment de « fragilité démocratique» avec l’émergence de problèmes complexes à long terme
- Des urgences économiques et sociales appellent des réponses immédiates
- Le fossé se creuse entre la notion d’intérêt général présentée comme finalité de l’action publique et la vie politique caricaturée par le tourbillon médiatique.
- Enfin, une tension croissante existe dans nos sociétés occidentales avec la manifestation d’une diversité qui peine à croire à son unité.
Comment alors retrouver une pertinence de l’action publique ?
- En décentrant le regard, en passant d’une logique de réalisations à une logique de résultats, en retrouvant les enjeux clés du bien vivre en société.
- En dépassant le hors-sol et en pensant le futur, en associant les parties-prenantes et enfin en intégrant les biens communs.
Le conférencier, Thierry Fellmann, à Carnoux le 23 mai 2019 (photo © CPC)
Pour éclairer son propos, Thierry Fellmann évoque quelques exemples dont le projet Alpes de Lumière qui développe le partage des ressources du territoire dans le Luberon et les Alpes de Haute-Provence. Il cite aussi l’encyclopédie en ligne Wikipedia qui emploie 300 personnes et bénéficie de 2,4 millions de contributeurs ayant écrit 40 millions d’articles lus par 500 millions de visiteurs.
Pour conclure la deuxième partie de son exposé, il rappelle que
- Trois composantes clés sont indispensables pour passer des biens communs aux « communs » : une ressource, un faisceau de droits et d’obligations et enfin une gouvernance.
- Quatre dynamiques de conceptualisation et d’action sont nécessaires : l’apport déterminant d’Elinor Ostrom, l’investissement collectif et des villes en transition vers les communs.
- Huit communs sont distingués : les communs fonciers, les communs environnementaux, les communs informationnels, les communs de la connaissance, les communs scientifiques, les communs numériques, les communs économiques et enfin les communs urbains.
La dernière partie de la conférence aborde la question du marché et de l’innovation à travers notamment du rôle que joue le digital dans les transformations sociétales.
C’est à partir de six entrées que Thierry Fellmann termine son développement en montrant comment le digital transforme la chaîne de valeur, comment la concurrence est accélératrice d’innovation, comment on observe une généralisation du modèle de l’innovation ouverte et parallèlement le développement d’une innovation frugale dans les zones de pauvreté, le rôle de la diffusion d’une culture du design et enfin la mutation des organisations.
Au terme de son exposé, le conférencier nous propose des éléments de synthèse et tout d’abord les quatre pôles majeurs pour une économie du bien commun :
source © T. Fellmann
Il insiste sur les leviers de la gouvernance qui mobilisent les territoires (mondial, international, national, régional, métropolitain, urbain, rural …), les stratégies (vision, régulation, coopération) et enfin les méthodes (prospective, management de projets, appui aux communs…) avant de développer l’axe central de l’économie du bien commun : LA RELATION
L’économie ne peut exister sans la relation, elle ne peut être soutenable sans prendre soin du futur, elle ne peut se développer sans intégrer les besoins de la société et l’économie du bien commun ne peut exister sans gouvernance qui prend soin de la relation. Enfin, les bonnes méthodes intègrent la relation.
Pour ce faire, il est nécessaire de développer des valeurs d’engagement : conviction, initiative, responsabilité, mobilisation des citoyens et engagement collectif.
Ces valeurs d’engagement s’exerceront dans différents lieux en fonction d’enjeux démocratiques :
- Enjeux environnementaux pour les biens écologiques et les biens territoriaux,
- Enjeux sociaux pour les biens matériels et les biens politiques,
- Enjeux technologiques pour les biens immatériels, les biens culturels et les biens de connaissance
L’ensemble contribuant au renforcement des biens moraux au service de l’humain.
Un public carnussien conquis par l’enjeu des biens communs (photo © CPC)
C’est sur ces propos dynamisants que s’engage un large échange avec la salle, partage de questions et de relations d’expériences qui se poursuit autour du traditionnel pot de l’amitié qui conclut chaque conférence proposée par le Cercle Progressiste Carnussien.
Michel Motré