Archive for février 2022

Ukraine : peut-on laisser faire Poutine ?

27 février 2022

La guerre est donc de nouveau à nos portes depuis le jeudi 24 février 2022 au petit matin, lorsque le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé au monde entier, médusé, avoir lancé une « opération militaire spéciale » destinée à « démilitariser et dénazifier l’Ukraine ». Une opération militaire tellement spéciale que certains considèrent qu’il s’agit probablement du plus important conflit armé en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Dès le premier jour du conflit, des milliers d’Ukrainiens se sont jetés sur les routes pour tenter de fuir le théâtre des opérations, tandis que le chef de l’État ukrainien décrétait la mobilisation générale, empêchant les hommes de 18 à 60 ans de quitter le territoire et distribuant même des armes à la population pour tenter de s’opposer par tous les moyens à l’avancée des chars russes.

Immeubles endommagés par les bombardement à Kiev le 25 février 2022 (photo © Daniel LEAL / AFP / Orange)

Certes, on se doutait depuis plusieurs mois déjà que ce conflit ne risquait pas de s’apaiser du jour au lendemain, malgré tous les efforts diplomatiques déployés. L’affaire remonte en réalité à 2004. Jusque-là, l’Ukraine était resté dans la sphère d’influence de l’empire soviétique et avait été l’un des membres fondateurs de la Communauté des États indépendants lors de sa création en 1991. En 2004, la Révolution orange fait déjà apparaître une scission profonde entre la partie occidentale du pays, de plus en plus pro-européenne, et sa partie orientale restée très russophile.

Fin novembre 2013, la foule manifeste à Kiev, sur la place Maïdan, suite au refus du président pro-russe, Viktor Ianoukovytch, de conclure un traité d’association avec l’Europe. En février 2014, les affrontements font plus de 80 morts mais aboutissent à la fuite du président. C’en est trop pour la Russie de Poutine qui organise le rattachement de la péninsule de Crimée à la Russie, après un référendum, tandis qu’elle soutient quasi ouvertement les mouvements séparatistes qui éclatent alors dans les provinces orientales du pays, dans les Oblasts de Donetz et de Lougansk. Une véritable guerre civile fait depuis rage dans cette région du Donbass, qui aurait déjà fait plus de 10 000 morts et provoqué le déplacement d’environ 1,5 millions de personnes.

Vladimir Poutine annonçant par vidéo la déclaration de guerre contre l’Ukraine (source © Reuters / JDD)

Et voilà que le 21 février 2022, Vladimir Poutine reconnaît officiellement les républiques autoproclamées du Donetz et de Lougansk, multipliant les provocations et les cyber-attaques pour tenter de déstabiliser au maximum le président ukrainien, l’ancien comédien et humoriste Volodymyr Zelensky, élu en 2019 face au président sortant Porochenko, affaibli par cinq années de guerre et un haut niveau de corruption.

Malgré une gestion plutôt habile de la situation par les Américains qui ont tout fait pour désamorcer les pièges que les Russes cherchaient à monter pour créer un prétexte à l’invasion, Vladimir Poutine a donc fini par lancer à l’assaut les dizaines de milliers de soldats massés depuis des semaines à la frontière du pays, après avoir évoqué un véritable « génocide » imaginaire dont seraient victimes les populations pro-russes du Donbass. L’invasion a été massive et brutale, lancée simultanément par voies terrestres, maritimes et aériennes, depuis la Crimée, au sud, en de nombreux points de la frontière russe à l’est, mais aussi depuis la Biélorussie, au nord, laquelle appuie militairement la Russie dans cette aventure, de même que la Tchétchénie d’ailleurs.

Les attaques russes se sont concentrées sur les systèmes de défense anti-aérienne et les infrastructures militaires, se rendant maîtres dès le premier jour de l’aéroport international de Hostomel, pourtant âprement défendu par l’armée ukrainienne et d’où des commandos russes sont partis à l’assaut de la capitale Kiev , toute proche. Dans le nord du pays, la centrale nucléaire de Tchernobyl et sa zone d’exclusion radioactive de triste mémoire, ont été également rapidement conquises par l’armée russe. Plusieurs missiles ont touché des immeubles d’habitations, y compris à Kiev où un couvre-feu a dû être instauré dès le 26 février au soir.

Carte montrant les points d’attaque des Russes en Ukraine ces derniers jours (source infographie © Courrier international)

Le président Zelensky tente d’organiser la défense de son pays mais se sent bien seul face au rouleau compresseur des chars russes. Des livraisons d’armes défensives ont bien été organisées par les Américains et certains pays européens, dont la France. Mais il n’existe pas de traité permettant d’accorder une aide militaire à l’Ukraine en cas d’invasion. C’était d’ailleurs justement l’objet d’une éventuelle adhésion à l’OTAN, éventualité qui a précisément mis le feu aux poudres et déclenché l’ire de Vladimir Poutine, lequel ne cherche même plus à faire bonne figure en traitant ouvertement l’entourage du président ukrainien de « néonazis » et de « drogués »…

Soldats ukrainiens partant pour le front dans la région de Lougansk le 24 février 2022 (photo © AFP / L’Express)

Que faire alors, face à une agression aussi brutale d’un pays européen qui se trouve à nos portes ? De nombreuses sanctions économiques ont bien été mises en place, voire renforcées à cette occasion. Il est question de bloquer les transactions bancaires avec la Russie. Mais tout le monde s’accorde à reconnaître que leur effet reste limité, surtout à court terme. Les populations sont souvent les premières à en souffrir et un régime autoritaire comme celui de Poutine saura jouer à merveille d’un tel blocus pour renforcer l’esprit nationaliste déjà fortement cultivé. Et à long terme, on sait déjà que la Chine se fera un plaisir d’offrir un coup de main pour pallier l’approvisionnement en produits et services qui pourraient faire défaut…

Bien entendu, ce n’est pas une raison pour ne rien faire, voire critiquer ces sanctions économiques par peur des effets néfastes qu’elles pourraient avoir en retour sur notre approvisionnement en gaz ou notre pouvoir d’achat, comme certains responsables politiques français se sont laissé aller à le faire… A défaut de se mobiliser militairement pour aller prêter main forte aux Ukrainiens assiégés, on peut au moins se serrer un peu la ceinture par solidarité, en espérant qu’un comportement aussi brutal et irresponsable de la part de Vladimir Poutine, finira par se retourner contre lui…

L. V.

Des résidus médicamenteux dans nos cours d’eau…

23 février 2022

On le savait depuis longtemps mais voilà qu’une étude mondiale vient de le caractériser : les cours d’eau charrient de très nombreuses molécules chimiques issues de médicaments de synthèse, et la présence massive de ces produits dans l’écosystème n’est pas vraiment rassurante…

C’est l’université britannique d’York qui a supervisé cette vaste étude à laquelle ont participé plus de 80 instituts de recherche internationaux, dont l’INRAE, l’Institut national de recherche agronomique et environnementale. Au total, ce sont 258 cours d’eau répartis dans une centaine de pays sur toute la planète qui ont fait l’objet de prélèvements (pas moins de 1052 au total, tous selon le même protocole pour permettre des comparaisons fiables) et d’analyses particulièrement complètes puisqu’elles portaient sur l’identification de 61 substances médicamenteuses, là où on se contente habituellement d’en rechercher une vingtaine au maximum.

Des résidus de médicaments présents un peu partout en rivière… (source © Santecool)

Les cours d’eau ainsi investigués sont d’ampleur très variable mais incluent certains géants comme l’Amazone, le Mississippi ou le Mékong, tandis que les sites d’échantillonnage englobent aussi bien de grandes mégapoles comme New-York ou Dehli, que des zones reculées telles ce village Yanomami en pleine jungle vénézuélienne, voire des zones en guerre comme en Irak. Et le résultat n’est pas brillant puisque partout, les chercheurs ont retrouvé quantités de molécules médicamenteuses présentes dans les cours d’eau, parfois en quantités impressionnantes comme au Pakistan ou en Bolivie. Un quart des sites étudiés présentent de fait une concentration potentiellement dangereuse pour l’environnement, notamment pour certains antibiotiques, un antihistaminique et un produit utilisé contre l’hypertension.

Prélèvement d’eau en rivière pour une analyse chimique (source © SIPIBEL)

Le tableau est particulièrement sombre pour certains pays du Sud, en Afrique subsaharienne, en Amérique du Sud et en Asie, où les concentrations relevées sont inquiétantes et s’expliquent par la faiblesse des moyens de traitement des eaux usées. Ce sont en effet principalement par ce canal qu’arrivent les résidus médicamenteux qui se retrouvent dans nos urines et fèces. Mais les élevages industriels sont aussi un gros contributeur du fait des traitements vétérinaires utilisés en masse (en 1999, la consommation de médicaments à usage animal était du même ordre de grandeur que celle destinée aux humains!), sans compter les rejets issus des centres de pisciculture et certains rejets industriels des sites de productions de médicaments. Les médicaments périmés et usagés jetés en décharge, contribuent aussi à cette contamination des eaux, même si cette source est désormais mieux maîtrisée dans certains pays où la collecte est organisée.

Les rejets d’eaux usées même partiellement retraitées, une source majeure d’apport de micropolluants (source © Futura Science)

La généralisation des stations d’épuration des eaux a certes permis d’améliorer la situation dans nombre de pays. On constate cependant que leur efficacité reste limitée pour éliminer la plupart des résidus médicamenteux, notamment certaines molécules telle l’aspirine, pour lesquelles il est nécessaire de recourir à des procédés de traitement tertiaires coûteux à base d’osmose inverse ou de charbon actif. En France, ces traitements ne sont pas encore obligatoires et rares sont les stations qui sont équipées pour traiter correctement ces micropolluants même si la tendance est désormais d’encourager les collectivités à adopter des procédés de traitement de plus en plus performant.

La qualité physico-chimique des cours d’eau impacte directement la vie aquatique et peut être à l’origine de mortalités piscicoles (photo © SOS LRC / Humus)

Car l’enjeu est de taille pour le milieu naturel, voire directement pour la santé humaine. La prolifération des antibiotiques rejetés en masse dans les cours d’eau et les nappes, contribue fortement à développer des phénomène de résistance des bactéries, ce qui limite à terme l’efficacité même de ces traitements pharmaceutiques. Mais ces molécules issues de médicaments ont bien d’autres effets néfastes sur la faune, notamment aquatique, perturbant leurs capacités de reproduction et pouvant même se traduire par des changements de sexe sous l’effet d’œstrogènes. Des changements de comportement ont aussi été observées chez des perches devenues fortement agressives du fait de la présence dans l’eau d’un résidu d’antidépresseur. Sans même évoquer les effets d’interférences liées à la présence simultanée de plusieurs molécules dont on connaît mal les effets indésirables…

Dessin publié sur le site Méli Mélo du Graie (Groupe de recherche, d’animation technique et d’information sur l’eau)

Une des voies à explorer, outre l’amélioration des stations de traitement des eaux usées, est certainement la réduction de la consommation de médicaments. Dans les élevages français, on est ainsi arrivé à réduire de 30 % la consommation d’antibiotiques vétérinaires entre 2006 et 2011, ce qui va dans le bon sens. Mais l’on consommait encore en 2011 pas moins de 750 tonnes d’antibiotiques en France, nettement plus que dans le reste de l’Europe, une consommation qui tend à baisser progressivement depuis. Il est temps si l’on veut limiter la pollution irréversible de nos cours d’eau…

L. V.

L’ADN au secours des archivistes

20 février 2022

La conservation des archives a toujours été un casse-tête. Les historiens sont bien contents de pouvoir retrouver des documents anciens pour alimenter leurs recherches, nous aider à comprendre le passé mais aussi parfois contribuer à mieux gérer le présent. Pour autant, comment être sûr de bien garder les documents les plus utiles sans pour autant s’encombrer de monceaux de paperasses qui n’ont d’intérêt que dans l’instant présent ?

Archives nationales conservées à l’Hôtel de Soubise, dans le quartier du Marais à Paris (source © Paris zigzag)

Et comment avoir la certitude que les document précieusement stockés pour les générations futures résisteront bien à l’épreuve du temps et seront toujours lisibles dans plusieurs centaines voire milliers d’années ? Le exemples abondent malheureusement de lieux d’archivages qui n’ont pas résisté à l’épreuve du temps, depuis la grande bibliothèque d’Alexandrie, disparue dans les limbes de l’Histoire, jusqu’aux archives de Carnoux, pourtant pas si vieilles, mais qui ont été négligemment stockées pendant des années dans une cave humide sous les anciens locaux du CCAS…

Crées en 1790, en pleine période révolutionnaire, dans un souci de centraliser et d’homogénéiser la gestion de la mémoire publique, les Archives nationales, complétées en 1796 par les Archives départementales, ont justement pour rôle de procéder au tri et au stockage de tout ce qui peut être utile pour conserver une trace écrite de tout ce que l’administration française produit en termes d’actes et de décisions. Désormais, cette vénérable institution des Archives nationales conserve sur ses serveurs, plus de 70 téraoctets (To) de données numériques, capacité qui devrait passer rapidement à plus de 200 To.

Les systèmes d’archives de données numériques, un véritable gouffre énergétique… (source © Archimag)

Mais le stockage numérique des archives n’est pas la panacée que l’on imagine. A force de produire et de conserver tout sur support numérique, on est arrive à une véritable explosion des data centers, ces usines gigantesques qui consomment déjà 2 % de l’électricité mondiale, avec une empreinte carbone qui a d’ores et déjà dépassé celle de l’aviation civile ! On estime que le volume mondial de données numériques ainsi stocké atteint déjà 45 zettaoctet (soit 45 milliards de To) et probablement 175 Zo dès 2025.

Or, 70 % des données ainsi stockées sont des « archives froides », de celles qu’on garde en mémoire pour les historiens et les chercheurs, mais qu’on ne consulte que de manière exceptionnelle. Sauf que les supports physiques pour les conserver, disques durs ou bandes magnétiques, ne sont pas éternels, si bien qu’il faut régulièrement recopier les données, tous les 5 à 7 ans, sur de nouveaux supports pour ne pas risquer de les perdre à jamais.

C’est pourquoi, on imagine désormais d’autres voies pour ce stockage numérique, dont la technique du DNA Drive, développée et brevetée en 2019 par deux chercheurs français, Stéphane Lemaire et Pierre Crozet, lesquels ont fondé la société Imagene et viennent de lancer une action médiatique spectaculaire en procédant au stockage sur ADN de deux œuvres emblématiques conservées aux Archives nationales : la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et son pendant féministe, celle des Droits de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791 par Olympe de Gouges.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (photo © Getty / France Culture)

Le principe est simple puisqu’il consiste en un encodage des textes non pas selon un code binaire comme en informatique, mais sur la base d’un code à 4 lettres, celui des 4 bases nucléiques (adénine, thymine, cytosine et guanine) qui forment les brins d’ADN. Le texte ainsi codé est ensuite utilisé pour encoder des chromosomes par synthèse biologique et pourra alors être déchiffré par séquençage pour retrouver le texte d’origine. L’avantage de la méthode est que les brins d’ADN synthétisés, une fois lyophilisés, se conservent indéfiniment à l’abri de l’air, de l’eau et de la lumière.

L’intérêt du dispositif est évident car chaque gramme d’ADN peut ainsi stocker 450 millions de To : un être humain conserve ainsi pas moins de 2,7 Zo dans son propre ADN, qui dit mieux ? La totalité des données numériques mondiales pourrait ainsi être stocké sur 100 g d’ADN, soit la taille d’une tablette de chocolat ! Et ceci pour au moins 50 000 ans, sans risque d’altération et sans aucun apport d’énergie donc, en espérant qu’il subsiste encore, à cette échéance, des humains capables de récupérer l’information…

Capsules de stockage des documents sur support ARN (photo © Stéphane Lemaire / CNRS / Sorbonne Université / France Culture)

L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle puisqu’elle a été formulée dès 1959 par le prix Nobel de physique, Richard Feynman. La démonstration récente des chercheurs français, la rend cependant nettement plus concrète avec cette mise en scène soigneusement calculée, le 23 novembre 2021, lorsque les deux textes emblématique des Archives nationales ont été remisées en grandes pompes dans l’Armoire de fer du musée des archives à Paris, sous le forme de deux minuscules capsules métalliques de 18 mm de long, chacune contenant pas moins de 100 milliards d’exemplaires du texte historique ainsi encodé.

L’Armoire de fer, au musée des Archives nationales à Paris, construite sous la Révolution et restaurée en 2019 (source © Fondation pour la sauvegarde de l’art français)

Pour relire ces textes, rien de plus simple puisqu’il suffit d’ajouter une goutte d’eau sur un des brins d’ADN ainsi conservé pour le réactiver et ensuite procéder à son séquençage, chaque exemplaire étant à usage unique car il est détruit après lecture. Il n’en reste pas moins que des progrès sont encore attendus pour banaliser une telle méthode de stockage. L’encodage initial est une opération lourde et coûteuse qui, dans l’état actuel de la technologie, prend plusieurs jours et coûte la bagatelle de 1000 dollars par mégaoctet, tandis que le décodage nécessite au moins 1 heure.

Mais nul doute que les progrès techniques devraient permettre d’accélérer les cadences et de baisser les coûts, rendant peut-être demain l’archivage sur ADN à la portée de tous les centres d’archivage et obligeant les futurs historiens à venir consulter avec leur pipette et leur séquenceur de poche : on n’arrête pas le progrès…

L. V.

Sinistres sécheresse : la Cour des Comptes s’en mêle…

17 février 2022

Contrairement à d’autres phénomènes naturels comme les séismes, les inondations, les coulées de boue ou les éboulements de falaises rocheuses par exemple, les mouvements de terrain liés au retrait-gonflement des sols argileux sont plus insidieux car ils évoluent lentement dans le temps, au fil des saisons, mais peuvent finir par faire des dégâts importants.

Un sol argileux présente en effet, selon la nature des minéraux qu’il renferme, la caractéristique d’absorber, par infiltration naturelle, des quantités d’eau qui le font gonfler, à la manière d’une éponge. Inversement, en période sèche, l’évaporation naturelle et surtout l’effet de la végétation dont les racines vont pomper l’eau du sol par capillarité, amène ce type de sol à se rétracter progressivement. Un tel phénomène n’est pas perceptible à l’œil nu. Mais lorsqu’une structure rigide comme une maison est posée sur ce type de sol, elle est soumise à ces mouvements saisonniers qui, à la longue, finissent par la fragiliser, provoquant l’apparition de fissures et de déformations, pouvant aller jusqu’à la ruine du bâtiment.

Schéma de principe des tassements différentiels liés au retrait-gonflement des sols argileux (source © BRGM / ORRM PACA)

En effet, ces tassements du sol d’assise sont rarement homogènes, ne serait-ce que parce que le sol reste plus humide sous la maison qu’à sa périphérie. Pour un peu que le sol d’assise soit hétérogène, ce qui est très fréquent, l’amplitude des mouvements sera variable d’un point à un autre et la maison, si elle n’est pas assez solide, aura bien du mal à résister à ces tassements différentiels. Si en plus on a eu la mauvaise idée de planter des arbres à proximité, l’assèchement du sol sera amplifié dans la zone d’influence de leur système racinaire, et le risque de tassement différentiel est alors maximal.

Bien entendu, si la maison a été bien construite, ancrée suffisamment en profondeur, là où les différences d’humidité sont faibles, et suffisamment rigidifiée avec des chaînages en béton armé à chaque niveau et autour des ouvertures, il ne se passera rien et la construction encaissera sans dommage ces tassements différentiels du sol d’assise. Mais trop souvent, surtout pour des maisons individuelles construites à l’économie, on se contente de fondations très superficielles, aux armatures mal liaisonnées, et les mesures élémentaires de respect des règles de l’art sont loin d’être toujours bien observées.

Schéma de principe des mesures à respecter pour construire sur sol argileux (source © BRGM / repris par le Moniteur)

C’est pourquoi on assiste, depuis des années, à une forte augmentation des sinistres liées à ce phénomène de retrait-gonflement des sols argileux, la plupart des désordres se manifestant pendant les périodes de sécheresse, lorsque les sols se tassent, et les dégâts se poursuivant ensuite à chaque nouveau cycle de dessiccation/humidification. Indemnisés en France depuis 1989 au titre du régime des catastrophes naturelles, ces sinistres ont déjà coûté la bagatelle de 13,8 milliards d’euros en 30 ans et représentent en moyenne 36 % des indemnisations versées dans ce cadre, juste derrière le risque inondation.

Fissuration d’une maison sous l’effet du retrait-gonflement des sols argileux, dans le Nord de la France (source © Cour des Comptes)

Chaque année, désormais, des milliers de communes font une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour des sinistres sécheresse : plus de 6000 communes par exemple pour la seule année 2019, et presque autant en 2018 ! Toutes les régions de France sont concernées, même si certaines sont davantage touchées selon la nature géologique des sols et selon les conditions climatiques. Une cartographie nationale des zones les plus exposées a été dressée par le BRGM (service géologique national) entre 1997 et 2010, actualisée en 2018, qui considère que 48 % du territoire métropolitain est exposé à un aléa fort ou moyen.

Or on dénombre plus de 10 millions de maisons individuelles, soit plus de la moitié du parc de maisons individuelles françaises, sur ces zones a priori les plus exposées. En région PACA, ce sont même 90 % des maisons individuelles qui se situées sur ces zones d’aléa moyen à élevé ! Et avec le réchauffement climatique, toutes les projections montrent que l’intensité et la fréquence des périodes de sécheresse est en train d’augmenter, ce qui va se traduire immanquablement par une forte augmentation de la sinistralité dans les années à venir. Les assureurs ont fait tourner leurs modèles et estiment que pour les 30 prochaines années, le coût des dommages à indemniser dans ce cadre pourrait atteindre 43 milliards d’euros, plus de trois fois plus qu’au cours des 30 dernières années…

Carte nationale d’aléa retrait-gonflement des sols argileux actualisée en 2018 (source © BRGM)

Dans ce contexte, on comprend que chacun s’inquiète et que les rapports sur le sujet s’enchaînent. Même la Cour des Comptes s’est penchée sur la question, à la demande du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale et vient de publier, le 15 février 2022, un n-ième rapport sur ce dossier explosif. Elle s’alarme en particulier des risques financiers que pourrait faire courir à terme cette sinistralité sur l’équilibre du régime des catastrophes naturelles, même si elle reconnaît que ce dernier se porte plutôt bien, merci pour lui, et qu’il rapporte même de l’argent à la Caisse centrale de réassurance comme à l’État, lequel n’a eu à abonder les caisses qu’une seule fois, à l’occasion de la tempête de 1999.

Pour autant, la tentation de sortir le risque sécheresse du régime des catastrophes naturelle en démange plus d’un et on sent que la Cour des Comptes le verrait d’un bon œil même si elle ne se prononce pas ouvertement. D’ailleurs, l’adoption de la loi ELAN, en 2018, avait ouvert la voie à une telle évolution en inscrivant la prévention de ce risque dans les réglementations constructives, rendant obligatoire la réalisation d’une étude de sol lorsqu’on vend un terrain à bâtir et lorsqu’on veut y construire, sauf à respecter les règles forfaitaires permettant de construire une maison individuelle sur sol argileux de manière à résister aux tassements différentiels éventuels. Cette nouvelle réglementation, assise sur la carte d’aléa actualisée en 2018, vient du coup se surimposer aux Plans de prévention des risques liés au retrait-gonflement des sols argileux qui existaient déjà dans près de 2000 communes françaises, dont celle de Carnoux-en-Provence qui dispose d’un tel PPR depuis 2014.

Zonage réglementaire du PPR retrait-gonflement des sols argileux de Carnoux-en-Provence (source © Préfecture des Bouches-du-Rhône)

Le fait que la carte d’aléa qui avait alors servi de base à l’élaboration de ce PPR ait évolué depuis ne facilite certes pas la compréhension d’une politique de prévention qui reste encore très insuffisante comme le reconnaît bien volontiers la Cour des Comptes. On sait pourtant depuis des années comment construire sans risques sur des sols argileux, mais trop souvent les constructeurs passent outre les mesures préventives, comptant sur le fait que leur responsabilité n’est de fait engagée que durant les 10 ans de la garantie décennale alors que, bien souvent, les dommages n’apparaissent que plus tard, après plusieurs cycles de sécheresses et ré-humidification.

Carte actualisée d’aléa retrait-gonflement des sols argileux de Carnoux-en-Provence (source © georisques)

Les propriétaires des maisons ainsi impactées se retrouvent alors face à un véritable parcours du combattant pour tenter de se faire indemniser les dommages qui apparaissent au fil du temps et dont les réparations peuvent coûter très cher lorsqu’il s’agit de reprendre les fondations en sous-œuvre. La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est une condition nécessaire pour prétendre à une telle indemnisation, sous réserve d’une expertise favorable et après déduction d’une franchise qui s’élève quand même à 1520 € pour ce type de sinistre. Mais cette reconnaissance ne va pas de soi puisque moins de 50 % des demandes reçoivent une réponse favorable, sur la base de critères météorologiques par nature très difficiles à élaborer et du coup fortement contestés.

Pour le risque sécheresse comme pour beaucoup d’autres, il vaut toujours mieux prévenir que guérir, car les surcoûts occasionnés par une construction initiale selon les règles de l’art sont infimes par rapport à ceux d’une réparation après sinistre, mais la prévention des risques reste bien difficile à intégrer : sans doute l’esprit humain est-il trop joueur pour accepter de se plier de bonne grâce aux règles de prudence élémentaires ?

L. V.

Philippines : élections présidentielles ou casting de téléréalité ?

15 février 2022

Le 24 avril 2022 au soir, si tout se passe comme prévu, les Français sauront qui sera leur prochain Président de la République pour les cinq ans à venir, même si, au vu des sondages, le suspens semble assez limité et la reconduction du Président sortant paraît être une hypothèse plus que probable. Mais la France ne sera pas seule à voter pour son nouveau chef de l’État. Quinze jours plus tard le 9 mai, ce sont les 65 millions d’électeurs philippins qui voteront à leur tour pour élire leur Président de la République pour un mandat de six ans et, comme en France, la campagne est désormais sur les rails.

Et, pour ceux qui se plaignent que la démocratie prenne, dans notre vieille démocratie, des allures de politique spectacle mettant davantage en avant l’écume des petites phrases que les débats de fond, la comparaison avec les Philippines est, tout compte fait, plutôt rassurante pour la santé de notre système politique.

Passage du typhon Rai aux Philippines en décembre 2021 (photo © Erwin Mascarinas / AFP / Le Devoir)

Certes, l’archipel des Philippines avec ses 7641 îles officiellement recensées, souvent montagneuses et d’origine volcanique, autrefois couvertes par la forêt tropicale, s’étendant entre Taïwan, au nord, et la Malaisie, au sud, n’a que peu de rapport avec notre pays. Les catastrophes naturelles y sont fréquentes : en 1991, une éruption du mont Pinatubo avait fait plus de 300 morts, et le 19 décembre dernier, le passage du typhon Rai a fait au moins 260 morts et disparu, obligeant plus de 300 000 personnes à fuir leur domicile. Mais les soubresauts politiques y sont bien plus meurtriers encore…

Découvert par les Européens en 1521, par l’explorateur portugais Magellan, qui y est d’ailleurs assassiné quelques jours plus tard, l’archipel y passe progressivement sous contrôle espagnol qui s’en servent comme tête de pont pour leurs tentatives d’évangélisation de la Chine et du Japon, le pays étant administré jusqu’au XIXe siècle depuis le lointain Mexique où résidait alors le vice-roi des Philippines… Les États-Unis y interviennent militairement et s’accaparent le pays en 1898, s’y livrant à une répression féroce de l’élite indépendantiste, massacrant pas moins d’un millions et demi de Philippins, soit 15 % de la population d’alors ! En 1942, le pays passe sous occupation japonaise, ce qui occasionne de nouvelle atrocité comme ce massacre de Manille où plus de 100 000 civils trouvent la mort en février-mars 1945…

Dès l’indépendance, acquise en 1946, le gouvernement doit faire face à une insurrection paysanne qu’il réprime avec férocité à l’aide d’unité spéciales qui sèment la terreur dans les campagnes pour protéger les intérêts des grands propriétaires terriens. Élu président en 1965, Ferdinand Marcos déclare la loi martiale en 1972 et instaure un régime dictatorial qui durera jusqu’en 1986. Ces 20 années de dictature se traduisent par l’emprisonnement d’au moins 70 000 opposant politiques dont la moitié subissent la torture et plus de 3000 sont assassinés, dont le chef de l’opposition, Benigno Aquino. Avec sa femme, Imelda, le couple Marcos vide les caisses de l’État à son profit, détournant entre 5 et 10 milliards de dollars selon les estimations.

Ferdinand et Imelda Marcos, la Marie-Antoinette des Philippines… (photo © Andy Hernandez / Sygma / Vanity Fair)

Et pourtant, malgré ce bilan plus que douteux, la dynastie Marcos est restée très proche du pouvoir, Imelda Marcos étant même réélue députée jusqu’en 2019, tandis que leur fils, Ferdinand Marcos junior, surnommé affectueusement Bongbong, connaît une carrière politique brillante. Et c’est d’ailleurs ce dernier qui est le grand favori des prochaines élections présidentielles, ce qui prouve que les Philippins ont la mémoire très courte. Il faut dire que ce pays, qui bénéficie d’un régime présidentiel inspiré du système américain, présente la particularité d’être resté très féodal, 80 % des membres du Parlement étant issus d’une soixantaine de familles, des grandes dynasties politiques qui se partagent le pouvoir de père en fils.

Lui même accusé de fraude fiscale massive, l’héritier du clan Marcos orchestre une campagne de désinformation à grande échelle pour se dédouaner et faire oublier les petits désagrément passés de la dictature de son père, en utilisant le canal des réseaux sociaux auxquels les Philippins sont totalement accros, avec 10 heures par jour en moyenne passés sur Internet, le record mondial !

L’actuel président Rodrigo Duterte avec sa fille Sara, ici en 2018 en Chine (photo © AFP / Le Monde)

Comme aux États-Unis, les Philippins élisent, en même temps que leur président, un vice-président, amené à remplacer le précédent en cas d’empêchement. Mais curieusement, les deux sont élus séparément, selon un scrutin uninominal majoritaire à un tour, si bien qu’ils peuvent être issus de deux camps opposés. En 2016, c’est le fantasque Rodrigo Duterte qui avait été élu, avec son franc-parler plutôt iconoclaste, n’hésitant pas à déclarer publiquement : « Oubliez les droits de l’Homme : si je deviens président, ça va saigner »… Et la vice-présidence était revenue à son opposante, Leni Robredo, une avocate attachée à la défense des droits de l’Homme et de la justice sociale, qui avait elle-même devancé le fils Marcos.

La vice présidente Leni Robredo, très critique contre la politique de Rodrigo Duterte (source © Missions étrangères)

En 2022, Leni Robredo se présente de nouveau mais Rodrigo Duterte a annoncé son retrait de la vie politique, laissant la place à sa fille, Sara Duterte, qui lui avait déjà succédé à la mairie de son fief Davao. Sauf que cette dernière brique en réalité la vice-présidence, en tandem avec le fils de l’ex dictateur Marcos, tous deux ayant de grandes chances d’être élus le 9 mai prochain. Ce qui devrait leur permettre de défendre les intérêts de leurs familles respectives, et notamment de protéger le président sortant Duterte contre une extradition demandée par la Cour pénale internationale pour son activisme zélé dans la guerre menée contre la drogue, qui a fait quelque 30 000 morts depuis 2015, une broutille…

Ferdinand Marcos junior dit Bongbong avec la candidate à la vice présidence Sara Duterte, en meeting le 8 février 2022 (photo © Ted Aljibe / AFP / Challenges)

Pour comprendre le fonctionnement politique des Philippines, il faut, selon David Camroux, chercheur au CERI (Centre d’étude et de recherches internationales à Sciences-Po), comprendre qu’ « il s’agit d’un système féodal où les candidats sont des vedettes de cinéma ou de télévision, des artistes ou des sportifs issus de dynasties politiques enracinées dans différentes régions du pays ». Il fait ainsi notamment allusion à l’un des autres candidats de cette élection présidentielle philippines, l’ancien champion de boxe Manny Pacquiao, qui a raccroché les gants en 2020, après s’être fait élire député dès 2010 en promettant d’être « plus efficace en politique que sur le ring ».

Le boxeur Manny Pacquiao, candidat à la présidentielle, ici en août 2021 à Las Vegas (photo © AP / TV5 Monde)

Devenu sénateur en 2016, au nom d’un parti dirigé par sa propre épouse (on reste en famille), il est aussi accessoirement chanteur et acteur, ce qui n’est jamais mauvais pour la popularité… Il se confrontera d’ailleurs, lors de ces élections présidentielles à un autre grand acteur du cinéma philippin, l’actuel maire de Manille, Joaquin Damagoso, plus connu sous son nom de scène, Isko Moreno.

Reste à savoir qui du monde des acteurs, des sportifs reconnus ou des fils de dictateurs, aura les suffrages du bon peuple philippin. L’Histoire a déjà montré à maintes reprises que les vedettes du spectacle étaient plutôt bien préparées pour ce type de rôle, à l’instar d’un Ronald Reagan, d’un Sylvio Berlusconi ou d’un Donald Trump. Mais tout laisse penser que l’esprit de famille, si traditionnellement ancré au plus haut sommet de l’État philippin, sera sans doute encore plus fort. Finalement, les grandes dynasties politiques françaises des Le Pen, Dassault, Debré ou Giscard d’Estaing, pour n’en citer que quelques unes, font bien pâle figure à côté d’une telle tradition si pittoresque…

L. V.

Nucléaire : au cœur du réacteur électoral ?

13 février 2022

Depuis des années en France, la question du recours à l’énergie nucléaire était un peu tombée aux oubliettes et avait quasiment disparu du paysage des préoccupations politiques. En dehors d’une poignée de militants dont ceux de l’association Greenpeace qui se mobilisaient périodiquement pour protester contre le relâchement des mesures de sécurité sur les sites des centrales nucléaires, contre les convois de déchets radioactifs ou contre les projets d’enfouissement de ces mêmes déchets, le sujet ne passionnait plus les foules, comme si un consensus national s’était peu à peu installé autour des bienfaits de cette énergie qui alimente, en France, l’essentiel de notre consommation électrique.

Manifestation en 2011 à Saint-Vulbas, réclamant la fermeture de la centrale nucléaire de Bugey (source © France 3 Rhône-Alpes)

Alors même que la catastrophe de Fukushima en mars 2011 avait amené le Japon à fermer brutalement toutes ses centrales nucléaires et l’Allemagne à prendre la décision historique d’abandonner totalement le nucléaire d’ici 2022 (les 3 derniers réacteurs encore en activité étant toujours amenés à cesser leur activité d’ici la fin de cette année…), la France avait fait comme si rien n’était et poursuivi la construction du fameux EPR de Flamanville, débuté en 2007 et toujours pas achevé malgré le gouffre financier et le fiasco industriel que représente cette opération peu glorieuse pour le génie industriel national…

L’EPR de Flamanville, toujours en chantier depuis 2007 (source © Eco CO2)

En 1986, lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl, dont les impacts sanitaires avaient touché directement le sol française, l’émoi avait été nettement plus important. Mais là encore, les débats politiques sur la place du nucléaire civil dans le mix énergétique national n’avaient guère agité au-delà de certains cercles militants, contrairement à l’Allemagne où l’événement avait conduit à l’abandon du projet d’une usine de traitement de combustible radioactif en Bavière, ou encore à l’Italie qui avait alors mis fin à son propre programme nucléaire.

Dans les années 1970, le petit autocollant qu’on voyait partout…

Il faut en réalité remonter aux années 1970 pour retrouver une véritable mobilisation populaire contre le recours à l’énergie nucléaire. A l’époque, on voyait fleurir un peu partout les fameux autocollants jaunes avec ce soleil goguenard qui clamait, tout sourire, « Nucléaire ? Non merci ». Au tout début des années 1980, les projets de construction de centrales nucléaires mobilisaient encore des manifestations monstres d’opposants, comme à Plogoff où le 12 décembre 1981, le gouvernement socialiste de François Mitterrand avait finalement dû jeter l’éponge et abandonner le projet de construire une centrale nucléaire sur la lande bretonne, près de la Pointe du Raz.

Manifestation anti-nucléaire sur le site de Plogoff en 1980 (photo archives © Eugène Le Droff / Le Télégramme)

Ce projet, décidé en 1974 s’inscrivait alors dans un vaste programme piloté par EDF, alors tout puissant, qui prévoyait de couvrir la France de pas moins de 400 réacteurs nucléaires, avec en général l’appui enthousiaste des élus locaux qui voyaient s’amasser une véritable manne d’argent public, permettant de construire, à proximité des centrales nucléaires, lotissements neufs, équipements sportifs surdimensionnés, salles des fêtes, piscines et voiries éclairées à gogo. Une manne à laquelle le maire de Plogoff n’avait pas été sensible, préférant, en accord avec son conseil municipal, brûler spectaculairement le dossier d’enquête publique sur la place de la mairie, donnant ainsi le signal d’une véritable révolte populaire au cours de laquelle on a vu les grands-mères bigouden aux gendarmes mobiles puis aux parachutistes dépêchés en renfort de Paris…

Quelques années auparavant, en 1977, c’était le projet de surrégénérateur Superphénix qui mobilisait contre lui des foules de militants écologistes avec notamment une manifestation rassemblant plus de 60 000 personnes en juillet 1977 sur le site de Creys-Malville, avec de violents affrontements avec les forces armées, qui causeront d’ailleurs la mort d’un militant. Ces mouvements anti-nucléaires, qui s’étaient illustrés dès avril 1971 en organisant une marche contre le projet de construction de la centrale de Fessenheim, sont alors directement issus des milieux pacifistes qui luttent depuis plusieurs années déjà contre l’armement militaire nucléaire, avec des mouvements comme le Groupe d’action et de résistance à la militarisation, mené notamment par Théodore Monod.

Explosion d’une bombe atomique dans le désert du Nevada en 1957 (source © Getty / France Culture)

Né après la guerre, en réaction aux bombardements américains de Hiroshima et Nagasaki, sous la caution d’éminents scientifiques comme Frédéric Joliot-Curie qui lance dès 1950 l’Appel de Stockholm en vue d’interdire le recours à l’arme nucléaire, ces mouvements alimentent d’autant plus naturellement les rangs des opposants au nucléaire civil qu’à l’époque les deux programmes étaient très intimement liés et que le développement des centrales nucléaires à uranium appauvri favorisait en réalité le risque de prolifération nucléaire et de banalisation du recours à la bombe atomique. Des arguments renforcés ensuite par une réflexion sur le risque lié à la sécurité des installations nucléaires elles-mêmes et à la gestion dans le temps des déchets radioactifs, un processus toujours aussi mal maîtrisé.

Alors que de nombreux pays ont peu à peu abandonné le recours à l’énergie nucléaire comme source de production d’électricité, la France fait un peu figure d’exception avec, en 2020, encore plus de 67 % de l’électricité produite d’origine nucléaire, et 37 % de l’énergie primaire consommée issue de l’atome, un record mondial sachant que cette part est en moyenne de 4 % dans le monde !

Mais voilà qu’après des années de relative indifférence vis à vis de cette énergie nucléaire dont les Français ont largement profité, laissant peu à peu vieillir leur parc de 56 réacteurs nucléaires, répartis sur 18 sites, le fermeture en 2020 des deux réacteurs de Fessenheim, décidée par François Hollande, et les déboires du chantier de Flamanville avec ses retards et ses surcoûts accumulés, ont remis progressivement le sujet dans le débat, au point de venir s’inviter dans la campagne des présidentielles 2022. Le président sortant vient justement d’annoncer, à deux mois du scrutin, sa volonté de faire construire, d’ici 2050 six nouveaux réacteurs nucléaires EPR et en envisage même huit supplémentaires, complétés par de petits réacteurs modulables de plus faibles capacités, tout en voulant prolonger au delà de 50 ans la durée de vie des réacteurs actuellement en service.

Emmanuel Macron sur le site de General Electric à Belfort, annonçant le 10 février 2022 la relance du programme nucléaire français (photo © Jean-François Badias / Reuters / Courrier International)

Un tel positionnement en faveur de la relance d’un vaste programme d’investissement nucléaire, est d’ailleurs assez conforme à ce que prônent plusieurs autres candidats depuis le communiste Fabien Roussel jusqu’à la candidate frontiste Marine Le Pen en passant par la LR Valérie Pécresse. A l’extrême droite, on va même encore plus loin puisque le Rassemblement national veut carrément rouvrir la centrale de Fessenheim, tandis que Eric Zemmour souhaite prolonger la vie des réacteurs à 60 ans au moins et construire 14 réacteurs EPR d’ici 2050, exigeant l’abandon total de l’énergie éolienne.

Des positions qui vont complètement à rebours du scénario préconisé par l’association négaWatt qui vise à atteindre la neutralité carbone de la France d’ici 2050 avec un mix énergétique issu à 96 % de sources renouvelables. Une vision que l’on retrouve en grande partie dans les propositions du candidat écologiste Yannick Jadot, lequel prône également un abandon progressif du nucléaire couplé à une forte augmentation du recours aux énergie renouvelables. Une position largement partagée par les autres candidats de gauche, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Christiane Taubira, qui tous visent une sortie complète du nucléaire d’ici 2045 à 2050. Contre toute attente, la question du nucléaire fait donc de nouveau partie des points de clivage de la nouvelle campagne électorale…

L. V.

Lionel Royer-Perreaut, l’anguille qui aime la soupe…

10 février 2022

L’affaire a fait grand bruit dans le Landerneau politique marseillais : ce mercredi 9 février 2022, Lionel Royer-Perreaut, maire LR des 9e et 10e arrondissements, annonce dans La Provence sa décision de quitter Les Républicains et de soutenir Emmanuel Macron pour les prochaines présidentielles. Lui qui déclarait fièrement il y a moins d’un mois dans les colonnes du même journal « Je soutiens Valérie Pécresse depuis le début », précisant même qu’elle était « la candidate de synthèse par excellence », a donc changé d’avis à deux mois seulement du premier tour de l’élection présidentielle, alors même que la candidate LR reste plutôt bien placée dans le trio de tête des challengers de ce scrutin.

Lionel Royer-Perreaut, annonce son départ du parti LR (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

Une telle annonce qui fait l’effet d’un coup de tonnerre dans la droite marseillaise est d’autant plus étonnante que Lionel Royer-Perreaut avait été en 2020 le maire de secteur le mieux élu de toute les listes LR, avec 45,5 % des suffrages exprimés au deuxième tour, loin devant la liste emmenée par Aïcha Sif pour le Printemps marseillais et celle du Rassemblement national menée par Éléonore Bez. Depuis, il avait tendance à se pousser du col et à se positionner en poids lourd de l’opposition LR au sein du Conseil municipal, monopolisant volontiers la parole avec ses discours sentencieux et moralisateurs, là où l’ancienne tête de liste LR, Martine Vassal, se montrait plutôt discrète lors des débats municipaux.

Élu à la Métropole Aix-Marseille-Provence, il s’y était arrogé le poste de deuxième vice-président du Conseil de Territoire Marseille Provence, délégué à l’habitat et au logement, laissant néanmoins la place de premier vice président au maire de Carnoux, Jean-Pierre Giorgi, par politesse sans doute. Réélu en 2021 au Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, en tandem avec sa présidente sortante, Martine Vassal, il hérite, là aussi d’un poste de vice-président, délégué cette fois aux relations internationales et au rayonnement du territoire marseillais, un beau tremplin pour un responsable politique ambitieux qui commence à lorgner sérieusement sur la mairie de Marseille.

Lionel Royer-Perreaut, préside depuis 2020 la SOLEAM, dont l’action a été critiquée par la Chambre régionale des Comptes (source © Made in Marseille)

Et ce n’est pas tout car le maire de secteur a aussi été porté le 4 novembre 2020 à la présidence de la SOLEAM, alors qu’il présidait déjà, parmi de nombreuses autres institutions, l’office public de l’habitat départemental 3 Habitat. Pas forcément très connue du grand public, la Société publique locale d’aménagement de l’aire métropolitaine (SOLEAM) dont sont membres, outre la Métropole et la Ville de Marseille de nombreuses collectivités locales dont Cassis, Aubagne, La Ciotat ou encore Gémenos, compte une soixantaine de collaborateurs et pilote pour le compte de la Métropole de nombreux aménagements de ZAC et des opérations de renouvellement urbain, avec un bilan mitigé. Son intervention sur le projet de requalification de la place Jean Jaurès à Marseille avait notamment mis le feu à tout le quartier de La Plaine, déclenchant une véritable guerre de tranchée des riverains, au point qu’il avait fallu ériger un mur pour protéger le chantier…

Lionel Royer-Perreaut, qui jadis, en décembre 2009, était venu introduire une conférence organisée à Carnoux par le Cercle progressiste carnussien sur le projet de Parc national des Calanques, est donc unanimement considéré comme un pilier de la droite LR marseillaise, dans ses bastions du Département et de la Métropole, comme dans son rôle d’opposition municipale. D’où l’émoi causé par cette annonce fracassante de quitter brusquement les rangs des Républicains en pleine campagne électorale.

En 2020, l’entente cordiale entre Guy Tessier, Martine Vassal et Lionel Royer-Perreaut pour l’élection du maire de Marseille… (source © Made in Marseille)

En 2020 déjà, son positionnement avait surpris certains lorsqu’il avait joué des coudes pour obtenir l’investiture LR comme tête de liste dans le 5e secteur des municipales marseillaise, à l’issue d’un combat qualifié de « violent et douloureux » contre Guy Tessier qui était pourtant le candidat naturel à cette place. Une guerre fratricide d’autant plus âpre que Guy Tessier était le mentor de Lionel Royer-Perreaut. C’est lui qui l’avait pris sous son aile comme assistant parlementaire en 1995 alors que le jeune Royer-Perreaut, âgé de 21 ans seulement, venait de vivre l’assassinat de la député FN puis UDF, Yann Piat, dont il était attaché parlementaire. Réélue en mars 1993 et membre de la commission d’enquête contre la mafia à l’Assemblée Nationale, la députée envisageait de se présenter aux municipales à Hyères-les-Palmiers, dans le Var, lorsqu’elle avait été sauvagement assassinée par deux hommes à moto, le 24 février 1994.

Le 1er mars 1994, lors des obsèques de la député assassinée Yann Piat (photo © MaxPPP/ France TV info)

Pendant plus de 15 ans, Lionel Royer-Perreaut a fait toute sa carrière politique dans le sillage du député Guy Tessier dont il est devenu suppléant à l’Assemblée Nationale en 2007 et qu’il avait déjà remplacé comme maire de secteur en 2014, lorsque Guy Tessier était devenu président de la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole.

En avril 2014, le député Guy Tessier laisse à son adjoint Lionel Royer-Perreaut le fauteuil de la mairie de secteur où il siégeait depuis 31 ans (source © La Provence)

Mais en 2020, Lionel Royer-Perreaut était carrément sorti de ses gonds lorsque, à l’occasion de l’élection du Maire de Marseille, Martine Vassal avait eu la lumineuse idée de proposer Guy Tessier comme candidat, espérant le faire élire au bénéfice de l’âge et avec l’appui discret des élus du Rassemblement national. Ce qui n’avait pas empêché Royer-Perreaut de se représenter quelques mois plus tard en tandem avec Martine Vassal pour se faire réélire, bras dessus, bras dessous, au Conseil départemental…

Affiche de campagne de Lionel Royer-Perreaut et Martine Vassal lors des élections départementales en 2021 (source © Comité femmes Marseille 9/10)

Qu’est-ce qui a donc bien pu pousser cet homme de droite aux convictions libérales solidement chevillées, à claquer ainsi la porte de sa famille politique en pleine bataille électorale ? Pour le comprendre, il ne faut pas oublier qu’une élection peut en cacher une autre : alors que toute l’attention des Français est braquée sur les présidentielles à venir, les responsables politiques, eux, ne pensent qu’aux législatives qui se profilent dans la foulée. Or, dans la sixième circonscription des Bouches-du-Rhône, un fief imperdable pour la droite qui comprend les 9e, 10e et 11e arrondissement de Marseille, c’est Didier Réault qui a été investi par le parti LR pour les prochaines législatives, avec l’inamovible Guy Tessier comme suppléant. Une véritable claque pour Lionel Royer-Perreaut qui est donc aussitôt aller frapper à la porte d’en face, celle de la République en marche, laquelle, ça tombe bien, a toutes les chances, au vu des sondages qui se succèdent depuis des mois, de faire réélire haut la main son champion, Emmanuel Macron. De surcroît, et là-encore ça tombe plutôt bien, le parti présidentiel a justement un peu de mal à trouver des candidats ancrés localement dans le paysage politique et connus des électeurs.

Lionel Royer-Perreaut entretient bien entendu encore un peu le suspens, pour la forme, mais nul ne doute désormais qu’il se présentera donc aux prochaine législatives sous l’étiquette de la future majorité présidentielle. Prudent, il préfère néanmoins laisser passer la présidentielle pour se dévoiler, sait-on jamais ? Quant à la cohérence de son positionnement politique qui risquerait de perturber légèrement certains de ses électeurs, cela ne semble pas trop l’inquiéter. Lui qui a tapé comme un sourd depuis 5 ans maintenant sur la politique menée par Emmanuel Macron, trouve désormais bien des qualités au Chef de l’État, jugeant qu’il a admirablement su gérer la crise sanitaire, sociale et économique qu’a traversé notre pays : une belle clairvoyance, certes un peu tardive, mais mieux vaut tard que jamais…

L. V.

L’impôt ABC ou le retour au B. A. -BA

8 février 2022

Nous sommes en pleine campagne électorale présidentielle, et bientôt législative. C’est donc forcément le moment de s’interroger sur nos grands choix de société et les think tank, ces laboratoire de pensée qui bouillonnent de propositions, s’en donnent à cœur joie ! A se demander même pourquoi toutes ces propositions, souvent longuement réfléchies et savamment étayées par des études approfondies menées par les meilleurs spécialiste, n’ont pas plus d’écho dans les médias qui préfèrent trop souvent s’en tenir à l’écume des personnalités et au choc des petites phrases…

Pourquoi les think tanks fonctionnent rarement ? Parce que les meilleures idées sont filtrées… (source © Huffington Post)

Parmi ces multiples cercles de pensée qui phosphorent à tout va, citons notamment l’Institut Rousseau. Lancé en mars 2020 et animé par un groupe de hauts fonctionnaires, de chercheurs, de juristes et de spécialistes en tout genre, de la vie politique comme du financement public ou des relations internationale, il affiche comme ambition de « réinvestir l’idée d’une raison républicaine partagée et d’un bien commun à l’humanité, à travers la promotion d’idées rassemblées autour du projet central qu’est pour nous le reconstruction écologique et démocratique de nos sociétés, dans toutes ses composantes économiques, sociales et institutionnelles ».

Un bel objectif qui ne peut qu’intéresser tous ceux qui se réclament d’un idéal républicain de gauche, soucieux de l’intérêt général et d’une certaine rationalité démocratique, en vue de faire face collectivement aux grands défis sociaux et écologiques de notre temps. Cet institut, qui se présente comme « le laboratoire d’idées de la reconstruction écologique et républicaine » produit ainsi notes sur notes pour alimenter la réflexion et proposer des mesures concrètes sur des sujets aussi variés que le droit du travail, la réforme des collectivités, le coût de l’énergie, l’échec scolaire ou encore l’usage des cryptomonnaies… Une véritable mine parmi laquelle on relèvera cette note récente intitulée : « L’impôt ABC : une réforme de justice fiscale ».

Cosignée notamment par l’économiste Gaël Giraud, cette note propose d’adopter, pour les règles de calcul de l’impôt sur le revenu, une méthode nettement plus simple et plus intuitive que celle des tranches qui prévaut actuellement avec ses taux d’imposition marginale qui entretiennent la confusion car donnant le sentiment que les plus riches sont beaucoup plus fortement imposés qu’ils ne le sont en réalité. Le système n’est d’ailleurs pas nouveau puisqu’il avait déjà été exploré par l’économiste suédois Cassel dès 1901, mais n’a jamais été mis en œuvre malgré son extrême simplicité.

Ce dispositif d’impôt progressif repose en effet sur 3 paramètres seulement. A représente le taux effectif d’imposition maximale, dont la valeur détermine le consentement à contribuer à l’effort national pour les plus riches. Gaël Giraud suggère par exemple de le porter à 50 % pour ceux qui disposent d’un revenu mensuel supérieur à 1 million d’euros, ce qui n’a rien de confiscatoire, mais est très supérieur à la réalité actuelle où le taux d’imposition des plus riches ne dépasse pas 21 % !

Le paramètre B fixe le revenu imposable minimum, à partir duquel un citoyen doit payer l’impôt sur le revenu. Actuellement, ce seuil correspond à un revenu d’environ 1400 € mensuel, soit un revenu annuel global (hors abattement de 10 %) d’un peu moins 17 000 € pour un célibataire et le double pour un couple sans enfants. Gaël Giraud propose de conserver ce seuil qui permet à plus de la moitié de la population française d’être totalement exonérée de l’impôt sur le revenu.

Enfin, le paramètre C caractérise la progressivité de l’impôt : plus il est élevé, plus ce sont les riches qui payent, avec un effet redistributif plus important mais un rendement moindre car, comme chacun sait, les riches ne sont pas nombreux : moins de 4 % des Français gagnent actuellement plus de 6 000 € par mois et par personne… Gaël Giraud propose d’ajuster ce paramètre pour conserver les recettes fiscales actuelles mais avec davantage d’effet redistributif, les plus gros contribuables étant ceux qui gagnent plus de 10 000 € par mois et par personne…

Les tranches d’imposition, un système opaque et complexe, source de multiples ajustements (Dessin publié dans les Echos en janvier 2019 © Aure Experts)

L’intérêt d’un tel système est surtout pédagogique car il permettrait à tout un chacun de mieux s’y retrouver dans ce maquis inextricable qu’est devenu le barème de l’impôt sur le revenu avec ses dispositifs multiples d’abattements et de niches fiscales qui masquent totalement la réalité des contributions. Avec l’instauration du prélèvement forfaitaire universel, la fameuse Flat Tax à la française, instaurée par Emmanuel Macron, le taux d’imposition des Français les plus aisés, dont les revenus proviennent essentiellement du capital, serait ainsi tombé à 17 %, un taux ridiculement bas, qui va totalement à l’encontre du principe même de progressivité de l’impôt puisqu’ils payent moins qu’un contribuable plus modeste mais dont les seuls revenus sont ceux de son travail.

Les niches fiscales, un système qui permet aux plus riches de payer moins d’impôts… Un dessin signé Na ! (source © Agora Vox)

Un impôt de type ABC permettrait, selon ses promoteurs, de remettre dans le débat public la question de l’ajustement des règles de l’imposition car il s’agit d’un enjeu central de société alors que cette question est devenue d’une complexité telle que seuls les conseillers fiscaux et les avocats d’affaire peuvent s’y retrouver, pour le plus grand bénéfice des plus aisés qui ont le moyen de recourir à leurs services, au détriment bien évidemment de l’intérêt général.

Gageons cependant que le dossier ne sera pas au cœur du débat public de cette campagne, ce qui est bien dommage. Rappelons quand même que l’impôt sur le revenu est la deuxième source de recettes pour l’État français, devant rapporter en 2022, selon le projet de loi de finance, la bagatelle de 82,4 milliards d’euros, juste derrière le fruit de la TVA (97,5 Md €), mais bien avant celui de l’impôt sur les sociétés (39,5 Md €) ou de la fameuses TIPCE sur les carburants (18,4 Md €) qui avait pourtant occasionné le mouvement des Gilets jaunes et est source de débat permanent…

Affiche s’opposant à l’instauration d’un impôt sur le revenu, considéré comme confiscatoire et inquisitorial par la France conservatrice, finalement adopté en 1914 à l’instigation de Jacques Caillaux, ministre des finances du gouvernement de Georges Clémenceau (source © Nancy Buzz)

Rappelons aussi au passage que l’instauration même d’un impôt progressif sur le revenu, a suscité bien des réticences en France où elle n’a été adoptée qu’en juillet 1914 après plus de 60 ans de débats houleux et une opposition farouche de toute la droite conservatrice et libérale, certains comme Adolf Thiers s’étant particulièrement illustrés dans ce combat contre un tel outil de justice sociale qu’il qualifiait d’« atroce impôt », tandis qu’en 1907 le futur député Maurice Colrat de Montrozier allait jusqu’à dire de ce projet qu’il « porterait atteinte à la liberté individuelle, ruinerait le commerce et l’industrie et, par son caractère progressif, pourrait constituer aux mains des socialistes un véritable outil de spoliation »… Rien que ça ! Comme quoi, évoquer l’impôt sur le revenu pourrait mettre un peu de piment dans le débat électoral actuel…

L. V.

Fresques murales : l’imagination au pouvoir…

6 février 2022

A Marseille, depuis peu, une nouvelle fresque murale gigantesque est visible, sur la façade en béton brut, de 60 m de long et 14 m de haut, de la Cité des arts de la rue, en bordure de l’autoroute A7 à l’entrée nord de la ville. Une nouvelle signature graphique originale qui vient compléter les immenses lettres qui égrainent depuis 2016 le nom de Marseille sur les hauteurs du Centre commercial du Grand Littoral. Cette œuvre originale qui se présente sous la forme d’un graphique en forme de bâtons se veut à vocation non seulement artistique, réalisée par le peintre muraliste Germain Prévost, alias IPIN, avec l’aide des cordistes de l’entreprise ATX, mais aussi pédagogique.

Le projet s’inscrit en effet dans le Programme d’action de prévention des inondations et a été initié par la Mission interministérielle inondations sur l’arc méditerranéen. Le graphique représente l’évolution des valeurs de débit du ruisseau des Aygalades lors d’un épisode pluvieux survenu le 13 août 2018. Long de 17 km, ce petit fleuve côtier qui s’appelle La Caravelle dans la partie amont de son cours et qui vient se jeter dans la mer à la Joliette, toute sa partie aval étant busée et régulièrement polluée par l’activité industrielle locale, en attendant des projets de renaturation…

Comme tous les cours d’eau méditerranéens, ce charmant petit ruisseau où ne coule habituellement qu’un mince filet d’eau, peut se transformer en quelques heures, à l’occasion d’un orage estival ou d’une pluie d’automne, en un flot impétueux, réceptacle des ruissellements intenses sur son bassin versant escarpé, et qui peut faire de gros dégâts en se frayant un chemin parmi les aménagements urbains qui encombrent son lit. Cette journée du 13 août 2018, mise ainsi en exergue, a par exemple vu le débit du ruisseau des Aygalades multiplié par 100 en à peine 1h30, atteignant la valeur remarquable de 30 m³/s mesurée à la station hydrométrique qui se trouve juste en aval.

Vue générale de la fresque peinte sur la façade de la Citée des arts de la rue (photo © Yann Rineau & Dominique Milherou / Tourisme-Marseille)

Pour autant, cette œuvre, joliment intitulée Ruisseau en sursaut, qui vient d’être inaugurée ce dimanche 6 février 2022, ne présente pas le caractère esthétique voire poétique qui peut caractériser certaines fresques murales qui fleurissent un peu partout sur les murs de nos cités, dans le sillage du street art qui s’est fortement développé dans les années 1970 dans les grandes villes américaines, à moins que l’on y voit une résurgence des grandes fresques pariétales de nos lointains ancêtres qui ornaient les parois de Lascaux avec leur frise de bisons et d’aurochs. L’art du graffiti mural, souvent exutoire à la colère populaire, n’est pas nouveau non plus, même si certaines périodes comme mai 1968 ont été particulièrement fécondes pour ce type d’expression graphique, avec l’émergence de véritables artistes de rue comme Ernest Pignon-Ernest.

Fresque murale peinte en 1979 par Ernest Pignon-Ernest sur le mur de la Bourse du Travail à Grenoble et restaurée en 2016 (source © Street Art Fest)

Souvent parodiques ou ironiques, ces œuvres qui fleurissent sur les murs des villes, parfois réalisées en catimini par des artistes anonymes, parfois résultant de commandes officielles de la part des maîtres d’ouvrages au bénéfice d’artistes reconnus, ne manquent pas de talent et de force évocatrice. A l’instar par exemple de ce gigantesque collage réalisé le 30 mai 2021 par celui qui se fait appelé JR, pour l’ouverture d’un festival d’art contemporain, le Parcours de Saint-Germain. Intitulée No trespassing, autrement dit, Défense d’entrer, cette peinture gigantesque en trompe l’œil représente l’artiste en train d’escalader le mur aveugle de ce bâtiment situé à l’angle du 184 boulevard Saint-Germain.

Le gigantesque collage en trompe l’oeil de Saint-Germain-des-Prés, avec l’artiste en personne donnant l’échelle (photo © JR-ART.net / Connaissance des arts)

Des œuvres qui présentent souvent un côté transgressif, comme par exemple cette fresque murale peinte par l’artiste espagnol Pejac sur un mur du 13e arrondissement à Paris, rue Edouard Manet. Intitulée Vandal-Isme, elle représente un jeune garçon projetant avec force quelque chose qui éclate contre le mur, dans une flaque de couleur représentant le fameux Déjeuner sur l’herbe du grand peintre impressionniste : le choc de « la colère et de la sensibilité esthétique à la fois », selon les termes de l’artiste lui-même…

Vandal-Isme, une œuvre signée Pejac sur un mur de la rue Édouard Manet à Paris (source © blog Stripart)

Certaines de ces fresques murales sont d’une rare qualité artistique et souvent empreintes de beaucoup de poésie, en contraste avec l’âpreté voire la laideur du paysage urbain dans lequel elles s’insèrent. Les exemples sont multiples et on pourrait citer parmi bien d’autres cette peinture qui orne le pignon d’un mur de Glasgow, sur High Street, près de la cathédrale, représentant un vieil homme attendri par le rouge-gorge qui s’est posé sur son doigt calleux. Signée Smug, un artiste d’origine australienne, il s’agit en réalité d’une référence à Saint-Mungo, l’évêque Kentigern, fondateur de la ville et qui aurait, selon la légende, ressuscité un rouge-gorge écossaise. Glasgow l’écossaise fait d’ailleurs partie de ces lieux où une visite touristique de street art est organisée, témoin de la vitalité de ce nouvel art urbain qui fleurit dans nos espaces urbains.

Peinture murale de Saint Mungo à Glasgow (photo © Finding Scotland / Glasgowlive)

La poésie et l’humour sont souvent des traits marquant de cet art urbain du graffiti et de la fresque murale. Même minimalistes, les maximes peintes au pochoir par celle qui signe ses œuvre La Dactylo, et qui se fait appelée avec un brin d’humour Lady Doigts, sont des jeux de mots astucieux, sentencieux ou vaguement coquins et qui ne peuvent manquer de faire sourire le passant même le plus indifférent au paysage qui l’entoure : « Optimisme matinal : se réveiller de bonheur », « Je ne pense Covid qui nous sépare », « Rater sa vie, c‘est déjà ça », « On va s’émécher toi ou chez moi ? », « Le me couche très tard et je me lève mytho », et le reste est à l’avenant…

Un graffiti au pochoir signé La Dactylo, sur un mur de la rue de Moussy, dans le Marais à Paris (source © Paris côté jardin)

D’autres fresques murales sont nettement plus sophistiquées et sont de véritables œuvres graphiques, à l’image de cette magnifique peinture réalisée en octobre 2021 sur un mur du centre hospitalier de Lanmeur en Bretagne, en hommage au travail des soignants, par l’artiste français Akhine. Intitulée L’éveil, elle représente la fragilité de la vie qui est entre les mains du personnel hospitalier et dégage une force remarquable, au point d’avoir été sélectionnée dans le classement 2021 de Street Art Cities qui organise chaque année un palmarès des plus belles fresques murales.

L’éveil, peint par Akhine sur l’hôpital de Lanmeur (source © Twitter / Lanmeur)

Longtemps considéré comme un art mineur et subversif, à l’image des tags souvent agressifs qui fleurissent sur les murs de nos villes, le street art est incontestablement en train de gagner ses lettres de noblesse et nombre de collectivités ont bien intégré tout l’intérêt de confier ainsi à un artiste, la décoration de façades aveugles, participant ainsi à l’embellissement de quartiers parfois bien ternes. Une pratique qui aurait pu être mise en profit à Carnoux, pour donner un peu d’humanité et de poésie aux immenses murs blancs de la nouvelle mairie, en profitant du dispositif du 1 % artistique, qui permet aux collectivités de profiter de la construction d’un édifice public pour y créer une œuvre originale. Mais sans doute le Maire n’y a t-il pas pensé…

L. V.

Honduras : une femme contre la corruption ?

3 février 2022

Situé en Amérique centrale, entre le Guatemala au nord et le Nicaragua au sud, le Honduras est tristement connu pour être l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine et l’un des pays du monde où le taux d’assassinats politiques est le plus élevé… En 2012, on y dénombrait plus de 90 homicides pour 100 000 habitants, un chiffre assez effrayant comparé à celui de la France (1,4 homicide pour 100 000 habitants) ou même à celui des USA qui est de 5,4. La deuxième ville du Honduras, San Pedro Sula détiendrait même le record mondial en la matière avec 173 homicides pour 100 000 habitants…

Manifestation de l’ONG Copinh en 2016 suite à l’assassinat de la militante écologiste Berta Caceres (photo © Orlando Sierra / AFP / RFI)

Le pays est considéré comme l’un des plus dangereux du monde pour les journalistes, les syndicalistes ou les militants écologistes : plus de 130 de ces derniers ont été assassinés en toute impunité entre 2009 et 2019 ! La présence de gangs mafieux ultra violents, dénommés maras, liés au trafic de stupéfiants et adeptes des extorsions de fonds en tous genre, alimentent copieusement ce climat d’insécurité, renforcé par le très haut degré de corruption des élus politiques et des forces de l’ordre, elles-mêmes considérées comme « pourries jusqu’à la moelle » selon l’expression d’un ancien officier de police, d’ailleurs abattu deux semaines après cette déclaration quelque peu irrévérencieuse…

Arrestation d’un membre présumé du gang Mara Salvatrucha 13 à Tegucigalpa, au Honduras, en novembre 2020, lors d’un vaste coup de filet (photo © AFP / TDG)

Il faut dire que, depuis que Christophe Colomb a débarqué en 1502 sur la côte atlantique du Honduras et lui a laissé en héritage le nom qu’il porte toujours, le pays, devenu indépendant en 1839 a connu bien des périodes d’instabilité. Le Honduras fut même brièvement envahi par le Salvador voisin en 1969 dans un contexte de fortes tensions liées à des mouvements migratoires et à la suite de matchs tumultueux entre les deux équipes nationales dans le cadre des phases éliminatoires pour la coupe du monde de football : il n’y a pas que dans les stades que le foot exacerbe les passions…

Sous gouvernement militaire entre 1972 et 1983 et bénéficiant d’une aide militaire massive de l’administration Reagan qui utilise le pays comme base arrière dans sa guerre contre les sandinistes du Nicaragua, le Honduras connaît en 2002 une crise agricole qui menace de famine des dizaines de milliers de personnes. En 2006 cependant, élu à la tête du pays, le représentant du Parti libéral, Manuel Zelaya met en œuvre une politique réformiste et s’attaque au redressement économique du pays et à la réduction des inégalités sociales en créant notamment un salaire minimum.

L’ancien président hondurien Manuel Zelaya, renversé par un coup d’État le 28 juin 2009, ici à Mexico en août 2009, alors qu’il est encore considéré par beaucoup comme le président légitime, démocratiquement élu (photo © Henry Romero / Reuters / L’Express)

Le 28 juin 2009 à l’aube, à quelques heures d’une consultation électorale en vue de convoquer une assemblée constituante, le président Zelaya est brutalement arrêté par l’armée et expulsé manu militari en pyjama vers le Costa Rica. Un coup d’État en bonne et due forme, organisé par l’élite économique hondurienne appuyée ouvertement par certaines multinationales dont la United Fruit Company. De retour au pays en 2011, il fonde un nouveau parti de gauche, sous le nom de Liberté et Refondation. En 2013, c’est son épouse, Xiomera Castro, qui se présente à la Présidence de la République sous les couleurs de ce parti, mais échoue dans un scrutin qui donne lieu à de graves accusations de fraudes.

Le nouveau président, Juan Orlando Hernández, du Parti national, gouverne le pays de manière autoritaire et est éclaboussé par de multiples scandales de corruption, ce qui ne l’empêche pas d’être réélu en 2017, à l’issue d’un scrutin encore très controversé et émaillé de nombreuses violences. En 2019, il doit faire face à la situation de son propre frère, lui-même ancien député, arrêté à l’aéroport de Miami et accusé de trafic de drogue pour avoir exporté plusieurs tonnes de cocaïne vers les États-Unis où il est condamné à la prison à vie. Le président Orlando est lui-même accusé d’avoir utilisé l’appui financier des narco-trafiquants pour le financement de ses campagnes électorales…

Le 28 novembre 2021, c’est donc Xiomera Castro, l’épouse du président déchu Zelaya, qui a été élue à la Présidence de la République du Honduras, à la tête d’une coalition avec le centriste Salvador Nasralla. Elle vient tout juste de prendre ses fonctions officielles, le 27 janvier 2022 et promet de lutter contre la corruption endémique qui mine son pays depuis des années.

Xiomara Castro, la nouvelle présidente hondurienne, prononçant son discours d’investiture à Tegucigalpa, le 27 janvier 2022 (photo © Freddy Rodriguez / Reuters / Le Monde)

Elle compte ainsi remettre en selle la commission de lutte contre la corruption en s’appuyant sur les Nations-Unies, modifier le Code pénal pour renforcer les sanctions contre le blanchiment d’argent, développer les programmes sociaux de lutte contre la pauvreté, ou encore bloquer le développement des Zones spéciales de développement économique, ces zones de non droit qui servent de refuges officiels à nombre de délinquants poursuivis par la Justice. Selon elle, près des trois-quarts des 10 millions d’habitants du Honduras vivraient en dessous du seuil de pauvreté : elle a donc du pain sur la planche !

Scène de pugilat à l’assemblée nationale du Honduras le 21 janvier 2022 à l’occasion de l’élection controversée de son nouveau président (photo © Orlando Sierra / AFP / Ouest France)

Mais on ne change pas si facilement un pays gangrené à ce point par des décennies de libéralisme et de corruption endémique. Avant même sa prise de fonction, le nouvelle présidente s’est retrouvée confrontée à la fronde d’une vingtaine de députés de son propre parti qui ont cédé à l’appât du gain et ont fait élire l’un des leurs à la tête du Congrès national avec le soutien du Parti national, ce qui permet à ce dernier de contrôler de facto l’assemblée législative et risque de bloquer fortement la volonté réformatrice de Xiomara Castro : on lui souhaite bien du courage…

L. V.

Des filets connectés pour capter les déchets…

1 février 2022

La Mer Méditerranée, c’est bien connu, est une mer fermée, réceptacle naturel de tous nos déchets que le vent emporte et qui finissent tous, invariablement dans la mer, canalisés à chaque épisode pluvieux via les cours d’eau et le réseau de collecte des eaux pluviales.

Chacun n’en a pas forcément conscience, mais un mégot jeté négligemment dans le caniveau sur le mail de Carnoux, sera nécessairement emporté à la première pluie dans la « bouche d’égout » la plus proche, laquelle conduit directement, via un simple tuyau, dans le fossé pluvial que l’on voit à la sortie de Carnoux, en contrebas de la route après le rond-point des Barles, fossé qui n’est autre que le lit résiduel du Ru de Carnoux qui se jette dans le Merlançon, lui-même affluent de l’Huveaune, qui conduira votre mégot directement en mer au niveau de la plage du Prado où, avec un peu de chance, vous le retrouverez avec plaisir en allant barboter dans l’eau l’été prochain…

Regard pluvial à Carnoux : dernière étape avant un rejet direct en mer… (photo © CPC)

On estime que l’on rejette ainsi en mer chaque année, bien involontairement et sous le seul effet mécanique du vent et de la pluie, plus de 10 millions de tonnes de déchets, principalement à base de plastique qui se fragmente peu à peu et pénètre dans toute la chaîne alimentaire. D’ici 2050, les océans contiendront probablement plus de plastique que de poissons.

Malgré tous les efforts des pouvoirs publics et de nombreuses initiatives privées pour essayer de nettoyer cet immense dépotoir qu’est devenue la Mer Méditerranée, une des solutions les plus efficace est encore d’éviter que nos déchets ne viennent se déverser en mer à chaque orage comme on l’a encore constaté lors de l’épisode pluvieux du 4 octobre 2021 qui avait coïncidé de surcroît avec une grève des éboueurs métropolitains, si tant est que l’on puisse encore parler de coïncidence pour des phénomènes aussi récurrents…

Déchets jonchant la plage du Prado après les intempéries du 4 octobre 2021 (photo © Nicolas Tucat / AFP / Le Monde)

Une des solutions envisagée et déjà testée avec succès en de multiples endroits est de récupérer ces macro-déchets en installant des filets à l’exutoire des réseaux d’eau pluviale, voire des déversoirs d’orage qui, eux, sont liés directement aux réseaux d’eaux usés, lesquels finissent toujours, en cas de forte pluie, à excéder les capacités de traitement des stations d’épuration, si bien que l’on n’a généralement pas d’autre choix que de déverser alors directement en mer les eaux usées sans le moindre traitement en comptant sur la dilution naturelle et l’effet de chasse pour que cela ne soit pas trop visible…

Mise en place d’un filet récupérateur de déchet à la sortie d’un exutoire (source © Made in Marseille)

L’inconvénient d’un tel dispositif est que les filets, même de grande capacité, finissent toujours par se remplir, souvent précisément au plus fort de l’orage, formant alors de véritables bouchons à l’exutoire des réseaux d’eau usées, provoquant alors des débordement d’eau nauséabonde sur la voirie et dans les sous-sols des immeubles avoisinants, ce qui n’est généralement guère apprécié des riverains !

C’est pour éviter ce type de désagrément que la start-up marseillaise, au nom typiquement provençal de Green City Organisation, a lancé son dispositif D’Rain de filet connecté. Créée en 2017 par Isabelle Gérente, une plongeuse d’origine lilloise venue à Marseille pour développer des projets sportifs mais écœurée par les arrivées massives en mer de déchets de toute sorte à chaque épisode pluvieux, cette start-up a donc développé un système de collerette équipée de capteurs, que l’on vient fixer à la sortie d’une canalisation d’eau pluviale et à laquelle on accroche un filet qui récupère les déchets.

Isabelle Gérente, la fondatrice de Green City Organisation (photo © France TV Info)

Grâce à un dispositif de transmission des données collectées, on connaît à tout moment le niveau de remplissage du filet, ce qui permet de venir le récupérer et le changer à temps tout en évitant les plongées intempestives de surveillance. De surcroît, les capteurs recueillent en permanence des données sur la qualité de l’eau : salinité , pH, taux d’oxygène dissous, mais aussi teneur en hydrocarbures, métaux lourds ou encore résidus médicamenteux de nature à dégrader fortement l’état du milieu aquatique.

Schéma du principe du dispositif D’Rain avec sa collerette connectée et ses filets de récupération (source © Green City Organisation / GoMet)

Labellisé par les pôles de compétitivité Aquavalley et le Pôle Mer Méditerranée, le dispositif a été breveté e 2020. Après un premier essai dans le Vieux-Port de Marseille, la start-up marseillaise avait annoncé début 2021 la signature d’un partenariat avec la fondation Probiom, une ONG environnementale qui tente de lutter contre la prolifération de déchets plastique sur les côtes algériennes. Le 14 décembre 2021, la société a organisé, sur le Vieux-Port, dans les locaux de la Société nautique, une présentation de son démonstrateur, fruit de 18 mois de recherches cofinancées par l’Agence de l’Eau et Total Énergies, avant de mettre en scène l’installation du dispositif sur l’exutoire situé à proximité, l’un des plus gros d’Europe, et qui sert de déversoir d’orage directement dans le Vieux-Port en cas de forte pluie.

Vue du dispositif expérimental D’Rain mis en place au niveau de l’exutoire de la Société nautique sur le quai du Vieux-Port à Marseille le 14 décembre 2021 (photo © Rémi Liogier / GoMet)

Les filets ainsi mis en place, fournis par la société Ecotank, ont une capacité de 10 m³ et sont constitués d’une double paroi, à mailles larges pour bloquer les macro-déchets, mais doublés d’une maille plus fine pour arrêter même les mégots. Quant le filet est plein, la collerette intelligente, qui pèse quand même 1,7 tonnes, se détache automatiquement et l’exploitant est alerté pour qu’il puisse venir récupérer le filet à l’aide de scaphandriers, mobilisés par l’entreprise Seven Seas et le remplacer par des filets neufs.

Installation du dispositif expérimental D’Rain sur l’exutoire du Vieux-Port à Marseille le 14 décembre 2021 (photo © Guillaume Ruoppolo / Walis / Marseille médias)

Didier Réault, vice-président de la Métropole, délégué à la mer et au littoral, était présent lors de cette démonstration et s’est montré intéressé par cette technologie innovante qui pourrait, à terme, équiper les quelques 180 exutoires en mer pour la seule ville de Marseille, exploités par la SERAMM, dans le cadre d’une délégation de service public. Même dans cette hypothèse, et même en imaginant qu’une telle technologie de pointe soit suffisamment fiable pour permettre de récupérer ainsi une partie de nos déchets, ce n’est bien évidemment pas une raison pour continuer à jeter négligemment votre mégot dans le caniveau…

L. V.