La Chambre régionale des Comptes (CRC PACA) vient de rendre public, lundi 24 octobre 2022, un rapport sur la gestion du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône entre 2013 et 2020, et les magistrats régionaux ne sont pas particulièrement tendres avec cette administration mastodonte qui compte près de 8000 agents en équivalents temps plein pour administrer le troisième département le plus peuplé de France.
La période d’analyse est intéressante si l’on se souvient que lors des élections départementales de mars 2015, le Département des Bouches-du-Rhône, majoritairement à gauche depuis 60 ans et présidé depuis 1998 par Jean-Noël Guérini, avait alors basculé à droite et est depuis cette date présidée par Martine Vassal, réélue d’ailleurs à ce poste en juin 2021 tout en cumulant depuis septembre 2118 cette présidence avec celle de la Métropole Aix-Marseille-Provence après avoir échoué en 2020 à remporter de surcroît la mairie de Marseille.
L’analyse détaillée de la CRC figure dans deux cahiers distincts dont la lecture est très instructive pour un citoyen attentif à la bonne utilisation des deniers publics et au bon fonctionnement de la démocratie locale. Le premier traite des compétences prises en charge par le Département, de sa gestion financière et de sa gestion des ressources humaines. Le second est axé sur la gestion de son patrimoine immobilier, sur ses pratiques en matière de marchés publics et sur les subventions octroyées aux associations.
Et le moins qu’on puisse dire est que, sur chacun de ces points, l’analyse des magistrats de la CRC, n’est pas très élogieuse ! Rien que le périmètre de compétences réellement assumées pose problème, la CRC relevant que le Département, qui a pourtant réglementairement perdu sa clause de compétence générale, continue allègrement d’exercer des compétences, notamment en matière de transport public et d’aide au développement économique, qui relève désormais d’autres collectivités, Métropole ou Région notamment. Ainsi, alors que la création de la Métropole en janvier 2016, aurait dû entraîner un transfert automatique de la totalité des 1959 km de routes départementales situées sur son périmètre, seuls 53 km de ce réseau a effectivement été transféré à la Métropole en 2017 et 61 km sont toujours en cours de transfert depuis 2018 !
Les relations entre Département et Métropole font d’ailleurs l’objet d’interrogations de la part de la CRC, du fait de la forte interaction entre ces deux structures, sachant que 90 des 119 communes des Bouches-du-Rhône, représentant près de 92 % de la population départementale sont désormais dans le giron métropolitain. Curieusement, alors que les rumeurs de fusion entre les deux structures semblent s’éloigner, jamais les deux collectivités n’ont été aussi proches avec de multiples groupements d’achats, une politique de communication commune (au service de leur présidente unique) et un transfert financier massif du Département en faveur de la Métropole dont les subventions d’investissement ont été multipliées par 3 entre 2016 et 2020. La Métropole reçoit à elle-seule près de 30 % des aides du Département à l’investissement !
Cette question des aides massives accordées par le Conseil départemental aux communes et intercommunalités, n’en finit d’ailleurs pas d’étonner la CRC. Celle-ci constate ainsi une augmentation de 25 % des dépenses d’investissement du Département entre 2028 et 2020, liée non pas à ses propres investissements (dans la voirie et les collèges principalement) mais à des subventions aux autres collectivités qui représentent en 2020 plus des deux-tiers du total ! Certes, la loi autorise le Département à participer ainsi à l’aide aux projets des communes mais à un tel niveau, c’est du jamais vu…
D’autant que les critères de distribution de cette manne départementale semblent bien opaques, conduisant à des déséquilibres territoriaux qui intriguent la CRC : sur la période analysée, de 2013 à 2020, la Ville de Marseille a ainsi reçu un total de 170 € par habitant tandis que se voisine de Gignac-la-Nerthe a empoché 2611 € par tête de pipe. On n’ose imaginer le montant pour la ville de Carnoux où le moindre investissement est subventionné à plus de 60 % par le Département…
Alors que la situation budgétaire du Conseil départemental se dégrade d’année en année avec un endettement multiplié quasiment par 4 sur la période d’observation, la CRC s’étonne de cette générosité inhabituelle en faveur des communes, notant de manière feutrée et très diplomatique que « cette politique, davantage distributive que redistributive, ne répond que partiellement à un objectif de solidarité territoriale ». Une critique déguisée de clientélisme qui avait d’ailleurs fait l’objet d’échanges peu amènes lors du débat sur le rapport de la CRC qui avait eu lieu vendredi 21 octobre en séance publique du Conseil départemental. Danielle Milon, maire LR de Cassis et bombardée 1ère Vice-Présidente du Département déléguée au tourisme (tout un symbole qui en dit long sur les priorités de Martine Vassal), a tenté de justifier ce choix en expliquant, de manière aussi maladroite que malheureuse : « Martine Vassal a rétabli les inégalités qui existaient avant son élection en 2015 » : on ne saurait mieux dire en effet…
On passera pudiquement sur les critiques acerbes de la CRC concernant une gestion budgétaire assez approximative, une méconnaissance du patrimoine publique, l’absence de stratégie pour la maintenance des collèges comme pour celle des espaces naturels sensibles, ou encore une politique de commande publique erratique et peu optimisée. Et encore, le rapport n’évoque même pas les déboires récents de certains de ses agents dont un ancien chef de service, Renaud Chervet, jugé au tribunal depuis le 24 octobre pour corruption après avoir été filmé en train de recevoir 10.000 € en liquide de la main d’un entrepreneur en échange d’un coup de main pour obtenir une grosse commande publique de la part du Département.
On passera aussi sur la question des subventions départementales aux quelques 48.000 associations recensées dans les Bouches-du-Rhone et dont 3.500 en moyenne bénéficient chaque année d’un coup de pouce financier qui représente quand même au total pas loin de 100 millions d’euros par an, partagé en 2020 entre 3.049 associations seulement alors que 7.300 dossiers de demande avaient été déposés. Là encore, la CRC s’étonne des disparités territoriales criantes dans la répartition de ces financements…
En matière de gestion des ressources humaines, les magistrats de la CRC tombent de leur chaise en constatant que sur les près de 8000 agents que compte l’institution, seuls 11 d’entre eux relèvent d’un cycle de travail qui respecte effectivement la durée légale de 1607 heures annuelles, fixée par un décret datant quand même de juillet 2001. On ne saura pas qui sont ces valeureux héros qui sauvent l’honneur de la fonction publique territoriale, mais la CRC relève que tous leurs collègues bénéficient de congés supplémentaires indus qui, mis bout à bout, représentent plus de 200 postes à temps plein.
Sur ce sujet, la CRC se montre, pour une fois, assez sévère en écrivant sans détours : « la collectivité est invitée à régulariser cette situation au plus tard pour le 1er janvier 2023, ainsi qu’à renforcer son dispositif de contrôle des heures supplémentaires réalisées et payées aux agents ». A un mois seulement des élections professionnelles prévues début décembre et qui verront les différents syndicats se livrer à la surenchère habituelle, voila une belle pierre dans le jardin de Martine Vassal : il serait fort étonnant que la CRC constate la moindre évolution dans ce domaine d’ici le 1er janvier prochain…
L. V.