Archive for octobre 2022

Le Conseil départemental épinglé par la CRC

31 octobre 2022

La Chambre régionale des Comptes (CRC PACA) vient de rendre public, lundi 24 octobre 2022, un rapport sur la gestion du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône entre 2013 et 2020, et les magistrats régionaux ne sont pas particulièrement tendres avec cette administration mastodonte qui compte près de 8000 agents en équivalents temps plein pour administrer le troisième département le plus peuplé de France.

La période d’analyse est intéressante si l’on se souvient que lors des élections départementales de mars 2015, le Département des Bouches-du-Rhône, majoritairement à gauche depuis 60 ans et présidé depuis 1998 par Jean-Noël Guérini, avait alors basculé à droite et est depuis cette date présidée par Martine Vassal, réélue d’ailleurs à ce poste en juin 2021 tout en cumulant depuis septembre 2118 cette présidence avec celle de la Métropole Aix-Marseille-Provence après avoir échoué en 2020 à remporter de surcroît la mairie de Marseille.

L’analyse détaillée de la CRC figure dans deux cahiers distincts dont la lecture est très instructive pour un citoyen attentif à la bonne utilisation des deniers publics et au bon fonctionnement de la démocratie locale. Le premier traite des compétences prises en charge par le Département, de sa gestion financière et de sa gestion des ressources humaines. Le second est axé sur la gestion de son patrimoine immobilier, sur ses pratiques en matière de marchés publics et sur les subventions octroyées aux associations.

Martine Vassal annonçant que le Département des Bouches-du-Rhône est candidat pour expérimenter le RSA conditionné à des heures de travail (photo © Franck Pennant / La Provence)

Et le moins qu’on puisse dire est que, sur chacun de ces points, l’analyse des magistrats de la CRC, n’est pas très élogieuse ! Rien que le périmètre de compétences réellement assumées pose problème, la CRC relevant que le Département, qui a pourtant réglementairement perdu sa clause de compétence générale, continue allègrement d’exercer des compétences, notamment en matière de transport public et d’aide au développement économique, qui relève désormais d’autres collectivités, Métropole ou Région notamment. Ainsi, alors que la création de la Métropole en janvier 2016, aurait dû entraîner un transfert automatique de la totalité des 1959 km de routes départementales situées sur son périmètre, seuls 53 km de ce réseau a effectivement été transféré à la Métropole en 2017 et 61 km sont toujours en cours de transfert depuis 2018 !

Les relations entre Département et Métropole font d’ailleurs l’objet d’interrogations de la part de la CRC, du fait de la forte interaction entre ces deux structures, sachant que 90 des 119 communes des Bouches-du-Rhône, représentant près de 92 % de la population départementale sont désormais dans le giron métropolitain. Curieusement, alors que les rumeurs de fusion entre les deux structures semblent s’éloigner, jamais les deux collectivités n’ont été aussi proches avec de multiples groupements d’achats, une politique de communication commune (au service de leur présidente unique) et un transfert financier massif du Département en faveur de la Métropole dont les subventions d’investissement ont été multipliées par 3 entre 2016 et 2020. La Métropole reçoit à elle-seule près de 30 % des aides du Département à l’investissement !

Le Bateau bleu, le siège du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône qui ne passe pas inaperçu (source © Structurae)

Cette question des aides massives accordées par le Conseil départemental aux communes et intercommunalités, n’en finit d’ailleurs pas d’étonner la CRC. Celle-ci constate ainsi une augmentation de 25 % des dépenses d’investissement du Département entre 2028 et 2020, liée non pas à ses propres investissements (dans la voirie et les collèges principalement) mais à des subventions aux autres collectivités qui représentent en 2020 plus des deux-tiers du total ! Certes, la loi autorise le Département à participer ainsi à l’aide aux projets des communes mais à un tel niveau, c’est du jamais vu…

D’autant que les critères de distribution de cette manne départementale semblent bien opaques, conduisant à des déséquilibres territoriaux qui intriguent la CRC : sur la période analysée, de 2013 à 2020, la Ville de Marseille a ainsi reçu un total de 170 € par habitant tandis que se voisine de Gignac-la-Nerthe a empoché 2611 € par tête de pipe. On n’ose imaginer le montant pour la ville de Carnoux où le moindre investissement est subventionné à plus de 60 % par le Département…

Alors que la situation budgétaire du Conseil départemental se dégrade d’année en année avec un endettement multiplié quasiment par 4 sur la période d’observation, la CRC s’étonne de cette générosité inhabituelle en faveur des communes, notant de manière feutrée et très diplomatique que « cette politique, davantage distributive que redistributive, ne répond que partiellement à un objectif de solidarité territoriale ». Une critique déguisée de clientélisme qui avait d’ailleurs fait l’objet d’échanges peu amènes lors du débat sur le rapport de la CRC qui avait eu lieu vendredi 21 octobre en séance publique du Conseil départemental. Danielle Milon, maire LR de Cassis et bombardée 1ère Vice-Présidente du Département déléguée au tourisme (tout un symbole qui en dit long sur les priorités de Martine Vassal), a tenté de justifier ce choix en expliquant, de manière aussi maladroite que malheureuse : « Martine Vassal a rétabli les inégalités qui existaient avant son élection en 2015 » : on ne saurait mieux dire en effet…

Le rapport de la CRC a été présenté et débattu lors de la séance du Conseil départemental du 21 octobre 2022 (source © CD 13)

On passera pudiquement sur les critiques acerbes de la CRC concernant une gestion budgétaire assez approximative, une méconnaissance du patrimoine publique, l’absence de stratégie pour la maintenance des collèges comme pour celle des espaces naturels sensibles, ou encore une politique de commande publique erratique et peu optimisée. Et encore, le rapport n’évoque même pas les déboires récents de certains de ses agents dont un ancien chef de service, Renaud Chervet, jugé au tribunal depuis le 24 octobre pour corruption après avoir été filmé en train de recevoir 10.000 € en liquide de la main d’un entrepreneur en échange d’un coup de main pour obtenir une grosse commande publique de la part du Département.

On passera aussi sur la question des subventions départementales aux quelques 48.000 associations recensées dans les Bouches-du-Rhone et dont 3.500 en moyenne bénéficient chaque année d’un coup de pouce financier qui représente quand même au total pas loin de 100 millions d’euros par an, partagé en 2020 entre 3.049 associations seulement alors que 7.300 dossiers de demande avaient été déposés. Là encore, la CRC s’étonne des disparités territoriales criantes dans la répartition de ces financements…

Renaud Chervet, ancien cadre du CD 13, lors de son procès pour corruption, avec, à droite, l’entrepreneur qui avait filmé la remise de billets en mains propres (photo © Jean-François Giorgetti / France 3)

En matière de gestion des ressources humaines, les magistrats de la CRC tombent de leur chaise en constatant que sur les près de 8000 agents que compte l’institution, seuls 11 d’entre eux relèvent d’un cycle de travail qui respecte effectivement la durée légale de 1607 heures annuelles, fixée par un décret datant quand même de juillet 2001. On ne saura pas qui sont ces valeureux héros qui sauvent l’honneur de la fonction publique territoriale, mais la CRC relève que tous leurs collègues bénéficient de congés supplémentaires indus qui, mis bout à bout, représentent plus de 200 postes à temps plein.

Sur ce sujet, la CRC se montre, pour une fois, assez sévère en écrivant sans détours : « la collectivité est invitée à régulariser cette situation au plus tard pour le 1er janvier 2023, ainsi qu’à renforcer son dispositif de contrôle des heures supplémentaires réalisées et payées aux agents ». A un mois seulement des élections professionnelles prévues début décembre et qui verront les différents syndicats se livrer à la surenchère habituelle, voila une belle pierre dans le jardin de Martine Vassal : il serait fort étonnant que la CRC constate la moindre évolution dans ce domaine d’ici le 1er janvier prochain…

L. V.

Rats de Marseille : il court, il court le furet…

29 octobre 2022

C’est Aïcha Guedjali, conseillère municipale de Marseille, déléguée à la lutte contre l’habitat insalubre et les nuisibles, qui l’a annoncé sur Twitter, information largement relayée notamment par 20 minutes et France 3 : la Ville va recourir aux services de furets pour compléter sa panoplie de moyens permettant de venir à bout des rats qui pullulent dans la cité phocéenne. Car dans l’imaginaire collectif, les rats que l’on croise assez fréquemment dans les couloirs du métro ou près des amoncellements de poubelles qui caractérisent certains coins de trottoirs marseillais rappellent de mauvais souvenirs dont celui de la dernière grande peste, celle de 1720, qui avait occis près de la moitié des habitants de la ville.

Un rat sur le paillasson : ces voisins dont on se passerait volontiers… (photo © Bruno Souillard / MaxPPP / France 3)

Pourtant le rat, comme l’homme n’est pas directement responsable de la peste mais en est la première victime. Le bacille de la peste, découvert en 1894 par Alexandre Yersin, est transmis au rat par des puces, lesquelles se résolvent parfois à piquer aussi des humains lorsqu’elles ne trouvent plus de rats à portée de mandibule. Mais ces puces ne sont véhiculées que par le rat noir, l’antique rat des greniers. Or ce dernier a désormais quasiment disparu des grandes agglomérations où il a été entièrement remplacé par son cousin, le rat des villes, le surmulot, qui vit principalement dans les égouts, comme le détaille le spécialiste, Pierre Falgayrac, dans son ouvrage très documenté intitulé Des rats et des hommes : L’histoire d’une cohabitation forcée, les moyens d’une lutte raisonnée (éd. Hyform, 2013). Il y martèle ce message qui vient à l’encontre de bien de nos idées reçues : « Les rats ne sont pas du tout dangereux ! Ce sont des animaux craintifs qui préfèrent fuir qu’attaquer. Ils passent entre la moitié et les trois-quarts du temps dans leur terrier. Lorsqu’ils sortent la nuit, c’est pour manger, boire ou ronger, car leurs incisives sont à croissance continue »

Naturellement plutôt craintif, le rat sort rarement de son trou… (photo © Jans Canon / Flickr / L’Express)

Et d’ailleurs, selon lui, les rats ne sont pas plus nombreux à Marseille qu’à Paris, Lyon ou Toulouse. On compte généralement dans les grandes agglomérations entre 1 et 1,5 rat par habitant mais ces rats vivent principalement dans les galeries des égouts et c’est d’ailleurs là que réside le principal risque d’attraper la leptospirose, une maladie liée à une bactérie présente dans l’urine des rats et qui a touché un peu plus de 600 personnes en France en 2019. Il y aurait donc un bon million de rats à Marseille et les opérations de dératisation se font principalement dans les égouts par la SERAMM, au moyen d’appâts empoisonnés.

La sortie des égouts : un passage à risque pour le surmulot (source © Sortir à Paris)

En cas d’inondation, on voit d’ailleurs les rats venir se réfugier en surface et on a alors l’impression que la ville est envahie. Les travaux en voirie ont aussi tendance à déranger les rats et les poussent hors de leurs refuges habituels. Le fait que les rats ont besoin de ronger fréquemment pour réguler la croissance de leurs incisives est également très mal vu car en dehors de l’acier et du béton, rien ne résiste vraiment, et surtout pas les fils électriques apparents ou enterrés que les rats grignotent au passage en creusant leur terrier. Le 17 juillet 2014, un TER est ainsi venu percuter un TGV à Denguin, dans le Béarn, suite à un dysfonctionnement des feux de signalisation dont les fils avaient été rongés puis mis en contact par un couple de rats bricoleurs… Et l’on accuse de même des rats d’être responsables de la paralysie du système de refroidissement de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon en mars 2013…

Les poubelles qui débordent dans les rues : des offrandes pour attirer les rats ! (source © Sud Radio)

Les rats sortent principalement la nuit pour chercher à manger et c’est pour cette raison qu’on ne les croise malgré tout pas si souvent, mais s’ils sont aussi visibles à Marseille, c’est principalement du fait des incivilités et de cette mauvaise habitude locale qui consiste à jeter ses détritus par terre et à laisser les déchets s’amonceler sur le trottoir autour des poubelles. On constate d’ailleurs que la mise en place de containers à déchets sous forme de bacs enterrés est un remède particulièrement efficace contre la prolifération des rats dont les populations se régulent naturellement en fonction des quantités de nourriture disponible.

Boîte à appât utilisée en dératisation (source © Info Rongeurs)

La Ville de Marseille procède quotidiennement à des opérations de dératisation dans l’espace publique en mettant en place des appâts empoisonnés et en rebouchant les orifices par lesquels les rats arrivent à pénétrer. Mais de telles pratiques sont plus difficiles à mettre en œuvre dans les jardins publics où les rats adorent creuser leurs galeries et venir se repaître des restes du goûter que les petits Marseillais auront jeté négligemment à côté de la balançoire.

D’où l’idée de recourir au furet pour chasser les rats de ces endroits sans pour autant laisser traîner en pleine nature des appâts empoisonnés qui pourraient faire des dégâts collatéraux. Le principe n’est pas nouveau et l’éleveur du Gers, à qui la Ville a fait appel, Alexandre Raynal, est déjà intervenu dans d’autres Villes, à Toulouse, Limoges, Vitry-sur-Seine, Montreuil ou Vincennes notamment avec ses 25 petits furets au doux nom de Prune, Mûre ou Blanco. Ce sont d’ailleurs principalement des femelles qui sont utilisées pour cette chasse aux rats car leur corps plus svelte leur permet de se glisser adroitement dans les galeries où elles adorent se faufiler.

Le furet, un appréciable chasseur de rats… (source © Le guide du furet)

Ces animaux subissent un dressage, non pas pour leur apprendre à chasser, ce qu’ils font d’instinct, mais pour les inciter à revenir ensuite auprès de leur propriétaire, ce qui est nettement moins naturel, leur tendance étant plutôt de se rouler ensuite en boule au fond d’une galerie pour y piquer un petit roupillon, sachant qu’un furet dort facilement 18 heures par jour…

Alexandre Raynal, l’éleveur de furets adepte de la chasse aux rats, ici à Toulouse en décembre 2021 (source © Actu.fr)

En fin de compte, c’est surtout l’aspect répulsif du furet qui est utilisé pour effrayer les rats et les pousser à sortir de leur cachette pour venir se jeter dans un filet qu’Alexandre Raynal tend en surface pour les récupérer au passage et les jeter dans un bidon où ils seront ensuite euthanasiés au gaz carbonique. En une demi-heure, il a pu ainsi attraper pas moins de 63 rats dans un jardin public de Toulouse ! A Marseille, l’expérience débutera en décembre et devrait concerner plusieurs parcs particulièrement fréquentés par les rongeurs. L’avenir des rats marseillais est en train de s’assombrir…

L. V.

Sainte-Baume : la forêt essaime à Verdun !

27 octobre 2022

Avec le changement climatique, la forêt méditerranéenne souffre et est peut-être même condamnée à disparaître à terme. On a vu cette année la forêt landaise partir en fumée par pans entiers et même celle de Brocéliande en Bretagne être victime d’incendies spectaculaires. Mais ce n’est pas seulement le feu qui menace : la sécheresse et la canicule sont aussi de redoutables ennemis, plus insidieux mais terriblement efficaces, pour la forêt méditerranéenne pourtant habituée à des conditions climatiques peu favorables.

A tel point que les forestiers commencent sérieusement à s’inquiéter pour l’avenir de certaines espèces. Déjà en 2003, lors de l’été caniculaire, ils avaient constaté des dépérissements inquiétants, en particulier sur les pentes du Mont Ventoux où l’emblématique sapin pectiné avait subi une forte régression. Même le pin d’Alep, une espèce pourtant particulièrement adaptée aux sols calcaires peu épais des plateaux provençaux et au climat méditerranéen aux étés arides, est en train de dépérir, obligeant les forestiers à aller quémander des pommes de pins chez leurs homologues d’Andalousie ou du sud marocain pour alimenter leurs pépinières avec des variétés encore plus résistantes aux fortes chaleurs…

Le pin d’Alep, roi de nos forêts méditerranéennes (source © Prévention incendie forêt)

Mais depuis 2003, les périodes de sécheresse prolongée et de forte chaleur se succèdent, de plus en plus rapprochées et de plus en plus sévère. Déjà en 2018, la France avait subi une forte vague de sécheresse qui avait néanmoins peu marqué le sud de la France, davantage touché en 2019 où l’on avait vu à Carnoux des cèdres emblématiques sécher sur pied, et rebelote en 2020 puis en 2021 qui a vu une partie de la forêt varoise réduite en cendres dans la Plaine des Maures tandis que l’année 2022 est peut-être en train de battre tous les records avec des réserves en eau au plus bas et un automne exceptionnellement chaud et sec…

Forêt de la Plaine des Maures ravagée par le feu en 2021 (photo © Nina Valette / Radio France)

Alors forcément, les arbres soufrent, risquant même l’embolie lorsque l’évapotranspiration devient telle que les arbres sont obligés d’aspirer davantage de sève pour compenser. Mécaniquement, ceci peut s’accompagner de la formation de bulles de gaz dans le système vasculaire de l’arbre et entraîner sa mort, ce qui explique bien des épisodes de mortalité massive que l’on a observé dans certains massifs forestiers notamment en 2003 mais à plusieurs reprises depuis, sans compter le fait que les arbres, affaiblis après un épisode de sécheresse, deviennent beaucoup plus vulnérables à l’attaque de certains insectes ou champignons. Une étude sur la forêt méditerranéenne qui date déjà de 2010 montrait ainsi que les surfaces forestières exposées à un tel dépérissement avaient été multipliées par 4 au cours des 20 dernières années.

Fin 2012, une étude publiée dans Nature par 24 scientifiques alertait ainsi sur le risque généralisé de dépérissement qui pourrait toucher 70 % des forêts mondiales sous l’effet du stress hydrique lié au réchauffement climatique. L’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère est actuellement si rapide que les chercheurs estiment que la plupart des arbres ne sont pas en capacité de s’adapter et ils estiment qu’au-delà d’une certaine limite, ils ne pourraient plus continuer à jouer leur rôle majeur de séquestration du carbone. En 2021, la concentration moyenne de CO2 dans l’atmosphère atteignait ainsi 415 ppm, un niveau jamais atteint sur Terre depuis 800 000 ans, mais surtout avec un rythme d’augmentation (2,6 ppm en un an) que la nature n’a jamais connu et qui rend très difficile l’adaptation des espèces végétales.

Forêt d’épicéas dans les Vosges ravagée par la sécheresse et les attaques de scolytes en 2020 (photo © Stéphane Champreux / France Télévision)

C’est pour cette raison que les forestiers s’efforcent d’aider les forêts à survivre face à un tel cataclysme car la disparition d’une partie du couvert végétal et de ses capacités de stockage de CO2 ne ferait qu’accélérer le processus. C’est pour cela qu’ils vont chercher plus au sud des espèces plus résistantes à la sécheresse afin de les croiser avec nos pins d’Alep locaux. Et dans le même temps, ils exploitent les capacités d’adaptation des espèces méditerranéennes pour tenter de sauver les massifs forestiers du nord.

C’est tout l’enjeu du projet Giono, nommé ainsi en l’honneur de l’auteur de L’homme qui plantait des arbres. Les champs de bataille de la Première guerre mondiale, du côté de Verdun, avaient été massivement reboisés après 1918 par des plantations d’épicéas, pour recouvrir d’un linceul de verdure ces zones totalement dévastées par les combats. Mais ces épicéas connaissent actuellement un dépérissement important, 4000 hectares de boisements historiques ayant ainsi déjà disparu car cette espèce n’est pas durablement adapté aux conditions locales du fait du changement climatique. Il faut donc anticiper en remplaçant progressivement ces épicéas par des hêtres a priori plus adaptés.

Pépinière de l’ONF à Guémené-Penfao, en Loire-Atlantique où sont replantée les graines du projet de migration assistée Giono (photo © Nathalie Petrel / ONF)

Et c’est là qu’intervient le projet Giono lancé par l’ONF en 2011 : un projet de migration assistée des arbres qui vise à utiliser pour ces opérations de reboisement des variétés a priori mieux capables de résister à terme à des conditions climatiques plus draconiennes. Et pour cela, les forestiers de l’ONF sont venus jusque dans la forêt de la Sainte-Baume récolter des graines de hêtres qui ont ensuite été soigneusement replantées en pépinière du côté de Nantes pour donner les plants qui servent désormais à reboiser la forêt de Verdun. Des arbres qui seront adultes dans 70 ans, à l’orée des années 2100, date à laquelle les projections du GIEC nous annoncent un climat très différent de celui que nous connaissons actuellement.

Tronc de hêtre dans la forêt de la Sainte-Baume (photo © Le Castor masqué)

Pourquoi venir chercher ces graines jusqu’au pied de la Sainte-Baume ? Parce que cette forêt relique de la Sainte-Baume est en France la plus méridionale des forêts de feuillus dans laquelle le hêtre est encore présent, ce qui laisse supposer qu’il a pu s’acclimater au cours des millénaires, à des conditions climatiques méditerranéennes a priori peu favorables. Cette présence assez inhabituelle de hêtre sous de telles latitudes s’explique d’abord par l’histoire de ce peuplement qui a été longtemps préservé grâce au caractère sacré du site. La légende raconte que c’est dans la grotte qui surplombe cette forêt, sur le flanc nord de la sainte-Baume, que Marie-Madeleine, venue en barque prêcher la parole du Christ a passé les 30 dernières années de sa vie à l’issue de son périple commencé aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Depuis 2000 ans, le lieu est ainsi devenu un lieu de pèlerinage où les moines de l’abbaye de Saint-Victor puis les Dominicains ont fait régner leur loi, protégeant sévèrement la forêt contre les prélèvements de bois de chauffage, ce qui a valu à ce peuplement forestier de se maintenir au fil des siècles, au moins jusqu’à la Révolution avant d’être pris en charge par l’ONF qui en assure une exploitation très raisonnée.

Forêt domaniale de la Sainte-Baume sur le flanc nord du massif, au pied de la grotte de Marie-Madeleine source © France 3)

Cette petite forêt domaniale de 138 ha est caractérisée par la présence de pins sylvestres et de chênes pédonculés dans sa partie basse, surmontés par des espèces comme le hêtre et l’érable mais aussi le houx et l’if, qui n’ont habituellement pas leur place dans un tel environnement méditerranéen car ces espèces ont besoin d’ombre et d’humidité mais dont la présence relictuelle s’explique par la configuration particulière du site, un ubac culminant à 1147 m et où la forêt dense et les circulations d’eaux souterraines abondantes créent un microclimat frais et humide. Un site sacré qui permettra peut-être de sauver les hêtraies du Nord de la France pour les siècles à venir…

L. V.

Un CV qui fait le buzz

22 octobre 2022

Au Canada comme dans le monde anglo-saxon en général, il est fréquent de de commencer à travailler quand on est adolescent, et pas seulement pour des jobs d’été mais souvent pour de vrais boulots à temps partiel, le week-end et le soir après l’école. Chez nos amis québécois par exemple, la législation n’impose pas un âge minimum pour accéder au marché de l’emploi. Elle demande simplement l’autorisation parentale pour les enfants de moins de 14 ans et impose des charges horaires maximales jusqu’à 16 ans, mais pas au-delà. De très nombreux adolescents commencent donc à travailler régulièrement des 13-14 ans pour faire du gardiennage, de la vente en magasin, livrer les journaux ou faire la nounou.

Jeune adolescente canadienne au travail (source © RTL)

Au point que les services de l’État se croient obligés de rappeler régulièrement aux parents quelques conseils de base pour éviter que leur enfant ne s’adonne en totalité à une telle activité professionnelle, certes lucrative et gage d’autonomie personnelle, mais qui peut venir fâcheusement empiéter sur le temps scolaire et les périodes de repos nécessaires… En tout cas, dans un tel contexte, les médias regorgent de conseils en tous genre pour aider les parents angoissés à guider leur progéniture dans la rédaction de leur curriculum vitae, ce précieux sésame qui donne accès au monde du travail, même quand on n’a que 14 ans et aucune expérience professionnelle à faire valoir…

Mais évidemment, rien de tel en France où le travail des enfants est davantage réglementé. Sans remonter jusqu’au décret impérial de 1813 qui interdit le travail des enfants de moins de 10 ans dans les mines où ils faisaient pourtant merveille grâce à leur petite taille, il a quand même fallu attendre 1892 pour qu’une loi limite à 10 heures la durée maximum quotidienne de travail des enfants de moins de 13 ans, à une période où le travail était encore autorisé à partir de 12 ans… Il a ainsi fallu attendre 1936 pour que la scolarité devienne obligatoire jusqu’à 14 ans, puis 16 ans à partir de 1959.

Le jeune stagiaire, un auxiliaire devenu indispensable en entreprise : un dessin signé Schwartz pour le Rectorat de Rennes (source © CFTC)

Mais l’Éducation nationale, sous la pression ambiante, s’est mis en tête de pousser les enfants à s’imprégner du monde du travail qui les attend (ou pas) en rendant obligatoire des stages de découverte en entreprise au cours de la classe de 3ème et parfois dès la 4ème. Depuis 2019, ces séquences de découverte du monde professionnel sont en effet ouvertes avant même l’âge de 14 ans, comme si les enfants n’avaient rien de plus urgent à apprendre que la manière dont fonctionne le milieu professionnel.

Les nouvelles générations à la découverte du monde du travail : un dessin de Jiho, publié dans Marianne en 2015

Pour pouvoir trouver un tel stage d’observation, même limité à quelques jours, encore faut-il faire acte de candidature. Et voilà que les entreprises sollicitées se mettent à exiger des jeunes collégiens non seulement une lettre de motivation, mais même un véritable cv, comme s’ils étaient candidats pour un véritable recrutement ! Un curriculum vitae à 14 ans, quand on est encore au collège, quel sens cela peut-il bien y avoir ? C’est justement la question que s’est posée cette maman d’élève de Joué-les-Tours qui du coup s’est piquée au jeu et s’est chargée elle-même de rédiger le cv de son rejeton puis de la partager sur son propre réseau professionnel via l’application Linkedin.

Du coup, l’exercice, traité avec une bonne dose d’ironie et d’autodérision, a fait le buzz et le cv du petit Loulou a largement circulé, alors même qu’il n’a pas été rédigé par le principal intéressé comme sa mère le revendique haut et fort ! On y apprend ainsi que le jeune collégien, malgré son jeune âge, a déjà enchaîné 3 contrats à durée déterminée. Le premier était naturellement une « création de poste », de bébé cela va de soi, au cours de laquelle le jeune Loulou, outre de faire ses premières dents a « mis en place les processus internes au bon fonctionnement d’une famille et coaché [ses] parents sur l’optimisation de leur temps libre ».

Le cv du jeune Loulou, rédigé par sa maman… (source © France Bleu)

S’en est suivi un deuxième CDD de « poseur de questions » couronné par un beau succès personnel de « meilleur déguisement de Spiderman au carnaval de l’école en février 2014 ». Et depuis 2019, notre impétrant bénéficie donc d’un nouveau contrat à durée déterminée (c’est du moins ce que sa mère espère) de « geek à capuche », « champion du monde de la coupe de cheveux improbable » qui « essaie de survivre à l’adolescence, au réchauffement climatique et à [ses] parents frappadingues ». Un cv qui ne dira pas grand-chose des compétences du candidats, sinon qu’il baragouine un peu le Chinois, se débrouille en programmation et est plus doué pour le « codage de trucs bizarres » que pour le « rangement de [sa] chambre » ou le « vidage du lave-vaisselle », mais on s’en serait évidemment douté…

Il n’y a pas de souci à se faire naturellement pour le jeune Loulou qui a déjà reçu plusieurs offres de stages selon les médias qui ont largement relayé l’exercice potache de sa mère pleine d’humour. Il y a d’ailleurs gros à parier que d’autres parents d’élèves vont se piquer au jeu et que les DRH des entreprises sollicitées pour accueillir des élèves de 3ème en stage de découverte du mode du travail n’ont pas fini de s’amuser et de se faire passer les cv les plus drôles. D’ici à ce que la rédaction de cv devienne une épreuve obligatoire du Bac, il n’y a sans doute pas beaucoup à attendre…

L. V.

Ukraine : un milliardaire s’en va-t’en guerre…

20 octobre 2022

Le milliardaire américain né en Afrique du Sud, Elon Musk, l’homme actuellement le plus riche de la planète, patron, entre autres, de Tesla et de Space X, qui rêve de construire les trains hypersoniques du futur et de conquérir la planète Mars, se pique aussi de géostratégie internationale, voire de diplomatie mondiale. Normalement, ce n’est pas le rôle des industriels que de se mêler des affaires du monde, surtout lorsqu’ils dégénèrent en conflits armés, mais de nos jours l’argent donne ce pouvoir aux dirigeants des multinationales qui tirent eux-mêmes les ficelles en lieu et place de nos responsables politiques…

Le milliardaire Elon Musk se pique de diplomatie internationale (photo ©AFP / Le Matin)

Lorsque la Russie a décidé d’envahir son voisin ukrainien, en février dernier, on s’est surtout préoccupé du sort des milliardaires russes, ces fameux oligarques supposés inféodés à Vladimir Poutine, dont on a tenté, plus ou moins mollement selon les pays, de saisir certains des avoirs les plus ostensibles à l’étranger, en commençant par les yachts de luxe, du moins ceux qui ne se sont pas mis à temps à l’abri. Mais on n’avait pas imaginé que les milliardaires occidentaux viendraient à leur tour interférer dans ce conflit entre nations…

C’est pourtant ce qu’a fait Elon Musk à qui rien n’échappe. Le 14 mars 2022, il a carrément lancé un défi à Vladimir Poutine, par Tweet interposé, en lui proposant « un combat d’homme à homme » dont l’Ukraine serait l’enjeu. Il n’y a pas si longtemps, cela se serait réglé par un duel sur le pré mais apparemment Poutine n’a pas relevé le gant et c’est son affidé, le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, qui a répondu à l’impertinent via son compte Telegram en lui suggérant que le combat n’était pas équitable et en l’invitant à s’entrainer en Tchétchénie avant d’affronter le redoutable ex-judoka du FSB.

Elon Musk, le milliardaire insatiable et touche à tout (source © Blagues et dessins)

Cela n’a pas empêché le milliardaire américain de s’impliquer directement dans le conflit à la demande du gouvernement ukrainien qui l’a sollicité dès le mois de février en lui demandant une assistance satellitaire pour maintenir les services de communication du pays, ce qu’Elon Musk a accepté en lui envoyant des stations internet Starlink pour aider le pays à rester connecté malgré l’offensive russe. Comme chacun sait, Starlink n’est autre qu’un fournisseur indépendant d’accès à internet qui repose sur une constellation de milliers de satellites lancées justement par Space X, la petite boîte d’Elon Musk.

En cours de déploiement depuis juin 2019, le dispositif s’appuie déjà sur plus de 2000 satellites dont la particularité est d’être placés en orbite terrestre basse, ce qui diminue fortement leur temps de réaction. L’inconvénient d’un tel système qui, à terme, devra s’appuyer sur pas moins de 42 000 satellites pour couvrir les besoins de tous les clients potentiels, c’est bien évidemment de provoquer un bel encombrement de notre orbite terrestre, au risque de provoquer des collisions en chaîne et, accessoirement, de perturber fortement les observations spatiales depuis les télescopes terrestres. Mais un milliardaire, même philanthrope, ne se préoccupe pas de ce genre de détail…

Lancement d’un satellite par Space X (source © Space X / 01 net)

Toujours est-il qu’Elon Musk a aussitôt répondu positivement à l’appel du pied de Kiev, déployant à travers le pays près de 20 000 terminaux pour donner accès à son dispositif Starlink qui assure ainsi, depuis le début de l’invasion russe, l’essentiel du service internet de l’Ukraine et notamment du système de commande de l’artillerie militaire des forces ukrainienne. Car, bien sûr, dans la guerre moderne, on ne tire plus au jugé mais on utilise des missiles téléguidés grâce au GPS et le système Starlink est bien adapté pour cela car beaucoup plus difficile à brouiller par l’ennemi que les réseaux internet classiques.

Une aide fort bienvenue donc pour l’Ukraine où la popularité du milliardaire américain a grimpé en flèche, au point de voir sa trogne de potache sur des affiches 4 x 3 m dans le centre de Kiev ! Sauf que le 14 octobre dernier, à la surprise générale et après une petite conversation téléphonique entre Vladimir Poutine et Elon Musk, ce dernier a annoncé son intention de stopper son financement du dispositif… Un coup dur pour l’armée ukrainienne qui perdrait ainsi un outil vital en matière de transmission, indispensable pour guider les drones comme les missiles mais aussi pour assurer une guerre offensive. « Combattre sans Starlink sur la ligne de front, c’est comme combattre sans armes » résume ainsi un commandant ukrainien dépité !

Militaires ukrainiens recevant des terminaux Starlink en juin 2022 (photo © ArmyInform / Ministère ukrainien de la Défense)

Pourquoi un tel revirement ? Selon le quotidien américain The Daily Beast, rapporté notamment par Le Courrier International, cette décision serait consécutive à un échange un peu animé survenu quelques jours plus tôt, suite à la proposition par Elon Musk d’un plan de paix dans lequel il suggère que l’on pourrait mettre fin au conflit si l’Ukraine acceptait de s’engager à rester neutre et à renoncer définitivement à la Crimée, envahie par la Russie en 2014 et annexée depuis. Une suggestion qui a fait bondir l’ambassadeur ukrainien en Allemagne, Andrij Melnyk, lequel a twitté en réponse au généreux milliardaire : « Allez vous faire foutre ». Une recommandation qu’Elon Musk a donc suivi à la lettre…

Andrij Melnyk, ambassadeur ukrainien en Allemagne depuis 2014, un diplomate au langage peu diplomatique… (photo © Susanne Hübner / IMAGO / Der Spiegel)

On notera au passage que le style ampoulé des échanges diplomatiques est devenu sensiblement plus direct depuis que les milliardaires s’en mêlent. On a certes toujours connu des incidents diplomatiques liés à des gestes d’agacement, à l’instar de celui du dey d’Alger, le pacha turc Hussein Dey qui, le 30 avril 1827 avait flanqué son chasse mouche dans la figure du consul de France Pierre Deval, en réaction à des paroles insolentes de ce dernier, déclenchant ainsi le blocus maritime de son pays. Mais il est vrai que le monde feutré de la diplomatie mondiale était habitué à l’utilisation d’un langage plus châtié : autre temps, autres mœurs !

Quoi qu’il en soit, il semble que l’affaire se résume plutôt à une affaire de gros sous. Le milliardaire justifie en effet son retrait annoncé par des raisons économiques, estimant que l’opération commence à lui coûter cher et qu’il ne serait « pas raisonnable » de continuer à payer ainsi, jugeant qu’après tout le gouvernement américain pourrait bien prendre le relai et payer la note qui pourrait s’élever à 400 millions de dollars par an, sachant qu’il a déjà déboursé 80 millions depuis le début de l’année. On peut être riche et se montrer pingre : les deux sont d’ailleurs souvent liés… D’autant qu’Elon Musk se garde bien de rappeler que les 20 000 terminaux fournis à l’Ukraine pour le déploiement de Starlink ont été pour l’essentiel financés par d’autres que lui, principalement le gouvernement américain, le Royaume-Uni et la Pologne, Space X se contentant d’assurer la maintenance et l’exploitation…

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky en visite dans une tranchée du Donetsk, le 6 décembre 2021 (photo © Service de presse de la Présidence d’Ukraine / Reuters)

En fait, Elon Musk est depuis revenu à de meilleurs sentiments après que les Ukrainiens aient rappelé qu’il avait en tout état de cause joué un rôle déterminant pour aider le pays aux premiers mois du conflit : il n’est jamais inutile de flatter un peu l’ego d’un industriel, surtout milliardaire… Dès le 15 octobre, Elon Musk a donc twitté : « Même si Starlink continue à perdre de l’argent et que d’autres entreprises reçoivent des milliards de dollars des contribuables, nous continuerons à financer gratuitement le gouvernement ukrainien ». Voilà qui devrait apaiser les craintes de Volodymyr Zelensky empêtré dans un conflit de haute intensité contre l’armée russe qui détruit méthodiquement toutes les infrastructures civiles ukrainiennes, y compris les réseaux de téléphone cellulaire et d’internet, si utiles dans la guerre moderne. Il ne lui reste plus qu’à croiser les doigts en espérant que le milliardaire américain, un tantinet susceptible, ne prenne pas de nouveau la mouche…

L. V.

Eau de Mazaugues : une future mine ?

18 octobre 2022

Dans le Var cette année, nombre de communes ont particulièrement souffert de la sécheresse, et pour certaines d’entre elles ont connu de réelles difficultés d’alimentation en eau potable. Le 14 octobre 2022, la Préfecture indiquait ainsi que sur les 153 communes du département, 96 étaient en crise sécheresse, qui correspond au niveau de restriction le plus élevé, 23 étaient placées en alerte renforcée et 43 en alerte simple : une situation plus que préoccupante !

Certains cours d’eau du département ont présenté des débits d’étiage extrêmement sévères. C’est le cas notamment du Caramy, un affluent du fleuve Argens, qui prend sa source dans le massif de la Sainte-Baume à Tourves puis parcourt 49 km avant de rejoindre l’Issole au niveau du lac de barrage de Carcès, après avoir notamment traversé la ville de Brignoles. Ses gorges, entre le pont romain de Tourves et la Saut du cabri à Mazaugues font partie de ces lieux paradisiaques, restés relativement sauvages, qui font le bonheur des pêcheurs et des amoureux de balades en nature.

Les gorges du Caramy, un havre de verdure rafraichissant (source © PNR Sainte-Baume)

Sauf que le Caramy est à sec à Tourves depuis le mois de mai et qu’il ne présente plus qu’un mince filet d’eau souvent interrompu plus en aval. A la station de Vins-sur-Caramy, où son débit moyen est de 1 100 l/s, le débit dépasse à peine les 250 l/s en ce mois d’octobre.

Du coup, le lac de Carcès dans lequel se rejoignent le Caramy et l’Issole, est quasiment à sec en cette période critique. Achevé peu avant la dernière guerre, en 1939, le barrage de Carcès dont la capacité de stockage est de 8 millions de m3 joue pourtant un rôle stratégique puisque c’est cette réserve en eau qui alimente la ville de Toulon et toutes les communes côtières environnantes, du Lavandou jusqu’à La Seyne-sur-mer. Au total, ce sont pas moins de 27 communes et plus de 1 million d’habitants qui dépendent de cette ressource en eau…

Le lac de Carcès quasiment à sec fin août 2022 (photo © Frank Muller / Var Matin)

Une situation plutôt préoccupante donc quand on voit les sécheresses devenir de plus en plus fréquentes et sévères sous l’effet du changement climatique. Mais des solutions existent qui permettraient d’exploiter les ressources en eaux souterraines, particulièrement abondantes dans le massif de la Sainte-Baume, et ceci sans mobiliser d’énormes investissements en infrastructure comme l’a fait la Société du Canal de Provence en réalisant la liaison entre le Verdon et Saint-Cassien, via la pose de 75 km de canalisations pour abreuver tout l’Est du Département jusqu’à Fréjus et Saint-Maximin avec l’eau prélevé dans le Verdon.

Robert Durand, hydrogéologue, dans les anciennes mines de Mazaugues (extrait vidéo © YouTube)

C’est un hydrogéologue de La Seyne-sur-mer, Robert Durand, par ailleurs spéléologue averti et président de la Confédération Environnement Méditerranée, qui prône de pomper cette eau souterraine dans les anciennes mines de bauxite de Mazaugues pour réalimenter le Caramy durant les périodes d’étiage. Cela permettrait ainsi de renforcer les capacités de prélèvement dans le lac de Carcès tout en contribuant à une meilleure qualité des milieux aquatiques tout au long de ce cours d’eau grâce à des débits plus importants et plus réguliers, même en pleine canicule estivale.

Une idée toute simple mais parfaitement réaliste et peu coûteuse à mettre en œuvre, Robert Durand estimant que l’on peut prélever sans dommage de l’ordre de 7 millions de m3 par an dans cet aquifère, soit presque autant que la capacité de stockage du lac de Carcès ! L’idée n’est d’ailleurs pas spécialement innovante puisque en 2009 un autre bureau d’études en hydrogéologie, Hydrofis, avait déjà conduit, à la demande du Conseil départemental du Var, une analyse en vue de la protection des ressources en eau des anciennes mines de Mazaugues.

Coupe géologique à travers l’aquifère de Mazaugues (source © Hydrofis)

Dans ce petit village varois l’exploitation minière de la bauxite à partir du début du XXe siècle, sur le site du Caïre Sarasin, à 3 km au nord du bourg, a marqué le territoire, avec ses fameuses « gueules rouges ». A l’orée de la première guerre mondiale en 1913, grâce aux ressources de ce bassin minier varois, la France était en effet le premier producteur mondial d’aluminium. C’est d’ailleurs le Français Pierre Berthier qui avait le premier identifié en 1821, sur la commune des Baux-de-Provence, ce minerai riche en aluminium.

Chargement de wagonnets de minerai de bauxite à Mazaugues, du temps de l’exploitation minière (source © Carrière de Mazaugues)

Mais il avait fallu attendre 1858 pour qu’un autre Français, Henri Sainte-Claire Deville, mette au point un procédé industriel permettant de fabriquer l’alumine à partir de la bauxite, alors que jusque-là on l’extrayait de l’alun. Le premier site industriel a ouvert en 1860 à Salindre, dans le Gard, mais c’est bien dans le Var que l’extraction de la bauxite a connu son apogée, avec une production annuelle de bauxite qui a culminé à 540 000 tonnes en 1939, avec son corollaire des fameuses boues rouges à évacuer… La mécanisation de l’abattage dans les années 1950 n’a pas permis de pérenniser l’exploitation qui a commencé à décliner dans les années 1970, la mine de Mazaugues ayant fermé définitivement en 1985.

Anciennes mines de bauxite de Mazaugues (source © Club spéléologique méditerranéen)

Sauf que depuis 2008, certains aimeraient bien réutiliser ce site pour exploiter le calcaire qui se trouve au-dessus des anciennes mines de bauxite de Mazaugues, pour y ouvrir une nouvelle carrière et fabriquer du granulat concassé pour le BTP. Un projet qui joue les Arlésiennes depuis des années malgré un avis favorable reçu après enquête publique, car le projet a fait l’objet de multiples recours de la part de différents acteurs. Outre l’aspect patrimonial des anciennes mines de bauxite qui pourrait disparaître du fait des terrassements gigantesques ainsi envisagés en surface, c’est tout l’environnement de la Sainte-Baume qui pourrait être menacé par ce projet, y compris les colonies de chauves-souris qui ont trouvé refuge dans les galeries minières abandonnées.

Robert Durand fait justement partie des opposants à ce projet de carrière car il craint qu’une telle exploitation mécanisée à ciel ouvert ne vienne polluer irrémédiablement l’eau souterraine de grande qualité qui baigne le calcaire jurassique karstifié à la surface duquel se sont jadis formés les dépôts de bauxite, exploités ensuite en galeries souterraines, lesquelles servent désormais de drains et de réservoirs à la nappe.

Article publié dans Var Matin le 14 octobre 2022 (source © Club spéléologique méditerranéen)

Il a donc fait une vidéo et lancé une pétition pour défendre son projet d’exploitation de l’eau des anciennes mines de Mazaugues. Cette eau abondante et de bonne qualité pourrait venir grossir le débit du Caramy et soutenir l’alimentation en eau potable pais aussi la production hydroélectrique à partir du barrage de Carcès. Une idée ingénieuse et permettant de valoriser à moindre coût des ressources en eau locales bien connues, mais qui ne semble guère jusqu’à présent avoir rencontré un accueil favorable de la part des responsables politiques locaux, manifestement davantage séduits par le projet de carrière porté par l’industriel Provence granulats, qui poursuit ses batailles judiciaires pour tenter de passer en force : produire du béton pour le BTP, c’est quand même plus sérieux que de de se préoccuper du sort des poissons du Caramy et des chauves-souris du Parc naturel régional de la Sainte-Baume !

L. V.

PLUi d’Aubagne : une urbanisation toujours galopante…

16 octobre 2022

Le Pays d’Aubagne et de l’Étoile n’a plus vraiment d’existence légale en tant qu’entité administrative autonome et le Conseil de territoire qui constituait le dernier vestige de cette ancienne communauté d’agglomération a disparu au 1er juillet 2022. Et pourtant, la Métropole Aix-Marseille-Métropole n’a pas encore vraiment tiré les conclusions de cette intégration métropolitaine, continuant à élaborer son PLUi (plan local d’urbanisme intercommunal) par petits morceaux, en se calant sur le périmètre des anciennes intercommunalités désormais disparues.

Et c’est ainsi qu’elle vient d’ouvrir, le 21 septembre 2021 et pour une durée d’un mois, l’enquête publique concernant l’élaboration du premier PLUi couvrant les 12 communes de l’ex Pays d’Aubagne et de l’Étoile, largement développé autour de la partie amont de la vallée de l’Huveaune, depuis Saint-Zacharie (dans le Var) jusqu’à la Penne-sur-Huveaune, en passant bien sûr par Aubagne. Une configuration d’autant plus curieuse que ce périmètre englobe la commune de Cuges-les-Pins qui n’est pourtant limitrophe d’aucune des autres communes concernées, mais pas Gémenos qui figure néanmoins en plein cœur du territoire, occupant l’essentiel de la riche zone des Paluds. Une incohérence telle que la photo choisie par la Métropole pour illustrer ce futur PLUI est justement centrée sur ce secteur hors PLUi !

La plaine agricole des Paluds, largement occupée désormais par la zone industrielle et commerciale malgré son caractère inondable (source © Métropole AMP)

Comme pour le PLUi adopté fin 2019 sur le territoire adjacent de l’ex communauté urbaine MPM, englobant Carnoux, celui qui est ainsi soumis à consultation sur le Pays d’Aubagne et de l’Étoile n’est bien entendu qu’une simple agrégation, après actualisation, des anciens PLU élaborés à l’échelle communale et qui restent applicables jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau document réglementaire, prévue pour 2023 si tout va bien, avec seulement quelques années de retard.

Plan d’assemblage des planches du PLUI d’Aubagne accessible via une carte interactive (source © Métropole AMP)

Force est cependant de reconnaître que rien n’est acquis concernant l’adoption de ce précieux document destiné à servir de cadre réglementaire, pour les années à venir, pour tous les projets d’urbanisation et plus généralement d’aménagement du territoire sur ce périmètre. Avant même le début de l’enquête publique, pour laquelle les services de la Métropole ont mis à disposition un site dédié avec un registre numérique d’enquête et même une carte interactive, les critiques pleuvent en effet sur ce projet que beaucoup considèrent comme totalement anachronique.

Le préfet lui-même, Christophe Mirmand, a sorti la grosse artillerie pour tirer à boulets rouges en écrivant à Martine Vassal en personne, dès le 9 septembre 2022, pour lui faire part de ses plus extrêmes réserves quant à la régularité de ce projet de PLUI, pointant du doigt de graves manquements en matière de prise en compte des risques naturels, notamment dans la vallée de l’Huveaune largement inondable, de préservation des paysages et de l’environnement, de production insuffisante de logements et surtout de consommation excessive des espaces agricoles. Le PLUi prévoit en effet de consommer pas moins de 275 hectares pour les urbaniser, ce qui n’est pas autorisé par la législation actuelle, la loi Climat exigeant de diviser par deux la consommation de nouveaux espaces au cours de la prochaine décennie 2022-2031.

Les lotissements de maisons individuels perdues dans la pinède, fortement consommatrices d’espace, coûteuses à desservir en infrastructures et fortement exposés aux feux de forêt : un modèle à oublier ? (source © Novelisimmo)

Et paradoxalement, il ne prévoit pas assez de nouveaux logements, préférant continuer à s’étaler par la construction de nouveaux lotissements sur les riches terres agricoles (et irriguées) de la vallée alluviale de l’Huveaune, plutôt que de densifier les zones déjà urbanisées des centres-villes, en voie de paupérisation et de désertification. L’heure n’est plus à la disparition des précieuses terres maraîchères autour desquelles pourrait se redévelopper une agriculture de proximité et des circuits courts d’approvisionnement. Elle n’est plus non plus à l’étalement urbain avec des villas individuelles de plus en plus éloignées des lieux de vie et des espaces de travail, de plus en plus coûteuses en infrastructures et impossible à desservir en transports en commun. Il est temps désormais de sanctuariser espaces naturels et terrains agricoles tout en densifiant les centres urbains plus faciles à relier aux transports publics, notamment près des prochaines gares du Val’Tram, ce qui suppose de construire des logements à la place des friches industrielles et des hangars commerciaux en voie de délaissement.

Terres agricole et espaces naturels destinés à être inexorablement grignotés au profit de nouveaux lotissements via le PLUi d’Aubagne… (photo © Clémentine Veysse / Marsactu)

Bref, tout l’inverse de ce que prévoit la Métropole avec ce PLUi hors du temps qui, du coup, déclenche des critiques tous azimuts avant même son adoption. La Chambre d’agriculture tire elle-même la sonnette d’alarme depuis des mois sans être entendue, regrettant que l’on puisse ainsi ouvrir à lotissement les terres agricoles les plus riches et les mieux aménagées, à proximité des marchés de distribution. L’Agence régionale de santé pointe de son côté de graves défaillances de ce projet d’aménagement du territoire qui ne tient pas compte, pour la délimitation des zones à urbaniser, des nuisances sonores, de la pollution de l’air ou encore des réseaux d’assainissement inadaptés.

Quant à France Nature Environnement, la FNE 13 pointe les incohérences de fond de ce PLUi qui ne prend pas assez en compte les risques naturels, y compris celui lié aux feux de forêt, de plus en plus inquiétants, et qui prévoit d’aggraver encore l’étalement urbain alors que celui-ci a déjà consommé, au cours des 10 dernières années 160 ha de zones agricoles et 192 ha d’espaces naturels, pour accueillir au total 3000 habitants supplémentaires. Or, le diagnostic préalable au PLUi identifie pas moins de 420 ha de potentiel constructible au sein des zones urbaines, ce qui offre la possibilité de construire 7000 nouveaux logements et même plus de 12 000 en densifiant un peu, selon les recommandations des services de l’État.

Le projet de Val’Tram, une opportunité pour densifier les centres urbains près des accès aux transports en commun tout en restaurant la place de la nature en ville (source © Gautier Conquet Architectes / Made in Marseille)

Bref, la Métropole peut d’ores et déjà s’attendre, avant même la fin de l’enquête publique ouverte jusqu’au 20 octobre, à devoir revoir entièrement sa copie. Un comble pour un processus de longue haleine engagé en février 2019 et qui a fait l’objet de multiples concertations et réunions publiques en amont. En démocratie, il ne suffit pas de consulter, encore faut-il aussi écouter et prendre en compte les avis des intéressés, une règle que Martine Vassal et ses équipes, préoccupées avant tout de faire plaisir aux élus locaux, ont peut-être un peu tendance à oublier…

L. V.

Révolte en Iran : l’ayatollah est nu !

14 octobre 2022

C’est une véritable révolte populaire qui est en train d’embraser l’Iran depuis quelques semaines. Une révolte qui rappelle furieusement celle qui en 1978 avait déjà agité le pays, alors dressé contre le régime répressif et corrompu du shah, jugé trop inféodé eux États-Unis, et qui avait conduit au renversement du régime puis à la prise de pouvoir, en 1979, par l’ayatollah Khomeyni, lequel s’appuie sur les Gardiens de la Révolution pour imposer une République islamique tout en s’arrogeant le titre de Guide Suprême, chargé de contrôler l’armée et les services de sécurité, et même de trier les candidats au poste de président de la République.

L’ayatollah Ali Khamenei, le 21 mars 2022 (photo © AP / La Croix)

Ce pouvoir théocratique fort, s’appuyant sur le sentiment religieux traditionnel de la population iranienne majoritairement chiite et plutôt conservatrice est toujours en place plus de 40 ans plus tard… Depuis la mort de Khomeyni en 1989, c’est l’ayatollah Ali Khamenei, lui-même ex président de la République entre 1981 et 1989, qui détient ce rôle de Guide Suprême et tient fermement les rênes du pays, au risque d’étouffer les jeunes générations qui n’en peuvent plus de cette bigoterie répressive d’un autre âge. Considéré comme totalement intransigeant, Khamenei gère directement ce qui a trait à la sécurité intérieure du pays et aux relations extérieures via ses affidés dont le Hezbollah au Liban.

Au début des années 2000, le président réformateur Mohammad Khatami avait bien tenté quelques timides ouvertures, proposant par exemple de suspendre l’interdiction des femmes iraniennes de pénétrer dans une enceinte sportive, mais l’ayatollah Khamenei y avait mit son droit de véto, répétant fermement : « la femme […] doit accoucher, allaiter, elle a un physique fragile, elle est moralement sensible, elle est affective, ne peut entrer dans tous les domaines ». Des propos misogynes et discriminatoires qui ne font qu’entériner une situation de sujétion des femmes iraniennes, soumises depuis 1979 au port du voile obligatoire dans l’espace public et qui peuvent légalement se faire confisquer leur voiture si elles se font arrêter au volant avec un voile mal ajusté…

Des milliers de manifestants dans la rue à Téhéran, le 18 juin 2009, protestant contre les fraudes massives qui ont permis d’évincer le candidat réformateur Mir Hossein Moussavi, au profit du président sortant, le conservateur Mahmoud Ahmadinejad (photo © AFP / Middle East Eye)

En 2009 déjà, le régime iranien avait dû faire face à une importante révolte populaire, suite à la réélection très contestée du conservateur Mahmoud Ahmadinejad, grâce à des fraudes massives de la part du pouvoir. Bien aidée par le recours aux réseaux sociaux, cette « révolution Twitter » conduit les autorités à fermer les universités, bloquer internet et réprimer férocement les manifestations, n’hésitant pas à tirer à balles réelles sur la foule désarmée. Des milliers de personnes sont arrêtées, parfois violées et torturées en prisons, et on relève au moins 150 morts suite à ces incidents qui embrasent le pays mais ne suffisent pas à faire vaciller le régime.

Et voila que le régime théocratique et répressif iranien fait de nouveau face, depuis plusieurs semaines, à une nouvelle révolte, menée principalement par la jeunesse de ce pays. C’est la mort d’une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, arrêtée le 13 septembre 2022 à Téhéran où elle est en visite avec sa famille, qui a cette fois mis le feu aux poudres. Interpellée par la police des mœurs parce que des mèches de cheveux dépassaient de son voile mal ajustée, la jeune femme est décédée en prison après 3 jours de coma. Une mort qui a choqué et embrasé l’opinion publique, amenant de nombreuses femmes iraniennes à descendre dans la rue et, pour certaines, à brûler en public leur voile.

Manifestants à Téhéran le 20 septembre 2022, brandissant la photo de Mahsa Amini, décédée le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs (photo © AFP / 20 minutes)

Comme à son habitude, le régime iranien n’hésite pas à réprimer par la force ce soulèvement populaire. Selon un bilan de l’ONG Iran Human Rights, basée à Oslo, le bilan en date du 2 octobre 2022 s’élevait déjà à 92 morts, dont 41 tués vendredi 30 septembre dans la ville de Zahedan, au sud-est du pays, une ville à majorité sunnite, proche du Pakistan où des manifestants en colère ont attaqué un poste de police et plusieurs bureaux gouvernementaux. De nombreuses manifestions se sont produites dans tout le pays, y compris dans les universités des grandes villes de Téhéran, de Tabriz et de Kermanshah. De son côté, le gouvernement reconnait un bilan d’au moins 60 morts dont 12 policiers, ce qui confirme la gravité de la situation quasi insurrectionnelle, même si l’accès au pays pour les médias internationaux est quasiment fermé.

Manifestation en Iran le 21 septembre 2022 (photo © AP / Le Monde)

Déjà en 2009, de nombreuses femmes s’étaient retrouvées en première ligne pour réclamer davantage de liberté et avaient, pour plusieurs d’entre elles, payé cette revendication de peines d’emprisonnement et d’une quasi mise au ban de la société. Plus que sur la question du voile, elles militaient d’ailleurs surtout sur la question de l’égalité d’accès aux postes à responsabilité, y compris dans la fonction publique. Cette année, les jeunes qui n’hésitent plus à braver les forces de l’ordre, quitte à recevoir une volée de billes d’acier ou à finir leurs jours en prison, ne se limitent pas non plus à ce sujet du port du voile dont le caractère obligatoire est néanmoins jugé de plus en plus pesant par les jeunes générations.

Leurs revendications vont bien au-delà, dénonçant l’élite corrompue et hypocrite qui s’appuie sur le pouvoir répressif des Gardiens de la révolution, du clergé et des forces de l’ordre, pour se maintenir au pouvoir tandis que la population est confrontée à des conditions de vie de plus en plus difficile, entre restriction des libertés individuelles et situation économique catastrophique. Les slogans « Mort au dictateur », entonnés de plus en plus fréquemment par les jeunes manifestants s’adressent directement au Guide suprême, Ali Khamenei. A cela s’ajoutent d’inévitables revendications identitaires, notamment de la part de la minorité kurde (dont faisait partie Mahsa Amini), sachant que les Kurdes représenteraient déjà près de la moitié des prisonniers détenus en Iran pour atteinte à la sécurité nationale !

Un dessin en date du 3 octobre 2022, signé du Marocain Sanouni Imad (source © Cartoon Movement)

L’avenir dira si ce mouvement de protestation qui est en train d’enfler sera en mesure de faire évoluer significativement la République islamique d’Iran. Une chose est sûre : le pouvoir iranien est bien seul pour faire face à ces contestations après avoir méthodiquement annihilé tous les corps intermédiaires et réduit à néant les mouvements réformistes. Il n’a donc d’autre choix que de se maintenir par la force en accentuant sans cesse la violence répressive face à ce mouvement populaire d’émancipation : l’ayatollah est bien nu…

L. V.

Cercles de Provence : on recycle !

12 octobre 2022

La Salle du Clos Blancheton accueillait le public, ce samedi 8 octobre 2022, pour une conférence intitulée « les Cercles, une sociabilité en Provence », animée par Pierre Chabert, enseignant chercheur et docteur en ethnologie.

En introduction, le Président du Cercle progressiste carnussien, Michel Motré, rappelle : « Notre association est jeune si on la compare aux autres cercles des communes voisines. Ainsi Le Cercle Républicain de Gémenos a fêté ses 150 ans et celui de Roquefort la Bédoule ses 140 ans ! Tous ces cercles constituent des espaces de sociabilité riches d’initiatives citoyennes, de culture et de solidarité. Aujourd’hui, nous vous proposons une conférence qui traite des Cercles et de leur évolution au travers des années.

Pierre Chabert, spécialiste de l’histoire des Cercles de Provence (photo © CPC)

Pour cela, nous avons fait appel à Pierre Chabert qui a retracé l’histoire des cercles en Provence dans un ouvrage publié au Presses Universitaires de Provence paru en 2006. Très récemment, avec l’appui de Pauline Mayer, chargée de mission inventaire du patrimoine immatériel, il a effectué une recherche sur l’évolution de ces chambrettes devenues cercles au travers d’une étude qui privilégie une pratique vivante (humaine). L’enquête se fonde sur des entretiens qui concernent le sud de la région : les Bouches du Rhône, le Var et les Alpes Maritimes. Le diaporama qui recense les différents cercles du territoire Provence verte et Verdon a été réalisé par Pauline Mayer qui nous l’a aimablement transmis pour la conférence. »

Cercle de Brue Auriac dans le Var (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

L’étude des cercles comporte plusieurs facettes : géographique, historique, ethnologique et politique. Pierre Chabert s’attache à développer ces différents aspects en insistant surtout sur les trois premiers points, l’aspect politique diffusant dans les trois.

Les cercles dans l’espace géographique

L’exposé s’interroge sur les raisons pour lesquelles les Cercles se sont développés, en particulier dans notre région entre l’Est du Rhône et l’Ouest du fleuve Var, comment ils ont évolué dans le temps et pourquoi ils se sont implantés dans certains territoires plutôt que sur d’autres. En dehors de ce territoire provençal, les cercles ont quasiment disparu sauf dans les Landes où ce sont essentiellement des assemblées de chasseurs, et en Alsace où l’orientation est plus religieuse.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, au début du XXe siècle (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

C’est en Europe, à partir de l’Italie qui comportait de nombreuses confréries de pénitents, conférant un caractère religieux à ces associations, que les émigrés introduisirent ces structures en France, dans le Sud-Est en particulier. La spécificité religieuse de ces cercles évolua selon des critères liés à l’activité professionnelle, aux intérêts culturels ou aux engagements sociaux comme politiques des populations concernées. Ces Cercles revêtent aussi localement un caractère corporatiste, regroupant des chasseurs, des pêcheurs, ou des employés et ouvriers de l’industrie et du commerce, cela sans oublier les cercles philharmoniques avec leur fanfare traditionnelle.

Les cercles dans l’histoire

Historiquement, les cercles se sont développés dans le cadre de la loi de 1901 sur les Associations, conquête de la politique sociale instituée par la IIIème République qui encadre le mouvement associatif. C’est ainsi que ces cercles se structurent de différentes manières, regroupant notamment des sympathisants de partis politiques de droite ou de gauche, dont les membres étaient soit plutôt des bourgeois, soit plutôt des ouvriers.

Chaque cercle possédait sa marque spécifique, conservant un fond religieux (pratique de la charité) ou optant pour une démarche plus progressiste (création de caisses de solidarité, de coopératives). La vocation restait cependant la même :  créer dans la ville, dans le village ou le quartier, un espace de sociabilité.

Cercle républicain des travailleurs de Roquefort la Bédoule (photo © CPC)

En continuant de remonter dans le temps, notre conférencier, situe avec l’avènement de la IIIème République les clivages constatés, parfois, entre les cercles d’une même localité, tels ceux de notre commune voisine de Roquefort-la-Bédoule avec le cercle dit « blanc » regroupant les notables et grands propriétaires terriens d’une part et d’autre part le Cercle Républicain des Travailleurs dit « rouge », celui des ouvriers et employés des fours à chaux.

Des liens souvent étroits entre coopératives agricoles et cercles : affiche à la Coopérative de Brignoles (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Cette ouverture constituait un progrès à cette époque si on se réfère à la situation précédente car au Second Empire, Napoléon III voyait dans ces assemblées un caractère dangereux pour le pouvoir, au point qu’il en interdit la création. Précédemment existaient en effet des structures de sociabilité informelles appelées « chambrettes ». Elles réunissaient une vingtaine de personnes dans un petit local (chambre, grange…) et avaient un caractère plus ou moins secret. C’est dans ce type d’assemblée que le mouvement de « la libre pensée » s’exprimait notamment au cours du Premier Empire, puis durant la restauration et la monarchie de juillet.

Dans la région, c’est en 1791 que l’on voit apparaître les premiers cercles à Saint Zacharie et au Beausset. Suivront notamment après 1870 la création de cercles républicains dont le nom est marqué par l’histoire : Cercles du 4 septembre 1870, en commémoration de la proclamation de la IIIème République. Auparavant, donc avant la Révolution, les « chambrettes » avaient plutôt une vocation religieuse et étaient tenues par des congrégations soucieuses de développer la pratique de la charité.

Sans remonter à l’époque romaine où existaient déjà des assemblées citoyennes, notons que c’est à la date de 1212 que l’on enregistre la création de la première « commune » par la confrérie du « Saint Esprit », avec pour objectif d’administrer la ville de Marseille. L’importance de cette filiation continue jusqu’à aujourd’hui, en effet de célèbres édiles de la ville de Marseille furent issue du « Cercle catholique de Mazargues » ou de celui de « la Renaissance de Sainte-Marguerite ».

Les cercles, quelques approches ethnologiques

Pour revenir à la période de prospérité des cercles que fut celle de la IIIème République et jusqu’au début de la seconde partie du XXème siècle, ces cercles ont eu pour vocation de regrouper essentiellement des hommes, cela dans l’esprit de l’époque, peu ouverte à l’émancipation des femmes. Ils regroupaient principalement des salariés autour des emplois fournis par les industries locales des tuileries, des chantiers navals à La Ciotat ou des mines de lignite autour de Gardanne. Initialement, pour y être admis il fallait être parrainé et les demandes d’adhésion faisaient l’objet d’un examen où la valeur de la moralité du candidat était prise en compte. Cela donnait droit à une carte de membre, qui pouvait se transmettre au sein d’une même famille.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, actuellement (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Ces cercles étaient le reflet de la société en modèle réduit, parfois politisés, mais recherchant essentiellement à développer la convivialité entre ses membres, proposer des activités culturelles (bibliothèque, fanfare musicale), gérer une coopérative ou une épicerie solidaire.

Les cercles pouvaient être propriétaires (par souscription) ou locataires des locaux qu’ils aménageaient souvent comme un second « chez soi » en les décorant avec des tableaux, des photos et autres objets dont une Marianne dans les cercles républicains. Les cercles étaient souvent « l’antichambre » de la mairie pour les prétendants à la fonction de premier magistrat de la commune. La réussite de l’organisation de fêtes et autres banquets républicains étaient le gage d’un succès d’estime auprès des populations. Cela suscitait aussi la rivalité entre cercles de tendances politiques différentes ou entre communes voisines avec des identités marquées.

Conclusion débat sur l’avenir des cercles

Au terme de son exposé et au cours des échanges qui suivirent avec le public Pierre Chabert a montré que le mode de vie actuel, l’organisation de la société, les comportements individuels ont entraîné un déclin de l’activité des cercles, voire leur disparition à l’exception de la partie Est de la Provence. La distance entre le domicile et le lieu de travail s’est considérablement allongée et les liens de voisinage s’affaiblissent. De plus, la concurrence des réseaux sociaux ne fait qu’accentuer l’individualisme au profit d’autres modes de communications et d’accès à la culture.

Une assistance passionnée pour cette conférence de Pierre Chabert (photo © CPC)

A ce bilan s’ajoute que parfois ces lieux ne sont pas reconnus pour leur apport à la culture populaire voire qu’ils sont soupçonnés d’être trop « politisés », alors même que le terme politique renvoie justement à la vie de la cité. Aujourd’hui subsistent des cercles qui doivent leur survie à l’engagement de leurs membres et de leurs dirigeants, souvent retraités, dont la composition se féminise, ouvrant de nouvelles voies de renouveau pour perpétuer et développer ces lieux d’échanges participatifs.

C’est le cas du Cercle Progressiste Carnussien qui en plus de ses réunions mensuelles, édite un journal distribué à toute la population et publie des articles sur un blog, propose un club de lecture (« Katulu ? ») et participe à des actions caritatives. Sans se comparer aux cercles centenaires de communes voisines, nous souhaitons qu’il perdure au profit de cette sociabilité locale provençale héritière de la « romanité » antique.

C’est autour d’un verre d’apéritif, offert par le Cercle, que la conférence prit fin tout en continuant les échanges entre le public et notre brillant conférencier auquel nous adressons nos plus vifs remerciements.

C.M.

Le prochain congrès du PS à Marseille ?

10 octobre 2022

Les partis politiques n’ont plus la cote et ils n’arrivent plus à mobiliser des citoyens de plus en plus individualistes et davantage tournés vers la satisfaction de leur bien-être individuel que vers la défense de l’intérêt général. C’est du moins l’argument souvent avancé pour expliquer la désaffection des partis politiques, particulièrement manifeste en France mais que l’on retrouve dans toutes les démocraties parlementaires. Bien d’autres raisons expliquent néanmoins probablement ce mouvement de fond. Le fait d’être mieux informé, via la mondialisation des échanges et la démocratisation des systèmes d’information numériques et les réseaux sociaux, contribue sans doute aussi à ce zapping et à cette méfiance généralisée envers les appareils de partis. Les citoyens actuels continuent à s’impliquer sur des enjeux collectifs, dont la défense de l’environnement, mais le font peut-être davantage en dehors des structures partisanes traditionnelles, dont ils se méfient des dérives liées au jeu des ambitions personnelles et des rigidités idéologiques…

Olivier Faure, devenu premier secrétaire du Parti socialiste lors du congrès d’Aubervilliers en mars 2018 alors que le PS n’était déjà pas au mieux de sa forme… une caricature signée Mykolas, publiée dans Blagues et dessins

Toujours est-il qu’une structure historique comme le Parti socialiste français, créé en 1969 pour prendre le relais de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), elle-même fondée en 1905, revendique désormais moins de 22 000 adhérents à jour de cotisation alors que ce chiffre dépassait les 232 000 il y a moins de 15 ans, lors du Congrès de Reims en 2008 ! Et il faut bien reconnaitre que le score de ce parti lors des dernières grandes échéances électorales n’est pas à la hauteur de ce qu’il a pu être, traduisant une nette dégradation de son image dans l’opinion publique. Après le résultat étriqué de son candidat, Benoit Hamon, éliminé dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 avec 6,36 % des suffrages exprimés, celui d’Anne Hidalgo, qui n’a séduit que 1,74 % des électeurs en 2022, oblige le Parti socialiste à reconsidérer sa place et son image auprès de l’électorat français…

L’évolution du PS, de François Mitterrand à Emmanuel Macron, vue par le dessinateur Placide, en date du 10 mai 2021 (source © Placide)

On est en effet bien loin des scores fleuves des années 1980 qui avaient permis à François Mitterrand de mener la gauche au gouvernement, dans une alliance où le Parti socialiste était le leader et où il pouvait s’appuyer sur un groupe de 285 députés socialistes à l’Assemblée nationale. Une configuration qui s’était renouvelée en 1997 sous la houlette de Lionel Jospin dont le gouvernement pouvait compter sur pas moins de 250 députés socialistes, et encore en 2012, sous le quinquennat de François Hollande qui pouvait s’adosser à un groupe socialiste de 295 députés au Palais Bourbon ! Un chiffre qui est tombé à 31 en 2022 pour la mandature actuelle, de quoi s’interroger sérieusement sur l’avenir de cette formation politique…

C’est précisément ce qu’envisagent de faire les Socialistes à l’occasion de leur prochain congrès national dont on vient d’apprendre qu’il se tiendra du 27 au 29 janvier prochain, à Marseille, peu après celui des LR qui devrait se tenir début décembre. L’enjeu de ce prochain congrès du PS est surtout important pour l’avenir de son actuel secrétaire général, Olivier Faure, qui remet en jeu son mandat. Mais il porte aussi, voire principalement, sur le positionnement et la stratégie de ce parti, longtemps locomotive des coalitions de gauche, et qui s’est retrouvé, lors des dernières législatives, à la remorque des écologistes et surtout de la France insoumise, dans le cadre de la nouvelle alliance électorale qu’est la NUPES.

Benoit Payan, alors simple conseiller municipal, aux côtés d’Olivier Faure à Marseille en mars 2018 (photo © MaxPPP / France Bleu)

Paradoxalement, ce congrès se tiendra donc, une fois n’est pas coutume, dans une ville dont le maire, Benoît Payan, n’est pas membre du parti, même s’il y a fait toute sa carrière politique. Il n’a en effet pas renouvelé son adhésion depuis son élection, expliquant ainsi sa position : « mon histoire est socialiste, mon mandat est Printemps marseillais, ma conviction, c’est l’union de toutes les forces de gauche et écologistes ». Un positionnement qui convient bien au secrétaire général actuel du PS, lequel entend manifestement s’appuyer sur l’exemple marseillais pour défendre sa propre position d’une union de la gauche au sein de la NUPES, ainsi qu’il l’a fait lors des dernières législatives, avec un succès indéniable au vu de la déculottée de la présidentielle toute récente.

Une position qui est cependant loin de faire l’unanimité au sein du parti socialiste, fortement critiquée notamment par la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, qui a bien du mal à accepter cet effacement relatif des socialistes au sein d’une alliance électorale numériquement dominée par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. L’ancien Président de la république, François Hollande lui-même, s’était montré, dès le mois de mai 2022 très critique envers la NUPES dont il estimait le programme irréaliste et le projet politique voué à l’échec. Des critiques portées également par Carole Delga, la présidente socialiste de la région Occitanie, qui avait combattu l’accord électoral de la NUPES dans sa région.

Carole Delga, présidente de la région Occitanie, ici à Paris en août 2021, peu convaincue par lalliance électorale de la NUPES (photo © Eric Piermont / AFP / Challenges)

Et voila que le 2 octobre 2022, 150 personnalités socialistes ont publié dans le JDD une tribune appelant à plusieurs « refondations » du parti à la rose, sous forme de critiques à peine voilées en direction de la stratégie portée par Olivier Faure : ambiance, ambiance… Les signataires de cet appel appellent de leurs vœux une politique réformiste radicale tant en matière de fonctionnement de notre démocratie, de construction européenne, de gestion économique, d’évolution des rapports sociaux ou de rapport à l’environnement et à la biodiversité. Ils reconnaissent volontiers que l’accord électoral de la NUPES a été une réponse conjoncturelle adaptée « attendue par le peuple de gauche face à la dispersion ». Mais ils égratignent au passage les conditions dans lesquelles s’est faite cette coalition dont ils souhaitent « changer son centre de gravité actuel qui la conduit à l’impasse ».

Gaston Deferre en 1969, alors maire de Marseille et candidat à l’élection présidentielle au nom du parti socialiste, éliminé dès le premier tour avec à peine 5 % des suffrages exprimés (source © La Provence)

Les sympathisants de gauche suivront donc avec intérêt les débats qui ne manqueront pas d’animer ce prochain congrès du PS qui se tiendra, pour la première fois depuis 1937 dans la cité phocéenne, pourtant très longtemps aux mains d’un élu socialiste, en la personne de Gaston Defferre qui en fut maire pendant près de 35 ans dès 1944 puis à partir de 1953 jusqu’à son décès en 1986, lui qui faisait partie des fondateurs du PS en 1969. En 1937, le secrétaire général de la SFIO d’alors s’appelait déjà Faure, Paul de son prénom, et le congrès marseillais avait rassemblé plus de 5000 participants, à l’invitation du maire de Marseille qui était alors Henri Tasso, élu en 1935 avec l’aide des frères Guérini, des truands notoires de l’époque, et qui devra démissionner en avril 1939 après que la municipalité a été mise sous tutelle par le Préfet suite à l’incendie meurtrier des Nouvelles-Galerie le 28 octobre 1938.

Léon Blum à la tribune du congrès de la SFIO à Marseille le 15 juillet 1937 (source © Musée d’art et d’histoire du judaïsme)

La SFIO avait déjà tenu son congrès national à Marseille 13 ans plus tôt, en 1924, également sous la présidence de Paul Faure, député de Saône-et-Loire et compagnon de route de Léon Blum. A l’époque déjà, il était question d’une refondation de la gauche et de la préparation d’une alliance électorale, le Cartel des gauches, qui remportera un certain succès aux législatives de 1924, conduisant à la nomination du radical Édouard Herriot à la tête du gouvernement, et préparant le terrain pour la victoire du Front populaire en 1936. Reste à savoir si le prochain congrès du PS à Marseille aura autant d’impact…

L. V.

Conférence du Cercle de Carnoux sur les Cercles de Provence

8 octobre 2022

La prochaine conférence organisée à Carnoux-en-Provence par le Cercle progressiste carnussien (CPC), sera présentée ce samedi 8 octobre à 18h30 par Pierre Chabert, enseignant chercheur, docteur en ethnologie. Elle nous contera l’histoire des Cercles, particulièrement développés en Provence, surtout au début du siècle précédent où ils ont joué un grand rôle dans la sociabilité des milieux ruraux.

Comme à l’accoutumée, cette conférence du CPC, qui se tiendra dans la salle communale du Clos Blancheton, en haut de la rue Tony Garnier, derrière la mairie de Carnoux, sera accessible gratuitement à tous. Alors venez nombreux découvrir l’histoire toujours actuelle des Cercles provençaux.

Lithium : l’or blanc du futur ?

6 octobre 2022

On en parle de plus en plus car le lithium, métal essentiel pour la production des batteries lithium-ion des véhicules électriques, est en passe de devenir une denrée stratégique, notamment pour les pays européens qui affichent leur volonté d’électrifier en quelques années la totalité de leur parc de véhicules à moteur thermique. Le lithium s’est en effet rapidement imposé, grâce à son potentiel électrochimique élevé, comme un matériau de choix pour la fabrication d’électrodes. L’Union européenne a d’ailleurs inclus ce matériau dans sa liste des métaux critiques et l’Agence internationale de l’énergie considère que la demande devrait être multipliée par 40 d’ici 2040. La tonne de lithium se négociait ainsi autour de 45 000 € début 2022 contre un peu plus de 6 000 € un an auparavant !

Évolution du prix de la tonne de lithium depuis 1 an (infographie © Ouest France)

Et ce n’est que le début puisque l’on estime que les besoins de la seule Europe devraient atteindre les 500 000 tonnes par an alors que la production mondiale ne dépassait pas 80 000 tonnes en 2020… Au début des années 2000, il y a moins de 20 ans donc, la production mondiale ne dépassait pas 15 000 tonnes par an pour un cours mondial autour de 300 € la tonne, soit une augmentation de sa valeur de plus de 15 000 % en 20 ans : qui dit mieux ?

Le paradoxe est que ce métal alcalin, le plus léger de tous les éléments métalliques présents sur Terre, est en réalité relativement abondant sur notre planète. On en trouve dans un très grand nombre de roches, des argiles aux granites, et on considère qu’il est présent en moyenne à raison de 20 à 70 mg/kg dans la croûte terrestre, ce qui est très faible par rapport aux éléments les plus abondants que sont notamment l’oxygène, le silicium, le fer ou le calcium, mais c’est bien davantage que le plomb, l’étain, l’uranium ou l’argent par exemple, sans même parler de l’or qui est 500 fois plus rare !

Fragments de lithium (source © La French Fab)

Sauf que ce matériau n’existe pas à l’état pur car ce métal mou, de couleur gris argenté réagit très facilement avec l’eau et l’air, si bien qu’il n’existe que sous forme de composé ionique. On ne peut donc l’extraire de concentrés miniers que par électrolyse en sel fondu et il a d’ailleurs fallu attendre 1818 pour que deux chimistes britanniques arrivent à l’isoler par électrolyse, un an après sa découverte par le Suédois Johan August Arfwedson. Ce dernier l’avait déterminé à partir de l’analyse de la pétalite, puis du spodumène et de la lépidolite, des minéraux présents dans des pegmatites, c’est-à-dire des roches magmatiques à gros cristaux, justement enrichies en lithium.

Exploitation minière de Galaxy Mining Lithium and Spodumene à Ravensthorpe en Australie (source © Insideevs)

Deux siècles plus tard, ces pegmatites constituent toujours l’une des principales sources d’exploitation du lithium, en particulier en Australie qui est à l’origine ces dernières années de près de la moitié de la production mondiale et qui détient quasiment un quart des réserves prouvées actuelles. L’autre source de gisements principalement exploitée est le chlorure de lithium que l’on trouve dans certains vieux lacs salés continentaux ou certaines eaux hydrothermales. C’est notamment le cas du salar d’Uyuni, en Bolivie, celui d’Atacama au Chili et le salar el Hombre Muerto en Argentine, qui concentrent à eux trois 70 % des réserves mondiales connues. Argentine et Chili font d’ailleurs partie des 4 principaux producteurs mondiaux de lithium avec la Chine qui serait actuellement à l’origine d’environ 22 % de la production mondiale. D’autres anciens lacs salés sont également exploités au Thibet, en Russie, aux États-Unis ou encore au Zimbabwe.

Exploitation de lithium dans le désert d’Atacama au  Chili (source © Euractiv)

L’Europe, désormais grosse utilisatrice de lithium, importe la totalité de ces besoins, à l’exception d’une production marginale au Portugal, destinée aux besoins de l’industrie céramique. En Estrémadure, la compagnie Lithium Iberia tente d’ouvrir une exploitation qui devrait débuter à 2024 à Las Navas, tandis que la firme australienne Infinity lithium se heurte à une forte opposition sur son projet minier de Càceres, de même d’ailleurs que Rio Tinto qui a dû renoncer en 2021 à un gros projet d’exploitation de lithium à Jadar en Serbie. De nombreux autres projets sont à l’étude, dont deux au moins en France, à Echassières (Allier), comme sous-produit de l’exploitation de kaolin et dans la plaine d’Alsace, en association avec la géothermie. Une voie également explorée Outre-Rhin où il est envisagé d’extraire du lithium via un retraitement des eaux qui transitent via les centrales géothermiques du fossé rhénan.

Manifestation contre le projet d’extraction minière de lithium porté par Rio Tinto en Serbie près du fleuve Jadar (source © Ne damo Jadar / Reporterre)

En attendant que se développent ce type de procédé d’extraction à partir des eaux hydrothermales voire de l’eau de mer comme cela est envisagé par certains chercheurs d’Arabie Saoudite, il n’en reste pas moins que les projets d’extraction minière restent très controversés comme l’ont montré les manifestations contre le projet de Jadar en Serbie. On se trouve ainsi confronté, pour cet élément comme beaucoup d’autres, à des injonctions contradictoires entre une volonté de développer une production nationale maîtrisée, nécessaire pour mettre en place la transition écologique que chacun appelle de ses vœux, et une réticence forte à accepter dans son environnement proche, des activités minières souvent considérées comme polluantes et sources de nuisance importantes. Qui a dit que l’Homme est pétri de contradictions ?

L. V.

Eau contre pétrole : le projet fou de Saint-Chamas…

4 octobre 2022

C’est Marianne qui vient de rendre public ce projet élaboré en toute discrétion et qui aurait déjà fait l’objet d’au moins deux réunions au sommet, à l’initiative de son promoteur, Xavier Houzel, négociant international d’hydrocarbures et longtemps aux manettes de la seule entreprise française indépendante de trading pétrolier, Carbonaphta. En mars 2022, il organisait en catimini une réunion à l’Élysée avec les principaux conseillers économiques d’Emmanuel Macron et en juin, au lendemain des élections présidentielles, il obtenait en quelques jours seulement un rendez-vous avec Thomas Tardiveau, à peine nommé conseiller technique électricité au cabinet de la toute nouvelle ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Xavier Houzel, spécialiste du négoce international d’hydrocarbures (source © Trilogues)

Quel était donc l’objet de ces conciliabules manifestement de première importance ? Un projet un peu fou qui consiste à troquer contre du gaz ou du pétrole dont la France a bien besoin, de l’eau qu’elle aurait en excès. Et pas n’importe quelle eau : celle de la Durance qui approvisionne déjà via le Canal de Marseille et le Canal de Provence, une bonne partie de la région PACA et toute l’agglomération marseillaise. Mais rappelons que le barrage de Serre-Ponçon, qui barre depuis 1959 le lit de la Durance un peu en aval de sa confluence avec l’Ubaye, constitue aussi le point de départ d’un canal de 250 km qui achemine de l’eau non seulement pour l’irrigation et l’eau potable, mais aussi pour la production hydroélectrique. On dénombre ainsi pas moins de 15 centrales hydroélectriques le long de ce canal, totalisant une puissance cumulée de 2000 MW, dont 360 pour celle de Serre-Ponçon, la plus importante, et 153 pour celle qui est située à l’extrémité aval du canal qui se rejette dans l’étang de Berre, sur la commune de Saint-Chamas.

Canal EDF entre Manosque et La Roque d’Anthéron(photo © Nicolas Janberg / Structurae)

Un aménagement industriel parfaitement huilé et d’une remarquable efficacité, mais dont les impacts sur les milieux naturels sont loin d’être négligeables, comme le relève depuis des années le GIPREB qui tente, tant bien que mal, de préserver la qualité des eaux de l’étang de Berre… La France a d’ailleurs été condamnée en 2004 à cause des rejets excessifs d’eau douce et de limons en provenance de la Durance qui se déversent directement dans l’étang de Berre, une lagune dont le milieu naturel a été totalement modifié et dont la biodiversité initiale a été entièrement bouleversée. Sous la menace d’une astreinte financière significative, EDF a finalement été contraint de réduire les quantités d’eau et de limons ainsi prélevés sur la Durance et rejetés dans l’étang de Berre. La capacité de prélèvement qui est de 4 milliards de m3 par an a ainsi été réduite à 1,2 milliards, sachant que le rythme actuel est plutôt de l’ordre de 950 millions de m3, et peut même tomber à moins de 600 les années de forte sécheresse comme en 2019 ou 2022.

En matière d’exploitation de la ressource en eau, il ne suffit pas en effet d’investir massivement, mais il faut aussi respecter les potentialités du milieu naturel. Or le changement climatique se traduit par une raréfaction de la ressource en eau issue des glaciers alpins, tandis que les milieux lagunaires comme l’étang de Berre supportent de moins en moins ces apports d’eau douce qui détruisent son écosystème naturel. Mais ce n’est ce genre de considération qui anime notre expert en négoce international d’hydrocarbures Xavier Houzel. Ce dernier a seulement retenu que le canal EDF rejette en pure perte des millions de m3 d’eau douce de qualité prélevée dans la Durance et que la France pourrait avoir intérêt à exporter cette eau vers des pays qui ont en bien besoin ! Rappelons au passage que les besoins en eau d’une ville comme Marseille ne représentent qu’à peine 5 % de ce volume colossal d’eau potable ainsi rejeté par le canal EDF…

Centrale hydroélectrique de Saint-Chamas, à l’extrémité aval du canal EDF qui se jette dans l’étang de Berre (photo © EDF / Gomet)

Il prévoit ainsi de faire partir quotidiennement 19 tankers de 200 000 m3 depuis le port de Fos et 48 de 80 000 m3 depuis celui de Lavéra à Martigues, tous chargés à ras bord d’eau de la Durance, soit près de 3 milliards de m3 d’eau douce prélevée dans le bassin versant de la Durance et exportée à l’autre bout de monde, permettant ainsi à EDF de turbiner toute l’année au maximum de ses capacités. Bien entendu, l’eau est considérée comme un bien commun, indispensable à la vie, et il n’est pas très moral d’en faire ainsi une source de business international. Mais en grand philanthrope qu’il est, Xavier Houzel prévoir simplement d’en faire du troc et de l’échanger avec les pays qui en ont besoin, contre du coton par exemple, ou de préférence du gaz ou du pétrole, ce qui pourrait intéresser des partenaires comme l’Iran ou Israël.

Bien entendu, le projet ne tient aucun compte de l’impact que pourrait avoir un tel prélèvement sur le fonctionnement naturel de nos cours d’eau. Prélever ainsi des milliards de m3 d’eau n’est jamais sans incidence, même dans un pays au climat tempéré qui ne manque pas de ressources en eau. L’eau de fonte des glaciers qui donne l’impression de s’écouler en pure perte vers la mer contribue à la biodiversité et à l’équilibre écologique des cours d’eau et des milieux aquatiques mais aussi à la recharge des nappes souterraines dont on retire désormais une part importante de nos ressources en eau potable car elles sont un peu mieux préservées de la pollution que l’eau de surface…

Tracé du canal EDF entre le barrage de Serre-Ponçon et l’étang de Berre (source © L’étang nouveau)

Certes, ce projet met en avant l’impact positif qu’aurait cet export sur la qualité de l’étang de Berre actuellement gravement perturbé par les apports massifs d’eau douce et de limons de la Durance. Mais il passe totalement sous silence une alternative portée depuis des décennies par d’autres acteurs et qui vise justement à mieux valoriser ces rejets tout en limitant leur impact écologique. Il faudrait pour cela prolonger le canal EDF pour qu’il se rejette non pas dans l’étang mais dans le Rhône après avoir irrigué au passage la plaine de la Crau. Trois députés locaux ont d’ailleurs déposé en 2020 un rapport parlementaire qui détaille différentes propositions en vue de réhabiliter l’étang de Berre, parmi lesquelles figure ce projet de dérivation.

Christophe Béchu (au centre) en visite sur l’étang de Berre le 29 septembre 2022, à côté de Bérangère Couillard et de Martine Vassal (photo © Stéphane Guéroult / La Provence)

Le nouveau ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, s’est d’ailleurs déplacé sur site le 29 septembre 2022, en compagnie de sa secrétaire d’État en charge de l’écologie, Bérangère Couillard, pour examiner ces différentes options. Une dérivation des eaux du canal vers le Rhône permettrait également de maximiser la production hydroélectrique et l’exploitation des ressources en eau tout en réduisant fortement l’impact de cet usage sur les milieux naturels. Mais le coût du projet est estimé à plus de 2 milliards d’euros. On ne parierait donc pas qu’il puisse tenir la corde face à la solution aussi simpliste que brutale proposée par Xavier Houzel : que pèse le respect de notre environnement quand le commerce international nous tend ainsi les bras ?

L. V.

Port-Vendres se déleste en douce de ses vestiges…

2 octobre 2022

Voilà une affaire qui est en train de faire du bruit et qui commence à embarrasser quelque peu le Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, accusé ni plus ni moins que d’avoir saccagé, avec la complicité des pelleteuses d’Eiffage, premier groupe européen du BTP, un site archéologique de première importance, un ancien temple romain dédié à Vénus largement cité par le géographe grec Strabon qui évoque, au premier siècle avant Jésus-Christ Aphrodision, latinisé en Portus veneris, « entre deux promontoires du Pyréné, célèbre par son temple ». Même le Canard enchaîné s’en est fait l’écho et le fait est qu’une nouvelle enquête a été ouverte pour tenter de démêler l’affaire.

Port-Vendres, un site portuaire connu et exploité depuis l’Antiquité (photo © CC BY-SA / Ministère de la transition écologique)

Il faut bien reconnaître que le dossier n’est pas d’une grande limpidité… Des controverses existent sur la position même de ce fameux temple de Vénus, probablement d’origine grecque, qui aurait été implanté sur une île, près de l’ancienne cité de Pyrène, évoquée pour la première fois par Hérodote au VIe siècle avant J.-C., et qui aurait donné son nom à la chaîne de montagne voisine. Mais l’origine du mot Pyrénées prête elle-même à débat, entre tenants d’une étymologie grecque liant justement ce nom à une ancienne cité portuaire de la Côte vermeille, et partisans d’une origine mythologique celte.

Le géologue universitaire Jean-Claude Bisconte de Saint Julien est quant à lui persuadé que cette antique cité portuaire n’est pas Collioure comme le prétendent certains, mais bien Port-Vendres, où l’on n’a pourtant pas retrouvé de vestige de ville antique. En revanche, lui est convaincu, comme il l’expose avec force détails dans son livre récemment publié que l’ancienne Pyréné se trouvait bien à l’emplacement de l’actuelle Port-Vendres même si ce site portuaire prisé des marins antiques par l’abri naturel qu’il offre contre la Tramontane, a été mis en sommeil pendant plus de 1000 ans, du fait d’une sédimentation excessive.

Le professeur Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien et la couverture du livre qu’il vient de publier fin 2019 (source © L’Ouillade)

Il pense que l’île dont parle les Anciens, abritant le sanctuaire dédié à Aphrodite, a été arasée en 1929 lorsque les installations portuaires modernes ont été aménagées, contribuant à faire de Port-Vendres un port de commerce très actif, en particulier pour l’importation de fruits exotiques dont 270 000 tonnes transitent annuellement ici. De fait, des investigations géophysiques réalisées en 2018 ont révélé les fondements de l’ancienne île Aphrodisium, immergés en bordure d’un quai.

Carte postale de l’îlot marquant l’entrée du port de Port-Vendres avant sa destruction en 1929 (source © Jean-Claude Bisconte de Saint-Julien / France 3 Régions)

Le problème, c’est que le quai en question est désormais trop court pour faire accoster les cargos actuels de 155 m de long et de 8 m de tirant d’eau. Comme c’est le seul port en eau profonde du département, le Conseil départemental qui en est le propriétaire, porte depuis 1998, avec la Région Occitanie et la Chambre de commerce et d’industrie, gestionnaire du port de commerce, un ambitieux projet de réaménagement qui consiste notamment à reconstruire totalement le quai Dezoums, inutilisé depuis 2005, en remblayant en totalité une ancienne anse naturelle adjacente. Un projet qui naturellement cristallise l’opposition des défenseurs locaux de l’environnement, lesquels avaient déjà réussi à faire annuler en 2011 par le Tribunal administratif une première autorisation de construire.

Projet de requalification du quai Dezoums en lieu et place de l’actuelle anse des Tamarins (source © EGIS – Etude d’impact des travaux de requalification du quai Dezoums à l’Anse des Tamarins – février 2017)

Le projet a été partiellement revu et une nouvelle étude d’impact a été lancée, aboutissant, fin 2018, à une autorisation de la DREAL au titre du Code de l’environnement, sur la base du projet délibéré en juin 2018 par le Conseil départemental pour un montant d’environ 25 millions d’euros. Les travaux de dragage et de déroctage entrepris en 2019 concernent pas moins de 50 000 m3 que le maître d’ouvrage, conseillé par le CEREMA, un organisme public, se vante de réexploiter au maximum dans une logique d’économie circulaire bien comprise, s’engageant à ne procéder à aucun rejet en mer.

Dragage en cours dans le port de Port-Vendres en mai 2019 (source © France 3 Occitanie)

Mais voilà que lors de ces travaux de terrassement réalisés entre mars et juin 2019, certains témoins voient les pelleteuses à l’œuvre le long du fameux quai Dezoums, remonter de gros blocs bien équarris de marbre blanc, qui font furieusement penser à ce que pourraient être les fondations de l’antique sanctuaire d’Aphrodite ! Pire, les associations repèrent des allées et venues suspectes de barges parties en mer chargées de sédiments et de blocs issus de ces travaux de déroctage, et revenues vides après avoir discrètement largué leur cargaison en pleine mer, ni vu ni connu…

L’association FRENE 66, membre de France Nature Environnement, ainsi que deux autres associations de défense du patrimoine local, « Port-Vendres et les Port-Vendrais » et le collectif « Les Tamarins » portent plainte et les gendarmes viennent apposer les scellés sur le tas de gravats resté à quai tandis que le professeur Jean-Claude Bisconte de Saint Julien s’égosille dans la presse, jurant que les matériaux issus du déroctage recelaient sans aucun doute des vestiges archéologiques d’une valeur patrimoniale inestimable, les anfractuosités naturelles de l’ancienne île étant même susceptibles d’abriter des anciennes épaves irrémédiablement perdues.

Vue aérienne montrant les différents éléments de l’anse de Port-Vendres avec notamment le quai Dezoums (8) où ont eu lieu les travaux de dragage et l’anse Guibal (16) où gisait l’épave de Port-Vendres 1 (source © EGIS – Etude d’impact des travaux de requalification du quai Dezoums à l’Anse des Tamarins – février 2017)

Il faut dire que le site de Port-Vendres est particulièrement riche en matière d’archéologie sous-marine et que la commune elle-même a fait l’objet d’un classement en Site patrimonial remarquable (SPR) par le Ministère de la Culture. De fait, plusieurs épaves antiques y ont été repérées, dont celle d’un navire romain qui a coulé dans l’anse Guibal, à la fin du IVe siècle de notre ère, avec une partie de sa cargaison d’amphores remplies de poisson et de garum en provenance du sud de l’Espagne. Identifiée en 1929, lors des travaux d’aménagement du port et déjà largement endommagée par les travaux de dragage effectués dans l’entre-deux-guerres, l’épave a été fouillée à partir de 1962 puis en 1973 dans le cadre d’une opération de sauvetage avant destruction définitive par les travaux de réaménagement du port prévus à partir de 1974. L’épave avait alors été démontée et remontée à la surface, constituant la première opération de ce type en France, les parties en bois ayant alors été envoyées à la DRASM de Marseille (Direction des recherches archéologiques sous-marines) pour un traitement chimique en vue de sa conservation.

Vidéo produite par le Parc naturel marin du Golfe du Lion en 2017 retraçant l’histoire de l’épave Port-Vendres 1

Curieusement, ce riche patrimoine archéologique local ne fait l’objet, dans l’étude d’impact rédigée par EGIS en 2017, que d’une seule ligne sur les 92 pages du résumé non technique, se contentant d’affirmer que « le site d’étude a en particulier fait l’objet de plusieurs fouilles archéologiques mettant en évidence des vestiges significatifs ». De quoi faire hurler les associations locales, mais pas suffisamment pour émouvoir le Procureur de la République qui a classé l’affaire sans suite le dossier ouvert en septembre 2019,  avant que les défenseurs acharnés de l’antique Portus veneris ne relancent l’affaire en justice, avec photos à l’appui montrant les blocs déchargés en mer et reposant désormais à 40 m de fond ! Une nouvelle enquête est donc en cours tandis que les travaux d’aménagement du port se poursuivent : business is business..

L. V.