Archive for octobre 2018

Paléomusique : les idiophones de la Préhistoire…

31 octobre 2018

L’ethno-minéralogiste Erik Gonthier et ses lithophones (photo © Pierre Grosbois / Le Monde)

Erik Gonthier fait partie de ces chercheurs fascinants capables de rendre passionnants les plus austères des sujets scientifiques. Maître de conférence et ethno-minéralogiste au Museum national d’histoire naturelle, il travaillait en 2004 au Musée de l’Homme lorsqu’il y a fait une découverte étrange. Les réserves de ce musée renfermaient en effet de curieux pilons sahariens datés du Néolithique, entre 9000 et 2500 ans avant notre ère, et amassés au fil du temps et des conquêtes coloniales, notamment lors des grandes missions scientifiques Berliet au Sahara.

Les paléontologues qui s’étaient penchés sur le sujet avaient établi leur diagnostic comme en fait état par exemple cet article publié en 1968 dans le Bulletin de la Société préhistorique française et doctement intitulé Grands outils de pierre polie du Sahara nigéro-tchadien. Il y est question de « meules dormantes », de « haches boudin », de « haches à gorges » et de divers instruments aratoires ou destinés à extraire les plaques de sel, pour lesquels l’usage semble plus ou moins avéré.

Mais l’article cite aussi des pilons en pierre dure, soigneusement polis, et dont la taille peut atteindre jusqu’à 90 cm pour un diamètre de 5 à 9 cm. De belles pièces donc, dont la confection a certainement demandé des heures de travail patient, mais dont l’utilité comme pilon a longtemps laissé perplexes certains chercheurs, ne voyant pas très bien à quoi pouvaient servir des pilons aussi lourds et volumineux, sinon peut-être à casser des noix de palmier doum, particulièrement résistantes, pour en extraire une substance appréciée des chèvres.

Erik Gonthier à la baguette sur ses lithophones du Museum (photo © capture image reportage AFP mars 2014 / Youtube)

Ces doutes sont désormais définitivement levés depuis qu’Erik Gonthier, au début des années 2000 donc, a confirmé que ces objets oblongs de forme cylindrique, soigneusement taillés et polis par nos ancêtres il y a 10 000 ans, dans des roches dures souvent d’origine volcanique, comme le basalte ou la phonolite (cette pierre qu’on trouve au Mont Gerbier de Jonc, aux sources de la Loire, comme on l’a tous appris à l’école…), n’avaient certainement aucun usage alimentaire ou utilitaire mais étaient simplement des… instruments de musique, des lithophones pour utiliser le langage scientifique idoine, et même des… idiophones à en croire l’analyse très détaillée et pédagogique qu’il a publiée en 2009 sur son blog.

Par définition, les lithophones sont des instruments de musique à percussion directe, constitués de pierres sonores, posées au sol ou suspendues, et que l’on vient frapper avec une autre pierre ou une masselotte en bois ou en os par exemple. Des systèmes que l’on retrouve un peu partout à travers le monde, sous différentes formes, et qui ont très probablement été inventés bien avant les instruments de type membranophones tels que les tambours ou les tam-tam, constitués classiquement d’une peau tendue sur une caisse de résonance. La notion d’idiophone fait référence au fait que le son est produit intrinsèquement par la pierre elle-même, sans aucun rapport donc avec le célèbre Gaffophone, mis au point par un certain Gaston Lagaffe…

Concert de lithophone sur stalactites dans la grotte de Tito Bustillo, sur le site d’Altamira dans le nord de l’Espagne (source Youtube / cité par Marilyn Armagast Martorano)

Fort de sa conviction que ces curieux pilons lithiques n’étaient donc que des sortes de carillons préhistoriques, notre ethno-minéralogiste s’est mis en tête de les reconstituer et d’en étudier les propriétés acoustiques. Contrairement aux lithophones dits dormants, qui sont en réalité de simples pierres naturelles, des stalactites par exemple, que l’on frappe in situ pour les mettre en vibration et en tirer des sons plus ou moins harmonieux, les pilons sahariens ont la particularité d’être mobiles et étaient donc destinés à être transportés pour en jouer dans certaines occasions. Des lithophones manufacturés donc, mais cylindriques, contrairement à ceux très répandus sous formes de lamelles, un peu à l’image de nos xylophones.

Les expériences d’Erik Gonthier qui s’est transformé pour l’occasion en paléomusicologue, ont montré que les lithophones préhistoriques retrouvés de l’Algérie au Togo en passant par la Mauritanie et le Tchad, avaient la particularité d’être diphoniques, c’est-à-dire de pouvoir émettre deux notes distinctes à des fréquences vibratoires différentes. Sur la base de son travail, l’Orchestre national de France a décidé d’utiliser ces instruments de musique d’un autre âge dans le cadre d’une de ses animations Musicomusée destinée au jeune public et organisée en collaboration avec le Museum national d’histoire naturelle.

Les musiciens de l’Orchestre national de France jouent une création musicale de Philippe Fénelon sur des lithophones (photo © Pierre Grosbois / Le Monde)

Quatre percussionnistes de l’Orchestre national de France se sont donc mis au travail, sous la houlette du compositeur Philippe Fénelon, et le 22 mars 2014, les vieux lithophones préhistoriques sont sortis des réserves du musée pour un concert très exceptionnel, naturellement intitulé Paléomusique, sous forme de conte musical, d’ailleurs radiodiffusé un mois plus tard sur France Musique. Un événement lithophonistique tout à fait inhabituel qui marquera sans doute d’une pierre blanche l’histoire de la paléomusique. Une expérience en tout cas qui mériterait probablement d’être reconduite pour mieux faire connaître ces vestiges du passé aussi remarquables par leur sonorité que par la pureté esthétique de leurs lignes, histoire de faire d’une pierre deux coups…

L. V. 

Quels enjeux pour l’Europe ?

29 octobre 2018

Le siège du Parlement européen à Strasbourg (source © archives Dernières nouvelles d’Alsace)

Les citoyens de l’Europe doivent renouveler son Parlement en 2019 dans un climat de défiance envers son fonctionnement comme celui des autres institutions européennes (Conseil et Commission).

Les reproches à leurs égards sont nombreux et parfois justifiés : affaiblissement de la souveraineté nationale, technocratie, pas de prise en compte des aspirations des peuples, des états qui adoptent des règles du jeu communes mais ne les appliquent pas avec cohérence ou qui ne font que privilégier leurs intérêts nationaux.

Faut-il pour autant se désintéresser du prochain scrutin et de ses enjeux pourtant cruciaux ? Les abstentionnistes seront-ils encore majoritaires (56,85 % en France en 2014) ? Pour quelles raisons : le désintérêt, le manque d’informations ?

Il est vrai que les principaux médias (télévisuels essentiellement) n’abordent les sujets européens que lorsque survient une crise majeure, laissant un sentiment d’incapacité à la résoudre et d’une vision d’avenir incertaine.

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler le fonctionnement des institutions européennes et notamment du Parlement ?

Le Parlement européen, qui représente les citoyens de l’Union européenne, est élu directement par le peuple depuis 1979. Il correspond, avec le Conseil des ministres, à la branche législative des institutions européennes. Il a son siège en France, à Strasbourg : c’est là que se tiennent les 12 périodes annuelles de session, dont la session budgétaire de l’assemblée. En revanche, les commissions parlementaires et certaines séances plénières additionnelles se déroulent à Bruxelles, tandis que le secrétariat général du Parlement est installé à Luxembourg.

Le Parlement européen participe à l’élaboration des directives et des règlements. Il peut modifier ou bloquer la législation quand elle relève des procédures de la codécision. Enfin, le Parlement vote le budget de l’UE.

Les eurodéputés en séance au parlement (photo © Maurix via Getty Images / Le Huffington Post)

À présent, le Parlement compte 751 sièges, nombre maximum autorisé par les traités de l’UE. Sous ces nouvelles règles, 27 des 73 sièges du Royaume-Uni seront redistribués à d’autres pays et les 46 sièges restants seront gardés en réserve en cas d’élargissement de l’UE. Le nombre de députés à élire en 2019 s’élèvera donc à 705.

En 2019 le scrutin se fera par listes nationales, alors que le précédent était par listes régionales. Une fois de plus la tentation sera grande pour les électeurs de manifester leurs désaccords avec les orientations actuelles de la politique européenne. Certains envisagent déjà de considérer ce scrutin comme un référendum national pour ou contre leur chef d’état ou de gouvernement qui ont, certes, une part de responsabilité dans les processus de décision (ou d’immobilisme) au sein du Conseil et de la Commission, mais cela ne changera rien dans un premier temps, à leur présence au sein de celles-ci.

Il est intéressant de rappeler la composition de l’actuelle assemblée qui est constituée de coalitions politiques, la majoritaire étant le PPE (Parti populaire européen) regroupant les partis de droite et centre droit avec l’appui occasionnel de l’extrême droite lors de certains votes.

L’Europe souvent en pointe sur l’environnement, mais pas toujours… Un dessin signé Mykolas publié dans Blagues et dessins

De même certains voudraient orienter l’enjeu de ces élections vers des choix réducteurs, voire simplistes entre progressistes et populistes : encore faudrait-il définir ces termes qui ne sont pas aussi clivant que l’on pourrait le penser.

Etre progressiste signifie-il être inspiré par l’esprit des « Lumières » tel que défini au XVIIIème siècle et qui a orienté nos sociétés vers l’établissement d’un régime démocratique, de progrès économique, de justice sociale, d’un universalisme empreint de paix ? Ou bien être partisan, uniquement, d’un libéralisme économique s’autorégulant au gré de soubresauts et de crises conjoncturelles, déstructurant les états et sociétés au détriment des plus faibles ?

Etre populiste est-ce que cela renvoie à une conception de la démocratie plus exigeante où le plus grand nombre est capable de juger des affaires publiques et se trouve ainsi responsabilisé ? Ou est-ce l’orientation de mécontentements, même justifiés, d’aspirations légitimes des peuples, chargés de colère et parfois de haine, pour récolter des fruits politiques et attirer des électeurs?

Un dessin signé Mix & Remix (source © Cartooning for peace / Pôle muséal de Mons)

Ce scrutin serait-il aussi un choix entre partisans et opposants de l’immigration?

Ce thème est venu, dans le contexte que l’on connaît, introduire des points de discordes supplémentaires dans les dossiers sensibles à traiter par l’Union européenne. Certes, les responsables politiques de l’Europe doivent s’emparer de ce dossier, mais c’est en élaborant des solutions avec une stratégie commune et pérenne pour les 30 ou 50 ans à venir, à l’échelle internationale, que l’on pourra aboutir car ce sujet va prendre une ampleur encore plus grande dans l’avenir.

Ce scrutin doit être replacé dans un contexte mondial particulier. L’enjeu principal est bien là : quelle place l’Europe peut-elle occuper, veut-elle occuper dans ce nouveau « désordre mondial » ? Un désordre voulu par l’actuel président des États-Unis qui souhaite bannir le multilatéralisme, n’avoir face à lui que des pays divisés et affaiblis avec lesquels il peut passer des « deals » (accords) tout à son avantage. Il a bien compris que l’Europe est, et pourrait s’imposer encore plus sur la scène mondiale. Elle est la seconde démocratie (par le nombre d’habitants) au monde (après l’Inde), la seconde puissance économique (22 % du PIB mondial) derrière les États-Unis.

Un dessin signé Kichka en 2009 (source © Cartooning for peace)

Il encourage nos divisions en se félicitant du choix de la Grande-Bretagne de quitter l’Union européenne et flatte les leaders nationalistes prompts à remettre en cause les idéaux (et principes constitutionnels) fondateurs de l’Union. Il est paradoxal et pas inutile de rappeler que ce sont les USA qui ont favorisé l’émergence d’une union entre les pays de l’Europe de l’ouest à l’issue de la seconde guerre mondiale, car, lassés d’avoir eu à intervenir deux fois en 25 ans pour sauver les démocraties européennes, ils souhaitaient voir s’établir dans cette zone une paix définitive et trouver des alliés dans un climat de « guerre froide » .

Une autre puissance ne souhaite peut-être pas voir une Europe diplomatiquement soudée (encore à fonder), assurer un « leadership » (rôle dominant) dans cette partie du continent et peser sur les décisions stratégiques à prendre au niveau mondial. C’est la Fédération de Russie qui a une position ambiguë envers les anciens pays satellites de l’ex URSS ayant intégré l’Union Européenne. Elle inspire à la fois de la crainte à certains tandis qu’elle conforte d’autres dirigeants qui, sous prétexte de flatter l’orgueil national, ne font qu’appliquer des méthodes de gouvernance héritées de l’ancien régime totalitaire voisin, à savoir :  pluralisme démocratique à minima, justice aux ordres, presse muselée, et ceci en contradiction avec les règles de l’UE. D’ailleurs celle-ci a, pour la première fois depuis sa création, voté des sanctions prévues à cette fin contre la Hongrie, le fameux article 7 qui sanctionne des « viols caractérisés des règles de l’UE ».

Il ne faut pas oublier non plus la Chine et sa puissance financière qui rachète avec détermination dans son intérêt, et sans réciprocité, des pans entiers d’infrastructures stratégiques de pays de l’Union qui ont subi des dommages économiques importants suite à la crise de 2007, obligés de vendre leurs « bijoux de famille » pour faire face à leurs dettes.

Un dessin signé Ixène publié dans Famille chrétienne

Alors oui pour les europhiles qui sont nombreux ou pour convaincre les plus sceptiques qui souhaitent, les uns comme les autres, une nouvelle orientation de la politique européenne, il est nécessaire de définir le véritable enjeu comme le propose Jean Dominique Guiliani dans La Lettre de la Fondation Robert Schuman : « Le véritable enjeu des élections européennes de 2019 devrait plutôt porter sur la place et le rôle de l’Europe sur la scène internationale. Doit-elle être plus autonome, plus présente, mieux armée, pour défendre et promouvoir son modèle de liberté, de prospérité et de solidarités ? Ou doit-elle, comme beaucoup, faire fi de toutes ses convictions, pour plonger comme tant d’autres dans le cynisme du repli et du simple rapport de force ? Doit-elle s’arc-bouter sur ses conceptions d’une organisation politique bâtie pour la personne humaine, son épanouissement dans les libertés, la culture, la protection de l’environnement et la solidarité ? Ou doit-elle préférer les disciplines collectives au nom d’idéologies irrespectueuses des droits individuels et collectifs au profit d’un mercantilisme le plus absolu ? ».

 CM

Centre culturel de Carnoux : fallait-il passer en DSP ?

27 octobre 2018

A Carnoux-en-Provence, le Centre culturel fait partie du paysage depuis une trentaine d’années et a vu passer des générations de Carnussiens venus s’y initier à l’éveil musical, à la pratique d’un instrument de musique, au théâtre, à l’apprentissage de l’anglais ou à de multiples activités créatrices. Comme dans la plupart des communes, cette structure résulte d’une volonté municipale de mettre à disposition du plus grand nombre l’accès à la découverte et à la pratique d’activités culturelles et artistiques, dans la droite ligne des Maisons de la Culture initiées par André Malraux.

Les bâtiments du Centre culturel ont bien entendu été financés entièrement sur fonds publics, y compris la récente rénovation complète des locaux et la construction encore plus récente d’une salle de musique dernier cri. Quant à l’entretien des bâtiments, il est entièrement pris en charge par la commune qui met à disposition les locaux gratuitement à une association créée spécifiquement pour leur exploitation et qui s’appelle d’ailleurs Association du Centre culturel de Carnoux-en-Provence.

Cette association s’appuie sur une secrétaire et des bénévoles dont certains très investis depuis des années, en particulier pour assurer l’inscription des adhérents et la comptabilité de l’association. Les intervenants, eux, bénéficient de statuts variés et sont rémunérés par l’association en fonction du nombre d’heures qu’ils prodiguent effectivement dans les locaux du Centre culturel, nombre d’entre eux partageant leur temps avec d’autres structures pour pouvoir toucher un revenu décent, comme c’est le lot pour la plupart des professionnels du monde culturel et artistique.

Salle de musique construite en 2017 au Centre culturel de Carnoux (source © Plὸ architectes et urbanistes associés)

A Carnoux cependant, la gestion de ce formidable outil d’accès à la culture pour tous n’est pas vraiment autonome vis à vis de la municipalité. Contrairement à ce qui prévaut dans d’autres communes et à la tendance de ces dernières années, l’association elle-même est étroitement liée à la municipalité puisque ses statuts précisent, comme l’expliquait le maire de Carnoux en personne dans un courrier adressé au CPC en octobre 2016 en réponse à un article paru sur ce blog, que « le maire ou son représentant est participant de droit au Conseil d’Administration ». De fait, l’ancien président, resté aux rênes de l’association pendant 13 ans n’est autre que le mari d’une élue, longtemps adjointe à la communication, tandis que depuis 2016 l’association est présidée par Frédéric Rouquet, délégué aux affaires scolaires, alors que la section théâtre est placée sous le responsabilité de l’adjoint à la culture, Tony Tumayan. Cette dernière vient d’ailleurs de s’ériger en association loi 1901 sous le nom « Les Trétaux de Carnoux ».

Frédéric Rouquet aux côté de Danièle Lambert, présentant le Centre Culturel de Carnoux aux nouveaux arrivants en mairie de Carnoux, en janvier 2018 (photo © M. Gébelin / La Provence)

Cette situation particulière ne peut que limiter la nécessaire créativité de la structure et nuire à la crédibilité de l’action culturelle locale. Une proximité qui a, en tout cas, suscité certaines interrogations de la part de la Chambre Régionale des Comptes (CRC), chargée d’inspecter en 2017 les comptes de la commune depuis 2013. Dans son rapport, dont une version provisoire a été remise au maire fin 2017 et dont la version définitive est arrêtée depuis le 24 mai 2018, accessible notamment sur le site de la commune comme la loi l’exige, la CRC formule ainsi sa seconde recommandation : « Clarifier les relations avec le centre culturel dans le cadre d’une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens. Le cas échéant, mettre un terme au subventionnement de l’association pour les prestations relevant de la commande publique ».

Les magistrats de la CRC ont en effet réagi en découvrant que la commune versait chaque année une subvention aussi élevée à une association dirigée par des élus municipaux, et ceci quasiment sans aucun contrôle extérieur. En 2016, le montant de la subvention accordée à l’association s’élevait en effet à 82 000 €, soit près de la moitié du montant total attribué aux 36 heureuses associations carnussiennes bénéficiant de subventions communales. Et ceci sans que la convention passée détaille à quoi est destinée cette subvention ni même demande une certification des comptes de l’association, comme l’exige pourtant la loi pour de tels montants.

C’est d’ailleurs grâce au travail de la CRC que les habitants de Carnoux ont enfin pu apprendre quel était le montant du budget annuel du Centre culturel, lequel s’élevait à 253 956 € en 2016, mais un chiffre totalement biaisé puisqu’il n’intègre pas les coûts de mise à disposition et d’entretien des locaux. Face à une telle situation qui est la porte ouverte à toutes les dérives, la CRC a donc chaudement recommandé à la commune de mettre un peu d’ordre dans sa gestion du Centre culturel, de couper les liens entre la municipalité et l’association en charge de sa gestion et de signer avec cette dernière un contrat d’objectif en bonne et due forme, exigeant en retour une certification des comptes afin d’assurer une véritable transparence dans l’utilisation des subsides publics.

Vue du Centre culturel de Carnoux (source © Commune de Carnoux)

Au passage, la CRC s’est autorisée à rappeler au maire de Carnoux quelques règles de base en matière d’utilisation des deniers publics et de subventionnement des associations. Comme le suggère le bon sens, une collectivité a parfaitement le droit de subventionner une association à condition qu’elle ne soit pas un simple faux nez de la municipalité elle-même, créé dans le seul but de mettre en œuvre une politique publique qui relève des compétences communales, surtout lorsque celle-ci pourrait relever du domaine concurrentiel. En d’autres termes, l’association doit être indépendante, définir elle-même ses objectifs, présenter à la commune des demandes de subvention pour l’aider à mettre en œuvre sa politique et fournir en échange toutes les garanties quant à la transparence de l’utilisation des fonds conformément à ses engagements.

On aurait alors pu penser que le maire allait s’empresser d’obéir aux injonctions de la CRC, que l’évolution du Centre culturel allait être au cœur des débats lors de son assemblée générale en 2017, et que la commune allait solliciter le monde associatif carnussien pour créer une nouvelle structure plus indépendante afin de reprendre la gestion de ce remarquable outil au service des habitants. Sur les 75 associations dûment répertoriées sur le site de la commune, il ne manque en effet pas de bonnes volontés pour s’investir dans une telle œuvre d’intérêt général.

Mais le maire de Carnoux, sans doute attaché à un contrôle plus politique de la culture locale a préféré s’engager dans une autre voie, qui n’est pourtant nullement suggérée dans le rapport de la CRC, mais qu’il a imposée lors du conseil municipal du 12 avril 2018 à la grande surprise des quelques élus d’opposition, comme l’indique le compte-rendu de la séance. Il a en effet laissé croire que le recours au monde associatif était devenu subitement impossible au prétexte que « certains dirigeants bénévoles de l’association ont fait part de leur impossibilité à poursuivre leur engagement pour raisons personnelles ou professionnelles » et que, dans ces conditions, il ne restait plus que deux possibilités pour poursuivre l’activité du Centre culturel : soit la gestion directe par des agents municipaux, soit le recours à un prestataire privé via une délégation de service public (DSP).

Gérard Pressoir, nouveau gérant du Centre culturel de Carnoux (source © Viadeo)

C’est la seconde solution que le maire a souhaité privilégier. Une consultation a été lancée dès le 5 mai, avec un cahier des charges ajusté pour faire en sorte que le candidat sollicité par la municipalité, en l’occurrence Gérard Pressoir, mandataire de multiples sociétés et président depuis 2000 de la société ALG (Arts et Loisirs Gestion) qui gère déjà la salle de spectacle municipale de l’Artea, soit le seul candidat à remettre une offre que la commune s’est donc empressée d’accepter. Un choix qui a été entériné lors du conseil municipal du 26 juillet et qui a donc été mis en œuvre dès la rentrée de septembre, après que M. Pressoir eut déposé les statuts d’une nouvelle société intitulée Centre culturel de Carnoux pour assumer ses nouvelles fonctions.

La municipalité aurait pu saisir l’occasion de ce changement administratif pour donner un peu plus d’air et d’indépendance à l’action culturelle locale. Il n’en a rien été. Le maire a au contraire annoncé lors de ce même conseil municipal que le comité de suivi qui allait être mis en place pour encadrer la gestion du Centre culturel serait composée de six personnes dont Frédéric Rouquet et Tony Tumayan, deux élus redevenus subitement disponibles pour la cause commune, ainsi que deux représentants des usagers et deux représentants du gestionnaire. Rien ne change donc sur le fond. Reste que de nombreuses interrogations subsistent quant à l’évolution de la structure. Une augmentation très substantielle des tarifs a été annoncée. A titre d’exemple, pour une heure hebdomadaire de cours d’instrument (hors adhésion), le tarif qui était de 730 € par an en 2017 a été annoncé à 1200 € puis ramené à 950 € après discussion, mais les cours qui se déroulaient depuis des années le samedi après-midi ont finalement été annulés pour d’obscures raisons de responsabilité du gérant.

Désormais en effet, ce bel outil qu’est le Centre culturel de Carnoux restera fermé le soir au delà de 21 h et tous les samedis après-midi par le bon vouloir du gérant. Aux usagers de s’adapter aux nouveaux horaires. On imagine que les 650 adhérents dont s’enorgueillissait l’association n’ont probablement pas tous renouvelé leur cotisation et que la commune risque de se retrouver, comme dans d’autres domaines, avec un équipement public coûteux et très performant mais largement sous-utilisé.

Le délégataire profitera de l’infrastructure pour y organiser des spectacles et des prestations privées comme il le fait déjà en utilisant le fichier des adhérents pour remplir la salle de l’Artea. Quant à la collectivité, elle continuera à payer le déficit d’exploitation via une subvention d’équilibre, prévue dans le cahier des charges. Le montant de cette participation était justement l’un des critères de jugement des offres selon l’avis d’appel d’offres et il semble que son montant, qui n’a pas été communiqué en conseil municipal, soit significativement supérieur à la subvention dont bénéficiait l’ex association (79 000 € pour l’année 2018, sur un total de 220 000 € de subventions communales aux associations).

Pas sûr donc que la collectivité trouve son compte dans cette nouvelle délégation au privé d’un service public communal. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que la commune a perdu une belle occasion de profiter du tissu associatif local particulièrement dynamique pour développer de manière plus démocratique et participative l’exploitation du Centre culturel qui fait la fierté des Carnussiens. La culture n’a pourtant de sens que si elle est partagée…

L. V. 

Afrique : le piège de l’endettement ?

21 octobre 2018

C’était l’un des sujets de discussion qui a animé la réunion des ministres des finances du G20 cet été à Buenos Aires en Argentine, selon La Tribune Afrique : en cinq ans, la dette des pays africains a doublé, atteignant désormais en moyenne 57 % de leur PIB ! Un taux d’endettement qui reste certes bien inférieur à celui de nombreux pays occidentaux, dont la France où il approche, rappelons-le, 100 % du PIB, avec un montant record de quasiment 2 300 milliards d’euros. Un montant colossal, qui a lui aussi doublé depuis une quinzaine d’années et que nos enfants devront bien se débrouiller pour rembourser un jour, sauf à parier sur une implosion du système d’ici là…

Un dessin signé Dom, publié dans Le journal de l’économie sénégalaise

Pour autant, la situation de nombre de pays africains commence à devenir inquiétante de ce point de vue car du coup les remboursements de la dette qui ne représentaient que 4 % des dépenses publiques il y a 5 ans en constituent désormais 11 %. Par comparaison, en France, la charge de la dette (c’est-à-dire uniquement le remboursement des intérêts, le capital étant généralement couvert par d’autres emprunts selon la technique classique de la cavalerie budgétaire), représentait de l’ordre de 42 milliards en 2017, soit environ 13 % des dépenses publiques de l’État. C’est d’ailleurs le second poste de dépenses, derrière le budget de l’Éducation nationale…

Selon un rapport du FMI publié en mars 2018 et dont Le Monde s’est fait l’écho, sur 45 pays africains, 8 sont désormais considérés en état de surendettement, à l’image du Congo, pays exportateur de matières premières qui doit emprunter pour assurer ses dépenses publiques suite à la forte chute des cours, et 8 autres pays se rapprochent dangereusement de cette situation de déséquilibre chronique. Mais ce qui inquiète surtout le G20, c’est qu’une part croissante de cette dette est détenue, non pas par des institutions publiques internationales, mais par des investisseurs privés et des États, au premier rang desquels la Chine qui possède à elle seule 14 % de la dette totale des pays africains et même plus de 70 % de la dette bilatérale de certains pays comme le Cameroun ou le Kenya.

Cette situation est d’autant plus dangereuse pour l’Afrique que les conditions de renégociation sont nécessairement plus difficiles avec de tels acteurs. On se souvient de la situation des années 1980 où se posait même la question de la légitimité des dettes contractées par nombre de pays africains auprès de la Banque mondiale ou du FMI dans le but de favoriser l’industrialisation et l’équipement public de ces pays en voie de développement. Cet endettement massif et mal contrôlé avait induit l’imposition de plans d’ajustements structurels destinés à assainir la situation économique de ces pays mais au prix de conséquences sociales particulièrement douloureuses. Il avait donc fallu passer l’éponge, dans le milieu des années 2000 et dans le cadre du Club de Paris, sur une large partie de cette dette insolvable.

Un dessin signé Pov, à l’occasion du Sommet des chefs d’Etat Chine-Afrique en 2006 (source © L’Express dimanche et AfriBD)

Malheureusement, la situation actuelle n’est pas moins inquiétante. L’ambition de la Chine depuis 2013 de développer ses « nouvelles routes de la soie » qui se traduit de fait par la prise de contrôle progressive de l’ensemble des infrastructures de transport mondial, est particulièrement forte en Afrique. Selon Le Monde, même le FMI s’inquiète désormais de l’impact des investissements massifs de Pékin, au travers de prêts à des conditions très avantageuses, consentis directement par la Banque chinoise de développement (BAII), la Banque chinoise d’import-export (Exim Bank) et le Fonds des routes de la soie, avec la garantie de l’État chinois et ses immenses réserves de liquidité, quasiment sans aucune condition quant au contrôle de l’utilisation de ses fonds : une véritable manne pour les dictateurs de tous poils et certains dirigeants peu scrupuleux qui se servent largement au passage.

Comme le reconnait bien volontiers Li Ruogu, ex président de l’Exim Bank, « peu d’Etats africains ont la capacité de rembourser les sommes prêtées dans ce cadre ». Mais il existe bien d’autres manières pour la Chine de rentrer dans ses fonds, ne serait-ce que parce que la quasi-totalité (96,6 % à l’échelle mondiale mais quasiment 100 % sur le sol africain) des travaux réalisés grâce à ces prêts est attribuée à des opérateurs chinois. Les revenus des infrastructures créées reviennent presque entièrement dans le giron chinois, non seulement en Afrique mais aussi dans d’autres pays asiatique comme c’est le cas avec le port en eaux profondes de Gwadar au Pakistan, financé et réalisé à 85 % par la Chine et loué depuis 2015 à une entreprise publique chinoise qui récupère 91 % des recettes. Au Sri Lanka, suite à un défaut de paiement, la Chine a ainsi pris le contrôle pour 99 ans de la concession du port de Hambantota : une affaire juteuse…

Vue aérienne du port de Gwadar au Pakistan (source © finance.sina.com)

Certains pays africains producteurs de gaz ou de pétrole, tels que l’Angola, le Soudan du Sud ou le Nigéria, dont les économies ont été affaiblies par la baisse des cours, remboursent ainsi directement une partie de leur dette abyssale en nature, ce qui procure à la Chine un approvisionnement très opportun en matières premières énergétiques. Mais de plus en plus, les dirigeants africains s’inquiètent de cet impérialisme chinois qui les rend vulnérables en cas de défaut de paiement. Comme l’analyse, l’ancien secrétaire d’État éthiopien, Rex Tillerson, dans une déclaration citée par France Culture : « le modèle de financement est fait d’une telle manière que lorsque le pays a des difficultés financières, il perd le contrôle de ses propres infrastructures de ses propres ressources ».

Discours d’ouverture du président Xi Jinping lors du Forum Chine-Afrique, à Pékin, le 3 septembre 2018 (photo © Madoka Ikegami / AFP / Le Monde)

Une stratégie délibérée de mise en coupe des pays africains dont Pékin se défend naturellement, comme Xi Jinping l’a encore fait à l’occasion du sommet Chine-Afrique qui s’est tenu début septembre et au cours duquel a été promise une nouvelle enveloppe de 60 milliards de dollars de prêts aux pays africains. Mais une situation contre laquelle certains pays africains comment à réagir, à l’instar de la Sierra Leone qui vient d’annoncer, selon Le Monde du 15 octobre 2018, sa décision de renoncer au projet de nouvel aéroport que la Chine se proposait de financer, construire, exploiter et entretenir. Un projet jugé de fait sans réelle justification économique alors que l’actuel aéroport de Freetown est « gravement sous-utilisé » selon le Ministre des transports…

Convoi d’essai sur la voie ferrée en construction entre Djibouti et Addis Abeba (source © africantrain.org)

D’autres abandons de projets du même type ont déjà été annoncés tandis que certains pays évoquent des reports de dette. Ainsi, l’Ethiopie a indiqué que la Chine avait accepté de prolonger de 20 ans la période de remboursement prévue pour le prêt de 4 milliards de dollars accordé pour la construction du chemin de fer entre Djibouti et Addis Addeba, tandis que le Botswana annonçait de son côté une annulation d’une partie de sa dette auprès de la Chine et l’allongement de sa période de remboursement pour des prêts destinés à ses infrastructures routières et ferroviaires.

Une situation ambigüe donc pour le continent africain sur lequel vivent environ un million de ressortissants chinois, et qui traduit bien la place grandissante que prend dans l’économie mondiale l’ancien Empire du Milieu, à la fois source d’investissement et menace pour la souveraineté à long terme des pays africains, voire leur démocratie car, comme l’indique Le Monde, « pour Pékin, un dictateur dépensier est bien plus intéressant qu’un démocrate économe »…

L. V.

Saoul comme un pigeon néo-zélandais…

18 octobre 2018

En France, il existe, selon les spécialistes, 570 espèces d’oiseaux. En Nouvelle-Zélande, ce nombre s’élève, paraît-il, à 168, pas une de plus ! On comprend donc que les Néo-zélandais, amoureux de la nature par tradition culturelle, soient très attachés à la préservation de leur faune ailée. Chaque année, ils votent donc en masse pour élire « l’oiseau de l’année ». Un concours organisé depuis 2005 par l’association environnementaliste Forest & Bird et qui connait traditionnellement un grand succès…

En 2018, les résultats du vote, dont le scrutin s’est clôturé dimanche 14 octobre ont été rendus publics dès le lundi matin. And the winner is… Pas le kiwi en tout cas, pourtant emblème symbolique du pays qui avait déjà été couronné de ce titre prestigieux en 2009. Non, cette année, les quelques 50 000 Néo-zélandais qui ont participé au vote ont décerné la majorité de leurs suffrages à un gros pigeon sauvage, dénommé kereru en langue Maori, Hemiphaga novaeseelandiae de son petit nom scientifique.

Le Kereru ou pigeon de Nouvelle-Zélande

Une espèce assez banale en apparence et qui n’est pas spécialement menacée d’extinction bien que son habitat soit localement en danger de régression. Mais un oiseau qui, comme tout un chacun, présente ses petites faiblesses… En l’occurrence, le pigeon de Nouvelle-Zélande se gave de fruits dont il contribue d’ailleurs à disséminer les graines, jouant un rôle très important dans la reproduction des espèces arborées.

Kereru dans une forêt de Nouvelle-Zélande (photo © Hawke’s Bay Today / South China Morning Post)

Mais il lui arrive souvent, à force d’ingurgiter des fruits très murs et partiellement fermentés, de voir son taux d’alcoolémie augmenter au-delà du raisonnable. Il n’est donc pas rare, à la fin de l’été, d’observer de gros pigeons tituber au bout de leur branche, voire carrément tomber de l’arbre faute de pouvoir maintenir leur équilibre tellement ils sont saouls… Un comportement qui les rend particulièrement vulnérables face aux prédateurs, dont les chats, qui peuvent alors facilement les attaquer. Des centres de protection animales sont donc régulièrement sollicités pour recueillir des pigeons ramassés à terre par des âmes charitables, afin de les placer en cellule de dégrisement, le temps qu’ils reprennent leurs esprits.

Grive musicienne dans une vigne (source grives.net)

On connaissait déjà l’expression « saoul comme une grive » qui fait référence au comportement des grives, grandes amatrices de raisins et qui font des ravages dans les vignes lorsque le raisin est bien mûr, se gavant de fruits au point de ne plus pouvoir s’envoler lorsque le danger guette. L’expression date, parait-il, d’un texte de 1486 où l’on peut lire « plus estourdy qu’une grive », le mot « estourdy » signifiant alors « saoul » en vieux français.

D’après l’ouvrage La mystérieuse histoire du nom des oiseaux (éditions Robert Laffont), ce verbe « étourdir » est probablement issu du bas latin « exturdire », lequel signifie agir follement. Un verbe qui dérive justement du latin « turdus », mot qui désigne la grive, à cause précisément du comportement de cet oiseau qui titube au point de ne plus pouvoir s’envoler lorsqu’il s’est gavé de raisin.

A croire finalement que, des vignes du Bordelais jusqu’aux forêts de Nouvelle-Zélande, les oiseaux ne sont finalement guère plus raisonnables que les humains et ne savent pas mieux qu’eux résister à un bon jus de fruit, un tantinet alcoolisé…

L. V.

Nucléaire, quel avenir ?

16 octobre 2018

Les catastrophes naturelles de cette année 2018, dont certaines résultent en partie du dérèglement climatique consécutif à nos émissions de gaz à effet de serre nous incitent à réfléchir à nos modes de production d’énergie électrique.

Réacteur nucléaire et éoliennes sur le site de Cruas-Meysse en Ardèche (photo © Colin Matthieu / EDF)

En dehors de l’hydroélectricité, les énergies renouvelables sont pour la plupart intermittentes, ce qui nécessite de disposer d’une source complémentaire stable et suffisamment puissante. Au regard de ces constats, la création ou l’augmentation de cette source par l’intermédiaire de la combustion auto-génératrice de pollution doit être exclue.

Pour mémoire, on considère (même si ces chiffres sont probablement à moduler à la hausse si l’on raisonne en cycle de vie global) que l’éolien génère 20 g de CO2 par KWh produit, le nucléaire 35, le pétrole de 400 à 500 et le charbon ou le lignite 1200 ! La relance de l’industrie charbonnière aux USA, sous l‘impulsion de la présidence Trump et le recours encore important dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne ou la Pologne, à ce combustible fossile fortement émetteur de gaz à effet de serre ont donc des conséquences dramatiques pour l’accélération du réchauffement climatique…

Dans le Mix énergétique français, il est recouru principalement au nucléaire et, de manière très secondaire, à l’hydroélectricité et aux centrales thermiques (gaz principalement, fuel et charbon accessoirement), les autres énergies renouvelables ayant une contribution encore assez faible.

Centrale nucléaire de Bugey dans l’Ain (photo © EDF)

Pour toutes les centrales thermiques, qu’elles fonctionnent par combustion d’énergie fossile ou par fission nucléaire, la chaleur dégagée est utilisée pour obtenir de la vapeur d’eau qui, une fois pressurisée, assure la rotation de la turbine de chacun des turbo-alternateurs nécessaires. Ces ensembles génèrent de l’électricité caractérisée par une tension alternative sinusoïdale qui permet l’utilisation de transformateurs pour adapter facilement sa valeur aux besoins.

La production électrique d’origine nucléaire est réalisée dans des centrales qui sommairement comprennent :

  • 1 réacteur dans lequel la fission contrôlée se produit (une centrale comportant généralement plusieurs réacteurs)
  • 1 ensemble récupérateur de chaleur producteur de vapeur d’eau pressurisée
  • 1 ou plusieurs turbo-alternateurs
  • 1 système de refroidissement (qui suppose la présence d’eau en quantité à proximité immédiate)

Les principaux inconvénients de cette filière sont les suivants :

La matière première (l’uranium) utilisée pour la combustion est limitée et sa ressource connue devrait être épuisée dans environ 120 ans.

La mine d’uranium Ranger, en Australie, dans le Parc national de Kakadu, classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO (photo © Gleen Campbell)

L’extraction de l’uranium n’est pas sans risque, y compris sur l’environnement, et se situe dans des pays éloignés des lieux d’implantation des centrales dont l’Afrique et peu stables politiquement.

La fission est une opération maîtrisée mais non sans risque qui fait l’objet de contrôles sérieux afin d’éviter les réactions en chaîne et les explosions.

Les déchets radioactifs ont une durée de vie qui peut atteindre 710 millions d’années !

Globalement, l’énergie nucléaire a mauvaise réputation depuis la réalisation de la bombe atomique. Elle fait peur et elle laisse des déchets radioactifs dangereux et difficiles à neutraliser.

Enfin, la production d’électricité d’origine nucléaire coûte cher. 1MWh nucléaire coûte en moyenne 50 € (et sans doute le double pour celui qui sera produit par l’EPR en construction à Flamanville) alors que la même énergie produite à partir du charbon revient à 10 € si ce dernier est extrait sur place.

En 2015, il existait à la surface de la Terre 432 réacteurs nucléaires (dont 58 en France) et plusieurs graves accidents ont déjà affecté ce parc, trois d’entre eux ayant eu un retentissement particulier.

Une équipe de nettoyage en train de décontaminer Three Mile Island (photo archives DR)

En 1979, à Three Mile Island, l’accident a commencé par la perte d’étanchéité de l’enceinte du circuit d’eau primaire, une vanne de décharge du pressuriseur étant restée bloquée en position ouverte. À la suite d’actions inadaptées, le refroidissement du cœur n’a plus été assuré, entraînant la fusion d’une partie du combustible. L’enceinte de confinement, qui constitue la troisième barrière de sécurité, a joué son rôle pour limiter les rejets radioactifs. Quand six ans plus tard, il a été possible de pénétrer dans l’enceinte, une caméra introduite dans la cuve a montré qu’une partie significative du combustible avait fondu mais qu’il n’avait pas traversé la cuve, le corium s’est stratifié en fond de cuve sans provoquer d’explosion (extrait du site Wikipedia, une analyse détaillée de l’accident étant accessible sur le site de l’IRSN).

En 1986, à Tchernobyl, un réacteur a explosé lors d’un test de contrôle destiné à vérifier l’efficacité des contrôles et de la sécurité du fait d’erreurs dans la conduite de ces tests. Du fait de l’absence d’enceinte de confinement, les conséquences de cette catastrophe ont été planétaires.

Le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl quelques semaines après l’explosion (photo © Igor Kostine)

En 2011, à Fukushima, un tremblement de terre exceptionnel de magnitude 9 survient auquel la centrale résiste grâce au système de contrôle des quatre réacteurs. Le courant électrique alimentant la centrale est coupé et c’est alors que survient une vague de 15 m de hauteur provoquée par un tsunami. Les barrières de protection de la centrale ne mesurent que 6,50 m pour la première et 10 m pour la seconde. Les groupes électrogènes de secours de la centrale situés en sous-sol sont noyés et hors service. Le refroidissement du cœur du réacteur est interrompu. Les câbles électriques des groupes électrogènes dépêchés sur place sont trop courts ! Toutes sortes de moyens sont utilisés dont l’arrosage des réacteurs pour refroidir ces derniers. Ils s’avèrent inefficaces et des explosions dues à l’hydrogène se produisent engendrant des radiations dans un rayon de 50 km autour de la centrale.

On constate que ces trois accidents résultent d’imprévoyances et/ou d’actions inadaptées.

La fusion nucléaire, si on arrive à la réaliser industriellement, pourrait constituer une alternative à la fission qui est actuellement en forte perte de vitesse dans le monde (en dehors de la France et de certains pays comme la Chine qui vient de mettre en service un réacteur EPR). Elle développe cinq fois plus d’énergie que la fission, ne développe pas de réaction en chaîne car dès qu’on l’arrête, le plasma refroidit. Enfin, les déchets sont moindres. De plus, le Tritium, matière utilisée parmi d’autres, a une durée de vie de radiation limitée à 125 ans. Le rêve pour ceux qui suivent.

En conclusion, la combustion, on en connaît bien tous les effets nuisibles mais on a souvent tendance à oublier les êtres humains qui meurent à cause de la pollution qu’elle dégage (CO2 et microparticules). La fission nucléaire, malgré les risques qui lui sont inhérents, les déchets de très longue durée qu’elle génère et les coûts élevés d’exploitation (surtout si l’on intègre le démantèlement des réacteurs en fin de vie), a donc probablement encore de beaux jours devant elle, en attendant de trouver mieux pour la remplacer totalement…

Michel Bouvier

Enquêtes de satisfaction, en quête de gratification…

14 octobre 2018

Enquête de satisfaction, évaluation, qu’est-ce qui se cache derrière ces demandes consécutives à des achats dans des grandes chaînes commerciales ou à des interventions de spécialistes ?

C’est devenu chose courante que de recevoir, après un achat ou l’intervention d’un réparateur, un courriel qui sollicite notre avis sur le produit ou sur le service.

Prenons pour illustrer cela quelques exemples locaux récents.

Enseigne du magasin Cultura à Aubagne (photo © MM / CPC)

Vous achetez un livre dans le magasin Cultura d’Aubagne et, si vous avez une carte de fidélité, vous recevez dans les jours qui suivent une enquête qui porte sur la satisfaction du produit acquis et du service : Correspond-t-il à votre envie ? Avez-vous été bien reçu ? Avez-vous trouvé facilement cet ouvrage ? Avez-vous fait appel à un conseiller ? ….

Vous souhaitez acquérir une paire de chaussures de marche et vous rendez au magasin Décathlon d’Aubagne. Après avoir bénéficié des conseils d’un vendeur vous rentrez chez vous et recevez une enquête de satisfaction dont le renseignement, si vous l’acceptez, nécessitera quelques minutes. Cette enquête comporte un ensemble de questions similaires à celles de Cultura auxquelles s’ajoute une demande concernant d’éventuelles suggestions.

Vous souhaitez acquérir une paire de chaussures de marche et vous rendez au magasin Décathlon d’Aubagne. Après avoir bénéficié des conseils d’un vendeur vous rentrez chez vous et recevez une enquête de satisfaction dont le renseignement, si vous l’acceptez, nécessitera quelques minutes. Cette enquête comporte un ensemble de questions similaires à celles de Cultura auxquelles s’ajoute une demande concernant d’éventuelles suggestions.

Enseigne du magasin Norauto à Aubagne (photo © MM / CPC)

Vous rencontrez un problème avec votre voiture ou avez besoin d’un produit pour son entretien et vous vous rendez au magasin Norauto. La même démarche est proposée afin de recueillir votre appréciation sur le produit et la qualité du service.

Vous faites vos courses au magasin Auchan d’Aubagne et achetez par exemple du fromage à la coupe. Dans les deux jours qui suivent, vous recevez un courriel vous demandant de porter appréciation sur le produit, le service et de formuler des suggestions sur le rayon.

Enquête de satisfaction : image et texte capture d’écran © AUCHAN

Signalons que ces enseignes font toutes partie intégrante du groupe Mulliez (Association familiale Mulliez).

Votre box internet Orange est en panne. Vous appelez le service client. Un conseiller que vous parvenez à joindre, après souvent un temps d’attente conséquent, effectue des tests sur votre ligne téléphonique, puis vous propose d’effectuer quelques manipulations et, si besoin,  vous oriente vers la boutique Orange du centre commercial d’Aubagne, non sans avoir au préalable précisé, si vous êtes satisfait de ses interventions et conseils, qu’il serait nécessaire pour lui que vous donniez une évaluation positive de sa gestion de votre problème.

Comme nous le constatons, cette démarche est de plus en plus fréquente.

Ainsi, vous circulez sur l’autoroute et vous arrêtez pour une pause sur une aire comportant des toilettes. Au sortir de ces dernières, vous êtes sollicité pour choisir, parmi quatre « émoticônes » de couleur, celle qui correspond à votre appréciation sur l’hygiène du lieu. Mieux vaut alors appuyer avec votre coude au cas où de précédents utilisateurs n’auraient pas lavé leurs mains !

Ces différentes situations concernent les commerces et les services, mais cette pratique est étendue au domaine de la santé comme en témoignent les quelques exemples qui suivent.

Dessin signé Jicé, paru sur le site du Décideur hospitalier pour illustrer un article sur l’hôpital de Vierzon

Ainsi, le mari d’une patiente, récemment décédée après avoir subi une très lourde intervention chirurgicale cardiaque suivie de complications fatales, vient de recevoir d’une clinique une lettre qui, outre l’adresse de condoléances et l’envoi d’une facture pour reste à payer, comporte une enquête de satisfaction à bien vouloir renseigner. Quelle absence d’empathie ! Quel cynisme !

L’évaluation des services de santé par les patients ou ayants droits est une pratique nouvelle en France alors qu’elle est largement installée dans d’autres pays comme le montrent deux situations observées aux Etats Unis, et plus précisément en Californie.

Cet hôpital de Californie est accrédité par l’Institut pour la qualité médicale (I.M.Q. Institute for Medical Quality). Avant tout examen ou intervention vous pouvez, via son site, consulter les qualifications des équipes médicales et leurs résultats puis, en fonction de ces derniers, choisir le médecin que vous souhaitez consulter. L’hôpital affiche notamment pour des interventions sur les coronaires des performances excellentes.

Au terme de votre consultation ou de votre séjour, vous êtes invité à renseigner un questionnaire portant appréciation sur le parking, le valet (on prend en charge votre voiture), l’accueil, l’enregistrement, le ou les médecins avec en particulier la qualité de l’écoute, les retards… et les infirmier(e)s.

Extrait du site du Palo Alto Medical Foundation

Si vous souffrez des dents et vous adressez à un cabinet dentaire, après la consultation et l’intervention, votre avis sur le déroulement des actes, leur qualité et la communication sont sollicités.

Quel sont les attendus de ces demandes ?

Les enquêtes de satisfactions visent deux objectifs.

Le premier concerne la qualité et la notoriété des institutions, hôpitaux, cliniques, centres dentaires…, tout cela dans un contexte médical libéral très concurrentiel.

Le second permet à l’hôpital ou à la clinique de calculer les bonus financiers qui seront ensuite attribués aux médecins libéraux et autres personnels médicaux.

Que retenir de ces constats ?

L’évaluation est une composante de la démarche de qualité qui vise à mesurer des écarts de performance afin d’augmenter cette dernière.

Un dessin signé Alex

Associer les utilisateurs au bon fonctionnement d’un service manifeste le souci de mieux les satisfaire. On peut ici parler de démarche participative. Et puis associer, c’est fidéliser, objectif majeur dans un cadre concurrentiel !

Mais les usagers sont-ils tous à même de porter des avis éclairés sur des prestations de spécialistes, en dépassant le simple niveau du ressenti ? Tout un chacun peut-il être évaluateur ? Imagine-ton, dans un autre contexte, solliciter les parents d’élèves pour évaluer avec discernement la formation dispensée par un enseignant ? Il existe des corps qualifiés et compétents pour cela ! Mais certains n’y seraient pas opposés !

Dans le cas des services de santé, du fait que cohabitent évaluations de la qualité par un organisme habilité et appréciation par les usagers, ce sont des éléments plus objectifs qui fondent ce que l’on nomme une réputation.

Le marketing : une pratique en pleine évolution…. Un dessin de Cheney publié sur Le blog de la relation client

Les enquêtes de satisfaction des marques, des distributeurs et des grandes enseignes n’émergent pas spontanément. Elles ont été devancées par les différentes associations de consommateurs qui ont été les premières à effectuer des évaluations comparatives, d’abord sur les produits puis sur les services. Pour les restaurants, les hôtels et d’autres services, les sites comme Yelp constituent des bases d’évaluation fréquemment consultées par les consommateurs, mais les avis en ligne sont subjectifs, même dans le cas de médecins !

Des implications sur le personnel

Ces enquêtes de satisfaction, au-delà du fonctionnement des services, concernent aussi les personnels.

Hormis dans la grande distribution où les contacts directs avec les employés sont réduits, sauf pour les stands spécialisés et les caisses (tant qu’il reste des hôtes ou des hôtesses), les responsables des ressources humaines des enseignes de service ou des structures de santé sont soucieux de recueillir des appréciations sur le professionnalisme des personnels.

Ce que l’on ignore souvent, c’est qu’une appréciation positive, voire très positive, peut être déterminante pour l’octroi d’un CDI, d’une prime ou de bonus importants comme pour les personnels de santé aux USA. On imagine alors l’impact d’une appréciation négative sur la carrière et/ou les revenus des personnes. Les chauffeurs des véhicules de transport (V.T.C.) Uber ou autres sont hautement concernés par les appréciations des usagers.

Mesure-t-on alors tous les enjeux lorsque nous renseignons, ou pas, une enquête de satisfaction ?

La question est d’importance d’autant qu’en parallèle, elle peut aussi croiser les rapports réalisés par les « clients mystères » qui, à l’instar des inspecteurs de certains guides gastronomiques, sont mandatés en toute discrétion par des directions de chaînes hôtelières, de voyagistes ou de commerçants pour évaluer la qualité des prestations !

Pour conclure, reprenons le titre d’un des recueils de chroniques de Philippe Meyer, publié aux éditions Le Seuil, « Nous vivons une époque moderne », celle du libéralisme triomphant !

MM

Justice : les Pays-Bas condamnés pour inaction climatique

12 octobre 2018

Marjan Minnesma, présidente de l’association Urgenda (photo © Urgenda/Chantal Bekker)

Devant l’inaction des gouvernements face au changement climatique, tous les moyens sont bons pour essayer de faire bouger les choses, y compris les procédures judiciaires. C’est ce qu’a considéré Marjan Minnesma une militante écologiste de longue date, ancienne de Greenpeace et qui a créé sa propre association dénommée Urgenda. Inspirée en 2011 par la lecture du livre Revolution Justified, publié par l’avocat néerlandais Roger Cox, elle est à l’initiative d’un recours en justice déposé en 2012 par un groupe de 886 citoyens hollandais.

Ce groupe de militants, enseignants, artistes, entrepreneurs et personnalités locales n’a pas hésité à dépenser 200 000 € dans cette action en justice contre l’État néerlandais accusé de n’avoir pas pris les mesures adaptées pour lutter avec efficacité afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre, exposant sa population aux conséquences dramatiques d’une augmentation désormais inéluctable du niveau de la mer, alors que 15 % de la superficie des Pays-Bas est situé sous le niveau de la mer et la majeure partie du pays est directement menacée par le risque d’inondation littorale ou fluviale.

Vue aérienne de maisons près d’Amsterdam le 24 avril 2018 (photo © Reuters / La Tribune)

Le 24 juin 2015, à la grande joie de cette poignée de militants déterminés, le tribunal de La Haye avait de fait estimé que les efforts engagés par le gouvernement néerlandais n’étaient pas à la hauteur des besoins pourtant clairement identifiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour contenir le réchauffement planétaire. Le jugement rendu alors estimait que « sur la base de la politique actuelle de l’Etat, les Pays-Bas auront réduit au mieux leurs émissions de 17 % en 2020 » par rapport à 1990, alors que cette réduction devrait être de 25 % au minimum pour espérer contenir le réchauffement climatique à un niveau acceptable.

Les membres de l’ONG Urgenda célèbrent avec leurs avocats la décision du tribunal en leur faveur, le 24 juin 2015 à La Haye (photo © Chantal Bekker / Le Monde)

Le gouvernement néerlandais avait immédiatement fait appel de ce jugement, mais le 9 octobre 2018, le tribunal de La Haye vient tout juste de confirmer ce verdict, alors même que le GIEC venait de rendre public, la veille, son dernier rapport approuvé par 197 États, sur la nécessité d’agir drastiquement et très rapidement si l’humanité veut éviter les conséquences catastrophiques d’un réchauffement dépassant 1,5 °C.

Une nouvelle claque donc pour l’État néerlandais qui est ainsi mis en face de ses responsabilités. Le verdict prononcé par la présidente de la juridiction, Marie-Anne Tan-de-Sonneville, est en effet sévère, rappelant notamment que « Le changement climatique est un grave danger. Tout report des réductions d’émissions exacerbe les risques liés au changement climatique. Le gouvernement néerlandais ne peut pas se cacher derrière les émissions d’autres pays. Il a le devoir indépendant de réduire les émissions de son propre territoire ».

Manifestation à Copenhague de citoyens pour la prise en compte de mesures contre le réchauffement climatique (photo © Christoffer Askman / Ritimo)

Un raisonnement qui pourrait s’appliquer à tous les pays de la planète qui ont tendance à s’abriter derrière l’inaction collective pour éviter de prendre les décisions qui pourtant s’imposent à eux. Selon le professeur de droit Laurent Neyret, cité par Le Monde suite à la première décision de justice rendue en 2015, ce jugement pourrait faire jurisprudence car « les juges ont habilement démonté l’argument de la défense selon lequel le changement climatique est un problème global qui ne peut être traité à une échelle nationale, lui opposant le devoir des pays à agir localement, au nom de l’obligation commune mais différenciée des Etats à lutter contre le réchauffement ».

De fait, les Pays-Bas ne sont pas nécessairement les plus mauvais élèves de la classe de la classe en matière de lutte contre le réchauffement climatique, même si leurs émissions de gaz à effet de serre sont supérieures à celles de la moyenne européenne, comparables en 2013 à celles de l’Allemagne notamment. En juin 2018, selon Libération, le pays s’est ainsi engagé sur un programme très ambitieux visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 de 49 % d’ici 2030 et de 95 % d’ici 2050. Le gouvernement envisage même d’atteindre la neutralité carbone pour son électricité d’ici 2050.

Les jeunes soutenus par l’association Our Children’s Trust, avec leur avocate Andrea Rodgers (photo © Our Children’s Trust)

Toujours est-il que cette retentissante victoire devant une juridiction néerlandaise pourrait conduire à une multiplication des recours en justice pour cause d’inaction climatique. Selon un rapport de l’ONU publié en mai 2017, ce sont pas moins de 884 actions en justice qui auraient ainsi été intentées sur cette question, dont 654 devant des juridictions américaines. Pour l’instant, les tribunaux des États-Unis ont tendance à se déclarer incompétents sur le sujet, mais fin 2016 un juge a néanmoins autorisé la poursuite d’une affaire portée par 21 jeunes soutenus par l’association Our Children’s Trust, devant un tribunal de l’Oregon, considérant que « les politiques actuelles du gouvernement violent leurs droits constitutionnels » en laissant se développer des concentrations de gaz à effet de serre très supérieures à ce que les climatologues considèrent comme acceptables pour éviter des évolutions climatiques aussi dramatiques qu’irréversibles.

En Belgique, selon le site Mr Mondialisation, une action collective en justice, initiée par l’association Klimaatzaak, présidée par l’entrepreneur Serge de Gheldere, soutenue initialement par une dizaine de militants mais portée désormais par 30 000 citoyens a été lancée en 2015, considérant que la réduction de CO2, qui atteint pourtant 1 % par an dans ce pays est très largement insuffisante en regard des enjeux. En 2017, le procès n’avait guère progressé, bloqué comme souvent en Belgique par de sordides querelles quant aux choix de la langue à utiliser, mais la victoire en appel que viennent d’enregistrer les militants néerlandais voisins va peut-être redynamiser la procédure…

Quant à la France, elle n’est pas à l’abri d’une telle démarche. En novembre 2017, l’association Notre affaire à tous, a adressé un courrier au Président de la République pour demander l’arrêt des subventions aux énergies fossiles, la réduction des émissions françaises de gaz à effet de serre et la reconnaissance du changement climatique comme un crime écologique. Faute de réponse, sa présidente Marie Toussaint menace d’entamer une action en justice contre l’État français.

A défaut d’être favorable pour les générations futures et pour notre environnement, le changement climatique pourrait donc se révéler à terme comme une affaire juteuse pour des bataillons de juristes…

L. V. 

Politique agricole : la tentation helvète…

8 octobre 2018

Epandage de pesticides sur un champ de pommes de terre, dans le nord de la France (photo © Philippe Huguen / AFP in Libération)

En matière de politique agricole, tout le monde, en dehors de la FNSEA, du ministre de l’agriculture et bien sûr de la Commission européenne, sait que l’on va droit dans le mur. Le tournant productiviste pris dans les années 1950, consistant à spécialiser et industrialiser les exploitations agricoles tout en libéraliser au maximum les marchés a fait des ravages.

Plus de la moitié des exploitations agricoles a disparu au cours des 25 dernières années. La part de l’agriculture dans le PIB français a été divisée par deux depuis les années 1980 et les suicides d’exploitants s’enchaînent tandis que 30 % des agriculteurs touchent moins de 350 € par mois, étranglés par des choix technologiques qui leur sont imposés par les filières agro-alimentaires alors que les prix d’achat de leur production leur sont imposés par la grande distribution.

Quant aux conséquences des pratiques agricoles sur notre environnement, elles sont devenues catastrophiques avec une perte irréversible de la biodiversité, un appauvrissement massif des sols et une pollution généralisée des nappes souterraines et des cours d’eau par des taux de nitrates et de pesticides qui obligent à fermer toujours davantage de captages pour l’eau potable.

Curieusement, c’est de Suisse, où se situe pourtant le siège de l’Organisation mondiale du commerce, qu’a failli venir un sursaut salutaire contre cette orientation ultralibérale qui fait des ravages dans nos campagnes. Le 23 septembre dernier en effet, dans le cadre du système de démocratie participative qui permet aux citoyens helvètes de s’exprimer directement sur des sujets qui les concernent au quotidien, chacun pouvait se prononcer sur deux propositions touchant au cœur des systèmes de production agricole.

Le premier motif de votation soumis à l’arbitrage citoyen à l’initiative des Verts, était intitulé « pour des aliments équitables » et venait après une consultation largement plébiscitée en 2017 qui avait permis d’inscrire dans un nouvel article constitutionnel des critères de durabilité et de protection de l’environnement en vue d’une plus grande sécurité alimentaire. Il s’agissait désormais d’aller plus loin en vue de développer la production d’aliments équitables via un renforcement du contrôle des conditions dans lesquelles les aliments sont produits, en ce qui concerne les droits des travailleurs, les règles sanitaires et le bien-être animal.

Affiche dans le cadre de la campagne pour la votation suisse sur la sécurité alimentaire en 2017 (photo © Keystone / la Tribune de Genève)

Mais c’est surtout la seconde proposition, émise par le syndicat paysan Uniterre, lui dont les mots d’ordres sont Production – Solidarité – Responsabilité – Emplois et qualité de vie, qui a fait beaucoup parler de lui dans les villes et surtout les campagnes. Cette initiative « pour la souveraineté alimentaire » visait en effet, ni plus ni moins, qu’à introduire une dose de protectionnisme en matière agricole dans un pays qui importe 50 % des produits agricoles qu’il consomme et dont le secteur agricole a perdu en 40 ans la moitié de ses effectifs, tandis que la consommation de pesticide a augmenté de 35 % entre 2000 et 2014.

L’idée, selon Fernand Cuche, secrétaire général d’Uniterre, « c’est que les peuples ont le droit de définir la politique agricole qu’ils veulent conduire, sans se laisser imposer leurs choix par les grands groupes et les règles du commerce international ». Exactement le discours que tenait l’agronome René Dumont dans les années 1970, ou l’un de ses successeurs, Marc Dufumier, dans les années 2000… Un concept typiquement altermondialiste, en droite ligne des revendications portées par l’association Via Campesina dans les années 1990, mouvement d’ailleurs dont est membre Uniterre, tout comme la Confédération paysanne en France.

En l’occurrence, la proposition soumise à référendum consistait à instaurer des droits de douane sur les produits agricoles importés qui ne respectent pas les mêmes normes sociales et environnementales que celles en vigueur en Suisse, ceci dans le but de favoriser les circuits courts et permettre aux exploitations locales de retrouver un minimum de rentabilité. Et en toute logique, il s’agissait aussi, par réciprocité, de s’engager à ne plus exporter à prix cassés comme le fait la Suisse qui écoule à l’étranger ses excédents laitiers à vil prix.

Robot agricole traitant des salades à Galmiz en Suisse (photo © Anthony Anex / Keystone in Le Temps)

Une logique en tout cas qui a rapidement séduit la population helvète puisque, à la mi-août, un mois avant le scrutin, les sondages indiquaient que trois-quarts des citoyens envisageaient de voter en faveur de ces propositions. Aussitôt, branle-bas de combat dans Landerneau ! les gros exploitants agricoles et l’industrie agro-alimentaire suisse ainsi que les représentants de la grande distribution, appuyés par le patronat et certains partis politiques, se sont illico mis au travail et ont déclenché un matraquage médiatique intense pour convaincre l’électeur suisse qu’une telle démarche ne pouvait que contribuer à renchérir les prix des denrées alimentaires…

Un argument certainement contestable car, en Suisse comme ailleurs, les prix de l’alimentation sont pour l’essentiel dictés par les marges qu’empochent les actionnaires de la grande distribution et de l’industrie agro-alimentaire, beaucoup plus que par la rémunération des producteurs eux-mêmes. Mais un argument massue qui a su convaincre la ménagère suisse. En moins d’un mois, le taux d’adhésion à la proposition d’Uniterre a perdu près de 30 points !

Une affiche d’En vert et contre tout pour la votation du 23 septembre 2018

De fait, les résultats de la votation qui s’est tenue comme prévu le 23 septembre dernier sont sans appel. Les deux initiatives ont été très largement rejetées, à plus de 61 % pour celle en faveur des aliments équitables, et même à plus de 68 % pour celle qui prônait davantage de souveraineté alimentaire, alors que dans le même temps, la proposition d’inscrire l’usage du vélo dans la constitution helvète remportait un large succès, plébiscitée par 73,6 % de la population, en l’absence sans doute de mouvements lobbyistes à son encontre….

Ce n’est donc pas pour demain que la politique agricole suisse devrait évoluer en faveur d’une approche plus raisonnée et plus humaniste. Nul doute en tout cas que la même consultation organisée en France aurait conduit à un résultat similaire. Cela aurait été au moins l’occasion de faire parler d’une seule voix, géants de la grande distribution, multinationales de l’agro-alimentaire et gros producteurs céréaliers…

L. V. 

Le Département des Bouches-du-Rhône sent le sapin…

6 octobre 2018

Il faut croire que dans les Bouches-du-Rhône le fameux mille-feuilles administratif qui a vu s’empiler, au fil des années et des réformes, les strates communales, cantonales, intercommunales voire métropolitaines, départementales, régionales et on en passe, n’est finalement pas si indigeste que cela…

Martine Vassal s’installe à la présidence de la Métropole, le 20 septembre 2018 (photo © Thierry Garro / La Provence)

En témoigne Martine Vassal, déjà élue à la mairie de Marseille et présidente depuis avril 2015 du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, qui vient de croquer avec gourmandise une grosse part du gâteau en devenant, le 20 septembre 2018, également Présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

C’est la démission anticipée de Jean-Claude Gaudin, lequel aura 79 ans le 8 octobre prochain, qui a rendu possible une telle opportunité pour l’ex-femme d’affaire qui avait réussi l’exploit de conduire à la faillite en 2000 son entreprise familiale, fournisseur d’uniformes à l’armée française, et qui avait été mise en garde à vue en juin 2017 dans le cadre d’une vilaine enquête pour soupçon de favoritisme à l’occasion de l’attribution des marchés de l’eau dans l’agglomération marseillaise.

La démission surprise de celui qui reste maire de Marseille depuis 1995 et au moins jusqu’en 2020 avait de fait été annoncée publiquement le 4 septembre, après que le vieux leader LR, usé et dépité, ait envoyé sa lettre de démission au Préfet. Président de la Métropole depuis sa création début 2016, il faut bien reconnaitre que sa tâche n’avait pas été facile, face aux chicaneries incessantes de ses amis politiques de droite, Maryse Joissains en tête, qui avaient tout fait pour faire avorter le projet de métropole et rendre la vie impossible à celui qui avait consenti à en prendre les rênes.

Jean-Claude Gaudin face à Maryse Joissains (photos © Anne-Christine Poujoulat et Gérard Julien / AFP pour Le Figaro)

Déjà première vice-présidente de la Métropole, Martine Vassal, adoubée par son mentor Jean-Claude Gaudin, n’a donc eu aucun mal à se faire élire Présidente de l’institution, avec 181 voix contre 22 à son adversaire pour la forme, le communiste Marc Poggiale. Pour autant, on aboutit désormais à une situation pour le moins inédite et sans précédent après des années passées à tenter de réduire le cumul des mandats, ce mal profond qui gangrène la démocratie en France. Jamais en effet on n’aurait pu imaginer que la même personne dirige à la fois le Département et la Métropole, deux énormes structures administratives dont le périmètre sinon les compétences se superposent largement.

L’olivier qui a fait son apparition sur le logo du Département sera t-il gage de sa longévité ?

Avec un budget annuel de 2,5 milliards d’euros, dont près de 2 milliards uniquement en fonctionnement, notamment pour payer le salaire de ses 7000 agents, le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône est un véritable mastodonte, qui ne se contente pas de gérer le réseau des routes départementales, d’entretenir les collèges et de verser les prestations sociales, mais qui est surtout un formidable levier financier pour aider les maires des 119 communes du département à financer leurs propres infrastructures, écoles, gymnases, crèches, ou même hôtel de ville comme à Carnoux !

Martine Vassal et Jean-Claude Gaudin (photo d’archive © Maxppp)

Quant à la Métropole, dont le périmètre regroupe 92 communes (y compris celles de Saint-Zacharie dans le Var, et de Pertuis dans le Vaucluse) et englobe 1,8 millions d’habitants, soit plus de 90 % de la population du département, c’est aussi une machine de guerre imposante. Comportant pas moins de 7200 agents, la Métropole a fait voter pour 2018 un budget global de près de 4 milliards d’euros dont un peu plus de 3 milliards pour ses seules dépenses de fonctionnement, excusez du peu !

Une partie de ces sommes est purement et simplement transférée aux communes, qui touchent ainsi pas moins de 650 millions d’euros de reversement de fiscalité, et même aux Conseils de Territoires, qui correspondent aux anciennes intercommunalités telles que la Communauté urbaine de Marseille où la Communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Etoile, qui continuent ainsi à survivre et ont encore perçu en 2018 pas moins de 165 millions d’euros en fonctionnement et 330 millions pour leurs dépenses d’équipement… Du coup, les principales dépenses effectives de la Métropole pour assumer ses véritables compétences et investir en matière d’équipement (79 millions d’euros), de transport (120 millions), de gestion des déchets (38 millions), ou encore d’assainissement (65 millions) paraissent finalement relativement modestes…

Dessin de Red publié dans Le Ravi

Toujours est-il que, désormais à la tête de ces deux structures administratives colossales qui gèrent peu ou prou, la quasi-totalité de l’investissement public et des subventions aux communes sur l’ensemble du périmètre départemental, Martine Vassal, qui se verrait bien, par ailleurs, dans le fauteuil de maire de Marseille à partir de 2020 (jamais deux sans trois !), dispose d’un pouvoir financier et d’influence totalement inouï.

Une situation d’autant plus favorable que se prépare en parallèle la disparition annoncée du Département des Bouches-du-Rhône dont les agents et les compétences devraient purement et simplement être transférés à la nouvelle métropole, sans doute dès 2021. Un exercice comparable a déjà été expérimenté dans le Rhône où, à l’initiative de Gérard Colomb, l’essentiel du Département a disparu au 1er janvier 2015 pour se fondre dans la métropole lyonnaise.

Jean-Claude Gaudin avec Martine Vassal après l’élection de celle-ci à la Présidence de la Métropole (photo © Narjasse Kerboua / Go Met)

 

C’est sans doute un schéma comparable qui devrait se dessiner pour les Bouches-du-Rhône comme le Président de la République, Emmanuel Macron l’a évoqué en janvier dernier devant une quarantaine de parlementaires, dont le député LREM François-Michel Lambert qui l’a révélé à La Provence. Le Département est probablement condamné à disparaître, sous réserve que les 29 communes du pays d’Arles, actuellement en dehors du périmètre de la Métropole Aix-Marseille-Provence, acceptent de se fondre dans la nouvelle institution, appelé à devenir le « phare de la Méditerranée » selon l’expression un peu exaltée du député Lambert rapportée par 20 minutes

Pas sûr que cela enchante les Arlésiens qui pourraient plutôt chercher à rester dans un département croupion, comme cela a été le cas pour les communes rurales du Rhône, voire à se rattacher au Vaucluse ou au Gard voisins. Toujours est-il que Martine Vassal restera sans doute à la tête de l’essentiel de l’agglomération métropolitaine dont les compétences seront élargies à la quasi-totalité des domaines de la vie quotidienne, incluant transports, voirie, eau, assainissement, déchets, aide sociale, vie économique, environnement et on en oublie : une bien lourde responsabilité…

L. V. 

La France tire la langue…

2 octobre 2018

Inondations rue de la République à Aubagne le 9 août 2018 (extrait vidéo © Mathieu Gratteloup)

Une fois n’est pas coutume, les Provençaux ne s’en sont guère aperçu, eux dont la région a subi des précipitations périodiques durant tout l’été, avec même un bel orage de pluie et de grêle le 9 août 2018, qui a fait de gros dégâts dans le secteur d’Aubagne. Mais pendant ce temps, une bonne partie du territoire national a lui souffert de la sécheresse.

Du Sud-Ouest jusqu’en Alsace, mais en Bretagne également (tout arrive !), les pluies se sont fait rares durant tout l’été. Depuis la mi-juin une bonne partie du territoire national a subi un fort déficit de précipitations par rapport aux normales saisonnières, alors même que les températures étaient particulièrement élevées, supérieures de 2 à 4 °C par rapport aux valeurs habituelles. La France vient de vivre son 4ème été le plus chaud depuis que l’on enregistre régulièrement les températures.

Rapport à la normale (1981-2010) du cumul mensuel de précipitations en France au mois d’août 2018 (source Météo-France)

Un cocktail explosif qui se traduit par une forte évapotranspiration, une dessiccation des sols et des débits très faibles dans les cours d’eau… Début septembre, les sols étaient exceptionnellement secs dans toute la partie centrale et le Nord-Est du pays. Et le mois de septembre a été, lui aussi, exceptionnellement chaud et sec, avec des températures maximales supérieures de plusieurs degrés par rapport aux normales, un ensoleillement rarement observé à cette période de l’année et un déficit de précipitations qui atteint 70 % en moyenne sur l’ensemble du pays : il est tombé en moyenne 24 mm durant le mois de septembre sur le territoire métropolitain, contre 78 mm habituellement…

Carte des secteurs touchés par des arrêtés préfectoraux de restriction d’usage liés à la sécheresse au 2 octobre 2018 (source Propluvia)

Du coup, beaucoup, en particulier parmi les agriculteurs, s’inquiètent, à juste titre, des conséquences de cette sécheresse persistante. Au 21 septembre, selon le site Propluvia géré par les ministères de l’écologie et de l’agriculture, pas moins de 62 départements étaient concernés par des restrictions d’usage suite à l’atteinte des seuils de vigilance, et on dénombrait à cette date 143 arrêtés préfectoraux détaillant des mesures de restriction.

Une situation météorologique qui arrange bien certaines professions dont les viticulteurs du Bordelais qui se réjouissent de conditions particulièrement favorables jusqu’à la période des vendanges. A Bordeaux, il n’est tombé que 3,2 mm de pluie durant le mois de septembre, contre 83 mm en moyenne : même le record de 1985 a été battu, qui avait enregistré un cumul de 3,6 mm !

Mais un contexte climatique catastrophique pour de nombreux agriculteurs et notamment pour les éleveurs. En Poitou-Charentes et dans le centre de la France, le fourrage se fait rare et de nombreux éleveurs sont contraints de vendre une partie de leur cheptel, alors même que les prix du bétail sont en chute libre du fait de cette augmentation de l’offre.

Dans le Cantal, il faut nourrir les vaches avec du fourrage (photo © Francis Campagnoni / La Montagne)

Dans le Puy-de-Dôme, le préfet a pris des mesures de restriction de certains usages de l’eau depuis le 11 août et vient de les prolonger jusqu’à fin octobre. Les éleveurs sont obligés de puiser dans leurs réserves de fourrages et de trouver de l’eau pour abreuver leurs bêtes. Les rendements de betteraves à sucre s’annoncent catastrophiques et le colza peine à lever, tandis que certaines activités industrielles subissent des restrictions d’activité faute de débit suffisant dans les cours d’eau pour assurer le refroidissement des machines ou l’eau de process nécessaire.

Irrigation par aspersion d’un champ de maïs (photo archives © La Nouvelle République)

Dans le Cher, malgré un hiver et un printemps plutôt humide, la sécheresse commence aussi à se faire sentir avec des précipitations qui, en septembre, n’ont pas dépassé 6 à 26 mm selon les endroits, très en deçà des normales mensuelles qui tournent plutôt entre 60 et 90 mm. De nouveaux arrêtés préfectoraux ont donc été pris le 1er octobre, en particulier sur le bassin du Cher qui est passé en situation de crise avec 117 communes concernées par des restrictions d’eau, dont Bourges et Vierzon.

Même dans le Cotentin, les conditions météorologiques ont conduit les cultivateurs de maïs à récolter avec 3 semaines d’avance pour l’ensilage, avant que la sécheresse ne vienne détériorer irrémédiablement leur récolte. Dans le Doubs ou en Corrèze, on a dû jongler durant tout l’été à certains endroits pour continuer à approvisionner la population en eau potable avec des rivières et des plans d’eau qui tarissaient précocement, sous l’effet justement des pompages agricoles destinés à l’irrigation du maïs, une plante particulièrement gourmande en eau et que certains agriculteurs envisagent sérieusement de remplacer par d’autres espèces.

Champ de sorgho en France

On voit ainsi de plus en plus se développer, jusque sur les collines des Vosges, des champs de sorgho, cette céréale omniprésente dans le Sahel, dont les besoins en eau sont inférieurs de 30 % à ceux du maïs et qui pourraient bien constituer une alternative judicieuse pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques qui sont en train de s’installer en France métropolitaine. L’agriculture a montré au cours des siècles sa grande capacité d’évolution et de transformation : sera-t-elle capable de s’adapter à cette évolution climatique globale qui est en train de s’imposer à nous à une vitesse inédite ? Espérons-le !

L. V.