Archive for the ‘Voyages’ Category

Robinson Crusoé et le Chevalier des Tuamotu

20 avril 2024

Publié en 1719, le célèbre roman d’aventure de Daniel Defoe, intitulé Robinson Crusoé, retrace l’histoire imaginaire mais inspirée de faits réels de ce marin de 28 ans, originaire de York, seul survivant d’un naufrage survenu près de l’embouchure de l’Orénoque, au large du Venezuela, et qui se retrouva seul sur une île déserte où il vécut pendant 28 longues années avant de pouvoir regagner l’Angleterre à l’occasion d’une mutinerie d’un navire de passage. Ce roman a captivé des générations entières et inspiré de multiples auteurs, dont Michel Tournier et son célèbre Vendredi, ou les limbes du Pacifique. Les adaptations au cinéma sont également innombrables, une des dernières en date étant le film américain à succès, sorti en 2000 et adapté en français sous le titre Seul au monde, dans lequel l’acteur Tom Hanks se retrouve seul survivant d’un accident d’avion sur une île déserte des Fidji où il restera plusieurs années avant d’arriver à rejoindre la civilisation sur un radeau de fortune.

Tom Hanks, Robinson Crusoé des temps modernes, sur son île déserte en tête à tête avec son ballon de volley (source © IUP / Première)

Ces robinsonnades, qui ont créé un nouveau genre littéraire, exercent un véritable pouvoir sur bien des adolescents attirés par l’esprit d’aventure. C’est précisément le cas du biologiste français Matthieu Juncker, attiré depuis tout petit par le monde de la mer et passionné de pêche, qui garde un souvenir très précis de ses lectures du chef d’œuvre de Daniel Defoe. Devenu biologiste marin après des études à Paris et à Luminy, il embarque en 2000 pour le Pacifique et n’a plus quitté la région depuis.  Polynésie. Après une thèse sur le lagon de Wallis-et-Futuna, il prend la direction en 2009 de l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie où il se passionne notamment pour la photographie sous-marine mais aussi pour le savoir ancestral des pêcheurs du Pacifique.

Le biologiste Matthieu Juncker dans son élément (photo © Claude Bretegnier / Demain en Nouvelle-Calédonie)

Après avoir participé à de multiples inventaires de faune sous-marine et à différentes expéditions, le voilà qui vient d’embarquer pour une nouvelle robinsonnade. Depuis le 17 avril 2024, il a en effet débarqué seul sur un îlot totalement désert de l’archipel des Tuamotu où il compte vivre seul et en totale autarcie pendant 200 jours, de quoi concrétiser enfin son rêve d’enfant découvrant les aventures de Robinson Crusoé. Le motu corallien sur lequel il va vivre cette aventure hors du commun fait partie de la centaine d’ilots déserts de cet archipel de Polynésie, qu’il décrit lui-même comme « assez austère, un banc de sable avec le lagon à gauche, l’océan à droite et quelques cocotiers au milieu ».

Quelques-uns des nombreux îlots déserts de l’archipel des Tuamotu, entre océan et lagon (photo © M. Juncker / À contre-courant)

Pas vraiment de quoi faire rêver, sinon du fait de l’extrême richesse des poissons multicolores qui grouillent encore dans les eaux du lagon au milieu de la barrière récifale. Un milieu extrêmement menacé par le réchauffement climatique global, le corail étant particulièrement sensible à toute variation de température. Comme pour les gorgones en Méditerranée, les scientifiques sont très inquiets pour le devenir de ces barrières coralliennes qui sont à l’origine de cet écosystème très riche mais fortement vulnérable. Comme l’explique le biologiste aventureux, « Selon les prévisions, une hausse de la température de 2 degrés suffirait à les rayer de la carte. La majorité des coraux n’ont pas la capacité de survivre à ce réchauffement et l’acidification des océans ralentira leur croissance ».

C’est donc bien le sort de ces ilots menacés et où des espèces commencent à disparaître, qui motive principalement l’expédition scientifique solitaire de Matthieu Juncker. Il s’intéresse en particulier au « Titi », un oiseau endémique qui n’a rien d’un moineau parisien comme son nom vernaculaire pourrait le laisser entendre, mais est un véritable « chevalier », au sens le plus noble du terme. Le Chevalier des Tuamotu ne se promène certes pas à cheval et armé de pied en cap, mais son port altier lui confère néanmoins une certaine distinction malgré sa petite taille (15 à 16 cm), ses pattes jaune sale, ses ailes courtes et son bec riquiqui qui le fait plutôt ressembler à un passereau.

Le Titi ou Chevalier des Tuamotu, une espèce menacée (photo © P. Raust / Manu)

De son nom scientifique Prosobonia parvirostris, cet oiseau limicole endémique des Tuamotu est de fait menacé de disparition, même s’il a réussi à survivre à son cousin, le Chevalier de Kiritimati, une espèce désormais éteinte pour l’éternité. Le dernier inventaire en date faisait état de 1000 individus encore recensés, présents sur 5 atolls seulement, mais c’était il y a 10 ans déjà et Matthieu Juncker s’est donc donné pour mission (ou prétexte) d’actualiser ces données en étudiant de près cet oiseau dans son environnement naturel, tout en analysant plus globalement l’effet de la montée des eaux sur le fragile petit atoll où il a désormais élu domicile. Il est également chargé par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) de surveiller la présence de déchets plastiques dans la mer à proximité de son motu. De son côté, l’association polynésienne Te mana o te moana lui a demandé de profiter de son séjour pour d’observer les sites de pontes de tortues.

Matthieu Juncker dans son nouvel environnement pour 200 jours (photo © Claude Bretegnier / À contre-courant)

Un programme scientifique qui devrait donc largement occuper notre Robinson Crusoé moderne, lequel compte se nourrir exclusivement de poissons pêchés dans le lagon et de noix de coco ou autres ressources végétales locales. Il prend néanmoins la précaution de se munir d’une petite unité de désalinisation d’eau de mer et d’une bâche pour recueillir l’eau de pluie, ainsi que d’une pharmacie pour faire face en cas d’accident, mais aussi de quelques outils dont une machette pour se construire son faré sur la plage.

L’expédition se nomme À contre-courant, ce qui exprime bien la volonté de Matthieu Juncker, au-delà de l’expérience scientifique de vouloir vivre une expérience personnelle forte en allant « à l’encontre de cette société de surinformation, de consommation et de sécurité ». Il disposera néanmoins d’un téléphone cellulaire et enverra régulièrement des nouvelles de son expédition dont il compte surtout témoigner largement ensuite, via un livre et un film notamment, pour alerter sur la fragilité de ces écosystèmes menacés par le réchauffement climatique et dont on ne se soucie guère…

L. V.

Un pigeon voyageur accusé d’espionnage…

6 février 2024

En ces temps troublés de tensions internationales et de conflits armés, les accusations d’espionnage ne sont pas à prendre à la légère. Un modeste pigeon voyageur vient d’en faire les frais. Capturé en mai 2023 à proximité des installations portuaires de Bombay, il avait été trouvé en possession d’un anneau à chaque patte, auquel était attaché un message écrit en chinois. Un comportement jugé éminemment suspect par les autorités indiennes, très chatouilleuses quant à la souveraineté de leur espace aérien national, et pas en très bons termes avec son voisin chinois avec qui les escarmouches ne sont pas rares. Le cas avait été jugé suffisamment sérieux par la police de Bombay pour qu’une enquête soit diligentée et le volatile placé en détention provisoire dans une clinique vétérinaire locale.

Incarcéré pendant 8 mois pour une accusation d’espionnage, les risques du métier de pigeon voyageur (source © Shutterstock / Peuple animal)

Après 8 mois d’enquête approfondie, il a néanmoins pu être établi que le pigeon en question participait en réalité à une compétition à Taïwan et qu’il s’était malencontreusement égaré sur le sol indien, comme l’a rapporté le Times of India. Même chez les sportifs de haut niveau, connus pour leur sens légendaire de l’orientation, une défaillance est toujours possible. Blanchi de toute accusation d’espionnage, le pigeon voyageur a donc été officiellement relâché par les autorités indiennes le 30 janvier 2024, au grand soulagement de l’association de défense des animaux Péta.

Le pigeon voyageur détenu depuis 8 mois pour accusation d’espionnage a enfin été relaxé et relâché, mardi 30 janvier 2024 (photo © Anshuman Poyrekar / AP / SIPA / 20 minutes)

Mais ce n’est pas la première fois qu’un pigeon se retrouve ainsi incarcéré dans les geôles indiennes pour un tel motif. En 2020 déjà, un pigeon voyageur appartenant à un pêcheur pakistanais avait été capturé par la police du Cachemire sous contrôle indien après avoir illégalement traversé la frontière fortement militarisée qui sépare les deux pays. Lui aussi avait pu être blanchi après enquête qui avait révélé que les inscriptions éminemment suspectes portées sur le message qui lui était attaché étaient en réalité le numéro de téléphone de son propriétaire, pour le cas où l’animal perdrait son chemin. Une sage précaution mais il faut dire que la police indienne est sur les dents et fait preuve d’une extrême méfiance envers les pigeons voyageurs.

Déjà en octobre 2016, la police des frontières indienne avait attrapé et incarcéré plusieurs volatiles de ce type dans la région de Pathankot, au Penjab. L’un d’eux portait accroché à la patte un message clairement menaçant, rédigé en ourdou et adressé au Premier Ministre : « Modi, nous ne sommes plus les mêmes qu’en 1971. Désormais, chaque enfant est prêt à combattre l’Inde ». Une allusion transparente au dernier conflit armé en date entre l’Inde et le Pakistan, qui avait abouti à la sécession du Bangladesh. Considéré comme un dangereux terroriste djihadiste, le pauvre volatile avait immédiatement placé sous les barreaux, de même qu’un autre de ses congénères dont les ailes portaient des inscriptions en ourdou. Chacune des plumes de ce dernier avait été passée aux rayons X par la police scientifique indienne et le suspect enfermé dans une cage surveillée par trois agents selon Le Monde qui rapportait l’incident, mais il semble finalement que le pigeon ait pu être relâché à l’issue de ces investigations.

De telles suspicions paraissent quelques peu démesurées mais les autorités indiennes rappellent à qui veut l’entendre que les pigeons voyageurs, placés entre les mains de terroristes déterminés, constituent une arme redoutable et que les Moghols, qui régnèrent sur une partie du sous-continent indien jusqu’au milieu du XIXe siècle, avaient experts dans l’art de dresser ces oiseaux. Ce n’était d’ailleurs pas les premiers puisque les pigeons voyageurs étaient déjà utilisés par les navigateurs égyptiens, 3000 ans avant notre ère, pour avertir de leur arrivée prochaine au port. Les Grecs en étaient également très friands et les employaient pour communiquer les résultats des Jeux Olympiques, bien avant que les médias internationaux ne se disputent leurs droits de diffusion mondiale.

Lâcher de pigeons (photo © Le Républicain Lorrain)

Les pigeons voyageurs possèdent de fait un sens de l’orientation aiguisé, lié peut-être à la présence de minuscules cristaux de magnétite dans leur cerveau qui leur permettraient de se guider sur le champ magnétique terrestre pour retrouver à coup sûr (ou presque) le chemin de leur colombier. Capables de parcourir rapidement des distances considérables, jusqu’à 1 200 km en 16 heures, avec des pointes à 120 km/h par vent favorable, certains sont restés célèbres pour leurs exploits comme celui qui a parcouru 11 590 km en 24 heures entre Saïgon et le nord de la France. Tout repose sur le fait que quelque soit l’endroit où on les lâche, leur principale préoccupation est de revenir au plus vite au bercail, auquel ils sont particulièrement attachés. Les mâles sont mus, paraît-il par le désir de retrouver leur conjointe et les femelles plutôt par celui de retrouver leurs petits, chacun ses motivations…

Un pigeon équipé avec ses bagues et les numéros de téléphone de contact (photo © Bernard Moiroud / Le Progrès)

Un pigeon peut ainsi aisément transmettre un message, attaché à sa patte, mais aussi un mini appareil de prise de vue, ce qui en fait des auxiliaires précieux pour aller discrètement survoler les lignes ennemies et rapporter quelques clichés stratégiques. Le limite du système est que le voyage ne fonctionne que dans un sens, toujours vers le colombier d’origine, ce qui suppose au préalable de transporter les précieux auxiliaires vers le point de départ des messages, et de ne pas l’y laisser trop longtemps de peur qu’il ne finisse par s’habituer à sa nouvelle demeure ! Les pigeons voyageurs ont ainsi servi à plusieurs reprises pour expédier des messages depuis les villes assiégées, depuis celle de Modène en 43 avant J.-C. jusqu’à celle de Paris en 1870.

Soldats lâchant des pigeons voyageurs munis de messages pendant la Première guerre mondiale (source © Rue des archives / PVDE / 1 jour 1 actu)

Pendant la Première guerre mondiale, l’armée française utilisa ainsi plus de 30 000 pigeons voyageurs pour assurer le service de messagerie aérienne en cas de défaillance (fréquente) des lignes téléphoniques. L’un d’entre eux fut même cité à l’Ordre de la Nation pour avoir vaillamment transporté l’ultime message du commandant Raynal, défenseur du Fort de Vaux à Douaumont en juin 1916. Pendant la Seconde guerre mondiale, ce sont pas moins de 16 500 pigeons qui sont parachutés sur le sol français par les alliés britanniques pour faciliter les transmissions avec la Résistance. L’armée française continue d’ailleurs d’entretenir une petite escouade de pigeons voyageurs au colombier militaire du Mont Valérien et il se murmure que la Chine entretient des dizaines de milliers de pigeons solidement entraînés pour assurer ses transmissions militaires en cas de défaillance technique : on n’est jamais trop prudent…

L. V.

Icon of the Seas : le nouveau monstre des mers !

29 septembre 2023

Lors de sa mise en service en 1912, le Titanic, comme son frère jumeau l’Olympic, achevé un an auparavant, était le plus long paquebot jamais construit avec 269 m de long pour un poids en déplacement de 66 000 tonnes. De véritables mastodontes, commandés par la White Star Line pour des traversées transatlantique, réalisés dans un chantier naval de Belfast et destinés à surpasser les deux fleurons de la compagnie concurrente, la Cunard Line, le Lusitania et le Mauretania, dont la longueur de 240 m était déjà assez impressionnante. A côté, la plus grosse baleine bleue jamais répertoriée, avec ses 190 tonnes et ses 30 m de long, est ridiculement petite !

Le Titanic en avril 1912 (source © Southampton City Council / AFP / RTL)

Mais ce n’était alors que le début d’une véritable course au gigantisme des paquebots. En 1935, le Normandie, construit par les chantiers navals de Penhoët, à Saint-Nazaire, pour le compte de la Compagnie générale transatlantique, mesurait déjà 314 m de long, surpassé d’un cheveu par le Queen Elisabeth II lancé en 1940, puis par le France, achevé en 1962, toujours à Saint-Nazaire. Le développement du transport aérien a mis un frein sérieux à cette filière de transport maritime de passagers et il a fallu attendre ensuite les années 2000 pour que revienne la nécessité de construire des bateaux aussi gigantesques pour le transport de passagers, non plus pour desservir des lignes régulières mais pour les besoins de la croisière de tourisme qui connaît alors un nouvel engouement.

Le paquebot France construit dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, baptisé le 11 mai 1960 par Yvonne De Gaulle (source © Presse Océan / Ouest France)

En 2004 est ainsi achevé, dans les chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire alors en pleine renaissance, le Queen Mary 2, un paquebot de 345 m de longueur, commandé par la Cunard Line et destiné à assurer des liaisons transatlantiques d’avril à décembre et des croisières autour du monde le reste de l’année. Il restera le paquebot le plus grand jamais construit jusqu’en 2009, date à laquelle est mis en service l’Oasis of the Seas, un véritable immeuble flottant de 360 m de longueur, pesant 100 000 tonnes et capables de transporter 6296 passagers pour les besoins de la Royal Caribbean International.

L’Oasis of the Seas en croisière (photo © Royal Caribbean / Cruise Hive)

Cette compagnie maritime américano-norvégienne, fondée en 1968 et désormais basée à Miami, détient actuellement 26 bateaux de croisière. L’Oasis of the Seas, comme son clone, l’Allure of the Seas, livré en 2010, a été construit par les chantiers naval de Turku en Finlande. Trois autres paquebots de la même catégorie ont ensuite été livrés par les chantiers de l’Atlantique : l’Harmony of the Seas, achevé en 2016 et devenu alors le plus long paquebot du monde avec 362 m de longueur, puis le Symphony of the Seas, livré en 2018 et enfin le Wonder of the Seas, lancé en 2020. Ce dernier est alors le navire de croisière au plus fort tonnage jamais construit, avec une jauge brute de 236 000 tonneaux, soit cinq fois le Titanic !

A bord du Wonder of the Seas (photo © Royal Caribbean / United Cruise)

Mais cette course au gigantisme n’est pas finie car le secteur de la croisière de masse est en plein essor après un passage à vide lié à la pandémie de covid et à la forte médiatisation des déboires du Diamond Princess, bloqué en quarantaine au Japon en février 2020 avec 634 cas de Covid déclarés dont 7 décéderont. Depuis, les affaires ont repris de plus belle et les clients se pressent pour embarquer dans ces usines à touristes. La compagnie Royal Caribbean International dont les affaires sont florissantes lance donc en 2021 la construction d’un nouveau navire de croisière encore plus vaste et plus luxueux que les précédents, de la classe Oasis. Le moteur de cette course au gigantisme est de faire des économies d’échelle : plus le bateau est gros, plus on peut diversifier les activités à bord et plus on peut entasser de passagers avec un équipage qui n’augmente pas de manière proportionnelle. Autrement dit, on gagne sur les frais de personnel…

L’Icon of the Seas en vie d’achèvement dans les chantiers navals de Meyer Turku en Finlande avec son immense dôme à l’avant surplombant la salle de spectacle (photo © Royal Caribbean / Mer et Marine)

Le nouveau fleuron de la compagnie, baptisé Icon of the Seas, l’icône des mers en bon français, a été lui aussi réalisé dans les chantiers navals de Turku, au sud de la Finlande et il vient d’être lancé pour effectuer ses premiers essais en mer en juin 2023, pour une mise en service officielle prévue début 2024. C’est donc à ce jour le plus gros navire de croisière jamais construit, avec 365 m de long, soit 96 m de plus que le Titanic. Il pèse 250 000 tonnes et est équipé de 20 ponts avec plus de 2000 cabines, de quoi accueillir 7600 passagers pour 2350 membres d’équipage. On y trouve 7 piscines, un immense parc d’attractions aquatiques avec ses immenses toboggans en plastique multicolore du dernier chic, de nombreux restaurants, des salles de spectacle et même une patinoire.

Activités nautiques à bord de l’Icon of the Seas (source © Twitter All Word Travel Amarillo / La Tribune)

Le navire suscite une telle curiosité que les réservations pour ses premières croisières prévues en janvier prochain dans les Caraïbes affichent déjà complet. Pour une semaine de croisière, le prix n’est pourtant pas donné à 1500 euros minimum la semaine par personne et même jusqu’à 75 000 € pour la suite avec balcon, machine à pop-corn, karaoké et toboggan pour se rendre directement au salon : quand on aime, on ne compte pas…

L’Icon of the Seas lors de ses premiers essais de navigation dans la baie de Turku en juin 2023 (photo © Royal Caribbean / Meyer Turku / Le Marin)

Pourtant, le lancement de navire de croisière d’un tel gabarit en fait tousser plus d’un. A l’heure où chacun se demande comment amorcer enfin cette transition écologique vitale pour la survie de l’humanité et comment se projeter dans un mode de vie plus sobre en énergie, on pourrait en effet imaginer que l’urgence n’est pas à développer ainsi de tels monstres des mers, surtout quand on sait à quel point les bateaux de croisière participent à la pollution de l’air à chacune de leurs escales. Certes, l’Icon of the Seas ne fonctionne pas au fuel lourd comme la plupart des navires actuellement en activité, mais au gaz naturel liquéfié dont il consommera quand même la bagatelle de 175 000 litres par jour, du méthane issu comme il se doit de l’exploitation de gaz de schistes, avec un impact environnemental non négligeable. Chaque passager émettra ainsi 106 kg de CO2 par jour, soit l’équivalent d’un trajet de 450 km avec une voiture à essence : on connait loisir plus écologique que la croisière de masse en mer à bord de tels mastodontes…

L. V.

Indonésie : de l’art ou du cochon ?

7 septembre 2023

C’est une découverte majeure qui a été récemment révélée dans la revue scientifique Sciences Advances, en janvier 2021 par une équipe de chercheurs australiens de l’Université Griffith à Brisbane. Ces spécialistes affirment en effet avoir découvert la plus ancienne peinture rupestre connu au monde, datée selon eux de 45 500 ans, bien plus ancienne donc que les peintures pariétales de l’Aurignacien qui ornent la grotte Chauvet et dont les plus anciennes datent de 36 000 ans, et bien sûr que celle de la grotte Cosquer dont les ornements les plus anciens ne dateraient que d’il y a 27 000 ans environ.

Empreinte de main réalisée par soufflage d’ocre sur la paroi d’une grotte de Maros au sud-ouest de Sulawesi (source © Nature video / La Terre du futur)

Ces œuvres d’art primitives réalisées par nos lointains ancêtres Homo sapiens à la fin du Pléistocène, n’ont pas été découvertes en Australie mais en Indonésie, à l’extrémité sud-ouest de l’île Célèbes, désormais rebaptisée Sulawesi qui signifie « trident de fer » à cause de sa forme très découpée à plusieurs branches et la richesse de son sous-sol en minerai de fer. Située à l’est de l’île de Bornéo, Sulawesi est l’une des quatre plus grandes îles de l’Indonésie, immense pays qui en compterait au total de l’ordre de 17 000 dont moins d’un millier sont actuellement habitées.

Paysage de l’île Sulawesi (source © Costa)

Situé à cheval sur l’Asie du sud-est et le nord de l’Océanie, cet archipel a toujours constitué un lieu de passage et de brassage de population. Les restes fossilisés d’Homo erectus, le fameux « Homme de Java » qui datent d’il y a environ 500 000 ans y ont été découverts dès la toute fin du XIXe siècle par le médecin néerlandais Eugène Dubois. En 2003, on y a aussi découvert, dans la grotte de Liang Bua, sur l’île de Florès, une autre espèce préhumaine de petite taille, d’ailleurs baptisée Homo floriensis, dont les restes datent d’entre 100 000 et 60 000 ans et qui pourrait dériver d’une souche locale d’Homo erectus.

Fouilles archéologiques dans la grotte de Liang Bua, sur l’île de Flores (photo © Liang Bua Team / Smithsonian Digitization Program / Le Monde)

Notre ancêtre Homo sapiens est sans doute arrivé un petit peu plus tard dans la région, lors de la dernière grande glaciation, celle du Würm qui s’est traduit par une forte baisse du niveau de la mer, favorisant les migrations de populations vers 70 000 à 40 000 ans avant notre ère, de l’Asie vers l’Australie, en direction de ce qui était alors un vaste plateau continental émergé, dénommé Sahul, et qui englobe l’actuelle Australie, mais aussi la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée. A Sulawesi, qui se situé au nord-ouest de cet ancien continent, la présence humaine moderne y serait attestée depuis 69 000 ans environ, même si des vestiges plus anciens y sont connus, attribués à des préhominidés.

Reliefs karstiques de Maros-Pangkep au sud-ouest de Sulawesi (source © Wikimedia)

En 1950 y ont été découvertes les premières peintures rupestres préhistoriques, dans un secteur karstique du sud-ouest de l’île, dénommé Maros-Pangkep. Plus de 300 grottes y ont désormais été identifiées et les peintures et gravures pariétales qui ont pu y être retrouvées sont rattachées à deux périodes distinctes, la première du Pléistocène, et une autre, nettement plus récente, qui date d’environ 4000 ans et qui est attribuée à une nouvelle migration, en sens inverse, de populations austranésiennes.

La vague d’expression artistique la plus ancienne de Sulawesi présente surtout des empreintes de mains et des formes figuratives représentant la faune locale, avec une prédominance de bufles nains et de cochons sauvages, manifestement très prisés de nos lointains ancêtres et qui seraient des représentations de la race endémique Sus celebensis, une espèce intermédiaire entre le porc et le sanglier, toujours présente en Indonésie, seule espèce porcine domestiquée par l’homme en dehors du cochon domestique classique Sus scrofa domesticus.

Cochons ou sangliers des Célèbes (photo © Andrea Volz / Mamimalworld)

En 2019, il avait déjà été possible de procéder à la datation de certaines de ces peintures rupestres de Sulawesi qui avaient abouti à des âges compris entre 35 et 40 000 ans, avec un maximum de 43 900 ans, pour des peintures issues de la grotte de Bulu Sipong 4, représentant une scène de chasse au cochon sauvage. Pour des œuvres aussi anciennes, la datation au carbone 14 n’est pas opérante et la seule manière de les dater est d’analyser les dépôts de calcite qui se sont peu à peu accumulés à la surface de la fresque, sous l’effet des ruissellements d’eau sur les parois. La datation se fait selon la méthode uranium-thorium. L’uranium 238, présent en infimes quantités sous forme soluble dans l’eau, se désintègre au fil du temps en se transformant en uranium 234 puis en thorium 230, lequel est insoluble et a donc tendance à s’accumuler dans le précipité de calcite qui se forme.

Entrée de la grotte de Leang Tedongnge (photo © A. Octavian / ARKENAS / Griffith University / Science Advances)

En 2017, de nouvelles peintures rupestres ont été découvertes dans les grottes de Leang Tedongnge et Leang Balangajia 1. C’est dans la première qu’a été observée une magnifique paroi ornée comprenant plusieurs représentations de cochons des Célèbes, dont un particulièrement bien dessiné faisant 1,36 m de long, ainsi que des empreintes de mains dont le contour est souligné par de l’ocre soufflé sur la paroi. Un fragment de dépôt de calcite recouvrant une patte arrière de l’animal a été analysée et aboutit à un âge de 45 500 ans, ce qui permet de confirmer que ce dessin de cochon est bien la plus ancienne peinture rupestre connue.

Peinture rupestre à l’ocre rouge découverte sur les parois de la grotte de Leang Tedongnge, à Sulawesi, en Indonésie (photo © Maxime Aubert / Université Griffith / Sciences et Avenir)

Il parait paradoxal de constater que la plus ancienne œuvre artistique de cette qualité, signée d’une main humaine soit une représentation de cochon. Retrouvée qui plus est en Indonésie, dans ce qui est devenu le plus grand pays musulman du monde avec ses 270 millions d’habitants qui se revendiquent comme musulmans à près de 90 %, et qui, en tant que tels, n’ont pas une image très valorisante du cochon, fut-il des Célèbes…

L. V.

Le Canal de Panama victime de la sécheresse

28 août 2023

Il n’y a pas qu’en France que l’on s’inquiète de la baisse des ressources en eau après des mois de déficit pluviométrique. Au Panama, ce petit pays d’Amérique centrale coincé entre le Costa Rica, à l’ouest, et la Colombie, à l’Est, dans la partie la plus étroite de l’isthme qui sépare l’Atlantique du Pacifique, la sécheresse sévit aussi. A la fin de la saison sèche, qui dure ici entre décembre et avril, les réserves en eau du pays étaient au plus bas. Mais depuis le mois de mai il ne pleut guère et, le 21 juin 2023, un communiqué du Ministère français des affaires étrangères alertait les touristes sur les risques de pénurie d’eau, y compris à l’hôtel, dans le secteur très prisé de Bocas del Toro avec ses plages paradisiaques sur la côte caraïbe.

Les plages paradisiaques de la région de Bocas del Toro, au nord-ouest de Panama (photo © Joly W. / Tripadvisor)

Conséquence de cette sécheresse qui dure et du niveau très bas des lacs de retenue, la société qui exploite le canal de Panama a dû restreindre, dès la fin du mois d’avril, la circulation sur cette voie d’eau. Une mesure qu’il a même fallu renforcer cet été : depuis le 30 juillet, et pour une durée d’au moins un an, sauf à ce que des pluies exceptionnelles s’abattent d’ici la fin de la saison, le nombre de navires autorisés chaque jour à emprunter le canal a été réduit de 40 à 32 et leur tirant d’eau est désormais limité à 44 pieds, soit 13,4 m, ce qui revient à en limiter fortement la charge pour les bateaux dimensionnés en fonction des nouvelles configurations de l’ouvrage, élargi en 2016 à l’issue de 9 années de chantier pharaonique, et surnommés New-Panamax.

La traversée du canal par de gros porte-containers, ici le 24 avril 2023, désormais entravée par le manque d’eau (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Si les mensurations du canal de Panama sont aussi importantes, au point de servir d’étalon pour la morphologie des porte-containers du monde entier, c’est que cet ouvrage de franchissement est devenu au fil du temps un site stratégique où transite pas moins de 6 % du trafic maritime mondial. En 2022, ce sont ainsi 518 millions de tonnes de marchandises qui sont passées par le canal de Panama, où les plus gros navires autorisés transportent 18 000 containers, contre 4000 seulement avant l’élargissement !

Deux navires dans les écluses de Gatún en 2011 (photo © Michel Lecumberry / Saga in Panama)

Cette réduction de trafic va donc se traduire par une forte baisse des rentrées d’argent pour le Panama, estimée à au moins 200 millions de dollars sur un an, sachant que le chiffre d’affaires du canal avait dépassé les 3 milliards de dollars en 2022 selon l’Autorité du Canal de Panama. Depuis l’annonce de cette nouvelle restriction, des embouteillages se sont formés à l’entée du canal où l’on a compté en août jusqu’à 160 navires en attente. Ils étaient encore 130 la semaine dernière à patienter, sachant que la durée d’attente, qui atteint généralement de 3 à 5 jours, est montée jusqu’à 19 jours… De quoi perturber fortement le trafic, en particulier entre la Chine et les États-Unis, principaux utilisateurs de cet ouvrage qui permet, moyennant un trajet de 80 km, parcouru en 9 h seulement, de raccourcir de plus de la moitié le trajet d’un navire reliant New York à San Francisco (9 500 km via le canal de Panama contre 22 500 en passant par le Cap Horn !).

Des bateaux de croisière sont aussi nombreux à emprunter le canal (source © Société de géographie)

Si l’on en est arrivé à une telle situation, c’est que le transit des navires par le canal de Panama exige énormément d’eau : il fait en effet près de 200 millions de litres d’eau pour remplir les écluses permettant le passage d’un seul navire d’un océan à l’autre ! Non pas de l’eau de mer, mais de l’eau douce qui provient de deux lacs de retenue, Gatún et Alajuela, lesquels servent par ailleurs à alimenter en électricité et en eau potable la moitié des 4,2 millions d’habitants du pays ! Il faut ainsi chaque année de l’ordre de 5,2 milliards de m3 d’eau douce pour permettre au canal de fonctionner et déjà en 2019, lors d’une vague de sécheresse précédente, il n’avait pu disposer que de 3 milliards, un déficit qui ne cesse de se creuser, d’autant que les prévisions météorologiques ne sont pas très optimistes pour la poursuite de la saison des pluies 2023 à cause du phénomène El Niňo prévu pour la fin de l’année.

Une situation jugée alarmante par l’Autorité du Canal de Panama dont un des administrateurs déclarait en avril dernier : « nous ne voulons pas en arriver à un conflit philosophique entre l’eau pour les Panaméens et l’eau pour le commerce international »… C’est pourtant bien ainsi que la question se présente et le conflit risque de ne pas rester indéfiniment « philosophique » si des restrictions d’alimentation en eau potable devaient être instaurées pour permettre aux porte-containers chinois de continuer à déverser leur cargaison de tee-shirts en direction de la côte Est des États-Unis…

Vue aérienne du lac Alajuala à Panama, le 21 avril 2023 (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Un cas de figure qui, bien sûr n’avait pas été anticipé mais que le changement climatique met en lumière cruellement. A l’origine, lorsque Ferdinand de Lesseps, auréolé par la réussite du percement récent du Canal de Suez, lance le chantier de Panama, le 1er janvier 1882, il n’était pas question d’écluses pour rejoindre les côtes Caraïbe et Pacifique. L’opposition farouche des États-Unis et les déboires liés aux éléments naturels, d’abord un fort séisme, puis les crues dévastatrices du rio Chagres et enfin les effets de la malaria qui déciment les équipes, douchent l’enthousiasme de l’entrepreneur français et font chuter les actions en bourse de sa société.

Travaux de percement du canal de Panama en 1907 (source © La 1ère France TV info)

C’est son ami, l’ingénieur Gustave Eiffel qui vient alors à sa rescousse et conçoit un système de 10 écluses pour faire traverser l’isthme panaméen par le canal, avec un point haut situé à 26 m au-dessus du niveau de la mer. La faillite de la Compagnie universelle du canal transocéanique de Panama, en 1889, ne permettra pas au projet d’aboutir, mais les Américains reprennent le projet à partir de 1902, s’arrogent par la force un droit de protectorat sur le Panama qu’ils détachent de la Colombie, et imaginent la création d’un lac artificiel pour alimenter 3 jeux d’écluses, sur la base d’un projet imaginé initialement par l’ingénieur français Adolphe Godin de l’Épinay. A partir de 1907, un gigantesque barrage est édifié sur le rio Chagres et en 1913 est ainsi créé le lac Gatún, à l’époque le plus grand lac artificiel du monde et dont le plan d’eau constitue un tronçon majeur du canal lui-même, emprunté sur plus de 32 km par les navires qui traversent.

Un vraquier de 255 m de long franchit le 9 juin 2016 la nouvelle écluse d’Agua Clara qui vient d’être achevée, côté Atlantique (photo © ACP / Mer et marine)

Inauguré le 15 août 1914, alors que le chantier a coûté la vie à environ 22 000 ouvriers, le canal de Panama reste aux mains des Américains jusqu’en 1999, date à laquelle Jimmy Carter accepte enfin de le rétrocéder aux Panaméens, ce qui conduit ces derniers à entreprendre, à partir de 2007, d’ambitieux travaux d’élargissement et la construction de deux jeux d’écluses supplémentaires. Face aux difficultés d’approvisionnement en eau, déjà mis en évidence lors de la vague de sécheresse de 2019, il est désormais question d’envisager la création d’un troisième lac de retenue, au détriment bien évidemment de l’environnement encore préservé de cette zone riche en biodiversité : une logique de fuite en avant qui consiste à engager des travaux de plus en plus pharaoniques pour tenter de capter toujours davantage de ces ressources naturelles déjà surexploitées, plutôt que d’adapter nos besoins à ce qui est raisonnable, éternel débat…

L. V.

L’énergie positive du Bhoutan…

14 Mai 2023

Face au défi du changement climatique, la France s’est engagée officiellement à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une véritable gageure quand on sait que cela signifie diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’est bien évidement pas envisageable sans un changement drastique de notre mode de vie et de nos comportements individuels. Mais sait-on que trois pays au moins, non seulement ont déjà atteint ce stade mais l’ont même largement dépassé en consommant davantage de CO2 qu’ils n’en émettent ?

Bien sûr, ces trois pays ne sont que de minuscules confettis à l’échelle mondiale et il vaut mieux ne pas compter uniquement sur leurs efforts pour espérer inverser un tant soit peu la trajectoire actuelle qui nous conduit tout droit dans le mur du réchauffement climatique global selon une trajectoire déjà largement engagée. Ces trois pays ont d’ailleurs en commun d’être des États peu peuplés et peu industrialisés, couverts de zones forestières bien préservées puisqu’il s’agit du Surinam, du Panama et du Bhoutan.

Paysage verdoyant du Bhoutan (photo © Jean-Pierre Michel / Géo)

Ce dernier pays intrigue bien des Occidentaux après avoir été dans les années 1970 le chantre du Bonheur national brut. Une notion on ne peut plus sérieuse que le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, tout juste intronisé en 1972, s’empresse de mettre en avant comme indicateur de développement, en lieu et place du traditionnel Produit national brut auquel les économistes traditionnels nous ont davantage habitué.

L’idée était novatrice et plutôt séduisante puisque basée sur 4 critères principaux, à savoir le développement économique responsable, la conservation de la culture locale, la sauvegarde de l’environnement et la bonne gouvernance… Une feuille de route plutôt consensuelle en apparence, bien que poussée un peu à l’extrême. Au nom du respect des valeurs traditionnelle, les habitants du pays durent ainsi attendre jusqu’en 1999 pour que soit enfin autorisés la télévision et l’accès à internet !

Dans un verger de pommiers, au pays du bonheur national brut… (photo © Matthieu Ricard / Voyageurs du monde)

Et, en fait de bonne gouvernance, le Bhoutan est resté une monarchie absolue jusqu’en 2006, date à laquelle le bon roi susnommé a abdiqué en faveur de son fils, Jigme Khesar Wangchuck, couronné en 2008, à l’âge de 28 ans. Le régime s’est alors transformé en monarchie constitutionnelle et en 2013, le Premier ministre est quelque peu revenu sur la notion de Bonheur national brut en expliquant en substance que ses prédécesseurs ont beaucoup glosé sur ces notions abstraites mais peu agi en conséquence face aux véritables défis qui se posent au pays, dont le chômage, l’endettement, la crise monétaire et la corruption. Une vision plus réaliste mais qui ne l’a pas empêché d’être balayé lors des élections suivantes en octobre 2018 : le peuple est parfois bien ingrat…

Le bâtiment du parlement à Thimphou, capitale du Bhoutan (source © Décisions durables)

Toujours est-il que ce petit pays, plus étendu que la Belgique mais moins que la Suisse et qui compte à peine 800 000 habitants (moins que la ville de Marseille !), fait rêver bien des écologistes avec ses forêts qui absorbent trois fois plus de gaz carbonique que le pays n’en émet. Coincé entre l’Inde et la Chine, le Bhoutan présente des plaines subtropicales dans sa partie sud tandis que le nord s’élève dans le massif himalayen avec des sommets qui culminent à plus de 7 000 m d’altitude.

Les rivières impétueuses du Bhoutan, source inépuisable d’hydroélectricité (photo © National Geographic / Le Bhoutan)

Si son bilan carbone est aussi flatteur, c’est que 70 % de la superficie du pays est couvert de forêts, grâce à une politique active de préservation, la constitution interdisant même de descendre en dessous d’un taux minimum de 60 %… Grâce à son relief escarpé, le Bhoutan tire l’essentiel de ses ressources énergétiques de la production hydroélectrique dont les équipements sont d’ailleurs largement financés par l’Inde qui en tire également profit. L’agriculture est restée principalement vivrière mais l’élevage traditionnel de yack, dans les zones de montagne, ne représente plus qu’à peine 3 % de la consommation nationale de beurre, de viande et de fromage.

Le monastère bouddhiste de Taksang, surnommé « la tanière du tigre », site sacré du Bhoutan (source © Shanti Travel)

C’est néanmoins ce côté traditionaliste qui donne au Bhoutan son attrait touristique, depuis que le pays s’est ouvert au tourisme en 1974, à tel point que cette activité représente désormais plus de 20 % des ressources nationales. Une activité extrêmement encadrée avec visa obligatoire pour les étrangers et paiement à une agence de voyage locale d’un droit de séjour d’environ 200 dollars par jour, sensée couvrir les frais d’hébergement et de déplacement des touristes, tout en contribuant de manière substantielle au développement des infrastructures du pays. Au Bhoutan, l’accès aux centres médicaux est gratuit, de même que la scolarité jusqu’au lycée, ce qui contribue sans doute au Bonheur national brut sinon à la bonne santé de l’économie nationale dont l’endettement atteint désormais 125 % du PIB. Au Bhoutan, le revenu mensuel moyen par habitant est inférieur à 300 dollars : c’est trois fois moins que la moyenne asiatique et 12 fois moins qu’en France, mais le bonheur n’a pas de prix !

L. V.

Des fraises au chocolat ou les hasards de l’évolution

12 Mai 2023

Le biophysicien et écrivain Bill François fait partie de ces esprits scientifiques curieux pour qui « la valeur n’attend pas le nombre des années ». Passionné par le monde marin et la plongée, il étudie la physique à l’École normale supérieure puis se lance dans la recherche en hydrodynamique et rejoint le Laboratoire de physique et mécanique des milieux hétérogènes à l’École supérieure de physique et de chimie industrielle de Paris. En 2019, alors qu’il est, à 25 ans, en deuxième année de sa thèse sur la mécanique des fluides appliquée à la nage des bancs de poissons, il remporte un nouveau concours d’éloquence dans le cadre de l’émission Le Grand Oral, domaine où il excelle, et publie son premier ouvrage, traduit depuis en 17 langues et intitulé Éloquence de la sardine…

Bill François, finaliste de nombreux concours d’éloquence, ici en mai 2017 aux Journées de l’éloquence d’Aix-en-Provence (source © Le Monde des Grandes écoles et de l’Université)

Ce chercheur de haute volée n’a pas hésité à se mettre en scène en montant son propre spectacle en 2021, mi stand-up humoristique, mi conférence scientifique où il s’interroge ainsi sur l’intelligence humaine et la connerie du monde (ou l’inverse) : «   Une partie de notre cerveau liée à l’intelligence, le cortex, a évolué, mais la partie du cerveau ancestrale, le striatum, est restée comme à l’époque où on était des singes. On a dans notre tête une partie géniale, et une partie imbécile, l’une conçoit les Airbus et l’autre conçoit les plateaux-repas qu’on nous sert dans les Airbus »

Il vient en tout cas de récidiver en publiant un nouveau livre titré Le Plus Grand Menu du monde. Histoires naturelles dans nos assiettes. Un voyage passionnant qui s’appuie sur les dernières découvertes génétiques pour nous faire remonter vers l’origine de certains de nos aliments. Prenons les fraises par exemple. Ce végétal, de la famille des Rosacées, est connu en Europe depuis l’Antiquité. Les Romains adoraient déjà picorer les fruits rouges, minuscules mais délicieux de la fraise des bois, Fragaria vesca, et l’utilisaient même dans leurs produits cosmétiques du fait de son odeur agréable.

La fraise des bois, savoureuse mais minuscule… (source © Magellan)

Au Moyen-Âge les stolons de fraises des bois sont implantés dans les jardins et cultivés mais il a fallu atteindre le XVIe siècle pour que les navires de Jacques Cartier rapportent d’Amérique du Nord des pieds de fraise de Virginie que les scientifiques identifient comme une espèce distincte, Fragaria virginiana. Implantée dans quelques jardins londoniens, cette petite fraise parfumée et précoce fait l’objet d’une mise en culture et un conseiller au parlement de Provence, Nicols-Claude Fabri de Prereisc, par ailleurs botaniste amateur, grand amateur d’art et ami de Galilée se fait envoyer quelques plants par un ami érudit. Les trouvant excellentes, il les conseille au directeur du Jardin royal d’Hyères qui les implante lui-même au Jardin des Plantes à Paris.

La fraise de Virginie, proche de notre fraise des bois (source © Comptoir des graines)

Et voilà qu’un ingénieur militaire, Amédée-François Frézier, qui s’était illustré lors de la guerre de succession en Espagne, nommé officier du génie au service du roi Louis XIV, embarque en 1712 sur un navire marchand pour une mission secrète d’espionnage des fortifications espagnoles au Chili et au Pérou. Esprit curieux et éclectique, notre espion au nom prédestiné s’intéresse aussi à une variété de grosses fraises blanches dont il prélève discrètement 5 pieds du côté entre Santiago et Valparaiso, au Chili, qu’il arriva à rapporter en France en les arrosant quotidiennement. Débarqué en 1714 à Marseille, il offre l’un des précieux pieds à Antoine de Jussieu qui l’implante au Jardin royal de Paris avant de le transplanter au jardin botanique de Brest dont le climat est plus adapté. Il fallut néanmoins attendre 1740 pour y obtenir des fruits, car il fallait pour cela mélanger pieds mâles et femelles, grâce à un autre plant que Frézier avait soigneusement multiplié dans son propre jardin de Plougastel.

La fraise blanche du Chili, qui a failli disparaître en 2003 (source © Petit Chef)

La fraise blanche du Chili, Fragaria chiloensis, avait l’avantage d’être beaucoup plus grosse que celles alors connues mais est plutôt insipide malgré son léger goût d’ananas. Et c’est donc au jardin botanique de Brest qu’un pied mâle de fraisier du Chili rencontra un pied femelle de fraisier de Viginie, pour former le premier hybride de frise à l’origine de toutes les variétés de fraises actuellement cultivées, comme l’a démontré l’agronome française Antoine Nicolas Duchesne, professeur d’histoire naturelle sous la Révolution et spécialiste des fraises, qui a dénommé la nouvelle venue Fragaria ananassa, la Fraise ananas, pour souligner son caractère totalement exotique pour l’époque…

Le livre de Bill François regorge ainsi d’anecdotes scientifiques sur l’origine de nos aliments. On y croise la mouche qui a inventé le fromage en se laissant choir malencontreusement dans un seau de lait. Les levures qui vivaient dans ses entrailles se sont hybridées avec celles présentes dans le lait en train de cailler. Ces nouvelles levures, hasard de l’évolution génétique, se sont révélées aptes à faire du fromage alors que le lait en caillant naturellement devient habituellement aigre et peu appétissant. Ce sont ces levures qui ont été ensuite conservées et entretenues pour ensemencer le lait et développer différentes variétés de fromages.

Cabosses, fruits du cacaoyer (source © Valrhona)

On y découvre aussi l’histoire fabuleuses des cabosses du cacaoyer, ces fruits énormes renfermant des graines de grande taille également, les fameuses fèves de cacao dont on fait le chocolat. Si le cacaoyer a développé ainsi au fil des millénaires des fruits aussi monstrueux c’est parce qu’il a évolué en parallèle des gomphothères. Ces derniers étaient des sortes d’éléphants, apparus au Miocène en Afrique et qui ont colonisé quasiment toute la planète. Présents au sud de l’Europe, ils ont atteint au Pléistocène l’Amérique du Sud où ils ont connu un grand succès, se nourrissant allègrement de ces grosses cabosses de cacaoyer dont ils dispersaient joyeusement les graines, contribuant à un développement inespéré de cette plante.

Reconstitution artistique d’un gomphothère qui vivait encore au Chili12 000 ans avant notre ère (source © Nobumichi Tamura / STKRF / AP / CNN)

Mais voilà qu’avec les différentes glaciations successives, les gomphothères disparaissent du paysage et avec eux tous les gros mammifères capables de disséminer ainsi les graines du cacaoyer. Ce dernier se met alors à péricliter et disparaît peu à peu jusqu’à ne plus subsister qu’à l’état résiduel dans quelques secteurs forestiers de l’Équateur.

Heureusement, les humains le remarquent et se mettent à le cultiver il y a environ 5000 ans, prenant le relai des gomphothères disparus et sauvant ainsi d’une extinction inéluctable, une espèce égarée dans une impasse évolutive sans perspective : le chocolat revient de loin…

L. V.

Marignane : un téléphérique pour l’aéroport ?

3 février 2023

Développer le transport aérien dans le contexte actuel où l’objectif, bien difficile à atteindre, est plutôt de réduire les émissions de gaz à effet de serre, parait quelque peu schizophrénique tant ce mode de transport est considéré comme l’un des plus nocifs pour notre environnement. L’abandon du projet d’aéroport international sur le site de Notre-Dame des Landes aurait pu être considéré comme un signal fort traduisant ce désengagement progressif de la France du transport aérien de passagers.

Et pourtant, force est de constater que, loin de baisser, le trafic aérien, toujours aussi généreusement subventionné par les pouvoirs publics, a plutôt le vent en poupe ! Il en est ainsi de l’aéroport de Marseille-Provence, implanté à Marignane depuis 1922 : en 2003, le trafic observé y était de 5,3 millions de passagers par an pour 87.000 vols enregistrés. Dix ans plus tard, en 2013, ce trafic avait augmenté de plus de 50 % pour s’établir à 8,3 millions de passagers annuels pour 10.000 mouvements commerciaux supplémentaires dans l’année, et en 2019, l’aéroport a franchi le cap des 10 millions de passagers par an !


L’aéroport Marseille Provence à Marignane, en pleine expansion malgré la crise climatique (source © L’Usine nouvelle)

Depuis, la crise du CoVid a donné un coup d’arrêt temporaire à cette expansion, mais les derniers chiffres publiés indiquent que sur l’année 2022 ce sont pas moins de 9,1 millions de passagers qui ont transité par cet aéroport qui connait donc de nouveau une très forte activité et se place à la troisième place des aéroports régionaux français derrière Nice et Lyon.

Se pose du coup la question de l’accès à cet aéroport jusqu’à présent très mal desservi par les transports en commun en dehors d’une navette par bus depuis la gare Saint-Charles. Il a été longtemps question d’y développer une liaison spécifique par bus à haut niveau de service disposant d’une voie dédiée sur l’autoroute pour lui éviter les embouteillages quotidiens sur ce trajet très chargé.

Les services de la Métropole planchent depuis des années sur le sujet mais ils viennent de proposer aux élus un projet très différent et plutôt novateur, sur la base d’une étude de faisabilité déjà ancienne puisque réalisée en décembre 2018 par DCSA, une entreprise spécialisée dans le transport par câble et basée à Grenoble. Cette dernière propose ainsi de relier par téléphérique le terminal de l’aéroport à la gare TER de Vitrolles, remise en service en 2008 et dénommée pompeusement VAMP (Vitrolles Aéroport Marseille Provence).


La gare SNCF de Vitrolles aéroport Marseille Provence (source © Maritima)

Bien desservie par plus de 70 trains par jour, cette gare permet déjà d’acheminer les voyageurs à proximité du site, mais dans un lieu malcommode car coincé de l’autre côté de l’autoroute, au pied du haut plateau calcaire sur lequel est perché le vieux château de Vitrolles et sa tour sarrasine. C’est justement en tenant compte de cette configuration si particulière que s’est imposée l’idée d’une liaison par téléphérique, laquelle permettrait de transporter jusqu’à 1200 personnes par heure (un peu moins avec leurs bagages…) entre la gare et l’aéroport, avec un départ toutes les 6 minutes !


Maquette du projet de liaison par téléphérique vers l’aéroport depuis la gare de Vitrolles, par-dessus l’autoroute, et vue de la future rampe d’accès à la gare en premier plan (source © Foster and Partners / GoMet)

La liaison par téléphérique en site urbain n’est pas encore très habituelle, même si celle de la Bastille, à Grenoble date déjà de 1964, mise en service à l’occasion des jeux olympiques d’hiver, et que bien d’autres se sont développées depuis, notamment dans les grandes métropoles d’Amérique du Sud et plus récemment dans plusieurs villes algériennes. En France, la ville de Brest dispose d’une telle liaison urbaine par câble de plus de 8 km au-dessus de la rivière Penfeld et de l’arsenal, opérationnelle depuis 2016 et une autre est désormais en service depuis mai 2022 à Toulouse au-dessus de la Garonne.


Cabines du téléphérique Teleo à Toulouse inaugurées en mai 2022 (photo © Patrice Nin / Toulouse Métropole / Actu)

Actionné à l’électricité, ce mode de transport présente un impact écologique modéré, permet des délais d’attente assez brefs pour les passagers et est particulièrement bien adapté pour ce type de trajet très court (1 km seulement) mais avec de fortes contraintes topographiques liées notamment à la présence de l’autoroute à traverser. Le développement d’une telle infrastructure peut être relativement rapide et la Métropole qui en a adopté le principe lors de son conseil métropolitain du 19 janvier 2023 et a voté les crédits à hauteur de 3 millions d’euros pour les études préalables et l’assistance à maîtrise d’ouvrage, compte sur une mise en service fin 2027.

Cette nouvelle liaison s’inscrit assez naturellement dans le projet de développement de la zone d’activité de 80 ha dénommée Cap Horizon, lancée en 2015 et qui s’étend à 500 m de la gare. Dès cette année, les travaux devraient débuter pour y aménager un vaste parking-relai de 450 places sur 3 niveaux, une nouvelle gare routière et un ascenseur incliné permettant de relier dès 2024 la gare au plateau qui la surplombe. Cette liaison par téléphérique viendra donc compléter utilement ce nouveau dispositif, permettant d’acheminer depuis la gare jusqu’à 3.600 passagers par jour !


Maquette de la future gare du téléphérique devant l’aérogare de Marseille Provence (source © Foster and Partners / Made in Marseille)

Reste que le coût du projet n’est pas négligeable, évalué à ce jour à au moins 31 millions d’euros. La Métropole annonce d’ores et déjà qu’elle ne le prendra pas en charge dans sa totalité, escomptant pour cela sur des cofinancements de la Région et du Département, voire de l’Europe, mais aussi de l’aéroport et de la société Airbus Helicopters qui devrait apporter à eux deux de l’ordre de 20 % du financement, correspondant à la construction des gares implantées sur leur site respectif. En effet, le site industriel d’Airbus, ex Eurocopters, qui emploie de l’ordre de 9000 salariés à Marignane, sera un des gros bénéficiaires de cette infrastructures puisque le projet prévoit une gare intermédiaire sur sa propre implantation que les futurs œufs du téléphérique survoleront largement.


Tracé imaginé pour le futur téléphérique entre la gare de Vitrolles et l’aéroport Marseille-Provence avec une halte intermédiaire sur le parking d’Airbus (source © Made in Marseille)

Il y a quelques années, Jean-Claude Gaudin avait rêvé d’un téléphérique pour monter à la Bonne Mère mais le projet s’était noyé dans les eaux troubles du Vieux Port. C’est donc Martine Vassal, celle qui lui a succédé à la tête de la Métropole Aix-Marseille-Provence, sinon dans son fauteuil de maire, qui lancera peut-être le premier téléphérique de l’agglomération, non pas sur le territoire de la cité phocéenne mais entre ses voisines de Vitrolles et de Marignane : mine de rien, en matière de transport, la Métropole commence à avancer peu à peu…

L. V.

Marseille : la mairie adopte une girafe…

7 janvier 2023

C’est le quotidien La Provence qui l’a annoncé triomphalement mercredi 4 janvier 2023 avec ce titre quelque peu exotique : « La girafe Zarafa adoptée hier par la mairie de secteur »… En l’occurrence, cette annonce tout à fait officielle de la Maire de secteur des 1er et 7e arrondissements de Marseille, Sophie Camard, ainsi relayée par la presse locale, fait référence au fait que la girafe en question, accompagnée de son petit girafon Marcel, sédentarisée depuis quelques années déjà sur le haut de la Canebière, va enfin recevoir des papiers officiels, sous forme d’une convention d’installation en bonne et due forme pour lui permettre d’occuper ainsi l’espace public.

La girafe Zafara sur la place Léon Blum enfin adoptée officiellement (photo © David Rossi / La Provence)

Une régularisation administrative en quelque sorte, un peu tardive certes quand on sait que la girafe Zarafa en question a débarqué sur le port de Marseille en 1826, non pas clandestinement comme nombre de ses compatriotes actuels, mais en grandes pompes, cadeau officiel du pacha d’Égypte, Méhémet-Ali, au roi de France de l’époque, Charles X.

En ce temps-là, le vice-roi d’Égypte, arrivé au pouvoir 2 ans plus tôt, s’échinait à moderniser son pays, développant la culture du coton, créant des écoles et une administration plus performante et envisageant même de créer une ligne de chemin de fer pour relier Le Caire à Suez où il entrevoyait déjà l’intérêt du percement d’un canal. Un visionnaire, mais qui restait sous le joug de l’empire ottoman encore tout puissant et dont il n’était qu’un vassal.

Portrait de Méhémet-Ali, vice-roi d’Egypte, par Auguste Couderc en 1841 (photo © Gérard Blot / Musée national du Château de Versailles / RNMN / Muzeo)

Cherchant à se rapprocher de la France, il prend conseil auprès du consul général de France en Égypte, un certain Bernardino Droverti, ancien soldat de Napoléon 1er ayant participé à la campagne d’Égypte. Lui-même versé dans le commerce d’animaux exotiques alors florissant à une époque où l’on ne se préoccupe guère de préserver la biodiversité, le consul suggère de faire présent au roi de France d‘un animal emblématique.

Des soldats égyptiens en poste à Khartoum, au Soudan, ayant abattu une girafe, se retrouvaient depuis avec deux petits girafons sur les bras, dont ils ne savaient trop que faire… On les transfère donc au Caire où ils sont pris en charge par Atir, un ancien esclave soudanais au service du sieur Droverti. Mais la situation attise immédiatement la convoitise du consul anglais qui fait des pieds et des mains auprès du pacha pour réclamer lui-aussi sa girafe. Pour éviter une nouvelle crise internationale, les 2 girafons sont tirés au sort et le hasard veut que le plus chétif des deux revienne aux Anglais mais il meurt quelques semaines plus tard à son arrivée à Londres…

Quant à la girafe française, elle embarque sur une mini arche de Noé, accompagnée de 3 vaches soudanaises destinées à lui fournir sa ration quotidienne de 20 à 25 litres de lait, de 2 antilopes et d’un général qui rentre lui-même de mission en Égypte avec ses 2 chevaux. On aménage le pont pour que le girafon puisse passer la tête et admirer le paysage grâce à son long cou autour duquel se balance un pendentif contenant des versets du Coran : on ne badine pas avec la tradition ! Ainsi paré, l’équipage débarque à Marseille le 23 octobre 1826.

Le girafon Zarafa embarquant pour Marseille dans le port d’Alexandrie en 1826 (source © Bibliothèque du Museum national d’histoire naturelle / Sud-Ouest)

Après une quarantaine obligatoire, la ménagerie est autorisée à entrer en ville le 18 novembre et le girafon rejoint ses nouveaux appartements, en l’occurrence une écurie douillettement chauffée, gracieusement mise à disposition par le Préfet des Bouches-du-Rhône de l’époque, le vicomte de Villeneuve-Bargemont, pour que l’animal puisse y passer l’hiver au chaud. On le sort néanmoins chaque jour pour une petite balade digestive, pour la plus grande joie des Marseillais, tout ébaubis de voir un tel animal, tandis que le jeune girafon assure le succès des banquets organisés par l’épouse du Préfet.

Jusque-là en effet seuls 3 autres spécimens de girafes avaient pu être aperçues en Europe depuis la chute de l’empire romain au cours duquel il est arrivé que l’on parvienne à ramener vivantes quelques girafes destinées à finir dans la gueule des lions devant des milliers de spectateurs surexcités, Jules César en personne étant réputé avoir rapporté la première en l’an 46 avant notre ère. Il fallu ensuite attendre un peu avant 1240 pour que l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen reçoive une girafe en cadeau de la part du sultan égyptien Al-Kamil, tandis que vers 1261 le roi d’Espagne Alphonse X hérite à son tour d’une girafe pour agrémenter sa ménagerie de Séville. Mais c’est la girafe offerte en 1487 au Florentin Laurent le Magnifique qui est surtout restée dans les mémoires, bien qu’elle ait survécu à peine plus d’un an aux rigueurs du climat italien.

Le passage de la girafe près d’Anay-le-Duc, tableau de Jacques Raymond Brascassat en 1827 (source © Musée des beaux-arts de Beaune / Radio France)

Toujours est-il qu’en avril 1827 arrive à Marseille le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire, ancien de l’expédition d’Égypte devenu professeur au Muséum d’Histoire naturelle de Paris. Il prend le temps de faire confectionner un vêtement imperméable et un bonnet à la girafe avant de prendre la route avec elle le 10 mai 1827 pour parcourir à pied les 880 km jusqu’à Paris, accompagnés d’une escouade de gendarmes et des 2 vaches soudanaises qui ont survécu, ainsi que des 2 antilopes et d’un mouflon. Le convoi finit par arriver dans la capitale le 30 juin et la girafe est solennellement présentée au roi à Saint-Cloud le 9 juillet, s’offrant le luxe de venir brouter quelques pétales de rose dans la paume du souverain, avant de se voir parquée au Jardin des Plantes avec une troupe d’Amérindiens, pour la plus grande curiosité des badauds parisiens, déclenchant une véritable passion pour cet animal exotique aussi étrange dont les représentations se multiplient un peu partout. La girafe finit paisiblement sa vie en 1845 et sa dépouille, empaillée, est depuis exposée au Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle. Le nom de Zarafa qui lui est restée, lui fut cependant attribué bien après sa disparition…

Gravure représentant la fameuse girafe offerte au roi de France en 1827 (source © Histoires royales)

C’est portant ce nom qui a été retenu par l’association Art Book Collectif (ABC) pour édifier en février 2009, sur la place Léon Blum, en face des allées de Meilhan, à l’occasion du premier festival du livre de la Canebière une forme de girafe de 6 m de haut, constituée d’un empilement de 3000 livres, en hommage au girafon qui débarqua jadis à Marseille et dont l’histoire, quelque peu déformée, a inspiré depuis un dessin animé franco-belge diffusé en 2012.

Le 15 mai 2010, Zafara s’enflamme, dans le feu de la victoire de l’OM en championnat de France (source © Tourisme Marseille)

Malheureusement, l’amour des livres et du ballon rond font souvent mauvais ménage et le second l’emportant généralement dans la cité phocéenne, la sculpture en question est partie en fumée le 15 mai 2010, victime d’un autodafé allumé par une bande de hooligans avinés qui fêtaient bruyamment le championnat de France que venait de remporter l’OM. Dès l’été 2010, nullement découragé, le collectif ABC se remettait au travail et érigeait à la place une nouvelle sculpture, munie cette fois d’une structure métallique plus pérenne et accompagnée de son girafon surnommé Marcel, lequel sert de borne d’échange de livres d’occasion.

En 2015, Zafara III et son petit girafon Marcel (photo © Art Book Collectif / Destimed)

Une œuvre d’art inaugurée en grandes pompes le 11 octobre 2010 en présence de Michel Vauzelle, alors président de la Région PACA, restaurée en 2015 malgré l’opposition du maire de secteur de l’époque, Sabine Bernasconi qui ne voulait pas en entendre parler, et dont la mairie de Marseille demande le déménagement quelques années plus tard, en novembre 2018, pour laisser la place au chantier de construction du complexe cinématographique, l’Artplexe. La girafe restera finalement tanquée derrière une palissade de chantier le temps des travaux mais il est désormais question de refaire entièrement l’aménagement de la place Léon Blum dont les travaux ont débuté en octobre dernier. D’où la décision de la mairie de secteur de répertorier enfin officiellement cette œuvre d’art, initialement éphémère mais devenue emblématique, désormais adoptée par la commune qui se chargera donc de la restaurer et de l’installer durablement dans son nouvel écosystème…

L. V.

Cet été, sous-traitez la gestion de vos mails…

30 juin 2022

Avec le télétravail, voilà une situation qui n’est pas prête de s’arranger ! Tout le monde est devenu accro aux nouveaux outils de communication numérique et chacun passe sa vie sur son smartphone ou devant son ordinateur pour ne pas rater d’une seconde le dernier message reçu, même si son contenu est aussi futile qu’inutile…Dans le milieu professionnel il est désormais considéré comme un outrage de la dernière espèce que de ne pas répondre dans la minute à un e-mail, comme si chaque message exigeait une réponse immédiate, quitte à dire simplement qu’on a bien reçu le message et qu’on prend le temps de le traiter…

Il est loin le temps où tout se gérait par courrier et où chacun avait la patience d’attendre quelques jours, voire quelques semaines, avant de recevoir une réaction à sa demande. Être connecté en permanence pour pouvoir répondre à tout moment à n’importe quel message même le plus anodin, de son patron comme de ses subordonnés ou de ses partenaires, est en passe de devenir une exigence de base, au risque de faire baisser considérablement la productivité des professionnels, désormais incapables de se concentrer plus de 5 minutes sur un travail minutieux ou la rédaction d’une note de fond, sans devoir tout interrompre sur le champ pour tapoter sur son clavier « Bonjour, j’ai bien reçu votre proposition et je vous en remercie. Je ne manquerai pas de vous recontacter dès que possible à ce sujet et je vous adresse, en attendant, mes plus cordiales salutations… »

Un dessin de Gérard Mathieu dans la Charte pour un bon usage de la messagerie informatique dans la vie professionnelle (source © ORSE)

Cette nouvelle plaie des temps modernes est devenue tellement intrusive que plus personne ne s’étonne désormais de recevoir sur les coups de 2 heures du matin, dans la nuit du dimanche au lundi, un mail de son patron qui confirme qu’il a bien lu votre note et qu’il vous propose d’en parler de vive voix à l’occasion… Et en période estivale, même quand on est en vacances, en train de buller sur la plage, de réparer la toiture de sa vieille maison de campagne qui tombe en ruine au fin fond de la Lozère, ou de se retrouver autour d’un feu de camp au soir d’une méharée dans le désert, la tentation est grande de quand même jeter un coup d’œil à ses mails professionnels, histoire de s’assurer qu’il n’est rien arrivé d’exceptionnel en votre absence au bureau…

Lire ou ne pas lires ses mails pendant ses congés, telle est la question… Un dessin signé Alsy (source ©
Les Moutons / France 3 Régions)

Et vous voila parti pour une petite heure, ou une longue nuit, à prendre connaissance de toutes sortes de futilités que vous auriez tout aussi bien pu attendre une semaine ou deux avant de découvrir. Sauf que la pratique s’est tellement généralisée que, selon un sondage récent, au moins 55 % des personnes interrogées reconnaissent consulter leurs e-mails professionnels pendant leur congés ! Le droit à la déconnexion est encore un long combat, peut-être même perdu d’avance…

Le droit à la déconnexion, pas encore totalement entré dans les mœurs : un dessin signé Wingz, pour la CFDT banques et assurances

C’est en tout cas fort de ce constat que l’Office national islandais du tourisme a eu l’idée de développer, au bénéfice des voyageurs qui viennent passer leurs vacances en Islande, un service de messagerie permettant de générer des messages personnalisés d’absence, histoire que ses visiteurs puissent garder l’esprit tranquille, lâcher les rênes et profiter à fond des merveilles naturelles de cette île aux paysages grandioses, sans être en permanence pollués par les messages intempestifs du bureau.

Aurores boréales au dessus du Mont Kirkjufell, en Islande (source © National Geographic)

L’originalité du dispositif est que les proposés mis à contribution pour générer vos messages de réponse pendant que vous vous prélassez dans une source d’eau thermale perdue au milieu de nulle part, sont des petits chevaux islandais, cette race emblématique du pays, trop souvent assimilée à des poneys. On les voit donc, sur la vidéo de promotion de l’Office du tourisme islandais, en train de tapoter plus ou moins nerveusement du sabot, sur d’immenses claviers d’ordinateurs en pleine nature. Une prestation déjà adoptée par plusieurs milliers de touristes et dont le nom en soit est tout un programme : « Outhorse your email », autrement dit « sous-traitez vos e-mail » avec un jeu de mots des plus subtils sur ces chevaux en extérieur qui s’en chargent à votre place…

Faites écrire vos mails professionnels par un cheval islandais… (source © kbd.news)

Bien évidemment, le résultat de leur piétinement quelque peu aléatoire risque de laisser assez perplexe votre patron qui voulait savoir de toute urgence si vous serez bien rentré à temps pour l’accompagner le 18 à 9H45 pour aller signer ce fameux contrat. Le message de réponse lui indique en effet qu’un cheval islandais se permet de l’informer que la personne qu’il cherche à contacter est momentanément indisponible, le tout suivi du message énigmatique suivant, tapé par le cheval lui-même : « jjjjjjklmù*2222222222 »

Il n’est pas absolument certain que ce message le rassure totalement sur la fiabilité voire la bonne santé mentale de son employé temporairement absent, mais l’essentiel est que ce dernier passe de bonnes vacances aussi reposantes que dépaysantes dans les étendues sauvages et verdoyantes islandaises. C’est en tout cas le message que cherche manifestement à véhiculer l’office de tourisme de ce pays, Visit Iceland, lequel en profite pour truffer sa vidéo promotionnelle de paysages tous plus attractifs les uns que les autres : savoir bien communiquer ne consiste pas seulement à répondre à ses mails en temps et en heure : c’est un vrai métier…

L. V.

Art Explorer : un bateau-musée à Marseille

22 Mai 2022

Réduire la fracture culturelle en facilitant l’accès du plus grand nombre au monde de l’Art, telle est l’ambition affichée du fonds de dotation Art Explora, créé en 2019 par l’entrepreneur français Frédéric Jousset, doté d’un capital de 4 millions d’euros et dirigé par l’ancien président de l’UNEF puis premier adjoint démissionnaire d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, Bruno Julliard.

Le futur bateau-musée et son village culturel tel qu’il devrait se présenter lors de son escale dans le Vieux-Port de Marseille, en 2023 si tout va bien… (source © Art Explora / Made in Marseille)

Le dernier projet en date de ce fonds de dotation consiste ni plus ni moins qu’à construire un immense catamaran à voile de plus de 46 m de long et 55 m de hauteur, le plus grand du monde, capable d’accueillir à son bord jusqu’à 2000 visiteurs par jour, et 10 000 dans le village culturel ambulant qui sera érigé à quai, pour dialoguer avec des artistes embarqués pour une croisière tout autour de la Méditerranée, et visiter une exposition sous forme de galerie immersive.

Un projet ambitieux dont le coup d’envoi avait été donné lors de l’Exposition universelle de Dubaï qui s’est achevée le 31 mars 2022 et où la fondation Art Explora représentait les Arts et la Culture au Pavillon de la France, autour de la thématique « Connecter les esprits, construire le futur » : tout un programme ! Parmi de nombreuses productions artistiques figurait donc une présentation de ce projet, dénommé Art Explorer, de ce catamaran géant destiné à parcourir les eaux de la Méditerranée avec son exposition culturelle itinérante artistique et numérique.

La maquette du futur bateau-musée en cours d’installation à Marseille (source © Art Explora / France Bleu)

Et en attendant que ce projet devienne réalité, a priori en 2023, et s’amarre sur le quai du Vieux-Port, face à l’hôtel de ville, les Marseillais ont d’ores et déjà la possibilité de se faire une idée du projet en accédant à une exposition gratuite de la maquette du bateau, installée sur le Vieux-Port pendant 10 jours, du 19 au 29 mai. Outre la maquette du futur catamaran, les visiteurs peuvent ainsi découvrir l’itinéraire qu’empruntera le catamaran Art Explorer, à partir de l’automne 2023 et jusqu’à fin 2025 avec pas moins de 20 escales dans des ports de la Méditerranées, répartis dans 15 pays différents. Expérience immersives et sonores à bord du bateau, festival, expositions et ateliers à quai, autant d’occasion de dialoguer autour de l’art et des cultures méditerranéennes sur des thématiques allant du droit des femmes aux enjeux environnementaux et sociaux en passant par les défis migratoires ou éducatifs…

Vue d’ambiance du futur village culturel associé au projet Art Explorer (source © Jean-Michel Wilmotte architecte et associés / Art Explora)

Conçu par l’architecte naval Axel de Beaufort, le catamaran, qui sera alimenté en électricité par modules solaires, est actuellement en construction en Italie, tandis que les espaces d’exposition à quai, à la fois modulables et transportables, sont conçu par l’agence d’architecture Willmotte & associés, à base de conteneurs recyclés favorisant le transport et le stockage tout en réduisant l’empreinte environnementale du projet. A bord, une exposition montée en partenariat avec le musée du Louvre sera centrée sur la représentation des femmes dans l’art méditerranéen et le rôle des figures féminines dans la production artistique au fil des âges.

Ce projet s’inscrit dans la continuité d’une autre expérience d’exposition itinérante, également soutenue par la fondation Art Explora en association avec le Centre Georges Pompidou à Beaubourg, mais qui avait été lancée dès 2011 sous la forme d’un gros camion servant de musée mobile, le MuMo, permettant de rendre accessible l’art contemporain un peu partout au gré de ses étapes. Initié en 2011, ce musée mobile a permis de faire découvrir l’art moderne à plus de 150 000 personnes en établissement scolaire, foyers fermés, EHPAD ou centre social, surtout dans de petites villes et en quartier prioritaires de la Politique de la Ville.

Le musée mobile lors d’une étape (photo © Fany Trichet / CNAP)

Le fonds de dotation Art Explora, qui envisage de se transformer à brève échéance en fondation reconnue d’utilité publique pour augmenter ses capacité d’attraction de nouvelles sources de financement, dons privés et legs en plus des dotations généreuses de grandes entreprises, a été fondé par l’entrepreneur Frédéric Jousset, dont la mère était conservatrice en chef au musée Beaubourg, ce qui explique sans doute cette attirance pour le domaine culturel. Formé à HEC et après plusieurs expériences dans le domaine du marketing puis du conseil en stratégie, il a fondé en 2000 la société Webhelp, devenue en quelques années un leader dans le domaine des centres d’appel et solutions clients, ce qui lui a permis d’amasser une belle fortune personnelle, estimée à 250 millions d’euros.

Frédéric Jousset, l’entrepreneur mécène fondateur d’Art Explora (source © Entreprendre)

Membre depuis 2007 de la commission des acquisitions du musée du Louvre, dont il est administrateur depuis 2016, il a notamment participé au financement d’un chantier de fouille au Soudan, à l’élaboration du site Internet pour le musée consacré aux enfants, ainsi qu’à la réalisation de cycles de conférences d’histoire de l’art en prison. Il est également propriétaire de Beaux Arts magazine dont il a développé la version numérique, et concessionnaire de l’hôtel du Relais de Chambord, situé en face du château…

Un vrai mécène à l’ancienne, donc mais qui sait parfaitement jongler avec les outils d’optimisation fiscale et son réseau d’accointances politiques pour mettre en œuvre des projets artistiques permettant de favoriser la diffusion des œuvres y compris dans certains milieux qui en sont traditionnellement éloignés : nul ne s’en plaindra et les Marseillais auront certainement à cœur d’aller découvrir ce futur musée flottant dès qu’il accostera sur le Vieux-Port !

L. V.

Ces Français qui ont découvert l’Australie

27 avril 2022

Terra australis incognita : la terre australe inconnue, fait partie de ces idées plus ou moins mythiques, issues de l’Antiquité, introduite notamment par Aristote puis développée par Ptolémée, ce scientifique grec du 1er siècle après J.-C. dont la Géographie est une remarquable compilation des connaissances mondiales de l’époque et qui était persuadé de l’existence d’un vaste continent entre le pôle sud et l’Océan indien. Dès la Renaissance, ce continent apparaît sur plusieurs cartes et en 1504, le Français Binot Paulmier de Gonneville, parti justement à la recherche de ces terres australes fut peut-être l’un des premiers Européens à accoster sur les côtes brésiliennes.

Toujours est-il qu’à partir de 1515, on voit apparaître sur la mappemonde du cartographe allemand Johan Schröner un véritable continent positionné au sud du détroit de Magellan et dont les contours rappellent vaguement ceux de l’Australie. De cette époque date une étrange confusion entre ces terres australes de l’Antarctique et le continent australien lui-même dont la connaissance originelle se serait transmise à partir des expéditions chinoises du XVe siècle, dont auraient eu vent certains commerçants arabes et européens.

Bateaux de James Cook, explorant les îles Kerguelen en 1776 (source © Bibliothèque nationale de France / Assemblée nationale)

Rien de tel en tout cas pour attiser la curiosité des marins les plus intrépides dont celle du navigateur français Yves Joseph Kerguelen de Trémarec qui, en mars 1771, se voit confier par le ministre de la marine de Louis XV, la mission d’aller découvrir ce « très grand continent dans le sud des îles Saint-Paul et Amsterdam, et qui doit occuper une partie du globe depuis les 45 degré de latitude sud jusqu’aux environs du pôle ». Deux vaisseaux sont affrétés pour cela. A bord de La Fortune, Kerguelen découvrira effectivement en février 1772 un archipel qu’il retournera explorer en 1776 et à qui il donne le nom d’Australasie.

Vue satellite de l’archipel des Kerguelen (source © Mapcarta)

Une irruption bien peu durable d’ailleurs puisqu’il fallu attendre 1893 pour que la France en prenne officiellement possession et même 1949 pour que l’Assemblée nationale décide enfin de faire acte de souveraineté sur ces îles Kerguelen, alors que d’autres îles du secteur, pourtant découvertes par les Français s’étaient vues accaparer par d’autres nations. C’est d’ailleurs un certain François Mitterrand, alors jeune ministre de l’Outre-mer, qui, en 1955, créa l’administration des Terres australes et antarctiques françaises qui englobent toujours, outre les îles Kerguelen, les îles Crozet, les îles Amsterdam et Saint-Paul, la terre Adélie et, depuis 2007, les îles Éparses.

Mais lors de l’expédition de 1772, un second vaisseau, Le Gros Ventre, commandé par un autre Breton, Louis Aleno de Saint-Alloüarn avait accompagné La Fortune jusqu’aux abords des îles Kerguelen, permettant à l’enseigne Charles-Marc du Boisguéhenneuc, de débarquer le 13 avril 1772 sur l’île de la Possession. Gêné par le brouillard et la tempête de neige qui s’abattait alors sur ces terres hostiles, Le Gros Ventre avait alors perdu de vue La Fortune dont le capitaine Kerguelen avait levé l’ancre sans tarder, pressé qu’il était de rentrer à Paris annoncer au roi la bonne nouvelle de sa découverte.

Plage de la Possession, sur les îles Kerguelen, où accosta la chaloupe du Gros Ventre en 1772 (source © Iles Kerguelen / TAAF)

Après avoir vainement cherché son alter ego, Le Gros Ventre décide alors de poursuivre sa route comme prévu initialement et cingle vers l’Est où il arrive le 17 mars 1772 en vue des côtes occidentales de l’Australie, alors désignée sous le nom de Nouvelle-Hollande depuis que le navigateur Abel Tasman en avait cartographie la côte septentrionale en 1644. Peu auparavant, en 1768, le navigateur français Louis-Antoine de Bougainville, dans son tour du monde à bord de La Boudeuse, avait repéré la grande barrière de corail mais ses explorations s’étaient limité aux îles Tuamotu, à Tahiti, à l’archipel des Samoa, à celui de Vanuatu et aux îles Salomon. Saint-Alloüarn est dont bien le premier Français à accoster le 30 mars 1772 sur cette côte de l’ouest australien, alors largement inconnue.

Comme le veut la coutume, il envoie une chaloupe à terre, avec à son bord un certain Jean Mengaud de la Hage qui prend possession de la terre au nom du roi de France en enfouissant un message dans une bouteille avec deux louis d’or. Le bateau reprend sa route et cingle vers l’île indonésienne de Timor, alors portugaise, puis vers le port de Djakarta, aux mains des Hollandais et connu sous le nom de Batavia. Le capitaine comme son équipage sont épuisés et soufrent cruellement du scorbut. Ils finissent néanmoins par rallier Port-Louis, sur l’île Maurice, où Saint-Alloüarn rend l’âme le 27 octobre 1772, à 35 ans, après avoir écrit une longue lettre à Yves Kerguelen pour rendre compte de sa mission.

Côte sableuse de Turtle Bay sur l’île de Dirk Hartog, où le Gros Ventre accosta en 1772 (photo © Adams Family Travels / Camps Australia Wide)

Mais cela ne l’empêchera pas de tomber dans les oubliettes de l’Histoire tandis que 16 ans plus tard, le 18 janvier 1788, le Britannique Arthur Phillip, à la tête de 11 navires transportant près de 800 repris de justice, débarque à Botanic Bay, dans le golfe de Sidney pour y fonder une colonie pénitentiaire, là même où l’explorateur anglais James Cook avait débarqué en avril 1770 après avoir été le premier à longer la côte Est de l’Australie.

Le 16 janvier 1998, une expédition archéologique franco-australienne menée par Philippe Godard et Max Cramer, découvre un bouchon de bouteille en plomb et une pièce d’un écu datant de 1767, dans le sable de l’île Dirk Hartog, à Turtle Bay, à l’endroit même où Jean Mengaud les avait déposés le 30 mars 1772 pour prendre officiellement possession au nom du roi de France, de cette côte ouest de l’Australie qui aurait donc pu devenir colonie française !

Bouteille enfouie en 1772 sur l’île de Dirk Hartog et retrouvée en 1998 (source © Western Australian Museum)

Curieusement, les Français n’étaient d’ailleurs alors pas les premiers à débarquer sur cette île la plus occidentale de l’Australie, qui borde l’actuelle baie de Shark. C’est un navigateur hollandais, celui-là même qui a laissé à cette île dunaire son nom de Dirk Hartog, qui y a débarqué le premier, le 25 octobre 1616, alors qu’il se rendait du Cap au port de Batavia. Il y avait même laissé, en souvenir de son passage, une assiette en étain, suspendue à un arbre.

Assiette laissée sur l’île de Dirk Hartog en 1616 (photo © Rijksmuseum)

Et en 1697, un autre capitaine hollandais, Willem de Vlamingh, fit à son tour escale sur cette île, découvrit la fameuse assiette, la remplaça par l’une des siennes, et rapporta l’autre à Amsterdam où l’on peut encore l’observer au Rijksmuseum… Quant à celle de Vlamingh, c’est une expédition française, dirigée par Emmanuel Hamelin, qui l’a retrouvée en 1801, enfouie dans le sable après que son support en bois ait pourri au fil du temps. Remise en place, elle est finalement récupérée en 1818 par un autre Français, le cartographe Louis de Freycinet, à l’origine de la première carte complète des contours du continent australien. Perdue pendant des années, l’assiette de Vlamingh est finalement retrouvée à Paris en 1940, et restituée en 1947 à l’Australie où elle trône désormais au musée maritime de Fremantle.

Toujours est-il que la découverte de 1998 des vestiges de l’expédition de 1772 a fait beaucoup de bruit, au point de déclencher de nouvelles investigations qui ont abouti, le 1er avril de la même année, à la découverte d’une seconde bouteille, intacte celle-là et toujours cachetée avec son bouchon de plomb et un autre écu à l’intérieur. Aucun document n’attestant d’une volonté officielle d’annexion de l’Australie par la France n’a cependant été retrouvé à ce jour, et il en est sans doute aussi bien ainsi : on n’a pas besoin d’une nouvelle crise diplomatique en ce moment…

L. V.

Greenwashing : le retour des indulgences…

14 mars 2022

Alors que le conflit en Ukraine fait flamber les prix des carburants et que le réchauffement climatique nous pousse à revoir complètement nos modes de consommation pour tenter de limiter, s’il en est encore temps, nos émission de gaz à effet de serre, on se demande bien comment certains peuvent encore prendre l’avion qui reste l’un des modes de transport le plus impactant pour notre environnement. D’ailleurs, le confinement mondial lié à la pandémie de Covid-19 avait fait chuté le trafic mondial de passagers qui avait baissé de 75 % en 2020 selon l’Association internationale du transport aérien (IATA) et de 50 % pour les vols domestiques. Une tendance qui s’est poursuivie en 2021 puisque, selon l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), le nombre de passagers qui ont pris l’avion en 2021 est deux fois plus faible qu’en 2019, où il avait atteint le chiffre astronomique de 4,5 milliards !

L’aérogare d’Orly déserté et même fermé pendant le confinement à partir du 31 mars 2020 (photo © Noémie Bonnin / Radio France / France TV Info)

Les compagnies aériennes auraient ainsi perdu 342 milliards de dollars en 2021, qui s’ajoutent aux 372 milliards de manque à gagner déjà enregistrés en 2020. Une situation qui a de quoi apporter de l’eau au moulins des lobbies qui militent avec succès jusqu’à présent pour poursuivre le subventionnement très généreux du secteur de l’aviation civile par des aides publiques et empêcher la mise en place d’une taxation du kérosène. De telles mesures iraient pourtant de soi si l’on souhaitait réellement se conformer aux engagements de l’Accord de Paris qui vise à réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour tenter de limiter à 1,5 °C le réchauffement climatique global…

Seulement voilà, avec la reprise économique, les affaires reprennent et chacun se précipite de nouveau à l’aéroport pour un petit vol, symbole de confort et de liberté… Mais les communicants ont vu le vent tourner et désormais les compagnies aériennes rivalisent d’imagination pour faire croire à leurs clients que prendre l’avion n’a strictement aucun impact sur le climat et qu’il s’agit d’une activité totalement neutre en carbone. C’est le cas de cette publicité de la compagnie britannique low cost Easy Jet qui promet ni plus ni moins à ses clients « des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050 », en précisant bien (en plus petit…) « dès que les technologie innovante nous le permettront ».

Publicité d’Easy Jet épinglée par Jean-Marc Jancovici

Une belle promesse de Gascon, qui ne manque pas de faire réagir le scientifique Jean-Marc Jancovici, lequel, du coup s’engage lui-aussi, non sans une pointe d’humour : « dès que j’ai autant d’argent qu’Elon Musk je m’engage à acheter l’Amazonie pour la préserver ». Un argument commercial qui, de fait, n’engage pas vraiment le transporteur aérien puisqu’il repose uniquement sur un hypothétique développement scientifique qui permettrait un jour de faire voler des avions sans la moindre émission de CO2 : qui pourrait croire à une telle fable ?

D’autant que cette compagnie aérienne n’est pas la seule à mettre en avant ce type d’arguments, quelque peu fallacieux. Le 4 octobre 2021, lors de son assemblée générale qui s’est tenue à Boston, l’IATA a ainsi adopté une résolution qui fixe une objectif de neutralité carbone, autrement dit un solde nul de ses émissions de gaz à effet de serre pour toute l’industrie mondiale du transport aérien d’ici 2050. Un objectif particulièrement ambitieux et qui suppose des gains considérables dans la productivité des motorisations ainsi qu’un recours massif à des systèmes de propulsion alternatifs, via le recours aux moteurs à hydrogène notamment.

Les avions s’envolent vers la neutralité carbone pour 2050, vraiment ? (source © Shutterstock / L’Info durable)

Sauf que pour atteindre la neutralité carbone, il ne suffit pas de réduire ses émissions, même de manière drastique, il faut aussi les compenser en absorbant les gaz à effet de serre émis. Et pour cela, les industriel comptent sur un mécanisme très ingénieux qui est celui des compensations carbone. Une idée pas tout à fait neuve puisqu’elle remonte au protocole de Kyoto en 997 et qui consiste à acheter des droits à polluer auprès d’autres acteurs qui développent des actions permettant de réduire eux-mêmes leurs émissions de gaz à effet de serre, voire à les absorber.

Avec un peu de chance, les grandes compagnies aériennes qui s’engagent à exploiter des avions moins gourmands en carburant, vont ainsi générer en interne des systèmes de compensation qui vont permettre de couvrir leurs propres besoins et dont elles pourront même revendre les surplus à d’autres, dégageant au passage un petit bénéfice supplémentaire : il n’y a pas de petit profit !

La compensation carbone, le B-A, BA de la communication moderne d’entreprise (source © BP Superfioul)

Mais la planète ne s’en portera évidemment guère mieux car force est de constater que ces dispositifs de compensation carbone ne règlent rien. Il ne suffit pas de payer un tiers pour planter des arbres ou développer des projets de distribution de foyers améliorés dans les pays où l’on cuisine encore au feu de bois, pour que, comme par enchantement, les colossales émissions de gaz à effet de serre de nos sociétés modernes soient absorbées. Rien ne prouve d’ailleurs que les arbres plantés grâce aux surplus que vous aurez payé en achetant votre billet d’avion, ne seront pas rasés avant même d’arriver à maturité et de compenser par leur cycle végétatif l’énergie dépensée pour les mettre en terre…

Une forêt ne pousse pas du jour au lendemain et il faut des décennies avant qu’elle ne crée un écosystème prenne et équilibré qui permet effectivement de capter de manière durable du CO2 (qui, rappelons-le au passage, est restitué à l’atmosphère lorsque les arbres meurent ou sont brûlés). Une étude publiée en janvier 2021 dans la revue Nature, indiquait ainsi que le bilan carbone de la forêt amazonienne s’était très fortement amenuisé avec une émission annuelle de 1,1 milliards de tonnes de CO2 (pour une séquestration quasi équivalente de 1,2 Gt) liée aux incendies, à la déforestation et au développement de l’élevage. Quant aux forêts du Sud-est asiatique, elles ont perdu ces 20 dernières années leur pouvoir absorbant de CO2 et sont désormais une source d’émission de gaz à effet de serre !

Les forêts, poumon inépuisable de l’absorption des gaz à effet de serre, est-ce si simple ? (source © Ecotree)

Acheter des compensations carbone comme le proposent désormais la plupart des industriels est donc largement un leurre commercial, comme le dénonçait déjà en juin 2019 le PNUE (Programme des Nations-Unies pour l’environnement), rappelant que l’objectif à atteindre pour respecter l’Accord de Paris est de diminuer de 45 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, sans attendre donc les futurs moteurs propres que les compagnies aérienne appellent de leurs vœux pour 2050 ! Il faut bien entendu continuer à planter des arbres, protéger les forêts et les tourbières, mais il faut surtout changer nos modes de consommation pour réduire nos émissions…

Ces compensations carbone ressemblent fort à un alibi que les industriels mettent en avant pour donner bonne conscience à leurs clients et continuer le « business as usual ». Il n’est pas sans rappeler le dispositif des indulgences, développé par l’Église catholique, pour permettre de réintégrer les âmes déviantes dans le giron des croyants, moyennant la réalisation d’un acte de piété, et qui a fini par dériver vers une forme de commerce très lucratif, au point d’ailleurs de constituer l’un des points de critiques majeurs mis en avant par la Réforme calviniste. Réciter des Ave Maria n’a jamais permis de réparer les conséquences d’un acte délictueux et tout porte à croire que payer des compensations carbone ne nous permettra pas davantage de lutter efficacement contre le réchauffement climatique planétaire…

L. V.

Des avions qui volent à vide : logique !..

30 janvier 2022

En juillet 2021, la Commission européenne, toujours en pointe, comme chacun sait, dans son combat vertueux en faveur de la préservation de l’environnement, dévoilait une série de propositions audacieuses en vue d’accélérer le mouvement en faveur d’une transition écologique rapide pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La barre fixée est haute puisqu’il s’agit de réduire ces émissions de 55 % d’ici 2030, par rapport à l’année de référence 1990, l’objectif affiché étant de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050.

Contrairement à ce que les mauvais esprits pourraient imaginer, l’Union européenne se situe de fait dans une trajectoire plutôt vertueuse puisque ces émissions sont effectivement en voie de décroissance. Pour l’ensemble des 27 pays de l’UE pris dans leur globalité, l’Agence européenne de l’environnement évalue à 3,38 milliards de tonnes d’équivalent CO2 les émissions produites en 2020 alors que ce volume était estimé à 4,92 milliards de tonnes en 1990, soit une baisse de 31 % d’autant plus remarquable qu’elle s’est concentrée sur les 15 dernières années et est donc dans une phase d’accélération. Entre 1990 et 2007, cette baisse globale n’était que de 8,5 % ce qui représentait en moyenne moins de 0,5 % par an. Entre 2010 et 2020, la baisse a atteint 20 % soit un rythme de décroissance nettement plus prometteur qui atteint désormais 2 % par an…

Evolution des émissions de GES pour les 27 pays de l’UE depuis 1990 en millions de tonnes d’équivalent CO2 selon les chiffres déclarés dans le cadre de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (source © Agence européenne de l’environnement / Toute l’Europe)

Bien entendu, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. L’Allemagne reste bien évidemment, du fait de son poids démographique et de ses choix énergétique, le principal émetteur européen de gaz à effets de serre avec près de 840 millions de tonnes en 2019, mais ses émissions ont baissé de 13 % depuis 2010, ce qui est plutôt encourageant. Par comparaison et du fait de son mix énergétique très nucléarisé, la France, deuxième contributeur européen, n’a émis en 2019 que 455 millions de tonnes d’équivalent CO2 et affiche d’ailleurs une trajectoire très comparable entre 2010 et 2019.

Rapporté au nombre d’habitants, le volume des émissions françaises est plutôt flatteur avec en moyenne 6,8 tonnes de CO2 par tête de pipe, même si certains pays comme la Suède font mieux avec 5,2 tonnes de CO2 par habitant. Par comparaison, les Allemands émettent le double, avec 10,1  tonnes de CO2 par habitant et les Luxembourgeois, les cancres de la classe, en sont à 20,3  tonnes de CO2 par habitant ! Le Grand Duché ne se distingue pas seulement par ses pratiques fiscales douteuses, son système bancaire opaque, mais aussi par son empreinte écologique d’un autre âge…

Émissions de GES en 2019, rapportées au nombre d’habitant pour chaque pays de l’UE en millions de tonnes d’équivalent CO2 (source © Agence européenne de l’environnement / Toute l’Europe)

Toujours est-il que, malgré cette trajectoire globale plutôt encourageante, force est de constater que l’Europe n’atteindra pas l’objectif qu’elle s’est fixé pour 2030 : si elle continue sur sa lancée, elle devrait afficher à cette date une réduction de 41 % par rapport à 1990, loin des 55 % gravés dans le marbre… C’est pourquoi la Commission européenne a décidé l’été dernier de nouvelle mesures pour accélérer le mouvement, via notamment la réforme du marché du carbone, la disparition progressive des voitures à essence d’ici 2035 ou encore la taxation du kérosène.

Répartition des émissions de GES par secteur d’activité et évolution entre 1990 et 2017 (source © Agence européenne de l’environnement / Parlement européen)

Il faut savoir en effet que trois-quarts de nos émissions de gaz à effet de serre sont liés à la combustion de carburants fossiles. Ainsi, plus d’un quart de ces émissions est lié au seul secteur des transports (qui atteint même 30 % du total en France). Pire encore, ce secteur est le seul qui non seulement n’a pas diminué ses émissions mais les a augmenté de 33 % depuis 1990 ! Ainsi, les émissions de CO2 issues du trafic aérien international ont doublé au cours des 20 dernières années… Même si, à l’échelle européenne, les émissions dues au transport aérien et maritime, ne représentent qu’à peine 8 % du total, force est de reconnaître que ce secteur n’a guère fait d’effort jusqu’à présent et que son développement exponentiel le place dans le collimateur. D’où les réflexions en cours pour inciter notamment les compagnies aériennes à limiter enfin leurs émissions de gaz à effet de serre.

L’aviation, une source croissante d’émission de gaz à effets de serre, et de multiples autres nuisances… (source © Eco CO2)

Mais l’on apprend dans le même temps que des compagnies aériennes en sont réduites à faire voler leurs avions à vide, et ceci pour se conformer aux règles de cette même Commission européenne, lesquelles prévoient qu’une compagnie doit assurer au moins 80 % de ses créneaux d’atterrissage et de décollage, faute de les perdre la saison suivante. Avec la pandémie de Covid qui a donné un coup de frein temporaire aux déplacements internationaux, les compagnies aériennes n’ont d’autre choix, si elles veulent conserver leurs créneaux lors de la reprise d’activité, que de faire voler leurs avions à vide, comme l’armée a déjà l’habitude de le faire pour ne pas perdre ses dotations budgétaires en carburant l’année suivante !

Ainsi, la compagnie allemande Lufthansa a annoncé prévoir pas moins de 18 000 vols parfaitement inutiles, uniquement pour s’assurer le maintien de ses créneaux à l’avenir et éviter qu’ils ne soient redistribués à ses concurrents, dont les rois du low-cost, Wizzair ou Ryanair, qui lui taillent déjà des croupières. Certes, la Commission européenne a décidé d’abaisser à 50 % ce seuil déclenchant une perte des créneaux non exploités lors de l’exercice précédent, mais cela n’est pas encore suffisant et le ministre belge des transports a demandé d’abaisser encore ce seuil pour éviter 3000 vols inutiles à la compagnie Brussels Airlines.

Un dessin signé Berth paru dans Siné mensuel

En période de transition écologique, cela fait quand même un peu désordre de constater que le secteur le plus en retard dans ses efforts d’adaptation, et qui reste très subventionné, en est réduit à brûler ainsi du kérosène sans la moindre utilité, simplement parce que nos responsables politiques européens n’ont pas été capables de corriger à temps une mesure réglementaire susceptible de présenter des effets pervers redoutables. On vit décidément une époque formidable, mais on a encore une petite marge de progression…

L. V.

Il suffit de passer le pont…

28 septembre 2021

Georges Brassens le clamait déjà, dans sa ritournelle un peu coquine : « Il suffit de passer le pont / C’est tout de suite l’aventure ! ». Sauf que parfois, oser s’engager sur le pont, c’est déjà l’aventure…

Dans le Tarn, les plus intrépides s’engageront sans hésiter sur la passerelle de Mazamet pour une belle balade au pied de la Montagne Noire qui, par une ancienne voie romaine, permet de rejoindre le village médiéval d’Hautpoul, perché sur un piton rocheux, de l’autre côté des gorges de l’Arnette. Et pour traverser ces gorges, il suffit d’emprunter cette belle passerelle toute neuve, de 140 m de long, inaugurée en 2018, qui surplombe de 70 m le lit de la rivière. Malgré son aspect aérien et quelque peu arachnéen, la structure métallique munie de garde-corps inspire confiance et la traversée ne pose pas de problème, même pour ceux qui sont sensibles au vertige.

Passerelle de Mazamet, dans le Tarn (photo © Mairie de Mazamet / Actu.fr)

Il en est d’ailleurs de même pour les deux belles passerelles himalayennes qui permettent de traverser le lac de barrage de Monteynard-Avignonet, près de Grenoble. Celle qui enjambe le Drac mesure 220 m de longueur et le dénivelé, qui varie selon la cote des eaux dans le lac, peut atteindre au maximum 85 m, de même d’ailleurs que sa jumelle qui permet de franchir l’Ebron, sur une longueur plus modeste de 180 m.

Passerelle de l’Ebron, au dessus du lac de Monteynard dans l’Isère (photo © V. Thiébault / Trièves – Vercors)

Et pour ceux qui ne voudraient pas aller aussi loin pour éprouver cette douce sensation de vertige en traversant une passerelle qui tangue légèrement sous le poids des promeneurs, tout en jetant un œil inquiet sur le vide abyssal entraperçu au travers du tablier ajouré, les gorges de la Nartuby, à Trans-en-Provence, tout près de Draguignan sont la destination idéale. Longue de 70 m seulement et surplombant de 30 m les eaux de la Nartuby en contrebas, l’ouvrage, tout récemment inauguré en avril 2021, permet du moins d’imaginer comment cette petite rivière affluent de l’Argens, a pu le 10 juin 2010, grossir brusquement au point de ravager ses berges et causer de nombreuses victimes.

Passerelle au dessus des gorges de la Nartuby à Trans-en-Provence (photo © S. F. / Var Matin)

Assurément, les plus aventuriers n’hésiteront pas à franchir les frontières pour aller chercher plus loin des sensations encore plus fortes. En Suisse par exemple, près de Zermatt, où se trouve le plus long pont suspendu piétonnier des Alpes, une passerelle étroite, où l’on ne peut se déplacer qu’à a file indienne, et qui se déploie sur une longueur de près de 500 m. L’ouvrage, inauguré en 2017 sur la commune de Randa et qui porte le nom de son sponsor principal, Charles Kuonen, un commerçant en vins du Valais, domine la vallée de 85 m à son point le plus haut et donne accès à un panorama exceptionnel.

La passerelle suspendue de Randa en Suisse, longue de 494 m (source © Zermatt)

Mais depuis avril 2021, cet ouvrage, bien qu’exceptionnel, a perdu son titre de passerelle la plus longue du monde qui revient désormais à un autre ouvrage de franchissement piétonnier, de 516 m de longueur, construit à Arouca, au Portugal, et qui surplombe le Rio Palva, à une hauteur qui atteint 175 m. Un beau pont à haubans, de 4 m de largeur, dont le tablier métallique est suspendu par des câbles en acier et dont l’accès est payant et uniquement possible après réservation sur internet.

Passerelle d’Arouca, au dessus du Rio Palva, au Portugal (photo © AFP / 24 heures)

Et pourtant, il semblerait que la passerelle la plus longue du monde ne soit pas celle-ci mais celle de Baglung Parbat, au Népal, qui franchit la rivière Kaligandaki à une hauteur maximale de 122 m et dont la portée atteint 576 m de longueur ! Un ouvrage moderne avec tablier métallique et haubans en acier également, inauguré récemment en 2020, dans un pays où les passerelles vertigineuses sont légions.

La passerelle entre Baglung et Parbat, au Népal, la plus longue du monde (source © Reddit)

Un pays où les accidents ne sont pas rares non plus, comme celui qui s’est produit le 25 décembre 2017 à Chunchu, un village de l’ouest du pays, à 500 km de Katmandou, où une passerelle pourtant récente a brusquement cédé sous le poids cumulé d’environ 500 personnes qui se rendaient simultanément au marché voisin et qui ont été brusquement précipités dans les eaux glacées de la rivière Bheri qui tourbillonnent 30 m plus bas et qui a emporté au moins une centaine de corps.

Rupture de la passerelle de Chunchu le 25 décembre 2017 au Népal (source © La Croix)

On retrouve d’ailleurs encore dans ces régions montagneuses reculées des ponts traditionnels qui sont loin de répondre aux normes de construction actuels et dont le franchissement relève donc largement de l’acte de foi ou de l’inconscience. C’est le cas par exemple du pont suspendu Husseini, qui franchit au Pakistan la rivière Hunza. Bricolé par les habitants eux-mêmes à l’aide de câbles et de planches de récupération, cet ouvrage de franchissement qui ne devait être que provisoire, est toujours en place.

Pont Husseini au Pakistan : un ouvrage manifestement hors-normes… (source © Planet.fr)

Il subsiste dans le monde nombre de ces ponts construits en cordage, comme le pont de Carrick-a-Rede, en Irlande du Nord, même si la version actuelle, qui ne date que de 2004, est nettement plus sécurisée que celle qui était en place depuis 350 ans au moins. C’est d’ailleurs le point faible de ces ouvrages de franchissement en corde tressée qui doivent faire l’objet d’un entretien très régulier. Les ponts traditionnels Incas que l’on retrouve encore au Pérou, dont celui de Q’eswachaka, qui franchit sur 28 m de longueur les gorges de la rivière Apurimac, doivent en effet être refaits chaque année pour s’assurer de leur solidité. Les communautés Quechua locales se retrouvent donc tous les ans depuis au moins 5 siècles, pour refaire entièrement le pont à l’aide de cordes tressées à partir d’une herbe qui pousse sur l’Altiplano.

Pont en corde de Q’eswachaka au Pérou (source © Fibra award)

Dans d’autres contrées, cette utilisation de matériaux locaux biosourcés, dont les architectes du monde entier se gargarisent désormais, a été poussée à l’extrême avec l’édification de ponts vivants en racines d’arbres ! Cette pratique se retrouve notamment en Indonésie et surtout au nord-est de l’Inde, sur le plateau de Shillong où les peuples Khasi et Jaintia ont mis au point une méthode de construction astucieuse qui consiste à guider au dessus d’un cours d’eau les racines du Ficus elastica, souvent en les tressant entre elles pour renforcer leur résistance. Leur croissance naturelle finit par transformer ces racines fines et flexibles en un réseau suffisamment solide pour supporter le poids des piétons. Tant que continue à se développer l’arbre dont les racines aériennes ont ainsi été détournées de leur usage premier, le pont ne fait ainsi que gagner en résistance, ce qui ne manque en effet pas d’intérêt.

Ponts en racines tressées de Ficus, à Nongriat en Inde (photo © Rex Features / Daily mail)

Quant aux techniques de construction, elles sont très variables, certains ponts de ce type étant en fait édifiés à partir d’une structure préexistante en bois ou en bambou, servant à guider les racines dont la croissance viendra peu à peu renforcer et pérenniser l’échafaudage provisoire initial au fur et à mesure que celui-ci se dégrade. Une belle illustration d’un mode de construction durable basé sur des solutions proches de la nature et qui valorisent des matériaux naturels locaux…

L. V.

Communication : la SNCF perd une bataille !

9 août 2021

Les temps sont durs pour la SNCF, pourtant longtemps symbole de l’excellence du service public à la française et source de fierté nationale pour la ponctualité de ses trains et les prouesses techniques de ses TGV, à défaut de la qualité gastronomique de ses sandwichs.

Un TGV InOui en gare, aussi inouï que son nom l’indique ? (photo © Stéphane de Sakutin / AFP / Le Point)

Créée officiellement le 1er janvier 1938 par fusion des 5 grandes compagnies ferroviaires du pays, la Société nationale des chemins de fer français comptait alors 515 000 cheminots pour 42 700 km de voies ferrées. Devenue société anonyme depuis le 1er janvier 2000, la SNCF n’exploitait plus en 2019 que 27 500 km de réseau après avoir abandonné nombre de petites lignes devenues peu rentables depuis l’essor de la voiture dans les années 1960. Quant à ses effectifs, ils ont fondu de moitié, s’élevant en 2020 à un peu plus de 270 000 agents seulement. Au fil des ans, la qualité du service s’est détériorée, surtout pour les usagers des réseaux régionaux de TER et Intercités, confrontés aux retards incessants, aux pannes de matériel, aux annulations fréquentes et à une communication souvent défaillante.

En matière de communication justement, on a fini par oublier le slogan des années 1980, « la SNCF, c’est possible », lancé à l’époque de la mise en service du TGV, à une période où la France entière était fière de son train à grande vitesse, venu à point nommé surclasser le mythique Shinkansen nippon, au point que ce slogan a été détourné par plus d’un humoriste dont les Nuls avec leur petit boutiquier marocain Hassan Cehef.

Un sketch des Nuls, détournant le slogan de la SNCF en 1989, à revoir sur Youtube

Depuis, les grèves à répétition, le creusement de la dette, les accidents ferroviaires, l’augmentation des tarifs et la détérioration progressive de la qualité de service n’ont pas arrêté d’éroder la bonne image de cette entreprise de service publique, soumise en parallèle à de multiples réorganisations. Et voilà que la SNCF est désormais confrontée à l’ouverture à la concurrence sur nombre de lignes régionales. C’est notamment le cas en PACA où l’analyse des offres est en cours pour savoir qui exploitera, à partir de 2025, la ligne Marseille-Toulon-Nice, la plus fréquentée de toute la région avec 7000 voyageurs par jour, sur laquelle la SNCF se trouve en concurrence avec l’Italien Thello et la société Transdev.

Dans un tel contexte, il est bien naturel que les communicants de la SNCF s’efforcent d’améliorer l’image de marque du groupe. Telle était bien l’idée de la récente campagne lancée le 21 juillet 2021 par TGV InOui qui sollicitait, sur Twitter, les usagers de la SNCF pour faire partager leurs « expériences touchantes ou insolites à bord d’un train », précisant même, pour attirer le chaland et à grands coups d’Emoji, que « les auteurs des anecdotes les plus likées auront la chance de gagner des bons SNCF ».

Un concours d’anecdote lancé sur Twitter par la SNCF, avec des résultats mitigés… (source © Hitek)

Peut-être les lots annoncés n’étaient-ils pas suffisamment attractifs ? Toujours est-il que, en guise d’anecdotes savoureuses, la SNCF a surtout récolté des histoires de cauchemars vécus par ses clients du fait de son incurie. « J’ai en tête cette anecdote mémorable où il manquait une voiture sur le TGV, et c’était la mienne. Du coup, j’ai dû voyager débout avec une centaine d’autres personnes pendant 5 heures », relate ainsi un internaute ! Un autre évoque le souvenir d’un trajet Paris-Rennes quelque peu mouvementé : « Arrêt prolongé à Laval car un autre train est bloqué sur les voies plus loin. Le contrôleur annonce : « on en a pour une heure, vous pouvez descendre manger ». Dix minutes plus tard, le TGV repart sans aucune annonce, laissant la moitié de ses passagers sur le quai, avec leurs bagages dans le train »…

Tel autre voyageur se souvient surtout des 150 € d’amende qu’il a dû payer car il est par erreur monté dans le mauvais TGV qui ralliait la même destination mais partait 10 minutes plus tôt. Pour ne pas déranger et dès qu’il s’aperçoit de sa méprise, le voyageur s’installe sur la plateforme entre deux voitures et se signale de lui-même au contrôleur qui justement ne contrôlait pas, mais qui n’a rien voulu entendre…

Des retards qui pourrissent la vie des usagers… (photo © archives France 3 Régions)

Sans oublier l’histoire de cet autre voyageur qui se souvient surtout de « cette fois où la SNCF nous a expressément demandé d’attendre l’ouverture des portes du TGV pour sortir, qu’elles ne se sont pas ouvertes et que mon TGV a continué sa route vers Paris » ! Ou cet autre qui raconte : « Je suis arrivé pile à l’heure de départ de mon train. On a refusé que je monte à bord car il faut arriver 2 minutes avant. Résultat il est parti avec 20 minutes de retard devant mes yeux. J’ai dû payé un nouveau billet à 100 € pour partir deux heures plus tard ».

Bien sûr, toutes les anecdotes ne sont pas aussi cruelle que celle de ce jeune aveugle qui a dû payer une amende parce qu’il n’avait trouvé personne à la gare pour l’aider à valider son billet alors que le composteur était en panne. Certains même en rajoutent comme cette voyageuse qui raconte : « Je me souviens comme si c’était hier de cette fois où mon TGV est arrivé à l’heure …. J’étais si émue ».

Campagne de publicité pour la nouvelle marque InOui en 2018 (source © e-marketing)

Toujours est-il qu’à ce jour, la SNCF n’a pas annoncé de gagnant à son concours d’anecdotes et on imagine que l’agence de communication qui lui a soufflé cette idée de génie doit être bien embarrassée pour repérer quelques bonnes expériences dans cette accumulation de critiques et de déplacements en train, tous plus catastrophiques les uns que les autres. Comme quoi, une simple campagne de communication, aussi futée soit-elle, suffit rarement à regagner la confiance des usagers…

L. V.

HS2 : un projet qui divise

8 février 2021

Il y a décidément quelque chose de pourri au Royaume d’Angleterre… On se souvient que la privatisation de British Rail, l’équivalent local de notre SNCF, déjà amorcée par la « Dame de fer », Margaret Thatcher, et mise en œuvre par son successeur conservateur, John Major, en 1993, s’était soldée par un fiasco retentissant avec 4 accidents graves dans les quelques années qui ont suivi, dont celui de Hatfield en 2000 qui a amené à une réduction de la vitesse sur une bonne partie du réseau après qu’on se soit rendu compte des risques généralisés de déraillement du fait de la vétusté des rails.

Déraillement d’un train à Hatfield en 2000 (photo © Stefan Rousseau / PA Images / ITV)

L’affaire a permis de confirmer s’il en était encore besoin, que la privatisation n’est pas la panacée pour améliorer l’efficacité d’un service public et que cela peut même conduire à une baisse relative des investissement et à une dégradation de la qualité du service sur de nombreuses lignes, tout en provoquant un renchérissement des tarifs qui se sont retrouvés, en 2018, les plus élevés d’Europe.

Pour autant, l’ouverture du tunnel sous la Manche en 1994 ayant permis aux rames Eurostar de relier Paris à Londres, les Britannique ont rapidement entrepris de réaliser un premier tronçon de ligne à grande vitesse, la High Speed 1 (HS1). Achevée en 2007 sur une longueur totale de 109 km avec un quart de son parcours en tunnels, elle permet désormais aux Eurostars de relier la gare londonienne de Saint-Pancrace à Paris en 2h15 et à Bruxelles en 1h51 : un rapprochement européen qui n’a cependant pas suffi à arrimer durablement nos voisins britanniques à l’Union européenne…

Une rame Eurostar en gare (photo © Lex Van Lieshout / ANP / AFP / Le Point)

La construction de cette première ligne, dont le coût total a été estimée à 7,7 milliards de livres Sterling, n’a pas été une partie de plaisir et a occasionné nombre de restructurations à la suite de difficultés financières en cours de réalisation. Pour autant, l’ambition du gouvernement est désormais d’étendre vers le nord du pays cette ligne à grande vitesse, histoire de moderniser un peu le réseau ferroviaire qui date, pour une large part, de l’époque victorienne. En 2009, un rapport, constatant que le trafic passager avait augmenté de 50 % en 10 ans et celui du fret de 40 % sur la même période, prévoyait donc de lancer la réalisation d’une seconde ligne à grande vitesse permettant de relier Londres à Birmingham sur 163 km, avec ensuite deux branches distinctes, l’une vers Manchester et l’autre vers Leeds.

Tracé de la future ligne HS2 au nord de Londres (infographie © Department for Transport / BBC)

Restait quand même à trouver le financement pour un tel projet dont le coût est désormais estimé à plus de 100 milliards de livres Sterling, soit près de 116 milliards d’euros. En 2014, les Anglais n’ont pas hésité pour cela à se tourner vers la Chine et à signer un accord avec la China Development Bank, justement spécialisée dans le financement des grandes infrastructures ferroviaires et qui promettait de faire elle-même les travaux en moins de 5 ans… En février 2020, le gouvernement de Boris Johnson a donné son feu vert pour le lancement du projet HS 2 avec comme objectif que le premier tronçon relie Londres à Birmingham d’ici 2031. En avril 2020, le groupement composé du britannique Balfour Beatty et de Vinci s’est ainsi vu attribuer le marché de construction pour deux premiers lots de génie civil, tandis que Eiffage, en groupement avec l’anglais Kier, remportait deux autres lots d’ouvrages d’art, et que Bouygues, associé avec VolkerFitzpatrick, se voyait attribuer un lot de tunnels et viaducs.

Maquette d’une future gare du HS2 (source © HS2 Ltd / L’Usine nouvelle)

Mais les travaux risquent d’être mouvementés car ce projet dont le nom évoque irrésistiblement une vague odeur d’œuf pourri, typique des émanations d’hydrogène sulfuré H2S, est loin de faire l’unanimité au pays de Shakespeare. Dès l’été 2020, une vingtaine de militants écologistes opposés au tracé de ce gigantesque chantier de terrassement au travers du Parc régional de Colne Valley, à l’ouest de Londres, s’est mis à construire des cabanes dans les arbres et à y prendre ses quartiers en vue d’empêcher les travaux d’abattage. Une ZAD en bonne et due forme destinée à retarder au maximum l’avancée des tronçonneuses et qui se traduit par des heurts fréquents entre les forces de l’ordre et les militants déterminés de l’association Extinction Rébellion entourés de nombreux sympathisants.

Une cabane de militant perchée dans les arbres de la forêt de Colne Valley pour bloquer le chantier HS2 (source © Reporterre)

Et ce n’est pas tout car on apprend maintenant que d’autres militants ont creusé un tunnel d’une trentaine de mètres de longueur sous l’une des rues les plus passantes de Londres, à Euston Square Garden, toujours pour empêcher le démarrage du chantier du HS2. Excavé à très faible profondeur, un mètre à peine sous la chaussée, l’ouvrage n’est guère sécurisé. Ce qui n’empêche pas les militants de s’y enterrer avec eau et nourriture, de quoi endurer un siège qui pourrait se poursuivre car leur délogement risque d’être assez ardu. Une jeune activiste de 18 ans, Blue Sandford, que les médias s’amusent à comparer à la suédoise Greta Thunberg, passe pour leur égérie, tandis qu’un des protestataires, Daniel Hooper, qui s’était fait la main en protestant de la même manière contre un projet routier en 1996, occupe les lieux avec son fils adolescent.

Tunnel creusé par des militants de l’association Extinction Rébellion à Londres contre le projet HS2 (photo © Millie Boardman / AFP / Sciences & Avenir)

Ces militants considèrent que le coût d’un tel investissement serait probablement utilisé à meilleur escient s’il servait plutôt à réhabiliter et moderniser le reste du réseau ferroviaire national plutôt qu’à créer une ligne à grande vitesse qui ne profitera qu’à une minorité d’hommes d’affaires aisés. Un discours qui rappelle furieusement les débats agités autour de la conception de la LGV entre Paris et Nice. Pour une fois et après avoir pendant des années tout misé sur les lignes à grande vitesse réservées au TGV, le gouvernement avait fini par reconnaître qu’il valait en effet mieux moderniser et renforcer le réseau existant desservant Marseille et Toulon, ce qui permettait de profiter en même temps au trafic local. Un raisonnement qui mérite peut-être de s’exporter Outre-Manche…

L. V.

L’Afrique va-t-elle perdre sa corne ?

30 novembre 2020

La corne de l’Afrique, c’est cet immense territoire qui s’étend au sud de la mer Rouge et du golfe d’Aden jusqu’à la côte ouest de la mer d’Arabie, englobant notamment l’Éthiopie et la Somalie, sous la forme d’une corne de rhinocéros ou d’une oreille de cheval qui viendrait surmonter une tête d’animal vue de profil. Ce sont les Britanniques qui auraient les premiers utilisé cette expression qui s’est généralisée tant l’image est frappante, même si le paléontologue français Yves Coppens préfère comparer cette excroissance de l’Afrique à une hanche : chacun ses références…

Vallée du rift en Ethiopie (photo © Philippe Goachet / Trésors du monde)

Cette région de l’Est africain évoque irrésistiblement pour le géologue la notion de rift qui en anglais signifie fissure ou crevasse. C’est le géologue écossais John Walter Gregory qui en 1893, visitant les régions situées plus au sud, du côté du Kenya, a popularisé cette appellation de Rift Valley en publiant en 1896 son récit d’exploration. Mais le géologue autrichien Eduard Suess avait déjà avant lui, dès 1891, reconnu dans la suite de dépressions bordées de hauts plateaux qui constituent la suite des grands lacs de l’Est africain, un système de fossés d’effondrement, dénommés graben en allemand, et dont on retrouve des formes comparables dans la plaine de la Limagne ou dans le fossé rhénan en Alsace.

Ce n’est donc pas d’hier que l’on sait que cette vaste zone qui s’étend en définitive de la mer Rouge jusqu’au Mozambique est en fait le siège d’une intense activité géologique qui se traduit par une ouverture progressive qui sépare peu à peu la corne de l’Afrique du reste du continent, selon un jeu de failles successives, qui se dédoublent dans sa partie centrale, mais qui courent depuis Djibouti jusqu’au canal de Mozambique, sur 3 000 km de longueur.

Carte du rift est-africain et des principales failles découpant le secteur (source © Le Rift est-africain)

Ce qu’on observe à cet endroit, ce sont les plaques continentales qui sont tout simplement en train de s’écarter les unes des autres selon une vaste déchirure tellurique en forme de Y. Les deux branches supérieures sont déjà largement ouvertes, séparant la plaque africaine de la plaque arabique via la mer Rouge et le golfe d’Aden, selon deux vastes dépressions déjà envahies par la mer dans la continuité de l’océan indien. Mais la branche inférieure qui part de ce point triple que constitue Djibouti et qui s’étend à travers les terres, pourrait aussi être un futur océan en formation dont on observe au jour le jour l’ouverture et qui est en train de préparer la scission entre la plaque africaine à l’ouest et la plaque somalienne à l’est…

Pour être honnête, le phénomène n’est pas nouveau puisqu’il a débuté il y a quelques 30 millions d’années, selon un mouvement d’ouverture latérale qui se produit à une vitesse moyenne de l’ordre de 1 à 2 cm par an, plus rapide d’ailleurs au nord qu’un sud. C’est cet écartement progressif qui a formé peu à peu ces immenses dépressions allongées que sont les grands lacs Malawi, Tanganyika, Kivu, Albert ou Turkana.

Vue satellite du lac Tanganyika (photo © Planet Observer / Getty Images / Peapix)

Le moteur de cette intense activité géophysique est bien connu puisqu’il s’agit des mouvements de convection qui se produisent dans le manteau terrestre sous l’effet de la chaleur émise dans le noyau par la désintégration des éléments radioactifs. Cette chaleur fait fondre ponctuellement le manteau qui s’évacue sous forme de lave au droit des volcans et des dorsales océaniques.

Ailleurs, le flux de chaleur se contente d’entretenir ces mouvements de convection qui poussent les plaques à se mouvoir les unes par rapport aux autres, ces plaques correspondant à la partie superficielle de la Terre, la plus froide et donc la plus cassante. La poussée du manteau chaud soulève la croûte terrestre, provoquant des bombements qui correspondent ici aux dômes d’Éthiopie, du Nyragongo où du Kenya, lesquels se fracturent et deviennent le siège d’activité volcanique avec des intrusions sous forme de dykes qui contribuent à fracturer et amincir la croûte continentale.

Lac de lave du volcan Erta Ale, très actif en Éthiopie (source © Aventure volcans)

Les phénomènes en jeu sont complexes et font encore l’objet de controverses scientifiques, certains estimant que le rift africain n’arrivera pas jusqu’à son terme en se transformant en zone de dorsale océanique du même type que celle qui traverse l’océan atlantique et coupe en deux l’Islande. Pour autant, l’activité tellurique reste très intense dans ce rift est-africain.

Lac Assal à Djibouti (source © Tripadvisor)

C’est le cas en particulier autour de la dépression Afar qui correspond à un point chaud par où se sont épanchées d’énormes quantités de laves, formant les hauts plateaux basaltiques éthiopiens, avant que ne s’ouvrent, il y a environ 20 millions d’années, la mer Rouge puis le golfe d’Aden qui se rejoignent progressivement, précisément à cet endroit. Tout laisse donc penser qu’un jour, dans quelques millions d’années peut-être, la dépression Afar sera à son tour envahie par les eaux de l’océan, d’autant qu’elle comprend des points particulièrement bas, au niveau du lac Assal qui se trouve à 153 m sous le niveau de la mer.

Faille de Dabbahu apparue en 2005 dans le triangle d’Afar dans le sillage d’une éruption volcanique (photo © Rupert Smith / Revue Horizons)

Des failles apparaissent régulièrement dans cette partie éthiopienne du rift, comme cela a notamment été le cas en 2005, généralement à la suite d’éruptions volcaniques, les remontées de magma dans cette zone où la croûte terrestre est amincie et fortement disloquée, contribuant à ces mouvements qui s’accompagnent d’une activité sismique plus ou moins intense. Une activité d’autant mieux étudiée que l’on cherche désormais à tirer profit de ces sources chaudes, deux centrales géothermiques étant déjà en fonctionnement en Éthiopie.

Cette hantise de voir un jour la corne de l’Afrique se détacher totalement du reste du continent africain fait même voir des ouvertures de failles un peu partout comme cette crevasse spectaculaire qui s’est ouverte le 18 mars 2018 au sud-ouest du Kenya, coupant en deux la route commerciale qui relie les villes de Maai Mahiu et de Narok, à l’ouest de Nairobi.

Vue aérienne de la crevasse spectaculaire qui a coupé la route de Narok en mars 2018 (source © The weather channel)

Atteignant une quinzaine de mètres de profondeur et jusqu’à 20 m de largeur, cette fracture colossale qui se prolonge sur plusieurs kilomètres de long, a suscité de nombreuses inquiétudes, même si tout laisse à penser qu’il ne s’agit que d’une ravine comme il en apparaît régulièrement dans ce type de matériaux sous l’effet de fortes pluies. Ce n’est pas demain que l’autoroute vers Nairobi sera rendue impraticable par le déferlement impétueux des flots de la mer Rouge, s’écoulant depuis Djibouti, mais un jour peut-être…

L. V.

La balançoire bat des records

24 août 2020

Quoi de plus innocent qu’une balançoire ? Une planche attachée par deux cordes à une branche d’arbre, et il suffit de s’élancer ! Ce jeu, qui agrémente de nombreux jardins publics pour le grand bonheur des plus petits,n’est pas récent puisque la tradition le fait remonter à la plus haute antiquité grecque, du temps d’Œbalus, roi de Laconie et père de Pénélope (l’épouse d’Ulysse, pas celle de Fillon, bien entendu).

Satyre poussant la balançoire, dessin figurant sur un vase trouvé en 1816 à Chiusi et conservé au musée de Berlin (source © Enkidoublog)

Les jeux icariens lancèrent alors l’usage de l’escarpolette, une simple corde attachée entre deux arbres et sur laquelle on se balance. Une tradition largement reprise par les Romains lors des fêtes des vendanges, et dont l’objectif semble être de permettre une purification par l’air lors du balancement.

Au XVIIIe siècle, l’escarpolette avait perdu cette signification bacchique mais restait néanmoins un jeu empreint de frivolité comme en attestent les tableaux de Fragonard qui a représenté plusieurs situations de badinage amoureux, liées à ce qui n’était alors qu’un divertissement. Son célèbre tableau où l’on voit une jeune femme mutine, poussée par ce que l’on suppose être son mari, plus ou moins masqué par l’ombre des arbres et tirant sur les cordes pour donner de l’élan au mécanisme, s’élever jusqu’à envoyer élégamment valser sa mule, tandis que son amant, rouge d’excitation, ne perd rien du spectacle des jambes de la belle, affalé dans les buissons au pied de la balançoire.

Détail du tableau de Jean-Honoré Fragonard, « Les Hasards heureux de l’escarpolette », vers 1767 – huile sur toile, Wallace Collection, Londres (source © Wikimédia Commons)

« Jeune fille à la balançoire », huile sur bois peintre en 1845 par Paul Delaroche – Nantes, Musée d’Arts (source © Réunion des Musées Nationaux)

 

Une légèreté et un sentiment de liberté que l’on retrouve dans nombre d’œuvres artistiques représentant des enfants ou des jeunes filles se balançant nonchalamment, comme celle représentée par le peintre Paul Delaroche vers 1845, simplement suspendue sur un morceau d’étoffe attachée à la branche d’un arbre, le dispositif le plus simple qui puisse exister.

Krishna enfant sur une balançoire, miniature indienne datée vers 1755

Et l’Occident n’est pas le seul à avoir trouver de l’attrait à ce jeu de balancement. On connaît ainsi, dans la tradition indienne, de multiples représentation de Krishna enfant ou adulte, profitant des joies de la balançoire, seul ou accompagné de sa bonne amie Radha. Quel que soit le contexte culturel, il semble bien que le fait de se balancer, assis sur une planche ou sur une simple corde, ne soit jamais totalement dénué d’une certaine sensualité…

Mais les jeux de l’amour et du hasard associés à l’escarpolette d’antan ont bien souvent laissé place à une volonté de griserie et de frisson.

Balançoire russe, mieux que la roulette… (source © Circus concept)

Le cirque s’est emparé de la balançoire pour en faire un outil de propulsion permettant de faire de la voltige aérienne. La balançoire russe permet ce type d’acrobatie comme le montrent de nombreuses videos sur internet. Et chacun voudrait aller toujours plus haut, toujours plus vite. Sur une balançoire comme dans de nombreux domaines, le jeu et le divertissement badin s’effacent progressivement devant le geste sportif, la volonté de dépassement de soi, la recherche du record…

Sur la balançoire du bout du monde, à 2600 m d’altitude, face au volcan Tungurahua (photo © Mike Theiss / National Geographic / Amusing Planet)

On a ainsi aménagé des balançoires dans les lieux les plus improbables pour les amateurs de sensations fortes. L’une d’elles est la Casa del Arbol, perchée à 2600 m d’altitude au bord d’une falaise qui surplombe un canyon, près de la petite ville de Baños, en Equateur, à 180 km de la capitale Quito. Cette région volcanique très escarpée et proche de la forêt amazonienne est un haut lieu du tourisme sportif avec de nombreuses activités telles que le rafting ou le canyoning, mais la « balançoire du bout du monde » fait partie des attractions locales qui ne laissent pas indifférent. Attachées à une cabane, elle même perchée sur un arbre au bord du vide, les balançoires s’élancent directement au dessus du vide et donnent l’impression de voler en plein ciel, sans aucune sécurité spécifique : ce n’est pas le moment de lâcher les cordes !

Une balançoire dans le Wansheng Ordovician Park, près de Chongqing, pour ceux qui ont le coeur bien accroché (source © French China)

Un art de l’extrême que les Chinois semblent cultiver eux aussi puisque les visiteurs du Wansheng Ordovician Park, un site touristique près de Chongqing, dans le comté de Yunyang, au sud-ouest de la Chine, propose de son côté des balançoires accrochées à un portique de 21 m de hauteur, lui-même perché au sommet d’une falaise de plusieurs centaine de mètres de dénivelée. Une expérience qui met les nerfs à rude épreuve, au point qu’il est désormais proposé une « pilule du regret » pour ceux qui se rendent compte, mais un peu tard, alors que la balançoire est à son plus haut point au dessus du vide, que ce n’est décidément pas fait pour eux et qu’ils auraient mieux fait de faire gentiment la queue devant le stand de barbe à papa plutôt que de vouloir faire les malins en s’asseyant sur cette planche vraiment peu sécurisée…

Quoi qu’il en soit, les Chinois semblent apprécier l’exercice puisque d’autres balançoires du même type ont été installées fin 2018 au bord d’une autre falaise de 198 m de hauteur, près du mont Tianzishan à Qingyuan, dans la province du Guangdong, toujours au sud-ouest de la Chine. Après une période d’essai qui a quand même duré quatre mois, selon le média French China, les balançoires ont été ouvertes au public pour le plus grand bonheur des amateurs de sensations fortes.

La plus haute balançoire du monde, récement inaugurée en Chine (source © Euronews)

Et voilà que les Chinois, qui cherchent toujours à se démarquer pour impressionner la Terre entière, viennent de mettre en service, en juillet 2020, la plus haute balançoire du monde, homologuée par le Livre Guiness des Records. L’installation n’a, à première vue, rien d’une balançoire. C’est en réalité un immense arc de 100 m de hauteur formé d’un assemblage de tubes métalliques peints aux couleurs de l’arc en ciel et qui est perché au sommet d’une falaise. Un mât métallique peint en jaune et culminant à 108 m a été implanté à quelque distance.

Prêts pour le départ ? Et c’est parti pour un vol plané en plein ciel… (source © Euronews)

Les amateurs de sensations fortes se hissent dans la tour de lancement jusqu’à la plateforme de départ située à 88 m de hauteur. Là ils sont harnachés par groupe de trois, en position allongée, et ils sont propulsés au bout d’un câble attaché au sommet de l’arche, ce qui leur permet d’atteindre la vitesse maximale de 130 km/h et d’avoir l’impression de voler en plein ciel au dessus du vide ! On est loin de l’escarpolette de Fragonard ou de l’éléphant de la comptine enfantine « qui se balançait sur une toile d’araignée » ! Foin de la poésie et de la badinerie, la balançoire n’est plus un jeu d’enfant ni un divertissement d’amoureux, mais rentre dans le registre des sports de l’extrême : on aura tout vu…

L. V.

Amundsen au pôle Sud : petite leçon de management…

28 avril 2020

Tirer parti de l’expérience des Grands Hommes de l’Histoire, la démarche n’est pas nouvelle. Les Anciens déjà avaient à cœur de relater les faits politiques des grands stratèges du passé en partant du principe que les leçons du passé pouvaient servir à se guider dans l’avenir ou tout du moins à ne pas renouveler les même erreurs. Et voilà que de nos jours, les coachs en management qui fleurissent sur la planète et se pressent pour proposer leurs services aux plus grandes entreprises, se plaisent à leur tour à faire resurgir du passé certains faits historiques illustres pour conseiller leurs clients.

L’un de ces épisodes dont les experts en management raffolent est celui qui vit s’affronter, peu avant la première guerre mondiale, deux équipages d’explorateurs déterminés à être les premiers à mettre le pied au pôle Sud. Une âpre compétition de vitesse entre deux équipes de nationalité différente cherchant à atteindre un même objectif que beaucoup jugeaient alors impossible, dans un milieu particulièrement hostile, sans aucune aide possible de l’extérieur et où chacun ne peut compter que sur ses propres forces.

Robert Falcon Scott en habit d’officier de la Royal Navy (source © J.R. Freeman & Co. Ltd / British Museum / Encyclopaedia Britannica)

En l’occurrence, les Britanniques emmenés par le capitaine Robert Falcon Scott, officier de la Royal Navy, sont les favoris lorsqu’ils embarquent à bord du Terra Nova, le 15 juillet 1910. L’expédition a tout pour réussir, composée d’une équipe pléthorique et expérimentée et dotée d’un équipement ultra-moderne et parfaitement étudié, bénéficiant en outre de l’expertise acquise deux ans auparavant par un compatriote, Ernest Shackleton qui avait réussi à reconnaître le parcours sur 80 % de l’itinéraire.

Ils sont d’autant plus convaincus de réussir l’exploit d’être les premiers hommes à fouler du pied ce lieu mythique qu’est le pôle Sud géographique, qu’ils ignorent même avoir un concurrent. C’est deux jours seulement après leur départ qu’ils apprennent par un télégramme qu’un autre équipage, norvégien celui-là, est également en route vers l’Antarctique, dans le même objectif qu’eux. A sa tête se trouve un fils d’armateur, Roald Amundsen, sportif accompli et skieur émérite, qui s’est fait connaître en parvenant, à l’issue de trois longues années d’exploration, à reconnaître le fameux passage du Nord-ouest, un tracé mythique recherché depuis des siècles par plus d’un navigateur et qui permet de relier à travers les glaces, au nord du continent américain, l’Océan Atlantique au Pacifique.

Roald Amundsen (source © Wikimedia Commons)

Fort de cette expérience, qui lui a permis d’apprendre, au contact des Inuits, les meilleurs techniques de survie en milieu polaire hostile, l’objectif d’Amundsen est d’atteindre le pôle Nord. Mais on apprend en 1909 que c’est déjà chose faite, même si la querelle entre les deux Américains qui s’en attribuent l’exploit, Robert Peary et Frederick Cook, est pour le moins confuse, chacun accusant l’autre de mensonge… Du coup, Amundsen change d’objectif à la dernière minute et fait cap vers l’Antarctique, à bord du Fram, sans même en avertir son propre gouvernement !

Arrivé le 14 janvier 1911 dans la Baie des Baleines, le Fram débarque son équipage qui y installe son camp de base. Il y est rejoint en février par le Terra Nova qui fait escale après avoir déposé l’expédition de Scott début janvier aux abords du détroit de Mc Murdo. Les navires repartent pour poursuivre leur programme d’exploration polaire et aller recherche du ravitaillement : rendez-vous est pris pour début 1912… Après des mois de préparation, visant notamment à installer les dépôts de vivres le long de l’itinéraire, suivi par un long hivernage éprouvant et un faux départ prématuré qui faillit être fatal, l’expédition menée par Amundsen s’ébranla finalement le 19 octobre 1911 et le 14 décembre 1911 elle atteignait son but, le pôle Sud où elle s’attarda plusieurs jours, le temps de faire les relevés nécessaires et y laisser les preuves irréfutables de son passage. Le retour se fait à bride abattue et le 25 janvier 1912 l’expédition est de retour au camp de base après avoir parcouru 3440 km en 99 jours !

Roald Amundsen et ses compagnons au pôle Sud le 16 décembre 1911 (photo © Olav Bjaaland / archives)

Le 30 janvier, Amundsen embarque immédiatement pour Hobart, en Tasmanie, où il arrive le 7 mars et envoie le télégramme qui annonce sa victoire, alors même que l’on n’a aucune nouvelle de l’expédition menée par Scott. C’est en février 1913 seulement, un an plus tard, qu’il apprit que Scott et quatre de ses compagnons avaient atteint à leur tour le pôle Sud le 17 janvier 1912 mais ils étaient morts le 29 mars lors du voyage de retour. Leurs corps avaient été retrouvés en novembre 1912 après la fin de l’hiver antarctique, avec, dans la poche du capitaine Scott, la lettre qu’Amundsen avait laissée au pôle pour certifier son exploit…

Si cette expédition a été si souvent décrite et analysée dans le détail, outre son caractère tragique à souhait, c’est qu’elle illustre deux approches assez radicalement différentes en matière l’organisation et de management. Le Norvégien avait délibérément fait le choix d’une équipe très réduite. L’équipage embarqué à bord du Fram était limité à 19 personnes, toutes choisies personnellement par Amundsen, dont 9 seulement restèrent sur place. Seuls 5 d’entre eux sont retenus pour s’élancer en octobre à l’assaut du pôle, accompagnés de 4 traîneaux et pas moins de 52 chiens, sur les 116 apportés sur place.

L’équipe britannique au pôle Sud le 18 janvier 1912 avec Robert Falcon Scott debut au centre (photo © Henry Robertson Bowers / Wikimedia Commons / Ça m’intéresse)

A l’inverse, le Britannique Scott a recruté un véritable bataillon de 65 hommes, choisis parmi 8 000 candidats, dont 50 militaires. Il a surtout misé sur du matériel plus moderne, dont 3 véhicules à chenilles, 45 traîneaux ainsi que 19 poneys de Sibérie, supposés bien résister au froid polaire, et seulement 34 chiens. Il avait également fait développer spécifiquement pour son expédition du matériel et des vêtements très innovants, à la pointe de la technologie, alors que les Norvégiens misaient eux sur des équipements beaucoup plus traditionnels en fourrure de phoque, nettement moins seyants mais parfaitement adaptés aux conditions locales car issus d’une très longue tradition transmise par les Inuits.

En réalité, ce sont surtout les choix stratégiques de Scott qui ont conduit à son échec. Les véhicules autotractés se sont vite révélés inutilisables alors qu’il avait tout misé sur leur forte capacité de transport et leur rapidité. Les poneys avaient semble-t-il été mal choisis et se sont révélés beaucoup trop fragiles, obligeant les hommes à s’épuiser en tirant eux-mêmes les lourds traîneaux. Au fur et et mesure de l’expédition, Scott s’est rendu compte par lui-même que les chiens étaient nettement plus efficaces et c’est sans conteste ce qui a assuré le succès d’Amundsen, lequel a pu, grâce à la meute de chiens qu’il avait prévus, assurer une utilisation optimale des traîneaux tout en fournissant des vivres puisque seuls 11 chiens ont été ramenés vivants, les autres ayant été tués et mangés en chemin.

Sur la route du pôle Sud, cliché de l’expédition Amundsen (source © The History Press)

Mais la méthode de management adoptée était aussi très différente. Pour Amundsen, l’objectif était pour les 9 hommes engagées dans l’expédition, de « revenir en Norvège après avoir planté notre drapeau au pôle », là où les Britanniques recevaient chacun des tâches plus morcelées et un objectif moins valorisant puisque la plupart d’entre eux devaient simplement patienter dans un camp en attendant que les 5 hommes finalement choisis puissent accomplir le trajet final vers le pôle. L’ennui, l’attente et la routine ont fragilisé le collectif chez les Britanniques, là où Amundsen avait réussi à créer des rituels pour renforcer le lien entre les hommes, n’ayant pas hésité à emporter des jeux, de l’alcool pour fêter les anniversaires et même un cigare à fumer le 24 décembre… D’un côté, une organisation très hiérarchisée, militaire et déresponsabilisante, et de l’autre un petit clan très soudé où chacun avait un rôle parfaitement identifié avec un chef très investi, même dans les tâches les plus ingrates.

Comme quoi, il ne suffit pas de bien planifier un projet pour le réussir. Tous les facteurs sont à prendre en compte pour le mener, non seulement les méthodes et les outils, mais aussi la manière de constituer l’équipe et de se comporter au sein de celle-ci : des évidences qui ne sont pas seulement utiles pour aller au pôle Sud mais qui peuvent aussi servir dans bien des circonstances…

L. V.