Archive for juillet 2016

Roundup : l’Europe impuissante…

29 juillet 2016

Il n’y a pas qu’en matière de politique migratoire, de dumping social ou de régulation financière que les institutions européennes se montrent impuissantes à régler des problèmes. La manière dont vient d’être traitée l’affaire du glyphosate, cette molécule qui entre dans la composition de nombreux herbicides dont le fameux Roundup commercialisé depuis 1974 par la firme américaine Monsanto, est un modèle du genre !Blog327_PhRoundup

Ce désherbant est un herbicide total non sélectif qui agit sur le système foliaire et conduit à la mort rapide des plantes, pour peu qu’on le mélange avec un produit tensio-actif qui facilite sa fixation sur les feuilles. Il remplace le désherbage mécanique et est donc utilisé non seulement en agriculture mais aussi pour l’entretien des espaces publics et des voiries, voire pour la destruction à grande échelle des plantations de coca en Colombie ! Monsanto l’a longtemps présenté comme biodégradable car il est sans effet sur les semences qui sont mises en terre après un désherbage total, ce qui peut éviter dans certains cas à l’agriculteur de retourner le sol avant de semer.

Il fait surtout partie d’une panoplie complète de semences OGM qui ont été développées par Monsanto justement pour être résistantes au Roundup, ce qui permet à la multinationale de vendre à la fois la semence et l’herbicide qui permettra de maintenir le champ indemne de toute adventice jusqu’à la récolte. Certains agriculteurs utilisent aussi ce produit avant la récolte en l’appliquant en masse pour tuer les plantes cultivées, ce qui active la maturation et facilite la récolte, une pratique connue sous le nom de « green burndown » qui entraîne une exposition accrue du consommateur.

agriculture, tractor spraying pesticides on field farm

Un vrai produit miracle donc, dont le brevet est d’ailleurs tombé dans le domaine public depuis 2000, à tel point que le glyphosate est devenu, de loin, le pesticide le plus vendu sur la planète. La seule firme Monsanto en vend pour plus de 5 miliards de dollars chaque année, ce produit représentant à lui seul 30 % de ses ventes. Rien qu’en France, il se vend chaque année de l’ordre de 10 000 tonnes de Roundup, dont une part non négligeable à des particuliers pour désherber leur jardin. Le glyphosate et surtout les produits qui sont issus de sa dégradation, tels que l’AMTA (acide aminométhylphosphonique de son petit nom) sont devenu depuis au moins une dizaine d’années les principaux pesticides que l’on retrouve dans la plupart des analyses d’eau, présents dans la majorité des cours d’eau et dans un grand nombre de nappes souterraines.

Le 20 mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), rattaché à l’OMS, a classé le glyphosate comme « cancérogène probable pour l’homme », en se basant sur de nombreuses recherches et sur des observations in vitro et in situ. Dans la mesure où l’homologation de ce produit pour l’Europe devait être renouvelée à la date du 30 juin 2016, il paraissait évident que l’avenir de cet herbicide sur le sol européen devenait morose.

Blog327_PhBuldozer

Mais c’était sans compter sur l’intensité du lobbying et l’étrange fonctionnement de certaines institutions européennes. En l’occurrence, c’est l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) qui est sur la sellette. Chargée d’évaluer l’innocuité de tout ce qui peut entrer dans notre alimentation et plutôt que de s’appuyer sur les résultats publics et vérifiables du CIRC, un organisme qui fonctionne en toute transparence sur la base de fonds publics, l’EFSA a préféré se fier aux affirmations fournies par la Glyphosate Task Force, un organisme privé financé par les 23 firmes qui commercialisent ce produit. Comme on peut l’imaginer, ce dernier estime bien évidemment que l’effet cancérigène du glyphosate est hautement improbable, en s’appuyant naturellement sur des études totalement confidentielles puisque relevant du secret industriel : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »…

Christopher Portier, sommité mondiale de la cancérologie et membre du CIRC, a adressé à la Commission européenne un texte signé par une centaine de confrères dénonçant l’avis « trompeur » de l’EFSA, basé sur une procédure « scientifiquement inacceptable ». Pour une fois, la querelle est sortie du cercle feutré des experts. Le médiateur européen s’est inquiété d’une procédure qui ne permet pas à la Commission européenne de « s’assurer que la santé humaine, la santé animale et l’environnement  sont effectivement protégés par l’Union européenne », tandis que le Commissaire aux comptes de l’Union s’inquiétait des dérives évidentes en matière de gestion des conflits d’intérêts.

Blog327_DessinMonsantoFace à un tel tollé, le Parlement européen a tenté de s’en sortir en coupant la poire en deux et en prolongeant l’homologation du glyphosate pour une durée de 7 ans au lieu des 15 demandés. C’était plutôt bien essayé et cela aurait eu le mérite de permettre la poursuite du commerce pour écouler les stocks en espérant que le contexte sera plus favorable quand le dossier reviendra sur le tapis. Mais la ficelle était un peu grosse et le marchandage n’a pas réussi.

Le 19 mai dernier, la Commission a dû se rendre à l’évidence face à l’opposition affichée de certains pays, dont pour une fois la France, mais aussi l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas : voyant qu’il serait difficile d’obtenir un vote favorable à la majorité qualifiée, elle a préféré surseoir au vote d’homologation. Il n’y a donc pas eu de décision, l’Europe étant comme paralysée entre ceux qui prônent le « business as usual », mettant en avant la nécessité de vendre un produit qui répond à un besoin sans trop se soucier de ses conséquences éventuelles, et ceux qui commencent à craindre d’avoir un jour à se justifier d’avoir pris des décisions dommageables pour la santé publique et l’avenir de notre planète. Un beau cas d’école qui montre que l’Europe a encore du chemin à faire !

L.V.  LutinVert1Small

En Tchétchénie aussi, chacun cherche son chat…

26 juillet 2016

Le président tchétchène, l’aimable autocrate Ramzan Kadyrov, mondialement connu pour sa conception assez singulière des Droits de l’Homme et de la démocratie, a perdu son chat. Comme il n’a pas l’habitude de faire dans la discrétion, il en a aussitôt fait part à la Terre entière via son compte Instagram qu’il alimente de manière compulsive avec des photos et des videos le montrant aux côtés de dirigeants du monde entier (en fait surtout de Vladimir Poutine, son mentor, qu’il adore arborer en effigie sur son tee shirt), soulevant de la fonte dans une salle de sport, visitant des usines d’un autre âge ou attrapant à mains nues la gueule d’un crocodile.

Le président tchétchène, Ramzan Kadyrov

Le président tchétchène, Ramzan Kadyrov

Un compte qui serait suivi par près de 1,8 millions de followers ! Un véritable succès d’audience donc pour ce chef de guerre hors normes, à l’air patibulaire et parfois bizarrement accoutré, mais qu’il vaut mieux ne pas trop chatouiller. Ses principaux opposants et quelques défenseurs des Droits de l’Homme qui avaient la prétention de travailler en Tchétchénie en ont fait les frais et ont mystérieusement disparu, retrouvés pour certains proprement assasinés dans le coffre de leur voiture, sans que la Justice ne puisse élucider par quel mystère ils ont bien pu en arriver là…

Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine

Ramzan Kadyrov et Vladimir Poutine

Boris Nemtsov, qui avait cru pouvoir s’opposer à Vladimir Poutine et qui a été malencontreusement assassiné le 27 février 2015 près de la Place rouge, compterait aussi au nombre des victimes de l’excès de zèle du président tchétchène en exercice. Les principaux suspects dans cette affaire font d’ailleurs partie de la garde rapprochée de Ramzan Kadyrov, lequel avait promis en 2002 de tuer Boris Nemtsov qui lui reprochait sa participation active dans la guerre du Donbass. L’avocat de la famille Nemtsov tente de défendre la thèse selon laquelle le président tchétchène serait le commanditaire du crime : on espère pour lui qu’il prend les précautions nécessaires pour assurer sa propre sécurité !

Dans l’un de ses derniers articles publié le 11 septembre 2006, la journaliste assassinée Anna Politkovskaïa, dont on cherche toujours (bien que mollement) les commanditaires du crime, écrivait : « Qu’est-ce que le syndrome Kadyrov ? On peut le caractériser par les traits suivants que sont l’insolence rustre et la cruauté masqués par du courage et de l’amabilité. En Tchétchénie, les kadyrovtsy frappent les hommes et les femmes à partir du moment où ils pensent que c’est nécessaire. Ils les décapitent de la même façon que leurs ennemis wahhabites. Et tout ceci est justifié et commenté par les plus hautes autorités comme des détails permettant de placer les Tchétchènes en faveur de la Russie ».

Le président tchétchène Ramzan Kadyrov le 23 mars 2014 à Abu Ghosh (photo M. Kahana / AFP)

Le président tchétchène Ramzan Kadyrov le 23 mars 2014 à Abu Ghosh (photo M. Kahana / AFP)

Car le président tchétchène fait en effet partie de ceux qui s’opposent aux fondamentalistes islamistes, d’où sa grande proximité avec le pouvoir russe. Son père, Akhmad Kadyrov, ancien grand mufti fut lui-même président de la république de Tchétchénie de 2003 jusqu’à son assassinat le 9 mai 2004. A cette date, son fils est naturellement nommé vice-Premier ministre de la République de Tchétchénie. A la tête des services de sécurité de la présidence, les fameux kadyrovtsy, une milice de 5000 hommes qui n’ont pas l’habitude de faire dans la dentelle, le jeune Ramzan s’engage alors dans une lutte pour le pouvoir auquel il accède en décembre 2005, suite à un malheureux accident de voiture du Premier ministre Sergueï Abramov, lequel finit par démissionner le 28 février 2006.

Depuis, Ramzan Kadyrov détient la réalité du pouvoir en Tchétchénie, s’appuyant sur les forces armées qu’il contrôle et sur le soutien que lui apporte Vladimir Poutine dans sa politique anti-wahhabite, tout en prônant une islamisation des mœurs et des coutumes tchétchènes dans un esprit très nationaliste,

A chacun son tigre...

A chacun son tigre…

Comme son modèle Poutine qui adore diffuser des vidéo viriles le montrant en train de chasser l’ours ou le tigre, Ramzan Kadyrov se complaît à montrer sur son compte instagram des documents mettant en valeur son courage et sa force physique, histoire d’assoir son autorité face à d’éventuels opposants. Mais en bon élève du Petit Père des Peuples, le jovial Joseph Staline, il aime bien aussi se montrer en compagnie d’enfants déguisés en costume traditionnel ou entourés d’animaux, prenant dans ses bras un agneau ou un tigre, c’est selon…

Plusieurs médias internationaux dont le Huffington Post en mai 2013, s’étaient déjà -gentiment- moqués de cette propension du président tchétchène à se mettre ainsi en scène, y compris avec certaines stars dont notre Gérard Depardieu national, mais aussi avec un certain Bekkhan Ibragimov, un aimable tchétchène impliqué dans le meurtre en 2010 d’un supporter russe de football.

Blog326_PhChatLorsque le président Kadyrov a affiché sur son compte Instagram un appel international à témoins pour signaler qu’il venait de perdre son chat, disparu du domicile depuis 10 jours, l’histoire n’est donc pas passé inaperçue. Elle a fait les gorges chaudes de nombreux internautes, profitant de la situation pour demander au président des nouvelles d’autres personnes mystérieusement disparues récemment en Tchétchénie. Elle a même été exploitée par certains humoristes dont le Britannique John Oliver dans son émission Last Week Tonight, ainsi que l’a révélé Libération.

Le message du délicieux Ramzan était pourtant libellé de manière très anodine : « Nous avons perdu notre chat. Il ressemble à un petit tigre. Il a disparu il y a dix jours. Nous pensions qu’il allait réapparaître car il est vraiment attaché à nos enfants et aime jouer avec eux. Mais nous commençons à être sérieusement inquiets. Peut-être qu’il est avec quelqu’un aux alentours et que cette personne ne saurait pas comment retrouver ses propriétaires. Je suis sûr que personne n’a besoin du chat de quelqu’un d’autre. Nous serions reconnaissants pour n’importe quelle information. Merci d’avance ». Un conseil en tout cas à celui qui trouvera le chat de Ramzan Kadyrov et qui serait tenté de le garder plutôt que de le rendre à son légitime propriétaire, mieux vaudrait qu’il reste discret car les représailles pourraient être terribles…

L.V.  LutinVert1Small

Après l’attentat de Nice, les odieuses surenchères de la Droite

23 juillet 2016

Après l’attaque sanglante contre les journalistes de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 et malgré certaines réactions pour le moins inappropriées, la classe politique française avait globalement su faire bloc et appeler à l’unité nationale contre de tels agissements manifestement tournés contre la liberté de pensée et d’expression qui caractérisent notre démocratie. Des citoyens s’étaient rassemblé en masse, faisant fi de leurs divergences politiques, pour exprimer ensemble leur attachement à ces valeurs communes.

Curieusement, la cote de popularité du Chef de l’État, pourtant au plus bas dans les sondages, était même remontée de manière très significative, reflet de ce souhait d’unité nationale soudée autour des institutions nationales. « Certains me prenaient pour un Charlot. Ils me soutiendront désormais en tant que Charlie » aurait alors pronostiqué François Hollande, jamais à court d’un bon mot…

Dessin publié dans le Canard enchaîné du 20 juillet 2016

Dessin publié dans le Canard enchaîné du 20 juillet 2016

Mais après le spectaculaire attentat du 14 juillet 2016 qui a fait 84 morts à Nice, la configuration semble bien différente. Il est vrai que l’échéance des présidentielles et, plus encore, celle des primaires de la Droite, approchent. Mais on se s’attendait pas pour autant à des réactions aussi impulsives et irresponsables de la part d’un Alain Juppé, pourtant ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères, fustigeant les incuries du gouvernement et déclarant dès le lendemain matin au micro de RTL, alors même que les circonstances du drame étaient loin d’être parfaitement connues, « Je ne suis pas enquêteur mais si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu ». On n’a pas souvenir qu’il tenait des discours aussi simplistes lorsqu’il faisait face, alors en poste à Matignon, à une précédente vague d’attentats qui avaient déjà meurtri la France entre juillet et octobre 1995…

Quels moyens ? Rien de plus simple, comme l’a si bien détaillé dès le 15 juillet également et toujours sur RTL, un autre candidat éventuel à la primaire des Républicains, Henri Guaino, expliquant à plusieurs reprises : « il suffit de mettre à l’entrée de la Promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis il arrête le camion de 15 tonnes, voila c’est tout ! ». On se demande bien pourquoi nos responsables de la sécurité intérieure n’y ont pas pensé plus tôt…

On attend maintenant avec impatience de voir les trois pauvres paras qui déambulent toute la journée au milieu de la foule à la gare Saint-Charles se trimbaler, en plus de leur attirail déjà aussi impressionnant qu’encombrant, un bazooka de 1,55 m sur l’épaule. Voilà qui aurait de la gueule et serait de nature à sécuriser les touristes en goguette. Dans l’hypothèse de l’arrivée inopinée d’un camion kamikaze déboulant via la dépose-minute, on imagine d’avance le beau feu d’artifice si d’aventure le camion est bourré d’explosif et qu’il est la cible d’une roquette. Mais l’imaginatif Henri Guaino a certainement une parade innovante en réserve…

Manuel Valls et Christian Estrosi hués lors de la cérémonie de recueillement après l'attentat de Nice (photo AFP)

Manuel Valls et Christian Estrosi hués lors de la cérémonie de recueillement après l’attentat de Nice (photo AFP)

Il est vraiment désespérant de voir à quel point un événement aussi tragique peut susciter des réactions aussi irresponsables. Passons sur le groupe de Niçois déchainés qui ont copieusement hué le Premier ministre Manuel Valls, lors de sa visite officielle, n’hésitant pas à le traiter d’assassin, les sifflets étant d’ailleurs tout autant destinés à l’ancien maire de la Ville, Christian Estrosi qui se trouvait à ses côtés. Il s’agissait semble t-il de militants FN que la député Marion Maréchal-Le Pen est d’ailleurs allé gentiment saluer, tout sourire, après la cérémonie.

Blog325_DessinDaechUn tel déchaînement de violence verbale n’est pas si anodin qu’il n’y paraît et sans doute pas de nature à apaiser les tensions. L’extrême-droite bien sûr se réjouit d’une telle situation, se félicitant d’enregistrer depuis l’attentat de Nice une augmentation significative des demandes d’adhésion au Front National. Ses dirigeants n’hésitent pas à attiser cette colère, à l’image de Marion Maréchal-Le Pen, encore elle !, proclamant au lendemain de l’attentat de Nice : « si nous ne tuons pas l’islamisme, c’est lui qui nous tuera ». On n’est pas très loin des slogans les plus extémistes qui fleurissent ici ou là, du style « L’Islam tue, tuons l’Islam », alors même qu’on a vu à quelles extrémités conduisaient ce genre d’amalgames… Aux attentats revendiqués par Daech va t-il bientôt se succéder d’autres attaques comparables menées par des extrémistes tout aussi radicalisés mais agissant au nom de la sauvegarde des racines chrétiennes de l’Occident comme on l’a déjà vécu en Norvège où le militant d’extême-droite Anders Breivik avait tué sauvagement 77 personnes ?

Blog325_DessinSarkoClownLa Droite des Républicains en tout cas n’a pas fait dans la dentelle non plus, en réaction à l’attentat de Nice, à l’image d’un Nicolas Sarkozy hargneux, attribuant tout les torts au gouvernement au prétexte que « tout ce qui aurait dû être fait depuis dix-huit mois ne l’a pas été ». Le ministre de l’Intérieur a beau rappeler qu’il s’efforce tant bien que mal de reconstituer depuis 2012 les effectifs de police amputés de près de 13 000 agents durant le quinquennat de Sarkozy et de réorganiser les services de renseignement mis à mal par ses prédécesseurs, cela n’empêche pas les outrances des ténors de la Droite. L’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, pourtant expert en la matière, a beau s’échiner à expliquer que « face à un fou soutenu par une idéologie », « aucune loi ne peut empêcher cela », rien n’empêche la Droite de réclamer un arsenal législatif toujours plus répressif bien que de portée purement symbolique.

Dans cette affaire, l’ancien maire de Nice, Christian Estrosi, qui se vante depuis des années d’avoir mis en place la plus forte densité de police municipale et de caméras de surveillance qui puisse exister, aurait pu se trouver quelque peu déstabilisé par un tel attentat. Comment expliquer en effet que seulement 10 % des effectifs de la police municipale étaient mobilisés en ce jour du 14 juillet pour un rassemblement d’une telle importance ? Comme justifier que l’auteur de l’attentat ait pu en toute impunité rouler avec son camion sans se faire inquiéter sur une artère pourtant interdite aux poids-lourds et truffée de caméras, non seulement le soir de l’attentat mais aussi les deux jours qui ont précédé afin d’effectuer tranquillement les reconnaissances nécessaires ?

Dessin publié dans le Canard enchaîné du 20 juillet 2016

Dessin publié dans le Canard enchaîné du 20 juillet 2016

Certes, Christian Estrosi a cédé, depuis peu et pour cause de cumul de mandat, son fauteuil de maire à un homme de paille, un certain Philippe Pradal, que personne n’a entendu au cours de cet épisode désastreux, silence que l’intéressé a d’ailleurs justifié sans ambage et en toute spontanéité : « c’est simple, je fais ce qu’Estrosi me demande. Et il ne me demande rien ». Il faut dire que l’ancien maire est resté premier adjoint de Nice, délégué à la Sécurité, aux Ressources humaines, aux Finances, aux Transports, aux Travaux, à la Voirie et au Stationnement (on se demande bien d’ailleurs ce qui peut rester comme délégations aux autres élus : le fleurissement des monument aux morts peut-être ?).Blog325_DessinSarko

Dans ces conditions, en politique avisé qu’il est et pour éviter d’avoir à répondre aux critiques éventuelles, M. Estrosi préfère attaquer les autres plutôt que justifier ses propres errements. Il n’a ainsi pas hésité, dès le lendemain de l’attentat, à évoquer « un mensonge d’État » quant aux effectifs de la police nationale déployée ce jour-là à Nice, alors que la liste en est parfaitement connue et vérifiable, et que de toute façon une fouille éventuelle de chacun des badauds n’aurait bien évidemment pas empêché le camion fou de se jeter dans la foule…

On a beaucoup polémiqué aussi sur l’absence de blocs de béton posés à l’entrée de la zone afin de bloquer le passage de tout véhicule. Les Israéliens, que le président de la Région PACA Christian Estrosi considère comme un modèle indépassable en matière de sécurité publique, prônent ce type d’approche. Il y a fort à parier néanmoins que si elle avait été préconisée par les services du Préfet, il aurait été le premier à la critiquer au prétexte que ces blocs de béton auraient gêné l’arrivée des secours et l’évacuation des blessés après l’attentat !

La situation actuelle mérite peut-être, de la part de nos dirigeants politiques, un peu moins de mauvaise foi et de surenchères, mais un peu plus de sang-froid et de sens des responsabilités…

L.V.  LutinVert1Small

KATULU ? n°49

21 juillet 2016

n 49De nouvelles analyses de la part du groupe de lecture Katulu ? pour sa réunion de mai-juin 2016. Retrouvez l’intégralité des articles dans le compte-rendu complet (Katulu49). Et n’hésitez-pas à venir découvrir le groupe de lecture qui organisera le 29 septembre prochain à Carnoux une séance spéciale de découvertes de livres sur le thème de l’exil, dans le cadre des festivités du jubilé de Carnoux-en-Provence : une séance exceptionnelle ouverte à tous !

 

A la grâce des hommesPh1_LivreKent

Hannah Kent

 

Selon l’auteur, l’histoire personnelle d’Agnés Magnusdottir « C’est ma tentative de faire de la poésie, c’est mon hymne maladroit aux montagnes à la lumière à l’hostilité et à la grâce de l’Islande ».

Agnès Magnusdottir est accusée avec deux autres personnes d’un crime commis sur la personne de Nathan Ketilsson, mi-sorcier, mi-guérisseur, chez qui elle vivait. Abandonnée par sa mère à l’âge de huit ans, sans père, rejetée par la communauté, elle a dû survivre sans aide, sans liens familiaux, ballottée d’une famille à une autre, placée de ferme en ferme pour des travaux les plus pénibles. Elle rencontre Nathan qui lui prodigue un peu d’intérêt, mais lui-même étant instable, la situation va dégénérer jusqu’à l’incendie de la maison et au crime dont Agnès est accusée.

L'auteur, Hannah Kent

L’auteur, Hannah Kent

Dans l’attente du jugement, elle est conduite dans une ferme isolée où sa venue va bouleverser le quotidien du couple de fermier, de leurs deux filles et des domestiques. Ils remplissent leur devoir envers la Loi et l’Église. La justice suit son court et rien ne va pouvoir l’arrêter. Les accusateurs n’auront jamais cherché à savoir les faits réels et l’ont condamnée dès le début pour l’exemple.

On retiendra de cette histoire la dure vie des paysans au début du 19ème siècle,  harassés par le travail de la terre dans une nature hostile mais pour qui l’importance de la religion et le respect de la loi sont primordiaux. A cette époque en Islande, l’Église avait un rôle plus social que spirituel : responsable de l’éducation (la majorité des habitants était instruite), des problèmes de pauvreté, des naissances, des orphelins et des besoins administratifs.

Une histoire prenante par l’intensité de ce drame, par la dureté des hommes, par la vie de cette femme meurtrie, touchée par la malchance et programmée pour vivre cet enfer.

                                                                                                          Suzanne

 

 

Suite française

Irène Némirowsky

Ph3_LivreSuiteL’auteur, née en 1903 à Kiev et décédée en 1942 à Auschwitz, est une romancière russe d’origine ukrainienne et de langue française. Son père, un riche banquier ukrainien, s’installe avec sa famille à Paris en 1919.

Suite française est une photo sur le vif de l’exode en juin 1940 puis de l’occupation allemande. La première partie est une peinture acide des familles sur les routes, les villages envahis par les femmes et les enfants épuisés, affamés, luttant pour obtenir la possibilité de dormir sur une simple chaise, pour avoir de l’essence alors que c’est la pénurie. Des grands bourgeois qui ne supportent pas de partager l’essentiel avec la populace.

L’arrivée des Allemands victorieux est outrageuse, humiliante pour les français vaincus.Elle n’est pas sans mettre en évidence l’ambiguïté des positions des français entre les défaitistes et ceux qui veulent résister.

La seconde partie s’attarde à décrire le statut ambigu des relations entre quelques familles françaises et les troupes allemandes qui se sont installées chez elles. Beaucoup de méfiance de la part des français, mais le temps passant les relations humaines se nouent, chacun cherchant à définir un modus vivendi acceptable, sans perdre la face.

Adaptation au cinéma du livre

Adaptation au cinéma du livre

On suit plus précisément l’histoire de deux familles, l’une propriétaire de terres, l’autre qui les cultive. Les deux familles devront collaborer pour sauver la peau du jeune paysan, enfui d’un camp de travail en Allemagne et qui, ne pouvant supporter la présence des Allemands dans sa maison, va jusqu’à tuer un officier allemand. La solidarité entre Français contre les Allemands est forte et dépasse les barrières sociales. L’humiliation engendre la résistance.

C’est un livre toute en finesses qui décrit l’âme humaine avec ses nuances de gris, du blanc au noir, dans le milieu populaire comme chez les bourgeois. Pas vraiment de héros exemplaires mais des hommes et des femmes avec quelques gestes de générosité mais surtout d’égoïsme, de jalousie, de frustrations, beaucoup de solitude, dans une impasse totale pour le futur. Ce n’est pas un livre qui fait rêver, mais qui traduit bien cette France des années 40/41 dont on n’est pas très fier. Mais ferions-nous mieux aujourd’hui ?

Cécile

 

 

Ahlam

Marc Trévidic

Ph5_LivreAhlamLes faits se déroulent dans les années 2006-2012. Un peintre français réputé, Paul Arezzo, débarque en Tunisie aux Kerkennah, « l’Archipel est un petit paradis pour qui cherche paix et beauté », prés de Sfax, le pays étant alors gouverné par Ben Ali.

Il achète une propriété au bord de l’eau et se lie avec Farhat, un pêcheur, Nora sa femme et leurs deux enfants : Issam un garçon et une fille Ahlam, enfants d’une dizaine d’années. Cette famille vivait à l’Occidentale, grand-mère et mère étaient professeurs alors qu’à « Akerkennah les hommes sont pêcheurs et les femmes agricultrices ». Nora tomba malade et mourut à Paris, Paul leur ayant proposé de la faire soigner en France. Mais il réalisera plus tard qu’ainsi il avait privé les siens de ses derniers instants.

Paul se sent responsable de l’éducation des enfants : « Issam voulait apprendre la peinture et Ahlam la musique ». « Sachant qu’il existe un lien cosmique entre les arts, en tout cas entre la musique et la peinture »,  Paul décida à travers eux de réaliser son propre rêve : créer une inter-action entre les sons et les couleurs primaires, établir des règles artistiques. Issam jouait, sa sœur peignait sur le rythme, le son.

L'ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic

L’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic

Après plusieurs d’années consacrées à l’étude, les enfants devenus de véritables artistes, Paul imaginait une tournée mondiale sponsorisée par un Américain. Mais c’est la rupture : Issam à l’insu de sa famille s’est rapproché des Salafistes, et sous prétexte de suivre des études à Sfax, est formé et devient un membre actif de la branche AL-Quaida.

Les influences sur le jeune homme, les maladresses de Paul à son égard, l’ambiance suivant la déchéance de Ben Ali, tout est analysé avec finesse et précision. Le livre, dès lors, décrit la montée de l’Intégrisme religieux en Tunisie, « la Révolution de jasmin » « trop laïque et démocratique », le djihad, les assassinats aveugles, les violences machistes contre les femmes… Livre précis, documenté…

Le drame est au cœur de cette deuxième partie du roman… qui se termine sur une note d’espoir malgré tout !

                        Josette J.

 

La montagne ensommeillée

Contes d’une enfance andine

Alvaro Escobar Molina

Ph7_LivreMontagneLa montagne ensommeillée est composée d’une suite de contes indépendants qui sont comme des incantations à un monde disparu. Quelques titres de chapitres : Les cadeaux de la pleine Lune, La solitude mon fleuve, Les trois Dames, Ce que racontaient les tantes.

Ces titres permettent déjà de situer la place majeure de la Nature, la place de la famille avec ses traditions et ses liens si forts. Le sujet du livre est d’abord le récit d’une enfance, celle de l’auteur quelque  part en Colombie, à l’ombre de la Montaña Madre

Ce livre évoque avec une émotion contenue l’exil, la dépossession de la terre des ancêtres, la migration forcée de la terre natale, entraînant celle des esprits et l’apprentissage d’une langue nouvelle. L’auteur ne s’apitoie pas sur les deuils, la solitude, la souffrance ; ils sont seulement constitutifs de lui-même. Il nous offre surtout l’enchantement, la magie de son enfance dans une langue poétique qui transfigure et magnifie la Terre Mère.

Le psychanalyste Alvaro Escobar Molina

Le psychanalyste Alvaro Escobar Molina

De son pays surgit la MONTAGNE, cette montagne ensommeillée qui le poursuit  jusqu’à Paris.: « A Paris je tends la main, je la glisse jusqu’à l’Océan Atlantique ( ) et je caresse mes montagnes. Mon village et mes couleurs sont avec moi. Tendre la main et fermer les paupières ».

Ce livre m’a touchée par sa simplicité. J’ai aimé le lien entre les espaces et le temps. L’harmonie du souffle des êtres, des choses et des animaux. Cette respiration singulière qui englobe l’éternité, les ancêtres avec le présent, le présent avec en germe le futur. Il en découle un grand apaisement malgré la peine et la douleur des épreuves de la vie. Ellipse et intensité : preuves d’une belle sensibilité

Nicole

 

Rendez-vous à Crawfish Creek

Nickolas Butler

Ph9_LivreCrawfish« Son visage avait été façonné en puzzle. Aïda remarqua les efforts de la pauvre fille pour dissimuler les cicatrices… ». Ainsi commence l’une des dix nouvelles Rendez-vous à Crawfish Creek que l’auteur a choisie pour titrer son ouvrage.

Aïda, récemment retraitée après vingt-cinq ans passés dans la police de la route et Béthany, jeune femme violentée par son compagnon, quittent le restaurant où elles s’étaient donné rendez-vous et se rendent à la gare routière. Bethany devait quitter la ville, et laisser Aïda « finir le boulot » pour lequel Bethany lui avait remis une liasse de billets….Ph_Butler

Brut aromatique : dans cette nouvelle, un vieil homme, Foreman, raconte à un interlocuteur, comment il avait appris la nouvelle annoncée à la radio. « des flammes de plusieurs dizaines de mètres de haut… », « …des cadavres dans l’eau réduits en miettes », « le pétrole continuait à gicler du fond de l’océan… ». On le retrouve séquestrant Hazelwood, le PDG d’une des plus grandes compagnies pétrolières du monde. Pour Foreman, il ne fait aucun doute que cet homme construisait sa fortune en faisant le malheur de la planète et des êtres vivants. Il doit payer… en lui proposant comme boisson du pétrole, du brut aromatique.

Durant ce tête-à-tête invraissemblable s’engagent alors des dialogues, des monologues de part et d’autre, des silences. Espoir, humiliations, désespoir, révoltes se succèdent chez cet homme qui dans les premières heures de son enlèvement, était sûr de ramener à la raison Foreman. Y parviendra-t-il ?

A l’exception de ces deux nouvelles, où les antagonistes font preuve de violences verbales et physiques, l’auteur nous plonge dans le quotidien de gens simples, le déroulement de leur existence. Ainsi un grand-père qui, tous les vendredis après-midi gardait son petit-fils que sa fille ayant le diable au corps lui « déposait comme un colis » (Un goût de nuage). Ou le mari de ce couple, marié depuis des années, au moment du grand nettoyage de la maison familiale après le décès de sa mère qu’il aimait. Il ne supporte plus les critiques que son épouse proférait à l’encontre de sa belle-mère et commence à remettre son couple en question (Les restes).

                                                                                                          Ghislaine

 

 

Petit Piment

Alain Mabanckou

Ph10_LivrePimentPetit Piment est l’histoire d’un jeune Africain de Pointe Noire, élevé dans un orphelinat placé sous l’autorité abusive et corrompue de Dieudonné N. La seule figure sympathique est « Papa Moupelo », le prêtre qui vient une fois par semaine faire chanter les enfants. Mais la Révolution Socialiste-Marxiste redistribue les cartes. Papa Moupelo disparaît. Alors Petit Piment s’échappe pour rejoindre les rues de Pointe-Noire. C’est l’errance, la vie « en bandes », la pauvreté, la corruption.

L'auteur, Alain Mabanckou

L’auteur, Alain Mabanckou

Le salut, c’est « Maman Fiat 500 », patronne de bordel qui le prend sous sa coupe affectueuse. Il vit là heureux jusqu’au jour où « l’opération Pointe Noire sans putes Zaïroises » détruit sa vie en même temps que les murs du bordel. « Petit Piment finit par perdre la tête mais pas le nord : il sait qu’il a une vengeance à prendre contre celui qui a brisé son destin ».

A travers ces lignes, l’Afrique est décrite avec ses rites ancestraux, ses faiblesses modernes : la corruption, la pauvreté. « Le roman de la rue Africaine », « symbole d’une Afrique qui a perdu ses repaires » dit l’auteur. Cela lui permet de mettre à l’honneur toutes les femmes Africaines qui, alors que souvent les pères n’assument pas l’existence de leurs enfants, assurent sans relâche ! C’est l’infirmière de l’Orphelinat, la mère de Bonaventure, Nzinga, l’aïeule du Royaume Kongo, la Maman Fiat 500 figure emblématique des prostituées qui protègent les enfants.

« Dans ce roman envoûté et envoûtant, A. Mabanckou renoue avec le territoire de son enfance, alliant naïveté et lucidité ».

                                                                                                          Josette J.

Stefan ZWEIG

Le monde d’hier (journal d’un européen)

 

Ph12_LivreZweigZweig laisse une œuvre immense entièrement traduite en français, dont des poèmes (2 recueils publiés en 1901 et 1907), des romans et nouvelles (26 parmi lesquels, Amok, 24 heures de la vie d’une femme, La confusion des sentiments, La pitié dangereuse, Un mariage à Lyon, Le joueur d’échecs…), huit pièces de théâtre, des essais et biographies (26 dont, entre autres, Marie Stuart, Magellan, Marie Antoinette, Balzac, Fouché…), enfin des volumes de correspondance avec Freud, Romain Rolland (plus de 500 lettres), Emile Verhaeren…..L'auteur, Stefan Zweig

Le monde d’hier : On peut dire que c’est son testament, écrit au moment le plus dur de la guerre, au moment où la victoire des nazis pouvait être considérée comme probable. Le livre comporte 16 chapitres dont les titres sont déjà un programme: En voici quelques uns : le monde de la sécurité ; L’école au siècle passé ; Eros ; L’université ; Paris la ville de l’éternelle jeunesse ; les premiers jours de la guerre 1914 ; Incipit Hitler ; L’agonie de la paix…

On y voit d’abord son amour pour son pays natal qui lui parait un modèle de démocratie calme et durable. Ses voyages lui donnent l’occasion de parler des villes qu’il a aimées, en particulier Paris. La guerre nourrit son pacifisme qu’il découvre avec son ami Romain Rolland. La montée du nazisme et la seconde guerre le plongent dans un désespoir total.

« Je savais que… L’Europe, notre patrie, pour laquelle nous avions vécu, était détruite pour un temps qui s’étendrait bien au delà de notre vie. Cette ombre de la guerre a voilé de deuil chacune de mes pensées… Mais toute ombre, en dernier lieu, est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence, a vraiment vécu ». Cette citation, ce sont les derniers mots écrits par Zweig avant son suicide.

                                                                                              Annie

 

Carnoux jubile… sous le regard de Marsactu

18 juillet 2016

Blog324_PhJubilePersonne, parmi les quelques 6900 habitants de Carnoux-en-Provence, ne peut décemment ignorer que la ville, érigée en commune en 1966, fête cette année son jubilé, comme le proclament fièrement les placards publicitaires de 12 m² loués à l’année par la municipalité à chacune des entrées de la commune, et comme il est affiché en lettres géantes sur le fronton de la mairie depuis le début de l’année. Bien peu en revanche, sans doute, connaissent Marsactu, qui pourtant vient de consacrer à Carnoux un long article à découvrir ici.

Créé début 2010, Marsactu est un site web d’information locale, généralement bien informé et qui n’hésite pas à creuser les sujets en grattant un peu derrière la façade à laquelle s’arrête trop souvent le quotidien local de référence qu’est La Provence. Collaborant fréquemment avec Mediapart ou Rue89, en particulier sur des sujets touchant à la vie politique marseillaise et au fonctionnement -parfois surprenant- des collectivités territoriales du crû, Marsactu a connu un certain succès grâce à son modèle de diffusion gratuite, financée par la publicité. En mars 2015 néanmoins, sa société éditrice, Raj Médias, est placée en liquidation judiciaire. Cinq journalistes de la rédaction décident alors de racheter le site et ses archives après avoir lancé une demande de financement participatif, et en octobre 2015 le site est de nouveau actif. Fort désormais de 1500 abonnés, Marsactu s’apprête à ouvrir une plateforme de blog et lance une nouvelle souscription pour se développer.

Blog324_PhMessager1961

Dans ce long article paru en juin 2016, la journaliste de Marsactu, Clémentine Vaysse, insiste lourdement sur l’histoire de la ville, fondée par des rapatriés du Maroc puis d’Algérie à partir de 1962, n’hésitant pas à remuer le couteau dans la plaie en rappelant les malversations de la Coopérative immobilière française, créée en 1957 à Casablanca par Gilbert Cabanieu et Emilien Prophète, qui n’hésitait pas à revendre plusieurs fois des terrains à des expatriés français aux abois mais encore très éloignés de là. La journaliste a ainsi interrogé Christian Fenech, président de l’association Racine Pieds-Noirs qui se souvient : « Fin 61-début 62 mon grand-père avait vu une annonce dans la presse locale vantant ce vallon qui pouvait accueillir les rapatriés. La CIF avait vendu plusieurs fois les terrains en pensant que les pieds-noirs ne quitteraient jamais l’Algérie. Quand ma famille est arrivée, moi bébé, le terrain était occupé et on nous a mis ailleurs, sous des tentes de camping ». Comme le rappelle Marsactu, ces magouilles vaudront à Emilien Prophète d’être condamné…

Emilien Prophète, interviewé en 1966 par Cinq colonnes à la une (archives INA)

Emilien Prophète, interviewé en 1966 par Cinq colonnes à la une (archives INA)

L’article de Marsactu s’étonne d’ailleurs que le jubilé de Carnoux soit aussi peu centré sur l’histoire si singulière et somme toute encore très récente qui a conduit à l’édification, par une poignée de rapatriés d’Afrique du Nord, d’une ville nouvelle dans ce vallon déserté entre Aubagne et Cassis où ne se trouvaient alors que « des terrains cultivés et beaucoup de garrigue avec deux fermes inoccupées », comme l’a décrit l’adjoint au maire Nicolas Bouland dans sa conférence le 20 mai dernier, un des rares événements de ce jubilé qui se fasse l’écho de ce passé original.

La journaliste a certes observé que le nom du maréchal Lyautey, grande figure militaire de la colonisation du Maroc, est omniprésent dans la ville mais, comme nous, s’est étonnée que son buste qui trônait pourtant en bonne place sur ce qui faisait office de monument aux morts avant d’être évincé au profit d’un immeuble HLM, ait disparu de la circulation : aurait-il été perdu lors du déménagement ?

Inauguration du centre-ville de Carnoux le 11 juin 2016

Inauguration du centre-ville de Carnoux le 11 juin 2016

Un nouveau monument aux morts a bien été édifié en bordure du nouveau parc Tony Garnier, inauguré en grandes pompes le 11 juin 2016 en présence du gratin de la Droite locale et bien sûr de la présidente du Conseil départemental qui a très largement financé l’essentiel des travaux de réhabilitation du centre-ville de Carnoux.

Nouveau monument aux morts de Carnoux

Nouveau monument aux morts de Carnoux

Curieusement, l’inscription portée sur cette plaque de calcaire précise que le monument en question a été « offert par Carnoux Racines », l’autre association de pieds-noirs installée à Carnoux, elle-même largement subventionnée par la Commune, au point que l’on ne sait plus très bien qui a finalement payé cette plaque…

Melchior Calendra dans sa boutique de Carnoux en 1966 (reportage Cinq colonnes à la une)

Melchior Calendra dans sa boutique de Carnoux en 1966 (archives INA)

Toujours est-il que cette plaque porte une inscription pour le moins ambiguë puisqu’il y est écrit en partie basse : « En hommage aux Français d’Afrique du Nord morts pour la France ». S’agit-il d’un hommage aux anciens terroristes de l’OAS dont on sait que le président de Carnoux Racines, l’ex vendeur de parapluies Melchior Calandra, interviewé dans son magasin de Carnoux en 1966 pour les besoins de l’émission Cinq colonne à la une, s’est toujours senti très proche ? Ou s’agit-il plutôt de rappeler le souvenir des goumiers, ces troupes de supplétifs marocains créées en 1908 et qui en août 1944 ont participé activement à la libération de Marseille après avoir débarqué à Fréjus le 17 août ?

Troupes de goumiers sur le sol français en août 1944

Troupes de goumiers sur le sol français en août 1944

Après avoir participé à la libération de Toulon, trois groupements de tabors marocains (un tabor étant l’équivalent d’un bataillon constitué de 3 à 4 goums) traversent alors rapidement le massif de la Sainte-Baume et participent à partir du 21 août 1944 à de violents accrochages avec l’armée allemande du côté d’Auriol et de la Valentine, mais aussi à Peypin et Cadolive. Ce sont aussi des troupes marocaines qui sont chargées d’attaquer Aubagne et il échoit au 1er Tabor, commandé par le chef de bataillon Meric et constitué des 58ème, 59ème et 60ème Goums, de déborder les défenses allemandes par le Sud le long de la voie ferrée. Le lendemain, c’est le 6ème Goum qui s’empare de la colline de Carnoux avant d’occuper le camp de Carpiagne, point d’appui pour filer vers Marseille par le col de la Gineste tandis que des unités du génie civil s’emploient à déminer la route Aubagne-Cassis qui traverse le vallon de Carnoux.

Une histoire glorieuse donc, qui se solda par de très nombreux morts parmis les rangs des soldats marocains et de leurs officiers français, mais qui semble avoir été quelque peu occultée par les deux associations dont le siège est à Carnoux et qui entretiennent la mémoire des pieds-noirs, mettant pourtant en exergue la célèbre citation d’Albert Camus : « Nul ne peut savoir où il va s’il ne sait d’où il vient ».

Pèlerinage du 15 août à Carnoux-en-Provence

Pèlerinage du 15 août à Carnoux-en-Provence

A Carnoux, 50 ans après la création de la commune par ceux que le maire actuel qualifie dans son dernier éditorial du Messager d’ « admirables pionniers », il semblerait qu’enfin la page du souvenir ait été tournée, même si déjà se prépare le prochain rassemblement de pieds-noirs organisé traditionnellement chaque année à Carnoux pour le 15 août avec procession, curé en tête et bannières au vent, jusqu’à la croix, perchée sur la colline et supposée orientée en direction de Sidi Ferruch, une presqu’île située à 30 km d’Alger où a débarqué l’armée française en juin 1830, premier acte de l’invasion de ce pays.

Pour Marsactu, la meilleure preuve de la perte d’influence des pieds-noirs à Carnoux réside dans le choix d’un groupe de musique celtique pour le concert gratuit qui devait se dérouler samedi 16 juillet, et qui d’ailleurs a finalement été annulé suite à l’attentat de Nice. Il semblerait en effet que pour ce concert certains Carnussiens, qui n’ont donc pas été suivis, auraient préféré un récital d’Enrico Macias : nostalgie, quand tu nous tiens…

L.V. LutinVert1Small

Fondation Luma à Arles, une tour hallucinante…

16 juillet 2016

Un nouveau projet assez étonnant est en train de voir le jour à Arles, en plein centre ville, au sud du coeur antique, à l’emplacement des anciens ateliers de la SNCF, dont la fermeture en 1984 avait entraîné la perte de 1000 emplois et laissé la place à une vaste friche industrielle de 11 hectares.

Vue aérienne du projet LUMA Arles

Vue aérienne du projet LUMA Arles

Heureusement pour le maire communiste de la ville, Hervé Schiavetti, la riche héritière suisse des laboratoires pharmaceutiques Roche, Maja Hoffmann, s’est entichée de la bonne ville d’Arles où elle a grandi à partir de l’âge de 15 ans. C’est donc tout naturellement à Arles que sa fondation LUMA, créée en Suisse en 2004 pour soutenir des artistes indépendants, va investir pour construire un vaste complexe artistique, à la place des anciens ateliers de la SNCF. Baptisée à partir du prénom de ses deux enfants Lucas et Marina, la fondation privée de Maja Hoffmann a lancé en 2013 ce projet de LUMA Arles qui se veut un nouveau complexe culturel expérimental rassemblant des artistes, des chercheurs et des créateurs issus de différents secteurs afin de développer des projets et des expositions pluridisciplinaires.

Présentation de la maquette du projet à François Hollande en présence de Aurélie Filippetti, Hervé Schiavetti, Michel Vauzelle et Maja Hoffmann, le 26 juillet 2013 (photo Fondation Luma, Lionel Roux)

Présentation de la maquette du projet à François Hollande en présence de Aurélie Filippetti, Hervé Schiavetti, Michel Vauzelle et Maja Hoffmann, le 26 juillet 2013 (photo Fondation Luma, Lionel Roux)

Le projet, qui a été présenté en grandes pompes à François Hollande, lors d’une visite officielle en juillet 2013, comprend la réalisation d’un vaste parc paysager (élaboré par le Belge Bas Smets), la rénovation de cinq anciens bâtiments industriels de la SNCF, convertis par le cabinet d’architectes Selldorf en de nouveaux espaces d’exposition, et la construction d’un nouveau bâtiment dit Bâtiment Ressource, une tour de 56 mètres de hauteur qui accueillera les collections de la fondation, des résidences pour les artistes et un restaurant. Les Editions Actes Sud, implantées de longue date à Arles dans le centre ancien, devraient trouver refuge dans le futur parc paysager de 6 hectares.

Le chantier en cours...

Le chantier en cours…

A ce jour, trois des anciens bâtiments industriels rénovés, encore baptisés selon leur ancienne fonction (La Grande Halle, Les Forges et la Mécanique Générale) sont déjà en service. Mais la tour qui constitue le point de mire de ce vaste projet culturel, monté comme un partenariat public-privé d’un montant de 150 millions d’euros, associant l’État, la Région, la Ville, l’association que sont Les Rencontres de la Photo et la fondation de droit privé LUMA, est encore en chantier.

Maquette du futur Bâtiment Ressource

Maquette du futur Bâtiment Ressource

Conçu par l’architecte américano-canadien de 87 ans, Franck Owen Gehry, ce bâtiment dénotera fortement dans le paysage de l’ancien port romain d’Arelate devenue une modeste sous-préfecture provençale au pied des Alpilles, quelque peu assoupie entre deux corridas. L’édifice, construit en lieu et place de trois anciennes halles de la SNCF démolies en 2015, est agencé autour d’une gigantesque tour en béton de 10 étages, désormais bien visible et qui sert de noyau central, auquel seront ancrées quatre autres tours via un entrelacs de structures métalliques.

Les 10 000 m2 de surface de ce bâtiment hors normes seront constitués de 50 boîtes vitrées, d’une immense rotonde et de 11 000 blocs en inox sans couvercle vaguement empilés les uns sur les autres dans un désordre apparent tout à fait déstabilisant…

La Maison dansante à Prague, œuvre des architectes Vlado Milunić et Frank Gehry

La Maison dansante à Prague, œuvre des architectes Vlado Milunić et Frank Gehry

Une tour de verre et d’acier en plein milieu de l’Arles antique, et sous le soleil de Provence, voilà qui était osé ! Mais l’architecte Franck Gehry n’en est pas à son coup d’essai, lui qui s’est déjà illustré pour avoir conçu le musée Guggenheim à Bilbao ou la Fondation Louis Vuitton à Paris, mais aussi bien d’autres structures pour le moins originales telles que la fameuse « Maison dansante » à Prague ou le Lou Ruvo Brain à Las Végas, un bien curieux amoncellement de tôles froissées en phase de liquéfaction avancée.

Lou Ruvo Brain Institute, conçu par Frank Gehry à Las Vegas

Lou Ruvo Brain Institute, conçu par Franck Gehry à Las Vegas

Certains racontent d’ailleurs qu’il fabrique les maquettes de ses œuvres « en froissant des bouts de papier et en posant une canette de Coca dessus », ce qui explique sans doute en effet l’impression générale ressentie au vue du résultat de ses conceptions architecturales…

L.V.  LutinVert1Small

Carnoux : coup de sang d’un donneur de sang…

14 juillet 2016

Blog322_PhMairieEn ce bel été 2016, la bonne ville de Carnoux-en-Provence, érigée en commune en 1966 seulement, fête son jubilé. Mais tout le monde n’est pas à la fête… Car Carnoux se distingue aussi par son mode d’utilisation pour le moins opaque des espaces publics et notamment des bâtiments municipaux. A Carnoux, non seulement le covoiturage est interdit et l’affichage strictement prohibé mais l’accès aux équipements communaux relève, pour celui qui ne fait partie du sérail politique local, du parcours du combattant pour un résultat souvent très aléatoire…

L’association pour le don du sang, basée à Carnoux et afflilée à la Fédération nationale pour le don de sang bénévole, vient d’en faire les frais à son tour, ainsi que nous l’a écrit l’un de ses membres :

« Après la disparition de l’antenne du secours populaire de Carnoux, est ce bientôt celle de l’association du don du sang ?

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Aujourd’hui, 28 juin 2016, avait lieu à Carnoux une collecte exceptionnelle de sang, conséquence d’un stock très bas avant une période de vacances où la demande est généralement élevée.

Les responsables de cette association d’intérêt général de Carnoux ont demandé à la mairie, en prévision de cette collecte, la salle du Mont fleuri qui, parce très spacieuse, est très bien adaptée à cette activité.

Malheureusement, la réponse de la mairie fut négative et sans aucune explication, on leur octroya la salle Tony Garnier.

Or, cette salle très exiguë dont l’extension sous forme d’une véranda (par ailleurs construite sans permis, mal ventilée et qui fuit comme un panier percé à chaque pluie…) est inutilisable par fortes températures et totalement impropre à la collecte de sang.Blog322_PhCollecte

Par saine curiosité, un membre de l’association s’est rendu à 18h30 à la salle du Mont fleuri pour voir à quelle utilisation cet équipement communal avait bien pu être réservé, justifiant d’un niveau de priorité supérieur à un simple don du sang. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’en réalité la salle n’était tout simplement pas occupée !

Blog322_PhLogoIl est fort probable, eu égard aux frustrations du personnel soignant (médecin et infirmières) qui a dû assurer cette collecte dans des conditions aussi déplorables, que la crédibilité de l’association du don du sang de Carnoux soit pour le moins remise en cause.

Le système d’attribution des salles municipales à Carnoux reste pour le moins opaque, sauf peut-être pour certaines associations pour qui le problème ne se pose pas, dans la mesure où la municipalité leur a attribué à demeure et sans la moindre concertation publique des locaux à usage quasi privatif.

Pour couronner cette superbe journée, l’association du don du sang s’est vu notifiée par courrier que l’affichage sauvage était rigoureusement interdit à Carnoux, à part, peut-être pour les enquêtes d’utilité publique. Il ne manquerait plus que cette association, bien qu’elle même reconnue d’utilité publique, annonce sur la voie publique, au vu et au su de tous, qu’elle se livre dans Carnoux à une collecte de sang : quelle horreur !

Décidément, les associations caritatives ou d’intérêt public ont bien des difficultés pour perdurer sur notre belle commune ! »

Sans commentaire…

Inondations à Paris : qui l’eut cru ?

11 juillet 2016

Le 4 juin 2016, l’épisode est encore tout frais dans notre mémoire, la Seine à Paris atteignait au petit matin la cote de 6,10 m au droit du pont d’Austerlitz qui sert de référence pour les mesures hydrométriques. Le RER C avait alors été fermé par précaution et la navigation interrompue depuis plusieurs jours déjà, tant au niveau des voies sur berges alors largement submergées que sur la Seine elle-même qui n’est plus navigable dès que la cote atteint 4,30 m : il ne s’agit pas qu’une péniche vienne se coincer sous un pont !

Les journaux télévisés diffusaient alors en boucle les images de l’autoroute A10 totalement noyée à proximité d’Orléans, prenant au piège des centaines d’automobilistes et de camionneurs, tandis que le centre de Nemours était évacué de ses habitants à l’aide de barques et de kayaks. Mais ce que chacun redoutait alors, c’est que la Seine ne continue à monter dans l’agglomération parisienne, au risque de s’engouffrer dans les tunnels de métro et les innombrables galeries souterraines qui minent le sous-sol parisien.

La gare Saint-Lazarre sous les flots en 1910

La gare Saint-Lazarre sous les flots en 1910

Il s’en est fallu encore une fois de quelques dizaines de centimètres, comme en 1982 où la Seine avait atteint la cote de 6,15 m le 14 janvier. Heureusement, on était loin des niveaux atteints en 1955 (7,10 m) et surtout en janvier 1910, dernière crue importante de la Seine qui était alors montée à 8,62 m au pont d’Austerlitz, provoquant une inondation très large de Paris et de sa banlieue. L’eau s’était alors propagée très loin du lit habituel de la Seine en s’engouffrant dans les tunnels de métro alors en construction et venant s’étaler jusqu’au niveau de la gare Saint-Lazarre. Il avait alors fallu attendre plus d’un mois pour que l’eau finisse par disparaître des rues de la capitale, et bien plus longtemps encore pour arriver à nettoyer la ville des déchets et de la boue qui s’étaient amoncelés.

C’est ce souvenir de la dernière crue centennale de la Seine à Paris que le photographe de talent Jérôme Knez a voulu faire revivre en superposant des images d’archives avec d’autres prises exactement au même endroit lors de cette inondation récente de juin 2016.

Baignade dans la Seine, quai d’Orléans, vers 1930 (© J. Knez)

Baignade dans la Seine, quai d’Orléans, vers 1930 (© J. Knez)

Cet artiste, dont les œuvres sont diffusées sur son blog Golem13, s’est fait connaître en superposant des photos anciennes à leur décor actuel et sa série sur le Paris historique, intitulée « Paris. Fenêtre sur l’Histoire » est absolument remarquable.

En tout cas, l’idée de juxtaposer des prises de vue du même paysage urbain lors des deux crues de 1910 et 2016 donne un résultat saisissant et particulièrement pédagogique. Une occasion unique de nous rendre compte que l’épisode que nous venons de vivre il y a quelques semaines, s’il a pu être localement exceptionnel en particulier dans la vallée du Loing, était très en deçà de ce que pourrait produire à Paris une crue centennale comme celle vécue en janvier 1910.

Blog321_PhOdeon

Un admirable travail de photographe, cadré au millimètre, mais aussi un véritable talent de pédagogue qui méritait d’être salué. Chapeau l’artiste !

Sur le pont d'Arcole en 1910

Sur le pont d’Arcole en 1910

et en 2016

et en 2016

Le pont Saint-Michel en 1910...

Le pont Saint-Michel en 1910…

et en 2016

et en 2016

Sur le pont Sully en 1910...

Sur le pont Sully en 1910…

et en 2016

et en 2016

Un constat en tout cas au vu de ces photographies : quelle que soit l’époque, en juin 2016 comme en janvier 1910, le Parisien est toujours aussi curieux des phénomènes naturels et vient s’agglutiner en masse sur tous les ponts de la capitale à la moindre crue…

L.V.  LutinVert1Small

North Sentinel : une île qui cherche à se faire oublier

7 juillet 2016

C’est un petit ilot d’apparence paradisiaque, de 72 km2 seulement, perdu dans le Golfe du Bengale, magnifiquement boisé, bordé d’une admirable plage de sable blanc et entourée d’une barrière de corail et d’un lagon bleu turquoise. Une destination de rêve pour touristes en mal d’exotisme. Sauf que le tourisme n’y est guère conseillé car les habitants du lieu y sont franchement hostiles.

Vue aérienne de l'île North Sentinel en 2005 (photo G. Singh / AP / SIPA)

Vue aérienne de l’île North Sentinel en 2005 (photo G. Singh / AP / SIPA)

Les derniers étrangers qui se sont risqués à approcher les côtes de cette petite île de l’archipel des Andaman-et-Nicobar, proche de la Birmanie mais rattachée administrativement à l’Inde, ont été proprement massacrés à coups de lances en 2006. Il faut dire à la décharge des indigènes qu’il s’agissait en l’occurrence de braconniers quelque peu avinés, venus pêcher la tortue dans un périmètre pourtant strictement interdit d’accès. Mais même l’hélicoptère des gardes côtes indiens venu en reconnaissance après le tsunami de décembre 2004 pour constater les dégâts avait été pris pour cible par les flèches des habitants du lieu.

Habitants de l'île North Sentinel menaçant face à l’arrivée d’intrus (Documentary Channel)

Habitants de l’île North Sentinel menaçant face à l’arrivée d’intrus

En fait, tout intrus qui s’approche un tant soit peu de cet ilot se voit menacé par quelques dizaines d’hommes quasiment nus,  brandissant arcs et flèches et hurlant des imprécations de nature à effrayer les plus téméraires. Un réalisateur du National Geographic venu tourner un documentaire sur cette île en 1974 s’est vu ainsi gratifier d’une flèche dans la cuisse qui a quelque peu calmé sa soif de découverte et l’a incité à rebrousser chemin sans entrer plus avant dans la prise de contact avec les autochtones.

En mars 2014, la disparition mystérieuse du vol MH 370 de la Malaysia Airlines dans les parages avait conduit les équipes de recherche à effectuer de nombreux vols de reconnaissance au dessus de l’ilot hostile d’où s’élevait une fumée suspecte, mais en prenant bien garde de ne pas y poser les pieds pour ne pas se prendre une flèche perdue.

Vue aérienne de l’île (photo NASA)

Vue aérienne de l’île (photo NASA)

Un des seuls contacts récents avec la tribu qui occupe les lieux date de 1991, à l’initiative d’un anthropologue britannique, Trilokinath Pandit, qui avait fait moult tentatives infructueuses depuis des années avant d’arriver finalement à débarquer sans se faire agresser. Comme le montre un document filmé à cette occasion, les premières offrandes débarquées sur la plage pour tenter d’amadouer les occupants ont été diversement appréciées : les noix de coco (qui ne poussent pas sur l’île) et les objets en cuivre ont eu un succès certain, mais pas le cochon qui a été tué et aussitôt enterré sur place sans être consommé. Manifestement pas du goût des autochtones qui d’ailleurs, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire, ne sont pas anthropophages non plus et se nourrissent plus prosaïquement des poissons et des tortues du lagon.

Les tentatives d’approche du Britannique ont en tout cas fini par payer : sans qu’il comprenne très bien pourquoi, les guerriers ont décidé un jour de baisser la garde et de le laisser prendre pied sur leur territoire, non sans l’avoir obligé au préalable à se dévêtir et à enlever ses lunettes. Il ressort ainsi de ses observations que les habitants seraient entre 50 et 250 au maximum. Il s’agirait d’une population d’origine africaine, installée sur l’archipel depuis environ 60 000 ans, et initialement apparentée aux Jarawa qui peuplent l’île Adaman voisine (où ils sont sérieusement menacés par les intrusions des touristes et des braconniers, sans compter les tentatives de sédentarisation du gouvernement indien, comme le dénonce régulièrement Survival).

Sentinelle menaçant un hélicoptère avec son arc en 2004 (© Indian Coastguard/Survival)

Sentinelle menaçant un hélicoptère avec son arc en 2004 (© Indian Coastguard/Survival)

Mais les Sentinelles, contrairement à leurs lointains cousins des îles voisines, ont coupé tous les ponts avec le reste de l’humanité et vivent comme au Néolithique, parlant même leur propre dialecte différent de celui de leurs voisins. Il faut dire qu’ils auraient quelques bonnes raisons de se méfier du reste de l’humanité. Il se raconte en effet qu’en 1880, des navigateurs britanniques de passage, se seraient emparés de force d’une famille d’autochtones pour aller les exhiber dans le vaste monde. Les adultes déracinés seraient décédés très rapidement et du coup, nos explorateurs intrépides seraient revenus sur l’île pour se débarrasser des plus jeunes, sans doute trop remuants à leur goût. Une décision funeste qui se serait traduite par une épidémie dévastatrice sur l’île du fait des virus introduits. On comprend que les indigènes rescapés soient devenus méfiants…

Dieu seul sait jusqu’à quand les Sentinelles parviendront à conserver la paix sur leur ilot isolé soumis comme le reste du monde aux convoitises et aux incursions de toute sorte…

L.V.  LutinVert1Small

Disparition de Michel Rocard, alias Hamster érudit

4 juillet 2016

L’ancien premier ministre Michel Rocard s’est éteint le 2 juillet 2016, à l’âge de 85 ans, sans avoir pu exercer la fonction de Président de la République à laquelle il avait longtemps aspiré. L’ancien scout dont le nom de totem était Hamster érudit, figura pourtant un temps parmi les personnalités politiques les plus populaires auprès des Français.

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Son père était le physicien renommé Yves Rocard, qui dirigea, après la mise à l’écart de Frédéric Joliot-Curie, les programmes scientifiques ayant conduit à l’élaboration de la bombe atomique française avant de se passionner pour le magnétisme et de tenter d’expliquer rationnellement l’utilisation de la radiesthésie par les sourciers. Il semblerait d’ailleurs que le physicien, impérieux et plutôt conservateur, n’ait jamais beaucoup apprécié les orientations professionnelles ni le parcours politique de son fils, ce qui fut assez mal vécu par le jeune Michel Rocard…

Ce dernier intègre Sciences Po et l’ENA où il se lie d’amitié avec un certain Jacques Chirac qu’il essaie de convaincre d’adhérer également à la SFIO, la Section française de l’Internationale ouvrière, dont Michel Rocard était membre dès ses 17 ans. Peine perdue : pas assez à gauche pour Chirac qui n’avait pas encore fait son revirement idéologique !

Michel Rocard et François Mitterrand en avril 1988 à la Roche de Solutré (photo P. Herzog / AFP)

Michel Rocard et François Mitterrand en avril 1988 à la Roche de Solutré (photo P. Herzog / AFP)

D’ailleurs, le militant Rocard quittera lui-même le navire dès 1958, en plein désaccord avec Guy Mollet et François Mitterrand, quant à la position des socialistes sur l’indépendance de l’Algérie. Il entame alors une carrière de haut fonctionnaire à l’Inspection des Finances tout en continuant à militer, sous le pseudonyme de Georges Servet… Il participe ainsi à la création du Parti socialiste autonome, puis unifié, le PSU, dont il prendra la tête en 1967.

Michel Rocard, en 1969, alors dirigeant du PSU (photo Juillet / SIPA)

Michel Rocard, en 1969, alors dirigeant du PSU (photo Juillet / SIPA)

En 1969, il se présente pour la première fois à l’élection présidentielle suite au départ anticipé du général de Gaulle et recueille à peine 3,66 % des suffrages. Ce n’est pas brillant, mais le candidat de la SFIO, Gaston Deferre, fait à peine mieux avec 5 % des voix ! Ce n’est qu’en 1974, 3 ans après le congrès d’Epinay, que Michel Rocard finit par rejoindre le PS, où il incarna longtemps l’aile droite, la fameuse « deuxième gauche » sociale-démocrate et réformiste, désormais représentée notamment par Manuel Valls qui débuta d’ailleurs sa carrière politique dans son cabinet…

Elu brièvement député des Yvelines dès 1969, c’est en 1977 que Michel Rocard devient maire de Conflans-Sainte-Honorine avant de retrouver son mandat de député en 1978. En 1981, il se voit obligé de retirer sa candidature à la Présidence de la république au profit de François Mitterrand mais sera nommé dans le gouvernement de Pierre Mauroy ministre du Plan (où il fut à l’origine des fameux contrats de plans État-Régions, les CPER, toujours en vigueur actuellement), puis ministre de l’agriculture, avant de démissionner en 1986 pour protester contre l’adoption du scrutin proportionnel qui permettra au Front National de rentrer à l’Assemblée.

En 1988, c’est la consécration puisque François Mitterrand, nouvellement réélu, le nomme premier ministre. Mais les élections législatives qui suivent ne lui donnent qu’une majorité relative, ce qui l’amène à nommer dans son deuxième gouvernement des « ministres d’ouverture », tels que Michel Durafour, Jean-Pierre Soisson ou Lionel Stoléru.

Michel Rocard sur le perron de l’Elysée le 10 mai 1988

Michel Rocard sur le perron de l’Elysée le 10 mai 1988

Ces trois années passées à la tête du gouvernement laisseront de nombreuses traces avec notamment la création du RMI, le revenu minimum d’insertion, qui entre en vigueur début 1988. C’est lui aussi qui met en place la CSG, la Contribution sociale généralisée, destinée à élargir l’assiette des contributions sociales. Lui aussi qui contribue à ramener la paix civile en Calédonie après l’épisode sanglant de l’assaut à la grotte d’Ouvéa. Lui enfin qui devra faire face à une forte poussée de la xénophobie attisée, déjà, par le Front National, en pleine affaire du foulard islamique à l’école. Il prononcera d’ailleurs dès juin 1989 une phrase souvent reprise depuis « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles ». Certains ont voulu depuis édulcorer sa pensée mais, comme l’a encore rappelé Libération, ses paroles reflétaient bien alors un discours de fermeté face à l’immigration économique.

Edith Cresson avec François Mitterrand en 1991 (photo archives AFP)

Edith Cresson avec François Mitterrand en 1991 (photo archives AFP)

Et pourtant, malgré un bilan plus qu’honorable, le mercredi 15 mai 1991, François Mitterrand le congédie sans prévenir pour nommer à sa place la maire de Châtellerault, Edith Cresson, qui ne restera que moins d’un an en poste. Le coup est rude pour Michel Rocard qui avait déjà beaucoup souffert, durant son séjour à Matignon, d’une hostilité à peine masquée de la part du Chef de l’État.

En 1993, Michel Rocard espère que son heure est enfin arrivée. Il devient premier secrétaire du PS suite à l’échec des législatives et se prépare pour les présidentielles de 1995. Mais en juin 1994, la liste PS qu’il conduit pour les élections européennes ne recueille que 14,5 % des voix : un score dérisoire qui est dû à la concurrence de la liste Tapie, largement soutenue par François Mitterrand. Cette dernière peau de banane sera fatale puisqu’elle lui fait perdre son fauteuil de premier secrétaire du PS et le conduit même à abandonner en 1994 sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine.

Michel Rocard dans un meeting à Tours en février 1993 (photo P. Wojazer / Reuters)

Michel Rocard dans un meeting à Tours en février 1993 (photo P. Wojazer / Reuters)

Il se place alors largement en retrait de la vie politique même s’il a du mal en 2007 à rester coi face à la candidature de Ségolène Royal qui l’exaspère. En janvier 2009, il démissionne de son dernier mandat au Parlement européen, sous les applaudissements de l’hémicycle. Il continue néanmoins à s’investir auprès de la fondation Terra Nova et accepte même plusieurs missions que lui confie Nicolas Sarkozy en 2009, dont un rapport sur la taxe carbone et une réflexion sur la mise en œuvre du grand emprunt national.

Michel Rocard en mission sur la banquise (photo Le Cercle Polaire)

Michel Rocard en mission sur la banquise (photo Le Cercle Polaire)

A 80 ans, il est même nommé ambassadeur de France chargé des négociations relatives aux pôles Arctique et Antarctique ! Un âge qu’il a d’ailleurs bien du mal à accepter malgré un grave accident cardio-vasculaire qui l’avait atteint en 2007 lors d’un voyage en Inde. Le Monde rapporte qu’il avait coutume de dire : « La vie active s’arrête à 60 ans, on devient caduc à 65 et les gens pensent que l’on sucre les fraises à 70. Il faut s’habituer à être moins attendu, à n’avoir plus d’avenir, quoi ! » Une belle leçon de vie en tout cas de la part d’un homme de conviction, travailleur acharné et débateur passionné dont le débit de mitraillette et les phrases alambiquées laissaient souvent perplexe mais rarement indifférent…

L.V.   LutinVert1Small

Brésil : pourquoi la Présidente a-t-elle été destituée ?

1 juillet 2016

Réélue de justesse à la Présidence de la République du Brésil en 2014, avec quand même pas moins de 54 millions de voix, après un premier mandat qui lui avait permis de succéder en 2011 au charismatique ex-leader syndicaliste Luiz Inácio Lula da Silva, plus connu sous son diminutif de Lula, Dilma Rousseff a été destituée de son poste le 12 mai 2016 dans le cadre de ce que beaucoup considèrent comme une sorte de coup d’État… Petit retour en arrière pour essayer de comprendre comment ce pays a bien pu en arriver à une telle extrémité…

Blog318_DessinGolpeFille d’un avocat communiste bulgare, Dilma Roussef fait partie de ces activistes qui ont subi la terrible répression politique mise en œuvre par la dictature militaire arrivée au pouvoir en 1964 à la suite d’un coup d’État. Arrêtée en 1970, elle est atrocement torturée pendant 22 jours et restera emprisonnée pendant 3 longues années. Diplômée en sciences économiques en 1977, elle rejoint le Parti des Travailleurs en 2001 et est nommée ministre de l’énergie en 2003 lorsque Lula est élu à la Présidence de la République. Devenue n°2 du gouvernement à partir de 2005, elle succède assez naturellement à Lula en 2011, devenant ainsi la première femme à accéder à la tête de ce pays.

Dilma Roussef et Lula en campagne pour l’organisation des jeux olympiques au Brésil

Dilma Roussef et Lula en campagne pour l’organisation des jeux olympiques au Brésil

Pourtant, dès son premier mandat, elle doit faire face à une forte impopularité, critiquée de toutes parts en particulier pour les dépenses fastueuses réalisées pour accueillir la coupe du monde de football ainsi que pour avoir autorisé la construction de barrages en Amazonie contre l’avis des défenseurs de l’environnement. On lui reproche surtout une détérioration de la croissance économique du Brésil qui s’enfonce dans la crise, même si les nombreuses réformes sociales effectuées par son prédécesseur et elle-même ont sensiblement amélioré la situation des classes sociales les plus pauvres.

Après sa réélection en 2014, la dégradation de la situation économique, du fait notamment d’une forte baisse des cours mondiaux des matières premières, oblige le gouvernement de Dilma Rousseff à mettre en œuvre une politique de rigueur budgétaire et à réduire l’ampleur des programmes d’aide sociale. En parallèle éclatent plusieurs scandales de corruption touchant le Parti des Travailleurs et l’entreprise nationale Petrobras dont Dilma Rousseff avait présidé le conseil d’administration de 2003 à 2010. Le géant pétrolier Petrobras et plusieurs entreprises du BTP sont accusés d’avoir versé des pots de vin à de nombreux responsables politiques de la coalition centriste au pouvoir, contribuant à financer leur campagne en échange d’un accès à certains marchés publics. Lula lui-même est impliqué dans ce scandale et mis en cause par le Parquet pour  avoir occulté la déclaration de biens immobiliers, au point que la Présidente le nomme à son cabinet le 16 mars 2016, pour tenter de le protéger des poursuites judiciaires.

Manifestation pour la destitution de Dilma Rousseff (photo Keystone)

Manifestation pour la destitution de Dilma Rousseff (photo Keystone)

On assiste alors à un véritable emballement. En août 2015, près de 500 000 personnes défilent dans la rue pour réclamer la destitution de la Présidente qui voit sa cote de popularité tomber en dessous des 10 % : encore mieux que François Hollande ! Jusque là, les partis du centre droit qui font partie de la coalition au pouvoir, évitaient de trop insister sur ces questions de corruption car leurs principaux responsables y avaient eux-mêmes largement trempés.

En octobre 2015, la Justice reproche à Dilma Rousseff d’avoir sciemment enjolivé les comptes publics de la Nation en 2014 afin de favoriser sa propre réélection : elle aurait financé certaines dépenses publiques en empruntant auprès de banques et en reportant sur l’exercice 2015 l’inscription de ces emprunts. Une manœuvre comptable assez classique, utilisée par tous ses prédécesseurs sans exception, mais qui servira de prétexte pour permettre à l’opposition de se déchaîner contre elle et de réclamer sa destitution, alors même qu’elle semble être une des rares responsables politique brésilienne à ne pas avoir tiré de profit personnel des différents scandales de corruption mis au jour, contrairement à l’un de ses prédécesseur à la tête du pays, Fernando Collor de Mello qui avait été destitué en 1992, une longue tradition de la vie politique au Brésil !

 

Eduardo Cunha, ex président de la Chambre des députés, démis de ses fonctions le 5 mai 2016 (photo E. Sa / AFP)

Eduardo Cunha, ex président de la Chambre des députés, démis de ses fonctions le 5 mai 2016 (photo E. Sa / AFP)

En décembre 2015, Eduardo Cunha, député ultraconservateur, adepte d’une église évangélique néo-pentecôtiste et président de la Chambre des Députés, lui-même impliqué jusqu’au cou dans le scandale Petrobras et poursuivi pour corruption et blanchiement d’argent, lance la procédure de destitution qui finit par être approuvée le 17 avril 2016 à une large majorité de deux-tiers des députés. Sa victoire est de courte durée puisqu’il est suspendu de ses fonctions, accusé d’avoir usé de ce stratagème pour empêcher que les investigations menées à son encontre n’aillent jusqu’à leur terme : à corrompu, corrompu et demi !

Son successeur, le centriste Waldir Maranho, tente alors d’annuler le vote des députés, arguant que Dilma Rousseff n’a pas pu se défendre, mais il cède rapidement à la pression et finit par opérer un revirement stratégique… Le Sénat prend alors le relai et, le 12 mai dernier, 55 des 81 sénateurs votent en faveur de la destitution provisoire de la Présidente de la République qui est donc écartée du pouvoir pour une période de 180 jours. A l’issue de cette période et une fois Dilma Rousseff jugée pour les faits qui lui sont reprochés, le Sénat devra se prononcer de nouveau pour décider définitivement de son sort.

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En attendant, c’est le vice-président Michel Tremer qui l’a remplacé à la tête de l’État, accusé comme il se doit par son ex alliée de coup d’état institutionnel : ambiance, ambiance… D’autant que le nouveau président par intérim est lui-même visé par une procédure de destitution pour son implication supposée dans le maquillage des comptes publics et dans l’affaire de corruption de Petrobras.

Des sénateurs de droite se congratulent après le vote pour la destitution de Dilma Roussef (photo U. Marcelino / Reuters)

Des sénateurs de droite se congratulent après le vote pour la destitution de Dilma Roussef (photo U. Marcelino / Reuters)

Dans un tel contexte, on ne voit pas très bien quelle issue pourra trouver la classe politique brésilienne pour retrouver la confiance de ses électeurs. Aecio Neves, président du principal parti d’opposition social-démocrate, le PSDB, est lui aussi fortement suspecté de corruption pour avoir bénéficié directement de pots-de-vin de la part de Petrobras et d’entreprises du bâtiment, un de plus ! Tout récemment, comme l’a confié Dilma Rousseff dans une interview à El Pais, le procureur général vient de requérir une peine de prison contre l’actuel président du Sénat, Renan Calheiros. Quant à Paulo Maluf, du Parti progressiste (de droite), ancien maire et gouverneur de Sao Paulo, il est recherché par la justice américaine, condamné en France et fiché par Interpol depuis 2010 selon Le Monde.

En 1988, Lula alors député d’opposition avait finalement assez bien résumé la situation politique brésilienne en s’exclamant : « quand un pauvre vole, il va en prison. Et quand un riche vole, il est nommé ministre »…

L.V.  LutinVert1Small