Ce nouveau numéro du cercle de lecture Katulu ? affilié au Cercle Progressiste Carnussien vous fera découvrir de nouvelles oeuvres découvertes et partagées au cours du dernier semestre de l’année 2017, en espérant vous donner envie de les découvrir à votre tour. Retrouvez l’intégralité des notes de lecture de ces livres (Katulu n° 54). Si vous aussi vous avez envie d’échanger en toute convivialité autour de vos derniers coups de cœur de lecteur, venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence !
Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner
Un livre au titre accrocheur, qui rassemble un collectif de « savants » à majorité psychiatres et psychologues, édité par Albin Michel :
Patrice Van Eersel a été chroniqueur scientifique, rédacteur en chef du magazine Clés.
Boris Cyrulnik est psychanalyste, psychologue, neuropsychiatre et écrivain.
Pierre Bustany est neurophysiologiste et neuropharmacologue, spécialiste de psychophysiologie.
Jean-Michel Oughourlian, neuropsychiatre et ancien professeur de psychologie à la Sorbonne, est l’un des grands spécialistes français de ces « neurones empathiques » qui constituent notre troisième cerveau, le « cerveau mimétique ».
Christophe André, médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, spécialisée dans le traitement et la prévention des troubles émotionnels (anxieux et dépressifs), a notamment introduit l’usage de la méditation dans les pratiques de soins en France.
Thierry Janssen, d’abord médecin et chirurgie durant plusieurs années, a choisi de devenir psychothérapeute spécialisé dans l’accompagnement des patients atteints de maladies.
La forme de l’ouvrage est originale avec quatre parties traitant du cerveau plastique, social, émotionnel et enfin un cerveau qui reste une énigme. Dans chaque partie, l’auteur fait un résumé des recherches actuelles et introduit la discussion qui va suivre avec un scientifique.
Boris Cyrulnik (photo © DR)
Notre cerveau est plastique (entretien avec Boris Cyrulnik) :
Nos neurones se remodèlent et se reconnectent jusqu’à la fin de notre vie. Aujourd’hui, presque n’importe quelle zone du cerveau est modelable, au prix d’efforts certes puissants mais accessibles. L’ensemble de notre cerveau peut entièrement se réorganiser suite à un accident par exemple. Boris Cyrulnik démontre que la résilience repose sur la plasticité neuronale.
Notre cerveau est social (entretien avec Pierre Bustany et Jean-Michel Oughourlian) :
Nos neurones ont besoin d’autrui pour fonctionner car notre cerveau est neurosocial. Nos circuits neuronaux sont faits pour se mettre en phase avec ceux des autres. Nos neurones ont absolument besoin de la présence physique des autres et d’une mise en résonnance empathique avec eux. Tout cela fonctionne, entre autres, grâce aux neurones miroirs. C’est un mécanisme qui fait que dès la naissance, notre cerveau « mime » les actions qu’il voit accomplir par d’autres, comme si c’était lui qui agissait. Les neurones miroirs servent à nous préparer à l’action, en renforçant les voies neuronales de notre cerveau moteur. Ils détermineraient toutes nos relations. Si le modèle devient un rival les émotions et sentiments positifs, bonne humeur, estime, amour se changent alors agressivité. La sagesse consiste donc à apprendre à désirer ce que l’on a.
Notre cerveau est émotionnel et autonome (entretien avec Christophe André) :
Sentir, penser, agir… Tout cela ne consomme que 1 % de notre énergie cérébrale, c’est la partie consciente. Le reste est utilisé par le non-conscient. Un neurone ne devient opérationnel que si des dendrites se mettent à pousser, le reliant par des synapses à d’autres neurones. Les 6 moteurs de croissance dendritique les plus importants sont le désir, l’affection, l’interrogation, la réflexion, l’action, l’effort volontaire. Ce qui détruit les neurones: le vieillissement, le stress, la pollution, certaines maladies, et surtout la passivité. On sait maintenant que notre cerveau ne comporte pas de régions spécialisées dans le calcul, la sémantique, la vision : tout fonctionne en réseau ! Les 3 principaux créateurs de réseaux neuronaux sont l’imitation, l’émotion et la répétition. Ces 3 facteurs constituent la trame de notre vie affective et relationnelle, car notre cerveau est éminemment social.
Notre cerveau est une énigme (entretien avec Thierry Janssen) :
De quoi sont faits nos rêves ? Les neurologues croient aujourd’hui que, pendant le sommeil paradoxal, le cerveau, libéré du contrôle conscient exercé par les lobes frontaux du néocortex, remodèle les réseaux neuronaux. A quoi ressemble ce remodelage ? Mystère ! Tout ce à quoi vous avez accès, c’est la traduction qu’en a fait votre moi conscient à la dernière seconde, juste au moment éclair du réveil, à la sortie de votre rêve. L’ultime énigme est circulaire : comment s’interroger sur ce qui nous sert à poser des questions, le cerveau étant à la fois l’étudiant et l’étudié ? Répondre à cette question serait-ce découvrir la nature de la conscience et de l’âme ?
Dans l’épilogue « Mais alors qu’est-ce que la conscience ? » ce sont les travaux d’Antonio Damasio directeur de l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité de l’Université de la Californie du Sud, qui sont pris en compte. « Le cerveau crée des cartes, qui vont lui permettre de s’informer et de guider le comportement moteur, mais aussi de fabriquer des images, qu’il va traiter pour produire ce que l’on appelle l’esprit et la conscience ». La conscience est esquissée dans le tronc cérébral et le cortex assure sa floraison. Dans un tel système, l’émotion et le sentiment exercent une primauté pour la conscience.
Au cours de ces entretiens passionnants, défaisant de nombreuses idées reçues, on découvre avec émerveillement des potentialités jusqu’alors insoupçonnées de nos neurones, ainsi que le caractère « neurosocial » de notre cerveau induisant la nécessité de stimuler nos cellules nerveuses tout au long de la vie. On est captivé par cet ouvrage qui délivre des découvertes stupéfiantes sur notre cerveau, dans un langage clair, simple et enthousiasmant.
Antoinette
ALMA
J.M.G. Le Clézio
ALMA est le journal de voyage de Jérémie Fersen à la recherche de l’héritage spirituel que son père lui a partiellement caché. Il n’y a pas de préface, mais il y a en exergue, un quatrain datant de 1786, du poète écossais Robert Burns. Et puis il y a un prologue longuement animé par les noms qui, depuis l’enfance, virevoltent autour de Jérémie, « comme des papillons affolés ».
Il part pour un retour iniatique vers le pays de ses ancêtres paternels. Une veille carte sur toile datée de 1875 et un curieux caillou blanc de la grosseur d’une balle vont lui servir de viatiques. D’autres souvenirs ? Il n’en a pas ! Son père était un taiseux ! Alors il part à la recherche de ce lien qui lui manque.
Vient alors le développement, lorsque Jérémie Fersen débarque à Maurice, sur les traces d’Axel Fersen et de son épouse Alma. Ses aieux sont arrivés sur l’Isle de France en 1796, juste à la fin de la Révolution Française.
JMG Le Clézio (photo © Catherine Hélie / Gallimard)
Maigres indices sur lesquels il va faire du zapping selon la méthode actuelle. Clic sur Krystal : jolie lycéenne noire qui sèche ses cours. Clic sur Aditi, jeune femme d’origine indienne, enceinte d’un enfant sans père. Elle a été violée.
Clic sur la Surcouve, descendante de Surcouf, elle vit dans une cabane de pêcheurs avec des étagères remplies de livres anciens et de porcelaines de la compagnie des Indes.
Clic sur Marie Madeleine Mahé de la Bourdonnais, fille naturelle d’une esclave, reconnue par son père « gouverneur des Isles de France et de Bourbon » qui lui fit donner en France une éducation de demoiselle… mais pas d’héritage. A sa mort, elle finit à l’asile de la Salpétrière, sous Louis XV.
Clic sur Emmeline, très vieille dame, cousine d’Alexandre Fersen, enrôlé à quinze ans avec de faux papiers car il désirait fuir la vie étriquée de Maurice. Il devint avocat et c’est le père de Jérémie. Merveilleuse petite nouvelle sur la société coloniale du siècle passé…
Clic sur Topsie : c’est un flash plein d’humour triste.
Clic sur une autre navigation qui raconte les conditions aberrantes du transport d’un dodo vers l’Angletere et la fin du pauvre volatile en terre saxonne en 1608.
Feuilletant un album de photos jaunies, il recueille les dernières confidences d’Emmeline sur le secret de famille : Alma furent deux maisons séparées par un rideau de bambous ; dans la grande, les bons Fersen ; dans la petite, des Fersen maudits pour double métissage, branche anéantie à la disparition du cousin Dominique. Jérémie ne retrouvera pas Alma…
Etrange composition par la succession de caractères gras et italiques : le style concis-actif de la narration de Jérémie s’opposant au vécu-présent de Dominique beaucoup plus discursif.En fait, il s’agit toujours de la même personne, J.M.G. Le Clézio, pendant un de ses voyages dans l’archipel des Mascareignes dont Maurice, entre la Réunion et Rodrigues, est l’île centrale.
Ces voyages lui ont appris à faire le point entre les différents aspects de sa personnalité tout en promenant le lecteur dans un lieu magnifique, chargé d’histoire et de résonances dramatiques ou poétiques.
Des thèmes dominants : l’anéantissement des espèces dues à des fautes humaines, le passage d’une société esclavagiste à une société de consommation, la prostitution des jeunes à grande échelle induite par le tourisme mondial, la recherche mystique et le culte des morts par suite de l’affaiblissement des religions, les flux migratoire et ce qui en découle : le racisme ; la recherche de racines familiales dans un monde qui change vite. Qui sommes nous, où allons-nous ?
Roselyne
Bella Ciao
Marielle Gallet
L’auteur, épouse de Max Gallo, raconte le combat quotidien de ce dernier contre la maladie de Parkinson, les errances d’un homme perdu, alors qu‘elle comprend qu’elle vit les heures tragiques de leur amour.
Quand elle rencontre Max il chante Bella Ciao pour la séduire ; l’amour la politique les réunissent. C’est un homme avide de culture, un bourreau de travail, passionné par la France, engagé auprès de Jean Pierre Chevénement puis intéressé par Nicolas Sarkozy. Mais on ne peut parler de lui sans évoquer le drame de sa vie, le suicide de sa fille Mathilde en 1972.
Lui qui a écrit tant de nombreuses biographies de Napoléon à De Gaulle, devient sous la plume de Marielle un héros romanesque. « il lui arrive de parler de lui à la troisième personne comme si cela allait le protéger ; un beau retournement de voir que celui qui a écrit 150 ouvrages devient à son tour l’un des personnages du livre ».
Elle dépeint les traits de caractère de cet homme à la fois modeste et conscient de sa supériorité, mais la maladie a rétréci sa vie, son corps, son écriture, ses mouvements, ses pas sont tout petits, il n’a plus assez d’énergie pour continuer à vivre ce qui faisait son essence essentielle. Il s‘ennuie, il n’aime pas l’homme qu’il est devenu, il préfère ne pas le voir. Lorsque les médecins ont diagnostiqué la maladie de Parkinson, elle s’est beaucoup documentée, mais lui n’a pas voulu.
Marielle a écrit ce livre pour surmonter l’indicible. Elle revit les merveilleux moments de leur amour car il y a une véritable tragédie à vivre simultanément la présence et l’absence de la personne qu’on aime ; écrire est un moyen de résister.
Ce livre aurait pu s’appeler le Désarroi car elle l’évoque très souvent au cours des pages.
Elle accepte la tyrannie de Max, elle l’excuse. Elle lui lit les pages de son livre mais ce n’est pas lui ; il emploie le mot « il » pour designer mon personnage. La vérité si elle existe ne l’intéresse pas. « J’ai toujours pensé que les hommes n’anticipent pas de la même façon que les femmes ; ils n’ont pas la même appréhension de la réalité ne s’y cognent qu’au moment où elle se matérialise ».
Je vous recommande ce livre émouvant bien écrit et plein de nuances ; en fait une vie.
Suzanne
Birmanie – Les chemins de la liberté
Sylvie Brieu
Sylvie Brieu (photo © DR)
Sylvie Brieu est grand-reporter et écrivain. Ce livre est un journal de voyage. L’écriture est fluide, le sens du détail des personnalités et des atmosphères des lieux parcourus rend le récit très vivant. Il nous entraîne aux quatre coins du pays, en particulier dans des provinces très récemment ouvertes aux étrangers sans qu’on puisse parler d’ouverture au tourisme. Grâce notamment aux réseaux de l’Église catholique, il permet d’aller là où cela est encore interdit. Certains de ces séjours dans les contrées les plus excentrées n’auraient pas été possibles sans l’intermédiation d’hommes d’Église dont quelques-uns s’avèrent très liés à la France, à l’image du père Philip Za Hei Lian, un religieux chin récemment décédé.
« Un flux d’impressions contradictoires m’assaille et me tourmente… La Birmanie reste un pays en guerre avec ses camps de déplacés internes, ses violences infligées aux minorités et ses terrains minés. La souffrance de ses populations, dissimulée à l’ombre des pagodes dorées, ne semble pas en voie de se dissiper. Plus je multiplie mes expériences dans ce pays, plus sa part d’ombre s’épaissit. » dit-elle.
Le périple de Sylvie Brieu est fait de multiples rencontres sollicitées et fortuites. Un patchwork qui permet d’aborder des groupes ethniques dont on parle bien peu. Toute la quête de la journaliste montre très bien le champ associatif et politique birman qui demeure profondément morcelé, avec la participation de nombreuses femmes particulièrement engagées et courageuses.
Sylvie Brieu doit reconnaître le rôle prépondérant d’Aung San Suu Kyi dans l’avancée de ce pays dans le concert des nations et le desserrage de la junte militaire. Cela prendra du temps avant la reconnaissance des différentes ethnies, de leur culture et de leurs religions dans un pays où l’ethnie birmane et le bouddhisme restent dominants.
Le style et la fluidité de l’écriture permet d’appréhender ce pays comme une aventure tout à fait passionnante. Ce serait bien d’avoir lu ce livre avant de visiter la Birmanie !
Cécile
Un fauteuil sur la Seine
Amin Maalouf
Amin Maalouf fut élu en juin 2011 à L’Académie Française au fauteuil laissé vacant par Claude Lévi-Strauss. Depuis le 1er occupant reçu en mars 1634, l’auteur est le 19ème à occuper ce fauteuil. Pour chacun des 18 personnages de ce 29ème fauteuil, l’auteur fait un bref rappel de ce qu’il fut, de ce qu’il a pu écrire et le motif qui a conduit à sa nomination : un chapitre de 10 et 20 pages par académicien.
Avec beaucoup d’humour il donne un intitulé à ses chapitres et l’on découvre : « celui qu’on a préféré à Corneille », « celui qui est passé devant Voltaire », « celui qui idolâtrait Molière », « celui qui fut élu contre Victor Hugo » ou bien celui que les écrivains jalousaient, celui qui n’aimait pas son prédécesseur, celui qui fut l’homme le plus insulté de France ou par contre celui que tout le monde venait entendre, sans oublier celui qui fut deux fois condamné à mort.
Amin Maalouf en habit d‘académicien (photo © DR)
Dans son épilogue l’auteur explique qu’il a vu « en chacun des titulaires successifs le témoin précieux et éphémère d’une histoire qui le dépasse… » « Certains de ces ancêtres appartiennent sans aucun doute à ceux que Jules Renard appelait «le commun des immortels » mais parmi eux, « sur ce siège en bois » se sont assis Joseph Michaud (historien des croisades), Claude Bernard, Ernest Renan, André Siegfried, Henry de Montherlant, Claude Lévi-Strauss.
Le texte sur le premier occupant, Pierre Bardin, est l’occasion d’un rappel de la genèse de l’Académie Française : Valentin Conrart, 26 ans, crée à Paris avec une dizaine d’amis un cercle littéraire en 1629. La moyenne d’âge est de 30 ans et le plus jeune a 19 ans. Pendant 3 ou 4 ans, leurs réunions restèrent confidentielles, jusqu’au jour où un familier du Cardinal de Richelieu, l’abbé de Boisrobert se fit inviter. Informé le Cardinal proposa « d’offrir à ces Messieurs sa protection pour leur Compagnie qu’il ferait établir par lettres Patentes».
Un livre passionnant qui permet de redécouvrir la destinée de grands hommes qui font partie de la grande histoire, un livre précis, allant à l’essentiel, d’une grande documentation et dont la lecture est facile car le style est fluide, agréable.
Si vous aimez l’histoire, les biographies, vous serez comblés.
Marie-Antoinette
La confrérie des moines volants
Metin Arditi
C’est un roman en deux parties assez dissemblables. La première se passe en 1937 au nord ouest de l’union soviétique, en Carélie. Sous la pression stalinienne, de nombreux monastères et églises sont pillés, brûlés, détruits… Les moines sont torturés dans les prisons de Staline, ils fuient dans les forêts, se cachent…
Nicodime et ses 12 compagnons vont tenter de sauver les précieuses icônes, les statues, les livres et les tissus sacrés que les communistes brûlent… Il est intéressant de voir la description de la foi de ces moines, foi violente, émaillée d’auto flagellations et de mauvais traitements de toute sorte que s’infligent volontairement ces religieux.
Et puis, brutalement, page 143, on se retrouve à Paris en mai 2000, dans une galerie d’art où Mathias Marceau expose des photographies. Mais bien sûr, il y a un fil conducteur qui, un peu plus tard, réunira ces deux histoires en une seule… Ce fil passe par Irina, une jeune fille qui est au cœur même de ce récit, Irina qui a traversé la moitié de l’Europe, est venue à Paris où elle a changé de nom et de nationalité et a donné naissance à Mathias.
Metin Arditi (photo © Martial Trezzini)
Il serait dommage de vous en dire plus et de dévoiler les tenants et aboutissants de ce conte philosophique où vous rencontrerez des personnages improbables, du moine ancien trapéziste de cirque, à André, ébéniste dans le faubourg Saint Antoine.
Métin Arditi développe dans son roman les thèmes qui lui sont chers et que l’on verra ré-apparaître très souvent dans son œuvre, à savoir la filiation, l’exil, les bouleversements dus aux conflits mondiaux et durant lesquels les hommes font de leur mieux pour survivre dans des conditions souvent inhumaines.
Nous avons là un roman très atypique dont la première partie est basée sur des faits réels puisque Nicodime avait fait signer à sa « confrérie » une charte décrivant les droits et les devoirs de chacun, et le but de leur association. Une charte qui peut être vue aujourd’hui encore au musée de l’Ermitage à Saint-Petersbourg.
Annie
Le bureau des Jardins et des étangs
Didier Decoin
L’histoire se passe au 12ème siècle, dans l’Empire du Soleil Levant. Didier Decoin est passionné par ce Japon médiéval, admirateur d’estampes japonaises, de la littérature notamment des contes et légendes de cette civilisation. Il décide d’écrire un roman à partir de ce thème ! Son écriture a duré 12 ans vu le travail fouillé d’érudition qu’il a dû accomplir !
C’est l’histoire d’une jeune femme Miyuki, issue d’un milieu très populaire, paysanne, épouse d’un pêcheur qui vient de mourir noyé en péchant des carpes merveilleuses, d’une surprenante longévité, destinées au Bureau des Jardins et des Étangs, afin d’approvisionner l’Étang sacré de l’Empereur!
Miyuki, héroïne magnifique est persuadée que son mari défunt l’accompagne toujours et elle décide de le remplacer et de rapporter aux villageois la récompense qui les fait vivre. Elle arrive à destination à Heiankyo après de nombreuses aventures…, participera au takimono awase (concours des parfums) et le gagnera ..!
Didier Decoin (photo © DR)
Le retour au village est une autre aventure… à découvrir !
J’ai été ébloui par le vocabulaire emprunté à la civilisation de l’époque et que l’auteur a mûrement étudié. Les images, rappels d’estampes japonaises font pénétrer intimement dans cette histoire ! Scènes fantastiques réelles ou pas ? On est aussi frappé dans ce roman par l’importance des parfums et des odeurs. Didier Decoin exalte les sens, les odeurs « délicates ou triviales ».
Beau roman d’Amour entre Miyuki et Katsuro, poésie, sensualité, sexualité, une histoire née du fond des âges, où le réalisme le plus crû côtoie le fantastique. Didier Decoin est fou de sa Miyuki, petite bonne femme, courageuse, vraie et sincére qui triomphe de ces aventures et reste très attachante pour le lecteur ! C’est l’héroïne romanesque par excellence !
Josette J.
Le rouge vif de la rhubarbe
Audur Ava Ölafsdöttir
En Islande, Augûstina, adolescente de quartorze ans, vit dans une maison rose saumon avec Nina, amie de sa grand-mère décédée. Elle a les yeux de son père, c’est tout ce qu’il lui a laissé. Sa mère, ornythologue, voyage à travers le monde pour observer la vie des oiseaux et lui écrit des lettres poétiquement décalées. Décalée est aussi la manière de penser de cette jeune fille qui rêve de grimper la montagne à l’arrière du village : 844 mètres d’altitude, c’est haut quand on a un handicap de naissance et des béquilles.
Elle a déjà réussi à glisser dans la mer glaciale malgré les brisants de rochers, à nager dans la piscine bouillante en plein hiver neigeux, à dormir à flanc de côteau au milieu des tiges rouges du champ de rhubarbe, sous la dentelle verte des grandes feuilles qui découpent le ciel bleu.
Nina s’enorgueillit de la victoire de sa protégée aux compétions d’aviron de l’école et remarque son esprit de compétition, de concentration, de résistance. Cependant, cette » ado » surdouée en math, s’obstine à transcrire les solutions des problèmes au gré de sa pulsion manuelle, tout comme elle préfère écrire les mots en forme de montagne! Ça agace le maître.
Auður Ava Ólafsdóttir (photo © DR)
A quoi ressemble cette héroïne originale ? On glane des indices au long du récit. Ses jambes de sirène la suivent comme des nageoires de phoques ; ses épaules puissantes et ses petits seins naissants recherchent le confort des gros pulls islandais tricotés par Nina ; ses tresses noires retenues par des rubans verts suggèrent la couleurs de ses yeux. Les chaussures de marche promise par Nina soulignent son désir d’être debout.
Aucune description appuyée, mais un art de la nuance et du mot juste coule comme l’eau des sources chaudes, vers le fjord étroit au fond duquel est le village. Ce gros bourg vit au rythme hiver – été, dans l’alternance des longs jours de soleil et des nuits interminables. Confiture de rhubarbe ou ragoût d’agneau. On est entre l’acide et le sucré, le blanc et le noir, l’ombre et la lumière, l’action ou la lecture, le courrier ou l’absence de nouvelles.
Un jour un télégramme laconique annonce la naissance d’un petit frère, outre… outre mer. Alors Augûstina, prend le départ pour la montagne, au début d’une nuit, pour arriver au sommet, à l’aube de l’été arctique, au moment où un pâle soleil apparait au dessus de la mer.
Le récit qui était au présent, passe, sur les deux dernières pages, au conditionnel… Jeu de piste… interrogation… que j’ai aimé. Le style de l’auteur léger, souple et rempli d’humour subtil, m’a séduit au point de me faire rêver de l’Islande, ce pays de neige froide, de lave noire et de sources bouillonnantes.
Imaginez la vie simple et vaillante de ses habitants ! 325.000 personnes, soit 3,47 habitants au kilomètre carré. Peu nombreux, ils ont tellement besoin les uns des autres sur ce rift nordique si proche du cercle polaire ! Envie d’aller y voir… pour un voyage géographique et psychologique.
Roselyne
Jules
Didier van Cauwelaer
Jules est un chien ! Mais un chien d’aveugle, éduqué durant quatre ans dans une famille d’accueil et sélectionné sur concours pour accompagner Alice, jeune femme aveugle, handicapée accidentellement depuis ses dix sept ans. Elle a maintenant la trentaine et, en fauteuil roulant, tenant le harnais de Jules, elle prend l’avion pour Nice où un célèbre ophtalmologue va essayer de lui rendre la vue.
Dès Orly, ce curieux binôme entre dans une cascade d’aventures. Pour commencer, la rigueur du service d’ordre à l’embarquement alerte le vendeur du stand « Macarons Ladurée » qui par son intervention musclée permet à Jules de voyager en cabine avec sa maîtresse (la loi européenne de 2008 prévalant sur la décision du commandant de bord)…
Didier van Cauwelaert (photo © DR)
L’opération a réussi. Alice voit à nouveau et perturbe son chien par son comportement redevenu normal. Elle se sent obligée de rendre son compagnon devenu inutile à l’organisme des chiens d’aveugle; mais Jules ne l’entend pas de cette oreille et, rejetant son nouvel attributaire, part truffe à l’air à la recherche et à la reconquête de sa maîtresse pour une vie digne de sa renommée de chien-guide.
L’action se passe entre Paris et Deauville, décrit un milieu vaguement intello-marginal où le flair du chien remet les existences des humains dans le bon sens et surtout renforce notre admiration pour… les possibilités du golden red river.
Un livre à croquer comme les macarons de Ladurée !
Roselyne
L’amie prodigieuse
Elena Ferrante
Tome 2 : Le nouveau nom
Une trilogie : L’amie prodigieuse – Le nouveau nom – Celle qui fuit et celle qui reste.
Raphaella Cerullo, fille du pauvre cordonnier Fernando, vient d’épouser par choix personnel Stefano Carracci, héritier de l’épicerie et des biens de Don Achille (usurier, terreur des gamines lorsqu’elles jouaient à la poupée).
Dès le départ en voyage de noce, elle fait sentir au jeune époux son mépris pour sa faiblesse envers la famille mafieuse Solara. Mais son mari s’impose, la jette sur le lit et la force.
Elle va se déchainer, alternant haine et conciliation. Elégamment vêtue comme une dame, elle occupe toute la place dans les magasins de son mari et dans son bel appartement de l’autre côté de la voie ferrée. Insolente et décidée, elle est souvent battue par Stefano qui fut un fiancé si doux ; mais cela lui est égal car depuis l’enfance elle a vu et subi ces excès : problème de la violence faite aux femmes dans les sociétés machistes.
Donc, cette jeune Madame Carracci, douée pour les affaires, est jalousée par bien du monde dans le vieux quartier. Seule ombre à cet épanouissement traditionnel : après une fausse couche, elle n’arrive plus à être enceinte. Cela lui convient parfaitement, mais mari, belle-mère et commères s’inquiètent. Le médecin consulté conseille un séjour à la mer.
Elsa Ferrante (photo © DR)
On loue une maison à Ischia où les maris viendront chaque fin de semaine, car Lina part en compagnie de sa mère Nuncia, de sa belle-soeur Pinuccia et de son amie Elena qui vient de terminer brillamment son année scolaire et qu’elle débauche de son travail d’été (place de la femme dans le monde du travail…).
La suite : une longue histoire d’amours contrariés, d’adultères, de séparations…
Ce second tome est un ouvrage dense ; il évoque les longs romans américains de cette époque, tels ceux de Pearl Buck… Facile à lire? Pas tellement! Dans l’écheveau du vécu de nombreux protagonistes pas très attachants, la longue torsade de l’amitié des deux filles se lâche ou se resserre au fil de la vie et de leurs éventuelles retrouvailles. Joli contraste fascination-répulsion.
En parallèle, l’évolution d’une société patriarcale, ignare et démunie vers une société ouverte sur les progrès du monde est discrètement suggérée. Comme mises entre parenthèse, sans esbroufe, ni grands mots, des situations dramatiques sont traitées avec une discrétion retentissante et ça c’est « génial ».
Roselyne