Une rencontre de Katulu ? À l’occasion du Téléthon 2017
Dans le monde d’aujourd’hui le point d’interrogation suite à « désir d’humanité » semblerait s’imposer. Mais avec beaucoup de rêve et d’optimisme nous avons choisi de l’affirmer : la tolérance est un désir d’humanité.
L’humanité se flatte de tolérance, pourtant elle offre mille visages à l’intolérance. Les livres présentés à Carnoux par le cercle de lecture Katulu ?, ce 7 décembre 2017, dans le cadre d’un partenariat avec l’AFM à l’occasion du Téléthon, comme les équilibristes sur le fil, oscillent entre les deux.
L’intolérance, c’est le refus d’admettre l’existence d’idées, de croyances ou d’opinions différentes des siennes. Le sujet va jusqu’à persécuter ceux qui les soutiennent.
La tolérance c’est l’attitude de quelqu’un qui admet chez les autres des manières de penser et de vivre différentes des siennes propres, l’attitude de quelqu’un qui fait preuve d’indulgence à l’égard de ceux à qui il a à faire.
Que ce soit l’intolérance des intégrismes qui secouent le monde à notre époque, l’intolérance de l’esclavage qui fut le mal des siècles passés (sans oublier ses survivances d’aujourd’hui) ou bien les maux plus « sociétaux » que sont l’homophobie ou la maltraitance des enfants, toutes ces intolérances sont abordées dans les 5 ouvrages proposés mais tous nous assurent de notre humanisme fait de lutte, de résistance, d’idéal et autant de victoires et de conquêtes de la Tolérance.
Homophobie et maltraitance
Cécile nous a entraînés dans le nord de la France, en Picardie, dans un milieu ouvrier avec « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Édouard Louis. Vous y verrez qu’il ne fait pas bon être trop raffiné, trop différent, dans une famille nombreuse où un garçon se doit de vibrer pour le football et ne saurait prendre plaisir à porter les vêtements de sa sœur !
« La démesure » de Céline Raphaël a été évoquée par Josette. Nous nous retrouvons dans un milieu bourgeois où un père intransigeant veut faire de sa petite fille une grande pianiste de concert, ce qui était, vous n’en serez pas surpris, le rêve du père lui même, qu’il va tenter de réaliser par l’intermédiaire de son enfant. Nous serons, dans ce roman autobiographique, face au visage affreux de l’intolérance portée à son comble et allant jusqu’à la maltraitance.
La séance publique de Katulu ? le 7 décembre 2017
Intolérance d’hier et d’aujourd’hui : esclavage, intégrismes
Roselyne, a parlé d’un roman sur la créolité : « l’esclave vieil homme et le molosse » de Patrick Chamoiseau. Cet auteur, né à Fort de France, a obtenu le Prix Goncourt en 1992. le livre présenté aujourd’hui a été publié en 1997. Nous sommes avec cet ouvrage « dans les îles à sucre » que sont la Guadeloupe et la Martinique, à l’époque de l’esclavage.
Nicole, quant à elle, a présenté un roman qui a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en 2013 « Le 4ème mur » de Sorj Chalandon. Sorj Chalandon est écrivain et journaliste à Libération et au Canard enchaîné. Peut on raisonnablement, monter la pièce « Antigone » d’Anouilh, cet hymne à la tolérance, dans un Liban déchiré par la guerre, la guerre qui représente pour Chalandon, la violence et l’intolérance poussées au paroxysme ? C’est ce que deux amis, Georges et Sam vont expérimenter dans le sang et les larmes.
Enfin nous sommes resté au Liban avec Antoinette et le livre de Darina Al Joundi : « Le jour où Nina Simone a cessé de chanter » où comment une jeune fille élevée de manière libérale finit par se retrouver en hôpital psychiatrique suite à la montée des intégrismes déchaînés par la guerre.
Le texte complet de ces notes de lectures est accessible (TexteSeance). En voici un bref résumé :
En finir avec Eddy Bellegueule
Édouard Louis
Eddy Bellegueule est le véritable patronyme de l’auteur, qui, soumis à de fortes pressions, change finalement son nom pour celui de Edouard Louis Ce court roman raconte l’enfance et la jeunesse de ce jeune Picard, membre d’une famille pauvre de 5 enfants. Pauvre, la famille l’est, tant financièrement que sur le plan social et culturel. Pour son malheur, Eddy est différent des autres enfants : plus doux, plus raffiné…
L’auteur Édouard Louis (photo © John Foley)
Toute la souffrance de cet enfant lui viendra de cette différence et de ces « manières » que le père, en particulier, juge efféminées. Dans ce milieu là, l’homosexualité est rejetée comme une tare profonde, une honte. Il va donc passer son enfance et sa jeunesse à souffrir de ce rejet autant dans sa famille, qu’à l’école et au village et à essayer de « devenir un dur ». Il prend conscience qu’il est différent. Une seule solution pour lui : fuir.
L’écriture est précise, incisive, rapide, violente. L’auteur explique l’objectif de ce livre : « La violence est partout, tout le temps, dans les discours qui assignent à chacun une position, tu es un transfuge, tu restes à ta place, tu es une femme, tu restes à ta place de femme, tu es un Juif, un Arabe, un Noir, un homosexuel, toutes les interpellations nous assignent. Dès notre venue au monde, nous sommes enserrés dans le discours des autres. Le nom en est une preuve : c’est une identité imposée par autrui. C’est précisément cette question que je veux poser en littérature, faire de cette violence un espace littéraire ».
Cécile
La démesure : soumise à la violence d’un père
Céline Raphaël
Céline Raphaël est l’auteur de ce livre passionnant, documentaire écrit en 2012 à partir d’une histoire vraie dont le but est de faire reculer la maltraitance des enfants. Écrit sobrement sans pathos ni hystérie, ce roman représente l’exemple même de l’intolérance au quotidien ! Le père ne supporte pas que sa fille ne se consacre pas totalement à son art. Intolérance par rapport à l’autre qui devient objet ! Céline est née dans un milieu non seulement aisé mais également d’un bon niveau culturel. Le lecteur est choqué d’une telle cruauté en famille, inimaginable dans un tel milieu.
D’une exigence extrême, le père, la soumet à une vie infernale (privations, coups, violences de tous ordres) pour qu’elle devienne une pianiste de musique classique exceptionnelle, pour être l’artiste prodige dont il aurait pu s’enorgueillir et qu’il n’avait jamais réussi à devenir dans sa jeunesse !
L’auteur, Céline Raphaël (photo © Louise Allavoine / Babel)
Daniel Rousseau pédopsychiatre cité dans cet ouvrage analyse : « L’enfant se trouve alors empoisonné par l’ivresse des fruits de son succès, ce qui le fait s’identifier au bonheur du bourreau et participer à la jouissance du maître qui engrange ses dividendes narcissiques » Mais cette vie d’enfer, de tant de souffrances et d’horreur devint un jour intolérable à supporter et malgré la honte et la peur de dénoncer son bourreau elle accepta de tout révéler à une infirmière scolaire. La peur que son père ne l’aime plus s’apaise
Après un signalement à la justice le père fut reconnu « coupable de violences sur mineur de moins de 15 ans et écopa de 2 ans de prison et 3 ans d’injonction de soins ». Grâce à une volonté, un courage et une abnégation hors du commun, par un travail acharné, elle poursuivit des études contre vents et marées jusqu’ à ses années de médecine. Alors qu’elle était épuisée, anorexique et malheureuse, elle réussit brillamment à ses examens ! Sa souffrance, elle a voulu la transcender et en tirer un bien qu’elle donne à l’autre.
Josette J.
L’esclave vieil homme et le molosse
Patrick Chamoiseau
Patrick Chamoiseau est un auteur prolifique qui, à la suite d’Aimé Césaire et comme son ami Edouard Glissant prône la conservation des cultures, la protection de l’imaginaire des peuples et en particulier de la créolité. « Les poètes déclarent que le racisme, la xénophobie, l’indifférence à l’autre qui vient qui passe qui souffre et qui appelle sont des indécences qui dans l’histoire des hommes n’ont ouvert la voie qu’aux exterminations, et donc, ne pas accueillir, même pour de bonnes raisons, celui qui vient qui passe qui souffre et qui appelle est un acte criminel ».
L’auteur, Patrick Chamoiseau (source : Babel)
Ce petit roman poétique marie savoureusement le français le plus stricte au créole le plus imagé. Avec l’habileté d’un grand D.J. il réalise un mix fluide au service non pas de la coexistence mais de la cohérence des deux cultures des îles-à-sucre. Sept mouvements développent sa symphonie, sept chapitres souvent d’une violence intolérable, adoucie par le son des paroles et le rythme de la phrase.
C’était au temps de l’esclavage, quand les bateaux négriers ramenaient d’Afrique des cargaisons humaines pour les vendre aux maîtres-békés. L’homme y a perdu jusqu’à son nom ; il a celui donné par le maître. De sa lignée, ne lui reste que son nombril, il a tout oublié et n’a rien demandé.
Le molosse. Ce chien a voyagé dans les mêmes conditions que le vieil esclave. Lui aussi acheté au prix fort par maître-béké, fut enfermé en enclos grillagé entre la Grand-Case et la Sucrerie, puis nourri de chair fraîche, dressé à la chasse aux fugitifs par le maître qui en a fait un monstre ! Seul le vieil homme esclave lui jetait un regard.
Puis une nuit, le vieil homme gagna le couvert des grands bois ! « L’hurlade du molosse se met à défaire le domaine ». Le vieil homme avance en aveugle dans le murmure d’une forêt hallucinatoire le chien à ses trousses. Il tomba dans un trou, un trou d’eau, une source marécageuse aux vapeurs soufrées. Le molosse arrive et s’embourbe à son tour. Univers fantasmagorique où chacun lutte pour sa survie ; blessures, sursauts, vaillance. C’est la croisée des chemins : pour le vieil homme va s’ouvrir un autre monde. Il pense « Je suis un homme » et près de lui le molosse apaisé lèche ses plaies. « Il ne prenait pièce goût. C’était l’unique geste qui lui était donné ». Quand le chien réapparu, le maître ne le reconnut pas : il était tranquille, « presque mol. Alors le maître pleura sur son monstre perdu. Et un espace de doute s’ouvrit en lui ».
Roselyne
Le quatrième mur
Sorj Chalandon
Où il y a humanité, il y a intolérance. Voici donc l’homme… Cet être imparfait qui rêve parfois d’être un héros, et ce, au prix de sa propre vie en se nourrissant d’intolérances assumées ou secrètes ou inavouées. L’auteur illustre à sa façon le destin de l’homme, en transposant la tragédie d’Antigone à notre époque, tantôt oscillant entre la tentation d’un ordre à la Créon ou à l’intransigeance d’une Antigone.
Son roman nous raconte l’histoire de Georges, un jeune homme né en 1950 et mort en 1983. Lorsqu’il est étudiant à Paris Georges baigne dans les milieux de Gauche, fait du théâtre dans les usines. Il se lie d’amitié avec Samuel dont il fera son frère. Samuel est Grec, de religion juive et son rêve à lui était de faire la paix au Liban en montant cette pièce d’Anouilh. C’est ce rêve de Samuel qui conduira Georges au pays des cèdres.
L’auteur, Sorj Chalandon
Ainsi la pièce d’Anouilh nourrit S. Chalendon des questions existentielles. Dire non ou s’accommoder ? Colère ou Pardon ? Révolte ou Résistance ? Tolérance ou Intolérance ? Antigone ? Cette petite rebelle morte pour avoir jeté un grain de poussière sur une loi d’airain, elle ressemble à Georges. Antigone c’est notre courage, notre obstination mais aussi notre perte. Antigone ou le reflet de nos guerres intimes, de nos conflits intérieurs, nos intolérances envers nous-mêmes, nos hontes, nos fiertés. Antigone serait Georges qui ne s’autorise pas à la légèreté, au bonheur de vivre avec Aurore, sa femme, et sa fille. Il les quittera pour défendre un idéal.
Et même si la poésie n’arrête pas vraiment la guerre car le soldat a « tiré sur les lueurs d’espoirs, sur la tristesse des hommes, sur l’or du soir qui tombe, le bouquet de houx vert et les bruyères en fleur » l’homme continuera d’admirer « la beauté de ce sol, le tourment de ce ciel ». Il nous fait voir les cascades, les cèdres, les hommes, les femmes, cœurs de pierre ou de miel. Et même si le théâtre a été rattrapé par la guerre, même si Georges assassiné est aussi assassin, même si le réel s’est invité en mêlant comme dit Anouilh « ceux qui croyaient une chose avec ceux qui croyaient le contraire (.) morts pareils » on n’oubliera pas de sitôt ce Georges, son chant douloureux de dignité, de souffrance, de fragilité, son sens de la fraternité qui n’empêche pas le crime. Au bout de sa jambe qui saigne, de son corps qui meurt il a su entendre et nous faire entendre la douleur des autres, il a dit non à l’intolérance. Il défie son ennemi en mourant kippa sur la tête et clef de Jaffa à la main… DEBOUT.
Nicole
Le jour où Nina Simone a cessé de chanter
Darina Al-Joundi et Mohamed Kacimi
La pièce est devenue un livre avec l’aide de Mohammed Kacimi qui a posé les mots justes sur l’histoire terrible de Darina Al-Joundi, avec sa force de vie et son humour ravageur. Ce récit, très émouvant, est celui de la vie d’une jeune fille devenant une femme libre, Darina, dans une société stigmatisée par les normes sociales et religieuses, dans un Liban en guerre. C’est le témoignage de survivance de la narratrice qui porte en elle la violence du chaos vécu, ainsi qu’une réflexion générale sur la liberté.
Darina Al-Joundi
Darina Al Joundi nous entraîne dans l’atrocité du quotidien de la guerre civile des années 80 au Liban. Elle nous livre son regard sur l’histoire récente de son pays qui voit la montée des extrémismes religieux, la faillite des mouvements de gauche, la défaite des véritables laïcs. Selon Mohammed Kacimi « la vie roman de Darina dit combien est vulnérable la liberté de la femme, qui restera à jamais une langue étrangère aux yeux de l’homme ».
Pour écrire ce « roman d’une vie », la comédienne a repris ses souvenirs année par année. – L’enfance : « Une fête permanente. Nos parents nous apprenaient les sens de la beauté. Les poètes les journalistes, les militants frappaient toujours à la porte… » – L’adolescence dans la guerre qui transforme en loups les bourreaux et les victimes. Mais Darina, veut vivre comme le lui a appris son père, en étant libre de ses choix. Pour atteindre la liberté, elle se prête avec excès à de multiples expériences, pressée par le temps, convaincue qu’elle allait « mourir d’une seconde à l’autre ».
La narratrice commence son récit le jour de l’enterrement de son père, alors que l’armée israélienne vient juste d’évacuer le Sud-Liban après vingt ans d’occupation et que les maisons bombardées fument encore. La jeune fille s’enferme seule dans la chambre où gît le cadavre, recouvert d’un linceul blanc. Elle arrache la cassette qui débitait un chant coranique et, à la place, met du Nina Simone, conformément aux sentiments de son père, son héros, qui interdisait à ses filles de prier et de jeûner. Un coup d’éclat qu’elle paiera très cher…
Dans cet environnement de non droit, la guerre du Liban, qui régularise la mort, la narratrice nous livre la vérité de son être dans son immense fragilité et son irréductible force. Les mots sont crus, émouvants ou drôles. Le résultat est un livre saisissant poignant touchant au cœur et inoubliable.
Antoinette