Le 3 novembre 2023, le Marseillais Frédéric Swierczynski a réalisé un véritable exploit en battant le record mondial de profondeur en plongée souterraine, en descendant à -308 m dans la résurgence de Font Estramar, située dans les Pyrénées orientales. L’exploit est passé assez inaperçu, même si la presse s’en est fait les échos, mais il mérite d’être salué car une telle pratique n’est pas à la portée du premier venu !
Plonger en apnée est vieux comme le monde. La pratique est fréquente depuis des millénaires dans nombre de civilisations vivant de la pêche et de la récolte des coquillages, de la nacre ou du corail. Au Japon, les Amas, des femmes exclusivement, plongent ainsi traditionnellement depuis au moins 4000 ans dans la baie de Nago, sur l’île d’Okinawa, pour cueillir algues, escargots de mer, poulpes et oursins, même si la pratique est actuellement en train de disparaître.
Mais la plongée récréative en apnée s’est depuis très largement développée, popularisée notamment par le célèbre film de Luc Besson, Le Grand Bleu, qui, en 1988, mettait en scène la rivalité entre deux plongeurs, le Sicilien Enzo Maiorca, premier homme à descendre en apnée sous la barre des 50 m, et le Français Jacques Mayol, qui fut le premier à descendre en apnée à plus de 100 m de profondeur en novembre 1976. Depuis certains ont fait beaucoup mieux, notamment l’Autrichien Herbert Nitsch, détenteur de plusieurs records du monde dont celui de profondeur en immersion libre à 120 m et celui de la technique dite « no limit », qui consiste à descendre en apnée à l’aide d’une gueuse lestée puis de remonter le long du câble ou avec un ballon gonflé d’air, ce qui lui a permis d’atteindre en 2007 la profondeur incroyable de 214 m au large de l’île grecque de Spetses.
Mais c’est une tout autre discipline que la plongée profonde avec bouteilles, développée grâce à l’incroyable démocratisation qu’a connue cette discipline. Au-delà de 20 m, la pratique demande une qualification spécifique, et à partir de 60 m, les plongeurs ne peuvent plus utiliser des bouteilles d’air comprimé classiques car l’azote, au-delà d’une certaine pression partielle devient toxique pour le corps humain. La plongée profonde requière donc le recours à des mélanges spécifiques et surtout exige une adaptation physiologique car le corps humain est sujet, au-delà d’une certaine profondeur, à des risques spécifiques tels que la narcose, dite aussi « ivresse des profondeurs », à l’hyperoxie, due à un excès d’oxygène dans le mélange utilisé, voire au syndrome nerveux des hautes pressions, mis en évidence dès 1962 à l’occasion de plongées de la COMEX en caisson hyperbare à 362 m de profondeur.
L’entreprise marseillaise est d’ailleurs détentrice du record mondial de profondeur atteinte en caisson hyperbare en 1992, à 701 m de profondeur et en scaphandre à 675 m de profondeur ! En plongée à saturation, qui consiste à saturer préalablement l’organisme des plongeurs en les laissant séjourner plusieurs jours dans des caissons, des plongeurs professionnels de la COMEX ont atteint en 1988 la profondeur record de 534 m. Bien entendu, la plongée avec bouteilles ne permet pas de descendre aussi profondément, mais le nageur de combat égyptien Ahmed Gamal Gabr a néanmoins atteint en 2014 la profondeur de 332 m, battant de peu le record mondial détenu depuis 2005 par le Français Pascal Bernabé, descendu en 2005 à 330 m de profondeur au large de Propriano en scaphandre autonome.
De plus en plus, les plongeurs utilisent des recycleurs à la place des bouteilles de gaz classiques. Le principe ne date pas d’hier puisque c’est un Britannique qui l’a inventé, dès 1620, fabriquant de l’oxygène par chauffage de salpêtre pour remplir son prototype de sous-marin immergé dans la Tamise ! Depuis les techniques, développés notamment à des fins militaires pour les nageurs de combat, se sont bien développées et a technique permet aux plongeurs de respirer en circuit fermé après retraitement du gaz expiré. Avec ce type de matériel, le record mondial de profondeur a été atteint en octobre 2018 par Jarek Macedonian, descendu à 316 m dans le lac de Garde en Italie.
Et c’est le même type de matériel qui est utilisé en plongée souterraine et qui a donc permis à Frédéric Swierczynski d’atteindre tout dernièrement cette profondeur incroyable de 308 m, pulvérisant le dernier record de profondeur en plongée souterraine, détenu depuis le 30 décembre 2019 par un autre Français, Xavier Méniscus, plongeur professionnel à l’origine de nombreuses avancées dans l’exploration des rivières souterraines de Cassis, qui était alors descendu à 286 m de profondeur dans cette même résurgence de Font Estramar.
Cette dernière, qui se situe en bordure de l’autoroute A9, sur la commune de Salses-le Château, dans le Roussillon, s’ouvre au pied d’un imposant escarpement rocheux, correspondant à la faille de la Têt, et draine une bonne partie du massif des Corbières pour alimenter l’étang de Salses. Les premières plongées y datent de 1949, avec des équipements développés par Cousteau, mais il a fallu attendre les années 1970-80 pour que les plongeurs dont Claude Touloumdjian puis Francis Le Guen s’aventurent en profondeur dans son immense réseau de galeries noyées. En 1997, Pascal Bernabé y atteint la profondeur de 185 m puis, à partir de 2013, Xavier Méniscus, équipé de recycleurs, permet aux explorations du réseau de faire de grands pas, jusqu’à son record de profondeur réalisé en 2019, à plus de 1 km de l’entrée.
Cette nouvelle avancée, réalisée en novembre 2023 par Frédéric Swierczynski, explorateur spéléonaute marseillais, spécialiste de la plongée en recycleur qu’il pratique depuis ses 18 ans, lui-même découvreur de galerie dans le réseau noyé de Port-Miou, n’est évidemment pas le fruit du hasard mais le résultat d’une expédition soigneusement préparée, accompagné d’une dizaine d’autres plongeurs spéléonautes aguerris, tel qu’il le raconte notamment sur son site. Car un tel exploit demande un matériel très spécifique, redondant pour palier toute défaillance, mais aussi une parfaite maîtrise de soi et une condition physique à toute épreuve, de nombreux plongeurs ayant récemment perdu la vie en plongeant sur ce même site.
Elle demande aussi une solide organisation avec plusieurs plongeurs pour faire les relais aux paliers de décompression. Tracté par un scooter, la descente du plongeur se fait à grande vitesse, accompagné par un autre plongeur jusqu’à 190 m de profondeur. Puis c’est la plongée en solitaire jusqu’à – 260 m atteint en 15 mn seulement mais qui vaut au plongeur pourtant aguerri un déclenchement de syndrome nerveux des hautes pressions, heureusement passager et qui ne l’empêche pas de poursuivre, jusqu’à cette profondeur encore jamais atteinte, explorant pour la première fois des galeries noyées où l’homme n’avait jamais pénétré.
Mais il n’est pas raisonnable de poursuivre car le retour vers la surface s’annonce déjà très long avec des paliers de décompression interminables et douloureux. Pour une descente qui a duré moins de 30 mn, il lui faudra patienter plus de 6h30 pour arriver à émerger de nouveau ! Un exploit remarquable et qui n’est sans doute pas le dernier pour ce plongeur chevronné qui poursuit par ailleurs depuis 2013 ses explorations dans le siphon de la Mescla, dans les Alpes-Maritimes où il avait atteint en août 2016 la profondeur de – 267 m dans le siphon terminal, en attendant la suite…
L. V.