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La nouvelle guerre des mondes

10 Mai 2024

Publié en 1898 et traduit en français en 1900 seulement, le célèbre roman d’anticipation du Britannique H. G. Wells raconte l’invasion de la Grande-Bretagne par des extraterrestres en provenance de Mars. L’histoire, supposée se dérouler en 1894, débute par l’observation de nombreuses explosions incandescentes à la surface de la planète rouge, suivie par une pluie de météores, puis, quelques jours plus tard par l’arrivée de premiers objets cylindriques non identifiés qui s’écrasent sur Terre.

Il en sort d’étranges machines à trois pieds, pourvues d’un rayon ardent et d’un gaz toxique qui ravagent tout sur leur passage. L’armée est rapidement débordée et les populations terrorisées s’enfuient dans un monde devenu chaotique, traqués par les créatures martiennes tentaculaires qui pompent le sang des rescapés tandis qu’une herbe rouge se répand en étouffant toute végétation. Un vrai cauchemar, jusqu’à s’apercevoir que les envahisseurs martiens ont fini par succomber aux microbes terrestres, venus malgré eux aux secours d’une humanité en déroute…

Une histoire, mainte fois reprise et adaptée, y compris par le réalisateur Steven Spielberg en 2005, et par bien d’autres depuis, qui, dans le contexte de l’époque, était une manière pour l’auteur d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de l’Empire britannique, alors au sommet de sa gloire, et dont l’emprise territoriale et économique s’étendait sur toute la planète.

C’est évidemment en référence à cette œuvre littéraire devenue un grand classique, que le géopoliticien français, Bruno Tertrais, vient de titrer son dernier ouvrage, publié en octobre 2023 aux éditions de l’Observatoire, La guerre des mondes – Le retour de la géopolitique et le choc des empires

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et conseiller scientifique auprès du Haut-commissaire au Plan, est un spécialiste de la géopolitique et des relations internationales. Il a écrit de nombreux ouvrages et vient d’ailleurs de récidiver en publiant aux éditions Odile Jacob son dernier essai, intitulé Pax atomica : théorie, pratique et limites de la dissuasion, paru en janvier 2024. Dans son ouvrage précédent, il n’évoque pas d’invasion martienne mais la remise en mouvement de la tectonique des plaques géopolitiques, quelque peu figées depuis la guerre froide, et ceci sous l’impulsion de ce qu’il nomme des néo-empires émergents, à savoir la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie.

Bruno Tertrais (source © Fondation pour la recherche stratégique)

Il observe ainsi comment le monde occidental libéral auquel l’Europe appartient, se retrouve confronté à ces nouveaux empires eurasiatiques, dirigés par des pouvoirs autoritaires et qui cherchent à s’imposer et à imprimer leur propre vision du monde, sous forme de revanche après des décennies de domination occidentale. De quoi alimenter bien des foyers de confrontation voire de conflits, en Ukraine comme à Taïwan ou au Proche-Orient, mais aussi sur le continent africain ou dans la compétition pour l’accès aux ressources naturelles dont le lithium, voire pour la maîtrise de l’espace ou des fonds sous-marins.

Une confrontation analysée avec beaucoup de finesse, dans un ouvrage très documenté et qui tord le cou à bien des idées simplistes. La supposée stratégie de joueur d’échec de Vladimir Poutine y est quelque peu battue en brèche, ce dernier étant plutôt présenté comme un autocrate paranoïaque et sans scrupules, dont le régime n’hésite pas à manipuler le peuple russe en s’appuyant sur des mythes messianiques et l’invocation de la famille traditionnelle et de la religion orthodoxe. Tertrais se montre sceptique sur la capacité de la Russie à vaincre en Ukraine et note une certaine vassalisation de la Russie vis-à-vis de la Chine, maintenant qu’elle semble avoir définitivement coupé les ponts avec l’Occident.

L’armée chinoise à la manœuvre, une force émergente de premier plan (source © Démocratie nouvelle)

Une Chine qui, en revanche, semble un adversaire autrement redoutable. Elle n’hésite plus désormais à revendiquer ouvertement et par l’intimidation si nécessaire la maîtrise complète des mers jusqu’au ras des côtes de ses voisins vietnamiens ou philippins et s’immisce partout où elle le peut pour développer ses nouvelles routes de la soie, investissant dans des ports ou des infrastructures qu’elle s’accapare lorsque les États hôtes s’avèrent incapables de rembourser. Entrée sans réelle réciprocité dans l’OMC, la Chine est en passe de s’imposer comme la première économie mondiale, prédatrice en matière de propriété intellectuelle et ne se contentant plus d’être l’atelier mondial fabriquant et exportant tout ce que les occidentaux consomment, mais devenu aussi le laboratoire où se testent les techniques les plus sophistiquées de contrôle social numérique des populations.

Le géopolitique qu’est Bruno Tertrais observe avec une certaine inquiétude cette arrogance retrouvée des dirigeants chinois qui préparent activement l’annexion de Taïwan pour les années à venir et ne devraient guère hésiter à le faire par une opération militaire un peu musclée, à la manière de l’opération spéciale engagée par la Russie sur le territoire ukrainien en février 2022. Il n’est cependant pas persuadé qu’une telle invasion sera aussi facile qu’il n’y paraît malgré l’écrasante supériorité numérique de l’armée chinoise, laquelle n’a cependant pas d’expérience récente d’un tel conflit armé. Il pense même qu’un tel conflit dans le Pacifique ne pourrait laisser les États-Unis indifférents, créant le risque d’un affrontement direct entre des puissances militaires et nucléaires de premier plan…

Site de forage de gaz de schiste à St Marys en Pennsylvanie  (photo © SIPA Press / L’Opinion)

Car l’auteur reste confiant dans la capacité des États-Unis à jouer un rôle majeur dans l’ordre mondial en pleine reconfiguration, malgré l’isolationnisme récurrent de ses dirigeants, estimant que ce pays fait preuve d’un dynamisme démographique très supérieur à celui de la Chine ou de la Russie, a désormais retrouvé le chemin de son indépendance énergétique grâce à l’exploitation à outrance des gaz de schistes, catastrophique sur le plan environnemental mais très profitable économiquement, et reste largement en tête de la course mondiale aux brevets et à l’innovation technologique.

La démocratie, force ou faiblesse de l’Europe ? (source © L’Indépendant)

Quant à l’Europe, objet de nombreux débats en cette période pré-électorale, Bruno Tetrais rappelle aux plus pessimistes qu’elle continue de peser un quart du PNB mondial et que les démocraties, malgré leurs faiblesses inhérentes liées à la nécessite de prendre en compte leur opinion publique parfois bien versatile vire pusillanime, peuvent se montrer plus résilientes qu’il n’y paraît face à des régimes autocratiques dirigés par des satrapes entourés de courtisans aux ordres, à condition toutefois de se débarrasser de sa naïveté originelle qui l’a transformée en « herbivore au milieu des carnivores » et à nouer avec la Chine notamment, une relation plus équilibrée que celle qui a consisté jusque-là à « fermer les yeux sur le néo-impérialisme de Pékin en échange de biens de consommation pas chers ». Une évolution que l’auteur appelle de ses vœux et qui concerne en particulier l’Allemagne, moteur de l’Europe et trop longtemps persuadée qu’elle pouvait sans risque « miser sur l’Amérique pour sa sécurité, la Russie pour son gaz et la Chine comme marché ».

Un nouvel ordre mondial est peut-être effectivement en train d’émerger sous nous yeux, en espérant qu’il sera plus équilibré et moins source de tensions que les précédents : rien n’est moins sûr !

L. V.

Russie : Poutine réécrit l’Histoire et tend les frontières

26 février 2024

Le président russe Vladimir Poutine, ancien officier du KGB au pouvoir depuis le 31 décembre 1999, il y a donc bientôt un quart de siècle, s’apprête à se faire réélire pour un nouveau mandat présidentiel lors des prochaines élections prévues du 15 au 17 mars 2024. Une simple formalité, jouée d’avance, surtout après le décès suspect au goulag, de son seul opposant politique déclaré, Alexei Navalny, déclaré mort par les autorités russes le 16 février 2024, un mois avant l’échéance électorale.

Pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, il y a tout juste 2 ans, Vladimir Poutine vient de se livrer à un exercice peu fréquent en acceptant de se faire interviewer, au Kremlin, le 6 février dernier, par un journaliste occidental, en l’occurrence l’Américain Tucker Carlson, ex-animateur de Fox News et proche de Donald Trump. Une interview qui a en réalité tourné au monologue, le journaliste laissant le président russe déployer sa propagande, avec notamment un argumentaire de 23 minutes sans interruptions, au cours duquel Poutine a largement réécrit l’histoire de l’Ukraine, présentée comme le berceau de l’empire russe et un État totalement artificiel, manipulé par les volontés expansionnistes de l’OTAN et que la Russie s’emploie actuellement à dénazifier.

Le président russe Vladimir Poutine face au journaliste américain Tucker Carlson, au Kremlin, le 6 février 2024 (photo © President of Russia Office / Apaimages / SIPA / 20 minutes)

Vladimir Poutine n’a pas hésité pour cela à remonter jusqu’au IXe siècle, à l’époque où se met en place l’État de la Rus’, qui englobe le nord de l’Ukraine actuelle, la Biélorussie, et une petite partie occidentale de la Russie. Sa démonstration pseudo historique lui a d’ailleurs attiré un petit rappel à l’ordre de la part de l’ancien président de la Mongolie, Tsakhia Elbegdorj, qui s’est permis de lui rappeler, cartes à l’appui, que ses ancêtres Mongols, à la suite d’ailleurs des Tatars, envahirent au XIIIe siècle l’essentiel de ce territoire et fondèrent un des plus vastes empires du monde.

L’expansion de l’empire russe et son extension maximale en 1914 (source © L’Histoire)

Il fallut alors aux Russes attendre 1462 pour reconquérir Moscou et sa région, et finalement l’avènement de Pierre-le-Grand, au XVIIIe siècle pour que l’empire russe débute son expansion territoriale qui a marqué son apogée à la veille de la Première guerre mondiale. Le fait que la Russie ait alors fortement perdu de son emprise territoriale à la suite de la révolution bolchévique de 1917 et de la guerre civile qui s’en est suivie, est de fait soigneusement occultée par le pouvoir actuel qui a une fâcheuse tendance à vouloir réécrire l’Histoire.

Une scène de la guerre du Caucase, peinte par Franz Roubaud, une guerre coloniale menée par l’Empire russe entre 1775 et 1864 (source © Areion24)

La démarche n’est pas nouvelle et Staline avant Poutine l’a pratiqué à grande échelle. Mais elle est désormais institutionnalisée depuis la réforme constitutionnelle de 2020 qui a permis, outre le maintien au pouvoir de Vladimir Poutine jusqu’en 2036, d’acter le devoir impérieux de « défendre la vérité historique » et de « protéger la mémoire de la Grande Guerre Patriotique » qui désigne pour les Russes la Seconde guerre mondiale. Selon le discours officiel, ceux qui s’écartent du narratif officiel sont « les équivalents modernes des collaborateurs nazis ». Sous le régime de Poutine, on ne fait pas dans la dentelle et on ne s’encombre guère des nuances qui font toute la richesse de l’analyse historique… Pour le Kremlin évoquer le pacte germano-soviétique de 1939, le massacre de Katyn auquel se sont livrés les Russes contre des officiers polonais en avril-mai 1940, ou encore la présence de hauts dignitaires nazis sur la place Rouge pour le défilé militaire du 1er mai 1941, et surtout l’occupation brutale des pays d’Europe de l’Est par les forces armées soviétiques après 1945, relève de la provocation et du révisionnisme antipatriotique.

Parade militaire sur la place Rouge à Moscou le 7 novembre 2019, en souvenir du départ des troupes russes en novembre 1941 pour contrer l’invasion allemande suite à la rupture du pacte germano-soviétique (photo © Dimitar Dilkoff / AFP / L’Express)

Une position qui répond manifestement à l’attente d’une majorité de la population qui cherche à renouer avec la grandeur passée de l’Empire Russe, et que le pouvoir de Vladimir Poutine entretient consciencieusement. En 2009 a ainsi été créée la Commission présidentielle de la Fédération de Russie de lutte contre les tentatives de falsifier l’histoire, puis en 2012 la Société historique militaire russe, destinées à entretenir au sein de la population une vision historique glorieuse et quelque peu biaisée de l’histoire du pays, dans l’optique d’accréditer l’idée que les Russes ont besoin d’un pouvoir fort, héritier d’une tradition militaire conquérante.

De nouvelles lois mémorielles ont été promulguées qui pénalisent non seulement l’apologie du nazisme mais simplement « l’irrévérence envers les symboles de la gloire militaire russe, le fait de répandre des informations qui manquent de respect envers les jours fériés liés à la défense du pays, ou le fait de diffuser consciemment des fausses informations sur les activités de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ». Un arsenal législatif qui a été notamment utilisé pour condamner des internautes qui s’émouvaient des interventions militaires russes en Syrie ou en Crimée.

Soldats russes en répétition avant le défilé militaire prévu le 9 mai 2022 sur la place Rouge à Moscou (photo © Maxim Shipenkof / EPA-EFE / Ouest France)

La guerre de conquête et d’annexion que mène actuellement la Russie en Ukraine s’inscrit assez clairement dans cette volonté expansionniste que Catherine II elle-même avait exprimée dès la fin du XVIIIe siècle, déclarant alors « je n’ai d’autres moyens de défendre mes frontières que de les étendre ». Une analyse qui s’appuie sur une réalité géographique, faute de frontières naturelles à l’ancien Empire Russe, mais que ne renierait pas Vladimir Poutine, lui qui, en 2016, alors qu’il remettait des prix dans les locaux de la Société russe de géographie, reprenait un écolier qui énumérait avec brio les frontières actuelles du pays, le reprenait en ces termes : « Non, non les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ! ».

Etat actuel des relations frontalières de la Russie avec ses 14 voisins (source © Le Monde)

De fait, une infographie publiée récemment dans Le Monde et analysée notamment sur France Culture, met en évidence que sur les 20 000 km de frontières de la Russie actuelle, avec pas moins de 14 pays, une bonne partie fait l’objet de relations tendues. Seules la Chine, la Corée du Nord, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie (par où les troupes russes ont pénétré en Ukraine) entretiennent de bonnes relations stratégiques avec leur voisin russe. A l’ouest en revanche, et sans même parler de l’Ukraine en guerre, la frontière est désormais totalement fermée avec les pays baltes mais aussi avec la Pologne et même avec la Finlande depuis que cette dernière a pris peur et cherche la protection de l’OTAN. Même la Géorgie, qui dispose pourtant depuis 2022 d’un gouvernement ouvertement prorusse, s’inquiète du bellicisme de son voisin qui a purement et simplement annexé les deux enclaves d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il ne fait pas bon vivre trop près de la tanière de l’ours russe quand il sort de sa torpeur…

L. V.

Il y a 80 ans, le dernier épisode de la bataille de l’eau lourde

21 février 2024

Il arrive parfois que des événements historiques soient tellement rocambolesques qu’ils dépassent les meilleurs scénarios de fiction. Ils en deviennent par conséquent une source d’inspiration inépuisable pour les auteurs de thrillers et de films d’action. C’est le cas de ce qui est resté dans l’Histoire comme « la bataille de l’eau lourde ». Cet épisode a inspiré dès 1947 un premier film franco-norvégien du même nom, sorte de docu-fiction dans lequel la plupart des vrais protagonistes jouent leur propre rôle. C’est aussi la toile de fond du film sorti en 1965 et intitulé Les héros de Telemark, dans lequel jouait notamment Kirk Douglas, mais aussi de celui réalisé en 2003 par Jean-Paul Rappeneau et intitulé Bon voyage. Une série norvégienne Les soldats de l’ombre, diffusée en 2015 en 5 épisodes, relate également en détail cette histoire qui a inspiré bien d’autres auteurs…

Extrait de la série norvégienne Heavy Water War : les soldats de l’ombre (source © Bulles de culture)

Pour se remettre dans le contexte, rappelons que les principes de la fission nucléaire, pressentis de manière théorique par Enrico Fermi et son équipe dès 1934, sont réellement décrits dans une publication cosignée par l’Allemand Otto Hahn, le 17 décembre 1938, lequel précise ensuite, début 1939, les résultats du bombardement d’un atome d’uranium par des neutrons. Le physicien danois Niels Bohr, alerté par les Autrichiens Lise Meitner, ancienne collaboratrice d’Otto Hahn, et son neveu Otto Frisch, évoque le sujet avec Albert Einstein, alors installé à Princeton après avoir fui l’Allemagne nazi.

Les physiciens Niels Bohr et Albert Einstein, ici en 1930 (source © P. Ehrenfest / Futura Science)

Ces scientifiques voient en effet se dessiner les impacts militaires d’une réaction de fission nucléaire qui dégage une énergie importante, au point qu’Albert Einstein, pacifiste convaincu, décide de cosigner le 2 août 1939 une lettre au président Roosevelt, l’alertant sur le risque d’une telle arme nucléaire sur laquelle travaillent les Allemands. On sait désormais que ces derniers n’ont jamais été en mesure d’aller au bout de ce projet mais qu’en revanche, les Américains en ont saisi rapidement l’intérêt et ont aussitôt créé l’Uranium Committe qui aboutira en 1942 au projet Manhattan puis à la première bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945. Au point que le physicien Albert Einstein regrettera publiquement avoir ainsi attiré l’attention du président américain…

En février 1939, c’est le Français Frédéric Joliot-Curie qui, avec Hans Halban et Lew Korwarski, démontre expérimentalement que la réaction en chaîne liée à la fission nucléaire peut se produire. Dès le mois de mai 1939, son équipe dépose plusieurs brevets qui sont, ni plus ni moins, que ceux du principe de la bombe atomique. Passé directement sous la houlette du ministère des armées alors que la France est d’ores et déjà en guerre avec l’Allemagne, Frédéric Joliot-Curie s’emploie à assurer l’approvisionnement de la France en uranium via un contrat avec l’Union minière du Haut-Katanga.

Frédéric Joliot (à gauche), Hans Halban et Lew Korwaski en 1933 (source © Wikipedia)

Mais il a aussi besoin d’eau lourde, dans laquelle les atomes d’hydrogène sont remplacés par son isotope, le deutérium, car cet élément est nécessaire pour contrôler la réaction en chaîne et éviter l’emballement en laboratoire. Les filières civiles des réacteurs nucléaires, dites à eau pressurisée, utilisent désormais de l’eau ordinaire comme modérateur de neutrons car ils fonctionnent avec de l’uranium enrichi, mais à l’époque, l’eau lourde est considérée comme le modérateur idéal pour limiter les collisions stériles avec l’uranium 238.

Il existe alors une seule usine au monde capable de produire de l’eau lourde, située à Vemork, en Norvège, et appartenant à la compagnie Norsk-Hydro, un opérateur d’hydro-électricité par ailleurs fabricant d’engrais azoté et qui a développé depuis 1935 la production commerciale d’eau lourde comme un sous-produit de son activité industrielle. En février 1940, le ministre français des armées, Raoul Dautry, organise donc une mission secrète et envoie des émissaires en Norvège pour négocier le rachat de la totalité du stock d’eau lourde disponible, soit 185 kg répartis dans 26 bidons. La Norvège est alors neutre mais l’Allemagne s’apprête à l’envahir et a été informée des projets français alors qu’elle-même souhaite s’approvisionner en eau lourde pour ses propres projets.

Salles d’électrolyse pour la production de l’eau lourde à l’usine de Vemork (source © Association du fort de Litroz)

Le précieux liquide est finalement rapporté en Écosse en mars 1940 après avoir été planqué dans la légation française à Oslo grâce à l’aide de résistants norvégiens. Rapatrié en France, le précieux chargement ne peut y rester suite à l’invasion allemande et le 18 juin 1940, Frédéric Joliot-Curie expédie à Londres ses deux précieux collaborateurs d’origine juive, Hans Halban et Lew Korwarski, qui parviennent à embarquer à Bordeaux à bord d’un navire charbonnier britannique, avec les bidons d’eau lourde et les brevets de la bombe atomique…

Mais ce n’est que la première manche de la bataille de l’eau lourde… Les Allemands ayant finalement envahi la Norvège contrôlent désormais l’usine stratégique de Vémork qui continue à produire de l’eau lourde et ils comptent bien s’en servir comme modérateurs à neutrons pour leurs expériences en vue de produire une bombe au plutonium. Alertés par la Résistance norvégienne, les services secrets britanniques décident de détruire l’usine.

Les résistants norvégiens en éclaireurs pour aller saboter l’usine, extrait du film La bataille de l’eau lourde, tourné en 1947 par Jean Dréville et Titus Vibe-Müller (source © L’heure de la sortie)

En octobre 1942, ils parachutent sur place 4 éclaireurs norvégiens, suffisamment loin de la zone pour ne pas être repérer. Ces derniers mettront d’ailleurs 15 jours pour rejoindre le site à ski et déclencher la seconde phase du plan qui consiste à envoyer 2 planeurs avec les commandos destinés à faire sauter l’usine. Lancée le 19 novembre 1942, l’opération est une succession de catastrophes. Les deux avions tracteurs et les planeurs s’écrasent les uns après les autres loin de leur cible et les seuls qui survivent aux crashs successifs sont capturés par les Allemands qui les exécutent : c’est un fiasco total, d’autant que les Allemands découvrent quelle était la cible et renforcent aussitôt la sécurité.

Les Anglais ne se découragent pas pour autant et préparent une nouvelle action. Ils larguent de nouveaux parachutistes qui rejoignent les éclaireurs restés sur place et le 27 février 1943, neuf d’entre eux parviennent à pénétrer dans l’usine grâce à un complice. Ils placent des charges sous les cuves à électrolyse et détruisent partiellement les installations ainsi qu’un stock de 500 kg d’eau lourde, parvenant même à s’échapper et à rejoindre la Suède après un périple de 400 km à ski en plein hiver !

Mais la production reprend et en novembre 1943, les Britanniques décident de renouveler l’opération. Cette fois, ils ne font pas dans la dentelle et envoient une véritable armada de 143 forteresses volantes pour un bombardement massif de l’usine. Le raid aérien est un échec total : les bombes ratent totalement leur cible et font 21 victimes civiles : un véritable désastre…

Le ferry D/F Hydro à l’embarcadère du lac Tinnjå en 1942 (source © Le Populaire)

Face à un tel acharnement, les Allemands décident de rapatrier en Allemagne le précieux stock d’eau lourde qui est alors de 16 tonnes. Le 19 février 1944, les bidons sont chargés discrètement dans un ferry, le D/F Hydro pour leur faire traverser le lac Tinnsjå. Mais les résistants norvégiens ont eu vent de l’opération et deux d’entre eux parviennent à s’introduire dans le bateau transbordeur pour y placer des charges explosives. Le bateau appareille au matin du dimanche 20 février 1944 et coule au milieu du lac par 430 m de fond. Son épave sera d’ailleurs retrouvée par un sous-marin en 1993 et des prélèvements ont même été effectués dans les bidons qui se trouvaient à bord, confirmant qu’il s’agissait bien d’eau lourde.

Il semble néanmoins que les Allemands s’étaient méfiés et ont pu malgré tout rapatrier à Berlin l’essentiel du stock du précieux liquide qui a ainsi été au cœur d’une lutte sans merci pendant tant d’années, alors que l’on sait maintenant qu’il n’a manifestement pas suffi au régime nazi pour mener à bien son propre programme de bombe atomique…  

L. V.

Un pigeon voyageur accusé d’espionnage…

6 février 2024

En ces temps troublés de tensions internationales et de conflits armés, les accusations d’espionnage ne sont pas à prendre à la légère. Un modeste pigeon voyageur vient d’en faire les frais. Capturé en mai 2023 à proximité des installations portuaires de Bombay, il avait été trouvé en possession d’un anneau à chaque patte, auquel était attaché un message écrit en chinois. Un comportement jugé éminemment suspect par les autorités indiennes, très chatouilleuses quant à la souveraineté de leur espace aérien national, et pas en très bons termes avec son voisin chinois avec qui les escarmouches ne sont pas rares. Le cas avait été jugé suffisamment sérieux par la police de Bombay pour qu’une enquête soit diligentée et le volatile placé en détention provisoire dans une clinique vétérinaire locale.

Incarcéré pendant 8 mois pour une accusation d’espionnage, les risques du métier de pigeon voyageur (source © Shutterstock / Peuple animal)

Après 8 mois d’enquête approfondie, il a néanmoins pu être établi que le pigeon en question participait en réalité à une compétition à Taïwan et qu’il s’était malencontreusement égaré sur le sol indien, comme l’a rapporté le Times of India. Même chez les sportifs de haut niveau, connus pour leur sens légendaire de l’orientation, une défaillance est toujours possible. Blanchi de toute accusation d’espionnage, le pigeon voyageur a donc été officiellement relâché par les autorités indiennes le 30 janvier 2024, au grand soulagement de l’association de défense des animaux Péta.

Le pigeon voyageur détenu depuis 8 mois pour accusation d’espionnage a enfin été relaxé et relâché, mardi 30 janvier 2024 (photo © Anshuman Poyrekar / AP / SIPA / 20 minutes)

Mais ce n’est pas la première fois qu’un pigeon se retrouve ainsi incarcéré dans les geôles indiennes pour un tel motif. En 2020 déjà, un pigeon voyageur appartenant à un pêcheur pakistanais avait été capturé par la police du Cachemire sous contrôle indien après avoir illégalement traversé la frontière fortement militarisée qui sépare les deux pays. Lui aussi avait pu être blanchi après enquête qui avait révélé que les inscriptions éminemment suspectes portées sur le message qui lui était attaché étaient en réalité le numéro de téléphone de son propriétaire, pour le cas où l’animal perdrait son chemin. Une sage précaution mais il faut dire que la police indienne est sur les dents et fait preuve d’une extrême méfiance envers les pigeons voyageurs.

Déjà en octobre 2016, la police des frontières indienne avait attrapé et incarcéré plusieurs volatiles de ce type dans la région de Pathankot, au Penjab. L’un d’eux portait accroché à la patte un message clairement menaçant, rédigé en ourdou et adressé au Premier Ministre : « Modi, nous ne sommes plus les mêmes qu’en 1971. Désormais, chaque enfant est prêt à combattre l’Inde ». Une allusion transparente au dernier conflit armé en date entre l’Inde et le Pakistan, qui avait abouti à la sécession du Bangladesh. Considéré comme un dangereux terroriste djihadiste, le pauvre volatile avait immédiatement placé sous les barreaux, de même qu’un autre de ses congénères dont les ailes portaient des inscriptions en ourdou. Chacune des plumes de ce dernier avait été passée aux rayons X par la police scientifique indienne et le suspect enfermé dans une cage surveillée par trois agents selon Le Monde qui rapportait l’incident, mais il semble finalement que le pigeon ait pu être relâché à l’issue de ces investigations.

De telles suspicions paraissent quelques peu démesurées mais les autorités indiennes rappellent à qui veut l’entendre que les pigeons voyageurs, placés entre les mains de terroristes déterminés, constituent une arme redoutable et que les Moghols, qui régnèrent sur une partie du sous-continent indien jusqu’au milieu du XIXe siècle, avaient experts dans l’art de dresser ces oiseaux. Ce n’était d’ailleurs pas les premiers puisque les pigeons voyageurs étaient déjà utilisés par les navigateurs égyptiens, 3000 ans avant notre ère, pour avertir de leur arrivée prochaine au port. Les Grecs en étaient également très friands et les employaient pour communiquer les résultats des Jeux Olympiques, bien avant que les médias internationaux ne se disputent leurs droits de diffusion mondiale.

Lâcher de pigeons (photo © Le Républicain Lorrain)

Les pigeons voyageurs possèdent de fait un sens de l’orientation aiguisé, lié peut-être à la présence de minuscules cristaux de magnétite dans leur cerveau qui leur permettraient de se guider sur le champ magnétique terrestre pour retrouver à coup sûr (ou presque) le chemin de leur colombier. Capables de parcourir rapidement des distances considérables, jusqu’à 1 200 km en 16 heures, avec des pointes à 120 km/h par vent favorable, certains sont restés célèbres pour leurs exploits comme celui qui a parcouru 11 590 km en 24 heures entre Saïgon et le nord de la France. Tout repose sur le fait que quelque soit l’endroit où on les lâche, leur principale préoccupation est de revenir au plus vite au bercail, auquel ils sont particulièrement attachés. Les mâles sont mus, paraît-il par le désir de retrouver leur conjointe et les femelles plutôt par celui de retrouver leurs petits, chacun ses motivations…

Un pigeon équipé avec ses bagues et les numéros de téléphone de contact (photo © Bernard Moiroud / Le Progrès)

Un pigeon peut ainsi aisément transmettre un message, attaché à sa patte, mais aussi un mini appareil de prise de vue, ce qui en fait des auxiliaires précieux pour aller discrètement survoler les lignes ennemies et rapporter quelques clichés stratégiques. Le limite du système est que le voyage ne fonctionne que dans un sens, toujours vers le colombier d’origine, ce qui suppose au préalable de transporter les précieux auxiliaires vers le point de départ des messages, et de ne pas l’y laisser trop longtemps de peur qu’il ne finisse par s’habituer à sa nouvelle demeure ! Les pigeons voyageurs ont ainsi servi à plusieurs reprises pour expédier des messages depuis les villes assiégées, depuis celle de Modène en 43 avant J.-C. jusqu’à celle de Paris en 1870.

Soldats lâchant des pigeons voyageurs munis de messages pendant la Première guerre mondiale (source © Rue des archives / PVDE / 1 jour 1 actu)

Pendant la Première guerre mondiale, l’armée française utilisa ainsi plus de 30 000 pigeons voyageurs pour assurer le service de messagerie aérienne en cas de défaillance (fréquente) des lignes téléphoniques. L’un d’entre eux fut même cité à l’Ordre de la Nation pour avoir vaillamment transporté l’ultime message du commandant Raynal, défenseur du Fort de Vaux à Douaumont en juin 1916. Pendant la Seconde guerre mondiale, ce sont pas moins de 16 500 pigeons qui sont parachutés sur le sol français par les alliés britanniques pour faciliter les transmissions avec la Résistance. L’armée française continue d’ailleurs d’entretenir une petite escouade de pigeons voyageurs au colombier militaire du Mont Valérien et il se murmure que la Chine entretient des dizaines de milliers de pigeons solidement entraînés pour assurer ses transmissions militaires en cas de défaillance technique : on n’est jamais trop prudent…

L. V.

La tension monte en Corée

11 janvier 2024

Décidément, ce début d’année 2024 est particulièrement belliqueux. En pleine trêve des confiseurs et alors que l’usage est de se souhaiter à tous plein de bonheur et une bonne santé, les armes grondent un peu partout à nos portes. En Ukraine, les combats violents se poursuivent depuis 2 ans maintenant et les contre-attaques meurtrières s’enchaînent de part et d’autre dans un conflit qui s’enlise. A Gaza, l’armée israélienne continue de bombarder les civils dans sa folie destructrice, en représailles aux attentats barbares menés par les militants fanatisés du Hamas, chaque camp ne voulant rien céder à l’autre dans sa haine guerrière qui aurait déjà fait de l’ordre de 23 000 morts, pour l’essentiel des civils palestiniens. Quant aux rebelles houthis, insurgés depuis 2014 et largement soutenus par l’Iran, ils s’attaquent de plus belle aux navires de commerce qui s’engagent en Mer Rouge par le détroit de Bab el-Mandeb, menaçant directement le trafic marchand international qui passe à 40 % par cette route.

Attaque des forces houthis contre le navire marchand Galaxy Leader le 19 novembre 2023 (photo © Houthi Media Center / AP / SIPA / 20 minutes)

Et voilà que par-dessus le marché la tension monte de nouveau d’un cran en Corée. Le 18 décembre dernier, la Corée du Nord avait tiré deux missiles balistiques dont l’un de longue portée, capable d’atteindre le sol des États-Unis. Il n’est pas allé jusque-là et s’est abîmé en mer après un peu plus d’une heure de vol, mais quand même ! D’autant que le régime de Pyongyang en est à son quatrième lancement de missile balistique depuis le début de l’année, en violation des résolutions des Nations-Unies dont le Conseil de Sécurité s’est d’ailleurs réuni en urgence suite à cette nouvelle provocation.

Mais la Chine a jugé utile de rappeler à tous, par la bouche du chef de sa diplomatie, son soutien indéfectible au régime nord-coréen tandis que les observateurs avisés faisaient remarquer que le lancement de ce missile balistique de longue portée coïncidait avec l’anniversaire de la mort en 2011 de l’ancien dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, le père du président actuel Kim Jong-un : un cadeau d’anniversaire pour célébrer la mort de son papa, quoi de plus touchant en vérité ?

Restes d’un missile en cours d’identification, probablement d’origine nord-coréenne, tiré par l’armée russe sur le sol ukrainien (source © Boursorama)

La Corée du Nord se sent le vent en poupe avec le soutien appuyé de la Chine mais aussi de la Russie à qui elle livre des milliers d’obus pour alimenter sa guerre offensive en Ukraine. Deux porte-containers russes chargés d’armes à destination du front ukrainien multiplient les allers-retours depuis la dernière rencontre officielle qui a eu lieu en septembre 2023 entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un. La Corée du Nord aurait ainsi fourni plus de 1000 containers d’armes et de munitions et aurait même fourni des missiles balistiques et des lanceurs de missile comme les Ukrainiens en ont désormais la preuve, l’un de ces missiles ayant été retrouvé dans un champ le 30 décembre dernier.

Lancement d’une fusée contenant le satellite espion nord-coréen Malligyong-1, lancée depuis la province de Gyeongsang du Nord, le 21 novembre 2023 (photo © KCNA / Reuters / Le Figaro)

Un échange de bons procédés puisque, à l’occasion de cette visite à Moscou, le dirigeant nord-coréen a demandé de l’aide pour perfectionner son lanceur de satellite espion, après avoir essuyé deux échecs successifs en mai et en août 2023. Les conseils de tonton Vladimir ont été manifestement judicieux puisque la Corée du Nord a finalement réussi en novembre à placer sur orbite son premier satellite militaire espion, Malligyong-1. Pas forcément très rassurant pour la détente des relations internationales…

Carte de la zone frontalière entre Corée du Nord et du Sud, dans le district insulaire d’Ongjin (source © Wikipedia)

Et voilà que le 5 janvier 2024, Pyongyang s’est mis en tête de bombarder soudainement deux îles proches de ses côtes mais situées de l’autre côté de la frontière maritime ouest qui sépare les deux États, la fameuse Northern Limit Line. Celle-ci avait été tracée lors de la conférence de Yalta en 1945 mais mise en pratique en 1953 seulement, à l’issue de l’armistice qui mit fin à la guerre de Corée. Sa partie maritime a été tracée par les Nations-Unies et les plans ont été adressés au régime de Pyongyang qui n’a jamais daigné répondre mais s’est mis en tête, en 1973, de les contester, souhaitant repousser cette frontière plus au sud car cet espace maritime parsemé de plusieurs îles s’est avéré riche en crustacés. Les deux pays rivaux se le sont âprement disputé depuis, notamment en 1999, à l’occasion de ce qui est resté dans les annales comme « la guerre du crabe »…

Tirs d’artillerie par l’armée nord-coréenne lors d’un exercice, le 6 octobre 2022 (photo © STR / KCNA VIA KNS / AFP / i24)

En novembre 2010, la tension est montée d’un cran lorsque l’armée nord-coréenne s’est mise à bombarder l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, située à une dizaine de kilomètre seulement au sud de la frontière et à 115 km de Séoul, faisant 4 morts et 18 blessés parmi la population civile et militaire de l’île, et ceci en protestation contre les exercices militaires engagés par la Corée du Sud. Et voilà que la fièvre est de nouveau monté d’un cran en ce vendredi 5 janvier 2024, date à laquelle la Corée du Nord a tiré pas moins de 200 obus d’artillerie à proximité des deux îles de Yeonpyeong et Baengnyeon, de quoi alarmer les populations civiles qui ont été sommées par les autorités sud coréennes d’évacuer et de se mettre à l’abri, avant que l’armée nationale ne se mette à riposter à son tour en procédant à des tirs d’exercice à munitions réelles au moyen d’obusiers automoteur.

L’armée sud-coréenne prompte à la riposte avec ses tirs d’obusier automoteur (photo © AFP / La Nouvelle République)

Un véritable feu d’artifice donc sur cette malheureuse île de Yeonpyeong qui compte à peine 2000 habitants, le premier du genre depuis novembre 2018, lorsque les deux pays ennemis, dans un rare moment de sagesse, avaient décidé de retirer mutuellement leurs troupes de cette zone frontalière sensible et d’arrêter d’y faire des exercices militaires souvent considérés comme un geste de provocation par le voisin. La Chine toute proche a aussitôt appelé « toutes les parties au calme et à la retenue », tout en rappelant son soutien indéfectible à son allié nord-coréen. Ce qui n’a pas empêché Pyongyang de tirer de nouveau 60 obus supplémentaires, dès le lendemain 6 janvier, toujours à proximité immédiate de l’île de Yeonpyeong.

Kim Yo Jong, petite sœur du dictateur nord-coréen Kim Jong-un et membre du politburo depuis avril 2020, ici aux côtés de son frère (photo © Aflo / ABACA / Le Figaro)

Mais la propre sœur du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, Kim Yo Jong, s’est fendue le lendemain d’un communiqué officiel, laissant croire que les 60 obus tirés la veille n’étaient que des leurres, de simples charges explosives imitant le son du canon, destinés à mettre à vif les nerfs des militaires sud-coréens. Elle a ainsi ironisé sur leur manque de sang-froid et de discernement, en écrivant : « A l’avenir, ils prendront même le grondement du tonnerre dans le ciel du nord pour un tir d’artillerie de notre armée ». L’humour n’étant pas la caractéristique la plus répandue dans les États-majors, surtout en période de forte tension internationale, il n’est pas certains que les généraux sud-coréens aient vraiment goûté à la plaisanterie de leurs voisins un peu trop taquins…

L. V.

Les oubliettes du château de Saint-Marcel

23 décembre 2023

Malgré ses 2600 ans d’existence revendiqués, et contrairement à bien d’autres cités françaises pourtant plus récentes, la ville de Marseille ne détient quasiment aucun patrimoine architectural datant du Moyen Âge. Les deux maisons emblématiques qui subsistent près de l’hôtel de Ville, vestiges préservés des dynamitages opérés par l’armée d’occupation allemande en février 1943 sur toute la rive nord du Vieux-Port, la maison diamantée et l’hôtel de Cade, datent de la Renaissance seulement.

Mais il subsiste néanmoins, à l’extérieur de Marseille, les vestiges d’un château fort médiéval, peu connu et difficile d’accès, dont les ruines, en partie envahies par la végétation, bordent pourtant les villas modernes en contrebas et dominent les barres grisâtres des Néréides et du Bosquet. Édifié sur un promontoire rocheux en bordure nord du massif de Carpiagne / Saint-Cyr, entre la Valbarelle et la Barasse, sur une crête orientée Est-Ouest du rocher de Saint-Clair, le site est stratégiquement judicieux. De ce promontoire qui surplombe le quartier de Saint-Marcel et la vallée de l’Huveaune en contrebas, la vue s’étend depuis la Sainte-Baume jusqu’à la rade de Marseille et à la colline de la Garde.

Vue du castrum de Saint-Marcel depuis le nord-est avec en pointillé une reconstitution de l’ancien chemin d’accès médiéval (photo © N. Bourgarel / INRAP)

Un lieu défensif particulièrement bien choisi donc et qui a très probablement été utilisé par nos lointains ancêtres celto-ligures qui affectionnaient les implantations en hauteur pour y édifier leurs oppida, à l’instar du Baou de Saint-Marcel qui se situe juste en vis-à-vis, sur l’autre rive de l’Huveaune. Une campagne de fouilles préventives vient tout juste de se tenir sur ce site du castrum de Saint-Marcel, pilotée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) en prévision d’un projet d’ouverture du site au public par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône qui est propriétaire des lieux. Elle a justement permis de conforter la présence humaine sur cet éperon rocheux à l’époque proto-historique, avec quelques fragments de poteries retrouvés à la base du site, dans les anfractuosités de la roche mère.

Vue aérienne des vestiges du castrum de Saint-Marcel (photo © N. Bourgarel et B. Sillano / INRAP)

A ce stade, rien ne permet néanmoins de confirmer qu’un oppidum habité avait été édifié à cette époque ou s’il s’agissait simplement d’un lieu de campement épisodique. Les Romains n’y ont pas laissé beaucoup de traces non plus, en dehors de quelques tessons retrouvés en surface, datés du IIe siècle après J.-C. Il semble pourtant que le lieu ait servi de poste de guet lors du siège de Massalia conduit par les armées de Jules César en 49 avant notre ère, mais les vestiges attestant de cette période ancienne restent encore à retrouver.

Ce qui est sûr en revanche, c’est que les ruines encore bien visibles sont celles d’un castrum qui a été édifié au Ve siècle sur cet étroit éperon rocheux dont la largeur ne dépasse pas une douzaine de mètres. Ce site fortifié abritait un village en contrebas et un château fort sur les hauteurs, le tout enserré dans une même enceinte défensive qui s’appuie sur la topographie naturelle escarpée de cet éperon rocheux datant du Crétacé moyen et dont la roche fournit la matière première, pour les blocs de pierre comme pour la chaux.

Reconstitution des différents états successifs du castrum (source © DAO G. Frommherz / INRAP)

C’est justement ce mortier servant de liant entre les pierres de maçonnerie qui permet de dater les différents états du château qui, comme tout fortin de nature défensive, a subi plusieurs vicissitudes au fil des siècles. Une histoire qui vient plus ou moins confirmer l’analyse qu’en avait faite en 1888 le marquis de Forbin dont la propre demeure se trouvait juste en contrebas et qui avait alors lancé une campagne de fouilles archéologiques de grande ampleur. Les chercheurs de l’INRAP, après débroussaillage des lieux, ont constaté effectivement que tout le site avait déjà été soigneusement fouillé et que l’essentiel des couches de démolition avait déjà été enlevé.

C’est d’ailleurs cette monographie du marquis de Forbin qui conclut à une première destruction du château fort de Saint-Marcel en 732, à l’occasion d’une razzia des Sarrasins. En 1057, on retrouve dans les archives de l’abbaye de Saint-Victor une première mention écrite du château sous le nom de sanctus Marcellus castellum Massiliense, autrement dit Saint-Marcel, château marseillais. Propriété successive de l’évêché, des vicomtes de Marseille et de l’abbaye de Saint-Victor, le château est alors une pièce maîtresse du système défensive marseillais et il se dit : « Qui tient les clefs de Saint-Marcel, tient celles de Marseille ».

Les vestiges du castrum de Saint-Marcel avec sa vue imprenable sur la vallée de l’Huveaune et la rade de Marseille (source © La Marseillaise)

Au début du XIIIe siècle, la ville de Marseille commence à s’émanciper du pouvoir de ses vicomtes et acquière son autonomie en rachetant en 1214 l’ensemble des droits souverains de la vicomté. L’évêque lui-même finit par reconnaître en 1220 les droits de la commune. Mais en 1246, Charles d’Anjou, le frère du roi Louis IX (plus connu sous le nom de Saint-Louis), acquiert en dot la Provence suite à son mariage avec Béatrice de Provence. Les grandes villes de la région, en plein essor économique, lui tiennent la dragée haute, d’autant qu’il doit embarquer dès 1248 pour les croisades. Revenu illico en 1251, il soumet rapidement Arles puis Avignon et assiège Marseille dès le mois d’août. La ville capitule l’été suivant mais, dès 1261 une nouvelle révolte éclate et des insurgés s’emparent du castrum de Saint-Marcel. Charles d’Anjou rétablit rapidement la situation après avoir soumis la ville à un blocus, et il occupe à son tour le fameux castrum de 1264 à 1276, y faisant construite la tour sud, encore bien conservée.

La tour sud du castrum, œuvre de Charles d’Anjou, toute proche des immeubles et des villas en contrebas (photo © B. Sillano / INRAP)

En 1423, le torchon brûle entre Louis III, comte d’Anjou et de Provence, sacré roi de Naples en 1419, et Alphonse V, roi d’Aragon, passionné par la Renaissance italienne et qui brigue, lui aussi le Royaume de Naples. Alors que Louis III et le pape Martin V tentent de convaincre le duc de Milan de rassemble une flotte pour leur venir en aide, Alphonse V décide de retourner précipitamment en Espagne où son beau-frère, le roi de Castille, menace ses propres États. En chemin, il décide de s’en prendre à la ville de Marseille, qui a mis toute sa flotte au service de Louis III et se trouve largement désarmée avec à peine 360 soldats pour garder les remparts. Le 18 novembre 1423, la flotte catalane, composée de 18 galères et 12 vaisseaux, est signalée et, le surlendemain, les premiers contingents d’assaillants catalans débarquent, dans l’anse qui prendre plus tard justement le nom de plage des catalans, mais pour une tout autre raison, liée à l’installation des pêcheurs catalans après la peste de 1720.

Les Catalans s’emparent sans difficulté de la chapelle Saint-Nicolas et de l’abbaye Saint-Victor, sur la rive sud non défendue du Vieux-Port, puis s’en prennent à la tour Maubert dans le fort Saint-Jean, qui défend l’entrée du port avec ses 2 énormes chaînes métalliques de 15 m chacune, tendues en travers de la passe pour en contrôler l’accès. La nef de Bertrand Forbin qui défendait l’accès au port est coulée, la chaîne brisée et les galères catalanes pénètrent dans le port de Marseille. Les soldats catalans mettent à sac la ville faiblement défendue, brûlant et pillant les maisons pendant 3 jours consécutifs, avant de se retirer en emportant notamment comme butin les précieuses reliques de Saint-Louis d’Anjou, originaire de Brignoles et ancien évêque de Toulouse, ainsi que les deux fragments de la chaîne du port. Les reliques ont fini par être restituées en 1956 mais les chaînes sont toujours exposées sur les murs de la cathédrale de Valence, en Espagne…

Les chaînes qui protégeaient jadis l’entrée du port de Marseille, brisées lors du sac de la ville par la flotte catalane en 1423, ornent toujours les murs de la cathédrale de Valence, en Espagne (photo © Joanbanjo / CC-BY-SAB / Anecdotrip)

Toujours est-il que certains attribuent à ce fameux sac des Catalans la destruction du castrum de Saint-Marcel. Il ne s’en est jamais relevé et les ruines que l’on voit actuellement datent donc de cette époque. En 1473, le roi René le transfert à l’évêché de Marseille qui, en 1647 le cède aux échevins de la Ville jusqu’à la Révolution. Il faudra ensuite attendre la curiosité du marquis Michel Palamède Forbin d’Oppède, alors propriétaire du terrain à la fin du XIXe siècle, à proximité de l’ancien relai de chasse acquis par sa famille au XVe siècle et transformé en 1865 en un magnifique château, pour s’intéresser de nouveau à l’histoire de ces derniers vestiges  du passé médiéval de Marseille, largement méconnu.

L. V.

Tigré : la guerre passée sous les radars

10 décembre 2023

Depuis le 7 octobre 2023, le monde entier à les yeux rivés sur la bande de Gaza, ce territoire palestinien minuscule aux confins du désert égyptien, d’où est partie l’attaque meurtrière des fous de Dieu du Hamas, et qui croule désormais sous les bombardements sauvages de l’armée israélienne. La première aurait fait, selon les derniers décomptes israéliens de l’ordre de 1200 morts, principalement des civils auxquels s’ajoutent les 240 personnes enlevées comme orages et dont tous n’ont pas encore été libérés. Côté palestinien, le bilan de l’attaque israélienne qui se poursuit est incontestablement plus lourd, se rapprochant désormais des 18 000 morts si l’on en croit les chiffres officiels du Ministère de la Santé de Gaza. Et les opérations militaires se poursuivent malgré les protestations horrifiées de la plupart des agences humanitaires internationales qui assistent impuissantes à cette rage destructrice aveugle de l’armée israélienne, encouragée par son indéfectible allié américain. A ce jour, Tsahal ne reconnait la perte que de 80 soldats, ce qui en dit long sur le côté asymétrique de cette guerre.

Pompiers palestiniens s’efforçant d’éteindre l’incendie d’une maison bombardée par l’armée israélienne le 9 décembre 2023, à Khan Younis, au sud de Gaza (photo © Ibrahim Abu Mustafa / Reuters / ICI Radio Canada)

En comparaison, le conflit en cours sur le sol ukrainien que l’armée russe de Vladimir Poutine s’est mise en tête d’envahir après avoir purement et simplement annexé la Crimée en 2014, conflit qui focalise lui-aussi l’attention des médias du monde entier, a très probablement fait davantage de victimes mais sur une durée incomparablement plus longue puisqu’il dure désormais depuis bientôt 2 ans. Là aussi, les chiffres avancés sont à manier avec la plus extrême prudence car la propagande fait rage, des deux côtés, et il n’est pas toujours aisé de démêler le vrai du faux…

Rue de la ville de Marioupol, théâtre de combats sanglants entre forces russes et ukrainiennes, ici le 4 mai 2022 (photo © Valery Melnikov / Sputnik / FranceTVinfo)

Le nombre de civils ukrainiens tués, souvent à la suite de bombardements aériens ou de tirs de missiles, parfois très loin des zones de combat est évalué à plus de 40 000 par les autorités ukrainiennes et a minima entre 10 et 30 000 selon les sources occidentales les plus fiables. A cela s’ajouteraient au moins 20 à 60 000 morts dans les rangs des forces armées ukrainiennes et peut-être entre 30 et 120 000 du côté russe. Les fourchettes sont larges et la guerre fait toujours rage, si bien que l’on ne connaitra peut-être jamais le décompte exhaustif des victimes de cette guerre d’un autre âge et qui s’avère particulièrement meurtrière.

Bien d’autres conflits sont en cours sur la planète, en ce moment même, notamment au Yémen, en proie à une guerre civile qui dure depuis 2015, lorsque les rebelles chiites houthistes se sont emparés du palais présidentiel à Sanaa. Une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite s’oppose par les armes à ce mouvement houthiste appuyé par l’Iran, bombardant parfois sans trop de discernements écoles et hôpitaux aux mains du mouvement rebelle. En mai 2022, plusieurs instances des Nations-Unies évaluaient le bilan à au moins 380 000 morts parmi la population civile yéménite, dont peut-être 150 000 liés directement aux combats et probablement 2,5 millions de déplacés…

Rassemblements d’habitants après le bombardement d’une maison à Sanaa, au Yémen, le 26 août 2017, faisant 14 morts (photo © Muhammed Huwais / AFP / France 24)

La Syrie fait aussi partie de ces théâtres de confrontation où les populations civiles ont payé un lourd tribut. En juin 2022, le Haut-Commissariat aux Réfugiés, une instance onusienne, évaluait ainsi à près de 307 000 le nombre de civils tués dans ce pays en 10 ans de guerre, entre le 1er mars 2011 et le 31 mars 2022. La guerre civile y était née d’une volonté d’émancipation démocratique liée au Printemps arabe, en 2011, dirigée contre le régime autoritaire et répressif de Bachar el-Assad.

Tentative de sauvetage après un bombardement à Alep, en Syrie, le 11 septembre 2016 (photo © Amir Al Halbi / AFP / Le Pélerin)

Réprimé sauvagement, le mouvement s’est rapidement transformé en rébellion armée dans laquelle l’Armée syrienne libre se voit peu à peu supplantée par des groupes djihadistes dont l’état islamique à partir de 2014. La Russie soutient massivement, dès 2015, le régime de Bachar el-Assad, pourtant à l’origine de la plupart des morts civils par bombardements aériens, gazage à l’arme chimique, voire torture dans les geôles du régime. La Turquie y joue aussi un rôle majeur, d’abord contre les troupes de l’État islamique, puis contre les combattants kurdes qui avaient pourtant largement contribué à l’affaiblissement de ce dernier…

Mais l’un de ces conflits récents mérite une mention spéciale même s’il s’est pour l’essentiel déroulé à l’abri des regards extérieurs. Il s’agit de la guerre du Tigré, qui a eu lieu sur le sol éthiopien entre novembre 2020 et novembre 2022, date de la signature d’un accord sous l’égide de l’Afrique du Sud. Cette guerre civile est née de la volonté du Premier ministre d’alors, Abyi Ahmed, de mettre fin en 2019 au système politique en vigueur qui permettait au Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien, une coalition de partis ethniques, de diriger le pays depuis 1994. Cela déclenche la révolte du FLPT, le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), une organisation régionaliste créée en 1975 pour combattre le régime autoritaire de Mengistu Hailé Mariam. Ce parti très majoritaire dans la région du Tigré, avait abandonné en 1990 ses références marxistes-léninistes et soutenait depuis lors le parti national majoritaire.

Monastère de Debre Dabo, fondé au VIe siècle après J.-C., perché sur une plateforme rocheuse à 2200 m d’altitude dans la région du Tigré (photo © Shutterstock / Aleteia)

Le Tigré, c’est cette région montagneuse du nord de l’Éthiopie, l’une des 13 qui divisent administrativement le pays depuis 1995, frontalière avec l’Érythrée et avec le Soudan. La région, grande comme l’Autriche et qui compterait de l’ordre de 6 millions d’habitants, est notamment connue pour ses nombreux barrages et ses églises taillées dans le rocher, parfois perchées au sommet de falaises peu accessibles comme c’est le cas de l’ancien monastère Debre Dabo. Les Tigréens ne représentent que 6 % de la population éthiopienne et ils ont donc vu d’un mauvais œil la tentative d’Abyi Ahmed de sortir le pays de ses coalitions ethniques pour créer un parti national dans lequel l’ethnie Oromo, largement majoritaire, se taille la part du lion.

Le FLPT entre donc en rébellion ouverte et attaque, le 4 novembre 2020, les forces armées éthiopiennes à Makelé, capitale régionale du Tigré, et à Dansha, dans l’ouest de la région. La moitié des forces armées du pays sont alors stationnées dans le secteur, suite au conflit encore récent avec l’Érythrée voisine, devenue indépendante en 1993. Mais le FLPT peut compte sur le soutien engagé d’environ 250 000 miliciens et l’appui tacite de la population. La réaction du gouvernement est brutale. Les troupes armées éthiopiennes, appuyées par les forces armées érythréennes et par les milices Amhara, issue de la région limitrophe au sud du Tigré, se déchainent contre la population locale, n’hésitant pas à l’affamer et à se livrer à d’atroces exactions envers les civils, provoquant de multiples massacres et des viols systématiques.

Epave de char de combat détruit par une attaque de drone près de la ville de Haïk, le 12 janvier 2022 (photo © J. Countess / Getty Images / Géo)

Pendant 2 ans, la région est quasiment coupée du monde et nul n’est en mesure d’estimer avec précision le bilan de ce conflit, considéré, à ce jour, comme le plus meurtrier du XXIe siècle. Selon une enquête minutieuse, réalisée par l’universitaire belge Jean Nyssen et évoquée notamment fin janvier 2023 dans le quotidien espagnol El Pais le conflit aurait causé la mort de 100 à 200 000 combattants des deux côtés et probablement de l’ordre de 600 000 civils, souvent victimes indirectes, tués surtout par la faim et les épidémies déclenchées par les combats et la volonté du gouvernement de mater la population locale.

On est certes encore très en deçà des bilans effrayants de la Seconde guerre mondiale avec ses près de 60 millions de morts dont plus de 17 millions de combattants, les civils payant un tribut de plus en plus lourd dans ces conflits dits « modernes », mais le XXIe siècle vient tout juste de commencer et on peut faire confiance dans la rage destructrice des hommes pour combler rapidement ce petit retard…

L. V.

France : les ravages du communautarisme

14 novembre 2023

Tous les commentateurs politiques n’arrêtent pas de le déplorer : la démocratie à l’occidentale souffre d’un excès d’individualisme, chacun se repliant sur le confort de sa petite personne et s’éloignant de l’intérêt public qui exige engagement désintéressé et altruisme. Une évidence qui se traduit notamment par la difficulté des partis politiques et mouvements associatifs à mobiliser de nouveaux militants, mais aussi par une désaffection croissante des citoyens dans les enquêtes publiques comme pour les élections.

Le communautarisme en France, une invention des médias ? Un dessin signé Miss Lilou

Et pourtant, un autre écueil guette peut-être aussi notre société, à savoir cette propension au repli sur sa communauté, d’origine, de religion ou de pensée, que nombre d’observateurs constatent. Une particularité qui jusqu’à présent était plutôt le propre des pays anglo-saxons, États-Unis et Grande-Bretagne en tête, mais aussi au Canada où cette notion de communauté culturelle est très fortement ancrée, associée à l’idée que chacun peut revendiquer des droits différents selon son appartenance à une communauté ethnique, culturelle ou religieuse.

La France jacobine et laïque, « une et indivisible » issue de la Révolution et dont l’esprit républicain s’est forgé à la fin du XIXe siècle, dans une lutte ouverte contre l’emprise tout puissant de la religion catholique et du régionalisme encore très présent, se caractérise plutôt par son aspiration à placer l’appartenance à la Nation au-dessus de tout. L’école s’est efforcée, depuis cette période, d’inculquer une langue et des valeurs communes, mais aussi de mettre en place des mécanismes d’ascension sociale basées sur la méritocratie, qui permettent justement de gommer autant que possible l’origine sociale, géographique mais aussi culturelle voire confessionnelle de chacun, tout en accordant à chacun une totale liberté de culte et de pensée.

Le repli confessionnel, un dessin signé Alf, relaya par Hiram

La France révolutionnaire a ainsi été la première à accorder, en 1791, la pleine égalité de droits pour les Juifs, même si l’Autrichien Joseph II avait déjà pris en 1781 un édit de tolérance, reconnaissant la liberté de culte judaïque et protestant. Dans les autres pays européens, il a souvent fallu attendre le XIXe siècle pour que les Juifs se voient accorder l’accès à la citoyenneté. Mais ces mesures d’émancipation, intervenant après des siècles de persécution, à l’encontre des Juifs comme d’autres minorités, ne peuvent empêcher les sentiments et les actes antisémites et xénophobes de la part de la population. La France en a été le théâtre comme la plupart des pays européens, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à la Rafle du Vel d’Hiv, même si elle n’a pas connu récemment les pogroms observés chez certains de ses voisins d’Europe centrale ou orientale.

Un dessin signé Pascal Gros, publié dans Marianne le 19 octobre 2023

Toujours est-il que l’on observe depuis une dizaine d’années, une forte recrudescence des actes antisémites sur le sol français, directement liée au développement d’un islam radicalisé au sein des populations musulmanes issues de l’immigration. Les récents événements qui se déroulent en Israël et dans la bande de Gaza ont évidemment tendance à exacerber ces tensions, mais force est de constater qu’elles étaient déjà bien visibles avant, avec des événements marquant comme l’assassinat d’Ilan Halimi dès 2006, la tuerie de l’école juive de Toulouse en mars 2012 ou celle de l’hypermarché cachère, porte de Vincennes en janvier 2015.

Au point de créer, chez certains Juifs de France, un climat d’anxiété permanente voire de sentiment de persécution, conduisant notamment à une forte émigration vers Israël, laquelle a concerné plus de 7000 personnes par an dans les années 2014-2015, soit davantage que depuis les États-Unis, même si ce chiffre a baissé depuis, limité à 2000 personnes en 2022. Un sentiment d’insécurité sans doute encore renforcé ces dernières semaines avec l’apparition inquiétante de nombreux tags en forme d’étoiles de David qui fleurissent sur les habitations de familles juives en région parisienne, rappelant les heures les plus sombres de l’occupation allemande, et même si l’origine de ces signaux est largement sujette à caution. La police a ainsi identifié au moins deux couples moldaves dont l’un a été arrêté et a reconnu, non seulement être à l’origine de certains de ces tags antisémites, mais encore avoir été payé pour le faire, par un commanditaire russe !

Un climat de tensions largement délétère, encore renforcé par ces slogans de « Mort aux Juifs » entendus dans plus d’une manifestation pro-palestinienne, en marge des mots d’ordres officiels dénonçant les agissements criminels d’un « Israël assassin ». Il n’est pas sans risque d’importer ainsi en France le conflit israélo-palestinien, dans le pays qui compte à la fois la plus forte communauté juive d’Europe (évaluée à 460 000 personnes en 2016) et la plus forte communauté musulmane, estimée à 5,4 millions de personnes, soit près de 10 % de la population. Les conflits ne font que se multiplier en milieu scolaire, et surtout au collège et au lycée, où nombre d’enseignants se voient confronter à des attitudes de dénigrement de la part de jeunes issus de l’immigration magrébine ou africaine, lorsqu’il est question de laïcité, de tolérance, et de coexistence multiconfessionnelle. Tout est prétexte à confrontation de la part de certains d’entre eux qui y voient un moyen d’affirmer leur différence culturelle via un communautarisme affirmé, qui va totalement à l’encontre de la tradition de l’Éducation nationale, laïque et fortement centralisée.

Un dessin signé Camille Besse, publié dans Marianne le 9 novembre 2023

Dans un tel contexte, les affrontements récents qui voient l’État d’Israël se livrer à des bombardements massifs et à un blocus impitoyable contre les habitants de Gaza en représailles au raid sanguinaire des fous de Dieu du Hamas, ne peuvent qu’envenimer encore davantage ces tensions. Comment évoquer des faits historiques comme les pogroms ou la Shoah dans un tel climat de haine exacerbé où certains assimilent, du fait du comportement actuel des forces armées israéliennes, les Juifs à un peuple de colonisateur ?

Attention à ne pas confondre antisémitisme et antisionisme : un dessin signé Babouse (source © Monolecte)

La conséquence directe d’un tel climat de tension et d’incompréhension mutuelle est un repli identitaire comme la France moderne en a rarement connu, exacerbé par le fait que chacun s’informe auprès des médias et des réseaux sociaux de son obédience, ce qui ne fait que renforcer les points de vue respectifs au lieu de les ouvrir à la confrontation. Rien d’étonnant dans ces conditions de constater que dans bien des quartiers les ressortissants juifs n’osent plus laisser leurs enfants à l’école publique, 70 % d’entre eux étant désormais inscrits dans des établissements privés juifs ou catholiques, seuls certains établissements publics de grandes métropoles étant encore en capacité d’assurer une coexistence pacifique entre eux et les autres élèves…

Le respect de la laïcité à l’école, un problème insoluble ? Un dessin de Wingz (source © Pas si dupes)

Plus inquiétant encore, ce repli communautaire auquel on assiste entre Juifs et Musulmans de France, est en train de se traduire également dans les urnes. Aux dernières élections présidentielles, les Juifs français, pourtant traditionnellement plutôt proche d’une gauche porteuse de valeurs universalistes, ont voté massivement pour la liste Reconquête ! d’Éric Zemmour avec des scores dépassant 35 % dans certaines villes comme Sarcelles où la communauté juive est très implantée. Au premier tour, cette liste d’extrême droite a même obtenu la majorité absolue chez les Français établis en Israël !

Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, tentés par la récupération des communautarismes ? Un dessin signé Hector (source © l’Opinion internationale)

Dans le même temps, la France insoumise fait tout pour s’accorder les bonnes grâces de la communauté musulmane, recueillant là aussi des scores sans commune mesure avec son audience nationale dans les quartiers où celle-ci est la mieux implantée. A la dernière présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a ainsi frôlé les 50 % en Seine-Saint-Denis et ses candidats aux législatives l’ont souvent emporté avec des scores mirifiques. Abandonnant sa tradition laïque pourtant bien ancrée à gauche, ce parti s’est lancé dans une surenchère clientéliste auprès des populations de confession musulmane, plutôt défavorisées, issues de l’immigration, n’hésitant pas à fermer les yeux sur certaines dérives communautaristes inspirées par un Islam politique ultra-conservateur dont les valeurs sont pourtant à l’opposé de celles d’une gauche républicaine et progressiste.

Tiraillée dans ce conflit qui vient s’imposer dans son fonctionnement déjà bien fragilisé, la République française aurait tout intérêt à raffermir son socle de valeurs démocratiques, basées sur le dialogue et l’écoute critique, si elle ne veut pas se laisser à son tour emporter par les vents mauvais de ce nouveau communautarisme importé…                                                                             

L. V.

La Grave : le téléphérique de la discorde

12 novembre 2023

Avec le réchauffement climatique, le sort de la plupart des glaciers alpins est d’ores et déjà réglé, condamnés à fondre inexorablement jusqu’à disparaître tandis que la faune et la flore de haute altitude vont devoir s’adapter rapidement pour survivre aux nouvelles conditions climatiques qui s’imposent, à une vitesse jamais observée jusque-là. D’ici la fin du siècle, autrement dit dans 75 ans seulement, la moitié des 215 000 glaciers répertoriés dans le monde auront probablement disparu selon une étude scientifique publiée en janvier 2023 dans la revue Science. Et encore, cette modélisation ne vaut que si on maintient la trajectoire du réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C, ce qui semble désormais totalement illusoire. Avec un réchauffement de 4 °C, nettement plus réaliste au vu des observations actuelles, ce sont 83 % des glaciers actuels qui auront disparu en 2100 ! Dans le massif alpin, seuls quelques plaques de glace résiduelles pourraient encore subsister à plus de 4000 m d’altitude…

La Meige vue du Chazelet, un hameau de La Grave (photo © Éric Beallet / Oisans)

Une bien triste perspective pour des villages comme La Grave, symbole du tourisme alpin. Cette petite commune du nord des Hautes-Alpes, située dans la haute vallée de la Romanche, sur un axe routier important, reliant Grenoble à Briançon, et au-delà vers l’Italie par le col de Montgenèvre, ne compte, malgré sa position stratégique juste en dessous du col du Lautaret, que 477 habitants, répartis entre le bourg et différents hameaux qui s’étagent tous entre 1300 et 1900 m d’altitude.

La Grave a surtout la chance de se trouver au pied même du massif de la Meije, le deuxième plus haut sommet du massif des Écrins, culminant à 3 983 m d’altitude et dont la face nord surplombe majestueusement le village. Dernier sommet majeur des Alpes à être gravi par l’homme, après au moins 17 tentatives avortées depuis 1870, il a fallu attendre le 16 août 1877 pour qu’un alpiniste français, Emmanuel Boileau de Castelnau, parvienne au sommet du Grand Pic de la Meije, guidé par le local de l’étape, Pierre Gaspard et son fils. Depuis lors, La Meije est devenue un haut-lieu du tourisme alpin, avec l’ouverture d’un premier hôtel dès 1857.

Face sud de la Meije avec son point culminant, le Grand Pic de la Meije, à 3 983 m (photo © Freddi Meignan / Isère tourisme)

A la fin des années 1950 apparaît le besoin d’un déneigement hivernal du col du Lautaret pour répondre à la demande émergente des sports d’hiver et une première station de ski, celle du Chazelet, est aménagée à La Grave. La création du Parc national des Écrins, en 1958, freine le projet de construction du téléphérique de la Meije, déjà dans les cartons mais dont le projet devra nécessiter un ajustement des limites du Parc, après moult discussions… Déjà à l’époque, les polémiques sont vives entre le maire qui prône un développement touristique tous azimuts et une partie de la population qui insiste pour préserver le cadre naturel exceptionnel du site. Un premier tronçon finit quand même par être achevé en 1976 mais quelques mois plus tard, un plasticage à l’explosif retarde la poursuite des travaux, si bien que le second tronçon ne sera mis en service qu’en 1978.

Les cabines du téléphérique de la Gave à la Meije (source © Ski passion)

Ces téléphériques qui fonctionnent avec des trains de 5 cabines chacun, comportent donc une gare intermédiaire située à 2424 m d’altitude, la gare d’arrivée du tronçon supérieur étant à 3 173 m. Exploités depuis 2017 par la Société d’aménagement touristique de la Grave, une filiale de la SATA, basée à l’Alpe d’Huez, ces téléphériques permettent de desservir l’hiver un téléski qui conduit les skieurs sur le glacier de la Girose jusqu’à 3 600 m d’altitude. Mais ce vieux téléski, fonctionnant encore au fuel, est mal placé par rapport à la configuration actuelle du glacier qui s’est fortement rabougri ces dernières années et les skieurs doivent se faire tracter sur 800 m par une dameuse pour le rejoindre depuis l’arrivée du téléphérique… D’où le projet de construire un troisième tronçon de téléphérique qui prendra la suite des deux précédents et conduira directement les passagers jusqu’à 3 600 m.

Mais voilà que, comme il y a 50 ans mais avec encore plus de vigueur, ce projet déchaîne les passions et suscite une forte opposition, de la part de ceux qui considèrent qu’aller faire du ski hors-piste sur les pentes de la Meije à plus de 3 500 m d’altitude est une activité obsolète qui ne peut plus être encouragée de nos jours alors que le réchauffement climatique  fait fondre à grande vitesse les derniers glaciers alpins et que l’on a enfin pris conscience de la nécessité de préserver ce qu’il reste de notre environnement naturel. Des associations se sont mobilisés et ont engagé des actions en justice pour tenter de faire obstacle à ce projet d’un autre temps. Mais en vain ! Leurs référés successifs ont tous été rejetés par le Tribunal administratif…

Manifestation d’opposants au projet sur le glacier de la Girose le 24 septembre 2023 (photo © Mountain Wilderness / Montagnes magazine)

Les travaux ont donc démarré comme prévu fin septembre pour construire ce troisième tronçon de téléphérique sur 1800 m de longueur avec le même flux de passagers que les deux tronçons inférieurs, soit 400 passagers par heure dans des cabines de 40 places de quoi embarquer 1000 à 1200 personnes par jour jusqu’à 3 600 m d’altitude. La station de La Grave accueillant des touristes été comme hiver, le téléphérique servira pour les skieurs comme pour les adeptes de l’alpinisme ou de la randonnée en altitude, mais aussi pour les simples flâneurs venus admirer le paysage et profiter du restaurant d’altitude situé à l’arrivée du deuxième tronçon ainsi que du glaciorium qu’il est prévu d’aménager, lieu de conférence et d’exposition sur les glaciers et la haute montagne.

Images de synthèse de la future gare d’arrivée du troisième tronçon du téléphérique de la Meije, à 3 600 m d’altitude (source © SATG / Montagnes magazine)

Le chantier, dont le coût est estimé à 15 millions d’euros, est prévu sur 3 ans avec une ouverture programmée à l’hiver 2025, sachant que les entreprises ne peuvent travailler que 4 mois par an, entre la fin de la saison estivale et les premières grosses neiges, ainsi qu’au printemps. Cet automne, les travaux doivent porter sur la protection préalable des espèces végétales impactées ainsi que sur les fondations du pylône intermédiaire qui sera implanté sur un éperon rocheux émergeant du glacier. Mais les opposants au projet se sont invités dans le jeu : début octobre, une quinzaine de militants, issus principalement des Soulèvements de la Terre, sont venus interrompre les travaux, déployant leurs banderoles à 3 400 m d’altitude et bloquant les travaux pendant une petite semaine, au grand dam des entreprises engagées dans une course contre la montre pour tenter de respecter leur planning très serré.

Les militants écologistes manifestant sur le site du chantier du téléphérique de la Meije début octobre 2023 (photo © Les Soulèvements de la Terre / France 3 régions)

Une autre marche était organisée en parallèle, le 7 octobre 2023, par deux autres associations opposées à ce projet : La Grave autrement et Mountain Wilderness, tandis que les commerçants et associations sportives locales organisaient de leur côté une contre-manifestation, le 14 octobre, pour exprimer leur soutien au projet, porteur d’emploi local et de retombées économiques positives, tout en soulignant le moindre impact environnemental du futur téléphérique par rapport au vieux téléski actuel.

De quoi aviver les tensions entre partisans d’une exploitation touristique à tout prix de la montagne, et militants d’une adaptation aux réalités du changement climatique, particulièrement sensible dans ces milieux alpins de haute altitude. Un dialogue de sourd qui risque bien de reprendre au printemps lorsque les travaux du chantier reprendront…

L. V.

Brebis contre pelleteuse sur la route à Wauquiez

25 octobre 2023

Les militants écologistes qui s’opposent assez fréquemment aux grands projets d’infrastructure se retrouvent souvent confrontés à ce terrible paradoxe. Rester dans la légalité et se contenter de recours administratifs en espérant que la raison finira par l’emporter, ou déclencher des actions spectaculaires de blocage, voire de destruction, pour se faire entendre en partant du principe que quand on se heurte à un mur, on n’a pas d’autre choix que de sortir la masse pour tenter de le démolir… Au risque cependant d’y perdre son âme, voire la vie, comme l’ont montrées à plusieurs reprises les affrontements avec les forces de l’ordre qui dégénèrent dans la violence. Les images de heurts brutaux, encore récemment sur le chantier des retenues d’eau agricoles en Poitou-Charentes, ne servent pas nécessairement la cause des militants écologistes et peuvent même amener une large partie de l’opinion publique à y voir un comportement extrémiste indéfendable.

Une religieuse de la congrégation fait un placage magistral à un militant écologique le 16 octobre 2023 sur le chantier de Saint-Pierre de Colombier (source France Bleu © capture vidéo Nicolas Ferero / France 3 régions)

On en a vu encore un exemple sur le chantier du complexe religieux dans le petit village ardéchois de Saint-Pierre de Colombier où une vidéo virale a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit sœur Benoîte, de la congrégation de la Famille missionnaire de Notre-Dame, courser un écolo chevelu et le plaquer magistralement dans la boue. En plein mondial de rugby, la scène ne pouvait évidemment pas passer inaperçu, mais elle interroge néanmoins sur le degré de tension nécessaire pour en arriver à de telles batailles de chiffonniers sous l’œil des caméras.

En l’occurrence, la tension ne date pas d’hier dans ce village de 440 habitants perdu à 30 mn d’Aubenas, où la congrégation est installée depuis 1946 et y a fait édifier la statue de Notre-Dame des Neiges, devenu un important lieu de pèlerinage qui surplombe les gorges de la Bourges. En 2001, le village avait déjà failli en arriver aux mains suite aux élections municipales remportées par une liste favorable aux projets d’extension de la congrégation, un habitant ayant été jusqu’à déposer un recours devant le tribunal pour contester la légalité de l’inscription sur les listes électorales des 98 bonnes-sœurs qui avaient permis de faire basculer le scrutin !

Face à face des religieuses et des militants écologistes devant les pelleteuses immobilisées, sous le regard des forces de l’ordre, le 17 octobre 2023 (photo © Stéphane Marc / Le Dauphiné)

La congrégation s’attelle dès lors à son ambitieux projet immobilier visant à construire un vaste sanctuaire de 50 m de haut, capable d’accueillir 3500 personnes, assorti d’annexes, d’une aire de retournement pour autocars et d’une passerelle franchissant la rivière. Le permis de construire est accordé en 2018 mais suscite la désapprobation tant de la population que du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, et même de l’évêque de Viviers et du Vatican qui jugent démesuré ce projet à 18 millions d’euros ! Le préfet bloque le projet en octobre 2020 mais est contraint de lever son arrêté fin 2022. Le tribunal administratif rejette, quant à lui, le 16 mars 2023, la demande d’annulation du permis de construire.

Les écologistes locaux, réunis au sein d’une association au nom quelque peu étrange des Amis de la Bourges, mettent en avant le risque de destruction d’une espèce menacée, le Réséda de Jacquin mais perdent leur pourvoi devant la Cour administrative d’appel. De fil en aiguille, la tension monte. Des militants écologistes tentent de s’enchaîner aux pelleteuses pour bloquer le chantier. Ni une ni deux, les bonnes sœurs en habit accourent sur le chantier et se mettent à monter la garde sur les engins de BTP en chantant des cantiques, jusqu’à cet affrontement et ce « placage cathédrale » de « Sœur Chabal » dont les images ont fait le tour du monde…Depuis, les services de la Préfecture tentent de faire retomber la tension, mais les esprits sont bien échauffés.

Travaux de terrassement en cours sur le chantier de l’A69 à Soual (Tarn), le 11 octobre 2023 (photo © JC Milhet / Hans Lucas / AFP / France TV infos)

Une tension que l’on retrouve désormais sur quasiment tous les gros chantiers d’infrastructures, de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, désormais abandonné, au projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Sur ce chantier de 53 km, qui permettra aux automobilistes de gagner 15 mn à peine sur leur temps de trajet, au prix de centaines d’hectares de terres et de bois bitumés, même les experts du Conseil national de la protection de la nature ont émis un avis défavorable, jugeant le projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif de zéro artificialisation nette (…) ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat ». 200 scientifiques toulousains se sont élevés contre ce projet jugé absurde et injustifié, dont le coût est chiffré à 450 millions d’euros. De nombreux militants écologistes, réunis au sein du collectif La voie est libre, manifestent régulièrement contre, et certains d’entre eux sont allés jusqu’à entamer une grève de la faim, mais manifestement rien ne fera plier l’État qui reste droit dans ses bottes et soutient mordicus le projet…

Les travaux titanesques de « la route à Wauquiez »… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Un autre projet routier fait l’objet actuellement d’une opposition écologiste, plus discrète mais pas forcément moins efficace. Il s’agit des 10 km de construction d’une route à 2 x 2 voies destinée à contourner les villages de Saint-Hostien et Le Pertuis, en Haute-Loire, dans ces paysages verdoyants des Sucs d’Auvergne, sur le tracée de la RN 88 qui relie Lyon à Toulouse en passant par Saint-Étienne et Albi. La nationale appartient à l’État mais celui-ci à délégué la maîtrise d’ouvrage du projet à la Région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez, dont c’est justement le fief électoral, d’où ce sobriquet de « route à Wauquiez ».

Laurent Wauquiez et quelques élus locaux lors de la pose de la première pierre pour la déviation d’Yssingeaux par la RN 88, le 28 février 2020 (photo © Nicolas Defay / Zoom d’ici)

Or, dans ce paysage très vallonné et entrecoupé de nombreuses sources et petits cours d’eau, tailler une telle infrastructure à gabarit quasi autoroutier, ne permet guère de faire dans la dentelle. Il faut défricher à tour de bras, terrasser des millions de m3, creuser des bassins de rétention, construire des ouvrages d’art, canaliser les écoulements naturels, le tout pour une ardoise plutôt salée puisqu’il en coûtera la bagatelle d’au moins 226 millions d’euros au contribuable, tout ça pour permettre à l’automobiliste pressé de gagner, montre en main, 3 mn sur son temps de parcours… Les entreprises de BTP se frottent les mains mais même l’Autorité environnementale a rendu un avis sévère, déplorant un intérêt public « insuffisamment étayé » et déplorant la parte de 60 km de haies, 60 ha de forêt, 25 ha de zones humides et 105 ha de terres agricoles, sans compter les murets et les abris traditionnels de bergers, irrémédiablement détruits… Cela n’a pas empêché le Préfet de donner son feu vert, pas plus que la mobilisation de près d’un millier de personnes en mai 2021, farouchement opposés à ce projet quelque peu décalé.

Les travaux sont donc lancés, mais un petit groupe d’opposants déterminés, regroupés au sein du mouvement local La lutte des Sucs, a posé sa caravane près du chantier et suit au jour le jour les impacts environnementaux des terrassements, notant les destructions de murets sans débroussaillage préalable par un écologue, les passages d’engins au travers de parcelles privées ou encore l’absence de dispositifs pour permettre à la petite faune de traverser. Des observations soigneusement consignées qui font l’objet de réclamations en bonne et due forme et sont remontées en réunion de chantier.

En cas d’irrégularité, les bergers amènent leurs brebis pour bloquer le chantier… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Et quand les observateurs n’arrivent pas à se faire entendre, ils font appel à l’armée de réserve, à savoir deux troupeaux de brebis mobilisées spécifiquement pour aller faire face aux engins de chantier et bloquer l’avancement des travaux, le temps que leurs revendications soient effectivement prises en compte. Par deux fois déjà depuis cet été, les brebis, dont les meneurs s’appellent Victoire, Zadinette et Bêêricade, ont fait courageusement face aux pelotons de CRS venus en renfort mais qui n’ont pas osé charger dans le tas, au grand dam de Laurent Wauquiez qui s’étrangle en évoquant les dérives extrémistes de dangereux terroristes environnementaux. Un dialogue au jour le jour qui reste compliqué entre aménageurs du territoire et défenseurs de l’environnement…

L. V.

Entre fanatisme religieux et arrogance nationaliste, la guerre promise…

14 octobre 2023

Les événements qui se déroulent depuis le 7 octobre 2023 à la frontière entre Israël et la bande de Gaza n’en finissent pas de frapper les esprits, tant la barbarie la plus ignoble est à l’œuvre, fruit d’une haine tenace de part et d’autre et d’une volonté aveugle d’anéantir l’autre. Après l’invasion russe en Ukraine, dans une logique purement impérialiste de montrer ses muscles et d’annexer des territoires, on a vraiment l’impression d’en revenir aux pires moments de notre Histoire, quand nos ancêtres s’étripaient avec ardeur pour permettre à leur monarque d’afficher sa puissance et d’agrandir son royaume, quand ce n’était pas pour d’obscures querelles de doctrine religieuse.

Combattants du Hamas fonçant vers la frontière israélienne depuis la bande de Gaza (photo © AFP / BBC Afrique)

A l’heure où chacun s’inquiète de l’avenir même de l’humanité sur une planète dévastée, en proie à un bouleversement climatique irréversible et alors que jamais les inégalités sociales n’ont été aussi fortes tandis que chacun sait exactement et en temps réel ce qu’il se passe à l’autre bout du monde, on pourrait plutôt craindre des révoltes de la part des moins défavorisés, désireux de profiter d’un gâteau menacé de disparition et dont certains continuent de s’empiffrer comme si de rien n’était.

Mais non, nous voilà revenus au temps des conflits territoriaux, comme si tous les mécanismes juridiques et les outils de la collaboration internationale, de la Société des Nations à l’Organisation des Nations-Unies, ne servaient à rien. Pourtant, on ne peut pas dire que le conflit israélo-palestinien, qui dure depuis au moins 1947, date à laquelle l’ONU a voté le plan de partage de la Palestine à l’issue du mandat britannique, n’ait pas fait l’objet, depuis tant d’années, de toutes les attentions du monde entier. Un conflit qui a dégénéré à plusieurs reprises en guerres, dès 1948, puis en 1967 (guerre des Six Jours), en 1973 (guerre du Kippour), en 1982 (invasion du Liban), en 1987 (première Intifada) et de nouveau en 2000 et jusqu’en 2012 (seconde Intifada).

Poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat le 13 septembre 1993, à l’occasion de la négociation des accords d’Oslo sous l’égide de Bill Clinton (photo © Ron Edmonds / AP / SIPA / Nouvel Obs)

Plus d’une centaine de résolutions ont été adoptées à l’ONU et des dizaines de plans de paix ont été proposés, mais tous ont été sabotés. Des torts malheureusement largement partagés des deux côtés avec une mauvaise volonté aussi flagrante de la part du gouvernement israélien actuel que des dirigeants palestiniens du Fatah et du Hamas.

Il faut remonter à 1993 et aux accords d’Oslo, il y a donc 30 ans, pour retrouver une véritable promesse de résolution de ce conflit via une reconnaissance mutuelle des deux États, avec en ligne de mire la création de l’État palestinien annoncée pour le 1er janvier 1998. En mars 2002, l’ONU entérine cette création et même le président américain Georges Bush ne s’y oppose pas. Sauf que, depuis les élections de 2006, les islamistes du Hamas ont pris le contrôle de la bande de Gaza, ce confetti de 360 km2, plus petit donc que l’île de Mayotte, coincé entre le sud d’Israël et l’Égypte et où s’entassent plus de 2 millions d’habitants dans un dénuement total, tout échange économique vers le voisin israélien étant entravé par un blocus économique, tandis que l’essentiel de l’approvisionnement en eau potable est à la main des Israéliens.

A Gaza, un approvisionnement en eau très précaire (photo © Ahmad Dalloul / Palestinian Water Authority / Banque Mondiale)

Le taux de pauvreté y est de 60 % et la bande de Gaza dépend à 80 % de l’aide humanitaire internationale et de l’aide financière massive du Qatar notamment. Issu des Frères musulmans et adepte d’un régime théocratique islamiste, le mouvement du Hamas, créé en 1988, refuse de reconnaître l’État d’Israël, rejette en bloc les différents traités de paix, organise des attentats terroristes et prône la lutte armée pour détruire Israël. Une position extrémiste, largement renforcée par la brutalité inouïe avec laquelle l’armée israélienne avait réprimé la seconde Intifada, et encouragée par son allié iranien, qui l’a donc conduit à lancer, le 7 octobre dernier, ces attaques sanglantes contre les populations civiles du sud israélien.

Poste de police de Sdérot, détruit suite à l’attaque du Hamas, ici le 8 octobre 2023 (photo © Ronaldo Schemidt / AFP / Libération)

Israël avait pourtant dépensé, paraît-il, plus d’un milliard de dollars pour construire, le long de la frontière gazaouie, une barrière de sécurité hautement sophistiquée. Mais les combattants du Hamas l’ont franchie sans difficulté à l’aide de simples bulldozers, de pick-up et de parapentes, se livrant par surprise à des actes de violence barbares contre leurs voisins, au moins 1300 Israéliens ayant été assassinés ou pris en otage. Il faut dire que si Tsahal n’a rien vu venir, c’est parce que, après avoir parqué les Gazaouis dans leur chaudron barricadé, les services de renseignement et l’armée avaient reporté toute leur attention sur les territoires occupés de Cisjordanie où la colonisation israélienne se poursuit à un rythme jamais vu.

Palestiniens célébrant la prise d’un char israélien près de la barrière qui encercle Gaza, près de Khan Younès, le 7 octobre 2023 (source © Keystones / TDG)

Depuis son retour au pouvoir fin 2022, Benyamin Netanyahou, surtout préoccupé de se prémunir contre les multiples affaires judiciaires qui lui sont reprochées, au risque de mettre en péril les institutions démocratiques de son pays, s’est allié avec des représentants de la pire espèce, de l’extrême droite nationaliste comme des ultraorthodoxes fanatisés, ce qui n’a fait qu’ajouter des tombereaux d’huile sur le feu qui couve dans les territoires occupés palestiniens.

Tour d’habitation pulvérisée par une frappe aérienne de l’armée israélienne au centre-ville de Gaza dès le 7 octobre 2023 (photo © Adel Hana / AP / Le Monde)

Sa réaction au coup de force du Hamas est d’ailleurs à l’image de ce redoutable opportuniste sans scrupule qui a immédiatement ordonné en représailles le bombardement massif des villes de Gaza, causant déjà plus de 2 200 morts dont 724 enfants en quelques jours, n’hésitant pas à frapper des écoles et des hôpitaux. Un blocus total a été immédiatement instauré privant la totalité des habitants de Gaza de tout approvisionnement en eau et en électricité, en violation totale des lois internationales, le ministre de la Défense israélien n’hésitant pas à déclarer le 9 octobre : « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence »…

Habitant de Gaza devant un immeuble détruit par une frappe israélienne le 11 octobre 2023 (photo © Mohamed Abed / BFM TV)

Israël menace maintenant la bande de Gaza d’une invasion terrestre massive et a demandé aux populations de Gaza de s’enfuir, comme si elles avaient ailleurs où se replier. Plus de 400 000 habitants de la bande de Gaza avaient déjà quitté en catastrophe leur foyer ce samedi 14 octobre, en attendant le déferlement des chars de Tsahal qui ne sont pas réputés faire dans la dentelle.

Une situation cataclysmique, qui montre jusqu’à quel niveau d’horreur l’irresponsabilité totale du Hamas comme du gouvernement israélien et de leurs alliés respectifs est capable de conduire les populations de cette région. A se demander si certains ont bien retenu les leçons les plus élémentaires de milliers d’années de guerres aussi sanglantes qu’absurdes…

L. V.

La droite marseillaise recrée le RPR…

3 juillet 2023

L’Histoire est un éternel recommencement et la vie politique française donne parfois l’impression de bégayer… Voilà que, le 23 juin 2023, le maire (de droite) de Marignane, Éric Le Dissès, et le député local de la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône, Franck Allisio, membre du Rassemblement national, viennent d’annoncer la création officielle d’une nouvelle association d’élus, baptisée le RPR ! La démarche ne manque pas de surprendre, car la référence au défunt RPR est évidente, jusqu’au logo de la Croix de Lorraine bleu-blanc-rouge qui est réutilisé quasi à l’identique.

Éric Le Dissès (à gauche) et Franck Allisio, annonçant la (re)création officielle du RPR, le 23 juin 2023 (photo © A. L. / La Provence)

Voilà qui ressemble beaucoup à un formidable bond en arrière de près de cinquante ans, révélateur d’une démarche conservatrice, destinée à drainer un électorat nostalgique des grandeurs du passé ! C’est en effet en 1976 que le précédent RPR a été créé, lui-même en référence directe à l’ancien parti gaulliste le RPF (Rassemblement du peuple français) initié en 1947 par le général De Gaulle en personne et mis en sommeil dès 1955…

En 1974, le parti gaulliste de l’époque s’appelle l’UDR (Union pour la défense de la République) lorsque le tout nouveau Premier ministre, Jacques Chirac, en prend la tête, au grand dam des barons gaullistes d’alors, comme Robert Boulin qui parle de « hold-up » tandis que Jacques Chaban-Delmas lâche : « M. Chirac n’a découvert le gaullisme qu’en comptant les sièges de l’Assemblée ». Démissionnaire de Matignon dès 1976, Jacques Chirac s’empresse de transformer l’UDR qui donne donc naissance, le 5 décembre 1976 au RPR, le Rassemblement pour la République, dont il est élu président avec 96,5 % des suffrages exprimés : bravo l’artiste !

Jacques Chirac lors d’un meeting du RPR en janvier 1983, parti qu’il a dirigé pendant près de 18 ans… (photo © AFP / Le Télégramme)

Devenue une formidable machine électorale pour la droite, le RPR disparait néanmoins en 2002, au profit de l’UMP, d’abord Union pour un mouvement populaire avant de se transformer très rapidement en Union pour la majorité présidentielle, dès la réélection de Jacques Chirac pour son second mandat à l’Elysée. Mais en 2017, Marine Le Pen, qui réfléchissait alors à changer le nom du Front national hérité de son père, avait chargé un de ses amis, l’avocat Frédéric-Pierre Vos, de racheter la marque et le logo de feu le RPR. Mission accomplie, même si c’est finalement le nom de Rassemblement national qui a été retenu en 2018 pour le parti d’extrême-droite.

Franck Allisio annonçant en 2015 son ralliement au FN, aux côtés de Marion Maréchal-Le Pen (photo © Anne-Christine Poujoulat / AFP / Europe 1)

En tout cas, la marque RPR n’est pas totalement tombée en désuétude et c’est donc Frank Allisio qui se targue depuis janvier 2022 d’être le nouveau président du RPR ! Issu des rangs LR où il a été président national des « Jeunes actifs », il annonce en 2015 son ralliement au Front national et participe comme porte-parole à la campagne de Marion Maréchal-Le Pen, lors des régionales, avant de s’investir dans la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022, ce qui lui vaut d’être élu député de la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône, sur la Côte bleue, depuis le 19 juin 2022.

Cette annonce officielle de renaissance du RPR a en tout cas fait l’effet d’une petite bombe dans le microcosme de la droite française… Dans l’esprit de Franck Allisio, il s’agit bien évidemment de créer les bases d’une alliance électorale qui engloberait aussi bien LR que le RN, voire le parti Reconquête d’Éric Zemmour. Mais toute la droite n’est pas forcément prête à une telle stratégie qui vise ouvertement à « reconstruire la France, tourner la page du macronisme et faire barrage à l’extrême-gauche NUPES ». Même Éric Ciotti, le nouveau président mal élu des LR, qui poursuit pourtant ouvertement le même programme, s’en est indigné, sans doute vexé de n’avoir pas eu l’idée le premier…

Éric Ciotti, président du parti Les Républicains et qui a souvent tendance à déborder le RN sur sa droite, s’offusque de cette initiative d’union des droites (photo © Ludovic Marin / AFP / Le Télégramme)

Renaud Muselier, de son côté, joue les vierges effarouchées en constatant que le nouveau RPR ose arborer pour blason la fameuse Croix de Lorraine, « symbole donné par mon grand-père à la France Libre, et l’antithèse de l’extrême-droite et de ceux qui s’y rallient ». Le gaullisme reste quoi qu’on en dise une valeur sûre, toujours bonne à invoquer lorsqu’on veut, comme Renaud Muselier, se poser en gardien de la pureté, opposé à ce « simulacre d’alliances politiciennes contre nature ». C’est pourtant le même homme qui a été fortement critiqué par sa propre famille politique pour avoir, lors des dernières élections régionales, voulu élargir sa majorité en se rapprochant ouvertement d’Emmanuel Macron, au point de claquer la porte des LR et de rallier le parti Renaissance.

Toute la droite marseillaise se trouve de fait déstabilisée par cette initiative du RN, ouvertement appuyée par le maire de Marignane, Éric Le Dissès, lui qui fut conseiller national de l’UMP et directeur de compagne de Renaud Muselier en 2004. Ancien coureur de 400 m haies, conseiller municipal depuis 1995, alors que la ville de Marignane était dirigée par le FN Daniel Simonpieri, il prend sa place en 2008 et a été constamment réélu depuis, dans une commune où l’extrême-droite reste très présente. Mais sa première adjointe siège au Conseil régional aux côté de Renaud Muselier et lui-même est vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence comme du Conseil départemental.

Renaud Muselier et Martine Vassal, désormais tous deux anciens LR et désormais soutiens du parti macroniste Renaissance, déjà en campagne pour les prochaines municipales de 2026…  (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

C’est donc un pilier de la majorité de Martine Vassal, laquelle présidait, jusqu’il y a peu, la fédération départementale LR avant de rallier brusquement le clan macroniste, et qui ne sait plus très bien non plus où elle habite, ce qui ne l’empêche pas de déclarer sans ambages : « Je condamne fermement la décision d’Éric Le Dissès de créer une association avec monsieur Allisio du RN. Comme je l’ai toujours démontré dans le passé, je n’adhérerai jamais à ce type de démarche ».

A 3 ans des prochaines élections municipales, la droite buco rhodanienne est manifestement en pleine recomposition et le moins qu’on puisse dire est qu’elle se cherche, entre libéralisme décomplexé, fermeté affichée sur le front du maintien de l’ordre et de la lutte contre l’immigration et populisme électoral de bon aloi, matinée d’un soupçon de clientélisme, toujours utile pour réussir en politique…

L. V.

Abayas, ce chiffon noir qui nous aveugle…

19 juin 2023

L’Histoire regorge de ces petits prétextes futiles dont l’Homme adore se servir pour déclencher, sinon des guerres, du moins des polémiques capables de mettre la société à feu et à sang. Il suffit de relire Rabelais et ses guerres picrocholines ou les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift pour se rappeler à quel point l’humanité est capable de se déchirer pour des sujets les plus anodins comme le fait d’attaquer son œuf à la coque par un bout ou par l’autre. La religion fait bien évidemment partie de ces sujets de conflit interminables, et incompréhensibles pour un non initié, puisqu’elle fait justement appel aux croyances les plus profondes et les plus intimes, qui touchent à notre identité propre et sur laquelle on est le moins en capacité de transiger.

Se battre pour un rien, un atavisme gaulois ? (source © Les éditions Albert René / Goscinny – Uderzo)

C’est bien d’ailleurs ce qui a poussé nombre de philosophes à conclure qu’il valait mieux, pour éviter de voir se reproduire sans cesse ces guerres de religion qui ont tant fait couler le sang, séparer autant que possible ce qui relève de la foi individuelle et ce qui concerne la conduite des affaires du pays et de la vie en société. La laïcité, l’un des piliers sur lequel repose notre République, part justement de ce principe que chacun est totalement libre d’exercer la religion qu’il souhaite mais que l’espace public et la vie en société supposent une certaine neutralité et une soumission aux règles communes, édictées par le pouvoir politique et non par les prescripteurs religieux.

Une conception qui ne va pas de soi pour bien des fous de Dieu pour qui la foi révélée doit passer au-dessus de tout et qui sont près à tout pour saper sans arrêt les fondements de cette laïcité qui gêne leur prosélytisme. La IIIe République s’est à l’époque heurtée de front au conservatisme catholique pour arriver à imposer cette vision sécularisée et apaisée de la laïcité. C’est désormais surtout avec l’islamisme qu’elle doit ferrailler et, le moins qu’on puisse dire, c’est que tous les responsables politiques ne font pas montre d’un grand courage en la matière…

Les deux collégiennes à l’origine de l’affaire des foulards de Creil (Oise), ici avec leur père Ali Achaboun le 9 octobre 1989 (photo © Leimdorfer / AFP / Le Point)

On se souvient des atermoiements de nos élus face à la détermination effrontée de quelques gamines de Creil qui refusaient obstinément d’enlever leur foulard islamique en classe en 1989, affirmant haut et fort : « Nous sommes des folles d’Allah et nous le porterons jusqu’à la mort ». A l’époque, des associations comme SOS Racisme soutenaient haut et fort leur combat au nom de leur liberté d’expression, feignant de penser que cet accoutrement n’avait rien de religieux mais reflétait simplement un choix d’identité culturelle. Le ministre de l’éducation, un certain Lionel Jospin, préfère alors prudemment saisir le Conseil d’Etat qui ne tranche pas vraiment et, en décembre 1989, chaque chef d’établissement reçoit une circulaire lui renvoyant la responsabilité de choisir d’exclure ou nom, en son âme et conscience, les élèves voilées. Il a fallu attendre 2004 pour qu’une loi soit adoptée, permettant d’interdire enfin les « signes religieux ostentatoires » à l’école comme au collège ou au lycée.

Étudiantes à Srinagar, en Inde, protestant le 8 juin 2023 contre une tentative d’interdiction du port de l’abaya (photo © Faizan Mir / The Wire)

Mais l’islamisme, inspiré et largement financé par les monarchies wahhabites du Golfe, continue son travail de sape insidieux, manipulant les consciences via les réseaux sociaux et imposant peu à peu son soft power, en utilisant, comme l’écrit récemment Natacha Polony dans Marianne, « aussi bien des instances footballistiques corrompues que des influenceurs décérébrés ». Et voilà que 30 ans plus tard, les mêmes éternels débats ressurgissent, centrés cette fois sur le port au lycée, des abayas, ces robes noires en forme de sac couvrant tout le corps des femmes, ou des qamis, ces tuniques amples tombant jusqu’aux chevilles, passées par-dessus les vêtements masculins pour se rendre à la mosquée.

Cette manie de se couvrir le corps pour pratiquer des rites religieux est des plus répandue dans nombre de cultures mais il faut vraiment être aveugle (ou totalement orienté comme l’est le Conseil français du culte musulman) pour ne pas y voir une marque de prosélytisme d’une vision rigoriste de l’islam dans notre société laïque et émancipée. De nombreux intellectuels musulmans rappellent d’ailleurs que nul n’est besoin de porter un tel vêtement comme c’est l’usage à Dubaï ou Abu Dhabi, pour vivre sa foi…

Jeune femme en abaya devant le lycée Victor Hugo (photo © Gilles Bader / MaxPPP / L’Indépendant)

Il n’empêche : la guerre des abayas est déclarée. A Marseille c’est le lycée Victor Hugo, proche de la gare Saint-Charles, qui y est notamment confronté, et le choc est violent… Il y a un an déjà, le lycée s’était vu contraint de sanctionner 3 assistants d’éducation, garants du respect des règles et chargés de filtrer les entrées au lycée, qui s’étaient montrés complices d’un groupe de jeunes filles décidées à faire de la provocation en venant assister aux cours en abaya. En septembre, le proviseur, Fabien Mairal, bon connaisseur de la culture musulmane, avait à plusieurs reprises convoqué dans son bureau les jeunes filles en question pour tenter de leur expliquer qu’une telle attitude les desservait.

Il s’était notamment permis d’indiquer, sur un ton sans doute quelque peu paternaliste : « Je suis tenu de faire respecter le texte et, de deux, je me dois de vous préparer au mieux à votre insertion professionnelle et sociale. (…) Je ne veux pas que vous restiez à la maison avec dix gamins à faire le couscous, le tajine ou les samoussas ». Mais les étudiantes avaient enregistré le proviseur à son insu et Médiapart en avait fait ses choux gras, le 4 mai 2023, en dénonçant de la part du proviseur en question des propos qualifiés de racistes et islamophobes. De quoi mettre un plein bidon d’huile sur le feu, d’autant que l’un des surveillants incriminés a été licencié, déclenchant la grève illimitée des autres, depuis le 16 janvier, tandis que le 8 mars une enseignante du lycée était à son tour suspendue pour avoir brandi, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, une pancarte portant comme slogan : « lycée Victor-Hugo, balance ton proviseur, sexiste/raciste ».

Manifestation le 11 mai 2023 à la porte du lycée Victor Hugo (photo © Pierre Korobeinik / La Provence)

Chaude ambiance donc au lycée où était organisée le 11 mai dernier une manifestation soigneusement orchestrée par certains étudiants et de nombreux militants syndicaux de Sud et de la CGT notamment. Et le 1er juin, c’est carrément une expédition punitive qui a été lancée par une cinquantaine de militants dont de nombreux cégétistes en chasuble, qui ont pénétré dans l’établissement et ont exercé des violences physiques et verbales sur le proviseur et son adjointe, séquestrés dans leur bureau et dépouillés de leur téléphone jusqu’à l’arrivée des forces de police 45 mn plus tard. De quoi tendre encore plus l’atmosphère déjà très électrique. Résultat : le proviseur et son adjointe sont en arrêt maladie, le rectorat a porté plainte, trois militants surexcités, jouant les idiots utiles du prosélytisme wahhabite, ont été interpellés, et la tension n’est pas prête de retomber.

A chaque chef d’établissement de se débrouiller pour juger de ce qui est licite ou pas : bon courage ! (source © L’actu Playbacpresse)

Il serait peut-être temps d’ouvrir enfin les yeux sur ce que cachent ces bouts de tissu que certains portent en étendard pour affirmer leur refus d’une société laïque de citoyens émancipés et autonomes, capables de définir en bonne intelligence des règles de vie commune. Il est quand même rageant de voir des intellectuels de gauche et des syndicalistes se réclamant des valeurs de solidarité et de justice sociale, se faire les avocats d’une société archaïque et ultraconservatrice qui cherche à imposer ses vues culturelles d’un autre temps en manipulant les esprits déboussolés de jeunes en quête de repères et en prônant ouvertement l’aliénation des femmes…  

L. V.

Les généraux ennemis du Soudan

1 Mai 2023

Il ne fait décidément pas bon être Soudanais, surtout en ce moment ! Déjà que la situation de ce pays n’était guère brillante depuis son accession à l’indépendance en 1956, indépendance qui avait conduit à une première guerre civile qui a déchiré pendant 17 ans le nord musulman du sud animiste et chrétien. Un premier épisode sanglant suivi d’une seconde guerre civile déclenchée en 1983 lorsque le président de l’époque décide d’étendre le droit musulman au domaine pénal.

Village incendié pendant la guerre du Darfour en 2016 (photo © AFP / Le Bien public)

S’ensuivent 26 ans de conflits armés et d’atrocités entre les forces gouvernementales aux mains des populations arabo-musulmanes du Nord et les groupes armés des zones tribales chrétiennes du Sud. Une nouvelle guerre civile qui aurait causé la mort de plus de 2 millions de Soudanais et le déplacement plus ou moins volontaire de 4 millions d’autres, dans un pays qui compte autour de 45 millions d’habitants. En 2005, un accord de paix est enfin signé et le 9 janvier 2011 un référendum d’autodétermination conduit à la scission du pays, avec la création du Soudan du Sud qui fait perdre au pays le statut de nation la plus vaste du continent africain, au profit de l’Algérie.

Manifestant allumant des feux sur une barricade de briques dans une rue de Khartoum en janvier 2022 pour protester contre le coup d’État du général al-Bourhane (photo © AFP / Arab News)

En décembre 2018, des mouvements de protestation éclatent dans le nord du Soudan, réclamant de meilleures conditions de vie alors que 20 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Le 11 avril 2019, face au mécontentement populaire, le président Omar el-Béchir, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour génocide, crime de guerre et crime contre l’humanité pour sa conduite un peu virile dans la guerre du Darfour, est finalement destitué par un coup d’État militaire. L’un des putschistes, le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, provoque un nouveau coup d’État le 25 octobre 2021, après avoir procédé à l’arrestation de la plupart des membres civils du Conseil de souveraineté, puis il prend la tête, en avril 2022, d’une coalition dénommée Le Grand Courant islamique, destinée à « faire renaître le pays dans la religion », en vue des futures élections promises par les militaires en 2024.

Le général Abdel Fattah al-Bourhane lors de son allocution à la télévision soudanaise le 13 avril 2019 après son premier coup d’Etat (source © AFP / Jeune Afrique)

Mais voilà que le 15 avril 2023, les Forces de soutien rapide dirigées par le général Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemetti, entrent en rébellion ouverte contre les forces armées régulières, attaquant des bases militaires à travers le pays et prenant le contrôle du palais présidentiel et de l’aéroport de Khartoum. Ces Forces de soutien rapide sont en réalité les héritières d’une milice arabe Rizeigat, les Janjawid, créée en 2003 à l’instigation du gouvernement par Hemetti, alors simple marchand de chameaux.

Le général soudanais Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemetti, le 8 juin 2022 (photo © Ashraf Shazly / AFP / Le Monde)

Cette milice, très active durant la guerre du Darfour où elle est à l’origine de multiples massacres, a été intégrée en 2013 à l’armée régulière. Mais lors du coup d’État d’avril 2019, Hemetti n’a pas hésité à se retourner contre son ancien mentor, Omar el-Béchir, pour le destituer et devenir vice-président du Conseil militaire de transition, avant de participer, aux côtés du général Abdel Fattah al-Bourhane d’octobre 2021 qui met fin au processus de transition vers un régime civil. Ce même homme est l’artisan d’un rapprochement du Soudan avec la Russie début 2023, au point d’accueillir en grandes pompes l’arrivée des mercenaires russes du groupe Wagner.

Membres des Forces de soutien rapide, paramilitaires soutenus par le gouvernement soudanais et armés par l’Arabie saoudite, ici en 2017 au sud Darfour (photo © AFP / Middle East Eye)

Trois semaines après le déclenchement de ces affrontements meurtriers entre l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Bourhane et les Forces de soutien rapide de son second, Hemetti, on compte déjà, selon un bilan officiel probablement sous-estimé, plus de 500 morts et 4600 blessés ainsi que des milliers de réfugiés qui fuient les combats en tentant de passer les frontières vers l’Égypte, le Tchad, l’Éthiopie et le Soudan du Sud, tandis que les pays occidentaux essaient tant bien que mal d’exfiltrer leurs ressortissants exposés aux raids aériens et aux tirs à l’arme lourde jusque dans les rues de la capitale.

Frappe aérienne sur l’aéroport de Khartoum, le 20 avril 2023, cible de combats entre l’armée régulière et les paramilitaires de la FSR (photo © AFP / L’Orient le jour)

Ce climat de guerre est en train de gagner la totalité du pays, semant la panique parmi les populations civiles qui en sont les victimes collatérales, et créant un certain sentiment de gêne parmi les puissances régionales qui ont largement contribué à cette situation en poussant le Soudan à la solution militaire de crainte que la société civile ne conduise le pays vers une démocratie largement honnie, en particulier par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite qui ont énormément investi dans ce pays pour développer des zones de production agricole destinées à leur propre consommation et qui ont soutenu financièrement le pouvoir militaire des deux généraux qui se déchirent désormais. Le Soudan est décidément bien mal parti…  

L. V.

Chine-Russie : un rapprochement inquiétant ?

12 avril 2023

Emmanuel Macron vient de passer 3 jours en Chine, du 5 au 8 avril 2023. De quoi oublier momentanément cette calamiteuse réforme des retraites, bien mal engagée, qui dresse une bonne partie du pays contre lui. Des manifestations relayées dans le monde entier mais sur lesquelles les autorités chinoises se montrent plutôt discrètes faute d’avoir elles-mêmes lancé une telle réforme, dans un pays où l’âge de départ en retraite est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, alors que l’espérance de vie y est désormais, depuis 2022, supérieure à celle des États-Unis…

Le Président de la République française se rendait en Chine surtout pour raisons économiques, cherchant à pousser les pions des entreprises françaises très présentes dans ce pays, par rapport à certains de nos voisins européens, à défaut d’arriver à réindustrialiser la France… Mais il ambitionnait aussi de relancer le dialogue de la Chine avec le bloc européen, espérant même convaincre son homologue chinois de ne pas soutenir trop ouvertement l’offensive russe en Ukraine, n’hésitant pas à lui dire publiquement : « je sais pouvoir compter sur vous afin de ramener la Russie à la raison et mettre tout le monde à la table des négociations ».

Dialogue franco-chinois entre Xi Jinping et Emanuel Macron à Canton le 7 avril 2023  (photo © Jean-Claude Coutausse / Le Monde)

Un vœu pieux qui a manifestement laissé son interlocuteur de marbre. La Chine reste en effet convaincue que les malheurs de l’Ukraine sont la conséquence inévitable de la propension de l’OTAN à vouloir s’étendre à l’Est de l’Europe, menaçant directement les intérêts de son ami russe. L’adhésion récente de la Finlande à l’OTAN, ajoutant d’un seul coup 1300 km de frontières communes entre les pays de l’OTAN et la Russie, ne peut que renforcer cette conviction…

La démonstration de force de la Chine qui a débuté depuis le 8 avril des manœuvres militaires d’envergure simulant un encerclement total de Taïwan avec tirs à balles réelles, vise d’ailleurs clairement à exprimer la volonté chinoise d’imposer sa loi dans tout ce secteur géographique, en réaction à la rencontre récente de la présidente de Taïwan avec des parlementaires américains. La position chinoise a d’ailleurs été exprimée sans ambages par un porte-parole de l’Armée populaire de libération, indiquant qu’il s’agit de donner « un sérieux avertissement contre la collusion entre les forces séparatistes qui recherchent l’indépendance de Taïwan et les forces étrangères ».

Vladimir Poutine et Xi Jinping à Pékin le 4 février 2022 (photo © Alexei Druzhinin / Sputnik / Euronews)

Une position de fermeté qui fait largement écho à la situation ukrainienne et explique que la Chine n’ait jamais esquissé la moindre critique envers l’agression russe contre son voisin ukrainien, n’excluant même pas de lui livrer des armes létales, dont des drones kamikazes pour compléter ceux déjà fournis en masse par l’Iran. Une position qui semble donc marquer un net rapprochement entre ces deux grandes puissances, dans un sentiment commun anti-américain et plus largement anti-occidental, pas forcément très rassurant quant à l’avenir des relations internationales…

Un tel rapprochement n’allait pourtant pas de soi quand on se souvient que les deux pays s’affrontaient militairement en 1969. L’épisode, pourtant pas si lointain, est certes passé un peu sous les radars car l’Occident avait alors bien d’autres chats à fouetter. La France se relevait tout juste (déjà…) d’une période de troubles sociaux et de manifestations tandis que les États-Unis étaient (encore) empêtrés dans la guerre du Vietnam. La Chine était en pleine révolution culturelle et le monde baignait dans la guerre froide si bien que les journalistes occidentaux étaient alors aussi rares à Moscou qu’à Pékin…

L’île Zhenbao sur le fleuve Oussour, enjeu symbolique d’une guerre de frontière (photo © Wang Jianwei / AFP / Xinhua / Courrier international)

Toujours est-il que dans la nuit du 1er au 2 mars 1969, un groupe de 300 soldats chinois a tendu une embuscade à une patrouille de garde-frontières russes sur une petite île, située au milieu du fleuve Oussouri qui délimite la frontière entre les deux pays. Cet incident intervient alors à l’issue d’une période de dégradation sévère des relations entre les deux pays dont les divergences s’accumulent depuis les années 1950 et qui aboutit en 1964 à la rupture des relations entre le parti communiste chinois et son homologue soviétique. Dans la foulée, la Chine de Mao Zedong se met à soutenir les revendications japonaises sur les îles Kouriles et évoque une remise en cause des traités qui, au XIXe siècle, avaient acté la main mise de la Russie tsariste sur certains territoires chinois de Mandchourie.

Patrouille de gardes-frontières chinois sur l’île de Zhenbao (source © Chinanews / Asie 21)

Depuis une convention de 1860, c’est donc le fleuve Oussouri qui marque la frontière orientale entre la Chine et la Russie et la petite île de 70 hectares, connue d’un côté sous le nom de Zhenbao, et de l’autre de Damanski, s’est donc retrouvée au cœur de ce conflit frontalier entre deux puissances alors toutes deux détentrices de l’arme nucléaire. Le 2 mars 1969, 31 soldats russes sont ainsi abattus par les forces chinoises offensives. Le 14 mars, les Russes ripostent en envoyant des chars mais doivent battre en retraite face à l’armée chinoise en surnombre. Et le 15 mars, l’armée soviétique sort l’artillerie lourde en mobilisant ses lance-roquettes multiples Grad pour bombarder les positions militaires chinoises installées sur la petite île. Mais quelques mois plus tard, la guerre frontalière se rallume dans le Xinjiang, Brejnev menaçant même de déclencher l’arme atomique pour réduire à néant les installations militaires chinoises…

Un cessez-le-feu sera finalement signé entre les deux puissances se septembre 1969 et le bilan de cette guerre de frontières qui aurait pu dégénérer en Armageddon nucléaire reste incertain. Les sources nationales évoquent une soixantaine de morts côté soviétique et plus de 800 côté chinois mais les estimations de la CIA penchent plutôt pour un bilan d’au moins 20 000 soldats tués des deux bords. Il fallu en tout cas attendre 1991 pour que Boris Eltsine finisse par reconnaître la souveraineté chinoise sur la petite île de Zhenbao et la rende définitivement à son voisin : tout ça pour ça…  

L. V.

Israël : Netanyahou s’en prend à la démocratie

5 avril 2023

Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou serait-il devenu une menace contre la démocratie dans son propre pays ? C’est en effet ce que beaucoup affirment, et non sans de sérieuses raisons ! Même son homologue américain, pourtant allié indéfectible de l’État israélien depuis toujours, s’est ému des dernières attaques ouvertes du gouvernement de Netanyahou, le plus à droite que le pays ait jamais connu, contre l’État de droit et les libertés individuelles. Fin mars, Joe Bident a ainsi déclaré sans ambages : Israël « ne [peut] pas continuer sur cette voie et je pense que je me suis fait comprendre » avant de préciserque les États-Unis ne prévoyaient pas « à court terme » de visite de Benyamin Netanyahou, persona non grata, à la Maison Blanche…

Benyamin Netanyahou, président du Likoud depuis 1993 et Premier ministre d’Israël pour la sixième fois de sa carrière depuis 1996 (photo © Ronen Zvulun / AFP / le JDD)

Alors que les Français en sont en leur dixième manifestation contre le projet de report de 2 ans de l’âge minimum de départ en retraite, les Israéliens viennent de manifester samedi 1er avril 2023 pour la treizième semaine consécutive, contre le projet de réforme constitutionnelle du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Un projet qui vise, ni plus ni moins, qu’à annihiler le contrôle qu’exerce encore la Cour suprême israélienne sur les décisions de l’exécutif.

Des milliers de manifestants se rassemblent chaque samedi depuis 13 semaines désormais, dans les grandes villes d’Israël pour protester contre le projet de réforme constitutionnelle (photo © Jack Guez / AFP / Sud Ouest)

Un véritable coup d’État judiciaire dans un pays qui ne possède pas de constitution, ni de droit de véto présidentiel, ni de chambre haute permettant de jouer les contre-pouvoirs. En Israël, le gouvernement est directement issu du Parlement, la Knesset, et décide donc en accord avec les députés. Dans un tel système, le seul contre-pouvoir institutionnel qui existe est donc celui de la Cour suprême, chargée de veiller à ce que les textes législatifs respectent les lois fondamentales de l’État, assurant ainsi de fait et en dernière instance, un contrôle sur les principales décisions administratives et judiciaires.

Or Benyamin Netanyahou s’est mis en tête de contourner ce pouvoir en permettant à la Knesset d’annuler à la majorité simple toute décision de la Cour suprême qui ne lui conviendrait pas. En parallèle, il souhaite limiter l’indépendance de ce pouvoir judiciaire en nommant lui-même certains de ses membres, jusqu’à présents élus par des juges.

La Knesset, le parlement israélien (source © Torah box)

Les raisons d’un tel projet sont évidentes et le gouvernement ne s’en cache guère. Il s’agit même pour Benyamin Netanyahou, sous le coup de multiples accusations pour corruption, d’une question de survie politique, ce qui explique son acharnement à ne rien lâcher sur ce projet qui rencontre pourtant une forte hostilité. Outre les milliers de manifestants qui défilent régulièrement dans les rues, même l’armée commence à tousser. Mi-mars 2023, des centaines de réservistes et membres des unités d’élites ont menacé de se retirer si la réforme était adoptée. Une menace si sérieuse que le 26 mars, le ministre de la Défense a cru bon d’annoncer une suspension temporaire du projet. Mais il a été aussitôt désavoué par le chef du gouvernement qui l’a limogé dans la foulée !

Les membres de l’actuel gouvernement de Benyamin Netanyahou, lors de leur investiture le 29 décembre 2022 (photo © Yonatan Sindel / Flash 90 / The Times of Israel)

Même le secteur économique, très dépendant des investisseurs étrangers commence à trouver que la plaisanterie a assez duré en constatant que cette réforme anti-démocratique fait jaser auprès des partenaires et notamment des fonds d’investissements de plus en plus sensibles aux critères de bonne gouvernance… Fin mars, le principal syndicat du pays a appelé à la grève générale et on a vu plusieurs entreprises fermer et encourager leurs salariés à aller manifester contre le gouvernement ! Du jamais vu en Israël alors que la monnaie est à son cours le plus bas depuis 3 ans.

Le ministre des finances israélien ultranationaliste, Bezalel Smotrich, ici à Sderot en octobre 2022 (photo © Gil Cohen-Magen / AFP / BFM TV)

De quoi inquiéter le pouvoir en place qui se heurte à une opposition de plus en plus massive d’une partie de la population, inquiète des dérives du gouvernement Netanyahou contre la démocratie mais aussi contre la laïcité et le droit des minorités. Les ultraorthodoxes fondamentalistes et les ultranationalistes avec qui Netanyahou s’est allié pour constitué son gouvernement, ne cachent en effet pas leurs intentions, estimant qu’Israël est d’abord et avant tout un État juif et que la démocratie n’en est pas une composante essentielle. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, ouvertement raciste et qui appelle régulièrement à raser des villages palestiniens gênant la colonisation juive, affirmait ainsi encore récemment que « le peuple palestinien est une invention » tandis que ses collègues ultraorthodoxes ne cachent pas qu’à leurs yeux, les femmes n’ont pas vocation à bénéficier des mêmes droits que les hommes : c’est dit…

Contre la Justice, tous les moyens sont bons quand on est au pouvoir : un dessin signé Chappatte, publié le 7 juin 2021 dans NZZ am Sonntag, Zurich

Voilà en tout cas une dérive qui fait désordre mais jusqu’à présent Benyamin Netanyahou s’accroche à son projet de réforme car il sait que c’est le seul moyen pour lui d’échapper à la Justice qui le poursuit pour corruption, fraude et abus de confiance. Il est notamment accusé de corruption depuis 2016 pour avoir reçu des cadeaux pour une valeur de 1 millions de shekels, mais aussi, pour avoir tenté à plusieurs reprises de négocier des accords secrets avec des médias pour s’assurer une couverture favorable. Un homme d’affaire franco-israélien lui aurait aussi versé un don de 1 million d’euros en 2016 pour payer sa campagne électorale en infraction avec la loi. Il est inculpé depuis 2019 alors même qu’il était déjà premier ministre, fonction qu’il a exercé pour la première fois en 1996 et à laquelle il s’agrippe désespérément, pour ne pas tomber.  Un exemple de plus de ces dirigeants politiques peu scrupuleux mais capables de tout pour se maintenir au pouvoir, n’hésitant pas à tripatouiller les fondements juridiques de leur pays pour assurer leur propre immunité. Toute ressemblance avec un certain Nicolas Sarkozy serait naturellement purement fortuite…

L. V.

Ils préfèrent le solaire en mer…

29 mars 2023

Le solaire flottant est une technologie en plein essor. N’en déplaise aux détracteurs des énergies renouvelables, l’apport de l’énergie photovoltaïque, si elle est encore bien loin de répondre à la totalité de nos besoins en électricité, peut contribuer de manière significative à notre mix énergétique de demain. Historiquement plutôt destinée à alimenter les sites isolés, le solaire est maintenant une source d’approvisionnement non négligeable pour le réseau connecté. En 2019, la puissance électrique solaire installée s’élevait en France à 9,4 GW (à comparer à la puissance de l’EPR de Flamanville qui est de 1,6 GW), en progression de plus de 10 % par rapport à 2018, ce qui montre bien le développement rapide de cette technologie en plein expansion, même si l’électricité produite par le solaire ne représente encore qu’un peu plus de 2 % du total, en France comme au niveau mondial.

Un des freins au développement du solaire, outre le caractère intermittent de la production, comme pour l’éolien, est la taille des emprises au sol. Installer des panneaux solaires en toiture des bâtiments semble séduisant, surtout pour les constructions neuves. Si l’on équipait ainsi tous les toits de l’Union européenne, on pourrait paraît-il, couvrir près de 25 % de nos besoins en électricité. D’ailleurs, la loi Climat énergie de novembre 2019 rend désormais obligatoire l’installation de panneaux photovoltaïques et/ou de végétalisation sur les toitures de plus de 1000 m2.

Panneaux photovoltaïques sur la toiture d’un bâtiment industriel à Gravenson, dans les Bouches-du-Rhône (source © Provence éco-énergie)

Mais paradoxalement, le solaire en toiture coûte plus cher qu’au sol et n’est rentable que pour des installations de grande envergure, d’où cette tendance à privilégier les centrales solaires au sol. Sauf que la production d’électricité ne doit bien évidemment pas se faire au détriment d’autres usages, notamment agricoles ! C’est pourquoi les opérateurs recherchent désormais en priorité les sites de friche industrielle pollués devenus impropres à toute autre utilisation.

La centrale solaire de Pelissier, aux portes d’Albi, installée en 2021 sur le site pollué d’une ancienne centrale thermique au charbon fermée en 2007 (source © Mairie d’Albi)

Mais c’est aussi pour cette raison que se développe de plus en plus le solaire flottant sur les plans d’eau. Recouvrir une étendue d’eau de panneaux solaires permet en effet de réduire l’évaporation des plans d’eau tout en limitant leur réchauffement par insolation, et permet en parallèle d’augmenter sensiblement le rendement des panneaux photovoltaïques, l’eau sous-jacente favorisant leur refroidissement naturel. Ces avantages, tant en termes de moindre compétitivité sur l’utilisation de l’espace qu’en termes d’amélioration des rendements, finissent par compenser le surcoût d’installation et l’on voit donc fleurir de plus en plus de projets de ce type en France comme ailleurs dans le monde.

Centrale solaire flottante sur la retenue EDF de Lazer dans les Hautes-Alpes (source © YouTube)

Dans notre région, Akuo Energy s’était montrée pionnière en inaugurant en 2019 la plus grande centrale solaire d’Europe couvrant 17 ha d’une ancienne gravière de Piolenc dans le Vaucluse. Mais bien d’autres réalisations ont suivi. EDF Renouvelables est actuellement en train de mettre la dernière main à son installation de plus de 50 000 panneaux photovoltaïques, couvrant les deux-tiers du lac de barrage de Lazer, dans les Hautes-Alpes. Une fois en service, la centrale solaire aura une puissance crête de 20 MW, supérieure à celle de la turbine électrique installée dans le barrage en aval de la retenue, ce qui montre bien la complémentarité de ces deux sources d’énergie renouvelable.

Installation expérimentale de panneaux solaires en mer du Nord : un état de dégradation avancé de nature à alimenter le scepticisme sur cette technologie en devenir ? (source © Révolution énergétique)

Et voila que l’on commence à penser à installer des panneaux solaires en mer ! Pourtant, une polémique est née en juin 2020 lorsqu’ont circulé sur les réseaux sociaux des photos peu encourageantes d’une installation récente en mer du Nord, montrant des supports métalliques rongés par la rouille et des capteurs recouverts d’algues et de déjections d’oiseaux. Ces clichés alarmants que des opposants aux énergies renouvelables font circuler avec un malin plaisir sont celles d’une installation expérimentale déployée en 2019 par Oceans of Energy, au large de Brouwersdam, aux Pays-Bas. L’opérateur en question reconnaît bien volontiers les difficultés spécifiques liées à ce type d’installation offshore mais affirme avoir désormais trouvé la parade à ces différents déboires, grâce justement aux observations effectuées sur ce prototype.

Remorquage en mer d’une unité solaire flottante expérimentale de la société SolarinBlue dans le port de Sète (source © Actu-environnement)

Toujours est-il que d’autres s’engouffrent dans cette voie, à l’instar du projet bien nommé Sun Sète de la société française SolarinBlue qui vient d’inaugurer dans le port de Sète ses deux premières unités solaires flottantes expérimentales sous forme de treillis métallique en acier galvanisé reposant sur des flotteurs en PEHD recyclé. Remorquées au large à 1,5 km des côtes, ces premières plateforme bardées de capteurs serviront de démonstrateur et seront complétées début 2024 par 23 unités supplémentaires, ce qui permettra de passer à une puissance installée de 300 kWc pour une emprise d’un demi hectare, l’électricité produite étant rapatriée à Sète par un câble sous-marin.

Des implantations que, bien sûr, le monde de la pêche ne voit pas d’un très bon œil, même (voire surtout ?) si elles devaient être installées dans les zones de non-pêche, les rendant de fait inaccessibles aux braconniers… Comme à terre, le conflit d’usage n’est jamais très loin ! D’autant que se développe en parallèle le développement de centrales offshores hybrides mêlant solaire et éolien. Une idée a priori pertinente puisqu’elle permet de mutualiser les investissements en réduisant les coûts fixes de raccordement, tout en lissant la production électrique. La première centrale commerciale de ce type a ainsi été mise en service en Chine, début novembre 2022 par la State Power Investment Corp., en utilisant une technologie du Norvégien Ocean Sun.

Installation offshore hybride solaire et éolienne opérationnelle depuis novembre 2022 à Haiyang en Chine (source © Ocean Sun)

L’institut de recherche néerlandais TNO s’active également pour tester des technologies de radeaux flottants souples du même type que les Norvégiens, plus adaptées aux conditions extrêmes de la haute mer et plus faciles à entretenir que des structures métallique rigides. Leur objectif est également de mettre en place ce type d’équipement sur des champs éoliens offshores pour produire en mer l’hydrogène vert dont chacun rêve pour répondre à nos besoins énergétiques de demain. Comme quoi, les idées ne manquent pas pour relever les défis de cette transition énergétique qui nous obsède…

L. V.

Centrafrique : la guerre de la bière

25 mars 2023

Appréciée depuis des millénaires, déjà chez les Sumériens puis dans l’Égypte antique, la bière est considérée dans beaucoup de pays comme un l’ingrédient indispensable d’une bonne qualité de vie, marqueur fort de l’identité locale. Au point que le compositeur américain un peu fantasque, Franck Zappa, avait coutume de dire : « Un pays n’existe pas s’il ne possède pas sa bière et une compagnie aérienne. Eventuellement, il est bien qu’il possède également une équipe de football et l’arme nucléaire mais ce qui compte surtout c’est la bière ». Ce qui permet de constater que la France, tout compte fait, avec ses 2300 brasseries artisanales, sans même compter son arsenal nucléaire et ses exploits au Mondial de foot, tient finalement bien son rang…

Et ceci d’autant plus que la bière française s’exporte, voire se brasse à l’extérieur, en Afrique tout particulièrement, sous la houlette d’un géant industriel du pinard, le groupe Castel, fondé en 1949 par les 9 frères et sœurs de la famille du même nom. Brassant un chiffre d’affaires annuel de 2,6 milliards d’euros, Castel a fait fortune dans la commercialisation du vin via ses marques telles Listel, Vieux Papes ou encore La Villageoise, ainsi que les cavistes Nicolas rachetés en 1980.

Pierre Castel, cofondateur et président du groupe industriel Castel, par ailleurs réfugié fiscal en Suisse (photo © C. Petit / MaxPPP / Challenges)

Mais la bière fait aussi partie de son fonds de commerce depuis que Castel a racheté en 1990 les Brasseries et glacières internationales, présent dans 27 pays africains et leader dans plusieurs d’entre eux dont l’Algérie avec sa marque Beaufort, ou l’Angola avec la Cuca brassée dans 7 usines nationales. En 1994, Castel engloutit également la SOLIBRA qui domine le marché de la bière en Côte d’Ivoire et dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest avec sa Flag, puis en 2003 les Brasseries du Maroc et en 2011 les brasseries Star à Madagascar.

En Centrafrique, ce pays d’Afrique centrale de 4,5 millions d’habitants, enclavé entre le Cameroun, le Tchad, le Soudan et le Congo, le groupe Castel détient le quasi-monopole de la bière grâce à sa filiale Mocaf, créée en 1951 et rachetée en 1993 pour fusionner avec la Société centrafricaine de boissons, fondée en 1982 par Pierre Castel. Sa brasserie emploie près de 300 personnes et produit 300 000 bouteilles de bière par an !

La gamme de bières Mocaf brassées en Centrafrique (photo © MOCAFRCA)

Mais voilà que le climat centrafricain n’est plus aussi serein pour le géant français des boissons alcoolisées. Les Russes sont en train de s’implanter en force sur ce territoire via le groupe Wagner du sulfureux Evgueni Prigojine, un ancien délinquant devenu homme d’affaire, très proche de Vladimir Poutine, et qui a fait fortune dans la restauration avant de créer en 2014 un groupe paramilitaire privé, très actif actuellement sur le front ukrainien mais aussi dans plusieurs pays africains.

Mercenaires russes du groupe Wagner en Centrafrique (source © Corbeau News Centrafrique)

Présents en Centrafrique depuis 2018, les mercenaires du groupe Wagner participent à l’instruction des forces armées nationales et assurent la garde rapprochée du Président de la République, Faustin-Archange Touadéra. Mais ils font aussi du business très juteux, en particulier dans les mines diamantifères et ils se sont lancés en 2021 dans la production locale de vodka, vendue en ville dans de petits sachets en plastique sous le nom de Wa na wa, et à qui la rumeur publique attribue toutes sortes de bienfaits sanitaires, remède souverain, paraît-il contre les problèmes digestif ou le Covid.

Africa Ti l’Or, la bière blonde russe produite par le groupe Wagner à Bangui et vendue dans des bouteilles en plastique (source © Centrafrica)

Le succès commercial de la vodka russe en Centrafrique n’est pas flagrant mais cela n’a pas empêché Wagner de poursuivre l’aventure en lançant, en janvier 2023, sa propre marque de bière, l’Africa Ti l’Or. Non sans avoir au préalable inondé les réseaux sociaux et les rues de Bangui avec une campagne de dénigrement au vitriol de la bière Castel. Il faut dire que le groupe industriel est déjà fragilisé par une enquête de la justice française pour complicité de crime de guerre suite aux accusations lancées en 2021 par l’ONG The Sentry, accusant une autre de ses filiale, la sucrerie Sucaf, d’avoir versé des pots de vins à l’Unité pour la paix en Centrafrique pour pouvoir continuer sa production dans la province de la Ouaka, alors sous contrôle de ce mouvement rebelle.

On a vu alors fleurir des campagnes de communications montrant des chargeurs de kalachnikov remplis de bouteilles de bière Mocaf avec des slogans du style : « À chaque achat de Castel, tu finances la guerre et tu te tues ». Une campagne de dénigrement soigneusement orchestrée visant à déconsidérer l’industriel français pour le forcer à quitter le pays et libérer la place pour les nouveaux investisseurs russes.

Le site de stockage de la brasserie Mocaf à Bangui après l’incendie provoqué par le jet de cocktails Molotov dans la nuit du 5 au 6 mars 2023 (source © Nouvelles +)

Et pour accélérer un peu la manœuvre, Wagner n’a pas hésité à joindre le geste à la parole. Le 30 janvier, trois Russes ont tenté de pénétrer sur le site de la brasserie Mocaf avec une échelle avant d’être mis en fuite par les services de sécurité. C’est ensuite un drone qui a survolé longuement le site puis, dans la nuit du 5 au 6 mars 2023, les caméras de surveillance de la brasserie ont filmé quatre individus masqués et armés de kalachnikov, lançant des cocktails Molotov qui ont provoqué un début d’incendie de l’usine. Nombre d’indices convergent pour incriminer les mercenaires du groupe Wagner dans cet incendie volontaire, aggravant encore la tension déjà très forte entre Français et Russes dans ce pays en proie à la guerre civile depuis 2004 et dont le pouvoir central ne contrôle plus qu’une partie du territoire. La France y a été pourtant durablement implantée depuis la fin du XIXe siècle, organisant administrativement le territoire à partir de 1905 sous le nom d’Oubangui-Chari. Devenu indépendant en 1960, le pays se confronte dès 1965 au coup d’État de Jean-Bedel Bokassa qui se fait couronner empereur en 1977 avant d’être renversé en 1979 par une opération militaire française.

Jean-Bedel Bokassa auto-proclamé empereur de Centrafrique  le 4 décembre 1977 (photo © Pierre Guillaud / AFP / RFI)

De nouveaux coups d’État militaires se succèdent en 1981 puis en 2003, permettant au général François Bozizé d’accéder au pouvoir mais l’élection de ce dernier à la Présidence de la République en 2005 déclenche une première guerre civile jusqu’en 2007, puis une seconde à partir de 2012 qui se termine par la prise de Bangui en mars 2013 par des groupes rebelles de la coalition Seleka. Face au chaos qui s’ensuit, l’ONU vote une résolution autorisant l’envoi de soldats français pour rétablir le calme, dans le cadre de l’opération Sangaris qui comptera jusqu’à 1600 hommes.

L’élection présidentielle de janvier 2016 permet au nouveau président élu, Faustin-Archange Touadéra, de lancer un ambitieux programme de réconciliation nationale qui débouche en février 2019 sur la signature d’un accord de paix avec les 14 principaux groupes armés rebelles. Mais la situation reste très chaotique et les exactions se poursuivent, la capitale étant directement menacée fin 2020 par les attaques de la Coalition des patriotes pour le changement, que l’armée finit par repousser avec l’aide des soldats russes, dont les mercenaires du groupe Wagner.

Manifestation de soutien au groupe Wagner à Bangui le 22 mars 2023 après l’assassinat de 9 mineurs chinois dans le pays (source © Afrique Média)

L’implantation durable de ces derniers pousse les derniers soldats français à quitter le pays en décembre 2022 et le régime actuel semble se rapprocher de plus en plus des nouveaux investisseurs russes et chinois, très présent dans ce pays riche en ressources minérales, au point que l’on a vu, le 22 mars 2023, quelques centaines de manifestants défiler dans les rues de Bangui avec des banderoles en soutien à la Russie et à la Chine, après l’assassinat de neuf Chinois du Gold Coast group sur le site minier de Chnigbolo, à 25 km de Bangui. Un climat de tension qui n’augure rien de bon pour les intérêts industriels du groupe Castel et, au-delà, pour l’avenir des liens entre la France et la Centrafrique…

L. V.

La Chine adepte de la langue de bœuf piquante…

28 février 2023

On aurait presque tendance à l’oublier, depuis un an que le monde entier a les yeux braqués sur l’Ukraine qui tente tant bien que mal de résister aux assauts offensifs de l’armée russe. Pourtant, depuis une dizaine d’années, c’était un tout autre théâtre d’opération qui semblait focaliser l’attention, en l’occurrence la Mer de Chine, où les tensions militaires ne cessaient de croître.

Démonstration de force de centaines de navires de la milice maritime chinoise près des côtes philippines en mars 2021 (source © France TV info)

En mars 2021, ce sont pas moins de 180 vaisseaux de la milice maritime chinoise fermement amarrés sur le récif de Whitson qui avaient été repérés par les gardes côte philippins, dans un secteur pourtant situé dans la zone économique exclusive de 200 miles marins revendiquée par les Philippines et confirmée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il s’en était suivie une confrontation tendue, suivie en août 2021 par des discours assez fermes de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, à l’occasion d’une visite officielle au Vietnam où elle a affirmé vouloir « trouver des moyens de faire pression franchement, sur Pékin (…) pour qu’il remette en cause ses revendications maritimes abusives et excessives ».

Un discours peu diplomatique et qui est loin de faire retomber la pression dans cette Mer de Chine dont plusieurs nations revendiquent la propriété exclusive du fait de son grand intérêt stratégique mais aussi économique, pas seulement en raison de ses eaux poissonneuses mais surtout à cause des abondantes ressources en hydrocarbures explorées depuis les années 1970.

Plateforme chinoise de la CNOCC en Mer de Chine méridionale pour l’exploitation d’un gaz naturel par 1500 m de fond, installée en 2012 (source © CNTV)

Le 14 mars 1988, un violent accrochage avait déjà eu lieu sur un autre atoll du même archipel des Spratleys, où 3 frégates de la marine chinoise avaient été empêchées de débarquer par un groupe de jeunes soldats du génie vietnamiens occupés à sceller des bornes topographiques. La marine chinoise n’avait alors pas hésité à tirer au canon anti-aérien sur la soixantaine de militaires vietnamiens désarmés, faisant au moins 6 morts. Depuis, les incidents n’arrêtent pas de se multiplier, chacune des nations riveraines cherchant à annexer les milliers d’atolls déserts et pour la plupart semi immergés qui parsèment cette immense étendue maritime de 3,5 millions de km2.  

Soldats de l’armée chinoise en patrouille sur l’îlot désert de Woody dans l’archipel des Paracels en Mer de Chine (source © China Stringer Network / Le Temps)

La Chine considère en fait que la quasi-totalité de cet espace lui appartient exclusivement, y compris donc ces ilots jamais habités et couverts de guano qui constituent l’archipel des Spartleys, situé à plus de 2000 km de ses côtes les plus méridionales et à proximité des Philippines, de Brunei et de l’Indonésie à l’est, de la Malaisie au sud et du Vietnam à l’ouest. Elle s’oppose donc frontalement au découpage proposé en application du droit maritime international, qui prévoit des zones économiques exclusives selon une bande côtière de 200 miles comptée à partir des rivages habités.

Pour ce découpage, la loi internationale ne tient évidemment pas compte des rochers et récifs perdus en mer et jamais occupés par l’homme. Mais selon l’interprétation chinoise, tous ces atolls perdus en Mer de Chine, même les plus proches des côtes philippines ou vietnamiennes lui appartiennent car ses pêcheurs ont l’habitude d’y accoster. Sur cette base, la Chine revendique donc la quasi-totalité de cet immense espace maritime, à l’intérieur d’une ligne qui dessine une « langue de bœuf » s’insinuant très au sud, en limite des côtes philippines et vietnamiennes.

Carte de la Mer de Chine avec, en rouge, la ligne en 9 traits en forme de langue de bœuf englobant les territoires revendiqués par la Chine (source © éditions Belin)

Cette carte dite « à neufs traits » délimite ainsi une superficie de plus de 2 millions de km2 revendiquée par la Chine depuis 1947 et qui englobe quasiment toute la Mer de Chine à l’exception des zones côtières de faible profondeur. La superficie de terres émergées intégrées dans cet immense espace est minuscule, englobant notamment les îles Paracels, le récif de Scarborough, les îles Spratleys, le banc Macclesfield et le banc de James, des zones perpétuellement immergées respectivement à 22 et 11 m sur la surface de la mer mais dont la Chine dispute âprement la souveraineté face à ces voisins.

Et pour appuyer sa démonstration, elle n’hésite pas à remblayer massivement ces atolls pour les transformer en plateformes émergées sur lesquelles elle construit des infrastructures militaires. Une méthode d’ailleurs utilisée aussi par d’autres pays, si bien qu’on assiste à une course à l’annexion de ces îlots considérés comme autant de points d’appui pour justifier ses revendications territoriales, dans une ambiance de plus en plus militarisée.

Le président chinois Xi Jinping participant à une manœuvre militaire en Mer de Chine méridionale le 12 juillet 2018 (source © Xinhua / Reuters / Le Figaro)

La Chine a notamment installé une base sous-marine au large de l’île de Hainan située en limite méridionale de ses côtes, au sud-ouest de Taïwan. Cette île qui héberge plus de 9 millions d’habitants et est réputée pour l’attrait touristique de ses plages de sable fin, abrite aussi un site de lancement spatial et un chantier de construction de sous-marins nucléaires d’attaque dont la production, sur ce seul site, se fait au rythme accéléré d’un par an ! De quoi donner du poids à la force de dissuasion chinoise qui entend bien contrôler par l’intimidation l’ensemble de cet espace maritime donnant accès au détroit de Malacca situé au sud et qui permet le passage vers l’océan indien.

Edification d’une plateforme sur un des hauts-fonds des îles Spratleys par d’immenses dragueuses chinoise en vue de l’aménagement d’infrastructures militaires et portuaires (source © alter Quebec)

Depuis 2014, les Chinois ont ainsi édifié de multiples remblais dans les îles Paracels pour y installer des batteries de missiles et ils ont entrepris la réalisation de 7 îles artificielles sur des îlots des Spratleys, formant ce que certains appellent ironiquement « la grande barrière de sable ». En quelques années et au prix de terrassements gigantesques, les Chinois ont ainsi dragué d’énormes quantités de sables pour les déverser sur ces récifs coralliens et les recouvrir de béton, gagnant sur la mer pas moins de 13 km2 sur lesquels ils ont aménagé des infrastructures militaires avec radars, pistes d’atterrissage et base de lancements de missiles, ce qui leur permet de menacer les bateaux passant à leur portée.

L’impact environnemental de tels travaux est évidemment catastrophique mais on se doute que c’est bien le dernier des soucis de l’armée chinoise et de son gouvernement dont les visées impérialistes sont de moins en moins masquées…

L. V.

Les Chinois aussi s’inquiètent pour la retraite

20 février 2023

En Chine, les manifestations sont excessivement rares. Celles de la place Tiananmen lors du « printemps de Pékin » en 1989 avaient fait forte impression mais s’étaient soldées par une répression féroce de la part des autorités. Le 27 novembre dernier, de nouvelles manifestations ont éclaté à Shangaï, suite à l’incendie d’un immeuble qui a fait 10 morts à Urumqi, dans le Xinjiang, provoquant l’exaspération des populations confrontées à un confinement des plus stricts, destiné à enrayer l’épidémie de Covid-19, au point d’enfermer les habitants à domicile, quitte à restreindre dramatiquement l’arrivée des secours en cas d’incendie…

Manifestation à Pékin en hommage aux victimes de l’incendie d’Urumqi, le 27 novembre 2022 (photo © Thomas Peter / Reuters / Le Monde)

Une réaction populaire assez intense, au point d’entendre sur les quelques vidéos relayées par les réseaux sociaux, des citoyens exaspérés hurler leur mécontentement à l’encontre du Parti communiste chinois et crier des slogans comme : « Xi Jinping, démission ! ». Une première dans un pays où l’opinion publique reste fortement muselée.

Rien de tel bien sûr pour les récentes manifestations dont la presse s’est faite l’écho, le 8 et le 15 février 2023, qui ont rassemblé quelques centaines de personnes seulement, dans les villes de Dalian et de Wuhan. Dans cette dernière, une métropole de 11 millions d’habitants, qui s’est rendue mondialement célèbre pour être le point de départ de l’épidémie planétaire de Covid-19, quelques vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent une poignée de retraités pacifiques bien qu’un peu excités faire face à un cordon d’agents de sécurité devant l’entrée du parc Zhongshan, un lieu populaire de promenade de la ville. La semaine précédente, ils avaient déjà exprimé leur mécontentement et certains d’entre eux avaient été reçus en délégation par les autorités.

Manifestation de retraités à Wuhan contre la baisse des allocations santé, le 15 février 2023 (source © Twitter Pearlher / 20 minutes)

Ces retraités manifestent contre une mesure récente du gouvernement chinois qui vise à réduire le montant des remboursements de prestations d’assurance maladie pour ces retraités, anciens actifs de la fonction publique ou ex-ouvriers d’entreprises d’État. Ces derniers estiment en effet s’être contentés de salaires modestes en espérant une couverture maladie plus généreuse à la retraite et se voient donc floués par ces mesures d’économie du gouvernement chinois qui taille dans les dépenses pour réduire ses déficits sociaux.

Car la question de l’équilibre des retraites ne donne pas seulement des maux de tête à nos dirigeants occidentaux. C’est aussi un casse-tête chinois, dans un pays qui vieillit rapidement et dont les générations ne se renouvellent pas. Avec la politique de l’enfant unique, entrée en vigueur en 1979, la Chine a réussi à réduire drastiquement sa croissance démographique, ce qui lui a permis de mieux nourrir sa population et de l’entraîner dans une spirale de croissance économique spectaculaire, au point de devenir la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis.

La famille nucléaire chinoise après 40 ans de politique de l’enfant unique… (photo © XiXinXing / Getty Images / Chinoistips)

Mais la chute de la natalité qui s’en est suivie à conduit les autorités à assouplir leur position. Depuis le 1er janvier 2016, tous les couples chinois sont désormais officiellement autorisés à avoir deux enfants, et même trois depuis le 20 août 2022. Sauf que la croissance démographique ne se décrète pas et que les Chinois sont devenus une société très matérialiste qui considère désormais que les enfants sont une charge qui coûte cher et peut entraver le déroulement de carrière des parents…

Si bien que le taux de fécondité qui été supérieur à 6 enfants par femme dans les années 1970 est désormais l’un des plus bas du monde avec 1,28 enfants par femme, très en dessous de ce qui est nécessaire pour permettre le renouvellement des générations. La Chine a ainsi perdu 850 000 habitants en 2022 ! Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie, la part des actifs ne cesse de diminuer et la Chine devrait perdre pas moins de 3 millions d’actifs par an dans les années à venir : une véritable catastrophe pour maintenir un régime de retraite équilibré !

Évolution du taux de fécondité en Chine comparé à ceux du Japon et des États-Unis (source ©  Banque mondiale)

En réalité, nombreux sont les Chinois qui ne bénéficient pas d’une pension de retraite, surtout dans les campagnes. Mais paradoxalement, pour ceux qui jouissent d’une retraite, l’âge de départ à la retraite est resté relativement bas comparativement aux pays occidentaux puisqu’il est de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Assurer un équilibre durable des caisses de retraites dans de telles conditions est une gageure et le gouvernement commence à se faire des cheveux blancs, songeant déjà à augmenter progressivement le départ de l’âge de départ en retraite et à introduire des systèmes de retraite complémentaire par capitalisation.

Vieilles femmes chinoises assises sur un banc de Chongqing, en Chine (photo © Tim Graham / Robert Harding Heritage / France TV Info)

Toute ressemblance avec une situation vécue en France serait bien entendu purement fortuite mais force est de constater que la question de l’équilibre des régimes de retraite constitue finalement un sujet assez universel…

L. V.