Laïcité et valeurs de la République

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Plusieurs dizaines de personnes venues de Carnoux, de Cassis, d’Aubagne et de Roquefort la Bédoule se sont retrouvées le 8 octobre 2021 à 18h30 dans la salle du Clos Blancheton de Carnoux pour assister à la conférence proposée par notre association et qui a traité de la laïcité et des valeurs de la République.

C’est Michel Motré, Inspecteur d’Académie – Inspecteur Pédagogique Régional honoraire de l’Académie d’Aix-Marseille, qui est intervenu pour aborder ce sujet sensible. Son propos s’est notamment appuyé sur le dernier ouvrage de Patrick Weil intitulé « De la laïcité de France », paru en 2021 aux éditions Grasset, qui dans ses premiers chapitres développe une réflexion sur les raisons qui ont conduit en France à ériger la Laïcité en principe républicain :

« La laïcité est l’une des variantes d’un processus de sécularisation qui a touché tout l’Occident. Il y a trois siècles, la vie personnelle, civile, sociale comme toutes les institutions politiques étaient réglées par la religion et par Dieu. Progressivement, la sécularisation va prendre trois dimensions. La diversité religieuse, le nombre d’agnostiques et de non-croyants augmente. Tout le monde fait connaissance avec l’existence d’options de conscience, avec le fait notamment que l’on peut vivre sans croire en Dieu. Dans la vie sociale, des sphères – éducative, économique, politique – sont sécularisées, c’est-à-dire deviennent neutres – la religion en est absente. Quand se produit une sécularisation complète des institutions publiques, quand l’État est séparé de la religion, on parle alors d’un régime de laïcité. »

Laïcité, liberté, égalité… des mots mais pas seulement (source © Le Labauratoire)

Quelques repères historiques, philosophiques et juridiques ont ensuite montré comment s’est progressivement construit et institutionnalisé le principe de Laïcité en France :

  • Avant et pendant la Révolution française en se fondant sur les réflexions et les écrits de philosophes comme Nicolas de Condorcet dans lesquels ce dernier développe les principes de tolérance, de laïcité et de liberté de penser qui seront le fondement de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789,
  • Sous la IIIe République avec les lois sur l’École Publique de 1882-1886, dites lois Jules Ferry et surtout avec la loi de 1905 sur la séparation des églises et de L’État,
  • De nos jours avec la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République

La laïcité, d’abord visée humaniste et philosophique puis principe démocratique, est affirmée dans la Constitution de 1946. Elle sera réaffirmée dans celle de 1958 avec, à l’article 1er (extrait) : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Avant 1905, il y avait une confusion du fait de la présence de la religion dans la politique et de la politique dans la religion.Pour Aristide Briand, l’ennemi n’était pas la religion mais le cléricalisme, c’est-à-dire l’intervention des religieux dans les affaires politiques.

La loi de 1905 constitue un acte souverain

Loi de rupture du Concordat qui date du Premier Empire, elle a pour conséquence l’égalité des citoyens devant l’État. Avec la séparation, il n’y a plus en effet de citoyens favorisés, ceux qui pratiquent les cultes reconnus, toutes les options spirituelles sont dorénavant égales, et les non-croyants sont égaux aux croyants.

Cette neutralité de l’État s’affirme vis-à-vis des citoyens mais il y a une deuxième dimension dans la séparation d’avec l’autorité morale et spirituelle d’inspiration catholique qui est celle de l’État français depuis ses origines. C’est le deuxième point qui révèle l’acte de souveraineté que constitue cette loi.

La troisième dimension de souveraineté c’est que le dispositif mis en place par la loi de 1905 est celui de « l’Église religieusement libre dans l’État politiquement à l’abri de ses menaces» D’où des dispositions pénales qui protègent l’individu qui veut exercer un culte ou ne pas l’exercer, les lieux de culte contre les agressions extérieures ainsi que les instituteurs, les fonctionnaires, et plus largement les citoyens, contre l’intrusion des ecclésiastiques (de toute religion) dans les affaires publiques.

La charte de la laïcité à l’école (source © Ministère de l’éducation nationale)

Comment faire vivre la laïcité ?

La séparation à la française signifie la neutralité de l’espace étatique, c’est-à-dire que les fonctionnaires ne peuvent pas exprimer leurs croyances, même s’ils en ont une.

Ensuite, on trouve l’espace du lieu de culte où les règles du lieu s’appliquent, dans le respect de la loi française bien sûr. Quand vous êtes un homme, vous vous couvrez en entrant dans une synagogue, vous vous découvrez en entrant dans une église et vous enlevez vos chaussures en entrant dans une mosquée.

Puis, lorsque vous êtes dans l’espace de votre domicile, vous faites ce que vous voulez.

Et enfin, il y a ce qu’on appelle l’espace public civil, dans lequel il peut y avoir des conflits du fait que s’y rencontrent des individus qui ont des options spirituelles par définition différentes. Cela recouvre des espaces très libres comme la plage ou la rue et des espaces où certaines régulations sont autorisées comme l’entreprise.

Les limites entre ces espaces sont parfois incertaines, ce qui donne lieu à des querelles de frontières que les juges tranchent le plus souvent.

L’école est un des lieux où se construit le sens des valeurs de la République, Liberté, Égalité et Fraternité. La charte de la laïcité à l’école instaurée en 2013 affirme la solidarité entre laïcité et principes constitutionnels de la République, mais elle n’a pu empêcher que le fanatisme conduise à assassiner Samuel Paty en 2020 !

Ainsi, constate-t-on aussi, depuis plusieurs années, la remise en question de contenus d’enseignements, notamment :

  • En sciences : le vivant, l’évolution
  • En EPS : cours de natation mixtes
  • En instruction morale et civique : les représentations caricaturales
  • En arts visuels : le patrimoine architectural religieux

Pour conclure, l’intervenant a rappelé quelques principes sur lesquels repose la laïcité :

  • La liberté de conscience
  • La liberté de manifester ses convictions dans les limites du respect de l’ordre public
  • La séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, et l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions.

Il a enfin proposé cette réflexion d’André Comte-Sponville :

Des échanges avec l’assistance qui ont ponctué la conférence et conclu cette soirée, nous retiendrons ces questions et les éléments de réponse qui ont pu être apportés :

Q. Qui autorisait la diffusion des ouvrages éducatifs avant les lois de 1882-1886 dites Lois Jules Ferry ?

C’était l’autorité cléricale qui accordait l’imprimatur pour l’utilisation des manuels dans les établissements scolaires avant l’établissement de la IIIe République.

Q. Dans les établissements publics, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïc, dans quelles conditions ?

L’enseignant reçoit dans sa formation professionnelle une formation aux questions qui concernent les principes républicains dont la laïcité. De plus, il doit connaître une multitude de textes relatifs aux lois à mettre en œuvre (décrets, arrêtés et circulaires), ce qui n’est pas facile dans la pratique au quotidien sachant que le premier objectif est d’enseigner des savoirs définis dans les programmes en mettant en œuvre des situations pédagogiques adaptées.

Q. Pourquoi le texte sur l’interdiction du port de signes religieux ne s’applique-t-il pas aux universités.

Selon le degré d’enseignement il y a un distinguo à faire entre les élèves mineurs et les majeurs qui composent le public des universités.

Un dessin signé Deligne, publié dans La Nouvelle République

Q. Comment commenter un fait religieux sans entrer dans la religiosité?

Cela demande une formation à acquérir par l’enseignant, son niveau de culture doit être suffisant pour se mettre à la portée des élèves dans le respect de leurs convictions, eux-mêmes manquant de culture ou influencés par leurs croyances religieuses. Les formes pédagogiques adoptées, s’agissant du comportement laïc, ne doivent pas s’assimiler à un « catéchisme », même quand il s’agit d’aborder en histoire ou en arts plastiques une œuvre au sujet religieux. Les faits religieux font l’objet d’études par un abord rationnel sans interprétation dogmatique.

Q. La France « fille aînée de l’église » semble poser des problèmes qui ne sont pas rencontrés dans les pays anglo-saxons, pourquoi?

Cela vient de l’histoire de ces pays, dont les constitutions (et les lois qui en découlent) ou leurs absences (GB), n’instaurent pas de séparation entre l’état et les religions. Beaucoup de pays interprètent la laïcité comme une attitude hostile aux religions.

Q. Qu’en est -il de la dispense de cours pour le contenu qu’il aborde ?

Cela ne doit pas être toléré, mais l’application de cette mesure est difficile selon les cas, notamment en éducation morale et civique où la question de la tolérance vis-à-vis des caricatures a coûté la vie à Samuel Paty.

Q. Les sorties éducatives dont des accompagnatrices sont voilées (portant le foulard) sont-elles en conformité avec l’enseignement laïc ?

On peut y trouver une attitude positive quant à l’intérêt porté par les parents au déroulement des activités scolaire. L’identification d’une appartenance religieuse pose la question du lieu où il est porté : sphère publique ou privée? Et s’il exprime une conviction qui pourrait être un contrôle du contenu de l’activité, cela ne peut être admis.

Q. Comment adapte-t-on la Laïcité de « 1905 » à la société actuelle?

C’est la difficulté car en 1905, la loi visait à inclure tous les membres de la société et par conséquent à se reconnaître égaux dans le partage des valeurs de la République. Aujourd’hui, certains citoyens se sentent socialement exclus de la société et adoptent une attitude identitaire qui les pousse à ne pas adhérer à ces valeurs.

Q. La persistance du « statut concordataire » en Alsace-Moselle n’est-elle pas une rupture du principe de l’indivisibilité de la République ?

C’est le résultat du Concordat signé par Bonaparte, qui a été accordé en 1918 suite à l’annexion par l’Allemagne de l’Alsace-Moselle en 1871, la loi de 1905 ayant été appliquée sur le territoire hormis dans cette province (non française), à leur retour dans le territoire de la République (1918) les législateurs ont permis de conserver ce statut. Il en est de même pour certains territoires d’outre-mer qui bénéficient « d’aménagements » en rupture avec une stricte application de la Laïcité (lois Mandel).

Après des échanges nourris, tous et toutes ont pu se retrouver autour d’un buffet offert par le Cercle Progressiste Carnussien.

Pour ceux qui n’ont pas pu assister à la conférence, voici le document utilisé comme support :

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3 Réponses to “Laïcité et valeurs de la République”

  1. Conférence : « Laïcité et valeurs de la République » – Le Carrefour citoyen Says:

    […] Laïcité et valeurs de la République Article de Michel Motré sur le blog du CPC […]

  2. Mali : les imams et la laïcité | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] des religieux, le terme de laïcité fait horreur car il présuppose que les citoyens pourraient conduire les affaires publiques de la […]

  3. Abayas, ce chiffon noir qui nous aveugle… | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] la foi individuelle et ce qui concerne la conduite des affaires du pays et de la vie en société. La laïcité, l’un des piliers sur lequel repose notre République, part justement de ce principe que chacun […]

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