Mali : les imams et la laïcité

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Le 27 février 2023, la version finale du projet de nouvelle constitution du Mali a été remise solennellement au colonel Assimi Goïta, un militaire putschiste qui dirige la « Transition » dans ce vaste pays sahélien de près de 22 millions d’habitants, qui s’étend de l’Algérie jusqu’en Côte d’Ivoire. Une constitution dont l’adoption par référendum était initialement prévue le 19 mars, première étape vers un retour du pouvoir aux civils, avec des élections envisagées en 2024 si tout va bien.

Remise officielle du projet de constitution par la commission de finalisation au colonel Assimi Goïta le 27 février 2023 (source © a Bamako)

Sauf que ce projet de constitution n’est pas du goût de tout le monde. La Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, une structure très influente qui représente les autorités religieuses musulmanes du pays, a purement et simplement appelé à voter non à ce projet à l’occasion d’un point de presse soigneusement orchestré, le 7 mars 2023. La raison de ce rejet ? La ligue des imams avait demandé le 10 janvier dernier que le terme de « laïcité » ne figure pas dans ce texte constitutionnel, lui préférant celui d’« État multiconfessionnel »…

Pour des religieux, le terme de laïcité fait horreur car il présuppose que les citoyens pourraient conduire les affaires publiques de la Nation sans se préoccuper de leurs convictions religieuses, voire même sans avoir du tout de telles conviction, ce qui est proprement inconcevable pour nombre de personnes, persuadées que seuls les préceptes religieux sont à même de régir le monde et, en l’occurrence, que la charia, la loi de Dieu, s’impose à tous bien au-dessus des règles des hommes.

Prière du vendredi dans une rue de Bamako en janvier 2013 (photo © Sia Kambou / Le Point)

La commission chargée de finaliser le projet n’ayant pas accédé à cette demande, les imams affirment donc sans ambages leur opposition frontale et appellent l’ensemble des Musulmans du pays à voter contre ce projet qui ne les satisfait pas. Sachant qu’environ 95 % des habitants du pays se réclament de l’Islam, le pouvoir a quelque souci à se faire quant à l’adoption de son projet…

D’autant que ce n’est pas la première fois que cette ligue d’imams défie ainsi le pouvoir politique. En août 2009 déjà, elle avait rassemblé plus de 50.000 manifestants dans un stade de Bamako pour protester énergiquement contre le nouveau code de la famille adopté par les députés, considérant qu’il s’éloignait trop des préceptes de l’Islam traditionnel, accordant trop de droits aux femmes et pas assez de valeur au mariage religieux. Même un simple article prévoyant d’autoriser une femme à faire du commerce sans l’autorisation de son mari déclenchait les foudres des imams conservateurs !

L’imam Mahmoud Dicko, proche des milieux rigoristes wahhabites et alors président du Haut conseil isamique, à l’occasion d’un de ses meetings à Bamako, le 12 août 2012 (photo © Habibou Kouyaté / AFP / France TV info)

Le président Amadou Toumani Touré, directement menacé par les imams, avait alors été contraint de faire machine arrière et de renoncer à promulguer le nouveau texte, finalement adopté en décembre 2011 après une refonte complète. La nouvelle mouture marquait un net recul des droits des femmes en particulier, reconnaissant juridiquement le mariage religieux et affirmant que « la femme doit obéissance à son mari ». Cela n’avait pas empêcher le président malien d’être renversé quelques mois plus tard, en mars 2012, par un coup d’État militaire.

A l’époque, le Mali est en proie à des troubles majeurs dans le nord du pays qui passe progressivement dans les mains de mouvements armés djihadistes. En janvier 2013, les rebelles islamistes menacent directement Bamako et la France doit intervenir pour empêcher qu’ils ne s’emparent du pouvoir. Mais la présence militaire française dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane finit par générer du ressentiment, soigneusement attisé par certains. En avril 2020, les élections législatives, plusieurs fois reportées du fait du contexte d’insécurité persistant, se tiennent dans un climat de violence qui se matérialise par de nombreux enlèvements dont celui du chef du principal parti d’opposition, Soumaïla Cissé, qui ne sera libéré que 6 mois plus tard.

Militaires putschistes dans les rues de Bamako le 18 août 2020 (photo © Moussa Kalapo / EPA-EFE / Le Temps)

Entre temps, un groupe de militaires putschistes procède à l’arrestation musclée du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, contraint à la démission le 19 août 2020. Le colonel Assimi Goïta, qui fait partie des 5 gradés mutins, prend le dessus sur ses petits camarades à l’occasion d’un second coup d’État, le 24 mai 2021. Il promet alors d’organiser rapidement des élections, en février 2022 au plus tard, mais cette promesse ne sera pas tenue. Son rapprochement avec les forces mercenaires russes du groupe Wagner, celui-là même qui combat en ce moment contre l’armée ukrainienne, finit par obliger la France à replier ses troupes encore engagées dans l’opération Barkhane de maintien de l’ordre.

Le colonel Assimi Goïta, chef de la Transition au Mali, le 21 juin 2022 (source © Présidence du Mali / Jeune Afrique)

Toujours est-il que le colonel Assimi Goïta vient de tomber sur un os avec son projet de constitution qui prônait l’« attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’État » et dans lequel il était prudemment précisé que « la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle ». Mais ces termes ont été jugés outrageants par la très chatouilleuse Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, pour qui la laïcité « est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions ».

La transition du Mali vers une société démocratique et moderne ne semble donc pas être pour demain, d’autant que les protestations énergiques des imams reçoivent bien évidemment un écho très favorable de la part des mouvements djihadistes désormais bien implantés dans le nord du pays où l’un des proches du chef de la Katiba du Macina vient de diffuser une vidéo qui exhorte la population malienne à se dresser contre l’adoption de cette constitution d’inspiration trop occidentale à son goût. La laïcité à la française a décidément bien du mal à s’exporter hors de nos frontières…

L. V.

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Une Réponse to “Mali : les imams et la laïcité”

  1. Niger : un coup de force des gradés militaires… | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] Ousmane, mais déjoué par sa garde présidentielle. Il s’était depuis attiré les foudres de la junte militaire alors au pouvoir au Mali voisin depuis 2020 et qu’il accusait de complaisance envers les rebelles djihadistes, très […]

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