Archives d’un auteur

La nouvelle guerre des mondes

10 Mai 2024

Publié en 1898 et traduit en français en 1900 seulement, le célèbre roman d’anticipation du Britannique H. G. Wells raconte l’invasion de la Grande-Bretagne par des extraterrestres en provenance de Mars. L’histoire, supposée se dérouler en 1894, débute par l’observation de nombreuses explosions incandescentes à la surface de la planète rouge, suivie par une pluie de météores, puis, quelques jours plus tard par l’arrivée de premiers objets cylindriques non identifiés qui s’écrasent sur Terre.

Il en sort d’étranges machines à trois pieds, pourvues d’un rayon ardent et d’un gaz toxique qui ravagent tout sur leur passage. L’armée est rapidement débordée et les populations terrorisées s’enfuient dans un monde devenu chaotique, traqués par les créatures martiennes tentaculaires qui pompent le sang des rescapés tandis qu’une herbe rouge se répand en étouffant toute végétation. Un vrai cauchemar, jusqu’à s’apercevoir que les envahisseurs martiens ont fini par succomber aux microbes terrestres, venus malgré eux aux secours d’une humanité en déroute…

Une histoire, mainte fois reprise et adaptée, y compris par le réalisateur Steven Spielberg en 2005, et par bien d’autres depuis, qui, dans le contexte de l’époque, était une manière pour l’auteur d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de l’Empire britannique, alors au sommet de sa gloire, et dont l’emprise territoriale et économique s’étendait sur toute la planète.

C’est évidemment en référence à cette œuvre littéraire devenue un grand classique, que le géopoliticien français, Bruno Tertrais, vient de titrer son dernier ouvrage, publié en octobre 2023 aux éditions de l’Observatoire, La guerre des mondes – Le retour de la géopolitique et le choc des empires

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et conseiller scientifique auprès du Haut-commissaire au Plan, est un spécialiste de la géopolitique et des relations internationales. Il a écrit de nombreux ouvrages et vient d’ailleurs de récidiver en publiant aux éditions Odile Jacob son dernier essai, intitulé Pax atomica : théorie, pratique et limites de la dissuasion, paru en janvier 2024. Dans son ouvrage précédent, il n’évoque pas d’invasion martienne mais la remise en mouvement de la tectonique des plaques géopolitiques, quelque peu figées depuis la guerre froide, et ceci sous l’impulsion de ce qu’il nomme des néo-empires émergents, à savoir la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie.

Bruno Tertrais (source © Fondation pour la recherche stratégique)

Il observe ainsi comment le monde occidental libéral auquel l’Europe appartient, se retrouve confronté à ces nouveaux empires eurasiatiques, dirigés par des pouvoirs autoritaires et qui cherchent à s’imposer et à imprimer leur propre vision du monde, sous forme de revanche après des décennies de domination occidentale. De quoi alimenter bien des foyers de confrontation voire de conflits, en Ukraine comme à Taïwan ou au Proche-Orient, mais aussi sur le continent africain ou dans la compétition pour l’accès aux ressources naturelles dont le lithium, voire pour la maîtrise de l’espace ou des fonds sous-marins.

Une confrontation analysée avec beaucoup de finesse, dans un ouvrage très documenté et qui tord le cou à bien des idées simplistes. La supposée stratégie de joueur d’échec de Vladimir Poutine y est quelque peu battue en brèche, ce dernier étant plutôt présenté comme un autocrate paranoïaque et sans scrupules, dont le régime n’hésite pas à manipuler le peuple russe en s’appuyant sur des mythes messianiques et l’invocation de la famille traditionnelle et de la religion orthodoxe. Tertrais se montre sceptique sur la capacité de la Russie à vaincre en Ukraine et note une certaine vassalisation de la Russie vis-à-vis de la Chine, maintenant qu’elle semble avoir définitivement coupé les ponts avec l’Occident.

L’armée chinoise à la manœuvre, une force émergente de premier plan (source © Démocratie nouvelle)

Une Chine qui, en revanche, semble un adversaire autrement redoutable. Elle n’hésite plus désormais à revendiquer ouvertement et par l’intimidation si nécessaire la maîtrise complète des mers jusqu’au ras des côtes de ses voisins vietnamiens ou philippins et s’immisce partout où elle le peut pour développer ses nouvelles routes de la soie, investissant dans des ports ou des infrastructures qu’elle s’accapare lorsque les États hôtes s’avèrent incapables de rembourser. Entrée sans réelle réciprocité dans l’OMC, la Chine est en passe de s’imposer comme la première économie mondiale, prédatrice en matière de propriété intellectuelle et ne se contentant plus d’être l’atelier mondial fabriquant et exportant tout ce que les occidentaux consomment, mais devenu aussi le laboratoire où se testent les techniques les plus sophistiquées de contrôle social numérique des populations.

Le géopolitique qu’est Bruno Tertrais observe avec une certaine inquiétude cette arrogance retrouvée des dirigeants chinois qui préparent activement l’annexion de Taïwan pour les années à venir et ne devraient guère hésiter à le faire par une opération militaire un peu musclée, à la manière de l’opération spéciale engagée par la Russie sur le territoire ukrainien en février 2022. Il n’est cependant pas persuadé qu’une telle invasion sera aussi facile qu’il n’y paraît malgré l’écrasante supériorité numérique de l’armée chinoise, laquelle n’a cependant pas d’expérience récente d’un tel conflit armé. Il pense même qu’un tel conflit dans le Pacifique ne pourrait laisser les États-Unis indifférents, créant le risque d’un affrontement direct entre des puissances militaires et nucléaires de premier plan…

Site de forage de gaz de schiste à St Marys en Pennsylvanie  (photo © SIPA Press / L’Opinion)

Car l’auteur reste confiant dans la capacité des États-Unis à jouer un rôle majeur dans l’ordre mondial en pleine reconfiguration, malgré l’isolationnisme récurrent de ses dirigeants, estimant que ce pays fait preuve d’un dynamisme démographique très supérieur à celui de la Chine ou de la Russie, a désormais retrouvé le chemin de son indépendance énergétique grâce à l’exploitation à outrance des gaz de schistes, catastrophique sur le plan environnemental mais très profitable économiquement, et reste largement en tête de la course mondiale aux brevets et à l’innovation technologique.

La démocratie, force ou faiblesse de l’Europe ? (source © L’Indépendant)

Quant à l’Europe, objet de nombreux débats en cette période pré-électorale, Bruno Tetrais rappelle aux plus pessimistes qu’elle continue de peser un quart du PNB mondial et que les démocraties, malgré leurs faiblesses inhérentes liées à la nécessite de prendre en compte leur opinion publique parfois bien versatile vire pusillanime, peuvent se montrer plus résilientes qu’il n’y paraît face à des régimes autocratiques dirigés par des satrapes entourés de courtisans aux ordres, à condition toutefois de se débarrasser de sa naïveté originelle qui l’a transformée en « herbivore au milieu des carnivores » et à nouer avec la Chine notamment, une relation plus équilibrée que celle qui a consisté jusque-là à « fermer les yeux sur le néo-impérialisme de Pékin en échange de biens de consommation pas chers ». Une évolution que l’auteur appelle de ses vœux et qui concerne en particulier l’Allemagne, moteur de l’Europe et trop longtemps persuadée qu’elle pouvait sans risque « miser sur l’Amérique pour sa sécurité, la Russie pour son gaz et la Chine comme marché ».

Un nouvel ordre mondial est peut-être effectivement en train d’émerger sous nous yeux, en espérant qu’il sera plus équilibré et moins source de tensions que les précédents : rien n’est moins sûr !

L. V.

Créances : les carottes sont cuites…

8 Mai 2024

La petite commune de Créances, qui compte à peine plus de 2000 habitants, située sur le littoral ouest du Cotentin, n’est pas seulement connue pour sa belle plage de sable fin bordée de dunes sauvages et, objectivement assez peu fréquentée car battue par les vents… Du sable omniprésent sur cette côte très plate et tournée vers le large où l’on pratique surtout la pêche à pied, mais que certains ont eu l’idée de valoriser pour le maraîchage. Il se raconte localement que c’est un cadet de Normandie qui, privé d’héritage terrien par son aîné, a eu l’idée, il y a déjà quelques siècles, d’exploiter ces terres sableuses littorales en les enrichissant avec force d’apport de varech et goémon.


La belle plage de sable blond de Créances (source © Comité départemental de tourisme de la Manche)

Les terres légères et sableuses sont de fait propices à la culture de certains légumes à racines profondes comme les céleris-raves, les navets, les radis noirs, les topinambours ou les carottes. Tant et si bien que de nombreux maraîchers se sont mis à cultiver ces « mielles », une appellation locale qui désigne de petites parcelles sableuses gagnées sur les dunes et où prolifèrent désormais poireaux et carottes. Ces dernières, arrachées à la main dans la terre sableuse entre juillet et avril, présentent un goût légèrement iodé et une belle couleur orangée qui a assuré leur réputation commerciale, au point de créer en 1960 une appellation d’origine contrôlée, tandis que, chaque année, se déroule désormais une fête de la carotte à Créances !


La fête de la carotte, à Créances, haut-lieu de l’exploitation maraîchère (source © Ville de Créances)

Une société dénommée Jardins de Créances a même été créée en 1991, rattachée au GPLM, un groupe coopératif producteur de légumes, qui commercialise les productions maraîchères issues de Créances, dont sa fameuses carotte des sables, et de deux autres sites, à Roz-sur-Couesnon, près du Mont-Saint-Michel, et dans le val de Saire, à l’extrémité nord-est du Cotentin. Disposant dune station de lavage et de sites de conditionnement, cette société alimente principalement la grande distribution avec sa gamme de légumes variés, intégrant même des variétés anciennes comme le panais ou le rutabaga.


Les carottes de Créances, cultivées dans les terres sableuses des mielles (photo © Pierre Coquelin / Radio France)

Mais voilà qu’en juin 2020 la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires qui relève de la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, fait un signalement au Parquet de Coutances, après avoir procédé à des analyses qui confirment l’importation illicite et l’épandage massif par plusieurs maraîchers producteurs de carottes des sables de Créances, d’un pesticide interdit à la vente depuis 2018, le dichloropropène, déclenchant l’ouverture d’une enquête de gendarmerie.

Ce dérivé chloré toxique du propène, considéré comme cancérigène et très préjudiciable à l’environnement, a été développé et commercialisé comme nématicide, pour tuer les vers nématodes qui ont tendance à creuser leurs galeries dans les racines de carottes. Ce composé chimique est interdit d’utilisation depuis 2009 par une directive européenne datant de 2007. Jusqu’en 2017, le gouvernement français a néanmoins accordé une dérogation permettant aux producteurs de Créances de continuer à utiliser ce produit, au prétexte qu’il n’existe pas d’alternative économique pour poursuivre leur production agricole.


Récolte de carottes de Créances (source © Ouest-France)

Mais en 2018, le ministère a finalement décidé de mettre fin à cette dérogation pour « urgence phytosanitaire », alors que 4 pays européens (Espagne, Portugal, Italie et Chypre) continuent à y avoir recours jusqu’à aujourd’hui : il ne suffit pas de voter à Bruxelles des réglementations protectrices de l’environnement, encore faut-il ensuite les faire appliquer par les États membres ! En avril 2018, les maraîchers normands ont tenté d’user de leur fort pouvoir de lobbying pour faire céder le ministère et obtenir une n-ième dérogation. Faute d’obtenir satisfaction, ils se sont tournés vers la contrebande et ont importé en toute illégalité et via un intermédiaire, 132 tonnes de dicholoropropène d’Espagne.

Selon les investigations menées en 2020, ce sont près de 100 tonnes de ce produit qui ont ainsi été épandus sur une dizaine d’exploitations maraîchères de carottes de Créances et les enquêteurs ont retrouvé 23 tonnes encore stockées. Cinq des exploitations incriminées ont fait l’objet d’une destruction des récoltes, ce qui a déclenché la fureur des agriculteurs concernés pourtant pris la main dans le sac. Les maraîchers incriminés ont alors déposé un recours en référé auprès du tribunal administratif, qui l’a rejeté. Ils reprochent en effet à l’État « une analyse très incomplète voire erronée du risque », l’absence d’indemnisation du préjudice et l’exposition à une « rupture d’égalité au sein du marché européen et donc à une concurrence déloyale ».


Des carottes des sables vendues avec la terre…et le pesticide (photo © Sixtine Lys / Radio France)

Le procès des maraîchers a eu lieu en mai 2021. Leurs avocats ne leur ont pas permis de s’exprimer et ont tout mis en œuvre pour tenter de discréditer à la fois les enquêteurs de la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires, mais aussi les nombreuses associations de défense de l’environnement et même la Confédération paysanne, qui s’étaient portées partie civile, cette dernière estimant que l’affaire porte atteinte à l’image et à la crédibilité de toute la filière agricole dans ses efforts en vue d’une agriculture plus vertueuse.

En l’occurrence, les seules justifications des maraîchers de Créances pour continuer à utiliser ainsi un produit toxique interdit, sont exclusivement économiques. L’alternative est en effet parfaitement identifiée : il suffit d’alterner les cultures, comme des générations de paysans ont appris à le faire, les vers nématodes ne se développant que sur des parcelles exclusivement cultivées en carottes d’une année sur l’autre. Mais cela implique une légère baisse de rentabilité et un peu plus de technicité, que les maraîchers poursuivis ont préféré éviter par un traitement phytosanitaire, même avec un produit nocif et illégal…

En première instance, 13 exploitant avaient écopé d’amendes allant de 10 000 à 30 000 €, en partie avec sursis tandis que le commerçant ayant servi d’intermédiaire écopait de 80 000 € d’amende et l’entreprise ayant procédé aux épandage, de nuit et en toute discrétion, était condamnée à 20 000 € d’amende. Ayant fait appel de ce jugement, les maraîchers ont vu leur condamnation confirmée et même alourdie pour l’intermédiaire par la Cour d’appel de Caen qui avait prononcé son verdict le 10 février 2023.

Malgré ces peines plutôt clémentes, les avocats des exploitants ont voulu porter l’affaire devant la plus haute juridiction de l’État. Mais voilà que le 23 avril 2024, la Cour de cassation vient de rejeter leur pourvoi, rendant ainsi définitives les condamnation antérieures. Les carottes sont donc cuites pour les maraîchers tricheurs de Créances, une commune dont l’étymologie serait pourtant en relation avec la racine latine qui désigne la confiance et qui a donner le mots français « créance ». Un signal plutôt positif en tout cas pour ces milliers de maraîchers qui font l’effort de conduire leur exploitation de manière rationnelle en tenant compte des impacts de leur activité sur l’environnement et en veillant à la pérennité des sols, sans recours à ces pesticides dont on connaît désormais les effets délétères tant pour la santé humaine que pour la biodiversité.

L. V.

Katulu ? n° 72

6 Mai 2024

Le cercle de lecture carnussien Katulu ? rattaché au Cercle progressiste carnussien est toujours aussi actif et se réunit chaque mois pour échanger sur ses lectures et partager ses découvertes. Si vous aussi vous avez plaisir à lire et à partager vos impressions de lecture, n’hésitez-pas à rejoindre le groupe.

Voici en attendant, un petit résumé des dernières notes de lectures du groupe, au sujet d’une douzaine d’ouvrages dont il a été question au cours du premier trimestre 2024, l’intégralité de ces notes étant accessible ci-dessous :

L’automne est la dernière saison

Nasim MARASHI

Avec beaucoup de poésie et de talent, l’autrice soulève la question du départ et de la liberté, rendant universelles les histoires d’amour et d’amitié qu’elle décrit. C’est un croisement entre le réel et l’intime, de l’histoire du quotidien et de la grande histoire : « Je me dis toujours que le livre sur lequel je travaille est peut-être le dernier. Écrire en Iran est un combat »

Trois amies, Leyla, Shabaneh et Rodja, s’efforcent de mener une vie libre dans le brouhaha des rues de Téhéran. Elles sont à l’heure des choix, diplômées, tiraillées entre les traditions, leurs modernités et leurs désirs. Toutes trois sont brillantes. Elles se battent pour leur autonomie intellectuelle et financière.

L’écrivaine iranienne Nasim Marashi, le 9 mars 2023 à Paris (photo © Laurence Houot / France Info)

Rodja, la plus ambitieuse est enseignante et s’est inscrite à un doctorat à l’université de Toulouse. Il ne manque que son visa, passeport pour la liberté. La solution est-elle toujours de partir ? « On n’est plus du même monde que nos mères, mais on n’est pas encore dans celui de nos filles. Nos cœurs penchent vers le passé et notre esprit vers le futur. Le corps et l’esprit nous tirent chacun de son côté. On est écartelé ». En un été et un automne, elles vont devoir se décider. D’espoirs en découragements, et de compromis en déconvenues, elles affrontent leurs contradictions entre rires et larmes, soudées par un lien indéfectible, qui soudain vacille tant leurs rêves sont différents.

« L’automne est la dernière saison » est une magnifique histoire d’amour et d’amitié, sensible et bouleversante, profondément ancrée dans la société iranienne d’aujourd’hui et prodigieusement universelle. Nasim Marashi brosse le portrait saisissant de cette jeune génération qui a connu une révolution avortée. Une génération qui doit faire avec ses rêves et ses désillusions. Une chronique du désenchantement tout autant qu’une critique implicite du régime. Si dans ce roman, il n’est pas directement question du régime des mollahs et de la répression qui frappe la population, on sent bien la chape de plomb qui pèse sur les habitants, à commencer par ce choix binaire que tous sont appelés à faire, partir quand on peut, ou rester. Choix difficile car il est souvent définitif.

Dany

Celle qui plante les arbres

Wangari Maathai

Ce livre est un récit autobiographe dont le titre original « Unbowed : A Memoir »peut être traduit par : « Insoumise : une mémoire », publié en anglais du Kenya en 2006 puis traduit en français et édité aux éditions Héloïse d’Ormesson en 2007.

Le récit est construit chronologiquement et nous permet d’appréhender tous les temps forts de la vie de l’autrice. Descriptif, il met en lumière le destin d’une jeune fille puis d’une femme qui échappe à un déterminisme social, mais sans toutefois oublier ses racines. Analytique, il pointe les difficultés d’une nation nouvelle à s’émanciper. C’est l’histoire de la vie d’une femme battante qui ne baisse jamais les bras.

Wangari Maathal naît en avril 1940 dans un village, au centre du Kenya. Ses parents sont des paysans. Brillante élève, Wangari bénéficie d’une bourse et comme des centaines de jeunes diplômés kenyans, elle peut alors rejoindre les États-Unis. Ses études la conduiront du Texas à la Pennsylvanie puis en Allemagne avent d’intégrer l’université de Nairobi où, en 1971, elle est la première femme à obtenir un doctorat en médecine vétérinaire.

C’est une battante qui, en qualité d’enseignante puis de professeur, œuvre à l’université pour l’égalité femmes-hommes notamment en matière de salaire. Engagée au sein du conseil national des femmes du Kenya, elle dénonce la situation des femmes des régions rurales et participe à la création du mouvement de la ceinture verte (Green Belt Mouvement). Militante du Forum pour le rétablissement de la démocratie elle est poursuivie, arrêtée et jetée en prison, d’où elle pourra sortir grâce à la pression des soutiens étrangers qui reconnaissent son investissement pour la ceinture verte.

En 2002, elle est élue députée et crée l’année suivante le parti écologiste Mazingira, au sein duquel elle militera pour l’amélioration de la gestion des ressources naturelles afin lutter contre la pauvreté. En 2004, elle est la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix, et elle déclare : « je suis très fière et à mes yeux (…) c’est l’Afrique que le monde récompense et c’est la femme africaine qu’on récompense ».

Elle poursuit infatigablement sa mission et parcourt le monde en intervenant par de nombreuses conférences. Elle meurt en 2011 et symboliquement demande à être incinérée dans un cercueil fait de lianes et de bambous, cela afin que l’on ne détruise plus d’arbres. Son héritage perdure. Le mouvement de la ceinture verte se développe et les valeurs qui sous-tendent son engagement animent de nombreuses équipes dans le monde entier.

Michel

Stardust

Leonora Miano

Leonora Miano est née au Cameroun et vit actuellement au Togo. Elle défend l’identité afropéene, celle des Européens d’ascendance africaine subsaharienne. Ce mot-valise a été inventé par le groupe de musique rock Talking Heads, selon Leonora Miano.

Cela signifie qu’elle est partagée entre ses racines africaines et son éducation européenne. Elle cherche à « déconstruire l’homme blanc » et à travers ses romans, ses pièces de théâtre et ses essais, se penche sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation.

« Stardust » est un essai très personnel. Il raconte son intime. Écrit il y a plus de vingt ans, elle nous fait partager une période de vie extrêmement difficile : jeune maman de 23 ans, abandonnée par le père de sa fille, elle est accueillie dans un centre de réinsertion et d’hébergement du 19ème arrondissement à Paris. Sans l’amour pour son bébé, sa passion pour la littérature, sa relation à l’écriture et les échanges de lettres avec sa grand-mère restée au Cameroun, Leonora Miano se serait, dit-elle, suicidée.

Les mots, soigneusement choisis, l’écriture incisive, les phrases courtes, sans fioritures, l’aident à décrire sa douleur pour mieux la supporter. La lecture de ce livre est comme une histoire, racontée par son auteur, qu’elle pourrait murmurer à notre oreille, le soir, avant de nous endormir en nous laissant espérer que la vie n’est pas un conte de fée mais que chacun porte, au fond de soi, la capacité de s’extraire de toute situation, si douloureuse soit-elle.

Bénédicte

LA VIE HEUREUSE

David FOENKINOS 

Eric Kherson, quadragénaire sympathique et discret, bonne situation financière, couple séparé et père démissionnaire, se laisse happer par Amélie, une ancienne condisciple de son lycée qui l’intègre dans son équipe ministérielle. C’est une belle promotion sociale mais Eric traîne un malaise profond depuis ses quinze ans, culpabilisé par sa mère qui l’a impliqué dans la mort accidentelle de son père.

David Foenkinos et son livre (photo © Francesca Mantovani / Galimard / La Libre Belgique)

Il accompagne Amélie à Séoul pour proposer aux Coréens une implantation industrielle à Mulhouse. Dès son arrivée il est fasciné par la vitrine de « Happy Live ». Il apprend que la Corée du Sud, au quatrième rang de suicide au monde, favorise la mise en scène d’enterrements virtuels dont le rituel a des effets apaisants sur les déprimés. Il obtient de vivre SA cérémonie mortuaire. Il en sort régénéré et de retour en France poursuit dans cette voie.

Mythe d’Isis et Osiris, Jésus ressuscitant Lazare, le phénix qui renaît de ses cendres et la fleur japonaise Lycoris radiata… la fleur de l’au-delà qui pousse le long du chemin menant à la réincarnation. Il a trouvé le nom de l’entreprise mortuaire qu’il va créer. Ce sera LYCORIS. Et ça marche…

Le sujet n’est pas macabre, même parfois assez cocasse, à tiroirs labyrinthiques comme dans « Le mystère Henri Pick » mais moins jubilatoire.

Roselyne

Fabriquer une Femme

Marie Darrieussecq

La lecture est agréable, facile, un livre qui se dévore aisément. Le sujet est cependant banal : l’histoire de deux destins de femme, deux amies, Rose et Solange. Une histoire d’évolution de l’adolescence à l’âge adulte. Avec des variations savoureuses sur les expériences sexuelles et ses ratages ou ses grands moments douloureux. Il s’agit donc d’un roman d’apprentissage, le sujet étant : la fabrique d’une Femme.

Marie Darrieusecq et son livre (photo © Charles Freger / P.O.L. / RFI)

Marie Darrieussecq nous offre une Ode à la Femme, dans ses questionnements, ses choix, les deux portraits en miroir de ses héroïnes qui se façonnent avec le temps tout en carambouilles, de bric et de broc sont touchants. L’une Rose est plus conventionnelle, milieu bourgeois, l’autre Solange, milieu plus modeste s’émancipe et tente l’aventure loin de ses racines.

Donc, sujet banal, composition simple et pourtant le récit s’incarne dans un fond historique très dense et bien reconstitué, années 70 -80, post guerre d’Algérie, chute du mur de Berlin, morts en Serbie, au Rwanda, années sida et cancer. Le dressage de nos deux héroïnes n’est donc pas sans violence. L’occasion pour l’autrice d’être une messagère féministe, une voix « me-too » avant-gardiste car son propos aborde à travers sa réflexion sur la Femme le procès en creux d’un certain sexisme, dénonce une sexualité fondée sur un système de domination.

Le style de l’autrice est la grande réussite de ce roman. Un florilège de tons, descriptions, dialogues. Un mélange de langues étrangères anglais, espagnol. Des sons musicaux contrastés. Rythme lent ou pressé, raccourci ou dilué. Un style fluide et empathique pour évoquer Rose, tout en ruptures avec Solange. Ce livre rouvre les portes sur nos premières fois, nos amours furtives ou fidèles, nos questionnements inassouvis sur le sens de nos vies et ses choix difficiles à faire. La part de déterminisme familial, des hasards qui nous ramènent toujours à notre condition d’Homme fragile et puissante.

Ces sensations banales, incertaines touchent à une vérité universelle et subliment un ton sincère et simple qui émeut et font de ce roman une réussite, un plaisir de lecture.                       

Nicole

Le salon de massage

 Mazarine Pingeot

« Le salon de massage », publié en 2023, raconte la crise existentielle de Souheila, jeune institutrice de 24 ans, récemment mutée à Paris. Sa vie routinière avec un charmant garçon, Bruno, que lui envient toutes ses amies, lui semble vide de sens. Rien ne semble lui manquer et pourtant, un grand flou persistant la mène à des errances à travers la ville. Un soir, en sortant du travail, elle pousse la porte d’un salon de massage. Elle prend un abonnement de 10 séances, 500 €, une folie dont elle ne parle pas à son copain. C’est son jardin secret.

Mazarine Pingeot et son livre (source © TV5 monde)

Hélas ! Scandale imprévu ! On découvre que les massages sont filmés et les images revendues sur des sites érotiques. Les clientes du salon se rassemblent en association de défense des droits des femmes à disposer de leur corps. Souheila sollicitée accepte de se joindre au mouvement puis prend ses distances, fuit même la tendresse et les attentions de Bruno, se réfugie chez sa mère où elle apprend le décès de sa grand-mère paternelle, au Maroc, la mère de ce père militaire tué en mission lorsqu’elle avait huit ans.

C’est un électro-choc. Pour accepter ces deuils qui la troublent, elle part au Maroc, en quête de ses racines, chercher le grain de sable, le non-dit, le viol de l’aïeule à l’origine d’un silence destructeur. Dans l’accueil affectueux du milieu marocain qui fut l’environnement de son père, elle comprend et enfin apaisée rentre en France. Sur le chemin du retour, passant devant un hammam, elle suit son impulsion…

Roselyne

L’Enragé

 Sorj Chalendon

Ce roman est écrit par un homme élevé par un père violent, victime très longtemps d’injustices et menacé d’être enfermé dans une maison de correction. Lorsqu’en 1977 il apprend que l’Institution publique d’éducation surveillée de Belle-Ile-en-Mer, appelée autrefois « Colonie Pénitentiaire », allait fermer ses portes, il décide d’enquêter sur le passé de ce centre. Il se renseigne à travers la presse locale pour écrire sur cette maison de correction.

Sorj Chalendon et son livre (photo © J. F. Paga / Grasset)

Il part d’un fait réel : le soir du 27 août 1934, pour un bout de fromage avalé un peu trop tôt lors du repas du soir, cinquante-six enfants se sont révoltés et se sont évanouis dans le village et les alentours du Centre. Ce fut « la chasse à l’enfant », immortalisée par Prévert. On offrait 20 francs à l’habitant qui en ramènerait un.

Dans la première partie, l’auteur décrit les conditions de vie abominables des enfants en la personne de Jules Bonneau dit « La Teigne » dans cet établissement appelé « la colonie de Haute-Boulogne ». Ce centre était d’une violence inouïe pour les enfants qui à leur tour devenaient des petits monstres.

« Prisonniers d’une île », tous les enfants furent retrouvés sauf un. Dans la seconde partie, l’auteur imagine que « le disparu » est son héros Jules, qu’il est caché par un pêcheur et que c’est l’embellie pour ce jeune qui enfin connaît la tendresse, la confiance et la poésie.

Ce livre est un cri de rage et de colère de l’auteur contre les violences et les injustices du monde.

Josette J.

Déserter

Mathias Enard

Mathias Enard travaillait à un roman ayant pour sujet l’histoire des Mathématiques. Les mathématiques et surtout l’algèbre, sont pour lui le summum de l’art poétique ! Lorsque la Russie envahit pour la seconde fois l’Ukraine, il est bouleversé par la brutalité et la violence de cet acte, il décide de mêler en contrepoint des chapitres sur l’exactitude de la science mathématique avec des chapitres sur les aléas et les incertitudes de la guerre.

Il y a donc deux thèmes qui s’enchevêtrent. D’une part, à Berlin, des mathématiciens venus du monde entier se réunissent pour rendre hommage à Paul Heudeber, disparu. Son souvenir est entretenu par Maya qui fut sa compagne, après avoir échappé aux atrocités nazi, et leur fille Irina historienne de Mathématique commente les colloques et les événements très hiérarchisée de la commémoration.

D’autre part, au bord de la Méditerranée dans des collines imaginaires, en plein conflit armé, un déserteur jeune, sale, puant la crasse et la sueur fuit des événements terrifiants. Il est rejoint par une jeune femme dont « le fichu » cache des cheveux trop courts et une histoire trop triste. Ils veulent atteindre les ruines d’une forteresse au sommet de la montagne et franchir la frontière du pays voisin. Une poignée d’autres errants les rattrapent et les plongent dans l’angoisse. Comme dans toutes les guerres qui agitèrent l’Europe après la débâcle hitlérienne, l’histoire est en perpétuel recommencement !

Vaste sujet soutenu par un style narratif remarquable, tantôt paisible, tantôt haletant en longues phrases ponctuées et interminables comme la misère humaine. La nature y est protectrice ou terrifiante, à l’image de cette vie conflictuelle. La lecture n’est pas facile et demande beaucoup d’attention et de souplesse d’esprit pour intégrer le double thème et toutes les interpénétrations.

Roselyne

PANORAMA

Lilia HASSAINE

Ce titre évoque une vaste étendue, une perspective, un spectacle. L’action se déroule en 2049-2050. Il s’agit donc d’un roman-fiction et pourtant engagé puisque c’est notre société qui se dessine sous nos yeux. Notre société apparaît en réalité augmentée, zoomée, auscultée, passée au laser.

« Panorama » raconte une révolution qui a instauré le quotidien en mode transparence. Un monde où toutes les façades sont en verre. Une société policée (dans les deux sens du terme) y vit. Une société qui a la phobie de la police et qui a sanctuarisé la sécurité et la vigilance à la limite de l’espionnage dit « bienveillant ».

Une ville zoo, où va se dérouler une enquête policière car contre toute attente une famille entière de trois personnes a disparu ! Dans ce monde où la transparence est érigée en dogme garant de bienveillance et de sécurité, l’héroïne Hélène, commissaire de police, va découvrir un monde où la morale est étouffée, la conscience assourdie, corrompue. La violence est décuplée faute de liberté.

Ce roman est un implacable inventaire de nos maux de société « too much » parfois tant tout est passé au crible ! Des maisons vivarium, où les livres ont disparu, où les écrans, les réseaux sociaux, les influenceurs ont pris le pouvoir. Un monde numérique sans humanité. Une fiction visionnaire où la transparence exalte en fait notre besoin de secrets et questionne notre avenir.

En conclusion Lilia Hassaine nous offre un choc douceâtre, un goût doux amer dans ces quelques vestiges d’humanités et de lueurs rémanentes d’âmes encore humaines. A lire et méditer…

Nicole

INHUMAINES

Philippe CLAUDEL

éditions  2017 Stock

Oh la la ! ça décoiffe ! Philippe Claudel dit « je ne me suis pas censuré ». En effet, en bouts hachés, en phrases brèves, genre échange entre copains, il défile 25 nouvelles grinçantes ironisant sur la méchanceté, les méfaits, les idioties de notre société urbaine et moutonnière.

Pudibonds et coincés, s’abstenir ! C’est un humour gaulois extrêmement décomplexé. Exemple dès les premières phrases du chapitre 1: « Plaisir d’offrir » : « Hier matin j’ai acheté trois hommes. Une toquade. C’est Noël. Ma femme n’aime pas les bijoux. Je ne sais jamais quoi lui offrir. La vendeuse me les a emballés. Ce n’était pas simple. Ils résistaient un peu. Sous le sapin, ils prenaient de la place. Nous n’avons pas attendu minuit. Pourquoi trois ? Un pour chaque orifice. Très drôle. Ma femme n’avait pas l’air heureux. Tu sais bien que je ne pratique plus le sexe multiple. J’avais oublié. De cela aussi nous nous sommes lassés. »

Pas pour tous les lecteurs.

Roselyne

Proust roman familial

Laure Murat

prix Médicis – essai – 2023

Le père de Laure, Jérôme Napoléon Murat, est un descendant de Murat, beau-frère de Napoléon, et par sa mère elle descend du Duc de Luynes. Son objectif est de montrer que l’analyse portée par Proust sur l’aristocratie et les exemples de sa propre famille pouvaient lui permettre de se désaliéner de son milieu. Il y a véritablement un « proustige » : fusion de Proust et de prestige ! Car le fameux prestige de l’aristocratie, qui fait illusion, est révélé tel qu’il est par Proust : une coquille vide depuis la Révolution ! Cette aristocratie est un monde de formes vides…

« La particularité de Proust était d’enchâsser des noms inventés à l’intérieur de généalogies réelles ». « Bien plus qu’un accessoire, le nom est au cœur même de la machine romanesque. On assiste à un glissement du nom aux mots, transfert qui fait que Proust est l’auteur de l’Universel », nous dit Laure Murat «ce passage des noms aux mots dans la médiatisation du réel devait être au cœur de ma vraie lecture ».

Laure Murat et son livre (photo © Philippe Matsas / La Libre Belgique)

Le monde de Proust devait être pour elle plus vrai que nature, « il donnait du sens à la vacuité de la forme aristocratique (…) de l’état gazeux où elle demeurait indéfiniment, Proust la faisait passer d’un coup sous mes yeux à l’état solide ».

La révélation de son homosexualité signera la rupture totale de Laure Murat avec sa famille. Le temps passant, elle a le sentiment d’être sortie d’une lugubre gangue, comme on se défait « d’un manteau d’infamie ». Les invertis et les lesbiennes de la Recherche passent leur temps à se cacher et à mentir, à taire leurs amours et à dissimuler leur désir, à trembler d’être démasqué.  L’œuvre de Proust est la scène par excellence de cette érotique de la clandestinité ! Clandestinité, le grand conseil que lui avait donné sa famille !

Laure Murat termine sa longue analyse par ces mots : « il ne serait pas exagéré de dire que Proust m’a sauvée ». Sa lecture et relecture de Proust a été un exercice continu de dessillement, une grille de compréhension et déchiffrement du monde, subtile et pénétrante. « Proust m’a constituée comme sujet, lectrice active de ma propre vie en me révélant le pouvoir d’émancipation de la littérature qui est aussi un pouvoir de consolation et de réconciliation avec le Temps ».

Josette J.

JE ME SOUVIENS DE FALLOUJAH

Feurat ALANI

La narration est faite par un jeune homme, fils d’émigrés irakiens, qui, en 2019, au pied du lit d’hôpital de son père mourant, questionne tendrement mais avec ténacité sur les raisons profondes qui ont poussé ce père très secret à quitter l’Irak, sa patrie adorée.

Feurat Alani et son livre (source © Hachette)

L’exil a eu lieu dans les années 1972 lors des purges redoutables du régime Saddam Hussein. Les dates sont importantes et chapeautent chaque chapitre alternant le récit des deux vies. L’enfance d’Euphrate Ahmed, né à Paris, fait écho à celle de Rani Ahmed, son père né à Falloujah à quarante kilomètres de Bagdad, trente ans auparavant. Bagdad la grande ville du monde arabe, capitale des poètes et des philosophes, Bagdad a disparue sous les bombes, minée par les révolutions et les affrontements mondiaux.

Histoire éternelle de l’affrontement des peuples et des idées : l’assassinat du jeune roi Fayçal, la prise de pouvoir du général Abdel Karim Qassem puis la montée politique du parti Baas et l’arrivée de Saddam Hussein, enfin l’ingérence des États-Unis d’Amérique au printemps 2003. Cette trame historique est « un canevas blanc sur lequel on fait courir des pinceaux de couleurs, pour un résultat bien loin de la vérité subjective, celle qui nous habite à l’instant où nous la vivons… »

« La mémoire est un mensonge qui marche à côté de la vérité, et les mots n’exposent qu’une représentation des faits… J’ai compris que plutôt que de laisser le temps filer vers le néant, il faut le retenir, l’inscrire dans la mémoire, l’écrire et le parler, en faire peut-être ce qu’il y a de plus beau dans cette existence. Vivre éternellement à travers celui qui se souvient ». Telles sont les dernières phrases de ce très bel écrit.

Roselyne

L’électricité

Francis Ponge

Nous nous plaçons en rétrovision, à l’époque de Francis Ponge, en 1954, pour évoquer l’électricité, belle invention, qu’il compare à une superbe princesse domestique au teint de cuivre. Cette intouchable « ne mord pas comme le faisait la flamme, cette sauvage ! Elle vous le rappelle par son frémissement ou vous tue ». Puis d’autres considérations sur le courant lumineux lui suggèrent une relation entre l’énergie électrique et l’art. Il dit : « tout cela a joué dans tous les arts en faveur d’une certaine rhétorique, celle de l’étincelle jaillissant entre deux pôles opposés, séparés par un hiatus dans l’expression, seule la suppression du lien logique permettant l’éclatement de l’étincelle ». C’est, à mon avis, une définition assez intéressante de l’art poétique en particulier.

Le poète Francis Ponge en 1954 (photo © Boris Lipnitzki / Roger-Violet / Savoirs)

Ponge aborde ensuite la face concrète de son sujet, l’homme inventeur… Tout en insistant sur la différence de l’homme parmi les êtres vivants, il se garde de glorifier une certaine supériorité, allant jusqu’à comparer l’homme à un rouage « parfaitement indispensable » dans l’ordre du monde. « Peut-être après tout, n’est-il pas bon pour la santé d’un rouage qu’il se figure être le rouage principal ? ».

Francis Ponge est l’enfant d’un temps où le progrès triomphant trace la route de l’avenir. « Tous les réseaux de distribution sont prévus, tous les instruments de la symphonie sont en place. Il en viendra s’ajouter mille autres. Prévoyez seulement dans nos demeures le chemin à PLAISIR de tout cela »…. Joli conseil assez prophétique Monsieur Ponge !

Mireille

INTRIGUE A BREGANCON

Adrien GOETZ

éditions Bernard GRASSET 2024

Voilà un livre que l’on peut mettre entre toutes les mains. Dans le style roman policier ayant pour cadre le fort de Brégançon, résidence d’été de nos présidents depuis la décision du Général de Gaulle qui n’y dormit qu’une nuit.

La description de la région, du voisinage et l’histoire de ce monument sont des raisons de parcourir cet ouvrage pour un moment de curiosité citoyenne. On y voit également le rôle de l’Office des Monuments Français dans l’entretien du patrimoine. Ainsi peut-on lire : « Les grandes heures du Fort de Brégancon, ce sont sans conteste les années Pompidou, quand Pierre Soulages jouait à la pétanque, quand la sécurité confisquait sa carabine à Niki de Saint-Phalle : pourquoi pas choisir le mobilier moderne des Pompidou, toujours disponible à la réserve, renvoyé à l’entrepôt du temps des Giscard d’Estaing, faire revenir les tables signées Eero Saarinen de l’époque, les fauteuils design ? »

Facile à lire, thèmes variés, un charmant moment de détente offert par Adrien Goetz, né à Caen en 1966, historien d’art et maître de conférences à la Sorbonne, directeur de la bibliothèque Marmotan et membre de l’Académie des beaux-arts.

Roselyne

Le rocambolesque trésor de Lava

4 Mai 2024

Un procès hors normes vient de se tenir au tribunal correctionnel de Marseille, fin janvier 2024, celui de Félix Biancamaria, accusé de recel d’un bien culturel maritime considéré comme un « trésor d’État ». Le verdict a été rendu le 27 mars 2024 et condamne Félix Biancamaria à 12 mois de prison avec sursis et à une amende de 200 000 € à payer solidairement avec son ami Jean-Michel Richaud, également inculpé dans cette affaire. Les deux hommes ont déjà fait appel de ce jugement et l’affaire n’est donc pas terminée, même si cet épisode judiciaire fait un peu figure de n-ième rebondissement dans ce dossier rocambolesque qui dure depuis déjà près de 40 ans…

Jean-Michel Richaud et Félix Biancamaria (à droite) lors de leur procès à Marseille en janvier 2024, à l’issue duquel ils ont été condamnés pour recel de bien culturel maritime (source © Corse matin)

Tout aurait commencé le 6 septembre 1985, même si bien des points restent obscurs dans cette histoire où les principaux protagonistes ont changé maintes fois de version et reconnaissent ouvertement avoir passé leur temps à mentir pour préserver leurs intérêts. A l’époque, les deux frères Félix et Ange Biancamaria, deux fils de bonne famille corse, âgés alors de moins de 30 ans, s’adonnent avec leur ami Marc Cotoni, aujourd’hui décédé, à la pêche aux oursins, dans le golfe de Lava, face au rocher de Pietra Piumbata, à quelques kilomètres au nord d’Ajaccio. A entendre leur témoignage, recueilli récemment pour les besoins de l’émission Affaires sensibles de Fabrice Drouel, ils remplissaient alors de pleins sacs postaux d’oursins, sans grand souci de la préservation de l’environnement.

Les eaux limpides du golfe de Lava où les frères Biancamaria ont trouvé leur trésor romain (source © Archeobiblion)

Ils auraient découvert ce jour-là 3 pièces d’or collées au rocher à très faible profondeur, faciles à détacher avec leur couteau de plongeur. Des pièces recouvertes de dépôt calcaire, que les frères s’empressent de tremper dans l’acide chlorhydrique et qui révèlent alors tout leur éclat et leurs inscriptions latines. De quoi donner envie d’y retourner aussitôt ! Et les frères Biancamaria enchaînent dès lors plongées sur plongées, découvrant rapidement bien d’autres pièces d’or enfouies dans le sable à quelques mètres du rivage de la petite crique, parfois coincées sous quelques rochers qu’ils s’empressent de soulever à l’aide de crics et de barres à mine.

Les pièces d’or du trésor de Lava (photo © A M Felicisimo / Nice matin / CC-BY-SAA / Le Figaro)

Selon Félix Biancamaria, qui a raconté ses exploits dans un ouvrage publié en 2004 et dont il remet désormais en cause certains détails qui collent mal avec sa version judiciaire actuelle, il se serait alors rendu chez un numismate niçois pour tenter d’écouler ses trouvailles, rapidement identifiées comme des pièces romaines de grande valeur, datant d’environ 270 après J.-C. Rapidement réorienté vers le spécialiste national de l’époque, en l’occurrence Jean Vinchon qui tient une officine reconnue rue Richelieu, à Paris, Félix Biancamaria repart avec, selon lui 800 000 F en liquide dans son sac. De quoi motiver les deux frères à multiplier les fouilles dans les eaux turquoise de Lava…

Pendant des mois, ils accumulent ainsi au moins 400 à 600 pièces d’or, peut-être davantage, toutes datées de cette même époque, marquées de l’effigie des 4 empereurs romains qui se sont succédé entre 253 et 275 après J.-C., à savoir Gallien, Claude II le Gothique, Quintille et Aurélien. Certaines sont de simples aurei, des pièces minuscules pesant moins de 5 grammes, mais ils découvrent aussi des médaillons dits multiples, de plusieurs dizaines de grammes chacun, des œuvres d’art d’une valeur inestimables et d’une très grande rareté. Ils remontent aussi des bijoux et des anneaux d’or, qu’ils s’empressent de fondre, ainsi qu’un exceptionnel plat en or pesant 900 grammes, de forme incurvée et serti en son centre d’un médaillon sculpté à l’effigie de Gallien, découvert en juillet 1986 sous un rocher.

Le plat en or à l’effigie de l’empereur Gallien, découvert par Félix Biancamaria (photo © Stéphane Cavillon / DRASSM / France Bleu)

Les jeunes frères Biancamaria sont saisis par une véritable frénésie devant tout cet or qu’il suffit de ramasser dans l’eau limpide à très faible profondeur. Ils multiplient dès lors les allers-retours à Paris pour écouler leur trésor et amassent ainsi une véritable fortune qu’ils dépensent sans compter en voitures de collections, montres de luxe et chaussures en peau de crocodile. Ils étalent leur richesse sans se cacher le moins du monde, passant toutes leurs nuits à faire la fête avec leur cercle d’amis. Quarante ans plus tard, leurs yeux brillent toujours lorsqu’ils évoquent cette vie facile baignant dans le luxe, et ceci sans le moindre remord, confirmant que seul les intéressait l’argent qu’ils pouvaient tirer de ce trésor archéologique tombé fort opportunément entre leurs mains.

En novembre 1986, le numismate Jean Vinchon organise une vente exceptionnelle aux enchères à Monte Carlo d’une partie des pièces d’or du trésor de Lava. Mais le quotidien régional Le Provençal, alerté par une dénonciation anonyme, met les pieds dans le plat et s’interroge que l’on puisse ainsi vendre au plus offrant un patrimoine archéologique aussi inestimable, qui plus est d’origine sous-marine. La législation française prévoit en effet explicitement que ce type de trésor revient intégralement à l’État, contrairement à une découverte faite à terre dont le découvreur peut revendiquer la propriété à 50 %.

Fiche Interpol publiée dans les années 2010, rappelant que les pièces du trésor de Lava ne peuvent être écoulées librement sur le marché mondial où elles continuent à circuler… (source © La carte aux trésors)

Les douanes saisissent alors les 18 pièces d’or exceptionnelles destinées à être vendues aux enchères et une enquête de gendarmerie est ouverte. En 1994, Ange et Félix Biancamaria ainsi que leur complice Marc Cotoni et le numismate Jean Vinchon sont condamnés à 18 mois de prison avec sursis et 25 000 F d’amende. Une paille par rapport à la valeur du trésor découvert, estimé désormais à plusieurs dizaines de millions d’euros. Seuls 78 pièces au total sont finalement récupérées par l’État français, pour la plupart désormais conservées à la Bibliothèque nationale de France, mais des dizaines d’autres ont été vendues, souvent à l’étranger et sont désormais dispersées aux quatre coins du monde. Des faux ont même été fabriqués et saisis ultérieurement.

Si Félix Biancamaria s’est retrouvé de nouveau sur les bancs du tribunal en 2024, c’est parce qu’il a continué à écouler le trésor de Lava et notamment le fameux plat en or soigneusement caché pendant toutes ces années. Il s’est même fait aider pour cela par de nombreux intermédiaires, dont Gilbert Casanova, notable local, président de la Chambre de Commerce dans les années 1990, et qui reconnait avoir trimballé le fameux plat en or jusqu’en Floride pour tenter de le fourguer à de riches collectionneurs sans scrupules. Il raconte même avoir repêché le fameux plat dans le port d’Ajaccio, un jour où il le présentait à des clients potentiels sur son yacht, le plat ayant valsé par-dessus bord à cause de son chien exubérant, ce qui expliquerait que le fameux médaillon de Gallien qui en ornait le centre n’ait jamais été retrouvé…

Félix Biancamaria, prolixe devant les caméras de France TV pour l’émission Affaires sensibles (source © France TV)

Le plat, quant à lui, a bel et bien été récupéré, fin 2010, dans le sac de Félix Biancamaria, qui était aller le récupérer à Bruxelles car il avait une nouvelle piste pour tenter de l’écouler. Mais il ne savait pas qu’il était sur écoute et les gendarmes n’ont eu aucune peine à l’arrêter avec l’objet du délit, ce qui lui vaut d’ailleurs son récent procès où il a tenté une nouvelle fois, mais en vain, de convaincre que le fameux trésor n’avait jamais été trouvé en mer mais sur la terre ferme.

Un trésor dont on ignore toujours la véritable origine, du fait des mensonges répétés de ses découvreurs, même si l’on subodore que ces objets précieux et rarissime appartenaient à un riche dignitaire, peut-être un officier de haut rang ayant servi les 4 empereurs successifs, et ayant fui Rome vers 273 après J.-C. à bord d’une galère qui aurait pris feu au large d’Ajaccio, mais dont on n’a jamais retrouvé trace du naufrage. En dehors des objets en or du trésor de Lava qui a fait tourner la tête aux deux frères Biancamaria…

L. V.

L’Europe pour les nuls…et les jeunes

2 Mai 2024

Dans un peu plus d’un mois seulement aura lieu la prochaine élection au Parlement européen, le dimanche 9 juin 2024. Rappelons d’ailleurs au passage, pour ceux qui l’auraient oublié, bien qu’il s’agisse quand même de la dixième édition de ces élections qui se tiennent tous les 5 ans depuis 1979, que ce suffrage se fait à un seul tour à la proportionnelle.

Les modalités diffèrent d’ailleurs d’un pays à l’autre. En France, il a été choisi de fixer un seuil minimal de 5 % pour qu’une liste puisse disposer d’un représentant élu, ce qui n’est pas forcément le cas chez certaines de nos voisins. Ainsi, lors du dernier suffrage qui s’était tenu en 2019, et pour lequel pas moins de 34 listes avaient été constituées et validées, parfois in extremis après recours devant le Conseil d’État, seules 6 d’entre elles avaient pu obtenir au moins un représentant au Parlement européen. Les voix qui s’étaient portées sur les 27 autres listes en pure perte représentaient quand même 19,7 % des suffrages exprimées !

Pour les dernières élections européennes en 2019, un nombre record de listes en compétition : un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 23 mai 2019

On ne sait pas encore combien de listes seront retenues pour concourir lors de la prochaine échéance du 9 juin puisque la date limite pour le dépôt des listes est fixée au 17 mai à 18h, mais il y a fort à parier qu’elles seront au moins aussi nombreuses qu’en 2019 ! A l’époque, le nombre de sièges d’eurodéputés avait été fixé à 705 dont 79 pour la France. Pour la prochaine échéance, inflation oblige et malgré le retrait devenu effectif de la Grande-Bretagne, il y aura 720 sièges en jeu, dont 81 pour notre pays.

La représentation nationale actuelle au Parlement européen compte 23 représentants du Front national, 23 de la République en marche, 13 écologistes, 8 LR, 6 socialistes et 6 représentants de la France insoumise. Au vu des nombreux sondages actuels déjà publiés et qui vont se multiplier dans les semaines à venir, tout laisse penser que la liste du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella, arrivera largement en tête, donné actuellement autour de 30 %, ce qui pourrait l’amener à augmenter encore son nombre de représentants au Parlement européen. Viendrait ensuite, au vu des tendances observées jusqu’à présent, la liste macroniste dirigée par l’eurodéputée sortante, Valérie Hayer, qui peine à atteindre la barre des 20 % et pourrai perdre 6 à 7 sièges…

L’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg, cœur de la démocratie européenne (photo © Vincent Kessler / Reuters / La Tribune)

Le troisième homme de cette campagne est pour l’instant l’eurodéputé sortant Raphaël Glucksmann qui mène, comme en 2019, la liste du parti socialiste et que les sondages placent actuellement autour de 12 à 13 %, ce qui pourrait lui permettre de faire élire une douzaine de représentants. Quatre autres listes sont à ce jour données à plus de 5 % avec la perspective pour chacune d’elles de remporter 6 à 7 sièges chacune. C’est le cas de la liste écologiste, pilotée par Marie Toussaint, qui verrait ainsi sa représentation fortement amputée, tandis que la France insoumise, dont la tête de liste est, comme en 2019, Manon Aubry, paraît stable par rapport à 2019. A droite, la liste LR, menée par le très conservateur François-Xavier Bellamy, comme en 2019 également, est pour l’instant crédité d’un score assez comparable à celui obtenu alors, autour de 8 %. Pourrait aussi figurer dans ce dernier carré l’autre liste d’extrême-droite, menée par Marion Maréchal, sous l’étiquette Reconquête, et qui pourrait aussi peut-être se hisser au-dessus de la barre fatidique des 5 %.

Comme en 2019, la grosse inconnue de cette séquence électorale reste le taux de participation qui avait tout juste atteint 50 % lors de ce dernier suffrage. Tout laisse malheureusement à penser que cette année encore un Français sur deux ne prendra même pas la peine de se déplacer le 9 juin prochain pour aller exercer son droit de vote, alors même que l’Europe est au cœur de notre vie quotidienne et que la majorité de notre législation actuelle est directement dérivée des directives européennes. Jamais la France n’a été autant intégrée à l’Union européenne, dans un monde désormais multipolaire où même un bloc aussi important que l’Europe peine à exister face aux appétits de puissance des États-Unis, de la Chine, de la Russie mais aussi de nombreux pays émergents en pleine expansion. Et pourtant, les Français ont du mal à s’intéresser aux débats qui agitent le Parlement européen…

Peut-on encore croire à l’Europe ? Un dessin signé Plantu, publié dans Le Monde à l’occasion de la visite du pape au Parlement européen de Strasbourg le 25 novembre 2014…

Ce n’est pourtant pas faute d’efforts de communication et de pédagogie pour rendre accessibles à tous les arcanes de ce lieu de démocratie. Saluons à ce sujet la série remarquable intitulée sobrement Parlement, écrite par Noé Noblet et produite par Cinétévé, Artemis Productions et CineCentrum, dont les 20 épisodes des saisons 1 et 2 ont été diffusés sur France TV en avril 2020, suivi d’une saison 3 tournée en 2022 et diffusée en septembre 2023.

Samy, jeune attaché parlementaire au Parlement européen… (source © Parlement 2024)

On y voit les premiers pas au Parlement européen d’un jeune assistant parlementaire français, Samy, joué par le comédien Xavier Lacaille, qui débarque à Bruxelles au lendemain du vote du Brexit, et découvre les rouages de la démocratie européenne aux côté de son eurodéputé fainéant, Michel Specklin, de l’anglaise Rose, de l’italien Guido, de l’allemand Martin Kraft, ou encore du fonctionnaire européen ultra-compétent et incorruptible, l’impénétrable Eamon. Un bijou d’humour et d’autodérision, sans prétention mais plein d’esprit et qui a le mérite de faire pénétrer au cœur des arcanes complexes du Parlement européen mais aussi de la Commission européenne, où l’on découvre le fonctionnement au jour le jour de nos institutions européennes avec les enjeux auxquels est confrontée la construction européenne, les rivalités entre états membres, le rôle des lobbyistes et la manière dont s’élabore un consensus politique dans un tel bazar. De quoi donne au citoyen européen une vision plus humaine et terriblement incarnée de ces froides institutions qui paraissent si loin de nos préoccupations mais dont les décisions pèsent si fortement sur notre vie quotidienne.

Et voilà que Cinétévé, le producteur de cette série à succès, vient de s’allier avec l’Institut Jean Monet, une fondation attachée à promouvoir l’idéal d’union et de paix qui animait les pères fondateurs de l’Union européenne, pour produire une série de clips inspirés directement de la série télévisée Parlement et destinés à inciter les jeunes (notamment) à voter en masse lors de la prochaine échéance électorale du 9 juin 2024. Sur les 8 clips de campagne prévus, 2 sont déjà accessibles en ligne sur le site dédié. On y retrouve l’humour grinçant et décalé propre à la série télévisée, et ses messages pédagogiques qui font mouche…

Un des clips de campagne inspirés de la série télévisée Parlement (source © Parlement 2024)

Espérons que les Français, et notamment les plus jeunes d’entre eux qui s’étaient largement abstenus en 2019, seul un tiers des 18-39 ans ayant alors fait l’effort de glisser un bulletin dans l’urne, soient sensibles à cette campagne. D’autant qu’elle est loin d’être la seule, les initiatives se multipliant actuellement pour inciter le maximum de jeunes européens à aller voter et à s’intéresser de plus près au fonctionnement démocratique de nos institutions. C’est notamment le cas de la plateforme Ensemble, mais aussi du Parlement européen lui-même qui met à disposition une boîte à outils pédagogique dans ce but, tandis que la Commission européenne s’efforce, via son site Les décodeurs de l’Europe, de combattre certaines idées reçues sur les dysfonctionnements de l’Europe.

Visuels élaborés par l’agence de communication I&S pour inciter à se mobiliser lors des prochaines élections européennes (source © Image et Stratégie)

Même des agences de communication s’y mettent et lancent des campagnes d’affichage pour diffuser des messages incitant chacun à se mobiliser pour cette échéance électorale, à l’instar de l’agence Image & Stratégie, qui insiste sur l’idée que chaque citoyen est acteur du choix des politiques publiques, même celles décidées dans des institution qui nous paraissent trop souvent lointaines, opaques et éloignées de nos préoccupations quotidiennes. C’est l’esprit même de la démocratie dans laquelle chaque voix compte, sauf celles qui décident de ne pas participer au scrutin…

L. V.

Le CNRS s’intéresse à Marseille

30 avril 2024

Bien que plutôt réputée pour ses problèmes d’inégalité sociale, de retard économique et d’insécurité chronique, la ville de Marseille fait aussi partie de ces lieux d’excellence de la recherche scientifique. De fait, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) y possède une forte implantation. Sa délégation Provence et Corse, qui regroupe, outre la Corse, 4 départements de la région Paca (hors Var et Alpes-Maritimes), compte pas moins de 83 implantations, principalement concentrées sur le territoire d’Aix-Marseille et regroupe plus de 2200 agents.

Locaux du CNRS PACA-Corse rue Joseph Aiguier à Marseille, près de Sainte-Marguerite (source © GoMet)

C’est d’ailleurs à Marseille que le CNRS, créé en 1939, a ouvert son tout premier laboratoire de recherche en province, consacré en l’occurrence à la mécanique et à l’acoustique. Et les découvertes scientifiques faites localement ne sont pas négligeables, de la participation à la découverte de l’australopithèque Lucy en 1974 jusqu’à celle du boson de Higgs en 2012, en passant par l’observation de la première exoplanète qui valu le prix Nobel à Michel Mayor.

Et voilà que le CNRS annonce l’ouverture d’une nouvelle structure de recherche à Marseille, un laboratoire totalement inédit, dénommé « Territoires habitables », sous forme de laboratoire associé entre le CNRS et des collectivités territoriales, selon une idée innovante visant à faire dialoguer chercheurs et acteurs du territoire. L’objectif est d’imaginer à quoi ressemblera le territoire métropolitain dans le futur en y étudiant un certain nombre de données en lien avec l’évolution climatique, l’urbanisme, l’environnement, l’activité économique… Autant de sujets qui rassemblent des enjeux stratégiques pour la résilience des territoires.

Programme du colloque prospectif organisé en novembre 2022 à Marseille (source © CNRS)

L’idée de cette nouvelle implantation a germé à l’issue d’un colloque prospectif scientifique organisé en novembre 2022 à Marseille. Intitulé Territoires du futur, il était spécifiquement axé sur l’aire métropolitaine marseillaise et ses enjeux, notamment pour imaginer les révolutions nécessaires en matière de transport, d’alimentation, d’énergie, d’habitation, autant de domaines dans lesquels nos modes de vies sont à repenser pour tenter de nous adapter aux défis qui nous attendent, du fait du changement climatique, de la perte de biodiversité mais aussi des évolutions technologiques et numériques.

Des problématiques dans lesquels les acteurs de l’action territoriale sont au premier plan pour impulser et mettre en œuvre au quotidien les évolutions nécessaires, surtout dans cette aire métropolitaine marseillaise particulièrement exposée aux effets du réchauffement climatique global et qui cumule déjà de multiples handicaps dont une pollution atmosphérique préoccupante, une place de la voiture toujours prépondérante, un littoral urbanisé à outrance et des inégalités sociales et territoriales extrêmes. Bref, un véritable défi à relever pour les chercheurs du CNRS !

Dégradation de l’habitat collectif dans les quartiers nord de Marseille : une barre de la cité Kalliste (photo © Boris Horvat / La Depêche)

Un défi que les scientifiques souhaitent partager avec les collectivités territoriales, au premier rang desquelles la Ville et la Métropole, pour tenter de construire ensemble ce territoire métropolitain du futur, résilient face aux enjeux stratégiques du changement climatique, du développement économique, de la révolution numérique et de l’évolution des formes urbaines.

L’agglomération marseillaise : des transports encore dominés par la voiture (photo © Anne-Christine Poujoulat / AFP / Ouest-France)

Si le CNRS a choisi ainsi l’aire métropolitaine marseillaise pour cette expérience inédite, c’est parce qu’il compte sur ses nombreux chercheurs et laboratoires déjà bien implantés, ainsi que sur les relations étroites déjà nouées avec les collectivités en matière de recueil et d’échanges de données, mais aussi parce que Marseille cumule bien des handicaps qui rendent encore plus stimulant cette recherche pour tenter de bâtir un territoire résilient en surmontant les innombrables obstacles actuels bien identifiés : inégalités sociales extrêmes, urbanisme inadapté, érosion du littoral, îlots de chaleur, réseaux de transports en commun insuffisants, dépendance vis-à-vis des ressources en eau et en énergie, sans compter les chicayas politiques entre strates administratives.

Nul doute que les chercheurs du CNRS, qui recrute actuellement ses premiers thésards pour défricher ce laboratoire territorial du futur vont devoir faire preuve de beaucoup de diplomatie pour arriver à faire travailler ensemble la Ville de Marseille, la Métropole voire le Département et la Région, en vue de concevoir ce territoire résilient de demain que certains imaginent. Il est d’ailleurs déjà question de dupliquer l’expérience dans une autre agglomération, en l’occurrence celle de Clermont-Ferrand, probablement jugée moins problématique, même pour les grands esprits scientifiques du CNRS…

L. V.

Le moulin de Barbegal à Fontvieille

27 avril 2024

Située entre Arles et Les Baux-de-Provence, au sud-ouest du massif des Alpilles, la commune de Fontvielle doit son nom à la Fons vetus, l’ancienne source, située à proximité du lavoir municipal toujours visible et autour duquel le village s’est regroupé, probablement aux alentours du XIIe siècle. Vivant désormais surtout de l’agriculture et du tourisme, la commune a connu un essor économique important grâce à l’exploitation, dès la Renaissance, de la pierre de taille, un calcaire coquiller tendre à grains grossiers, d’âge Burdigalien, extrait aussi aux Baux et commercialisé sous le nom de pierre de Fontvieille. En 1862, la production locale était évaluée à 55 000 m3 par an, exportée à travers tout le bassin méditerranéen, surtout à partir de 1875, après l’ouverture de la ligne de chemin de fer entre Fontvieille et Arles, qui servit aussi au transport de la bauxite, une autre production locale.

Vue aérienne de la carrière de Fontvieille (source © Carrières de Provence)

La commune est désormais surtout connue pour son fameux moulin à vent de Daudet, en réalité le moulin de Saint-Pierre, construit en 1814 et qui est sans doute l’un des derniers de la commune à avoir fonctionné, jusqu’à son arrêt définitif en 1915. Contrairement à la légende, qui permet d’attirer bien des cars de touristes sur le site, depuis sa restauration en 1935, puis en 2016, l’écrivain Alphonse Daudet n’y séjourna jamais, lui qui logeait plutôt au château de Montauban lors de ses passages à Fontvieille.

Le moulin Ribet ou moulin de Saint-Pierre à Fontvieille (source © Fréquence Sud)

Son évocation du bâtiment telle qu’elle apparaît dans Les lettres de mon moulin, publiées en 1869, est d’ailleurs éloquente : « Une ruine ce moulin ; un débris croulant de pierres et de vieilles planches, qu’on n’avait pas mis au vent depuis des années et qui gisait, inutile comme un poète, alors que tout autour sur la côte la meunerie prospérait et virait à toutes ailes »…

Mais il est à Fontvieille un autre vestige de moulin, sans doute moins évocateur pour les touristes asiatiques qui débarquent en force dans ce coin de Provence. Il s’agit d’une ancienne meunerie industrielle nettement plus ancienne puisqu’elle fut aménagée au temps de la colonisation romaine. Un premier aqueduc fut construit à cet endroit aux alentours de 50 après J.-C., sous le règne de l’empereur Claude pour alimenter la ville d’Arles. Fondée en 45 avant J.-C., la colonie d’Arelate est alors une ville en plein expansion, reliée à Lugdunum par la via Aggripa et à Rome par la navigation fluviale et maritime.

Vestiges des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Cet aqueduc romain destiné à garantir l’alimentation en eau de la ville romaine captait des sources situées sur le versant nord des Alpilles, dont la source vauclusienne de Mas Crema, à Mollèges, et d’autres sans doute, peut-être jusqu’à Eygalières, ainsi que des sources situées sur le versant sud des Alpilles, notamment à Entreconque et Manville, près des Baux, et la source de l’Arcoule au nord de Paradou. Ces deux canalisations principales traversaient le vallon des Arcs sur un double aqueduc de 325 m de long et se rejoignaient dans un bassin d’où partait une conduite bifurquant plein ouest pour alimenter Arles après avoir traversé la plaine de Barbegal sur un pont en bois aujourd’hui disparu.

Tracé connu des aqueducs romains desservant en eau la ville d’Arles (source © Patrimoine Ville d’Arles)

Au début du IIe siècle après J.-C. l’ouvrage hydraulique est profondément remanié et la branche orientale, probablement créée à cette date, est prolongée par une tranchée taillée dans le rocher du chaînon de la Pène pour alimenter un complexe industriel de grande ampleur, un des plus vastes connus datant de cette époque romaine. Les fouilles réalisées par Fernand Benoit, entre 1937 et 1939, ont permis de reconnaître que les vestiges de maçonnerie qui dessinent un immense quadrilatère de 61 m de longueur et 20 m de largeur, dans la pente rocheuse en contrebas du chaînon de le Pène, sont les traces d’une ancienne meunerie industrielle qui a fonctionné au moins jusqu’au IIIe siècle après J.-C., à en juger par la datation des dépôts calcaires que l’on a retrouvés.

Vestiges de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Structurae)

Cette usine, qui appartenait probablement au propriétaire d’une riche villa voisine, était organisée autour d’un escalier central séparant deux travées constituées chacune de 8 biefs étagés en cascade, chacun d’eux étant équipé d’une roue à aube, actionnée par la chute d’eau et entraînant une meule en basalte destinée à broyer le grain. Le débit maximum de l’aqueduc étant de l’ordre de 260 l/s et la hauteur totale du dénivelé de 18 m, la puissance hydraulique de l’installation est donc évaluée à environ 50 kW, ce qui est remarquable pour un ouvrage hydraulique de cette période, peut-être attribué au charpentier arlésien Candidus Begninus, dont le sarcophage s’orne de l’inscription suivante (traduite du latin) : « il n’en fut pas de plus savant et personne ne le surpassa dans l’art des ouvrages de mécanique et dans la conduite des cours d’eau ».

Maquette reconstituant l’aspect de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Jean-Marie Borghino)

Certes, le débit aléatoire des sources des Alpilles ne permettait probablement pas au moulin de Barbegal de fonctionner toute l’année, d’autant qu’il devait sans doute ménager de longues périodes de maintenance pour assurer l’entretien d’une telle machinerie, sans compter les difficultés d’approvisionnement en céréales qui ne permettaient sans doute qu’un fonctionnement saisonnier. On considère néanmoins que la capacité de production de l’usine pouvait atteindre 5,5 tonnes par jour, ce qui est considérable et laisse penser que la farine ainsi produite ne servait pas seulement à alimenter les boulangeries d’Arles et de ses environs mais aussi à la fabrication de pain et de biscuits destinés aux nombreux navires transitant par le port fluvial d’Arelate.

Test de la roue à augets reconstituée du moulin de Barbegal (source © extrait vidéo YouTube)

Entre 2018 et 2020, une équipe de passionnés aidés de scientifiques s’était mis en tête de reconstituer une des roues à augets qui fonctionnaient sur le site de l’ancienne meunerie, sur la base des vestiges retrouvés sur place, notamment sous forme d’encroûtements calcaires déposés sur les pales de la roue. Une aventure extraordinaire, retracée dans un film et qui leur a permis de reconstruire minutieusement la roue et de la tester ensuite en vraie grandeur, avant de la mettre en exposition à l’office du tourisme de Fontvieille.

Arche dégradée des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Exposés à l’air libre sans la moindre protection, les vestiges de l’usine romaine et des aqueducs en amont se dégradent et le mortier romain, malgré sa bonne réputation, commence à sérieusement se déliter. Heureusement, le site fait partie des 18 heureux vainqueurs du Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern pour le millésime 2024. De quoi permettre d’engager enfin une restauration pour stabiliser ces vestiges particulièrement spectaculaires mais fortement abîmés. Une étude de diagnostic sanitaire menée en 2021 a confirmé l’état alarmant des voûtes de l’aqueduc encore debout, pourtant inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1937.

Partie en tranchée du canal d’amenée d’eau de l’ancienne meunerie, creusé à travers le chaînon de la Pène (photo © CPC)

L’intervention se fera sous forme de tranches successives à partir de janvier 2025, en commençant par le tronçon principal des aqueducs et en se prolongeant par les vestiges de la meunerie, puis le tronçon nord des aqueducs et le bassin de répartition, pour s’achever en 2028 si tout va bien, le tout pour un budget prévisionnel de 1,2 million d’euros. Pas de quoi remettre en service les aqueducs et l’activité industrielle induite, mais suffisamment pour sauver de la destruction définitive cet ouvrage hydraulique remarquable, témoin d’un passé prestigieux.

L. V.

Le futur hôpital d’Aubagne aux Gargues…

24 avril 2024

La zone des Gargues, c’est ce dernier carré de verdure coincé entre l’autoroute A52 et la zone commerciale des Paluds, à l’entrée d’Aubagne, en venant de Carnoux. Plusieurs vieilles fermes provençales perdues au milieu de vastes prairies où paissent encore régulièrement des moutons à l’abri d’un pin parasol tutélaire et des champs de blés encore ensemencés chaque année, le tout en surplomb de la plaine inondable et marécageuse des Paluds, désormais couverte de hangars industriels et de grands magasins hideux, avec en toile de fond le massif de la Sainte-Baume.

Le site des Gargues, avec la Sainte-Baume en toile de fond (photo © François Rasteau / La Provence)

C’est pourtant sur ces terres agricoles résiduelles, également occupées par la jardinerie Tirand, que l’ancienne municipalité de gauche d’Aubagne, aux manettes de la ville comme de l’agglomération jusqu’en 2014, avait prévu une ZAC. Il était alors question de bétonner 42 hectares sur lesquels auraient été construits pas moins de 850 logements ainsi qu’une crèche, une école, des installations sportives, des bureaux et surtout un nouveau centre commercial luxueux et un immense complexe cinématographique, le tout desservi par de nouvelles infrastructures routières, un boulevard central et même une nouvelle ligne de tramway dans le prolongement de l’avenue de la République.

Validé en 2012, malgré un avis négatif de l’autorité environnementale, ce projet ambitieux avait été confié en 2013 à un opérateur privé, la SAPAG, une société constituée spécifiquement et rassemblant alors l’entreprise de BTP Guintoli, le bailleur social Grand Delta Avignon et Immochan, la société foncière du groupe Auchan qui avait patiemment et depuis des années, acquis l’essentiel de ce foncier, à proximité de son hypermarché, l’un des plus vastes et des plus profitables de France. Le contrat de concession qui prévoyait près de 500 millions d’investissement privé et 19 millions pour les aménagements publics, avait été signé en bonne et due forme le 24 février 2014, quelques jours avant le premier tour des élections municipales.

Sage précaution de la part de la SAPAG car le basculement à droite de la ville et de son agglomération d’alors, a largement rebattu les cartes, Gérard Gazay, le nouveau maire, ayant justement fait campagne contre le projet de tramway et de création de ce centre commercial qui aurait nécessairement porté préjudice aux commerces du centre-ville. La SAPAG a continué pourtant à avancer comme si de rien n’était, présentant en novembre 2016 son nouveau projet, rebaptisé écoquartier Bonne nouvelle, du nom de la rue qui en marque la limite nord. Un aménagement dont une bonne partie des logements initialement prévus a disparu, laissant la place à un vaste projet de centre commercial et d’espace de loisir.

Le projet ambitieux d’écoquartier Bonne nouvelle, imaginé et porté par la SAPAG sur la ZAC des Gargues (source © Made in Marseille)

Mais la ville d’Aubagne avait d’ores et déjà donné un avis négatif sur ce projet en septembre 2015 et la communauté d’agglomération l’a purement et simplement rejeté, fin 2016, juste avant de disparaître pour céder le pas à la nouvelle Métropole. En parallèle, et pour bien enfoncer le clou, la commune d’Aubagne a adopté en 2016 son PLU dans lequel les règles d’urbanisme imposées sur le périmètre de la ZAC des Gargues devenaient incompatibles avec le projet envisagé. Une véritable déclaration de guerre pour la SAPAG qui a aussitôt enclenché la bataille juridique et obtenu, en mars 2018, l’annulation du PLU pour vice de procédure. En parallèle, elle attaque la Métropole, désormais en charge de la patate chaude, lui réclamant pas moins de 289 millions d’euros de dédommagement si elle s’obstine à bloquer la mise en œuvre de la concession pourtant dûment validée.

Le 20 décembre 2022, le Tribunal administratif a fini par trancher ce différent en condamnant la Métropole à verser la bagatelle de 5,6 millions d’euros aux sociétés concessionnaires qui s’estiment lésées par ce revirement. Une belle somme qui aurait sans doute mieux trouver à s’employer pour développer les services publics que pour engraisser encore les actionnaires de la grande distribution et du BTP, mais qui reste néanmoins très en deçà du montant délirant réclamé par le groupe privé qui, entre temps, s’était rebaptisé Nhood…

Vue aérienne du terrain des Gargues (source © Géoportail)

La métropole ayant repris la compétence a fini par produire un nouveau PLU, désormais intercommunal, entré en application le 6 juillet 2022, malgré de fortes oppositions locales. Et voilà que le 17 janvier 2024, la Métropole a engagé la concertation publique en vue de procéder à la deuxième modification de ce PLUI pourtant tout récemment adopté. En réalité, ce sont deux modifications qui sont soumises en parallèle à la concertation. La première devrait permettre de mieux intégrer la prise en compte des risques naturels liés notamment à l’inondation par ruissellement pluvial, jamais considéré jusqu’à présent sur ce territoire pourtant fortement exposé en cas de gros orage

La seconde, quant à elle, concerne précisément le devenir de cette fameuse zone des Gargues qu’il est désormais question d’ouvrir de nouveau à l’urbanisation après l’épisode du précédent PLU et de la bataille juridique qui s’en est suivie. Mais plus question désormais d’un implanter un centre commercial et un complexe de loisir à faire pâlir d’envie nos amis californiens. L’objectif visé est désormais d’utiliser ce terrain agricole idéalement situé aux portes d’Aubagne pour y reconstruire l’hôpital Edmond Garcin vieillissant et jugé inadapté. Baptisé en 2002 du nom de cet ancien député communiste décédé en 1999, instituteur engagé dans la Résistance, devenu maire d’Aubagne en 1965 et qui l’est resté sans interruption jusqu’en 1987, cet hôpital d’Aubagne avait été inauguré en 1971. Desservant une aire de près de 140 000 habitants de l’est du département et de l’ouest du Var, ce centre hospitalier remplit des missions de service public avec son service d’urgence ouvert H24, ses différents services de médecine, son bloc opératoire de 6 salles, sa maternité tout juste rénovée, son centre de gérontologie et son laboratoire de biologie médicale partagé avec l’hôpital de La Ciotat.

L’actuel hôpital Edmond Garcin à Aubagne (source © Centre hospitalier d’Aubagne)

Mais malgré de lourdes rénovations et extensions, menées justement à l’initiative d’Edmond Garcin, le centre hospitalier d’Aubagne, menacé à plusieurs reprises de fermeture, face à la concurrence des cliniques privées et dans une optique à courte vue de réduction des dépenses publiques, est un peu à l’étroit sur sa parcelle de 2 hectares en plein site urbain. Une fois ce constat partagé et avec l’accord de l’ARS, la directrice du centre hospitalier, Stéphanie Luquet, à la tête de l’établissement depuis mai 2020, a orienté le projet vers une reconstruction totale sur un autre site plus vaste.

Mohamed Salem, président de la commission médicale de l’hôpital Edmond Garcin et Stéphanie Luquet, directrice, aux côtés du maire d’Aubagne, Gérard Gazay, en juin 2023 (photo © Catherine Vingtrinier / La Marseillaise)

Arrêté mi-2023, le projet de nouvel hôpital aura une capacité d’accueil augmentée de 20 % avec des lits et des blocs opératoires supplémentaires, ainsi qu’une maternité agrandie pour répondre au besoin des 1300 accouchements réalisés chaque année. Le projet a été décrié par plusieurs acteurs qui le trouvent insuffisamment ambitieux par rapport à l’offre de soins actuelles. Toujours est-il que le début de la construction est prévu à partir de 2027 pour une entrée en service espérée en 2030, et c’est donc le site des Gargues qui a été retenu pour sa future implantation. L’emprise des bâtiments devrait atteindre 26 000 m2, sur un terrain de 7 à 9 hectares, bordé à l’ouest par l’A52 et au sud par la RDN8, englobant donc l’actuelle jardinerie Tirand jusqu’au chemin des Gallègues, avec encore des possibilités d’extension future, au nord ou à l’est.

Plan schématique de l’emplacement du futur hôpital d’Aubagne (source © Made in Marseille)

Le coût du projet est estimé à au moins 130 millions d’euros et l’État a d’ores et déjà promis depuis décembre 2021 d’y injecteur 92 millions dans le cadre du Ségur de la Santé, tandis que Martine Vassal s’est engagée en septembre 2023 à hauteur de 10 millions pour la Métropole et 6 millions pour le Département. La commune d’Aubagne devrait se charger de fournir le terrain et la Région pourrait abonder à hauteur de 3 millions.

Martine Vassal annonçant l’engagement financier de la Métropole et du Département en faveur du projet de reconstruction de l’hôpital d’Aubagne, le 8 septembre 2023 (photo © François Rasteau / La Provence)

L’établissement lui-même, étant structurellement déficitaire avec un déficit de l’ordre de 10 millions par an pour un budget hospitalier annuel de 78 millions, n’est pas en capacité d’apporter de l’autofinancement. Le tour de table n’étant pas complètement encore bouclé, il faudra probablement que l’Agence régionale de santé (ARS) mette aussi la main à la poche et que l’établissement emprunte pour le reste. Un projet de longue haleine donc mais qui permettra peut-être de doter le secteur d’un centre hospitalier flambant neuf et plus performant, d’ici quelques années…

L. V.

Maitre Gims et les pyramides : l’Histoire réécrite…

22 avril 2024

On a coutume de dire qu’il faut connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir. C’est même la raison d’être des archéologues et des historiens que de mieux comprendre comment nos ancêtres plus ou moins lointains ont vécu et comment ils ont évolué pour en arriver où nous en sommes et expliquer certaines situations auxquelles nous sommes confrontées au quotidien, voire nous aider à mieux les gérer pour ne pas refaire éternellement les mêmes erreurs.

Mais comme pour toute science humaine, il existe une part de subjectivité dont il est parfois difficile de s’extraire. L’Histoire, plus que d’autres disciplines scientifiques, est exposée aux pressions politiques et les exemples abondent de régimes qui ont cherché à manipuler la réalité historique pour donner corps à leur propre vision, quitte à créer de toutes pièces des mythes qui orientent les esprits. Sans même évoquer les approches négationnistes qui visent à nier des faits historiques comme la Shoah, le génocide arménien ou le massacre des officiers polonais à Katyn en 1940 par l’armée de Staline, il suffit de voir comment, en France, la IIIe République, à la suite d’ailleurs de Napoléon III, a forgé son « Roman national » en mettant en avant le rôle majeur du chef arverne Vercingétorix, héros de la guerre de résistance contre l’invasion des légions romaines, quitte à tordre quelque peu la réalité historique en l’embellissant…

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, tableau peint en 1899 par Lionel Royer  (source © musée Crozatier, le Puy-en-Velay / Antique Limousin)

Une tendance que certains qualifient d’« archéologie romantique », et qui consiste à imaginer, à partir de faits historiques avérés mais parcellaires, des enchaînements hasardeux pour étayer une thèse présupposée. Certains n’hésitent pas à tordre ainsi la vérité historique pour justifier de la prééminence de tel ou tel peuple du fait de l’ancienneté de sa présence, tout particulièrement dans les zones de conflit territorial comme c’est le cas actuellement en Israël et notamment à Jérusalem, où toute fouille archéologique est sujette à débats…

Les pyramides de Méroé, dans le désert soudanais, vestiges des rois de Nubie et de la culture koushite (photo © Nigel Pavitt / AWL images / National Geographic)

Même l’Égypte antique n’est pas épargnée par ce phénomène. Les pasteurs noirs américains diffusent ainsi l’idée que Koush, fils de Cham et petit-fils noir de Noé, avait conquis le monde, en s’appuyant que le fait que le royaume koushite de Nubie, alors à l’apogée de sa puissance, avait même vaincu l’Égypte en 730 avant J.-C. Le roi Piye est ainsi devenu le premier de la 25e dynastie, cette fameuse lignée des pharaons noirs, qui dut cependant battre en retraite une soixantaine d’années plus tard, face à une invasion assyrienne, le royaume de Koush se repliant alors sur son territoire du Soudan actuel, autour de sa capitale Méroé. Il continua à prospérer parallèlement à son voisin égyptien, même après que ce dernier soit tombé dans l’escarcelle romaine, à la mort de Cléopâtre, en 30 avant J.-C.

La reine Cléopâtre, représentée sur un bas-relief du temple d’Hathor à Dendérah, entre 55 et 50 av. J.-C. (photo © Peter Horree / Hemis / Alamy / Beaux Arts)

De quoi en effet alimenter bien des fantasmes quant à la puissance historique de ce royaume noir qui a marqué l’histoire trop méconnue du continent africain, qui a connu bien d’autres empires, à l’instar de ceux du Ghana ou du Mali, en leur temps bien plus prospères que bien d’autres régions du monde. De quoi contribuer à démentir le sentiment trop largement ancré que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », comme avait osé l’affirmer Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 devant des étudiants à Dakar… Au point d’engendrer, notamment parmi la culture afro-américaine, un véritable engouement pour ces périodes antiques, au risque de prendre quelques libertés avec la vérité historique.

Le rappeur Maitre Gims, au micro de la chaîne Oui Hustle en avril 2023, pour un long dialogue avec LeChairman (source © You Tube)

C’est ainsi que l’on a vu en 2023, le géant américain Netflix produite un documentaire dans lequel la reine Cléopâtre elle-même, est jouée par une actrice noire. Et l’on a pu assister à la même époque, en avril 2023, à une interview assez étonnante de Maître Gims, un rappeur francophone, d’origine congolaise, qui dialogue longuement sur la chaîne YouTube Oui Hustle, en affirmant sans ciller que les pyramides de l’empire de Koush étaient recouvertes d’or et servaient en réalité d’antennes : « Les pyramides que l’on voit, au sommet il y a de l’or, et l’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité… C’était des foutues antennes ! Les gens avaient l’électricité (…) et les historiens le savent ».

Une affirmation un peu abrupte mais énoncée avec beaucoup d’aplomb par le chanteur et compositeur à succès, créateur du groupe Sexion d’assaut, et qui se présente comme « un fan d’Histoire », capable de disserter dans cette interview que le fait que si l’Afrique n’a plus d’archives sur son passé historique glorieux, c’est parce que ses bibliothèques ont été pillées et brulées, et que « l’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens », mais qu’ils ont été décimé par les Européens venant d’Asie, les Yamnayades, évoquant même la présence de chevaliers africains en Europe, « 50 000 ans avant les Européens ».

Illustration du morceau intitulé Hernan Cortes, de Maître Gims sorti en avril 2023 (source © You Tube)

Un joyeux fatras affirmé avec un énorme aplomb et de lourds sous-entendus complotistes, confirmé par l’illustration de l’album sorti peu après par le rappeur et montrant les fameuses pyramides d’Égypte avec leur sommet couvert d’or et les transformateurs à leur pied. Une affirmation que n’a jamais reniée depuis Maître Gims, malgré les innombrables interviews et réactions que ses affirmations à l’emporte-pièce ont suscitées. Même EDF s’est fendu d’une publicité reprenant à son compte ces élucubrations saugrenues et se présentant du coup comme « fournisseur officiel d’électricité des pharaons depuis – 2 000 ans »…

Une publicité satirique d’EDF qui surfe sur les élucubrations loufoques de Maitre Gims (source © Le Point)

De quoi brouiller légèrement les repères historiques et chronologiques d’une jeunesse parfois plus prompte à écouter en boucle ses idoles du show business que ses professeurs d’école. Car bien entendu, et peut-être faut-il le préciser, il n’a jamais été retrouvé de feuilles d’or sur les pyramidions en granite noirs qui surmontaient les pyramides égyptiennes (mais pas celle de Méroé), même si l’obélisque de Louxor, qui trône sur la place de la Concorde à Paris, est bel et bien orné d’un pyramidion en bronze et feuilles d’or, mis en place en 1998…

Quant à prétendre que l’Égypte antique était déjà largement électrifiée, voire que les pyramides servaient d’émetteurs wifi, personne en dehors du rappeur Maître Gims ne s’y était jusque-là hasardé, en dehors peut-être de quelques pochetrons avinés après une soirée trop arrosée, mais il y a fort à parier, au vu de l’audience et de la notoriété de Maître Gims, que des milliers de jeunes crédules sont désormais convaincus par cet afrocentrisme conspirationniste qui ne recule devant aucune ineptie pour réécrire l’histoire à sa manière, contribuant à l’obscurantisme et au communautarisme. Bon courage aux professeurs d’Histoire qui auront à lutter contre ce type de préjugés !

L. V.

Robinson Crusoé et le Chevalier des Tuamotu

20 avril 2024

Publié en 1719, le célèbre roman d’aventure de Daniel Defoe, intitulé Robinson Crusoé, retrace l’histoire imaginaire mais inspirée de faits réels de ce marin de 28 ans, originaire de York, seul survivant d’un naufrage survenu près de l’embouchure de l’Orénoque, au large du Venezuela, et qui se retrouva seul sur une île déserte où il vécut pendant 28 longues années avant de pouvoir regagner l’Angleterre à l’occasion d’une mutinerie d’un navire de passage. Ce roman a captivé des générations entières et inspiré de multiples auteurs, dont Michel Tournier et son célèbre Vendredi, ou les limbes du Pacifique. Les adaptations au cinéma sont également innombrables, une des dernières en date étant le film américain à succès, sorti en 2000 et adapté en français sous le titre Seul au monde, dans lequel l’acteur Tom Hanks se retrouve seul survivant d’un accident d’avion sur une île déserte des Fidji où il restera plusieurs années avant d’arriver à rejoindre la civilisation sur un radeau de fortune.

Tom Hanks, Robinson Crusoé des temps modernes, sur son île déserte en tête à tête avec son ballon de volley (source © IUP / Première)

Ces robinsonnades, qui ont créé un nouveau genre littéraire, exercent un véritable pouvoir sur bien des adolescents attirés par l’esprit d’aventure. C’est précisément le cas du biologiste français Matthieu Juncker, attiré depuis tout petit par le monde de la mer et passionné de pêche, qui garde un souvenir très précis de ses lectures du chef d’œuvre de Daniel Defoe. Devenu biologiste marin après des études à Paris et à Luminy, il embarque en 2000 pour le Pacifique et n’a plus quitté la région depuis.  Polynésie. Après une thèse sur le lagon de Wallis-et-Futuna, il prend la direction en 2009 de l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie où il se passionne notamment pour la photographie sous-marine mais aussi pour le savoir ancestral des pêcheurs du Pacifique.

Le biologiste Matthieu Juncker dans son élément (photo © Claude Bretegnier / Demain en Nouvelle-Calédonie)

Après avoir participé à de multiples inventaires de faune sous-marine et à différentes expéditions, le voilà qui vient d’embarquer pour une nouvelle robinsonnade. Depuis le 17 avril 2024, il a en effet débarqué seul sur un îlot totalement désert de l’archipel des Tuamotu où il compte vivre seul et en totale autarcie pendant 200 jours, de quoi concrétiser enfin son rêve d’enfant découvrant les aventures de Robinson Crusoé. Le motu corallien sur lequel il va vivre cette aventure hors du commun fait partie de la centaine d’ilots déserts de cet archipel de Polynésie, qu’il décrit lui-même comme « assez austère, un banc de sable avec le lagon à gauche, l’océan à droite et quelques cocotiers au milieu ».

Quelques-uns des nombreux îlots déserts de l’archipel des Tuamotu, entre océan et lagon (photo © M. Juncker / À contre-courant)

Pas vraiment de quoi faire rêver, sinon du fait de l’extrême richesse des poissons multicolores qui grouillent encore dans les eaux du lagon au milieu de la barrière récifale. Un milieu extrêmement menacé par le réchauffement climatique global, le corail étant particulièrement sensible à toute variation de température. Comme pour les gorgones en Méditerranée, les scientifiques sont très inquiets pour le devenir de ces barrières coralliennes qui sont à l’origine de cet écosystème très riche mais fortement vulnérable. Comme l’explique le biologiste aventureux, « Selon les prévisions, une hausse de la température de 2 degrés suffirait à les rayer de la carte. La majorité des coraux n’ont pas la capacité de survivre à ce réchauffement et l’acidification des océans ralentira leur croissance ».

C’est donc bien le sort de ces ilots menacés et où des espèces commencent à disparaître, qui motive principalement l’expédition scientifique solitaire de Matthieu Juncker. Il s’intéresse en particulier au « Titi », un oiseau endémique qui n’a rien d’un moineau parisien comme son nom vernaculaire pourrait le laisser entendre, mais est un véritable « chevalier », au sens le plus noble du terme. Le Chevalier des Tuamotu ne se promène certes pas à cheval et armé de pied en cap, mais son port altier lui confère néanmoins une certaine distinction malgré sa petite taille (15 à 16 cm), ses pattes jaune sale, ses ailes courtes et son bec riquiqui qui le fait plutôt ressembler à un passereau.

Le Titi ou Chevalier des Tuamotu, une espèce menacée (photo © P. Raust / Manu)

De son nom scientifique Prosobonia parvirostris, cet oiseau limicole endémique des Tuamotu est de fait menacé de disparition, même s’il a réussi à survivre à son cousin, le Chevalier de Kiritimati, une espèce désormais éteinte pour l’éternité. Le dernier inventaire en date faisait état de 1000 individus encore recensés, présents sur 5 atolls seulement, mais c’était il y a 10 ans déjà et Matthieu Juncker s’est donc donné pour mission (ou prétexte) d’actualiser ces données en étudiant de près cet oiseau dans son environnement naturel, tout en analysant plus globalement l’effet de la montée des eaux sur le fragile petit atoll où il a désormais élu domicile. Il est également chargé par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) de surveiller la présence de déchets plastiques dans la mer à proximité de son motu. De son côté, l’association polynésienne Te mana o te moana lui a demandé de profiter de son séjour pour d’observer les sites de pontes de tortues.

Matthieu Juncker dans son nouvel environnement pour 200 jours (photo © Claude Bretegnier / À contre-courant)

Un programme scientifique qui devrait donc largement occuper notre Robinson Crusoé moderne, lequel compte se nourrir exclusivement de poissons pêchés dans le lagon et de noix de coco ou autres ressources végétales locales. Il prend néanmoins la précaution de se munir d’une petite unité de désalinisation d’eau de mer et d’une bâche pour recueillir l’eau de pluie, ainsi que d’une pharmacie pour faire face en cas d’accident, mais aussi de quelques outils dont une machette pour se construire son faré sur la plage.

L’expédition se nomme À contre-courant, ce qui exprime bien la volonté de Matthieu Juncker, au-delà de l’expérience scientifique de vouloir vivre une expérience personnelle forte en allant « à l’encontre de cette société de surinformation, de consommation et de sécurité ». Il disposera néanmoins d’un téléphone cellulaire et enverra régulièrement des nouvelles de son expédition dont il compte surtout témoigner largement ensuite, via un livre et un film notamment, pour alerter sur la fragilité de ces écosystèmes menacés par le réchauffement climatique et dont on ne se soucie guère…

L. V.

Le Parc national des Calanques, 10 ans d’action

17 avril 2024

C’est un public habituel et très intéressé par le sujet qui s’est retrouvé lors de cette conférence pour écouter monsieur Alain VINCENT, délégué à l’action territoriale du Parc National des Calanques, dresser le bilan de dix années d’activité du Parc.

Le conférencier, Alain Vincent, directeur de l’action territoriale du Parc (photo © CPC)

Il rappelle que depuis le début du XXème siècle, la population locale souhaitait préserver le cadre exceptionnel que constituent les calanques, souhait qui s’est en partie concrétisé en obtenant dans les années 1970 l’arrêt de l’exploitation des carrières sur ce territoire et la limitation de l’étalement urbain. Le projet de création du Parc remonte à 1979 et les études de réalisation ont réellement débuté en 2003 par l’établissement d’objectifs, les premières délimitations du territoire et un calendrier de mise en œuvre.

C’est finalement en 2009 que le projet de création se concrétise. Il faut alors répondre aux questions posées afin d’estimer les incidences de ce projet et réglementer cette structure en coordination avec les nombreuses parties prenantes actives au sein du territoire concerné. Cette année-là, soucieux d’informer les habitants de notre commune, le Cercle Progressiste Carnussien avait reçu, lors d’une conférence, deux acteurs du projet en préalable à la création de l’établissement public d’État.

Le massif des Calanques, un formidable espace de découverte (photo © C. Bellanger / PNC)

C’est donc en 2012 qu’est créé par décret le Parc National des Calanques, sur un territoire couvrant les calanques de Marseille et de Cassis, situé au cœur de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. La notion de Parc National remonte à la création en 1872 aux États-Unis du premier parc, celui de Yellowstone. Il n’y en a que onze en France (celui des Calanques est le dixième). Ce sont des conservatoires constitués d’espaces naturels hébergeant diverses faunes et flores et pouvant contenir des monuments historiques. Ce sont des patrimoines naturels et historiques devant être protégés pour l’éternité et reconnus internationalement. La particularité du Parc des Calanques est qu’il est le premier parc national péri urbain d’Europe, à la fois terrestre et marin. Il se différencie d’un parc régional qui est régi par le droit commun et financé par les collectivités locales.

La création du Parc est le fruit d’un patient travail de dialogue et de compromis avec les collectivités territoriales (communes, métropole) et les représentants d’intérêts, tels que les pêcheurs, chasseurs, propriétaires de cabanons, randonneurs, plaisanciers, etc. inquiets de voir un statut juridique nouveau restreindre les précédents règlements. Pour assurer la mise en œuvre des actions de protection du territoire, le décret de 2012 a également créé l’Établissement Public d’État à caractère administratif (EPA), régi par le Code de l’environnement. C’est le Ministère de l’écologie qui en nomme le directeur ou la directrice. Ce dernier est entouré de plusieurs membres et institutions contribuant à son financement (État, Ville de Marseille, Métropole, Département des Bouches-du-Rhône), ainsi que de membres de la société civile. L’EPA s’adjoint un conseil scientifique et conseil économique social et culturel pour avis consultatif.

Les contours du Parc National des Calanques (source © A. Vincent / PNC)

Les composantes du Parc sont le cœur terrestre de 8 500 hectares, situé sur trois communes (Marseille, Cassis et La Ciotat) et le cœur marin de 43 500 hectares, ainsi que l’aire maritime adjacente qui s’étend sur 97 800 hectares. Carnoux fait partie de l’aire optimale d’adhésion mais à ce jour seules Marseille, Cassis et La Penne-sur-Huveaune ont adhéré au Parc, pour tout ou partie de leur commune. A terre comme en mer, on y recense des habitats naturels considérés comme rares et fragiles, ainsi que de nombreuses espèces animales et végétales menacées qui sont d’intérêt scientifique ou symbolique.

L’aigle de Bonelli, l’un des animaux emblématiques du Parc des Calanques (photo © F. Launette / PNC)

Les défis sont multiples pour faire coexister dans cet espace naturel aussi proche d’une grande métropole, les activités autorisées aux trois millions de visiteurs fréquentant chaque année le site, tout en le protégeant des risques d’incendie, de pollution, et des autres dégradations potentielles. Ce sont donc des actions concrètes qui sont mises en œuvre pour que le cœur du Parc soit un espace d’isolement, d’apaisement et de ressourcement, dénué de toute construction et permettant la pratique d’activités sportives douces.

Ces actions résultent de dialogues entre les gestionnaires du parc et les usagers pour faire appliquer la charte du parc (aménagements, sites classés, pêches illégales …). Ce type de gouvernance locale favorise le choix de solutions adaptées pour une meilleure gestion de la protection des espaces naturels. La charte, d’une validité de quinze ans, est renouvelable sur la base d’une nouvelle évaluation à l’issue de cette période. Cette démarche atteste de la volonté du conseil d’administration, composé de 51 membres, de jauger en permanence ses actions sur la durée afin de les améliorer.

Un conseil d’administration dominé par les acteurs locaux (source © A. Vincent / PNC)

Dans le détail, les actions principales ont notamment permis :

  • Une surveillance et une protection accrue du parc par l’application de mesures restrictives concernant la circulation, l’emploi du feu, l’interdiction de bivouaquer, de pêcher et chasser dans les zones interdites, de déranger les espèces protégées, etc…
  • Une meilleure connaissance et une amélioration de la biodiversité (recensement et préservation des espèce animales et végétales) la gestion des terrains du Conservatoire du littoral sur plusieurs sites pour la mise en œuvre d’études d’aménagements et de travaux d’entretien.
  • La mise en place d’un système de réservation (en saison estivale) pour limiter l’accès à Sugiton.
  • L’accompagnement, la coordination des activités sur le territoire en mer et sur terre. Cela concerne un large public : les pêcheurs professionnels et particuliers, les nageurs, les plongeurs, les plaisanciers, les transporteurs de passagers, les acteurs du tourisme, les habitants et les riverains du parc, les propriétaires-gestionnaires publics et privés, les acteurs de la prévention des incendies et des autres risques, les agriculteurs, les forestiers, les apiculteurs, les randonneurs, les promeneurs, les grimpeurs, les spéléologues ou les acteurs du tourisme notamment.
  • La définition de stratégies et de plans pluriannuels, comme par exemple celui de l’adaptation au changement climatique ou encore de gestion des accès au Parc en retirant les voitures de son Coeur.

Ce sont actuellement vingt-quatre inspecteurs de l’environnement, assermentés et armés, avec des pouvoirs juridiques qui font respecter la réglementation. Ils ont dressé, avec les autres forces de police, un millier de procès-verbaux en 2023 sur le territoire et engagé des procédures qui ont entraîné de lourdes peines pour les contrevenants. Cependant, ils privilégient la médiation et dispensent des messages d’éducation auprès du public avec le soutien d’une cinquantaine d’écogardes saisonniers non assermentés recrutés chaque année par le Parc.

Un auditoire particulièrement attentif pour cette conférence à Carnoux (photo © CPC)

Notre conférencier à l’issue de cette présentation très détaillée a répondu aux nombreuses questions du public. Nous avons ainsi pu apprendre que :

  • Le budget de fonctionnement du Parc s’élève à 7 millions d’euros dont 500 000 € de revenu de taxes perçues et de mécénat,
  • Le statut du Parc ne rentre pas dans la classification du Patrimoine mondial de l’UNESCO,
  • Des espèces végétales invasives, sur terre et sur mer, sont recensées dans le Parc, et bien que leur arrachage soit effectué sur terre, on ne peut lutter contre celles qui prolifèrent en mer,
  • Depuis la création du Parc, la population de poissons a été multipliée par neuf tant en quantité qu’en espèces.
  • Des autorisations sont nécessaires, au préalable, pour toutes investigations scientifiques et tous travaux
  • Les chiens doivent être tenus en laisse du 15 mars au 30 juin, comme dans tous les espaces naturels du pays,
  • Aucune manifestation, à titre sportif ou publicitaire ne peut avoir lieu dans le Parc, en dehors de quelques manifestations emblématiques préexistantes,
  • L’élaboration du règlement du Parc s’effectue en co-construction avec les acteurs locaux, mais la mobilisation de certains acteurs est difficile,
  • De nombreuses actions sont en cours ou en projet comme celle qui envisage de transformer l’ancienne maison de Michel Simon, située dans le parc du Mugel, en « Maison du Parc » afin de pouvoir accueillir des expositions et des groupes scolaires.
  • La Métropole et la ville de Marseille contribuent pour améliorer la signalétique, la régulation des mouillages, la circulation aux abords et à la réduction des déchets et micro-déchets.

Après ces échanges nourris, les participants ont pu ensuite prolonger la soirée en partageant, avec notre conférencier, un apéritif offert par Cercle.

CM

On peut retrouver un grand nombre d’informations utiles sur le Parc en consultant le site du PNC

IHU : le caprice de Renaud Muselier

15 avril 2024

Créé en 2011, l’Institut hospitalo-universitaire en maladie infectieuses de Marseille, plus connu sous son abréviation IHU-MI, a ouvert ses portes en 2018. Ce concept d’IHU, relativement récent dans le spectre de la recherche médicale française, résulte de la mise en œuvre des programmes d’investissement d’avenir lancés en 2009 par Nicolas Sarkozy pour favoriser la relance économique après la crise des subprimes. Ces instituts ont alors pour vocation de constituer des pôles d’excellence pour la recherche médicale en attirant et en formant des spécialistes dans leur domaine de compétence. Le but est d’obtenir des retombées économiques via « le développement de produits de santé innovants » et « d’accroître l’attractivité de la France pour les industries de santé ».

Les locaux majestueux de l’IHU de Marseille à la Timone (photo © Gérard Julien / AP / Le Monde)

Sur les 19 projets qui sont alors présentés, seuls 6 ont été retenus par un jury international constitué en 2010, un septième projet y étant ajouté en 2018. Les trois premiers d’entre eux sont ceux présentés par les hôpitaux de Paris et de Strasbourg, et justement celui de Marseille, défendu par le professeur Didier Raoult, au nom de l’Université Aix Marseille et de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Marseille).

L’IHU est organisé sous forme de fondation, pour permettre de bénéficier des fonds provenant à la fois du public et du privé, histoire de manger à tous les râteliers. Celui de Marseille regroupe également parmi ses membres fondateurs l’Institut de recherche pour le développement (IRD), le Service français des Armées, BioMérieux et l’Établissement français du sang. Mais l’essentiel de ses financements initiaux, qui s’élèvent au total à 160 millions d’euros et qui lui ont permis de se construire un immense bâtiment bien en vue, juste à côté de l’hôpital de la Timone, provient d’une subvention colossale de 72,4 millions, la plus grosse jamais accordée par l’Agence nationale de la recherche et de la technologie, dont 48,8 millions pour la seule édification du bâtiment.

Inauguration des locaux de l’IHU en mars 2018, en présence de l’incontournable Renaud Muselier, de Jean-Claude Gaudin et de Martine Vassal, tous inconditionnels de Didier Raoult (photo © Benoît Gilles / Marsactu)

Pourtant, dès 2015, une mission de l’Inspection générale de l’action sociale s’inquiète des dérives autoritaires du professeur Raoult, ce médecin tonitruant aux faux airs de Gandalph qui aurait mis en place un système de décision ultra-centralisé dans lequel il décide de tout et en toute opacité. En 2017, un nouveau rapport du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dénonce à son tour « un management autocratique » et « un mode de gouvernance vertical [qui] a facilité l’expression de comportements hautement condamnables : harcèlement moral mais également sexuel, mépris des personnes, ignorance des réglementations, hostilité à l’égard des regards extérieurs, défaut de concertation avec les tutelles ».

L’accusation n’est pas bénigne et conduit en 2018 le CNRS et l’INSERM, les deux autorités de tutelles, à se désengager du projet pour cause de « désaccord stratégique » et « d’évaluation scientifique défavorable ». Le coup est rude mais le bon professeur Raoult s’en moque comme d’une guigne, affichant le plus profond mépris pour ces instances nationales de la recherche scientifique, et n’hésitant pas à déclarer haut et fort : « l’INSERM, aujourd’hui je m’en fous » : on ne saurait être plus clair !

Didier Raoult et Renaud Muselier, deux anciens copains de fac inséparables, ici en septembre 2020 (source © compte Facebook Renaud Muselier)

D’autant que Didier Raoult connaît début 2020 son heure de gloire lorsque l’IHU lance un dispositif de dépistage du Covid-19 alors que toute la France panique face au développement de la pandémie, et que tous les responsables politiques locaux viennent se faire soigner à l’IHU où ils se font administrer la fameuse hydroxychloroquine du bon docteur Raoult. Un traitement qui n’a jamais fait ses preuves et qui peut être à l’origine de graves effets secondaires pour certains patients. Mais cette position assure au président de l’IHU de Marseille une position médiatique sans précédent. Il se répand dans tous les médias où son franc-parler fait merveille, lui qui fustige à longueur de journée les décisions technocratiques visant à confiner la population pour limiter la propagation du virus. Les Marseillais passés par l’IHU le vénèrent comme un dieu, arborent des tee-shirts à son effigie de druide celte réincarné, et applaudissent à chacune de ses sorties cinglantes contre les élites parisiennes.

Le professeur Didier Raoult, mis en cause pour ses méthodes quelques peu cavalières (photo © Christophe Simon / AFP / France 3)

Pourtant, dès 2020, des voix s’élèvent pour s’inquiéter d’essais cliniques humains effectués sans autorisation tandis que les procédures pour diffamation s’enchaînent et que des enquêtes sont diligentés pour fraude à la Sécurité sociale en lien avec des hospitalisations de jour facturées pour permettre d’administrer le fameux traitement anti Covid. De son côté, l’Agence française anti-corruption dénonce un conflit d’intérêt de la part du président de l’IRD, Jean-Paul Moatti, qui avait signé avec sa propre épouse, Yolande Obadia, alors directrice de l’IHU, une convention accordant une subvention aussi généreuse que peu justifiée.

En août 2021, l’AP-HM et l’Université Aix Marseille annoncent enfin le renouvellement de la présidence et la mise à la retraite de Didier Raoult de plus en plus controversé. Il est remplacé en septembre par un de ses proches, Pierre-Edouard Fournier, tandis qu’en septembre 2022, la directrice de l’IHU cède sa place à Emmanuelle Prada-Bordenave.

Mais il n’est pas si aisé de tourner la page de l’ère Raoult. Le journal La Provence s’est ainsi fait l’écho, vendredi 12 avril d’un épisode assez surréaliste survenu la veille, à l’occasion de la réunion du conseil d’administration de l’IHU, au cours duquel devait notamment être validée la composition du nouveau conseil scientifique de l’établissement. Il était prévu de nommer à sa tête l’immunologiste réputé, Eric Vivier, un scientifique mondialement reconnu, fondateur du cluster Marseille Immunopôle et par ailleurs président du Paris Saclay Cancer Cluster. Une nomination qui faisait l’unanimité parmi la communauté scientifique, désireuse de redonner plus de crédibilité à l’IHU de Marseille, empêtré dans les affaires judiciaires.

Le professeur Eric Vivier aux côtés du Président de Région Renaud Muselier, ici à l’occasion d’une visite ministérielle en 2022 (photo © Franck Pennant / La Provence)

Mais c’était sans compter sans le président de la Région PACA, l’imprévisible Renaud Muselier, qui, une fois n’est pas coutume, s’est invité en personne à ce conseil d’administration où il n’avait pas mis les pieds depuis plus de 2 ans. Ce dernier n’a jamais caché sa grande admiration pour le professeur Raoult, un ancien copain de fac dont il est resté très proche. En septembre 2021, alors qu’il sortait d’une affection de Covid, justement soignée à l’hydroxychloroquine dans les locaux de l’IHU, Renaud Muselier évoquait au micro de France bleu sa confiance aveugle en Didier Raoult, précisant : « Oui, j’ai toujours tout suivi chez Raoult. J’ai confiance en lui donc je fais confiance à mon médecin ». Et d’insister : « Moi, je l’ai toujours soutenu. Et il a eu des résultats : quand on a eu notre cluster avec un tiers de la région contaminée, on a fermé, on a envoyé tout le monde chez Raoult se faire tester, on a soigné ceux qui le voulaient et on a envoyé personne en réanimation. J’ai confiance en Raoult ».

Une confiance qui ne faiblit pas et qui a donc conduit le président de la Région PACA à s’opposer frontalement, lors de ce conseil d’administration mémorable du 11 avril 2024, à la nomination au sein du conseil scientifique de l’IHU, du professeur Vivier, ainsi qu’à celle de deux autres éminents scientifiques, Diane Descamps et Aude Bernheim. Selon les autres participants à cette réunion, Renaud Muselier a mis son veto sans discussion possible, arguant que ces nominations relèvent d’un pur parisianisme et menaçant de couper le robinet des subventions s’il n’était pas suivi.

Un dessin signé Deligne, publié dans Var Matin en août 2021 : 4 ans plus tard, le professeur Raoult tire toujours les ficelles !

Un argument qui a manifestement porté, d’autant que la Région finance grassement l’IHU, y compris via les fonds européens qui sont instruits par ses propres services. En comptant les subventions régionales qui transitent par l’AP-HP, cela représenterait plusieurs dizaines de millions par an. De quoi donner à Renaud Muselier une force de conviction très dissuasive, au point que personne n’a osé le contredire et lui rappeler que le « parisien », Eric Vivier, vit à Marseille depuis 31 ans, où il a fondé le centre d’immunologie de Luminy et où il exerce en tant que professeur d’immunologie à l’université Aix Marseille et médecin hospitalier à la Timone.

Il semble donc que l’IHU de Marseille ne soit pas encore prêt à tourner la page Raoult et que ce dernier puisse encore compter sur le soutien aveugle de son ami Muselier, quitte à ruiner la crédibilité scientifique de cet institut. La Provence se fait ainsi l’échos d’un chercheur, désespéré de voir que « l’IHU fait beaucoup d’efforts pour redresser la barre. C’est catastrophique de voir tout cela ruiné par des comportements qui relèvent du fait du prince », estimant, désabusé : « il s’agit surtout d’une lutte de pouvoir. A Marseille, certains veulent rester dans leur entre-soi ». Un travers décidément très développé localement

L. V.

Corée du Sud : des législatives aux petits oignons

12 avril 2024

On votait, ce mercredi 10 avril 2024, en Corée du Sud, pour renouveler les 300 membres de l’Assemblée nationale. Une élection dont les résultats ne font manifestement pas les affaires du Président de la République, l’ancien procureur et très conservateur Yoon Suk-yeol, qui avait été élu de justesse à ce poste, il y a tout juste 2 ans, en mai 2022, sort nettement affaiblie de ces élections. Alors que son parti « Pouvoir au Peuple » détenait 103 sièges dans le parlement sortant, il n’en détient plus que 90 tandis que le bloc progressiste, déjà largement majoritaire, se retrouve avec 176 députés, manquant de peu la majorité des deux-tiers qui lui aurait permis de concrétiser la menace de destitution qui pèse désormais sur le président.

Le président de la République de Corée du Sud, Yoon Suk-yeol (photo © Reuters / Firstpost)

Il faut dire que celui-ci est arrivé au pouvoir dans un contexte de crise économique et sociale, même si la Corée du Sud reste la quatrième puissance économique mondiale. L’accès au logement est notamment devenu un vrai souci pour les Sud-Coréens. Alors qu’en 2017 un jeune Coréen achetant un appartement arrivait à rembourser son emprunt immobilier en 20 ans, il lui faut désormais 40 ans pour y arriver !

Et la politique menée par le président Yoon Suk-yeol depuis son arrivée au pouvoir ne fait qu’exacerber ces difficultés sociales. Se positionnant d’emblée du côté du patronat, il a ainsi affirmé que maintenir la semaine de travail à 52 heures lui paraissait intenable et plaidant pour le passage à 69 heures de travail hebdomadaire, bien loin des 35 heures en vigueur en France…

En juillet 2023, des syndicalistes sud-coréens protestent contre la répression syndicale du gouvernement (source © Industriall Global Union)

Faisant face en novembre 2022 à une grève des camionneurs, il a été jusqu’à menacé les grévistes de peines de prison ferme et d’amendes records de dizaines de milliers d’euros pour entrave à la vie économique du pays, tandis qu’il accordait sa grâce présidentielle à plusieurs hommes d’affaires condamnés pour corruption, dont le président du groupe Samsung. Yoon Suk-yeol n’avait pas hésité à déclarer publiquement que, selon lui, « les gens qui font grève sont aussi dangereux que les ogives nucléaires nord-coréennes ». Un discours tout en nuance que les syndicats n’avaient guère apprécié…

En quelques mois, sa cote de popularité s’était effondrée, d’autant qu’il faisait montre en parallèle d’une position extrêmement rigide et belliqueuse envers le voisin nord-coréen, se rapprochant des États-Unis et rompant tout dialogue, estimant même nécessaire d’envisager des frappes préventives en cas de menace, avivant ainsi la tension entre les deux Corées.

Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et son entourage faisant mine de découvrir des bottes d’oignons verts à un prix défiant toute concurrence (photo © AFP / Huffington post)

Et voila que le Président, alors en pleine campagne des législatives, le 18 mars dernier se rend dans un magasin de fruits et légumes à Séoul, pour y constater le prix des denrées alimentaires et tordre le cou à l’idée largement partagée que la population fait face à une forte inflation du coût des produits de base. Avisant une botte d’oignons verts, un légume particulièrement prisé dans la cuisine coréenne, le président fanfaronne devant les caméras en affirmant que pour 875 wons, le prix est très accessible. De fait, cette somme représente à peine 60 centimes d’euros… Sauf que les Coréens sont tombés des nues car eux paient quotidiennement trois à quatre fois plus cher leur botte d’oignons !

Après enquête, les journalistes se sont ainsi rendus compte que tout ceci n’était en réalité qu’une mise en scène, le commerçant, prévenu à l’avance, ayant volontairement affiché pour les besoins de la cause, des étiquettes avec des prix défiant toute concurrence… De quoi alimenter les sarcasmes envers un président totalement déconnecté des réalités et qui prend vraiment ses concitoyens pour des imbéciles. Il n’en fallait pas davantage pour doper l’opposition qui dès lors s’est mis à brandir des oignons verts à chacun de ses meetings. La cébette est ainsi devenue le symbole de l’opposition au président conservateur !

Des militants brandissant leur botte d’oignons en signe de protestation contre la morgue du président, Yoon Suk-yeol, à Sejong, le 25 mars 2024 (photo © Yonhap / AFP / BFMTV)

Au point que la commission nationale électorale s’en est inquiété et a décrété, deux jours avant les élections, l’interdiction de se promener avec des oignons verts à proximité des bureaux de vote, considérant gravement, dans un communiqué officiel, que « détourner une certaine chose de sa fonction initiale pour en faire un moyen d’expression est susceptible d’affecter le scrutin ». De quoi déclencher l’hilarité générale et mettre en verve tout ce que la Corée du sud compte d’esprits espiègles qui se sont dés lors mis à rivaliser d’imagination pour détourner cette loi anti-oignons. Et l’on a vu ainsi fleurir les bandeaux et les écharpes couleur vert oignon ainsi que les porte-clés en forme de ciboulette.

Une ambiance plutôt bon enfant mais qui a du coup suscité un fort engouement pour cette échéance électorale qui a fortement mobilisé, avec un taux de participation record de 67 % et un score peu amène pour les partisans de Yoon Suk-yeol qui, pour avoir mal évalué l’oignon, en a gros sur la patate : quand on raconte des salades, il arrive qu’on fasse chou blanc…

L. V.

Un financement public pour des écoles privées

9 avril 2024

En France, la question scolaire a toujours été objet de vifs débats. Essentiellement confessionnel jusqu’à la Révolution française, l’enseignement primaire s’est peu à peu organisé autour de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, généralisée à l’initiative de Jules Ferry à partir de 1881. Une cohabitation entre école dite libre et école publique parfois conflictuelle mais qui relève pour l’essentiel d’un choix personnel des parents avec de fortes disparités régionales. Dans bien des départements, comme en Lorraine ou dans le Massif Central, moins de 5 % des élèves sont scolarisés dans le privé, alors que cette proportion dépasse 50 % dans le Morbihan ou en Vendée.

Le collège privé Stanislas à Paris, un établissement élitiste où l’ex ministre de l’Éducation nationale scolarise ses enfants (photo © Thomas Samson/ AFP / Le Parisien)

A Paris, un élève sur trois fréquente une école primaire privée et la polémique récente qui a concernée les enfants de l’éphémère ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a montré à quel point la plupart de nos responsables politiques utilise des stratégies d’évitement pour épargner à sa progéniture de fréquenter l’école de la République. A Marseille, Marsactu estimait en 2016 que plus de 13 600 élèves fréquentaient des écoles privées, principalement liées à l’enseignement catholique, contre 74 000 seulement dans le public, soit une proportion de 15 % en forte hausse depuis les 20 dernières années.

A Marseille, Jean-Claude Gaudin s’est montré particulièrement favorable à l’enseignement privé catholique, faisant passer le forfait élève à 900 € en 2019 tout en laissant se dégrader les écoles publiques : un dessin signé Ysope (source © Le Ravi)

A l’échelle nationale, un rapport récent de la Cour des Comptes, rendu public en juin 2023, évaluait à plus de 2 millions le nombre d’élèves fréquentant l’un des 7 500 établissements privés de l’Hexagone, soit 17,6 % des effectifs scolaires, lesquels sont en baisse constante depuis une dizaine d’années. Ce même rapport s’interrogeait sur l’importance du financement public de cet enseignement privé, en regard d’une ségrégation croissante des élèves qui en bénéficient. Une interrogation récurrente qui fait également l’objet d’un rapport de mission parlementaire qui vient tout juste d’être remis par les députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance) après 6 mois d’investigations et plusieurs déplacements, dont un à Marseille précisément.

Les députés Christophe Weissberg et Pauk Vannier lors de la discussion de leur rapport en commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée Nationale (source © Banque des Territoires)

Pendant longtemps, la République française a considéré que l’enseignement privé confessionnel avait parfaitement droit de cité mais qu’il lui revenait de s’organiser avec ses propres moyens. Ce n’est finalement qu’en 1959 que la loi Debré a instauré le système de contrat qui permet à un établissement privé sous contrat (la très grande majorité d’entre eux), de bénéficier désormais d’un financement public, quasi à parité des écoles publiques. A l’époque, cette décision était largement motivée par le contexte d’après-guerre et de baby-boom qui voyait l’État peiner à scolariser tous les élèves et souhaitait par cette mesure encourager le privé à prendre sa part du fardeau. Un choix dicté par le contexte et à vocation temporaire donc, mais qui est toujours en vigueur 85 ans plus tard, s’étant même renforcé au fil du temps, notamment avec le développement des lois de décentralisation.

Désormais, l’enseignement privé français sous contrat est donc financé à 75 % par l’argent public, principalement par l’État qui, de la même manière que dans le public, prend entièrement à sa charge le coût des personnels enseignants, même si ces derniers sont contractuels dans le privé, auquel il ajoute un forfait d’externat, supposé couvrir les frais de personnel d’administration, de gestion, de direction, de santé, etc. Le reste est payé par les collectivités territoriales, chacune pour ce qui relève de ses compétences et de manière relativement discrétionnaire.

Pour les écoles maternelles et primaires, les communes versent ainsi pour chaque élève scolarisé dans le privé une somme forfaitaire annuelle qui correspond à ce que lui coûterait la scolarité de cet élève dans son école publique. Un avantage incontestable puisque cette somme n’est pas calculée en fonction du besoin de l’établissement privé pour équilibrer son budget, mais selon les dépenses effectives de l’école publique, alors que celle-ci est soumise à bien d’autres contraintes. Quand l’école publique est obligée d’accueillir tous les élèves qui s’inscrivent et de mettre en place des dispositifs de soutien spécifiques pour les accompagner au mieux, le privé est libre de sélectionner ses élèves, ce qui lui permet de faire des classes plus chargées avec des coûts par élèves moindres mais une subvention généreusement allouée par le public sur la base de ses propres coûts.

L’école et le collège privés Saint-Augustin, à Carnoux (source © École Saint-Augustin)

Un montant qui est par ailleurs calculé de manière totalement opaque, selon des règles imprécises et qui font l’objet de larges interprétations par les municipalités. Ainsi, à Carnoux, la commune a décidé d’attribuer un montant de 720 € pour chaque élève scolarisé à l’école Saint-Augustin, déjà largement subventionnée lors de sa construction, et qui vient encore de recevoir une nouvelle subvention de 11 000 € cette année pour l’utilisation de ses locaux par le Centre aéré. Un montant théoriquement calculé sur la base des coûts réels de scolarisation d’un élève à l’école Frédéric Mistral. Sauf que cette même prestation n’est facturée que 667 € lorsqu’il s’agit d’y scolariser un ressortissant d’Aubagne, et même 547 € s’il vient de Cassis : comprenne qui pourra…

Cette manne d’argent publique, estimée en 2022 à près de 14 milliards d’euros par an, qui permet à l’enseignement privé, principalement catholique, de développer son réseau pendant que les écoles publiques ferment, suscite d’autant plus d’interrogations que les obligations et les contrôles qui pèsent sur l’enseignement privé en France sont quasi inexistants. Selon le rapport de Paul Vannier et Christophe Weissberg, les contrôles pédagogiques y sont très rares et les vérifications comptables quasi inexistantes : moins de 5 établissements privés feraient ainsi l’objet d’un contrôle comptable chaque année, ce qui leur laisse entrevoir un contrôle tous les 1 500 ans en moyenne…

L’école publique est en train de craquer : un dessin signé Zaïtchick (source © Blagues et dessin)

Une situation d’autant plus inquiétante que toutes les études confirment une ségrégation scolaire croissante. Les élèves des classes aisées et ceux qui présentent les meilleurs résultats scolaires s’orientent de plus en plus vers les établissements privés qui les trient sur le volet, à tel point que le taux de mixité sociale dans les écoles privées est en chute libre. Selon les observations de la Cour des Comptes, les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021. Les élèves de milieux favorisés à très favorisés y sont désormais majoritaires alors qu’ils ne représentent que 32,3 % des élèves dans le public. À l’inverse, la part des élèves boursiers y représente moins de 12 % contre plus de 29 % dans le public.

Dans le passé, toute réforme visant à rééquilibrer les relations entre école publique et privée a montré à quel point le sujet pouvait être source de tension dans la société française. Pourtant, le sujet a quitté depuis bien longtemps le terrain de la croyance individuelle, dans une société où le poids des confessions religieuses s’est considérablement allégé. Il est désormais au cœur d’un choix de société, au même titre d’ailleurs que la santé publique. Deux domaines dans lesquels les intérêts privés ont réussi à capter à leur profit la manne des financement publics pour créer une société à deux vitesses : aux riches les meilleures écoles et les soins de qualité, largement subventionnés, et aux pauvres un système public qui peine à faire face, avec des contraintes toujours croissantes et des moyens financiers en berne…

L. V.

Un 1er avril tout feu tout flamme

7 avril 2024

En ces temps de crise et d’austérité, la tradition potache du poisson d’avril aurait presque tendance à disparaître, comme si rire était devenu incongru dans un monde où l’on ne parle plus que conflits sanglants, menaces sur la démocratie, crise économique, perte massive de biodiversité et risque climatique majeur. Il faut dire aussi que certains sont devenus particulièrement chatouilleux et n’hésitent pas à porter plainte pour un simple gag de poisson d’avril ou, pire, à dégainer la kalachnikov pour se venger d’un dessinateur de presse trop incisif…

Le poisson d’avril, source d’inspiration d’innombrables cartes postales (source © Carte postale ancienne / Delcampe)

Et pourtant, certains restent fidèles à la tradition qui remonterait, dit-on, à l’époque de Charles IX qui décida, en 1564, de fixer définitivement le 1er jour de l’année au 1er janvier, ce qui donna l’occasion de se moquer de ceux qui continuaient de la fêter le 1er avril. En réalité, ce rite du poisson d’avril que l’on accroche dans le dos du voisin et des autres blagues potaches que l’on se permet de faire à cette date est, comme souvent, le fruit de traditions multiples qui se télescopent et ont fini par se cristalliser, y compris, peut-être depuis la plus lointaine Antiquité puisque les Grecs dédiait le 1er avril, 12 jours après l’équinoxe de printemps, au dieu du rire, ce qui leur donnait l’occasion de se faire quelques petites farces bien troussées… Une tradition d’ailleurs reprise par nos ancêtres les Romains qui avaient instauré la fête des Hilaria, plutôt le 25 mars, en l’honneur de Cybèle et du retour du printemps, et se permettaient ce jour-là quelques plaisanteries plus ou moins satiriques.

Toujours est-il que cette année encore les médias se sont fait l’écho de nombreuses fausses informations plus ou moins saugrenues publiées à l’occasion du 1er avril, à l’image de celle-ci repérée par France 3 sur le site Facebook de l’office de tourisme Esterel-Côte d’Azur qui annonce sans rire l’implantation d’une nouvelle espèce animale sur les rochers rouges de l’Esterel, en l’occurrence un petit macaque asiatique que l’on voit, sur plusieurs photos, se balader tranquillement dans les pins qui surplombe les rivages de la Côte d’Azur. De quoi susciter quelques commentaires sarcastiques de la part de visiteurs qui observent que de tels spécimens pullulent déjà sur le littoral varois en période estivale…

La biodiversité se renforce sur les pentes de l’Esterel : une nouvelle espèce est arrivée en ce 1er avril… (source © Facebook Office tourisme Esterel Côte d’Azur)

Marsactu n’est pas en reste, lui qui s’est fait l’écho d’un supposé rapport confidentiel que l’amiral Lionel Mathieu, commandant le bataillon des marins-pompiers de Marseille, aurait remis à Benoît Payan, à l’aube de l’inauguration de la marina du Prado, destinée à accueillir les prochains jeux olympiques. Un rapport explosif puisque l’amiral y évoquerait le risque excessif lié à l’arrivée par bateau de la flamme olympique, à bord du fameux Belem, le 8 mai prochain. Il est bien connu que les marins se méfient comme la peste du feu à bord des navires et l’avertissement ne manque pas de crédibilité dans une ville encore marquée par l’incendie dramatique des Nouvelles Galeries, sur la Canebière, le 28 octobre 1938, qui fit au moins 73 victimes et conduisit le gouvernement à placer la ville sous tutelle…

La flamme olympique, jugée trop inflammable par les experts des marins-pompiers de Marseille ? (source © Marsactu)

Selon Marsactu, l’adjoint au maire en charge de la sécurité, Yannick Ohanessian, qui, comme de bien entendu, ne mégote pas avec les risques d’incendie, sitôt alerté par les craintes des marins-pompiers, plancherait déjà sur une solution de repli et imagine proposer au Comité olympique de remplacer le flambeau traditionnel par une version numérique, déclarant au journaliste de Marsactu : « J’ai installé chez moi une fausse cheminée murale, tous mes amis me disent qu’on n’y voit que du feu ». Voilà un sujet qui risque en tout cas d’enflammer les esprits et de mettre de l’huile sur le feu dans un contexte politique local déjà brûlant…

Alors que la bataille fait déjà rage entre les ténors politiques marseillais, Martine Vassal et Renaud Muselier tirant quotidiennement à boulet rouges et pour le moindre prétexte contre le maire en exercice, Benoît Payan, tandis que la Secrétaire d’État en charge de la ville et de la citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, qui se présente comme « ministre de Marseille » ne rate pas une occasion de rappeler qu’elle a de hautes ambitions pour les prochaines municipales de 2026, voilà que ce 1er avril 2024 a fait surgir de nouvelles affiches électorales pour cette même échéance…

Nicolas Pagnol, déjà en lice pour les prochaines municipales à Marseille ? (source © La Provence)

Des affiches en bonne et due forme, sur fond de Vieux-Port avec l’hôtel de ville en ligne de mire, en faveur de Nicolas Pagnol, le petit fils de l’écrivain et cinéaste provençal. De fait, celui-ci ne décolère pas depuis qu’il a été évincé de la délégation de service publique pour la gestion du château de la Buzine. Ses propos acerbes à l’encontre de la municipalité marseillaise rendent de fait assez crédible un tel engagement de sa part sous une bannière elle-même très offensive puisque le slogan « Nous tous Marseille » est directement inspiré du nom du groupe de rap de Joeytstarr, NTM, et l’on sent bien que cette insulte des quartiers populaires est bien présente à l’esprit de Nicolas Pagnol lorsque ce dernier évoque le maire actuel de Marseille…  

Dans un tout autre registre, La Provence évoque également, parmi les canulars du 1er avril 2024, une annonce assez extraordinaire de la RTM qui indique, sur son compte Instagram : « Ce soir, un phénomène d’une importance rare est annoncé ! ». De quoi faire jaser la journaliste du quotidien régional qui grince : « Une rame de métro qui arrive à l’heure ? N’exagérons pas. Il s’agit d’un événement bien plus habituel : l’observation d’aurores boréales dans le ciel marseillais… ».

Réchauffement climatique ou pas, la RTM annonce des aurores boréales dans le ciel de Marseille (source © compte Instagram RTM)

Avec le dérèglement climatique global auquel on assiste, personne ne sera bientôt plus étonné de voir de tels phénomènes au-dessus de Notre-Dame de la Garde. C’est d’ailleurs précisément pour sensibiliser aux effets du changement climatique que l’artiste suisse Dan Acher avait créé en septembre 2022 une simulation d’aurore boréale dans le ciel marseillais, au-dessus des jardins du palais Longchamp. Une installation artistique impressionnante et qui a manifestement marqué les esprits des chargés de communication de la RTM, manifestement plus à l’aise pour inventer des canulars que pour répondre aux plaintes des usagers de son réseau de transport en commun exposé à des dysfonctionnements quotidiens !

L. V.

Le Parc des Calanques, à Carnoux ce soir…

4 avril 2024

Plus de 10 ans déjà se sont passés depuis la création officielle du Parc National des Calanques en 2012. Dix années au cours desquelles ce Parc National original, créé aux portes de la deuxième ville de France, dans un environnement naturel mêlant massif rocheux méditerranéen et fonds marins, s’est structuré et a mené de multiples actions souvent méconnues.

C’est pourquoi il a paru opportun d’inviter Alain Vincent, directeur de l’action territoriale du Parc National des Calanques, pour évoquer ces 10 ans d’actions et ces nombreux projets d’avenir qui se bousculent, pour mieux préserver cet espace naturel exceptionnel qui s’étend à deux pas de notre commune de Carnoux-en-Provence et favoriser les bonnes pratiques qui permettent de maintenir les usages sans menacer la biodiversité. Un subtil équilibre pour lequel il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie, et parfois d’un peu de fermeté…

Cette conférence organisée par le Cercle progressiste carnussien se tiendra ce soir, jeudi 4 avril 2024, à Carnoux dans la salle municipale du Clos Blancheton à partir de 18h30. L’accès est gratuit et ouvert à tous : profitez-en !

La Disparition menacée de disparition ?

2 avril 2024

Encore une disparition inquiétante ? Il ne s’agit cette fois ni d’un individu ni même d’une espèce biologique menacée d’extinction ou d’une cité antique perdue, mais bien d’un média. Une fois de plus pourrait-on dire, au vu des difficultés extrêmes que rencontre la presse à vivre durablement dans un environnement où chacun est saturé d’informations se télescopant en temps réel sur l’écran de notre smartphone.

La Disparition, un média épistolaire reçu dans la boîte aux lettres (source © La Disparition)

En l’occurrence, le média en question est conçu à Marseille et se présente lui-même comme un « long-courrier journalistique et littéraire », une belle formule pour décrire cet objet médiatique étrange, 100 % indépendant, sans aucune publicité, imprimé en France et adressé tous les 15 jours, sous enveloppe timbrée, à des abonnés. Une aventure singulière, lancée en janvier 2022, fruit de l’imagination et de la ténacité de deux journalistes, Annabelle Perrin et François de Monès.

Annabelle Perrin et François de Monès, les deux journalistes à l’origine de cette lettre singulière (source © La Disparition)

Elle est rédactrice en chef, choisit les sujets et se charge des relations avec les pigistes et les auteurs, tout en gérant la correspondance avec les lecteurs et les réseaux sociaux. Elle tient également une chronique chaque lundi matin sur Radio Nova, et anime le cinéclub de La Baleine, un cinéma-bistrot situé sur le cours Julien à Marseille. Lui s’occupe notamment de la relecture des articles, de la rédaction du Nota Bene, des illustrations, de la revue de presse de l’Infolettre, et accessoirement de la gestion administrative et financière.

A eux deux, ils ont d’ailleurs publié un ouvrage qui rassemble 10 de ces lettres tournant autour du terme de la disparition qui leur est chère. Un recueil éclectique où il est notamment question de ces bateaux de croisière de plus en plus gigantesques et en pleine croissance alors même que chacun dénonce l’impact écologique désastreux de ce mode de tourisme de masse, au point que certains considèrent qu’il ne s’agit que d’un anachronisme voué à disparaître mais qui a la vie dure…

Il y évoqué aussi le sort du terrain de football de Montcabrier, une petite commune du Lot, qui a vu se succéder sur sa pelouse jaunie, des générations d’amoureux du ballon rond et qui est voué à disparaître pour permettre le passage d’une autoroute.

Mohamed M’Bougar Sarr, écrivain sénégalais, recevant le prix Goncourt le 3 novembre 2021 (photo © Bertrand Guay / AFP / le Monde)

Y figure aussi le récit inédit signé de Mohamed Mbougar Sarr, romancier sénégalais lauréat du prix Goncourt 2021 pour La Plus Secrète Mémoire des hommes, qui relate une expérience qu’il a vécu au Mexique en 2022, lorsqu’il s’est retrouvé enfermé dans une ZAPI, une « zone d’enfermement pour personnes en instance », faute d’avoir pu attester de manière indubitable d’un visa en bonne en due forme. Un espace parallèle dont les occupants sont littéralement soustraits au monde de droit commun, n’ayant plus aucune possibilité de communiquer avec l’extérieur, ayant disparu du regard de leurs proches et relégués ainsi dans un lieu improbable pour une durée indéterminée, dans l’attente d’une issue incertaine sur laquelle ils n’ont aucune prise…

Le dragonnier de Socotra, une île au large du Yémen, devenue difficile d’accès (source © Globe trotting)

Plus de 40 lettres et quelques hors-séries de La Disparition sont ainsi déjà parues, traitant de sujets tout aussi éclectiques. Il y est question de la disparition de l’arbre dragon, une essence millénaire qui ne pousse que sur l’île de Socotra, au Yémen, un pays où enquêter sur les particularités botaniques relève du grand reportage de guerre. On y trouve aussi une passionnante histoire sur la disparition de la malade du sommeil, qui relate les efforts ayant permis de lutter peu à peu contre les ravages de la mouche Tsé-Tsé en République démocratique du Congo. Mais il y est aussi question de la disparition des petits pêcheurs de Guadeloupe, de celle des chauffeurs routiers aux USA ou encore de celle des Juifs en Afrique du Nord. Des enquêtes fouillées qui nous entrainent sur des sujets peu connus mais qui disent beaucoup de notre humanité et des dangers qui la guettent. Que l’on parle de la disparition des chiens du Groenland ou de celle des marais de Mésopotamie, c’est souvent le lien de l’homme à son environnement qui est en cause, mais aussi nos relations sociales et nos choix économiques, si déterminants par exemple pour cette lettre axée sur la disparition de la psychiatrie publique.

Les marais de Mésopotamie, en voie de disparition ?  (photo © Aline Deschamps / l’Humanité)

Un univers motivé par une réflexion quelque peu angoissante sur cette propension de l’humanité à vouloir faire tout disparaître, la biodiversité mondiale comme les usines françaises. Une démarche qui renvoie inéluctablement à l’exercice littéraire de Georges Pérec, dans son roman intitulé lui aussi « La disparition », écrit sans le moindre recours à la lettre « e » pourtant la plus usitée du vocabulaire français, en référence, dit-on, à la disparition si traumatisante d’« eux », ses propres parents. C’est justement d’« eux » que veut parler cette lettre bi-hebdomadaire si attachante, eux les victimes de ce monde déréglé, qui souffrent de la disparition de leurs repères comme de leurs soutiens, qui souffrent mais qui ont la force de lutter et inventent des stratégies pour rester debout malgré tout.

Une entreprise ambitieuse et qui mérite d’être saluée donc, mais qui se heurte, comme bien d’autres avant elle, à la dure réalité économique et à l’indifférence. C’est pourquoi ses promoteurs lancent un appel pour recruter de nouveaux abonnés afin de poursuivre son aventure menacée à son tour de disparition. Ils recherchent 300 abonnés supplémentaires d’ici le 15 avril pour passer le prochain cap et ne pas faire naufrage, « pour faire face à l’augmentation du prix du timbre et du papier, ainsi qu’à l’érosion du lectorat ». Tout passe, tout lasse, tout casse, c’est bien connu et « Tout doit disparaître » ; hormis peut-être cette « Disparition » si singulière et si inspirante, qui mérite vraiment de ne pas disparaître corps et biens : avis aux amateurs !..  

L. V.

Optitec : naissance, vie et fin d’un technopôle de la photonique

31 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 17 mars 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Le pôle de compétitivité Optitec a été absorbé début janvier 2024 par le pôle Solutions communicantes sécurisées (SCS) et la photonique provençale n’existe donc plus en tant que telle. C’est une aventure d’un quart de siècle qui se termineJacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, revient ici sur la genèse de l’un des précurseurs des pôles de compétitivité, le premier impliquant, à l’échelle de notre région, tous les acteurs académiques et industriels d’une même thématique sectorielle.

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

La photonique est la science et la technologie des photons, ces éléments constitutifs de la lumière, à la fois ondes et particules. Mais la photonique est en fait beaucoup plus que la lumière. Car la photonique se trouve derrière de très nombreuses technologies de la vie quotidienne. Et si l’éclairage, l’optique, la vision ou l’image restent des secteurs traditionnels de ce secteur technologique, d’autres applications majeures comme les télécommunications, la biophotonique, l’énergie ou la productique, lui ont donné un grand coup de booster depuis une trentaine d’années. Aujourd’hui, les liaisons internet, les smartphones, les ordinateurs portables, la médecine et la chirurgie, la robotique, ont vécu de véritables révolutions technologiques grâce à la photonique qui s’est révélée une source d’innovations considérable.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

La photonique, la science du XXIe siècle

C’est un volumineux rapport du National Research Council (NRC) américain qui lança en 1998 l’essor de la photonique mondiale. « Harnessing Light : Optical Science and Engineering for the 21 st Century » récapitulait les inventions (lasers, fibre optique, cristaux liquides, scanners médicaux, panneaux photovoltaïques, vision nocturne, couches minces, disques optiques, LEDs, …) au regard des potentialités de leurs utilisations (communications, informatique, écrans, santé, éclairage, détecteurs, défense, spatial, processus industriels, …). Selon ses conclusions, non seulement l’économie induite devait croître très rapidement, mais la photonique était promise à devenir la science du XXIe siècle, tout comme l’électronique fut celle du siècle précédent.

À la fin des années 1990, un bouillonnement est effectivement apparu dans certains pays et les premiers clusters de photonique avaient déjà vu le jour. En Amérique du Nord, plusieurs pôles se structuraient (Californie, Tucson, Québec). En Europe, l’Allemagne avait pris un peu d’avance avec deux associations industrielles régionales traditionnellement à forte composante optique (Jena, Berlin). En France, c’est d’abord en Île-de-France (Optics Valley), en Bretagne (Lannion autour des télécoms) et en Provence Alpes Côte d’Azur avec POPsud que le mouvement était le plus visible.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Le pôle optique et photonique POPsud 

La genèse de POPsud a sans doute été la plus originale, puisqu’elle a eu lieu autant à l’initiative de chercheurs universitaires et du CNRS, que de responsables ou cadres d’entreprises d’optique. La situation locale était tout à fait particulière : les principaux acteurs se connaissaient de longue date ! Les relations se regroupaient autour de deux grands sujets : l’astronomie et l’espace d’une part, la physique des matériaux de l’autre. Concernant la physique, par exemple, beaucoup d’entrepreneurs avaient gardé un lien avec le laboratoire où ils avaient étudié, suivi un stage, été parfois salariés, alors qu’une partie non négligeable de la recherche publique était financée sous contrats.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Le cas du spatial et de l’astronomie était différent. Les astronomes provençaux étaient largement impliqués et souvent même à l’initiative de la construction de grands instruments mondiaux (satellites, grands télescopes français à Hawaï ou européens au Chili). La fabrication de ces télescopes et l’instrumentation auxiliaire étaient régulièrement confiées à des industriels locaux. Le déclencheur du rapprochement a été la nécessité de renouveler fortement un équipement important (bancs de tests, chambres propres, refroidies ou à vide) à la fois dans les entreprises et les laboratoires. La complexité et le coût de ces équipements étaient incompatibles avec une utilisation à temps partiel. Aussi, les tout premiers projets financés par POPsud ont largement été consacrés à des « moyens mutualisés », localisés dans le privé ou le public, mais partagés.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Tout restait à inventer

Le principe de la création de POPsud avait été adopté en octobre 1999, lors d’une réunion de six fondateurs. Trois entrepreneurs : Gilbert Dahan, de SESO (13), Charles Palumbo, de Cybernetix (13) et Gérard Greiss, de SEOP (83). Trois chercheurs universitaires : François Flory, de l’Institut Fresnel (13), Farrokh Vakili, de l’Observatoire de la Côte d’Azur (06) et moi-même, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille (13). Nous ne savions pas du tout où nous allions. Tout restait à inventer. C’était grisant, mais nous étions d’accord pour tenter le coup d’une structure régionale, réellement nouvelle, qui n’avait de sens que si elle accélérait réellement le développement de la photonique dans notre région où les acteurs étaient déjà nombreux et souvent de niveau international. Notre petite histoire retiendra que nous nous étions engagés à nous reposer chaque année (et cela a été fait au moins jusqu’en 2013) la question de la prolongation du pôle. Il n’était pas question d’institutionnaliser une structure qui aurait perdu son dynamisme et son inventivité.

La Provence, une terre historique de recherche et d’essaimage industriel en optique

La Provence a été de longue date une terre de développement de l’optique, initialement autour de l’Observatoire de Marseille, initialement « Observatoire royal de la marine », créé en 1702 aux Accoules, puis transféré « en limite de la ville » en 1860 sur le plateau Longchamp. Marseille s’enorgueillit donc d’être la ville du troisième observatoire astronomique moderne construit au monde, juste après Paris (1667) et Greenwich (1675). Et surtout, Marseille fut dotée en 1865 du télescope de 80 cm de Foucault (que l’on peut toujours visiter), alors le plus grand au monde, le premier instrument associant un miroir parabolique et une réflexion par couche argentée, en rupture totale avec la tradition des lunettes astronomiques. C’est toujours le principe optique des télescopes actuels, terrestres ou spatiaux. L’instrument, révolutionnaire, disposait même d’un support de miroir actif, concept longtemps oublié, mais qui équipe aujourd’hui tous les télescopes géants modernes.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Vérifier la relativité générale d’Einstein

L’inventivité de Marseille en matière optique ne s’arrête pourtant pas là. En 1897, à l’université, alors sise rue Sénac de Meilhan en haut de la Canebière, deux physiciens, Alfred Perot et Charles Fabry, inventèrent l’interféromètre à ondes multiples qui porte leur nom, l’interféromètre de Fabry-Perot. Il s’agit d’une invention majeure de la métrologie, qui permit notamment la vérification observationnelle de la relativité générale d’Einstein lors d’une éclipse de Soleil en 1919. Aujourd’hui, elle est essentielle aux contrôles des surfaces optiques, à la mesure des déplacements infinitésimaux, aux filtrages de longueurs d’onde et est utilisée quotidiennement dans la recherche et l’industrie.

Un peu plus tard, à partir des années 1930, c’est un autre domaine d’excellence qui se développe à partir de Marseille : celui des couches minces métalliques, de quelques dizaines de microns au plus. Associées au départ à l’amélioration de l’interféromètre de Fabry-Perot, elles trouvent bien vite d’autres applications et sont aujourd’hui indispensables comme antireflet dans les composants photo-électroniques, la lunetterie, les cellules photovoltaïques.

SESO, pionnier de la photonique

Ce contexte académique a bien évidemment été déterminant dans la création en 1979 à Aix-en-Provence, de la société SESO (Société européenne de systèmes optiques), créée par des cadres issus de la société Bertin. SESO est spécialisée dans la conception et la fabrication de composants et de systèmes de précision dans le domaine de la photonique, notamment pour le secteur aéronautique et spatial.

En 1989, c’est le calcul optique qui vient compléter la panoplie, avec la création, par un jeune diplômé de l’École supérieure d’optique de Marseille, de la société Optis à La Farlède dans le Var. Avec le développement de la simulation et le prototypage virtuel en matière d’optique, Optis deviendra l’un des acteurs majeurs du secteur avant d’être rachetée en 2018 par le géant mondial de la réalité virtuelle Anzys, pour les véhicules autonomes.

Au début des années 2000, le projet Iter de fusion thermonucléaire à Cadarache s’intéresse aussi à la photonique. D’ailleurs, les contraintes d’intégration de capteurs, de lasers, d’imageurs dans un milieu radiatif hostile avec zéro défaut et zéro panne, s’apparentaient fortement à celles déjà présentes dans POPsud autour du spatial et des systèmes sous-marins.

C’est évidemment avant tout ce lien très fort existant entre une recherche universitaire établie dans le domaine des sciences de la lumière et un tissu industriel très riche dans les domaines de l’optique, qui a permis l’émergence, en 1999, du pôle d’optique et de photonique POPsud, simultanément avec la création d’Optics Valley en région parisienne, bien avant l’annonce, en 2005, des premiers pôles de compétitivité.

Un outil clé : les plateformes mutualisées

Les bonnes fées étaient présentes lors de la naissance de POPsud. Jean-Pierre Nigoghossian, ancien de Bertin, de l’Institut méditerranéen de technologie, puis directeur de la recherche et de la technologie en région, a accompagné de nombreux conseils, ce qu’il faut bien appeler une « aventure avant l’heure ». La première étude de faisabilité, réalisée par le cabinet parisien Atalaya confirmait à la fois l’anticipation du boom mondial de la photonique et les potentialités locales.

Jean-Pierre Nigoghossian (photo © CA / GoMet)

Cerise sur le gâteau, Pierre Bernhard, le fondateur et directeur de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) à Sophia-Antipolis, acceptait de présider le conseil scientifique de POPsud, alors que la photonique n’était vraiment pas sa spécialité. Mais ce recul s’avérera décisif dans la sélection et la réussite des premiers projets. Le principe novateur initial retenu fut également que 30 % du conseil stratégique ne soit pas directement lié à la photonique et que 30 % soit extérieur à la région. Tout était sur la table. Tout était à inventer. Un vrai défi collectif !

Pierre Bernhard, fondateur de l’INRIA à Sophia Antipolis (source © Sciences pour tous 06)

13 projets communs financés

Entre 2001 et 2005, 13 projets communs entreprises-laboratoires virent le jour pour un financement de sept millions d’euros, issu à 53 % du privé. Évidemment, la sélection en 2005 de POPsud (qui devient alors Optitec) dans le cadre de l’appel d’offres des pôles de compétitivité allait changer l’échelle du financement. Entre 2006 et 2012, chaque année en moyenne, dans le cadre du pôle de compétitivité, 15 à 20 projets mutualisés sont financés pour une quarantaine de millions d’euros (dont 50 % venant du privé). En 2010, Optitec s’étend à la région Languedoc-Roussillon.

15 000 emplois, 1 500 chercheurs

La labellisation comme pôle de compétitivité a indéniablement favorisé la croissance des entreprises. Selon les statistiques d’Optitec, qui ne compte strictement que les emplois liés à l’optique-photonique, en 2000, la filière régionale comptait 3 000 emplois qualifiés dans 15 000 emplois industriels associés et 1 500 chercheurs. Entre 2006 et 2012, 1 600 emplois directs qualifiés furent créés ainsi que 30 start-up avec un taux de survie de 82 %. La croissance annuelle locale était légèrement supérieure à la croissance mondiale de la photonique (15 %), ce qui en faisait un secteur régional très dynamique.

En 2013, le chiffre d’affaires des entreprises régionales de photonique atteignait 1 300 M€, concentrant 25 % des activités françaises de recherche et développement dans le secteur optique. En 2012 était inauguré, sur le technopôle de Château-Gombert, l’Hôtel Technoptic, accélérateur pour les start-up de l’optique, la photonique et des objets connectés IOT à la fois pépinière d’entreprises et hébergeur de plateformes technologiques. En 2010, Optitec était récompensé du Label de Bronze de cluster européen sous l’égide de la Commission Européenne.

Partie du Comité stratégique de POP Sud (source © archives J. Boulesteix / GoMet)

Avec un taux d’exportation de ses entreprises supérieur à 35 % à sa création et des laboratoires publics de recherche mondialement reconnus, POPsud/Optitec était naturellement tourné vers l’extérieur. Les accords d’échange et les visites d’entreprises à l’étranger furent nombreux : Singapour 2004, Israël 2004, Shangaï 2004 (Optochina), Canada 2002 et 2005, Iéna 2008 (Optonet/Zeiss), Royaume-Uni 2008, MIT et Boston University 2009, Shenzhen 2009, Brésil 2010, Espagne 2011 (SECPHO), Italie 2012 (OPTOSACANA), Russie 2011 et 2012, … En 2005, Optitec créait le Réseau optique méditerranéen (ROM), financé par l’Europe et réunissant les régions de Valence, Catalogne, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Toscane, Sardaigne, Crète et Israël.

La photonique : un domaine bouleversé par l’irruption de l’acteur chinois

Dès 2013, l’Union européenne avait identifié la photonique comme l’une des six technologies clés du XXIe siècle (KET, Key Enabling Technology). Les Chinois aussi, certainement. Car la Chine envahit alors rapidement le marché mondial de composants optiques à faible coût et rattrape à grand pas son retard sur les systèmes photoniques complexes. Avec une croissance dans ce secteur une fois et demi supérieure à celle de l’Europe et un immense marché intérieur, la Chine, qui y était quasiment absente dans les années 2000 rivalise de plein fouet avec la photonique européenne (et américaine). Le 4e plan quinquennal chinois (2021-2025) a d’ailleurs placé l’optique-photonique au cœur des technologies prioritaires. On savait déjà que la Chine était devenue le premier marché mondial de consommation des circuits intégrés avec une part du marché mondial de 34,4 %, contre 21,7 %, pour les États-Unis et 8,5 % pour l’Europe. C’est aussi le cas pour la photonique.

Pour bien en comprendre l’enjeu, il faut savoir que la science et les applications de la lumière représentent, en termes de PIB, environ 11 % de l’économie mondiale. C’est le secteur de plus forte croissance. Les revenus annuels mondiaux des produits photoniques dépassent 2 300 milliards d’euros. Cette industrie emploie plus de 4 millions de personnes. La chaîne de valeur de la photonique est très large. Elle va du verre aux systèmes très intégrés, en passant par l’éclairage, la fibre optique, les lasers, les imageurs, les panneaux photoélectriques. La photonique est présente dans tous les systèmes complexes : robots, avions, espace, smartphones, scanners médicaux, communications, ordinateurs, machines-outils, les véhicules autonomes, sans parler du militaire…

L’Hôtel Technoptic, accélérateur pour les start-up de l’optique  (source © Gomet)

Certes la France n’est pas démunie. Selon les statistiques de l’European Photonic Industry Consortium (EPIC), qui compte assez largement toutes les activités liées de près ou de loin à la photonique, l’écosystème photonique français représente 19 Md€ de chiffres d’affaires, une croissance de 7,5 % par an et 80 000 emplois. Ce n’est pas rien. D’autant plus qu’au-delà des groupes de taille mondiale comme Thales, Safran, Essilor ou Valeo, on estime le tissu riche de 1 000 entreprises dont 40 % ont moins de 10 ans. Elles génèrent une activité estimée à 15 Md€ avec plus de 80 000 emplois hautement qualifiés, opérant sur un marché mondial estimé à 525 Md€.

Le contexte de l’innovation dans lequel est né POPsud a profondément évolué en 25 ans

D’une part, contrairement à d’autres pays européens, le tissu industriel français le plus innovant à l’époque, clairement composé de PME partenaires de laboratoires de recherche publics, n’a pas vraiment réussi sa mutation vers des établissements plus importants (ETI) disposant d’une assise financière suffisante et de ressources humaines pour attaquer de gros marchés. La croissance, pourtant importante dans le secteur de la photonique, a plafonné.

À cette faiblesse structurelle très française, s’est ajouté, au fil du temps, un certain essoufflement des croisements entre les partenaires des pôles, dont les projets peinent, après quelques années, à échapper à une certaine consanguinité, qui n’a peut-être pas été assez anticipée. Or l’innovation, c’est aussi la découverte, la surprise d’un nouveau partenaire. D’où les nouvelles stratégies d’élargissement thématique et de fusion avec d’autres pôles. Enfin, les partenariats directs entre les entreprises à l’échelle mondiale se sont développés, chaque entreprise dynamique cherchant aujourd’hui à disposer d’un point d’appui sur chaque continent, au risque de créer des conflits à l’intérieur même des pôles. Le chacun pour soi s’est développé, s’éloignant toujours un peu plus de l’esprit des initiateurs des premiers pôles.

Il serait cependant bien hasardeux de penser que le renouveau des mécanismes d’innovation passe par une rationalisation ou une intégration à une échelle toujours plus grande. L’histoire enseigne que les idées naissent dans de petites entités, de petites équipes, plus favorables à l’ouverture et au dynamisme. Ce n’est pas le cas de la production ou de la percée sur les marchés, qui font appel à d’autres ressorts, pas forcément liés à une logique de pôles. C’est cette dualité que nous a permis de mieux comprendre, depuis 25 ans, l’expérience des pôles pionniers comme POPsud.

J. Bx.

David Hockney, un artiste avant-gardiste

28 mars 2024

Ce propos avait été rédigé en mai 2023, à l’occasion de la rétrospective organisée par le Musée Granet d’Aix-en-Provence à partir d’une sélection d’œuvres de David Hockney issues de la collection de la Tate Gallery de Londres. Ainsi, après quelques éléments biographiques, nous dégagerons les principales problématiques artistiques qui sous-tendent sa création, avant d’évoquer les démarches artistiques auxquelles il se réfère et enfin nous tenterons de montrer en quoi l’œuvre de David Hockney est celle d’un artiste de son temps.

Éléments biographiques

David Hockney est né en 1937 à Bradford (GB) au sein d’une famille nombreuse de classe moyenne. Comme on peut le découvrir en lisant le récent texte de Catherine Cusset intitulé « Vie de David Hockney » et édité chez Folio, le jeune David est espiègle, créatif et il aime dessiner sur tout support, y compris le journal de son père. En 1953, après ses études secondaires, il entre à l’école des Beaux-Arts de Bradford (Bradford School of Art) où il découvre différents modes d’expression (peinture, gravure, collage, photographie …), les courants artistiques de la modernité aussi bien que de la contemporanéité (cubisme, surréalisme, abstraction, Pop’art…) ainsi que des artistes comme J. Dubuffet et J. Pollock. Diplômé en 1957, il intègre le Royal College of Art de Londres. Dans cet établissement prestigieux, il se cultive énormément et parfait sa maîtrise de la peinture, de la gravure et découvre la sculpture.

David Hockney, devant certaines de ses œuvres à la galerie Lelong à Paris en 2020 (photo © Galerie Lelong / Paris Match)

En 1960, il est subjugué par les œuvres de l’exposition consacrée à Picasso. Une fois diplômé, il part pour New York, haut lieu de la penture américaine, puis en 1964 il s’installe à Los Angeles où il s’ouvre à l’esprit et au mode de vie américain. Durant cette période, il s’affirme artistiquement avec notamment sa série des grands portraits et des piscines. En 1980 il découvre, à l’occasion d’une exposition consacrée à la peinture chinoise, les modes de représentation de l’espace des artistes de l’Extrême Orient ce qui le conduit à approfondir ses recherches sur l’optique et la perspective. En 2019, il s’installe en Normandie où il s’adonne à la fois à la peinture sur de très grands formats et poursuit son exploration des possibilités créatrices offertes par les outils numériques.

Les questions artistiques en jeu dans l’œuvre de Hockney

La question fondamentale qui traverse son œuvre a été énoncée dès ses études au Royal College of Art de Londres : « Comment voyons-nous le monde et comment ce monde de temps et d’espace peut-il être capturé en deux dimensions ? ». En d’autres termes, comment rendre compte de la réalité d’objets en trois dimensions, fixes ou en mouvement, par une représentation réalisée sur un support à deux dimensions ? Il n’est pas le premier à se confronter à cette problématique. En effet, elle a germé chez Cézanne puis a nourri les artistes cubistes et traverse depuis la création moderne et contemporaine. L’adoption de la perspective inversée lui permet d’apporter des réponses personnelles à son questionnement sur la représentation. Il en est de même avec le principe de point focal en mouvement ou changeant.

La Chaise de Van Gogh, acrylique sur toile, 1988 (source © David Hockney / Connaissance des arts)  

La question de l’espace de la peinture est aussi très présente dans ses œuvres. Ainsi, dans l’œuvre de 1964 intitulée Man in Shower in Beverly Hills, David Hockney peint une figure sous la douche dans un espace figuré par le jeu des carreaux et du rideau, espace qu’il barre en diagonale en représentant un tapis. Au premier plan, comme en surimpression, il traite une plante en aplat noir affirmant ainsi un geste pictural. Enfin, dans l’angle supérieur droit, il représente en arrière-plan et comme en miniature un salon moderne et vivement coloré qui rompt la planéité du tableau. Avec ce tableau, il donne une réponse à la question : Comment fusionner espace pictural et réalité ? David Hockney parle d’ailleurs de naturalisme et non de réalisme. Son art est parfaitement figuratif, profondément ancré dans le réel, mais avec des niveaux de lecture qui se superposent et se surajoutent.

David Hockney, Man in Shower in Beverly Hills, 1964, acrylique sur toile, 167 x 167cm, Collection Tate Gallery, Londres (photo © MM / Musée Granet Aix-en-Provence, 2023)

Un autre questionnement concerne le langage de l’œuvre et en particulier le recours à des signes plastiques hétérogènes, lignes, formes, taches, dont les lettres et les chiffres qui fonctionnent aussi comme des codes.

Parmi les autres problématiques qui nourrissent le travail de David Hockney, il y a bien sûr la pratique des artistes. Nous avons déjà évoqué l’intérêt majeur pour la période cubiste de Picasso, mais aussi pour sa démarche : « Je ne fais pas des tableaux, j’explore » (P. Picasso), formule qu’il fait sienne dès les années 1970. Pour la couleur, ses intérêts se portent sur les œuvres de Paul Gauguin, de Vincent Van Gogh et d’Henri Matisse. S’agissant des grands formats plus tardifs, c’est à Monet et son travail sur le motif que l’on peut penser. Enfin, sa culture en art le conduit aussi bien à évoquer les recherches sur la perspective d’Hogarth qui a écrit un traité de la perspective en 1754 qu’à se nourrir d’œuvres plus anciennes comme les Annonciations.

David Hockney, artiste de son temps

Rappelons que lors de sa formation artistique dans les années 50, à Bradford et surtout à Londres, David Hockney a bénéficié d’un enseignement ouvert à tous les moyens d’expression dont la photographie. Cet outil demeure présent dans sa pratique. A ce propos, si de nombreuses peintures ont fait l’objet de recherches à la mine de plomb ou à l’aquarelle, les œuvres de sa période californienne sont très souvent issues de prises de vue photographiques.

Il expérimente des compositions combinant des photographies réalisées avec un appareil Polaroid. Ainsi, dans l’œuvre A Bigger Card Players, qui reprend le sujet des joueurs de cartes de Paul Cézanne, on repère sur le mur, outre une peinture du même sujet, Pearblossom Hwy de 1986 qui est un montage de « Polaroids ».

A Bigger Card Players, 2015, dessin photographique imprimé sur papier et monté sur cadre aluminium (source © David Hockney / Toledo Museum of Art)

Il utilisera aussi de nombreux montages tirages numériques comme dans l’œuvre Studio de 2017, immense tableau de 178 x 760 cm qui le représente au milieu de ses œuvres dans son atelier. Enfin, il travaille sur des supports numériques (IPad) qui lui permettent d’ajouter la dimension temporelle.

David Hockney est aussi éclectique dans sa création puisqu’à la peinture, à la photographie, à la gravure, il ajoute des scénographies et des sculptures. L’œuvre exposée, Caribbean Tea Time, datant de 1987, est une sorte de paravent sur lequel il synthétise ses recherches dans un ensemble qui n’est pas sans lien avec la structuration de l’espace par la couleur telle que la traitait Henri Matisse.

Michel Motré

CETA : c’est à n’y rien comprendre…

25 mars 2024

A trois mois des prochaines élections au Parlement européen, le rejet par le Sénat du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, constitue un véritable camouflet pour le gouvernement. Il faut dire que ces accords commerciaux, négociés en catimini par la Commission européenne, ont tendance à focaliser les critiques de tous les acteurs démocratiques ! Le sort du TAFTA, ce fameux traité de libre-échange transatlantique, pour lequel les négociations ont repris en 2019 après avoir été gelées fin 2016 suite à l’élection de Donald Trump, illustre à quel point ce type d’accord peut susciter un rejet viscéral. D’ailleurs, la France continue à s’opposer officiellement au projet pour lequel les discussions se poursuivent néanmoins, mais en excluant désormais les marchés publics et surtout l’agriculture qui focalise le plus d’inquiétudes.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur, potentiel accélérateur de la déforestation en Amazonie ? Un dessin signé Plantu, datant de juillet 2019

Le gouvernement français est également officiellement opposé à l’accord de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Mercosur, ce marché commun qui regroupe la plupart des pays d’Amérique du Sud. Lancées en 2000 et interrompues en 2004, les négociations avaient repris en 2014 et abouti à un accord en 2019, mais le Parlement européen avait rejeté le projet en octobre 2020, suite au désaccord exprimé ouvertement par la France et du fait des réticences de l’Allemagne, toutes les deux inquiètes des impacts environnementaux d’un tel accord.

Un dessin signé Marc R., publié en 2017 sur son site Marker

Avec le Canada, l’accord économique et commercial global, CETA selon son acronyme anglais (Comprehensive Economic and Trade Agrement), a été négocié à partir de 2009 et conclu dès 2014. Il a suscité alors tant de débats qu’il a fallu attendre 2 ans avant que la Commission européenne ne finisse par l’adopter en juillet 2016 avant de demander aux 27 pays membres (qui étaient alors encore 28, avant le Brexit) de le ratifier. Les pays membres l’ont signé le 30 octobre 2016, après un premier cafouillage car la Wallonie avait formellement refusé de donner son accord pour que l’État fédéral de Belgique puisse signer le document ! Le Parlement européen s’était à son tour prononcé en faveur de ce texte le 15 janvier 2017, mais en excluant le volet lié au dispositif chargé de régler les différents entre États et investisseurs, qui ne relève pas de la compétence de l’UE mais des États.

Ces mécanismes d’arbitrage par lesquels les multinationales arrivent à attaquer les législations en vigueur dans certains pays et jugées défavorables à leurs intérêts propres constituent de fait un des points de cristallisation des critiques majeures contre ces traités de libre-échange. Les exemples sont en effet désormais nombreux de multinationales, principalement américaines, qui arrivent ainsi à remettre en cause des dispositions législatives pourtant démocratiquement décidées, en matière de protection de l’environnement, de la santé ou des droits des travailleurs…

Des agriculteurs bloquent l’autoroute près de Mulhouse le 8 octobre 2019 et protestent notamment contre les traités CETA et Mercosur (photo © Sébastien Bozon / AFP / Le Monde)

Depuis 2017, l’accord CETA est considéré comme signé et il a été ratifié par 17 des États membres de l’UE, ainsi que par l’ensemble des parlements fédéraux et régionaux du Canada, lesquels se sont empressés de le faire dès 2017. La Grande-Bretagne elle-même, toujours friande de plus de libéralisme économique, l’avait ratifié avant de claquer la porte de l’Union Européenne ! De fait, le traité est désormais officiellement en vigueur depuis le 21 septembre 2017, à la seule exception des clauses, finalement assez marginales, qui concernent les investissements et le règlement des différends entre des entreprises européennes et canadiennes (tribunaux d’arbitrage) qui relèvent d’une compétence partagée entre l’UE et ses États membres. 

En revanche, si un seul des pays membres refuse de ratifier le texte et le notifie à l’UE, c’est l’ensemble du dispositif qui s’écroule puisque le texte est présenté comme un accord global. C’est déjà le cas puisque le parlement chypriote a rejeté l’accord le 1er août 2020, mais Chypre n’a pas notifié officiellement cette décision à l’UE et chacun fait donc comme si de rien n’était…

Le 23 juillet 2019, les députés français avaient voté en faveur de la ratification du CETA, malgré les exhortations de l’activiste suédoise, Greta Thunberg, venue leur parler le matin même… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

En France, où les oppositions contre cet accord de libre-échange sont nombreuses, Emmanuel Macron a tenté de faire passer le vote en catimini, en pleine trêve estivale, le 23 juillet 2019. A l’époque, il disposait pourtant d’une large majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, mais le texte avait suscité une véritable fronde de la part de certains des députés de son propre camp et n’avait alors été adopté qu’à une assez faible majorité de 266 députés alors que 213 d’entre eux se prononçaient contre. Le projet aurait dû être présenté au Sénat dans la foulée mais depuis, le gouvernement procrastine, craignant un rejet qui mettrait à mal tout l’édifice, et attendant que d’autres pays se prononcent à leur tour, dont l’Italie, où l’opinion n’est pas non plus très favorable.

Résultat du vote au Sénat le 21 mars 2024 aboutissant au rejet de la ratification du CETA : le centre mou était manifestement aux abonnés absents… (source © Sénat / La France agricole)

Mais cette course de lenteur a fini par prendre fin à l’initiative du groupe communiste au Sénat qui a profité de sa niche parlementaire pour remettre le dossier sur la table et obliger les sénateurs à sortir de leur ambiguïté. Et le résultat a confirmé que les craintes du gouvernement étaient bien fondées puisque le 21 mars 2024, le Sénat a très largement rejeté toute idée de ratification de cet accord par 211 voix contre 44. Une véritable claque pour le gouvernement ! Certes, c’est l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot mais on voit mal comment une majorité pourrait s’y dessiner désormais en faveur de la ratification de ce texte dès lors qu’il sera soumis à l’ordre du jour…

Il faut dire que cette affaire était bien mal emmanchée dès le début. Avant même l’entrée en vigueur de cet accord, le Canada était déjà un partenaire commercial de premier plan pour les pays européens, au 11e rang des exportations européennes et en 16e position pour nos importations, tandis que l’Europe constituait le 2e partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis. La Commission européenne imaginait que le CETA allait faire progresser de 25 % les échanges commerciaux avec le Canada. Elle brandit d’ailleurs des chiffres tendant à montrer que ces échanges ont bondi de 37 % depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2017. Sauf que cette augmentation s’explique en presque totalité par l’inflation des prix ! En volume, l’augmentation ne représente que 9 % et elle bénéficie surtout au Canada, les exportations européennes ayant, quant à elles, plutôt diminué depuis !

Évolution des échanges avec le Canada en volume (source © Eurostat / Le Monde)

Objectivement, les éleveurs européens ont plutôt profité jusqu’à présent de cet accord puisque les exportations européennes vers le Canada de viande bovine et surtout de fromages ont fortement augmenté depuis. Mais leur crainte est que les éleveurs canadiens ne profitent de ce cadre favorable pour investir en masse le marché européen avec leur bœuf aux hormones produit selon des normes environnementales et sanitaires nettement moins contraignantes qu’en Europe.

C’est là tout l’enjeu de ces accords de libre-échange qui profitent surtout aux grosses multinationales implantées dans des pays où les normes sanitaires et environnementales sont les plus laxistes, et qui ont donc pour effet une moindre protection des consommateurs, une concurrence accrue au détriment des petits producteurs locaux et une augmentation des flux internationaux de marchandises, ce qui va à l’encontre des efforts entrepris pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre et notre impact sur la biodiversité. C’est bien pour cette raison que la Convention citoyenne pour le climat s’était exprimé contre cet accord en juin 2020. Emmanuel Macron ne l’a pas entendu alors que même les sénateurs, pourtant réputés comme peu progressistes, ont fini par le comprendre…

L. V.