Le moulin de Barbegal à Fontvieille

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Située entre Arles et Les Baux-de-Provence, au sud-ouest du massif des Alpilles, la commune de Fontvielle doit son nom à la Fons vetus, l’ancienne source, située à proximité du lavoir municipal toujours visible et autour duquel le village s’est regroupé, probablement aux alentours du XIIe siècle. Vivant désormais surtout de l’agriculture et du tourisme, la commune a connu un essor économique important grâce à l’exploitation, dès la Renaissance, de la pierre de taille, un calcaire coquiller tendre à grains grossiers, d’âge Burdigalien, extrait aussi aux Baux et commercialisé sous le nom de pierre de Fontvieille. En 1862, la production locale était évaluée à 55 000 m3 par an, exportée à travers tout le bassin méditerranéen, surtout à partir de 1875, après l’ouverture de la ligne de chemin de fer entre Fontvieille et Arles, qui servit aussi au transport de la bauxite, une autre production locale.

Vue aérienne de la carrière de Fontvieille (source © Carrières de Provence)

La commune est désormais surtout connue pour son fameux moulin à vent de Daudet, en réalité le moulin de Saint-Pierre, construit en 1814 et qui est sans doute l’un des derniers de la commune à avoir fonctionné, jusqu’à son arrêt définitif en 1915. Contrairement à la légende, qui permet d’attirer bien des cars de touristes sur le site, depuis sa restauration en 1935, puis en 2016, l’écrivain Alphonse Daudet n’y séjourna jamais, lui qui logeait plutôt au château de Montauban lors de ses passages à Fontvieille.

Le moulin Ribet ou moulin de Saint-Pierre à Fontvieille (source © Fréquence Sud)

Son évocation du bâtiment telle qu’elle apparaît dans Les lettres de mon moulin, publiées en 1869, est d’ailleurs éloquente : « Une ruine ce moulin ; un débris croulant de pierres et de vieilles planches, qu’on n’avait pas mis au vent depuis des années et qui gisait, inutile comme un poète, alors que tout autour sur la côte la meunerie prospérait et virait à toutes ailes »…

Mais il est à Fontvieille un autre vestige de moulin, sans doute moins évocateur pour les touristes asiatiques qui débarquent en force dans ce coin de Provence. Il s’agit d’une ancienne meunerie industrielle nettement plus ancienne puisqu’elle fut aménagée au temps de la colonisation romaine. Un premier aqueduc fut construit à cet endroit aux alentours de 50 après J.-C., sous le règne de l’empereur Claude pour alimenter la ville d’Arles. Fondée en 45 avant J.-C., la colonie d’Arelate est alors une ville en plein expansion, reliée à Lugdunum par la via Aggripa et à Rome par la navigation fluviale et maritime.

Vestiges des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Cet aqueduc romain destiné à garantir l’alimentation en eau de la ville romaine captait des sources situées sur le versant nord des Alpilles, dont la source vauclusienne de Mas Crema, à Mollèges, et d’autres sans doute, peut-être jusqu’à Eygalières, ainsi que des sources situées sur le versant sud des Alpilles, notamment à Entreconque et Manville, près des Baux, et la source de l’Arcoule au nord de Paradou. Ces deux canalisations principales traversaient le vallon des Arcs sur un double aqueduc de 325 m de long et se rejoignaient dans un bassin d’où partait une conduite bifurquant plein ouest pour alimenter Arles après avoir traversé la plaine de Barbegal sur un pont en bois aujourd’hui disparu.

Tracé connu des aqueducs romains desservant en eau la ville d’Arles (source © Patrimoine Ville d’Arles)

Au début du IIe siècle après J.-C. l’ouvrage hydraulique est profondément remanié et la branche orientale, probablement créée à cette date, est prolongée par une tranchée taillée dans le rocher du chaînon de la Pène pour alimenter un complexe industriel de grande ampleur, un des plus vastes connus datant de cette époque romaine. Les fouilles réalisées par Fernand Benoit, entre 1937 et 1939, ont permis de reconnaître que les vestiges de maçonnerie qui dessinent un immense quadrilatère de 61 m de longueur et 20 m de largeur, dans la pente rocheuse en contrebas du chaînon de le Pène, sont les traces d’une ancienne meunerie industrielle qui a fonctionné au moins jusqu’au IIIe siècle après J.-C., à en juger par la datation des dépôts calcaires que l’on a retrouvés.

Vestiges de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Structurae)

Cette usine, qui appartenait probablement au propriétaire d’une riche villa voisine, était organisée autour d’un escalier central séparant deux travées constituées chacune de 8 biefs étagés en cascade, chacun d’eux étant équipé d’une roue à aube, actionnée par la chute d’eau et entraînant une meule en basalte destinée à broyer le grain. Le débit maximum de l’aqueduc étant de l’ordre de 260 l/s et la hauteur totale du dénivelé de 18 m, la puissance hydraulique de l’installation est donc évaluée à environ 50 kW, ce qui est remarquable pour un ouvrage hydraulique de cette période, peut-être attribué au charpentier arlésien Candidus Begninus, dont le sarcophage s’orne de l’inscription suivante (traduite du latin) : « il n’en fut pas de plus savant et personne ne le surpassa dans l’art des ouvrages de mécanique et dans la conduite des cours d’eau ».

Maquette reconstituant l’aspect de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Jean-Marie Borghino)

Certes, le débit aléatoire des sources des Alpilles ne permettait probablement pas au moulin de Barbegal de fonctionner toute l’année, d’autant qu’il devait sans doute ménager de longues périodes de maintenance pour assurer l’entretien d’une telle machinerie, sans compter les difficultés d’approvisionnement en céréales qui ne permettaient sans doute qu’un fonctionnement saisonnier. On considère néanmoins que la capacité de production de l’usine pouvait atteindre 5,5 tonnes par jour, ce qui est considérable et laisse penser que la farine ainsi produite ne servait pas seulement à alimenter les boulangeries d’Arles et de ses environs mais aussi à la fabrication de pain et de biscuits destinés aux nombreux navires transitant par le port fluvial d’Arelate.

Test de la roue à augets reconstituée du moulin de Barbegal (source © extrait vidéo YouTube)

Entre 2018 et 2020, une équipe de passionnés aidés de scientifiques s’était mis en tête de reconstituer une des roues à augets qui fonctionnaient sur le site de l’ancienne meunerie, sur la base des vestiges retrouvés sur place, notamment sous forme d’encroûtements calcaires déposés sur les pales de la roue. Une aventure extraordinaire, retracée dans un film et qui leur a permis de reconstruire minutieusement la roue et de la tester ensuite en vraie grandeur, avant de la mettre en exposition à l’office du tourisme de Fontvieille.

Arche dégradée des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Exposés à l’air libre sans la moindre protection, les vestiges de l’usine romaine et des aqueducs en amont se dégradent et le mortier romain, malgré sa bonne réputation, commence à sérieusement se déliter. Heureusement, le site fait partie des 18 heureux vainqueurs du Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern pour le millésime 2024. De quoi permettre d’engager enfin une restauration pour stabiliser ces vestiges particulièrement spectaculaires mais fortement abîmés. Une étude de diagnostic sanitaire menée en 2021 a confirmé l’état alarmant des voûtes de l’aqueduc encore debout, pourtant inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1937.

Partie en tranchée du canal d’amenée d’eau de l’ancienne meunerie, creusé à travers le chaînon de la Pène (photo © CPC)

L’intervention se fera sous forme de tranches successives à partir de janvier 2025, en commençant par le tronçon principal des aqueducs et en se prolongeant par les vestiges de la meunerie, puis le tronçon nord des aqueducs et le bassin de répartition, pour s’achever en 2028 si tout va bien, le tout pour un budget prévisionnel de 1,2 million d’euros. Pas de quoi remettre en service les aqueducs et l’activité industrielle induite, mais suffisamment pour sauver de la destruction définitive cet ouvrage hydraulique remarquable, témoin d’un passé prestigieux.

L. V.

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