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Le moulin de Barbegal à Fontvieille

27 avril 2024

Située entre Arles et Les Baux-de-Provence, au sud-ouest du massif des Alpilles, la commune de Fontvielle doit son nom à la Fons vetus, l’ancienne source, située à proximité du lavoir municipal toujours visible et autour duquel le village s’est regroupé, probablement aux alentours du XIIe siècle. Vivant désormais surtout de l’agriculture et du tourisme, la commune a connu un essor économique important grâce à l’exploitation, dès la Renaissance, de la pierre de taille, un calcaire coquiller tendre à grains grossiers, d’âge Burdigalien, extrait aussi aux Baux et commercialisé sous le nom de pierre de Fontvieille. En 1862, la production locale était évaluée à 55 000 m3 par an, exportée à travers tout le bassin méditerranéen, surtout à partir de 1875, après l’ouverture de la ligne de chemin de fer entre Fontvieille et Arles, qui servit aussi au transport de la bauxite, une autre production locale.

Vue aérienne de la carrière de Fontvieille (source © Carrières de Provence)

La commune est désormais surtout connue pour son fameux moulin à vent de Daudet, en réalité le moulin de Saint-Pierre, construit en 1814 et qui est sans doute l’un des derniers de la commune à avoir fonctionné, jusqu’à son arrêt définitif en 1915. Contrairement à la légende, qui permet d’attirer bien des cars de touristes sur le site, depuis sa restauration en 1935, puis en 2016, l’écrivain Alphonse Daudet n’y séjourna jamais, lui qui logeait plutôt au château de Montauban lors de ses passages à Fontvieille.

Le moulin Ribet ou moulin de Saint-Pierre à Fontvieille (source © Fréquence Sud)

Son évocation du bâtiment telle qu’elle apparaît dans Les lettres de mon moulin, publiées en 1869, est d’ailleurs éloquente : « Une ruine ce moulin ; un débris croulant de pierres et de vieilles planches, qu’on n’avait pas mis au vent depuis des années et qui gisait, inutile comme un poète, alors que tout autour sur la côte la meunerie prospérait et virait à toutes ailes »…

Mais il est à Fontvieille un autre vestige de moulin, sans doute moins évocateur pour les touristes asiatiques qui débarquent en force dans ce coin de Provence. Il s’agit d’une ancienne meunerie industrielle nettement plus ancienne puisqu’elle fut aménagée au temps de la colonisation romaine. Un premier aqueduc fut construit à cet endroit aux alentours de 50 après J.-C., sous le règne de l’empereur Claude pour alimenter la ville d’Arles. Fondée en 45 avant J.-C., la colonie d’Arelate est alors une ville en plein expansion, reliée à Lugdunum par la via Aggripa et à Rome par la navigation fluviale et maritime.

Vestiges des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Cet aqueduc romain destiné à garantir l’alimentation en eau de la ville romaine captait des sources situées sur le versant nord des Alpilles, dont la source vauclusienne de Mas Crema, à Mollèges, et d’autres sans doute, peut-être jusqu’à Eygalières, ainsi que des sources situées sur le versant sud des Alpilles, notamment à Entreconque et Manville, près des Baux, et la source de l’Arcoule au nord de Paradou. Ces deux canalisations principales traversaient le vallon des Arcs sur un double aqueduc de 325 m de long et se rejoignaient dans un bassin d’où partait une conduite bifurquant plein ouest pour alimenter Arles après avoir traversé la plaine de Barbegal sur un pont en bois aujourd’hui disparu.

Tracé connu des aqueducs romains desservant en eau la ville d’Arles (source © Patrimoine Ville d’Arles)

Au début du IIe siècle après J.-C. l’ouvrage hydraulique est profondément remanié et la branche orientale, probablement créée à cette date, est prolongée par une tranchée taillée dans le rocher du chaînon de la Pène pour alimenter un complexe industriel de grande ampleur, un des plus vastes connus datant de cette époque romaine. Les fouilles réalisées par Fernand Benoit, entre 1937 et 1939, ont permis de reconnaître que les vestiges de maçonnerie qui dessinent un immense quadrilatère de 61 m de longueur et 20 m de largeur, dans la pente rocheuse en contrebas du chaînon de le Pène, sont les traces d’une ancienne meunerie industrielle qui a fonctionné au moins jusqu’au IIIe siècle après J.-C., à en juger par la datation des dépôts calcaires que l’on a retrouvés.

Vestiges de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Structurae)

Cette usine, qui appartenait probablement au propriétaire d’une riche villa voisine, était organisée autour d’un escalier central séparant deux travées constituées chacune de 8 biefs étagés en cascade, chacun d’eux étant équipé d’une roue à aube, actionnée par la chute d’eau et entraînant une meule en basalte destinée à broyer le grain. Le débit maximum de l’aqueduc étant de l’ordre de 260 l/s et la hauteur totale du dénivelé de 18 m, la puissance hydraulique de l’installation est donc évaluée à environ 50 kW, ce qui est remarquable pour un ouvrage hydraulique de cette période, peut-être attribué au charpentier arlésien Candidus Begninus, dont le sarcophage s’orne de l’inscription suivante (traduite du latin) : « il n’en fut pas de plus savant et personne ne le surpassa dans l’art des ouvrages de mécanique et dans la conduite des cours d’eau ».

Maquette reconstituant l’aspect de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Jean-Marie Borghino)

Certes, le débit aléatoire des sources des Alpilles ne permettait probablement pas au moulin de Barbegal de fonctionner toute l’année, d’autant qu’il devait sans doute ménager de longues périodes de maintenance pour assurer l’entretien d’une telle machinerie, sans compter les difficultés d’approvisionnement en céréales qui ne permettaient sans doute qu’un fonctionnement saisonnier. On considère néanmoins que la capacité de production de l’usine pouvait atteindre 5,5 tonnes par jour, ce qui est considérable et laisse penser que la farine ainsi produite ne servait pas seulement à alimenter les boulangeries d’Arles et de ses environs mais aussi à la fabrication de pain et de biscuits destinés aux nombreux navires transitant par le port fluvial d’Arelate.

Test de la roue à augets reconstituée du moulin de Barbegal (source © extrait vidéo YouTube)

Entre 2018 et 2020, une équipe de passionnés aidés de scientifiques s’était mis en tête de reconstituer une des roues à augets qui fonctionnaient sur le site de l’ancienne meunerie, sur la base des vestiges retrouvés sur place, notamment sous forme d’encroûtements calcaires déposés sur les pales de la roue. Une aventure extraordinaire, retracée dans un film et qui leur a permis de reconstruire minutieusement la roue et de la tester ensuite en vraie grandeur, avant de la mettre en exposition à l’office du tourisme de Fontvieille.

Arche dégradée des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Exposés à l’air libre sans la moindre protection, les vestiges de l’usine romaine et des aqueducs en amont se dégradent et le mortier romain, malgré sa bonne réputation, commence à sérieusement se déliter. Heureusement, le site fait partie des 18 heureux vainqueurs du Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern pour le millésime 2024. De quoi permettre d’engager enfin une restauration pour stabiliser ces vestiges particulièrement spectaculaires mais fortement abîmés. Une étude de diagnostic sanitaire menée en 2021 a confirmé l’état alarmant des voûtes de l’aqueduc encore debout, pourtant inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1937.

Partie en tranchée du canal d’amenée d’eau de l’ancienne meunerie, creusé à travers le chaînon de la Pène (photo © CPC)

L’intervention se fera sous forme de tranches successives à partir de janvier 2025, en commençant par le tronçon principal des aqueducs et en se prolongeant par les vestiges de la meunerie, puis le tronçon nord des aqueducs et le bassin de répartition, pour s’achever en 2028 si tout va bien, le tout pour un budget prévisionnel de 1,2 million d’euros. Pas de quoi remettre en service les aqueducs et l’activité industrielle induite, mais suffisamment pour sauver de la destruction définitive cet ouvrage hydraulique remarquable, témoin d’un passé prestigieux.

L. V.

Projet Nestor : EDF vend son âme au diable…

11 mars 2024

C’est une enquête de Géraldine Hallot, de la cellule d’investigation de Radio France, qui a mis le doigt sur le malaise en train de se développer au sein des équipes d’EDF Hydro et d’EDF Renouvelables, une holding créée en 2004 et dénommée ainsi depuis 2018, filiale à 100 % d’EDF, et qui est axée surtout sur le développement de projets d’énergie éolienne, de solaire photovoltaïque et de stockage de l’électricité.

Cette filiale, forte de 3000 agents dans le monde, est implantée dans de nombreux pays dont l’Arabie Saoudite où elle exploite déjà, en consortium avec la société émiratie Masdar et le conglomérat saoudien Nesma Company, la centrale solaire de South Jeddah, d’une capacité de 300 MW, et le plus grand parc éolien en activité du Moyen-Orient, à Dumar Al Jandal. Elle vient aussi de remporter l’appel d’offre pour développer, construire et exploiter, à partir de 2025, la future centrale solaire d’Al Henakiyah, d’une capacité de 1,1 GW.

Maquette de la centrale solaire de 300 MW implantée au sud de Jeddah (photo © Masdar / PV Tech)

Des projets dont le groupe EDF peut légitimement tirer une certaine fierté, tout comme la mise en service, prévue cette année, de l’usine hydroélectrique de 420 MW sur le fleuve Sanaga, à Nachtigal, au Cameroun, et bien d’autres projets dans le monde et en France où EDF Hydro ambitionne d’augmenter de 2000 MW supplémentaires sa capacité de production hydroélectrique via l’optimisation de ses installations existantes et par le développement de stations de transfert de l’énergie par pompage (STEP), qui permettent de fait de stocker de l’énergie en remplissant des réservoirs en hauteur lorsque la production électrique est excédentaire, réservoirs dont l’eau peut ensuite être turbinée pour produire de l’électricité à la demande. Autant de projets qui contribuent à l’alimentation en électricité des populations et à la décarbonation de nos sources d’énergie.

Le prince Mohamed ben Salman faisant la promotion de son projet de ville futuriste « The Line » en 2021 (photo © Bandar al-Jaloud / Saudi Royal Palace / AFP / France TV Info)

Mais EDF s’est lancée en parallèle dans une aventure, toujours en Arabie Saoudite, qui est loin de susciter le même enthousiasme au sein de ses équipes. Il s’agit ni plus ni moins que de concevoir en plein désert une usine hydroélectrique et son réservoir de stockage, afin de garantir l’approvisionnement en électricité d’un projet urbain aussi farfelu que démesuré, tout droit sorti de l’imagination délirante du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed ben Salman, qui s’est mis en tête de créer ex nihilo, dans la province désertique de Tabuk, au nord-ouest du pays, une mégapole du nom de Neom, dont la superficie devrait approcher celle de la Belgique toute entière…

Vue d’artiste du projet « The Line », un immense gratte-ciel horizontal sur 170 km de long en plein désert (source © Neom / Vert-eco)

Ce projet pharaonique, dont la promotion est assurée à grands coups de clips hollywoodiens, prévoit notamment l’aménagement d’une station de ski en plein désert, où le prince a prévu d’organiser les jeux asiatiques d’hiver en 2029, ainsi qu’une île pour séjours touristiques de luxe sur la mer Rouge et un port flottant, mais surtout une ville-immeuble totalement futuriste. Baptisée « The Line », cette immense barre de 170 km de long sur 200 m de largeur culminera à 500 m de hauteur, nettement plus haut donc que la tour Eiffel. Dans cette ville verticale du futur, destinée à accueillir pas moins de 9 millions d’habitants, tous richissimes, les déplacements se feront tout simplement en taxis volants, tout comme dans le film de Luc Besson, « Le cinquième élément ».

Esquisses de la ville futuriste « The Line », un immense gratte-ciel horizontal sur 170 km de long en plein désert (source © Gerson Cardosso / Neom / La Republica)

Et bien entendu, pour rester dans l’air du temps, cette cité utopique au pays de l’or noir, ne consommera que de l’énergie renouvelable, à base de solaire et d’éolien. Seul petit hic : ces sources d’énergie étant par nature intermittentes, il faudra bien prévoir un dispositif de stockage pour éclairer tout ce beau monde la nuit, d’où la présence d’EDF qui a offert son expertise au prince héritier et ceci dès le mois d’octobre 2018, alors que le monde entier s’émouvait d’apprendre qu’un journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, venait d’être assassiné et proprement démembré dans les locaux de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Istambul sur ordre de ce même Mohamed ben Salman, par moment un peu irascible.

En 2021, EDF remettait un premier inventaire des sites potentiellement favorable à l’implantation de la future STEP et engageait dans la foulée les études de faisabilité désormais bien avancées de ce qui est devenu le projet Nestor. Bien entendu, construire une centrale hydroélectrique en plein désert en l’absence d’eau présente quelques menues contraintes. Pas plus cependant que d’y aménager une station de ski… Le problème a d’ailleurs été vite réglé et il suffira de prélever l’eau acheminée par pipe line depuis une usine de dessalement, quitte à construire une nouvelle usine sur la mer Rouge si la première se montre insuffisante.

Maquette du futur lac artificiel de la station de ski Trojana, intégrée dans le projet Neom (source © Neom / AFP / Libération)

Car forcément, même si la future « Line » se veut à la pointe de l’innovation et devrait présenter un mode de fonctionnement exemplaire, sa construction n’est pas neutre en termes d’empreinte environnementale. Autant le reconnaître, c’est même une totale aberration. La seule construction de la future cité nécessitera des volumes inimaginables d’acier et de béton qu’il faudra acheminer en plein désert et devrait produire à elle-seule de l’ordre de 1,8 milliard de tonnes de CO2, soit l’équivalent de quatre fois les émissions annuelles d’un pays comme la Grande-Bretagne…

Maquette des futurs immeubles d’habitation de « The Line » (source © Neom / The Line)

Et ceci pour un bénéfice social très discutable, car forcément, jouer au golf et skier dans le désert tout en se déplaçant en taxi volant ne sera pas donné à tout le monde. Au-delà de flatter l’ego de l’ambitieux prince héritier, la future Neom, si elle voit effectivement le jour, sera naturellement réservée à une élite richissime, par ailleurs soigneusement triée sur le volet et fliquée en permanence. Car on ne rigole pas avec l’autorité au pays de Mohamed ben Salman. Plusieurs membres de la tribu des Howeitat, qui ont la malchance de vivre sur le territoire du futur projet et qui se montrent quelque peu récalcitrant à céder leurs terrains ont déjà été assassinés ou arrêtés et, pour cinq d’entre eux, jugés à huis clos et condamnés à la décapitation, officiellement pour « atteinte à la sûreté d’État ».

De quoi faire tousser certains agents d’EDF, embarqués malgré eux dans ce projet délirant et bien éloigné de l’idéal de service public qui anime cet organisme depuis sa création. Une majorité d’entre eux a exprimé ses réticences et une alerte éthique a même été lancée auprès de la direction d’EDF dès 2022, tant le projet paraît à l’antithèse des objectifs de responsabilité sociétale et environnementale prônés par EDF. Mais la direction ne veut pas entendre ces doutes et, selon l’enquête menée par Radio France, un climat malsain est en train de se développer au sein des équipes, mélange de pression amicale et de menaces voilées, histoire que chacun comprenne qu’il est bien entendu libre de ses opinions mais que s’il n’est pas en phase avec le projet, il vaudrait mieux qu’il aille voir ailleurs : ambiance, ambiance…

L. V.

Les bénéfices indécents de TotalEnergies

15 février 2024

La multinationale TotalEnergies vient d’annoncer, le 7 février 2024, de nouveaux bénéfices pharamineux pour l’exercice 2023, à hauteur de 21,4 milliards de dollars (soit 19,1 milliards d’euros, mais chez ces gens-là on compte plutôt en dollars…). Une augmentation de 4 % par rapport à 2022 où les bénéfices du géant pétrolier avaient déjà enregistré un record historique de 20,5 milliards de dollars, faisant suite à un autre exercice mirobolant en 2021 qui s’était soldé par un résultat net de plus de 16 milliards de dollars.

Chez TotalEnergies, comme d’ailleurs chez ses principaux concurrents, les majors du secteur pétrolier que sont ExxonMobil, Shell, BP et Chevron, les années se suivent et se ressemblent, avec des bénéfices toujours plus plantureux issus directement de l’exploitation des énergies fossiles, celle-là même qui est à l’origine du réchauffement climatique majeur auquel la planète est confrontée.

Un dessin signé Sié, publié le 19 février 2024 sur Urtikan.net

Des bénéfices qui servent pour l’essentiel à rémunérer grassement ses actionnaires avec des dividendes en hausse de 7,1 % par rapport à 2022, une augmentation annuelle à laquelle rêveraient bien des salariés ! En 2023, ce sont ainsi 15,4 milliards d’euros qui ont été versés par TotalEnergies directement dans la poche de ses actionnaires et pas moins de 9 milliards que la firme a utilisé pour racheter ses propres actions, histoire d’en faire monter artificiellement le cours en bourse, toujours pour la plus grande satisfaction de ses actionnaires, décidément chouchoutés.

Plateforme de forage Eglin, exploitée par Total en Mer du Nord, qui avait dû être évacuée en 2012 suite à une énorme fuite de gaz (source © Total / l’Usine nouvelle)

Dans le même temps, TotalEnergies prévoit d’investir en 2024 environ 17 à 18 milliards de dollars, soit sensiblement comme en 2022 où la part d’investissement du groupe s’était élevée à 16,8 Md$. Mais en 2023 comme en 2022, et contrairement aux discours lénifiants de la multinationale pétrolière, la part qui sera investie dans les énergies renouvelables, qui était de 4,9 Md$ en 2022 ne dépassera pas 5 Md$ cette année. L’essentiel des investissements du groupe continue donc à se focaliser sur l’exploitation pétrolière et gazière : on ne tourne pas le dos aussi facilement à ses bonnes habitudes, solidement ancrées dans l’ADN de la société depuis sa création en 1924 sous le nom de Compagnie Française des Pétroles, même si cela contribue à mettre le feu à la planète, surtout quand l’activité est aussi lucrative !

La tour Coupole à La Défense, siège du groupe TotalEnergies (photo © Sabrina Budon / Paris La Défense)

Forcément, des bénéfices aussi colossaux engrangés en poursuivant des activités industrielles qui mènent l’humanité à sa perte, voilà qui fait réagir certains. « Cette année encore, l’entreprise et ses actionnaires se régalent sur le dos du climat, de la planète et des droits humains » a ainsi twitté l’association 350.org, une ONG qui milite pour une accélération de la transition énergétique et la fin du recours aux énergies fossiles. « Laisser TotalEnergies engranger ces superprofits revient à attribuer un mégabonus aux activités économiques qui aggravent le réchauffement climatique » surenchérit de son côté l’économiste Maxime Combes, spécialisé dans le suivi des politiques financières et commerciales internationales.

Il avait certes été question, en 2022, de taxer les superprofits des compagnies pétrolières qui ont de fait profité de manière éhontée d’un contexte hyper favorable grâce au renchérissement des cours du gaz et du pétrole liés notamment à l’invasion russe en Ukraine. Une contribution temporaire de solidarité a ainsi été mise en place par l’Union européenne à compter du 31 décembre 2022, mais le coût pour TotalEnergies reste très limité, évalué à 150 millions d’euros tout au plus par son PDG, Patrick Pouyanné. Ce qui ne l’a pas empêché de mettre tout son poids dans la balance pour convaincre le gouvernement français de ne pas reconduire en 2024 cette taxe exceptionnelle…

Raffinerie TotalEnergie à La Mède, au bord de l’étang de Berre, face à Martigues (photo © Boris Horvat / AFP / La Provence)

En France, TotalEnergies fait en effet la pluie et le beau temps à Bercy et bénéficie d’un régime fiscal aux petits oignons grâce à l’efficacité de ses mesures d’optimisation fiscale. La multinationale s’acquitte de taxes principalement dans les pays où elle exploite le pétrole et le gaz, mais pour le reste, elle se débrouille pour en payer le moins possible. Ainsi, en 2013, son chiffre d’affaires mondial s’élevait à 190 milliards d’euros pour un bénéfice de 14,3 milliards et la firme a payé pour 11,1 milliards d’impôts en taxes mais pas un centime au titre de l’impôt sur les sociétés en France, comme en 2012 d’ailleurs, alors que le groupe y compte pourtant environ 200 filiales et y emploie près de 27 000 salariés. En revanche TotalEnergies a perçu cette même année de la part de l’État français 19 millions d’euros au titre du Crédit d’impôt compétitivité emploi et 60 millions via le Crédit d’impôt recherche : merci le contribuable !

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies depuis la disparition de Christophe de Margerie, le 20 octobre 2014 (source © Equonet)

En 2015, Total avait publié pour la première fois une liste (très incomplète) de 903 de ses filiales à travers le monde dont 19 situés dans les paradis fiscaux que sont les Bermudes, les Bahamas ou les îles Caïman. Il était alors apparu que nombre de ses filiales se situent en réalité dans des pays moins connotés mais tout aussi performants en matière d’optimisation fiscale. C’est le cas notamment de la Suisse où TotalEnergies a établi ses activités de négoce international et de transport de gaz et de pétrole, à Genève. La quasi-totalité des hydrocarbures qui sont importés en France par TotalEnergies pour y être raffinés et ensuite revendus à la pompe transite en réalité par cette filiale suisse qui engrange l’essentiel des bénéfices dans un pays où la fiscalité est douce, ce qui permet aux activités françaises de TotalEnergies en matière de raffinage et de distribution de carburant d’être structurellement déficitaire et donc de ne pas payer d’impôts sur les sociétés.

Salle de trading de TOTSA, filiale suisse de TotalEnergies en charge du négoce international (source © TotalEnergies)

En 2023, après encore deux années successives sans payer un centime d’impôt en France, tout en continuant à engranger les crédits d’impôt du CICE, Patrick Pouyanné avait concédé de régler un peu le curseur pour contribuer symboliquement à payer un chouïa d’impôt sur le sol national, histoire de faire baisser la pression, tout en menaçant : « maintenant, si à chaque fois que nos résultats sont positifs, on veut nous prendre tous nos profits, ça posera des questions sur l’investissement à long terme ». Il semblerait néanmoins qu’il reste encore un peu de marge…

L. V.

Rejets de méthane : une belle marge de progrès en perspective ?

21 janvier 2024

Quand on évoque les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique mondial, on pense en priorité au dioxyde de carbone (CO2), dont les rejets sont considérés effectivement comme expliquant grosso modo les deux-tiers du phénomène. Mais l’on oublie souvent le méthane (CH4), dont les rejets dans l’atmosphère seraient à l’origine de 30 % de ce réchauffement climatique que l’on observe et qui devrait, selon toutes les projections, s’accélérer et s’amplifier dans les années à venir.

De fait, le méthane présente un pouvoir de réchauffement global très supérieur à celui du CO2, environ 80 fois supérieur si l’on observe son impact cumulé sur 20 ans. Mais il présente l’avantage de ne pas rester dans l’atmosphère plus d’une douzaine d’années avant de se dégrader, contrairement au dioxyde de carbone qui reste actif pendant une centaine d’années et participe donc davantage à la dégradation du climat sur le temps long. Réduire nos émissions de méthane aurait donc un impact immédiat permettant peut-être d’éviter de franchir des seuils aux effets potentiellement catastrophiques que certains scientifiques redoutent, impliquant notamment une fonte massive des pergélisols, libérant de grosses quantités de méthane et provoquant un emballement du processus…

Comment lutter contre le réchauffement climatique sans tout débrancher ? Un dessin signé Dave Whamond (source © Linkedin / Hubert Serret)

L’élevage, bovin notamment, mais aussi l’agriculture sont des sources non négligeables de rejet de méthane, mais qui pourraient devenir minoritaires par rapport aux fuites liées à l’exploitation du charbon et des hydrocarbures, à savoir le pétrole et le gaz naturel, composé justement surtout de méthane. Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ces rejets de méthane liés au secteur de l’énergie ont été très largement sous-estimées jusqu’à présent et sont en croissance, atteignant 135 millions de tonnes en 2021.

Évolution des rejets mondiaux de méthane dans l’atmosphère depuis 2000 liée à l’exploitation du pétrole (orange), du gaz naturel (violet), du charbon (jaune) et des bioénergies (vert) (source © Agence internationale de l’énergie / Énergie plus)

Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la Chine est en tête avec 28 millions de tonnes de méthane issues notamment de l’exploitation de ses mines de charbon, suivie de près par la Russie et les États-Unis, qui sont au coude à coude, suivi par d’autres pays producteurs d’hydrocarbures comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Ce classement est intéressant car il met en évidence que certains pays producteurs sont nettement plus vertueux que d’autres. Ainsi, la Norvège, pourtant 8e producteur mondial de gaz et 12e pour le pétrole, n’émet que très peu de méthane, grâce à ses équipements performants et bien entretenus. Si tous les autres pays producteurs s’alignaient sur ses pratiques, c’est 90 % des émissions mondiales de méthane issu du secteur énergétique qui pourrait être supprimé ! Selon l’AIE, si tout le gaz perdu en 2021 avait été capté et valorisé, cela aurait permis de couvrir la totalité du gaz consommé cette année-là pour la production électrique de toute l’Europe

Plateforme de forage pétrolier sur le lac Maracaibo au Venezuela (photo ©  Jose Isaac Bula Urrutia / Getty images / Orinoco)

Inversement, certains pays producteurs tels l’Algérie et surtout le Venezuela rejettent une quantité invraisemblable de gaz en proportion de leur production énergétique. Pendant longtemps, ce gaz en surplus était brûlé dans d’immenses torchères, fortement émettrices de CO2. Pour éviter ces émissions facilement repérables, de nombreux industriels ont pris l’habitude de relarguer désormais le méthane en surplus directement dans l’atmosphère, ni vu ni connu, provoquant un impact sur l’effet de serre incomparablement supérieur, surtout à court terme comme on l’a vu…

Mais depuis quelques années, les satellites d’observation permettent de repérer directement ces émissions concentrées de méthane et même de les quantifier. La start-up française Kayrros s’en est même fait une spécialité et a analysé en 2022, avec l’aide de chercheurs du CNRS et du CEA, des milliers d’images prises pendant 2 ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Cela leur a permis d’identifier pas moins de 1800 panaches de méthane supérieurs à 25 tonnes par heure, dont la plupart liés à l’exploitation d’hydrocarbures.

Carte des principales fuites de méthane repérées par satellite (source © Kayrros / L’Usine nouvelle)

Ces fuites majeures, accidentelles ou récurrentes, dépendent directement des efforts de maintenance et de la réactivité des exploitants en cas de problème. Les observations montrent ainsi d’énormes lacunes le long des principaux gazoducs russes dont le tracé est parfaitement visible depuis l’espace en suivant les panaches de méthane qui s’en échappent en permanence. On y repère aussi certains champs pétrolier ou gaziers dont l’exploitation laisse à désirer. C’est en particulier le cas des gisements d’Hassi Messaoud et d’Hassi R’Mel, exploités par la société nationale algérienne Sonatrach, et dont les fuites de méthane dans l’atmosphère sont catastrophiques.

Champs d’exploitation gazière d’Hassi Messaoud en Algérie (source © Algérie patriotique)

Mais la palme revient dans ce domaine au Turkménistan, cette ancienne république soviétique d’Asie centrale, pays indépendant depuis 1991 et dirigé depuis cette date par une dynastie autoproclamée d’autocrates, le dernier en date étant le lieutenant-colonel Serdar Berdimuhamedow, élu président en mars 2022, suite à la démission de son propre père. Ce pays dispose de réserves de gaz colossales, en quatrième place mondiale derrière la Russie, l’Iran et le Qatar. Il s’est donc imposé comme un producteur majeur de gaz, bien qu’à la 11e place mondiale seulement, mais aussi de pétrole, exportés pour l’essentiel vers la Russie et surtout la Chine. Or les observations satellite, reportées notamment dans un article publié en 2022 dans la revue Environmental Science and Technology, indique que la côte ouest du Turkménistan, sur la mer Caspienne, est l’une des principales zones d’émission de méthane du monde, avec pas moins de 4,4 millions de tonnes de méthane émis dans l’atmosphère chaque année, du fait de la vétusté de ses pipelines fuyards et surtout des pratiques de la société étatique Turkmenoil qui rejette directement dans l’atmosphère le méthane issu de ses puits de pétrole.

Installation de raffinage sur le site de Turkmenbachy au Turkménistan (source © Turkmenbashy Oil Processing Complex)

Outre ces méthodes déplorables et d’un autre âge, le Turkménistan est aussi connu pour son chaudron du Diable, surnommé « la porte de l’Enfer » à l’instar de son homologue de la taïga russe. Ce cratère de Darvaza, situé dans le désert du Karakoum, est même devenu la principale attraction touristique du pays. Les Russes y avaient installé une plateforme de forage et d’exploitation de gaz naturel en 1971 après y avoir découvert de fabuleuses réserves. Malheureusement, le forage s’est éboulé, créant en surface un vaste cratère de 70 m de diamètre qui a englouti toutes les installations minières et par où d’énormes quantités de méthane s’échappent directement à l’air libre.

Le cratère de Darvaza, « la Porte de l’Enfer », dans le désert du Karakoum, au Turkménistan (photo © Getty images / BBC)

Craignant pour la sécurité des habitants les plus proches, les Russes ont finalement préféré y mettre le feu dans les années 1980, pensant que l’incendie s’éteindrait de lui-même au bout de quelques semaines. Quarante ans plus tard, il brûle toujours et personne ne sait plus très bien quoi en faire, sinon exploiter les revenus touristiques que cette attraction mondiale procure… Les Américains ont même proposé en 2023 leur aide au président turkmène pour combler le cratère, éteindre le feu qui couve et reprendre l’exploitation du gisement toujours présent, de manière totalement désintéressée naturellement et pour le seul bien de la planète, cela va de soi !

L. V.

COP 28 à Dubaï : quel bilan ?

17 décembre 2023

Organisée par les Émirats Arabes Unis à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre 2023, la 28e Conférence des parties, 8 ans après la COP 21 de Paris, s’est donc terminée et beaucoup s’interrogent sur le bilan de cette nouvelle grand-messe planétaire qui se réunissait, comble du paradoxe, dans un pays qui doit toute sa prospérité à l’exploitation de ses réserves en hydrocarbures fossiles, gaz et pétrole, dont il détient les 7e réserves les plus importantes de la planète.

Derniers préparatifs avant la COP 28… Un dessin de Georges Chapatte, publié dans le Temps (source © X)

Celui qui présidait aux destinées de la COP 28, Sultan al-Jaber, est d’ailleurs un acteur incontournable et iconique de l’exploitation pétrolière à l’origine du réchauffement climatique planétaire qu’il s’agit désormais de contenir pour que l’humanité ait encore une chance de survivre. Président de l’Adnoc, la toute-puissante compagnie pétrolière nationale émiratie, il a étudié le génie chimique et pétrolier et le droit des affaires aux États-Unis, ce qui ne le prédisposait guère à piloter cette réunion de la dernière chance dont les scientifiques attendaient beaucoup… La société civile était d’ailleurs très sceptique quant à la capacité de Sultan al-Jaber de conduire cette nouvelle COP vers de réelles avancées malgré ses grandes ambitions en matière de développement des énergies renouvelable et de décarbonation de l’exploitation pétrolière elle-même.

Avant de commencer, autant se poser les bonnes questions… Un dessin signé Hermann, publié dans la Tribune de Genève (source © Cartooning for Peace)

Elle avait probablement raison d’être inquiète car, objectivement, à l’heure du bilan, celui de la COP 28 qui vient de s’achever est plutôt mitigé… La présence sur place de pas moins de 2500 lobbyistes de l’industrie pétrolière n’était certes pas de nature à rassurer ceux qui comptaient sur ce grand raout mondial pour acter une sortie de la dépendance aux énergies fossiles à l’origine de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre, surtout quand le secrétaire général de l’OPEP, le Koweitien Haithman al-Ghais, profite de l’événement pour inviter solennellement ses membres et leur représentants à la COP 28 à rejeter toute proposition qui viendrait gêner l’exploitation des hydrocarbures : on ne saurait être plus clair !

Offre spéciale COP 28… Un dessin signé Adene (source © X)

Le président de la COP 28, Sultan al-Jaber lui-même, s’est d’ailleurs distingué dès la première semaine en affirmant qu’il n’existait aucune preuve de l’impact des énergies fossiles sur le réchauffement climatique global, puis en indiquant que sortir de l’ère du pétrole impliquerait de revenir à l’âge des cavernes : une appréciation tout en nuances qui n’a pas dû faire beaucoup rire les scientifiques du GIEC…

Et pourtant, tous les observateurs ont salué une avancée réelle, dès le premier jour de la COP 28, sur le dossier du Fonds pour les pertes et dommages, dont la création avait été décidée lors de la COP 27, l’an dernier à Charm el-Cheikh. Depuis 1 an, les 24 pays en charge de sa préfiguration n’avaient jamais réussi à tomber d’accord quant à la manière de le rendre opérationnel et surtout de l’abonder pour aider financièrement les pays les pauvres à faire face aux dommages irréversibles causés par les sécheresses, inondations et autres cyclones devenus de plus en plus fréquents et dévastateurs.

Après les inondations en Inde près de Darrang, en août 2023, des dommages en lien direct avec le réchauffement climatique global (photo © AFP / Les Echos)

Voilà donc ce fonds doté d’engagements financiers à hauteur de 700 millions de dollars, dont 100 millions d’euros annoncés de la part de la France qui fait donc plutôt figure de bon élève en la matière… Et en parallèle, le Bureau des Nations-Unies pour la réduction des risques de catastrophes a décidé d’héberger le secrétariat du Réseau de Santiago, destiné justement à éviter les pertes et dommages consécutives aux risques naturels conséquences du changement climatique. Comme quoi, il est toujours plus facile de se mettre d’accord pour aider les victimes des catastrophes naturelles que de lutter contre l’origine même de ces risques, surtout si cela va à l’encontre des intérêts économiques majeurs…

L’heure du bilan… Un dessin signé Gobi (source © Facebook / Noirs Dessins)

De ce point de vue, les avancées issues de la COP 28 sont plutôt d’ordre sémantique que réellement engageantes. Il y a été rappelé, comme lors de la COP 26 à Glasgow, qu’il serait bien de sortir progressivement du charbon, mais sans réelle engagement. Et pour la première fois depuis que les COP se réunissent, il a été évoqué la question d’une sortie progressive du recours aux énergies fossiles. Les mots de l’accord final ont été soigneusement choisis pour éviter de froisser ceux qui tirent leurs ressources de l’exploitation des hydrocarbures, se contentant d’affirmer des objectifs finaux tels que la neutralité carbone d’ici 2050, qui reste la finalité de la COP 21, mais sans trop préciser comment y parvenir.

Sous l’influence de Sultan al-Jaber, il est évoqué un scénario qui continue de tirer le meilleur profit des hydrocarbures tout en supposant que les avancées technologiques permettront de développer rapidement des procédés de séquestration du CO2, de telle sorte que l’impact carbone de l’industrie extractive pétrolière sera considéré comme neutre pour la planète. Une utopie qui n’est guère étayée par l’état actuel des avancées scientifiques, mais qui a le mérite de permettre la poursuite du busines as usual

La climatisation contre le réchauffement climatique… Un dessin de Georges Chapatte, publié dans The Boston Globe (source © Chatillonnais en Bourgogne)

La COP 28 a aussi annoncé son ambition de tripler d’ici 2023 le recours aux énergies renouvelables, même si cette démarche reste ambiguë car l’expérience montre que ces énergies ne font que s’ajouter à celle issues des hydrocarbures et du charbon, sans s’y substituer, si bien que les émissions mondiales de gaz à effet de serre, loin de diminuer, continuent à augmenter d’année en année ! Quant à la France, elle s’enorgueillit d’avoir réussi, avec une vingtaine d’autres pays dont les USA et les Émirats Arabes Unis, à promouvoir l’énergie nucléaire comme la panacée universelle en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans pour autant renoncer au gaspillage énergétique auquel on s’est si bien habitué. On sent que l’humanité a fait incontestablement un grand pas en avant à l’occasion de cette COP 28 au pays de l’or noir…

L. V.

Un four à déchets à l’usine Arkema de Saint-Menet

16 novembre 2023

L’usine Arkema, basée dans la vallée de l’Huveaune à Saint-Menet, boulevard de la Millière, sur le territoire de Marseille mais en limite de La Penne-sur-Huveaune, fait partie de ces grands sites industriels qui ont désormais quasiment disparu du paysage national, l’essentiel de notre production industrielle, surtout celle qui relève d’activités polluantes voire dangereuses, ayant été progressivement délocalisé dans d’autres contrées, souvent à l’autre bout du monde. Un choix qui réjouit élus locaux et riverains, ravis de se débarrasser ainsi des nuisances liées à ces usines fumantes, mais qui n’est pas forcément un bon calcul en termes d’impact environnemental global…

Les installations industrielles d’Arkema à Saint-Menet (photo © Salva pictures / Facebook / Découvrir Marseille)

Délocaliser une usine, surtout dans un pays où les réglementations sont moins contraignantes, ne diminuera pas ses rejets atmosphériques ! En revanche, cela induit automatiquement une baisse des emplois qualifiés locaux, génère des nuisances supplémentaires du fait de l’augmentation des transports de matières sur de longues distances, et induit parfois des ruptures d’approvisionnement difficiles à gérer, comme on le voit fréquemment, notamment dans le secteur du médicament…

L’usine Arkema à Saint-Menet (photo © La Provence)

Toujours est-il que cette usine de Saint-Menet, qui s’étend sur près de 10 hectares en pleine zone urbanisée et que l’on ne peut pas rater lorsqu’on emprunte l’autoroute entre Aubagne et Marseille, avec ses multitudes de cheminées fumantes et son entrelacs de tuyaux en tous sens, généreusement éclairés en pleine nuit, est toujours bien active, et ceci depuis 1954, date de son implantation. Elle s’appelait à l’époque Organico et produisait 2400 tonnes par an de monomère AMINO 11, à partir d’huile de ricin, ce matériau étant ensuite polymérisé sur un autre site industriel basé à Serguigny, dans l’Eure, pour produire une fibre textile, le rilsan.

Le rilsan est un polyamide d’origine naturelle (on dit désormais « biosourcé » !) découvert en France peu avant la dernière guerre et qui concurrence parfaitement le nylon, un autre polymère inventé peu avant mais sui, lui, est un dérivé pétrolier. A l’époque, les graines de ricin, dont les propriétés laxatives et cosmétiques sont connues depuis l’Antiquité, servait pour la production de produits lubrifiants. Dès 1955, Organico produisit une centaine de tonnes de Rilsan utilisé comme fibre textile pour des vêtements légers, imperméables et résistants, mais cet usage fut stoppé dans les années 1970, du fait du prix de revient moindre du nylon. Depuis, l’usine a changé 7 fois de raison sociale, devenant Atochem puis désormais Arkema depuis 2004.

Colliers de serrage en rilsan (source © Amazon)

Le rilsan a trouvé bien d’autres débouchés, notamment dans l’industrie automobile, pour des colliers de serrage de type Serflex, des tuyaux, des selles de vélo, des semelles de chaussure, du matériel médical ou les crosses de fusils Famas, entre autres. Le site de Saint-Menet, unique en son genre en France, produit désormais 26 000 tonnes d’Amino 11 par an mais aussi 25 000 tonnes d’autres co-produits tels que la glycérine (utilisée en pharmacie ou pour les peintures), l’heptaldéhyde (destiné aux caoutchoucs et à la fabrication d’arômes artificiels) ou encore des esters méthyliques (servant de solvants et d’huiles). Le site fonctionne en continu, 24 heures sur 24, avec pas moins de 300 salariés et un arrêt programmé de temps en temps, comme cela a été le cas récemment, entre mars et mai 2023, le temps de réviser tout le matériel et de procéder aux gros travaux nécessaires.

L’approvisionnement du site Arkema de Saint-Menet par des wagons-citernes de chlore, un des risques majeurs lié au site… (source © La Provence)

Forcément, la cohabitation avec un site industriel d’une telle ampleur, le seul du territoire marseillais à être classé Seveso seuil haut, suscite quelques craintes auprès des riverains. Le Plan de prévention des risques technologiques, adopté en novembre 2013, évoque des risques de combustions, d’explosion mais aussi liés à des fuites de gaz toxiques du fait de l’emploi d’ammoniac, de brome et surtout de chlore. Le Plan particulier d’intervention de l’usine, révisé en 2019, a d’ailleurs considérablement élargi le périmètre potentiellement concerné en cas de fuite de chlore lors des opérations d’approvisionnement par rail, ce périmètre englobant désormais la ville de Carnoux en cas de mistral…

Mais voilà qu’un autre projet est en train de voir le jour sur ce site d’Arkema, qui a fait l’objet d’une concertation publique du 8 septembre au 11 octobre 2023, et qui inquiète fortement les riverains. Il s’agit de construire, sur le site d’Arkema, une nouvelle chaufferie qui serait alimentée par la combustion de CSR, un terme abscons qui désigne des « combustibles solides de récupération », autrement dit tout ce qui se retrouve non valorisé à la sortie des centres de tri sélectif de nos déchets et qui est destiné aux centres d’enfouissement ou à l’incinérateur. Les engagements législatifs récents encouragent cette valorisation pour éviter d’engorger les décharges qui débordent déjà.

Un four rotatif Rock destiné à la combustion de CSR (photo © DWE / Dalkia Wastenergy / Bioénergie)

Le porteur de ce projet est la société Dalkia, une filiale d’EDF spécialisée dans les chaufferies, et le projet a été primé par l’ADEME en 2021, ce qui lui permet de bénéficier d’une aide pour son développement. Mais c’est Dalkia qui portera l’essentiel du financement de ce projet particulièrement ambitieux puisqu’il représente un investissement de 41 millions d’euros. L’objectif est de brûler chaque année 45 000 tonnes de déchets, issus des refus de tri et qui, jusqu’à présent ne sont donc pas valorisés. Ces déchets seront apportés sur site par une dizaines de rotations de camions chaque jour. Leur combustion devrait produite 200 000 tonnes de vapeur par an, qui serviront exclusivement pour les besoins du site industriel d’Arkema, jusqu’à présent alimenté par deux chaufferies dont l’une vient tout juste d’être transformée pour passer du fuel au gaz.

Implantation de la future centrale à combustion de CSR, à l’Est du site industriel d’Arkema (source © Dossier concertation Huveaune énergie circulaire)

La combustion des déchets, telle qu’elle est envisagée, permettra donc non seulement de réduire la part de nos ordures ménagères actuellement destinée à l’enfouissement, mais contribuera aussi à la décarbonation de ce site industriel majeur. Un bel exemple d’économie circulaire à en croire ses partisans, d’autant que le gisement de déchets susceptibles de servir ainsi de combustibles est évalué à 124 000 tonnes, dans un proche environnement. Les fumées issues de la combustion seront filtrées et les cendres comme les mâchefers seront récupérées, ces derniers pouvant être valorisés comme matériaux de construction et de terrassement par le BTP. Tout est donc prévu pour que ce futur four à déchets, de surcroît source d’une quinzaine de créations d’’emplois directs, contribue de manière vertueuse à une économie circulaire que chacun appelle de ses vœux. Mais ce n’est pas pour autant que le projet déclenche l’enthousiasme parmi les riverains qui s’inquiètent surtout des futurs rejets de fumées dans le voisinage…

L. V.

Fos : l’industrie en voie de décarbonation ?

2 novembre 2023

La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer n’est pas jusqu’à présent connue pour être un modèle en matière de respect de l’environnement. Idéalement située entre l’étang de Berre, à l’Est, et le delta du Rhône à l’Ouest, la commune a été amputée en 1866 d’une partie de son vaste territoire pour donner naissance à Port-de-Bouc et à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Mais elle contrôle encore l’essentiel du golfe de Fos où se sont développés, à partir des années 1970, les bassins ouest du Grand Port maritime de Marseille qui couvrent désormais plus de 10 000 hectares, accessibles aux plus grands navires méthaniers comme porte-containers.

Terminaux pétroliers du Grand Port maritime de Marseille à Fos et Lavéra (source © GPMM / Mer et marine)

L’étang de Berre lui-même, est devenu un écosystème en perdition du fait des rejets massifs d’eau douce, tandis que ses berges sont le réceptacle de tout ce que l’industrie pétrochimique a pu créer depuis les années 1960. Toute la zone n’est qu’un entrelacs d’usines, dont 15 classées Seveso, de torchères, de hauts fourneaux, de pylônes électriques, de pipelines et de cuves, d’où émergent l’aciérie gigantesque d’Arcelor Mittal, les raffineries d’Esso et de LyondellBasel ou encore les cuves de chlore de Kem One, sans compter l’incinérateur que la communauté urbaine de Marseille y a implanté en 2010, à plus de 50 km de Marseille, dans un lieu où la qualité de l’air et des sols est déjà tellement dégradée qu’on est plus à une nuisance près…

Activité pétrochimique et sidérurgique sur le Grand Port maritime de Marseille autour de Fos, Martigues et Port-de-Bouc (photo © P. Magnein / 20 minutes)

Mais cette image de grand pôle de l’industrie sidérurgique et pétrochimique, alliée à celle d’un complexe portuaire de premier ordre, par où transitent hydrocarbures et containers, est peut-être en train d’évoluer sous l’effet de plusieurs projets qui s’inscrivent dans une logique plus vertueuse de tentative de décarbonation.

Usine sidérurgique d’Arcelor Mittal à Fos-sur-Mer (source © La Tribune)

L’un de ces projets, qui fait l’objet depuis le 30 octobre 2023, d’une vaste concertation sous l’égide de la Commission nationale du débat public, vise l’implantation, dans la zone de Caban-Tonkin, en plein cœur du complexe industrialo-portuaire de Fos, d’une immense usine de production d’hydrogène vert sur 41 ha. Le projet correspond à un investissement ambitieux de 900 millions d’euros porté par RTE et surtout H2V, une filiale de la société d’investissement française Samfi-Invest. Cette holding familiale, basée en Normandie, est issue du groupe Malherbe, un des leaders français du transport de marchandises. Cette société s’est diversifiée dans l’immobilier et, depuis 2004, dans les énergies renouvelables, avec désormais un parc éolien de 134 MW, implanté en France et en Belgique, mais aussi dans le photovoltaïque, et désormais dans la production d’hydrogène vert, via sa filiale H2V.

Maquette de l’implantation des futures installations d’H2V à Fos-sur-Mer (source © Les Nouvelles publications)

En 2016, cette dernière s’est lancée dans un ambitieux projet de fabrication d’hydrogène à grande échelle par électrolyse de l’eau, en partenariat avec RTE, le gestionnaire du réseau français de distribution de l’électricité. L’usine, implantée en Normandie, à 30 km du Havre, a obtenu son autorisation d’exploitation en 2021 et est en cours de construction. Un autre site est à l’étude près de Toulouse, ainsi donc que celui de Fos-sur-Mer dont une première tranche constituée de 2 unités de production de 100 MW chacune pourrait être opérationnelle à partir de 2028, sachant que l’objectif est d’installer ensuite 4 autres unités, soit une capacité totale visée de 600 MW.

Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) est entré au capital de H2V pour participer à ce projet qui devrait permettre de produire chaque année 84 000 tonnes d’hydrogène à faible empreinte carbonée, destiné à alimenter en énergie les industries pétrochimiques et sidérurgiques les plus émettrices de gaz à effet de serre de la zone industrialo-portuaire de Fos. La première tranche du projet prévoit également d’implanter une usine de production de méthanol de synthèse, à raison de 130 000 tonnes par an, pour servir de carburant vert au trafic maritime du port. Le prix de revient de l’hydrogène vert ainsi produit est évalué entre 4,5 et 6 € le kg, soit 2 à 3 fois plus cher que l’hydrogène produit classiquement par vaporeformage du méthane, plus économique mais fort émetteur de CO2… Contrairement à d’autres projets comparables, il ne s’agira d’ailleurs pas vraiment d’hydrogène vert puisque l’électricité utilisée, qui nécessité la construction par RTE d’un nouveau poste d’alimentation électrique, viendra directement du réseau.

Dessin d’architecte de la future implantation de l’usine Carbon à Fos-sur-Mer (photo © Q5Q / Marsactu)

Mais un autre projet ambitieux est également en cours de concertation à Fos. Il s’agit du projet Carbon, une immense usine employant 3000 personnes et s’étalant sur 62 hectares destinée à construire des cellules et des panneaux photovoltaïques, pour un investissement colossal de 1,5 milliards d’euros. La capacité de production de cette usine serait de 5 GWc et son alimentation exigera un raccordement électrique de 240 MW en continu tandis que l’activité créera un flux annuel de marchandise évalué à 490 000 tonnes, soit 20 000 containers, ce qui explique que l’entreprise CMA-CGM, se soit associée au projet !

Maquette de la future usine GravitHy sur un site du Grand Port maritime de Marseille à Fos (source © GravitHy / Usine nouvelle)

Et ce n’est pas tout car bien d’autres projets sont dans les cartons ou en voie de concrétisation qui devraient contribuer à tenter de faire évoluer cette zone industrielle à impact environnemental catastrophique sur une voie plus vertueuse. Citons notamment GravitHy, qui veut tout simplement révolutionner la production d’acier en procédant à une réduction directe du fer par l’hydrogène. Le projet, porté par un consortium industriel composé de EIT InnoEnergy, Engie New Ventures, Plug, Forvia, Primetals Technologies et le groupe Idec, envisage un investissement colossal de 2,2 milliards d’euros pour implanter une usine sur 70 ha, faisant travailler 3000 personnes dont 500 emplois directs sur site et capable de produire, à partir de 2027 si tout va bien, 2 millions de tonnes de minerai de fer pré-réduit à très bas taux de carbone, grâce à la production locale, toujours par électrolyse de l’eau, de 120 000 tonnes d’hydrogène vert par an.

Emmanuel Macron, en visite à Marseille, en juin 2023, évoquait déjà la possibilité d’implanter un réacteur nucléaire sur le site du Grand Port maritime de Marseille (photo © R. B. / Marsactu)

Des projets particulièrement ambitieux et innovants qui vont peut-être changer à terme la physionomie de cette immense zone industrielle et portuaire en faisant un pas vers cette transition écologique tant espérée. Des projets néanmoins qui ont quand même en commun de nécessiter une énergie électrique colossale, dans une région qui jusque-là ne brille pas par ses capacités de production excédentaires, un petit détail que nos responsables politiques locaux semblent tous oublier, eux qui se gargarisent à l’unisson de ce saut technologique à venir, en masquant pudiquement le fait que de tels projets ne sont probablement viables que moyennant l’implantation d’un réacteur nucléaire sur le site même de Fos, comme l’a récemment suggéré le Président de la République qui reconnaissait que la consommation électrique du GPMM nécessite la production de 4 EPR…

L. V.

COP 28 : peut-on encore espérer ?

21 septembre 2023

La prochaine Convention des parties sur le changement climatique ou COP 28 se tiendra avec un an de retard, comme les deux précédentes, puisque la COP 26, prévue à Glasgow en 2020 avait dû être reportée pour cause de Covid. Elle s’était terminée sur les images de son président, Alok Sharma, en larmes, obligé d’interrompre son discours de clôture, totalement désespéré de n’avoir pas pu obtenir la moindre avancée, même sur l’objectif pourtant vital de sortir enfin de l’utilisation du charbon comme source d’énergie.

Le président de la COP 26, Alak Sharma, en larmes lors de son discours de clôture à Glasgow, le 13 novembre 2021 (photo © Paul Ellis / AFP / Ouest France)

Cette prochaine COP 28, qui se tiendra bientôt, le 22 novembre 2023, est supposée dresser un bilan à mi-parcours, 8 ans après l’accord de Paris, premier traité international juridiquement contraignant sur le climat, arraché lors de la COP 21 et qui prévoyait, pour limiter la hausse des températures en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère industrielle, de diminuer nos émissions mondiales de gaz à effet de serre de 43 % d’ici 2030.

Mais 8 ans plus tard, les experts de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique viennent de publier, le 8 septembre dernier, leur rapport de synthèse qui rappelle sans détour que « Les émissions mondiales ne sont pas conformes aux trajectoires d’atténuation cohérentes avec l’objectif de température de l’accord de Paris ». Selon ces experts qui s’appuient sur les études du GIEC, « Il existe une fenêtre de plus en plus étroite pour relever les ambitions et mettre en œuvre les engagements existants afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels ». Sauf que l’on en est déjà à 1,2 °C d’augmentation de la température moyenne du globe par rapport à la période préindustrielle de la fin du XIXe siècle et que nos émissions mondiales de gaz à effet de serre ont encore augmenté d’environ 5 % depuis 2015, et même de 10 % si l’on extrapole la trajectoire qui aurait été suivie sans la baisse de régime ponctuelle imposée par la période de confinement mondial !

Évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1950 et trajectoire à respecter pour obéir aux engagements de l’accord de Paris (source © CCNUCC)

En avril 2023, le rapport annuel de l’Organisation météorologique mondiale rappelait que les années 2015-2022 ont été les plus chaudes jamais enregistrées sachant que de nouveaux records de température ont encore été battus cet été. Il soulignait le fait que jamais le niveau des glaces de l’Antarctique n’avait été aussi bas et que les glaciers alpins avaient désormais connu un recul historique jamais observé et très certainement irréversible. Il mentionnait aussi les innombrables catastrophes climatiques observées en 2022 avec notamment un épisode de sécheresse prolongé en Afrique de l’Est, des précipitations record au Pakistan ou en Australie et des vagues de chaleur sans précédent en Chine et en Europe. Une tendance qui s’est encore accentuée en 2023 avec ces incendies inédits au Canada ou en Grèce par exemple.

L’Atlas de de la mortalité et des pertes économiques dues à des phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes, publié par la même organisation internationale pour la période 1970-2019, fait ainsi état de pas moins de 11 000 catastrophes naturelles de ce type recensées au cours des 50 dernières années, faisant un total de dommages évalué à plus de 2 millions de morts et au moins 3,64 milliards de dollars de dégâts matériels : le coût de l’inaction ? Sans compter la pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles, au premier rang desquels l’eau, de plus en plus source de conflits et de restrictions.

Lutte contre un incendie de forêt en Grèce durant l’été 2023 : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs »… (photo © Angelos Tzortzinis / AFP / Courrier International)

Alors, peut-on encore être optimiste à l’approche de cette nouvelle COP qui se tiendra, comble de l’absurde, aux Émirats arabes unis et sera présidée par le ministre de l’industrie émirati, Sultan bin Ahmed al-Jaber, PDG depuis 2016 de la Abu Dhabi National Oil Company, la principale société pétrolière du pays, dotée des quatrièmes réserves mondiales de pétrole, une structure en pleine expansion dont la filière gazière, ADNOC Gas, a levé plus de 2,3 milliards d’euros lors de son introduction en bourse, début 2023 ?

Sultan bin Ahmed al-Jaber, futur président de la COP 28 (source © AFP / La Libre Belgique)

Certes, ce même Ahmed al-Jaber avait lancé en 2006 le projet de nouvelle ville écologique, Masdar City, édifiée en plein désert à 30 km d’Abu Dhabi et à proximité de son aéroport international, futur laboratoire du développement des énergies renouvelables, à l’instar de la ville de Neom projetée en Arabie Saoudite. Mais 17 ans plus tard, le projet, mis en sommeil durant la crise financière de 2008 n’est loin d’être abouti et a tout de la ville fantôme, n’abritant guère que les étudiants (rémunérés) de l‘Institut des sciences et des technologies, ainsi que le siège de l’IRENA, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables.

Maquette de la ville de Masdar, une ville écologique du futur en plein désert, pour l’instant toujours en chantier… (source © Urban attitude)

Bien sûr, les plus optimistes font valoir que le Moyen-Orient, malgré ses réserves colossales de gaz et de pétrole dont l’exploitation assure l’essentiel des revenus, a tout intérêt à se préoccuper du changement climatique global, non seulement parce qu’elle est en passe de devenir un des gros émetteurs de gaz à effets de serre (un habitant de Dubaï émet en moyenne 19,3 tonnes de gaz à effet de serre par an, en 4e position mondiale, derrière le Qatar, le Koweit et l’Arabie Saoudite !), mais surtout parce qu’elle risque d’en être une des premières victimes. On considère en effet qu’entre 1981 et 2019, cette région a subi un réchauffement climatique moyen de 0,45 °C tous les 10 ans, quasiment le double de celui observé en moyenne à l’échelle planétaire, estimé à 0,23 °C par décennie.

Le Jetcar, nouvelle aberration écologique à la mode de Dubaï (source © Jetcar / Natura sciences)

Le choix de tenir la prochaine COP à Dubaï pourrait donc avoir un sens si cela traduisait une réelle volonté des Émirats arabes unis de sortir enfin de leur dépendance extrême aux hydrocarbures et de prôner une plus grande sobriété énergétique. On peut néanmoins en douter quand on voir les gratte-ciel climatisés à outrance, les Hummer disproportionnés, les pistes de ski indoor dans les centres commerciaux, ou encore les jetcars, ces bolides vrombissants qui envahissent la rade de Dubaï et que l’on peut louer pour la modique somme de 600 € de l’heure : le symbole parfait du monde de demain, tel sans doute qu’il ressortira de la prochaine COP 28 ?

L. V.

Les géants du pétrole redressent la tête

24 juillet 2023

En 2020, au plus fort du confinement mondial lié à la pandémie de Covid 19, le prix des hydrocarbures était en pleine dégringolade, suite au brusque ralentissement de l’activité économique planétaire. A cette période pas si lointaine, il y a 3 ans seulement, les compagnies pétrolières elles-mêmes juraient, la main sur le cœur, que la transition énergétique était en marche, que la période faste du recours massif aux hydrocarbures fossiles était passée et que leur priorité était désormais de développer les énergies renouvelables.

Après la période Covid, la hausse des prix du pétrole, une manne pour les pays producteurs… un dessin de Dilem pour le journal Liberté, publié le 20 mai 2020 (source © Gagdz)

Le nouveau patron de BP l’affirmait sans ambages : « Le budget carbone du monde s’épuise rapidement ; nous avons besoin d’une transition rapide vers la neutralité », tandis que le français Total décidait en 2021 de changer de raison sociale et de s’appeler désormais TotalEnergies, pour bien montrer son ambition de diversification ou du moins de le faire croire à ses clients, à l’instar d’ailleurs de ses 2 concurrents européens Shell et ENI, qui promettent de leur côté d’atteindre la neutralité carbone dès 2050.

Fin 2020, le géant américain ExxonMobil se faisait carrément éjecter du Dow Jones après une spectaculaire dépréciation de sa valeur boursière et devait tailler dans ses investissements en matière d’exploration pétrolière. A l’époque, chacun lorgnait sur l’exemple du danois Orsted qui avait abandonné dès 2018 le marché du pétrole pour se consacrer exclusivement aux énergies renouvelables et qui a vu le prix de ses actions bondir de 60 % en 2020 !

Des supertankers pour transporter toujours plus de pétrole de par le monde (photo © G. Traschuetz / Pixabay / Futura Sciences)

Et puis la guerre en Ukraine est arrivée, début 2022, dans un contexte de redémarrage de l’activité économique. Les exportations massives de pétrole et de gaz russe qui inondaient l’Europe notamment, se sont progressivement réduites. Du coup, le cours des hydrocarbures s’est remis à flamber, et avec lui les bénéfices des compagnies pétrolières. En 2022, les cinq majors (ExxonMobil, Chevron, Shell, TotalEnergies et BP) ont enregistré un bénéfice net record de 151 milliards de dollars, et même de plus de 200 milliards si l’on en déduit les pertes conjoncturelles liées au retrait forcé du marché russe !

Les compagnies pétrolières ont profité de la conjoncture pour s’en mettre plein les poches : un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

En mars 2022, le baril de Brent frôlait le prix record de 140 dollars, près de 3 fois plus qu’en 2020, tandis que le gaz se négociait à l’été 2022 en Europe à 350 € le MWh, plus de 15 fois son tarif habituel… Du coup, TotalEnergies annonçait pour l’exercice 2022 un bénéfice record de 20,5 milliards de dollars, de quoi redonner un large sourire à ses actionnaires, grassement rémunérés. Et la période faste s’est poursuivie en 2023, ExxonMobile et Chevron, les deux géants américains, annonçant fin avril des bénéfices trimestriels très supérieurs à leurs prévisions, grâce notamment à une forte augmentation de l’extraction de pétrole et de gaz ! Quant à TotalEnergies, la compagnie annonçait à son tour un bénéfice record de 5,6 milliards de dollars pour le premier trimestre 2023, en hausse de 12 % par rapport à 2022.

Dans ce contexte d’euphorie généralisée, les compagnies pétrolières ont totalement oublié leurs belles promesses d’il y a 3 ans ! Mi-juin 2023, le nouveau patron de Shell, Wael Sawan, a ainsi annoncé sans vergogne qu’il n’avait plus la moindre intention de tenir ses engagements en matière de transition énergétique et que son objectif était désormais de concurrencer ExxonMobil dans sa course à l’exploitation massive d’hydrocarbures.

L’exploitation pétrolière en plein boom : oublié la lutte contre le réchauffement climatique… (source © Midi Libre)

De son côté, la firme BP a annoncé dès février 2023 qu’elle renonçait carrément à son objectif initial de neutralité carbone, préférant engranger des profits, et tant pis si l’humanité doit y passer, sous l’effet du changement climatique global qui s’accélère de jour en jour… Même TotalEnergies a annoncé la couleur lors de l’assemblée générale de ses actionnaires en mai 2023, confirmant qu’il n’était pas question de réduire la voilure en matière d’exploitation pétrolière et gazière alors même que la demande mondiale explose ! Une prise de position qui a valu à son PDG de voir son salaire augmenté de 10 % et d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur lors de la promotion du 14 juillet : félicitations !

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, ici en 2021 avec Emmanuel Macron, élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur : un petit geste pour la planète ? (photo © Ludovic Marin / AFP / La Voix du Nord)

Les dernières projections de l’Agence internationale de l’énergie estiment en effet que la demande mondiale de pétrole n’a jamais été aussi haute et devrait atteindre pour l’année 2023 un record historique évalué à 102,3 millions de barils par jour en moyenne annuelle, supérieure donc au précédent record qui datait de 2019, avant la crise du Covid, à une période où un consensus était en train d’émerger (difficilement) pour tenter de s’orienter vers une baisse globale du recours aux énergies fossiles pour tenter de se rapprocher des objectifs de la COP 21.

Quand l’offre peine à satisfaire la demande, c’est le jackpot pour les compagnies pétrolières : un dessin signé Delize (source © Atlantico)

Toutes ces belles intentions semblent désormais complètement oubliées. Les États-Unis notamment ont retrouvé dès 2022 leur niveau record de production de pétrole brut établi en 2019 et espèrent bien le dépasser en 2023, et plus encore en 2024. La reprise du trafic aérien après la période de confinement a fait repartir à la hausse la demande mondiale de kérosène qui n’a jamais été aussi élevée, sous l’effet d’une reprise économique. La planète peut bien se réchauffer à grande vitesse, il n’est plus du tout d’actualité que les compagnies pétrolières et gazières mondiales fassent le moindre effort pour freiner leur exploitation : advienne que pourra !

L. V.

Forage pétrolier : la Chine s’enfonce…

20 juillet 2023

Alors que le réchauffement climatique mondial est d’ores et déjà irréversible et que nos émissions qui en sont la cause ne sont pas près de diminuer malgré maints engagements, rarement suivis d’effets, la Chine est sans conteste le champion mondial en matière de pollution de notre environnement. Elle produit à elle seule un quart des émissions de gaz à effet de serre de la planète ! Rien d’étonnant à cela vu son nombre d’habitants, bien que dépassé depuis peu par l’Inde, et surtout parce que la Chine s’est imposée comme le principal producteur de tout ce que nous consommons quotidiennement et que nous faisons venir par porte-containers géants à travers les océans…

Le président chinois Xi Jinping intervenant lors de la 75e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2020 (photo © Eskinder Debebe / ONU)

Certes, en septembre 2020, le président chinois Xi Jinping en personne avait annoncé solennellement devant l’Assemblée générale de l’ONU que son pays avait pour objectif de de « commencer à faire baisser les émissions de CO2 avant 2030 » puis d’atteindre « la neutralité carbone d’ici 2060 », mais sans se hasarder à donner le moindre détail quant à la voie pour y parvenir.

Centrale solaire à concentration, la plus grande d’Asie, achevée en Chine, à Dunhuang, en décembre 2018, dans le désert de Gobi, pour une puissance installée de 100 MWc (photo © Stringer / Imagechina / Sciences et Avenir)

Certes, la Chine s’est depuis quelques années imposée comme un pays particulièrement dynamique en matière de développement des énergies renouvelables. Ainsi, les Chinois possèdent depuis 2010 le premier parc éolien mondial en termes de puissance installée, regroupant 47 % du parc éolien terrestre mondial et 57 % du parc maritime. En 2021, la Chine a produit plus de 35 % de toute l’électricité mondiale d’origine éolienne et est considérée depuis plus de 10 ans comme le premier producteur mondial d’éoliennes. Quant au solaire, la Chine peut s’enorgueillir de produire à elle seule 73 % de l’eau chaude solaire mondiale et 32 % de l’électricité d’origine photovoltaïque, avec une puissance installée représentant en 2022 44 % du parc mondial, très loin devant les autres pays !

Usine de traitement du charbon à Hejin (province du Shanxi) en novembre 2019 (photo © AP / TV5 monde)

Et pourtant, la Chine reste très dépendante des énergies fossiles et notamment du charbon dont la consommation annuelle a été multipliée par 4 entre 1990 et 2015 ! Premier producteur mondial de charbon en 2020, la Chine en retire encore 70 % de sa consommation énergétique… Quant au pétrole, la Chine en produit également mais est devenue importateur net depuis 1993 avec des besoins croissants, les hydrocarbures représentant 25 % de sa consommation en énergie primaire. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Chine a ainsi quasiment doublé ses importations de pétrole russe et est désormais considéré comme le premier importateur mondial avec près de 13 millions de barils par jour en 2021 alors que la production nationale était estimée en 2016 à environ 4 millions de barils par jour.

Forage d’exploration pétrolière dans le champ de Changqing en Mongolie intérieur (bassin d’Ordos), où a été découverte la principale réserve chinoise de pétrole de schiste (photo © CNPC / People Daily)

Le rapport annuel 2022 sur les ressources minérales de la Chine fait état de réserves pétrolières connues évaluées à 3,7 milliards de tonnes de pétrole et 6 340 milliards de m3 de gaz naturel, les sites pétroliers les plus prometteurs étant les bassins d’Ordos, de Junggar, du Sichuan, de la baie de Bohai et du Tarim. Ce dernier, situé à l’extrémité nord-ouest du pays, dans la région autonome Ouïgour du Xinjiang, correspond au plus vaste bassin endoréique du monde, celui du fleuve Tarim, alimenté par les glaciers du Pamir qui culmine à plus de 7000 m d’altitude et s’étend surtout au Tadjikistan voisin, les eaux du Tarim se perdant ensuite dans l’immensité désertique du Taklamakan.

Vue générale de la plateforme de forage, en plein désert (source © capture d’écran New China TV / Xinhua news)

Le 30 mai 2023, la société chinoise China Petroleum & Chemical Corporation (groupe Sinopec) a annoncé y avoir débuté le forage d’un nouveau puits dénommé Deep Earth 1-Yuejin 3-3XC, dans le comté de Shaya, à la lisière du vaste désert du Taklamakan. Réalisée par la société chinoise Sinopec Oilfield Service Corporation, cette opération de forage est particulièrement complexe et fait appel à une expertise technologique très sophistiquée. Une plateforme de forage gigantesque a été aménagée en pleine zone désertique, équipée d’un derrick monumental pesant plus de 2000 tonnes avec des installations de forage ultra-puissantes et des systèmes d’enregistrement en continu des paramètres de forages, capables de résister aux températures et aux pressions élevées régnant en profondeur.

L’opération, largement médiatisée, vise à atteindre la profondeur impressionnante de 9 472 m dont probablement plus de 3000 m en forage horizontal dirigé, ce qui nécessite des techniques de guidage particulièrement complexes. Cela devrait en faire le forage pétrolier le plus profond d’Asie, même si cela reste en-deçà du record atteint par les Russes sur la presqu’île de Kola à plus de 12 000 m de profondeur. Il avait cependant fallu près de 20 ans aux Russes pour atteindre difficilement un tel niveau et ils avaient finalement jeté l’éponge face aux difficultés techniques (et financières) rencontrées. Les Chinois eux espèrent achever leur forage en 457 jours seulement !

Plateforme de forage du puits avec son derrick monumental (source © Xinhua news)

La Chine a choisi de communiquer largement sur cette opération de forage, laissant entendre qu’il s’agit d’une expérimentation scientifique exceptionnelle qui permettra de mieux comprendre la constitution de la croûte terrestre. Mais il s’agit en réalité simplement d’étaler au monde entier la capacité technique remarquable de ses équipes dans ce qui n’est qu’un forage d’exploration pétrolière dans ce champ pétrolier du Shunbei, en bordure du bassin du Tarim, où Sinopec avait annoncé en août 2022 avoir déjà découvert des réserves pétrolières estimées à 1,7 milliard de tonnes de brut, à une profondeur moyenne de plus de 7 000 m. Une quinzaine de puits serait d’ailleurs déjà en production et cette même société annonce désormais y avoir déjà foré pas moins de 49 puits à plus de 8000 m de profondeur.

Ultimes réglages avant de débuter le forage… (source © Xinhua news)

Le lancement de ce nouveau forage est donc un message supplémentaire pour prouver au monde que la Chine détient des réserves pétrolières importantes, qui plus est en territoire ouïgour où sa politique colonisatrice assez brutale fait l’objet de nombreuses protestations occidentales, et qu’elle maîtrise parfaitement les technologies les plus complexes pour en assurer l’exploration et la mise en exploitation malgré les conditions extrêmes : fermez le ban !

L. V.

Des panneaux solaires sur le bitume !

12 juin 2023

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on souvent, mais la route est parfois pavée de mauvaises innovations, pourrait-on ajouter, au vu du fiasco qu’a constitué le déploiement du premier tronçon de route avec revêtement solaire, inauguré en grandes pompes en décembre 2016 par Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement. L’idée paraissait pourtant séduisante et l’entreprise Colas se gargarisait alors de sa technologie hautement innovante, pompeusement baptisée Wattway, « premier revêtement photovoltaïque circulable au monde ». Constitué de dalles très minces de quelques mm d’épaisseur, ce revêtement était collé directement sur la chaussée, évitant ainsi les risques de vol.

Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, lors de l’inauguration du premier tronçon de la route solaire à Tourouvre, en Normandie, le 22 décembre 2016 (photo © Charly Triballeau / AFP / Le Monde)

Un premier tronçon de 1 km de route départementale avait ainsi été équipé en 2016, dans la petite commune de Tourouvre-en-Perche, en partenariat avec le Département de l’Orne. Après ce premier test grandeur nature, l’industrialisation du procédé était programmée dès 2017, avant de couvrir tout le réseau routier français de millions de mètres carrés dès 2020. Peu après d’ailleurs, en 2018, les Chinois inauguraient à leur tour un tronçon de 1,6 km d’autoroute recouverte de cellules photovoltaïques à Jinan, dans la province du Shandong, un dispositif conçu par le fabricant local Pavenergy et mis en œuvre par une entreprise de construction routière.

A l’époque, chacun s’extasiait sur cette innovation technologique majeure promise à un avenir brillant, permettant de valoriser l’espace routier pour y produire de l’électricité pouvant servir aussi bien à déneiger les routes l’hiver qu’à alimenter la signalisation routière voire à recharger directement les quelques voitures électriques à induction circulant sur la chaussée. Mais force est de constater que l’on a vite déchanté. Dès 2019, un article du Monde dressait un bilan calamiteux de l’expérience normande où, en l’espace de 2 ans seulement, une bonne partie des cellules photovoltaïques s’étaient décollées ou avaient été arrachées sous l’effet de la friction des pneus tandis que le rendement énergétique était bien moindre qu’espéré, du simple fait des salissures et des feuilles tombant sur la chaussée. Celle-ci s’est également avérée très bruyante et peu adhérente, à tel point que la vitesse a dû y être limitée à 70 km/h et on a même vu le dispositif disjoncter en cas d’orages…

Côté chinois, le bilan est tout aussi calamiteux, dans ce pays pourtant en pointe en matière de développement des énergies renouvelables et premier producteur mondial d’électricité photovoltaïque. Sept des dix plus grosses entreprises mondiales fabricant des panneaux photovoltaïques sont chinoises, ce pays fournissant près de 70 % des modules photovoltaïques du monde et étant à l’origine de 44 % de l’électricité solaire produite dans le monde, très loin devant les États-Unis, le Japon, l’Inde ou même l’Allemagne, sans même parler de la France.

Travailleurs chinois installant des panneaux solaires sur un toit à Beijing en 2011 (photo © ChinaFotoPress / MaxPPP / La Croix)

Mais en Chine comme en France il a bien fallu se rendre à l’évidence et constater que recouvrir l’asphalte routier de panneaux solaires coûte très cher (la seule expérience de Tourouvre a nécessité d’injecter plus de 5 millions d’euros d’argent public) et n’est guère rentable, dans l’état actuel des choses. L’entreprise Wattways s’est d’ailleurs depuis reconvertie vers l’installation de petites surfaces de capteurs photovoltaïques, destinés à alimenter des dispositifs de signalisation routière, d’éclairage ou de vidéosurveillance, non raccordés au réseau.

Panneaux photovoltaïques Wattways sur une piste cyclable le long du canal de l’Ourcq à Bobigny, permettant d’éclairer un passage sous un pont SNCF (photo © C.G. / Le Parisien)

Pour autant, l’idée d’exploiter le réseau routier voire ferroviaire pour y produire de l’électricité solaire est loin d’être abandonnée. Le bureau d’étude Carbone 4 avait d’ailleurs réalisé en 2017 une étude visant à explorer la voie de l’électrification des autoroutes les plus fréquentées. Partant du principe que le transport routier consomme en France 30 % de l’énergie et émet une proportion comparable des émissions de gaz à effet de serre du pays, dont la moitié pour le seul transport de fret par camion, il y a une vraie nécessité à réfléchir à des solutions alternatives. Le fret ferroviaire ne cesse de perdre des parts de marché et est devenu marginal dans le transport de marchandise, n’étant rentable que pour des acheminements sur de longues distance, pour des produits pondéreux en vrac et non périssables.

Électrifier les camions ne paraît pas judicieux, du moins avec les technologies actuelles, à cause du poids excessif des batteries et de leur autonomie limitée. On pourrait en revanche imaginer des poids lourds hybrides utilisant leur moteur électrique sur les grands axes de circulation à condition d’équiper ces derniers de dispositifs d’alimentation électrique continue. Pour cela, plusieurs idées seraient à l’étude avec une alimentation des véhicules par caténaires, par rail central ou par induction notamment, au moins sur une voie, pour permettre la circulation des poids lourds à moindre impact écologique sur ces grands axes, avec des niveaux d’investissement financier qui ne paraissent pas démesurés. Un tronçon test de 5 km a d’ailleurs déjà été équipé de caténaires pour camions en Allemagne près de Francfort en 2019 pour évaluer l’intérêt du dispositif.

Camions avec pantographe sur le tronçon expérimental d’autoroute près de Francfort équipé de caténaires (photo © Silas Stein / AFP / DPA Pictures-Alliance / Europe camions)

En attendant, nombreux sont ceux qui lorgnent sur les espaces disponibles le long des grands axes routiers et autoroutiers, ainsi que sur les délaissés de voirie, voire les aires d’autoroutes que beaucoup rêvent de couvrir d’ombrières photovoltaïques. Certains élus de la Ville de Marseille imaginent ainsi couvrir la L2 de panneaux solaires dans ses traversées urbaines, mais le concessionnaire autoroutier APRR, du groupe Eiffage, a déjà installé plusieurs centrales photovoltaïques au sol sur ses délaissés fonciers, en Savoie ou en Bourgogne notamment.

Centrale photovoltaïque au sol inaugurée en juin 2022 par TotalEnergies, Altergie Développement et APRR sur un délaissé de l’autoroute A6 à Boyer et Jugy en Saône-et-Loire (photo © Erolf productions / L’écho du solaire)

Quant à son concurrent, Vinci autoroutes, il annonçait par la voie de son président en mars 2023, envisager de couvrir de panneaux solaires tout son patrimoine foncier disponible le long de ses 4443 km de réseau autoroutier concédé, soit 1000 hectares disponibles, auquel il rajouterait bien les 4000 hectares du réseau ferré de la SNCF, de quoi fournir autant d’électricité que 5 centrales nucléaires, le tout pour un investissement qu’il évalue à 5 milliards d’euros seulement, soit 5 fois moins cher que le coût de construction de la centrale EPR de Flamanville : à ce prix-là, pourquoi hésiter ?

L. V.

Un volant en béton pour stocker l’énergie solaire ?

3 juin 2023

En matière d’innovation, il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées. Encore faut-il savoir les défendre avec conviction et persévérance pour espérer les voir se concrétiser. C’est peut-être le cas de cet ingénieur en mécanique, André Gennesseaux, ancien de chez Total, qui avait su captiver son auditoire, fin 2015, en expliquant de manière très pédagogique, son intuition révolutionnaire, à l’occasion d’une conférence organisée à Paris dans le cadre du programme TEDx, un cycle de conférences inspiré par une association américaine qui promeut des « idées qui méritent d’être diffusées » via ces conférences « Technology, Entertainement and Design »…

Conférence donnée par André Genesseaux fin 2015 dans le cadre du programme TEDx à Paris (source © YouTube)

Comme il l’explique très bien, tout l’enjeu est de rechercher une manière simple et économique de stocker l’énergie solaire dont la production est peu coûteuse mais intermittente. Produire de l’électricité par capteurs photovoltaïques coûte de moins en moins cher, de l’ordre de 2 centimes le kWh, moins que le charbon (autour de 4), que le nucléaire (5 à 10 selon les filières) ou encore que le gaz (autour de 6). Mais comme la production est intermittente, il faut la stocker et cela suppose d’utiliser des batteries dont la production coûte cher et est exigeante en matières premières rare, qu’il est difficile de recycler et dont la durée de vie est limitée, leur efficacité diminuant rapidement avec le temps.

André Gennesseaux devant l’un de ses volants d’inertie VOSS (photo © Thibault Quartier / Le Trois info)

D’où cette quête effrénée d’une solution alternative pour stocker l’électricité ainsi produite. Les adeptes des Shadoks ont déjà largement phosphoré pour imaginer des solutions plus ou moins adaptées. Celle que propose André Gennesseaux n’a d’ailleurs rien de révolutionnaire puisqu’elle s’appuie sur une technologie ancienne et largement éprouvée, celle du volant d’inertie. Une masse tournant autour d’un axe emmagasine de l’énergie cinétique qu’elle peut restituer sous forme d’électricité si on la couple avec un alternateur. L’électricité produite par un panneau photovoltaïque peut ainsi entrainer la rotation. Une fois le volant lancé à grande vitesse, l’inertie entretient cette rotation qui continue à produire de l’électricité pendant une dizaine d’heures, une fois le soleil couché.

Schéma de principe d’un volant de stockage solaire développé par la société Energiestro : le cynlindre en béton précontraint (1), reposant sur de simples roulements à billes (3) assistés par une butée magnétique passive (5), est relié à un moteur-alternateur (2) qui l’entraine en phase d’accélération et produit de l’électricité en phase de freinage, l’ensemble étant maintenu dans le vide par une enceinte en béton étanche (6) pour éviter les frottements. Un convertisseur électronique transforme le courant continu produit par les panneaux solaires en courant alternatif haute fréquence pour alimenter le moteur (source © Energiestro)

D’autres avaient déjà testé cette approche mais avec des volants en acier ou en carbone qui coûtent très cher car il faut une masse importante pour que le volant d’inertie puisse fonctionner toute une nuit, lorsque le soleil n’est pas au rendez-vous. L’innovation introduite par André Gennesseaux consiste donc à remplacer ces matériaux coûteux par un qui l’est 10 fois moins et est plus facile à produire : le béton. Mais comme le volant d’inertie est soumis en rotation à des contraintes de traction très élevées, il faut utiliser du béton précontraint. C’est toute l’astuce de l’innovation apportée par ce VOSS, un « volant de stockage solaire », mis au point et breveté par André Gennesseaux, et qui a été récompensé en 2015 par l’attribution du prix EDF Pulse.

Notre ingénieur a créé en 2001, avec son épouse Anne, sa société qu’il a baptisée Energiestro, ce qui signifie « énergie » en Esperanto. Il avait d’abord tenté de développer un groupe électrogène fonctionnant à l’huile végétale avant de se tourner vers son volant inertiel solaire, son ambition étant d’exporter cette technologie partout dans le monde, mais principalement dans les milieux insulaires et les pays en développement où elle est le plus adaptée, faute de possibilité de raccordement à un réseau maillé comme en métropole et du fait de la facilité à produire sur place et à moindre coût les gros cylindres en béton qui la constituent, robustes et capables de fonctionner pendant une trentaine d’années sans entretien, sur un million de cycles.

Le Préfet du Territoire de Belfort en visite dans les nouveaux locaux d’Energiestro, en présence d’Anne et André Gennesseaux (photo © Facebook / Préfecture du Territoire de Belfort)

Initialement installée à Châteaudun, en Eure-et-Loir, sa société a déménagé fin 2021 pour s’implanter à Essert, dans le Territoire de Belfort, attirée par les subventions du Conseil régional de Bourgogne-Franche Comté et par le riche tissu local de sous-traitants dans le domaine de la mécanique de précision. Des partenariats ont désormais été noués avec Voltalia, un fournisseur d’énergie renouvelable, et avec Engie. Et des perspectives commencent à se dessiner pour des premières mises en application notamment en Guyane et à Madagascar où la société malgache Filatex a pris une participation à hauteur de 41 % en injectant 10 millions d’euros dans le projet. Une centaine de VOSS devraient être produites dès cette année.

L’avenir dira si la brillante idée d’André Gennesseaux arrivera à se concrétiser et à contribuer efficacement au problème récurrent de stockage de l’énergie solaire. Une chose est sûre : il ne suffit pas d’innover pour réussir mais il faut aussi une bonne dose de patience et de persévérance pour passer du concept à l’opérationnel…

L. V.

L’industrie pétrolière se camoufle en vert

1 juin 2023

C’est le secrétaire général des Nations Unies en personne, Antonio Guterres, qui l’a affirmé le 18 janvier 2023 à l’occasion du Forum économique de Davos, devant le gratin de l’économie planétaire : « Certains producteurs d’énergies fossiles étaient parfaitement conscients dans les années 1970 que leur produit phare allait faire brûler la planète. Mais comme l’industrie du tabac, ils ont fait peu de cas de leur propre science. Certains géants pétroliers ont colporté le grand mensonge (…) Les responsables doivent être poursuivis ». Une menace directe pour les grandes entreprises pétrolières et gazières, faisant référence aux condamnations judiciaires qui ont frappé les industriels de l’amiante ou du tabac, ces derniers ayant notamment accepté de verser en 1998 la somme astronomique de 246 milliards de dollars en compensation des désastres sanitaires de leur activité économique.

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, au Forum économique de Davos, fustigeant les mensonges de l’industrie pétrolière (photo © AFP / La Nouvelle République)

Une affirmation cinglante qui fait suite à la publication d’un article paru récemment dans la revue Science, qui analyse les recherches faites en interne par le premier groupe pétrolier mondial, ExxonMobil dont les chercheurs ont prédit depuis 1977 et avec une très grande précision, les impacts de l’activité humaine sur le réchauffement climatique planétaire. L’industrie pétrolière connaissait donc parfaitement depuis près de 50 ans les conséquences délétères de son activité, ce qui ne l’a pas empêché de lancer depuis les années 1990, lorsque la question du changement climatique a commencé à se vulgariser et à devenir un sujet de société, de vastes campagnes de dénégation pour instiller le doute quant à l’existence même du réchauffement climatique, nier ses impacts dommageables potentiels et surtout persuader tout un chacun que l’exploitation des énergies fossiles n’avait aucun rapport avec ce phénomène.    

L’économie pétrolière vue par le dessinateur Adrien René : tant qu’il reste du pétrole à exploiter, pourquoi se brider ?

Une étude tout à fait comparable avait d’ailleurs été publiée en novembre 2021 par des chercheurs français à partir de l’analyse des archives de TotalEnergies, confirmant que la multinationale française était elle aussi alertée depuis les années 1970 du risque de réchauffement climatique lié à l’exploitation des énergies fossiles et parfaitement consciente de l’impact planétaire de son activité depuis les années 1980. Une lucidité qui, non seulement n’a pas incité les groupes pétroliers à infléchir leur activité, mais au contraire les a conduit à favoriser toutes sortes de campagnes de communication visant à discréditer les scientifiques qui tiraient la sonnette d’alarme. Une stratégie qui s’est poursuivie jusqu’à ce que les travaux du GIEC et les différentes COP finissent par convaincre la grande majorité que l’affaire était entendue, que le réchauffement climatique était devenu une réalité visible et que l’exploitation massive des énergies fossiles en était le principal responsable.

Navire pétrolier de Total au large des côtes de l’Angola en 2018 (photo © Rodger Bosch / AFP / FranceTVinfo)

Du coup, depuis les années 2000 et surtout 2010, les groupes pétroliers commencent à changer de stratégie de communication et se lancent dans le greenwashing. En 2021, le groupe pétrolier français a changé de nom pour se baptiser désormais Total Energies, afin de montrer sa volonté de se diversifier dans les énergies renouvelables, et affirme vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Un discours que l’on retrouve également chez ses principaux concurrents ExxonMobil, l’Italien ENI ou encore BP. Rappelons au passage qu’en cette même année 2021, l’Agence internationale de l’énergie a fixé comme feuille de route mondiale l’arrêt total de toute nouvelle mise en exploitation de nouveau gisement de gaz, pétrole ou charbon, si l’on veut garder une chance de limiter le réchauffement climatique en dessous des 2 °C.

Une des 10 barges flottantes d’exploitation pétrolière du groupe Total en Afrique de l’Ouest, mise en place en 2019 sur le champ Egina, exploité au large du Nigéria avec le Chinois CNOOC, le Brésilien Petrobras et le Nigérian Sapetro (photo © Georges Osodi / Bloomberg / Les Echos)

Mais un rapport récent de l’ONG Bloom montre que la réalité est bien différente. Depuis 2021, TotalEnergies a lancé par moins de 30 nouveaux projets d’exploitation d’énergie fossile, lesquels représentent en 2022 plus de 80 % de ses investissements ! La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique produit par la multinationale ne devrait pas dépasser 15 % d’ici 2030 : on est loin du compte, alors même que la firme annonce des résultats pharaoniques avec un bénéfice net de 20,5 milliards de dollars pour 2022… En revanche, comme le montre Bloom à travers l’analyse de ses 313 récents communiqués de presse, TotalEnergies communique presque exclusivement sur ses investissements dans le solaire et l’éolien, qui souvent accompagnent le développement de champs gaziers ou pétroliers.

Après « Tintin et l’or noir », Patrick Pouyané, ses juteux bénéfices et ses promesses de transition énergétique…, un dessin signé KAK, publié dans l’Opinion

Ainsi, même lorsque TotalEnergies évoque le projet Eacop d’immense oléoduc tant décrié que la multinationale projette de construire en Ouganda et en Tanzanie, elle communique sur les 5 fermes solaires qu’elle envisage de mettre en place le long du tracé, comme si cela pouvait contrebalancer l’impact planétaire du nouveau champ pétrolier qui sera ainsi mis en exploitation. Il en est de même au Qatar où TotalEnergies s’apprête à mettre en exploitation les champs gaziers de North Field East et North Field South, développant ainsi le plus grand projet au monde de gaz naturel liquéfié, en contradiction complète avec les engagements de l’Agence internationale de l’énergie. Mais tout va bien à entendre son PDG, Patrick Pouyané, car en parallèle TotalEnergies participe à l’installation de deux centrales photovoltaïques dans le pays… Comme d’ailleurs en Argentine où TotalEnergies a annoncé en septembre 2022 avoir bouclé les investissements nécessaires pour lancer l’exploitation d’un immense champ gazier au large de la Terre de Feu, installation dont l’impact environnemental sera (un peu) atténué par l’installation de quelques menus parcs éoliens…

Des militants d’Attac manifestent devant le siège de TotalEnergies à La Défense en 2019 (photo © Lucas Barioulet / AFP / Reporterre)

Bien entendu, les compagnies pétrolières ont beau jeu de dire qu’elles ne font que répondre à la demande mondiale, personne n’étant disposé à se passer aussi aisément des atouts considérables des énergies fossiles. Elles ne font donc que verdir leur communication pour masquer le fait qu’elles continuent à exploiter tant et plus les dernières gouttes de gaz et de pétrole encore accessibles. Comment pourrait-on les blâmer quand on voit les bénéfices que leurs actionnaires en retirent ?   

L. V.

Alpes maritimes : des projets solaires qui interrogent

26 Mai 2023

Le département des Alpes maritimes est un gros consommateur d’électricité : avec plus de 1 million d’habitants, il consomme à lui-seul plus de 7 millions de MWh par an et Nice fait partie des 3 villes françaises (avec Aix-en-Provence) où la consommation d’électricité par habitant est la plus élevée ! Et pourtant, ce département importe la quasi-totalité (plus de 90 %) de son électricité, qui plus est en restant très dépendant d’une unique ligne à haute tension. Il est donc vital que ce département développe sa propre production d’électricité, et le photovoltaïque pourrait bien y contribuer dans ce secteur géographique plutôt favorisé par l’ensoleillement naturel.

C’est sans doute la raison pour laquelle les projets d’installations photovoltaïques sont brusquement en train de se multiplier, dans le nord-ouest du département, près de la limite administrative avec le Var et les Alpes de Haute-Provence. Enedis et RTE ont d’ailleurs inauguré, le 13 juillet 2022, un poste source dans la commune de Valderoure, à l’intersection de ces 3 départements, en plein cœur du Parc naturel régional des Préalpes d’Azur, qui devrait permettre de raccorder au réseau une cinquantaine de projets de production photovoltaïque pour une puissance de 80 MW. Un projet conséquent, initié depuis 2015, et qui aura nécessité un investissement total de 10,7 millions d’euros.

Le poste source installé à Valderoure par RTE et Enedis, permettant de raccorder plus de 50 projets de production photovoltaïques (photo © Franck Fernandes / Var Matin)

Mais c’est le prix à payer pour permettre de raccorder au réseau ces installations solaires qui se multiplient dans le secteur. Le département des Alpes maritimes a ainsi inauguré dans la foulée, le 14 octobre 2022, une centrale solaire à Saint-Auban, composée de plus de 27 000 panneaux photovoltaïques, pour une puissance de 11 MWc. Réalisé par Akuo, et piloté par la société d’économie mixte Green Energy 06, le projet s’étend sur une dizaine d’hectares, en pleine zone naturelle. Et les projets similaires se multiplient tout autour avec 16 hectares de panneaux solaires à Séranon, 20 ha à Valderoure même, autant à Peyroules, etc.

Inauguration officielle de la centrale photovoltaïque de Saint-Auban en octobre 2022 (source © Département 06)

Une véritable invasion de centrales photovoltaïques au sol qui sont en train de fleurir dans le moindre petit village du PNR des Alpes d’Azur, au milieu de vastes étendues boisées et montagneuses, restées quasiment désertiques jusqu’à présent. On y trouve même une installation photovoltaïque de taille XXL dont l’installation est en train de s’achever dans la petite commune d’Andon, à quelques kilomètres de la réserve naturelle des Monts d’Azur, un haut-lieu de préservation de la faune sauvage, où l’on peut observer des hardes de cerfs et de bisons d’Europe se promener librement dans la forêt.

Installation photovoltaïque d’Andon avec ses 61 ha de panneaux à la place de la forêt (photo © Franck Fernandes / Var Matin)

Lancé il y a une quinzaine d’années par la société Photosol, le projet a été lauréat de plusieurs appels à projet de la Commission de régulation de l’énergie, ce qui lui permet d’obtenir une garantie de complément de rémunération pour la revente à EDF de l’électricité produite pendant 20 ans. Cela lui a permis de lancer en parallèle un appel au financement privé auprès des particuliers de la région, en s’appuyant sur la société spécialiste du crowdfunding KissKissBankBank, de quoi étoffer le tour de table pour un projet dont le montant est estimé à plus de 45 millions d’euros.

Il faut dire que Photosol a vu grand puisque la puissance installée est de 51 MWc et que les panneaux solaires couvrent pas moins de 61 hectares auxquels il faut ajouter une trentaine d’hectares en périphérie qui devront également être soigneusement élagués et débroussaillés pour protéger les précieux panneaux solaires en cas d’incendie.

Une implantation dans un site peu favorable car très boisé, et avec un fort impact sur la biodiversité (photo © CPC)

Le projet a pourtant soulevé quelques émois parmi les défenseurs locaux de l’environnement qui s’étonnent que l’on rase ainsi la forêt dans ce versant très boisé et riche en biodiversité, qui plus est dans un parc naturel régional, et alors même que le Conseil national pour la protection de la nature avait émis un avis défavorable. Mais le Préfet des Alpes maritimes s’est assis sur cet avis et a signé en 2019 un arrêté de dérogation, prévoyant quelques mesures compensatoires pour justifier la disparition des écosystèmes naturels déboisés et terrassés pour l’implantation de cette centrale : la transition énergétique mérite bien quelques menus sacrifices environnementaux…

Il n’en reste pas moins qu’on s’interroge sur l’opportunité de concentrer ainsi autant de centrales photovoltaïques au sol dans une des rares zones naturelles boisée encore préservée de la région, ce qui oblige à raser toute la végétation, alors qu’il existe des versants bien exposés mais non végétalisés, voire des zones agricoles et mêmes des friches industrielles polluées qui pourraient tout aussi bien faire l’affaire. Sans compter les innombrables toitures de hangars et de bâtiments de toute sorte qui pullulent sur le littoral et qui présentent l’avantage majeur d’être beaucoup plus près des lieux de consommation de l’électricité.

Panneaux photovoltaïques en toiture et sur les ombrières des parkings sur un immeuble de Sophia Antipolis (photo © Sébastien Botella / Nice Matin)

En réalité, si Photosol a choisi d’installer sa centrale solaire sur ce versant boisé reculé de l’arrière-pays, c’est que les propriétaires privés de ces terrains, où toute exploitation agricole et forestière a disparu depuis des lustres, sont bien contents d’en tirer un petit bénéfice via une redevance modique. Mais ce n’est pas le cas sur le littoral où le prix du foncier atteint des sommes astronomiques et où chaque m2 peut être valorisé, sans compter les contraintes réglementaires souvent plus contraignantes.

Il faut donc faire preuve d’inventivité pour développer des projets de centrales solaires dans ce type de contexte urbain, en mobilisant notamment les parkings de supermarché recouverts d’ombrières, ou les toitures des gymnases, mais il est plus difficile d’y trouver de grandes surfaces exploitables qui permettent les économies d’échelle que Photosol a trouvé à Andon. En matière d’énergies renouvelables, il semble que l’on en soit encore à tâtonner…     

L. V.

Stockage de l’énergie : une idée de Shadok ?

22 Mai 2023

L’inventivité sans limite des Shadok, ces petits personnages improbables inventés par le génial Jacques Rouxel et qui font irruption à la télévision française en 1968, animés par la voix éraillée de Claude Piéplu, nous ont laissé d’innombrables maximes empreintes d’une philosophie toute particulière dont on trouve des applications quotidiennes. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Telle est l’une de ces réflexions frappées au coin du bon sens, ou presque, et dont on constate chaque jour à quel point elle inspire nos décideurs, toujours à la pointe du management moderne.

Une devise Shadok, qui a fait son chemin… (source © Jacques Rouxel / Vision Déco)

Mais la maxime semble aussi avoir été adoptée par nos plus grands ingénieurs. En témoigne cette invention proprement époustouflante qui a été imaginée et mise en œuvre par une start-up suisse, Energy Vault, désormais cotée en bourse, distinguée en 2020 par le Forum économique mondial comme l’une des 100 entreprises pionnières du futur et qui a levé en juillet 2021 pour 100 millions de dollars afin de passer à la vitesse supérieure après avoir construit un premier démonstrateur constitué d’une grue de 6 bras et 110 m de hauteur. La seule fonction de cet engin étrange est d’élever des blocs de béton de 35 tonnes chacun, puis de les faire retomber en chute contrôlée en utilisant l’énergie gravitaire ainsi libérée pour la transformer en courant électrique, qui servira à remonter le bloc !

Le système de grue imaginé par la start-up suisse Energy Vault pour stocker de l’énergie en manipulant des blocs de béton (photo © SDA / Watson)
Maquette du prototype de grue d’Energy Vault (source © Swissinfo)

Bien évidemment, il ne s’agit pas de (ré)inventer le mouvement perpétuel d’autant qu’il y a malgré tout des pertes, une part importante de l’énergie utilisée disparaissant en cours de route. Mais c’est quand même un dispositif astucieux, bien que légèrement encombrant, pour résoudre la question toujours délicate du stockage de l’électricité lorsque celle-ci est produite de façon intermittente, notamment par certaines sources d’énergie renouvelables comme le solaire et l’éolien, et pour faire face aux pics de besoin car la demande est toujours en dents de scie.

Utiliser une grue géante et s’amuser à monter et descendre d’énormes blocs de béton pour remplacer une simple batterie à accumulation, voilà qui ne manque pas de panache et l’idée peut paraître séduisante car bien sûr les blocs de béton en question ne nécessitent ni lithium ni terre rare pour leur fabrication. Sauf que les tours géantes que promet Energy Vault et qui pour l’instant n’existent que sur le papier, nécessitent quant même pas moins de 6500 blocs par installation pour une capacité de stockage de 35 kW. Or une telle quantité de béton représente une fois et demi le poids de la tour Montparnasse à Paris, ce qui donne une idée du gigantisme de l’opération…

Et pour un résultat finalement modeste si on le compare à la capacité de stockage qu’on peut obtenir avec un procédé bien plus simple et qui, lui, est éprouvé de longue date, consistant simplement à utiliser l’énergie excédentaire pour pomper de l’eau et la stocker dans un bassin en altitude d’où on peut ensuite la faire redescendre via des conduites forcée équipées de turbines et de générateurs, ce qui permet de produire quasi instantanément l’électricité dont on a besoin pour répondre à la demande. De telles installations, dénommées STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) existent déjà en France au nombre de six et leur capacité de stockage est de 5 GW, 170 fois supérieure donc à celle de la tour en béton de la start-up suisse…

Les deux lacs d’Emosson formant la STEP du Nant de Drance dans le Valais Suisse, mis en service le 1er juillet 2022 (photo © Sébastien Moret / Swisstopo)

La Suisse elle-même d’ailleurs est en pointe dans ce domaine et vient de raccorder au réseau, fin 2021, une installation spectaculaire effectuée sur le complexe hydroélectrique d’Emosson, à la frontière franco-suisse. Les 2 lacs d’Emosson ont été reliés par 17 km de galeries souterraines et l’eau du lac supérieur peut désormais être relâchée dans le lac inférieur via deux conduites forcées de 7 m de diamètre sur une hauteur de chute de 425 m de haut, ce qui permet d’injecter sur le réseau une puissance de 900 MW, équivalent à celui d’une centrale nucléaire et mobilisable en moins de 5 mn !

Le barrage de Grand’Maison connecté par des galeries souterraines à l’usine hydroélectrique de Verney située 930 m plus bas (source © EDF / L’Express)

En France, le modèle du genre est la centrale hydroélectrique de Vaujany dans l’Oisan, dont le lac supérieur est constitué par le barrage de Grand’Maison, mis en service en 1985 à 1790 m d’altitude sur l’Eau d’Olle, complété en aval par la centrale du Verney, située 930 m plus bas. En deux minutes, ce complexe hydroélectrique peut fournir une puissance équivalente à deux centrales nucléaires ! L’alimentation des pompes se fait d’ailleurs principalement à partir de l’électricité d’origine nucléaire en heures creuses, lorsque la production est surabondante.

Et le procédé n’est pas nouveau puisqu’il a été mis en œuvre en France dès 1938, sur le lac Noir dans les Vosges, dont la capacité de stockage a été augmentée par une digue équipée d’une usine hydroélectrique tandis que ce lac naturel était relié à son voisin, le lac Blanc, situé 1 km en amont et une cinquantaine de mètres plus haut. La centrale a été mise à l’arrêt en 2002 et même détruite en 2014 mais plusieurs autres STEP sont toujours fonctionnelles, dont celle de Montézic, dans l’Aveyron, celle de Revin, dans les Ardennes, ainsi que 3 autres dans les Alpes (Super-Bissorte, Le Cheylas et La Coche).

Le barrage de Montézic, dans l’Aveyron, mis en service en 1986, lac supérieur alimentant la centrale hydroélectrique de Montézic en rive gauche de la Truyère (source © Centre presse)

Certes, les sites naturels qui se prêtent à ce type d’activité ne sont pas si fréquents mais il existe néanmoins de belles possibilités d’extension de tels dispositifs dont l’impact environnemental est bien moindre que celui des batteries de stockage, même si le rendement en est un peu inférieur, et qui rendent de grands services pour réguler l’adéquation entre rythme de production et de consommation de l’électricité.

Une autre devise Shadok, empreinte d’une grande sagesse… (source © Jacques Rouxel / La Croix)

Leur mode de fonctionnement, basé sur le pompage, ne présente pas le côté spectaculaires des grues en train de monter et descendre leurs blocs de béton, mais, comme ont coutume de le dire les Shadoks dans leur grande sagesse et leur prudence légendaire : « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ». On ne saurait mieux dire en effet…

L. V.

RTM : du solaire sur les rails ?

16 Mai 2023

Après avoir longtemps été à la traîne en matière de développement des transports en commun, au point de devenir une des grandes métropoles françaises les plus polluées et où l’on perd le plus de temps chaque jour dans des embouteillages urbains monstrueux, l’agglomération marseillaise est peut-être enfin en train de prendre un tournant et de lancer les chantiers des futures infrastructures de transports en commun tant attendues, quitte à délaisser les projets de boulevards urbains d’un autre âge.

Adopté fin 2021, le plan mobilité de la Métropole se fixe pour ambition que 95 % des habitants du territoire se trouvent à moins de 15 mn d’un accès à un transport en commun et que la moitié d’entre eux soit à moins de 500 m d’un arrêt de transport à haut niveau de service, de type métro, tramway ou bus rapide. On en est très loin, mais les projets tant attendus commencent néanmoins à émerger, boostés par le plan Marseille en grand annoncé triomphalement en septembre 2021 par Emmanuel Macron, lequel promettait notamment 1 milliard d’euros (dont un quart seulement sous forme de subventions) pour développer en profondeur le réseau métropolitain de transports en commun.

Vue d’artiste du futur projet de tramway vers la Belle de Mai, ici sur le boulevard National, à l’angle du boulevard Longchamp (source © Made in Marseille)

La Métropole travaille ainsi dès à présent à la modernisation tant attendue des deux lignes de métro marseillais quasiment restés en l’état depuis leur mise en service dans les années 1970. Les travaux d’extension du tramway sont d’ores et déjà engagés en vue d’une extension vers le sud jusqu’à La Rouvière pour desservir notamment le secteur de Sainte-Marguerite, mais aussi vers le nord, d’abord jusqu’à la station de métro Capitaine Gèze et ensuite jusqu’à la cité La Castellane. Une nouvelle ligne de tramway est également prévue vers la Belle de Mai, tandis qu’une extension est envisagée entre la rue de Rome et la place du 4 septembre.

Pose officielle des premiers rails de l’extension vers le nord du tramway près de la place Bougainville, le 7 février 2023, en présence de nombreux élus locaux (source © Métropole AMP)

Confrontée à de réelles difficultés, dont la fraude dans les transports en commun n’est pas la moindre, la Régie des transports marseillais (RTM), désormais sous contrôle métropolitain, cherche aussi, au-delà de ces projets d’extension de son réseau, à ne pas rater le train de la transition écologique. Elle a déjà installé quelques panneaux solaires sous forme d’ombrières sur les parkings relais de La Rose et du Capitaine Gèze et en prévoit d’autres sur le futur parking de 600 places programmé à côté de la station Sainte-Marguerite – Dromel. Dès 2024, ce sont pas moins de 5 500 m2 de panneaux solaires qui devraient ainsi être installés sur le dépôt de bus RTM de La Rose et en 2026, c’est la toiture du dépôt de Saint-Pierre qui devrait être à son tour couvert de panneaux solaires pour la production d’électricité.

La station de métro aérien Sainte-Marguerite Dromel, à l’arrière du Vélodrome, avec les projets de couverture de la voie et des quais par panneaux photovoltaïques, sans le projet de parking relai (premier plan à droite) qui va être réaménagé avec lui-aussi des ombrières solaires (source © Made in Marseille)

Mais la RTM imagine désormais d’aller bien plus loin encore dans ses ambitions en matière de production d’électricité photovoltaïque et a lancé en 2022 une première étude destinée à évaluée l’opportunité de recouvrir de panneaux photovoltaïques ses 3 km de lignes de métro aérienne. Des panneaux pourraient ainsi être fixés sur les verrières qui abritent les quais de stations à ciel ouvert. Mais l’innovation consiste surtout à imaginer des panneaux solaires fixés directement sur les traverses du métro dans ses tronçons aériens.

Le système de panneaux photovoltaïques développé par la société suisse Sun-ways qui ambitionne d’en équiper les voies européennes (source © Sun-ways)

L’idée n’est pas tout à fait neuve car le Suisse Sun-ways a déjà développé depuis 2021 un dispositif innovant d’accroche de panneaux solaires amovibles sur les rails de chemins de fer et rêve d’en équiper dès 2025 les chemins de fer suisses avant de s’attaquer au marché juteux des 260 000 km de voies ferrées européennes. La proposition est séduisante car l’espace visé n’a aucune fonction autre que d’assurer l’espacement entre les rails et peut donc ainsi être valorisé sans impact environnemental et à moindre frais. De surcroît, l’équipement se fait de manière quasi automatisée, à l’aide d’un train spécial qui permet de poser 1 km en quelques heures seulement, soit des coups d’installation très réduit et ensuite une faciliter de raccordement sur le réseau, voire une réutilisation directe de l’électricité produite pour alimenter les caténaires des trains…

Le dispositif innovant de panneaux photovoltaïques adapté par Bankset et en cours de test sur le réseau ferré allemand (source © Révolution énergétique)

Un autre opérateur, britannique celui-ci, Bankset Energy teste de son côté un autre dispositif comparable, en partenariat avec la Deutsche Bahn, sur un site expérimental de quelques mètres en Saxe. Ses petits modules fixés sur les traverses développent une puissance unitaire de 80 W et il est attendue une puissance globale de 100 kWc pour chaque km de voie ferrée ainsi équipée. Si un tel dispositif devait être installé sur la totalité du réseau ferré français qui dépasse les 27 000 km, cela représenterait un gisement de 2,7 GWc, soit l’équivalent de la puissance électrique nécessaire pour faire rouler 300 rames de TGV lancées à pleine vitesse : de qui faire rêver les ingénieurs de la SNCF…

Dans ce domaine, la prudence s’impose néanmoins et l’échec patent de la route solaire qui semblait pourtant une bonne idée mais s’avère peu productive et de faible durabilité, incite à ne pas s’emballer trop vite. Au delà des projets de centrale solaire lourde, les solutions visant à disposer des panneaux photovoltaïques sur les toitures de bâtiments ou en couverture de voiries urbaine, mais aussi sur les canaux de transfert d’eau brute, sur les plans d’eau voire en mer, sont a priori plus judicieuses, mais pourquoi pas en effet sur les rails des métro aériens, situés par définition en site urbain dense où l’électricité produite est donc facilement utilisable sans installation coûteuse. La révolution énergétique est en marche et le processus ne fait que commencer !

L. V.

Le bruit qui court… après Total

29 avril 2023

Les activistes écologistes sont parfois un peu lourds avec leur manie de jeter du ketchup sur les toiles de maîtres dans les plus grands musées du monde ou, comme l’ont encore fait récemment des militants du collectif britannique Just Stop Oil, en recouvrant d’un pastiche un célèbre tableau de John Constable, conservé à la National Gallery de Londres et intitulé la Charrette de foin. Le paysage champêtre du XIXe siècle s’est ainsi retrouvé orné de routes goudronnées et d’avions vrombissant tandis que deux activistes revêtus de teeshirts au logo de l’association se collaient la main au cadre du tableau, avant de se faire proprement jeter par les vigiles du musée.

Deux militants de l’association britannique Just Stop Oil la main collée au cadre d’un tableau de John Constable recouvert d’un pastiche, en juillet 2022 à la National Gallery de Londres (photo © Carlos Jasso / AFP / Le Figaro)

Des actions militantes certes spectaculaires et qui ont pour but d’alerter l’opinion publique sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et l’arrêt de l’exploitation des énergies fossiles, mais qui ont aussi pour revers d’indisposer voire de choquer certains, en s’en prenant ainsi à des œuvres d’art universellement reconnues.

Rien de tel dans le savoureux canular dont TotalEnergies vient de faire les frais, de la part d’un collectif d’activistes français au nom bien inspiré Le Bruit qui court… Dimanche 23 avril au soir, des centaines de militants bien organisés ont placardé d’immenses panneaux de chantiers en différents points de Paris, Rouen, Grenoble, Lyon ou encore Marseille, annonçant la construction d’un gigantesque pipeline de plus de 1000 km de long, destiné à acheminer le pétrole de la Mer du Nord jusqu’au sud de l’Europe en passant par les Pays-Bas, la Belgique et la France, ainsi traversée de part en part.

Panneau d’information sur le projet WeCop accroché sur les grilles du jardin de ville à Grenoble (source © France TV)

En parallèle, plus de 3000 propriétaires de maisons situées sur le tracé de ce projet, surtout dans les beaux quartiers de ces grandes métropoles, ont reçu un courrier, d’apparence on ne peut plus officielle, les informant que, du fait du passage de ce vaste projet d’ampleur international sur leur propriété, ils allaient faire l’objet d’une mesure d’expropriation pour raison d’utilité publique.

Le courrier comme les affiches renvoyait au site internet d’une entreprise fictive du nom de WeCop détaillant les objectifs et le calendrier du projet, tout en argumentant sur les vertus d’un tel pipeline d’envergure pour assurer une meilleure distribution. Une pétition avait même été mise en ligne pour permettre à chacun d’exprimer son désaccord éventuel avec le projet et un standard téléphonique dédié a été ouvert, animé par des militants qui ont donc dû recevoir les appels des riverains furieux : «Mais vous ne pouvez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là, c’est pas possible» ont-ils ainsi entendu, parmi d’autres réactions de la part de propriétaires hors d’eux à l’idée qu’un pipeline pourrait venir ainsi traverser leur terrain pour améliorer les bénéfices de l’industrie pétrolière…

Faux permis de démolir de WeCop installé par les activistes du Bruit qui court à Marseille dans la nuit du 23 au 24 avril 2023 (source © Place GreNet)

Le projet avait été préparé depuis des mois et les militants mobilisés avaient su parfaitement tenir leur longue, de telle sorte que l’effet de surprise a joué à plein, semant un véritable trouble parmi les personnes confrontées à ce projet et à ces méthodes parfaitement vraisemblables de la part d’une multinationale. Dès le mardi 25 avril, l’association a donc dû communiquer un démenti formel et dévoiler le pot aux roses, tout en incitant les médias à divulguer l’affaire, ce dont ils ne se sont pas privés.

Bandeau du site internet WeCop développé pour assurer la crédibilité du projet… (source © WeCop)

Bien évidemment, ce projet de pipeline géant à travers la France n’existe que dans l’imagination de ces activistes, mais leur objectif est en réalité d’attirer l’attention des médias et de l’opinion publique sur un autre projet d’oléoduc géant, bien réel celui-là et porté par l’entreprise TotalEnergie à travers l’Ouganda et la Tanzanie sous le nom de Eacop pour East African crudle oil pipeline. La multinationale française cherche en effet à développer l’exploitation de ressources pétrolières gigantesques, estimées à plus de 1 milliard de barils, découvertes en 2006 sous le lac Albert en Ouganda.

Forage d’exploration de TotalEnergies dans la région du lac Albert en Ouganda (photo © Laurent Zylberman / Total)

Deux champs pétroliers devraient être mis en exploitation en parallèle. Celui de Tilenga, au nord du Lac Albert sera opéré par TotalEnergies et vise le creusement de 400 puits de pétrole dont la production sera acheminée vers une usine de traitement située à Kasenyi. Ces puits seront forés dans des zones rurales et, pour certains, au cœur du parc naturel des Murchison Falls. L’autre champ, dénommé Kingfisher, sera exploité plus au sud par l’entreprise chinoise CNOOC (China National Offshore Oil Corporation).

Le pétrole issu de l’ensemble des puits sera ensuite acheminé par un gigantesque oléoduc enterré de 1443 km reliant la ville de Kabaale en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie où un terminal pétrolier doit être construit. Du fait de ses caractéristiques propres, le pétrole extrait doit être maintenu à une température de plus de 50 °C pour permettre son acheminement par oléoduc sans risque de colmatage. Le pipeline sera donc chauffé en permanence, si bien que son empreinte carbone sera bien colossale, sans compter les impacts environnementaux de son tracé à travers des zones agricoles et naturelles, et surtout son impact social sur les milliers de petits propriétaires situés le long du tracé et qui devront être expropriés sans pour autant être certains d’être indemnisés.

Tracé du projet d’oléoduc géant programmé par TotalEnergies entre le lac Albert et l’océan Indien, à travers l’Ouganda et la Tanzanie (photo © TotalEnergies / Usine nouvelle)

Il est peu probable que le canular monté par les activistes du Bruit qui court ait le moindre impact sur la construction du futur oléoduc Eacop de TotalEnergie et de CNOOC. Mais incontestablement l’affaire a fait du bruit et a permis de mettre en lumière les impacts de ce projet pharaonique d’investissement pétrolier mené jusqu’à présent en toute discrétion par TotalEnergies et sur lequel les médias français s’étaient bien gardés de communiquer. Comme quoi, les actions des activistes écologistes, surtout menées avec intelligence et un brin d’humour, peuvent avoir des résultats positifs…

L. V.

Uranium : un enrichissement sans cause ?

15 avril 2023

Il a beaucoup été question, ces dernières années, des tentatives de la République islamique d’Iran, de développer ses capacités d’enrichissement de l’uranium. On se souvient que le 14 juillet 2015, un accord historique était signé à Vienne entre l’Iran et les 5 pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Une heureuse issue venant clôturer 12 ans de crises et 21 mois de négociations multilatérales serrées et rendue possible par l’arrivée au pouvoir en juin 2013 d’Hassan Rohani, lui qui représentait justement l’Iran dans ces négociations internationales engagées depuis 2003.

Le président sortant iranien Hassan Rohani avec le directeur de l’agence nucléaire iranienne, Ali Akbar Salehi, le 9 avril 2019 à Téhéran (source © HO / AFP / L’Express)

Sauf que la géopolitique n’est jamais un long fleuve tranquille et que 3 ans plus tard, le 8 mai 2018, l’incontrôlable Donald Trump, annonçait solennellement sa décision unilatérale de sortir les États-Unis de cet accord et de renforcer les sanctions économique contre l’Iran, ce qui conduisait logiquement ce dernier à revenir progressivement sur ses engagements en matière de contrôle de sa capacité d’enrichissement de l’uranium.

Dès 2021, Téhéran annonçait ainsi avoir commencé à produire de l’uranium enrichi à plus de 60 % et cette année, l’Agence internationale de l’énergie atomique indiquait, le 28 février 2023, avoir détecté à la sortie de l’usine souterraine iranienne de Fordo, des particules d’uranium enrichies à plus de 83 %, autrement dit, du matériau fissile apte pour des applications militaires. Les explications alambiquées de l’Iran expliquant qu’il s’agit de « fluctuations involontaires » ne trompent évidemment personne, même si officiellement l’objectif des centrifugeuses iraniennes reste toujours de fournir uniquement le combustible dont sa filière nucléaire civile a besoin.

Mahmoud Ahmadinejad, alors président iranien, visite les centrifugeuses de l’usine d’enrichissement d’uranium de Natanz, en 2008. (photo © AP / Iranian President’s Office / Times of Israel)

Sauf que les stocks d’uranium enrichi accumulés en Iran sont désormais 18 fois supérieurs à la limite autorisée lors des accords de 2015. Alors que ces derniers préconisaient de ne pas dépasser un seuil d’enrichissement de 3,67 %, suffisant pour les besoins de la filière nucléaire civile, l’Iran dispose désormais d’au moins 435 kg d’uranium enrichi à plus de 20 % et de 87 kg à plus de 60%… Pas très rassurant quant à une possible utilisation militaire de ce matériau…

Rappelons au passage que s’il est nécessaire d’enrichir l’uranium c’est qu’à l’état naturel il est constitué pour l’essentiel de son isotope stable, l’uranium 238 alors que c’est sa forme isotopique 235U qui est fissile. Plus la proportion de ce dernier est forte, plus l’énergie émise par désintégration sera élevée, à volume identique. Dans les réacteurs nucléaires à eau pressurisée, on utilise généralement de l’uranium enrichi à 3,5 % (au lieu de 0,71 % à l’état naturel). Mais pour faire une bombe atomique où une certaine masse critique est nécessaire pour la réaction en chaîne, on vise plutôt des taux d’enrichissement autour de 90 %.

En France, les premiers réacteurs nucléaires mis en service, de type graphite gaz, relevaient de la filière à uranium naturel, faute justement de maîtrise ces techniques d’enrichissement. C’est en 1958 qu’a été construite en France, sur le site de Tricastin, dans la commune de Pierrelatte, la première usine d’enrichissement d’uranium. L’objectif visé était alors clairement la production d’uranium hautement enrichi à des fins militaires. Ces installations ont d’ailleurs été démantelées à partir de 1996, lorsque la France a renoncé officiellement aux essais nucléaires.

L’industriel Georges Besse, président du directoire d’Eurodif en 1974, ici le 9 janvier 1981, alors PDG de la COGEMA (photo © Pierre Clément / AFP / Radio France)

Mais dès 1972, la France, forte de cette expérience industrielle, propose à d’autres pays européens de s’associer, dans le cadre d’Eurodif, pour développer une filière d’enrichissement de l’uranium à des fins civiles. Georges Besse est nommé président d’Eurodif et c’est le même site de Tricastin qui est retenu en 1974 pour la construction d’une usine qui utilise alors le procédé de diffusion gazeuse pour séparer les isotopes 235U et 238U. Après l’assassinat en 1986 de Georges Besse par Action directe, le nom de ce dernier est donné à l’usine qui a fonctionné jusqu’en 2012.

En 2009, le groupe Areva a inauguré, toujours sur le site de Tricastin, une seconde usine d’enrichissement, mais qui utilise cette fois la technique de la centrifugation, qui présente l’avantage de consommer nettement moins d’énergie que la diffusion gazeuse. Ainsi 3 des 4 réacteurs nucléaires de Tricastin servaient exclusivement à alimenter en électricité la première usine d’enrichissement Georges Besse !

Vue aérienne du site d’Orano à Tricastin, qui s’étend sur 650 ha, à proximité de la centrale nucléaire d’EDF (photo © Orano / Le Dauphiné libéré)

La France ne maîtrisant alors pas la technique complexe de l’enrichissement par centrifugation, se tourne vers son concurrent anglo-américano-germano-néerlandais Urenco qui lui vend les brevets nécessaires. Après une montée en puissance progressive, le site a atteint depuis 2016 sa pleine capacité actuelle qui est de 7,5 millions d’UTS (une unité internationale qui permet de quantifier l’enrichissement isotopique). Une capacité correspondant à 12 % de la production mondiale d’uranium enrichi, qui place le Français Areva, devenu désormais Orano, en quatrième position mondiale, loin derrière le Russe Rosatom qui détient 30 % du marché mondial, suivi par Urenco et le Chinois CNNC, les autres producteurs, brésilien, indien et maintenant iranien, restant assez marginaux.

Cascade de centrifugeuses à l’usine Georges Besse II de Tricastin (photo © Orano / UARGA)

Or la crise ukrainienne a mis en évidence la forte dépendance du nucléaire européen et américain vis-à-vis de leur approvisionnement en combustible nucléaire dont près d’un tiers est importé de Russie et dont les prix ont plus que doublé, après le coup d’arrêt consécutif à l’accident de Fukushima. C’est pourquoi il est désormais envisagé de porter la capacité de production de l’usine de Tricastin de 7,5 à 10 millions d’UTS, moyennant un investissement colossal de 1,3 à 1,7 milliards d’euros à partir de 2024, sachant que ce même site de Tricastin est aussi retenu pour y implanter 2 tranches d’EPR. Orano envisage ainsi d’ajouter 4 nouvelles tranches de centrifugeuses aux 14 déjà implantées en cascade et qui tournent à plein régime 24 h sur 24.

Un projet ambitieux, mais qui risque de rendre moins audible la voix de la France lorsqu’elle s’associe aux sanctions internationales pour réduire les capacités iraniennes à enrichir son propre combustible nucléaire : concilier l’intérêt économique et le positionnement géopolitique nécessite parfois quelques contorsions…

L. V.

Ils préfèrent le solaire en mer…

29 mars 2023

Le solaire flottant est une technologie en plein essor. N’en déplaise aux détracteurs des énergies renouvelables, l’apport de l’énergie photovoltaïque, si elle est encore bien loin de répondre à la totalité de nos besoins en électricité, peut contribuer de manière significative à notre mix énergétique de demain. Historiquement plutôt destinée à alimenter les sites isolés, le solaire est maintenant une source d’approvisionnement non négligeable pour le réseau connecté. En 2019, la puissance électrique solaire installée s’élevait en France à 9,4 GW (à comparer à la puissance de l’EPR de Flamanville qui est de 1,6 GW), en progression de plus de 10 % par rapport à 2018, ce qui montre bien le développement rapide de cette technologie en plein expansion, même si l’électricité produite par le solaire ne représente encore qu’un peu plus de 2 % du total, en France comme au niveau mondial.

Un des freins au développement du solaire, outre le caractère intermittent de la production, comme pour l’éolien, est la taille des emprises au sol. Installer des panneaux solaires en toiture des bâtiments semble séduisant, surtout pour les constructions neuves. Si l’on équipait ainsi tous les toits de l’Union européenne, on pourrait paraît-il, couvrir près de 25 % de nos besoins en électricité. D’ailleurs, la loi Climat énergie de novembre 2019 rend désormais obligatoire l’installation de panneaux photovoltaïques et/ou de végétalisation sur les toitures de plus de 1000 m2.

Panneaux photovoltaïques sur la toiture d’un bâtiment industriel à Gravenson, dans les Bouches-du-Rhône (source © Provence éco-énergie)

Mais paradoxalement, le solaire en toiture coûte plus cher qu’au sol et n’est rentable que pour des installations de grande envergure, d’où cette tendance à privilégier les centrales solaires au sol. Sauf que la production d’électricité ne doit bien évidemment pas se faire au détriment d’autres usages, notamment agricoles ! C’est pourquoi les opérateurs recherchent désormais en priorité les sites de friche industrielle pollués devenus impropres à toute autre utilisation.

La centrale solaire de Pelissier, aux portes d’Albi, installée en 2021 sur le site pollué d’une ancienne centrale thermique au charbon fermée en 2007 (source © Mairie d’Albi)

Mais c’est aussi pour cette raison que se développe de plus en plus le solaire flottant sur les plans d’eau. Recouvrir une étendue d’eau de panneaux solaires permet en effet de réduire l’évaporation des plans d’eau tout en limitant leur réchauffement par insolation, et permet en parallèle d’augmenter sensiblement le rendement des panneaux photovoltaïques, l’eau sous-jacente favorisant leur refroidissement naturel. Ces avantages, tant en termes de moindre compétitivité sur l’utilisation de l’espace qu’en termes d’amélioration des rendements, finissent par compenser le surcoût d’installation et l’on voit donc fleurir de plus en plus de projets de ce type en France comme ailleurs dans le monde.

Centrale solaire flottante sur la retenue EDF de Lazer dans les Hautes-Alpes (source © YouTube)

Dans notre région, Akuo Energy s’était montrée pionnière en inaugurant en 2019 la plus grande centrale solaire d’Europe couvrant 17 ha d’une ancienne gravière de Piolenc dans le Vaucluse. Mais bien d’autres réalisations ont suivi. EDF Renouvelables est actuellement en train de mettre la dernière main à son installation de plus de 50 000 panneaux photovoltaïques, couvrant les deux-tiers du lac de barrage de Lazer, dans les Hautes-Alpes. Une fois en service, la centrale solaire aura une puissance crête de 20 MW, supérieure à celle de la turbine électrique installée dans le barrage en aval de la retenue, ce qui montre bien la complémentarité de ces deux sources d’énergie renouvelable.

Installation expérimentale de panneaux solaires en mer du Nord : un état de dégradation avancé de nature à alimenter le scepticisme sur cette technologie en devenir ? (source © Révolution énergétique)

Et voila que l’on commence à penser à installer des panneaux solaires en mer ! Pourtant, une polémique est née en juin 2020 lorsqu’ont circulé sur les réseaux sociaux des photos peu encourageantes d’une installation récente en mer du Nord, montrant des supports métalliques rongés par la rouille et des capteurs recouverts d’algues et de déjections d’oiseaux. Ces clichés alarmants que des opposants aux énergies renouvelables font circuler avec un malin plaisir sont celles d’une installation expérimentale déployée en 2019 par Oceans of Energy, au large de Brouwersdam, aux Pays-Bas. L’opérateur en question reconnaît bien volontiers les difficultés spécifiques liées à ce type d’installation offshore mais affirme avoir désormais trouvé la parade à ces différents déboires, grâce justement aux observations effectuées sur ce prototype.

Remorquage en mer d’une unité solaire flottante expérimentale de la société SolarinBlue dans le port de Sète (source © Actu-environnement)

Toujours est-il que d’autres s’engouffrent dans cette voie, à l’instar du projet bien nommé Sun Sète de la société française SolarinBlue qui vient d’inaugurer dans le port de Sète ses deux premières unités solaires flottantes expérimentales sous forme de treillis métallique en acier galvanisé reposant sur des flotteurs en PEHD recyclé. Remorquées au large à 1,5 km des côtes, ces premières plateforme bardées de capteurs serviront de démonstrateur et seront complétées début 2024 par 23 unités supplémentaires, ce qui permettra de passer à une puissance installée de 300 kWc pour une emprise d’un demi hectare, l’électricité produite étant rapatriée à Sète par un câble sous-marin.

Des implantations que, bien sûr, le monde de la pêche ne voit pas d’un très bon œil, même (voire surtout ?) si elles devaient être installées dans les zones de non-pêche, les rendant de fait inaccessibles aux braconniers… Comme à terre, le conflit d’usage n’est jamais très loin ! D’autant que se développe en parallèle le développement de centrales offshores hybrides mêlant solaire et éolien. Une idée a priori pertinente puisqu’elle permet de mutualiser les investissements en réduisant les coûts fixes de raccordement, tout en lissant la production électrique. La première centrale commerciale de ce type a ainsi été mise en service en Chine, début novembre 2022 par la State Power Investment Corp., en utilisant une technologie du Norvégien Ocean Sun.

Installation offshore hybride solaire et éolienne opérationnelle depuis novembre 2022 à Haiyang en Chine (source © Ocean Sun)

L’institut de recherche néerlandais TNO s’active également pour tester des technologies de radeaux flottants souples du même type que les Norvégiens, plus adaptées aux conditions extrêmes de la haute mer et plus faciles à entretenir que des structures métallique rigides. Leur objectif est également de mettre en place ce type d’équipement sur des champs éoliens offshores pour produire en mer l’hydrogène vert dont chacun rêve pour répondre à nos besoins énergétiques de demain. Comme quoi, les idées ne manquent pas pour relever les défis de cette transition énergétique qui nous obsède…

L. V.

Incinérateur : un exemple danois à méditer

27 mars 2023

Collecter les déchets ménagers n’est pas simple. Les accumulations récurrentes de poubelles éventrées débordant sur nos trottoirs viennent régulièrement pourrir la vie des Marseillais, mais pas seulement, d’autres agglomérations, y compris Paris, étant également confrontées à ce genre de situation en période de tension sociale.

Mais traiter les déchets n’est pas évident non plus. On a beau élaborer des plans départementaux d’élimination des déchets pour tenter d’organiser les filières et de répartir les équipements nécessaires le plus judicieusement possible, c’est la quadrature du cercle… Chacun veut que ses poubelles soient ramassées régulièrement, avec le moins de nuisance possible et de préférence  à faible coût, mais refuse catégoriquement la moindre implantation dans son voisinage d’un centre de tri et encore moins de compostage ou d’enfouissement des déchets, sans même parler d’un incinérateur dont on craint les odeurs et les rejets de fumées nocives !

Incinérateur : tout est question de perception… Un dessin de Martin Vidberg (source © Centre national d’information indépendante sur les déchets)

Le parcours chaotique qui avait conduit au début des années 2000 la défunte communauté urbaine Marseille Provence Métropole à construire un incinérateur pour gérer tant bien que mal, en prévision de la fermeture de la décharge d’Entressen, les 610 000 tonnes de déchets ménagers et assimilés produits annuellement par la capitale phocéenne et ses voisines les plus proches dont Carnoux, est à cet égard un bel exemple. Il avait alors été proposé de construire à Fos-sur-Mer, en dehors donc du territoire de la communauté urbaine, un incinérateur, géré en délégation de service public et capable de traiter 300 000 tonnes de déchets par an, soit une petite moitié du volume produit.

Jean-Noël Guérini en tête d’une manifestation contre le projet d’incinérateur de Fos-sur-Mer le 1er mars 2008 (photo © AFP / Le Point)

Sauf que la communauté urbaine, créée en 2000 et présidée jusqu’en 2008 par un certain Jean-Claude Gaudin, après avoir délibéré en faveur de ce projet en mars 2003, a tout fait pour le faire capoter et que les recours se sont multipliés contre le projet, le tribunal administratif étant même conduit en juin 2008 à annuler la décision de la communauté urbaine d’attribuer à la société espagnole Urbaser la construction et l’exploitation du futur incinérateur, via sa filiale dédiée EveRé…

L’arrivée d’Eugène Caselli à la tête de la communauté urbaine ayant permis de débloquer la situation, le projet aboutit finalement à une mise en service de l’installation en janvier 2010. Celle-ci dispose d’un centre de tri automatisé qui permet le recyclage des déchets plastiques et métalliques tandis que les éléments organiques sont dirigés vers l’unité de méthanisation pour être transformés en biogaz et en compost. Quant aux déchets combustibles, ils sont incinérés, de même que les boues issues de la station d’épuration. La chaleur dégagée alimente un groupe turbo-alternateur pour la production d’électricité et les résidus de combustion sont valorisés en remblais routiers sous forme de mâchefers.

Centre de tri des déchets en entrée de l’installation EveRé (photo © Nina Hubinet / Marsactu)

Début novembre 2013, l’unité de méthanisation a entièrement brûlé, endommageant gravement le centre de tri. Le torchon brûle alors entre l’exploitant et la communauté urbaine et c’est le début d’un conflit juridico-financier qui ne sera soldé qu’en juin 2015 avec la signature d’un protocole transactionnel à hauteur de 79 millions d’euros, assorti d’une redevance annuelle de 5,3 millions d’euros. Une lourde ardoise pour le contribuable, d’autant que la capacité de l’incinérateur, reconstruit en septembre 2016, est portée, depuis 2019 à 383 000 tonnes par an.

Incendie du centre de traitement EveRé à Fos-sur-Mer en novembre 2013 (photo © Serge Guéroult / La Provence)

Une installation plutôt chaotique donc et qu’on ne peut s’empêcher de comparer à celle construite à Copen Hill, près de Copenhague entre 2013 et 2016, connue sous le nom d’Amager Bakke. Lors du lancement du projet en 2009, le maire de la capitale danoise visait la neutralité carbone d’ici 2025 et misait beaucoup, pour cela, sur les réseaux de chaleur alimentés justement par la chaleur dégagée lors de l’incinération des ordures ménagères. Un réseau qui de fait alimente, en 2019, 90 % des logements de la ville !

Il s’agit à l’époque de remplacer l’ancien incinérateur, vieux de 45 ans, implanté dans une zone industrielle proche de la ville, par un autre plus moderne et qui n’émettrait quasiment plus de résidus soufrés et des quantités infimes d’oxyde d’azote, grâce à une technologie plus moderne combinant production de chaleur et d’électricité. L’agence d’architecture qui remporte le marché a pour ambition d’en faire « l’incinérateur le plus propre du monde » et reprend à son compte le principe d’un bâtiment attractif permettant de développer en parallèle des activités ludiques.

L’incinérateur Amager Bakke à Copenhague (photo © Rasmus Hjortshoj /BIG / AD magazine)

Débutée en 2013, la construction permet d’inaugurer l’usine en mars 2017. Celle-ci se présente sous la forme d’un bâtiment dont le toit, culminant à 85 m, est en pente, aménagé en parc urbain et équipé de remonte-pente, ce qui lui permet de servir de site de randonnées et de piste de ski tandis que des voies d’escalade sont aménagées sur une partie des façades. Ces dernières sont constituées d’un assemblage de grosses briques en aluminium entrecoupées de grandes baies vitrées qui donnent un éclairage naturel maximum à l’intérieur de l’usine.

Bref, une usine très emblématique et au fort pouvoir attractif, qui facilite son acceptation par le grand public. La capacité d’exploitation est de 440 000 tonnes de déchets par ans, soit davantage que l’incinérateur de Fos-sur-Mer, et l’usine fournit directement 30 000 logements en électricité et 72 000 en chauffage. Ses rejets dans l’atmosphère sont très maîtrisés, jusqu’à la production d’un anneau de vapeur d’eau de 21 m de diamètre, visible depuis le centre-ville de Copenhague, qui est relâché chaque fois que l’incinérateur a émis une tonne de CO2, histoire de sensibiliser les habitants à l’impact de l’usine en matière d’émission de gaz à effet de serre…

Le toit verdoyant servant de piste de ski de l’incinérateur de Copen Hill à Copenhague (source © Idverde)

Une approche très pédagogique donc, qui vise à rendre à la fois très visible mais peu impactante, cette fonction essentielle de traitement de nos ordures ménagères. Peut-être une source d’inspiration pour le second incinérateur que la Métropole Aix-Marseille-Provence devra bien se résoudre à construire un jour pour traiter la totalité des déchets émis par ses habitants ? Pourquoi pas alors choisir un lieu emblématique proche des lieux d’émission et de consommation de l’énergie produite, afin d’optimiser le dispositif tout en limitant autant que possible les effets nocifs du transport de nos déchets qui parcourent actuellement la moitié du département avant d’être traités !

L. V.